Le changement climatique dans le Pacifique : une question

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Le changement climatique dans le Pacifique : une
question de survie
Par Sonia Smallacombe
En raison de leur dépendance vis-à-vis de l’environnement et de ses ressources et de leur
étroite relation avec eux, les peuples autochtones du Pacifique sont parmi les premiers à
affronter directement les néfastes conséquences du changement climatique. Bien qu’étant
parmi ceux qui émettent le moins de gaz à effet de serre, ils sont les plus vulnérables à ses
effets par leur petite taille, leur situation côtière, la faible altitude de leurs terres. Les
populations de nombreuses îles du Pacifique sont particulièrement sans secours. Elles se
rendent compte que les menaces ne peuvent être réduites, atténuées ou éliminées et qu’elles
sont, par conséquent, obligées d’accepter qu'il n'y a pas d'autre choix que de s'adapter.
Conséquences du changement climatique
En moyenne, plus de 90% de la population du Pacifique sont autochtones dans les îles
Vanuatu, Salomon, Fidji, Samoa, Tuvalu, Rapa Nuie (île de Pâques), Papouasie -Nouvelle
Guinée), etc. La région Pacifique est constituée, en majorité, de petits états insulaires dont la
population est lourdement frappée par le réchauffement du climat : les îles sont inondées par
l’élévation du niveau de la mer, les violentes tornades entraînent l’accroissement de l’érosion
du sol et le sel envahit les eaux douces. Ces bouleversements affectent les moyens d’existence
comme la chasse et la pêche et se répercutent sur l’infrastructure des îles, l’accès à l’eau, les
disponibilités en nourriture et en logement et même sur la santé des gens. On craint aussi que
d’importants secteurs économiques comme l’agriculture, l’exploitation de la forêt, le
tourisme, l’énergie, d’autres activités industrielles ne soient touchés.
Élévation du niveau de la mer
Beaucoup d’îles du Pacifique ont une faible masse terrienne et l’élévation du niveau de la mer
endommage les constructions et l’infrastructure. Les champs et les chaussées reliant les
villages sont inondés, forçant les voitures, les bus et les camions à conduire dans l’eau de mer.
Certains petits états insulaires pourraient avoir disparu sous les eaux au cours de ce siècle. Le
petite île de Tebua, à Tarawa, repère habituel des pêcheurs, est actuellement sous l’eau.
Kiribati, victime des inondations des voies de communication, souffre de marées géantes qui
balaient toute l’île d’un bout à l’autre, des vagues de 2,8 mètres de haut sont devenues
courantes 1
Des grandes marées et des tornades ont récemment causé des problèmes dans les îles
Marshall, Cook, Tuvalu et dans certaines îles basses de Papouasie -Nouvelle Guinée. À
Tuvalu, le mélange des eaux douces et des eaux salées a forcé des fermiers à cultiver les
tubercules dans des conteneurs métalliques. Ces conséquences vont probablement s’intensifier
si les prévisions d’élévation du niveau de la mer se réalisent.
1
Fiu Mataese Elisara, Effects of Climate Change on Indigenous Peoples. A Pacific
presentation during The International Expert Group Meeting on Indigenous Peoples and
Climate Change, Darwin Australie 2-4 avril 2008
Dégâts aux écosystèmes du Pacifique
Dans la région, les changements environnementaux sont prépondérants dans les îles
volcaniques, les atolls de corail s’immergent et réapparaissent, la biodiversité est en
perpétuelle modification. La région a énormément souffert de désastres provoqués par
l’activité humaine : risques dus aux essais nucléaires, aux déchets chimiques et organiques et
à leur pollution persistante, aux rejets des bateaux, à la gestion des dépôts d’ordures. Joints
aux menaces causées par le changement climatique, ces dégâts ont sérieusement affecté la
capacité des écosystèmes insulaires à maintenir l’environnement sain d’autrefois qui
assurait la viabilité économique, sociale et culturelle des communautés autochtones2.
Le réchauffement de la température a provoqué la décoloration de la principale source de
vie : les récifs de corail. Cette décoloration survient quand les récifs, en réaction au stress
causé par les eaux chaudes, perdent les algues qui les aident à se nourrir. Leur
« blanchiment » finit par les tuer. La construction de récifs constitue la plus grande part de la
production des coraux et fournit des abris à une grande diversité d’organismes marins. La
quantité et la diversité des récifs de corail a probablement la plus grande importance pour la
biodiversité environnante, ils abritent de grandes quantités de produits de la mer
qu ‘apprécient les autochtones de la région3.
Sécurité de l’eau et sécurité alimentaire
Dans la région Pacifique, l’agriculture, particulièrement dans les petits états insulaires,
devient de plus en plus vulnérable en raison des dommages que la chaleur cause aux plantes
et de l’invasion de l’eau salée. Les cultures, sensibles aux effets du climat comme les bananes,
une des principales productions, sont sévèrement menacées. Des terres sont perdues à cause
de l’érosion du sol par des vagues destructrices, des houles fréquentes provoquées par des
orages et des chutes de terrain. Les cultures et les animaux, principales sources de subsistance,
font face à présent à de nouvelles maladies et à des fléaux dus aux inondations, à la
sécheresse et à d’autres variations climatiques. Les menaces sur la sécurité alimentaire sont
donc sources de graves inquiétudes dans la région.
Une conséquence de ces phénomènes est l’instabilité de la distribution de l’eau. Dans
beaucoup d‘endroits, le système de stockage d’eau dans des réservoirs est défaillant. Si des
améliorations étaient apportées à la distribution et à l’accessibilité à l’eau stockée, les
autochtones ne seraient pas obligés d'utiliser des eaux de rivière non traitées, de qualité
incertaine. Des approvisionnements durables en eau, le maintien ou l’amélioration de sa
qualité, la diminution des maladies dues aux eaux polluées sont d’importants sujets de
préoccupation pour les autochtones du Pacifique.
Sécheresse
2
Ema G. Tagicakibau Pollution in Paradise : The Impact of Nuclear Testing and RadioActive Pollution on Indigenous Peoples in the Pacific and Strategies for Resolution. Pacific
Concerns Resource Center, août 2007
3
Robert.W. Buddemeier, Joan A. Kleypas, Richard B. Aronson, Coral Reefs and Global
Climate Change : Potential Contributions of Climate Change to Stresses on Coral Reef
Ecosystems. Pew Center, Janvier 2004, page 25
L’Australie, qui se situe à plus de 3.000 Km. à l’ouest dans le Pacifique, a connu la pire
sécheresse des cent dernières années à la fin de 2007 et au début de 2008. On l’attribue
couramment au changement climatique bien que les scientifiques ne soient pas tous d’accord
là-dessus. Quand les pluies arrosent les côtes du nord-est, les sols se déversent sur la Grande
Barrière de corail, le plus grand récif du monde, les eaux chaudes tuent une partie des coraux
qui sont partout endommagés.
Commercialisation des émissions de carbone
Dans le Pacifique, comme dans la plupart des régions, les autochtones sont affectés non
seulement par le changement climatique mais aussi par les mesures qui prétendent y
répondre.. La commercialisation des émissions de carbone est une source de préoccupations
pour beaucoup d’entre eux. En même temps, toutefois, certains voient les bénéfices
économiques qu’il y aurait à participer aux projets, en particulier là où les communautés ont
développé, depuis des milliers d’années, des moyens d’existence, durables, neutres et propres.
Un accord unique, qui se veut le premier de son espèce dans le monde, a été récemment
négocié en Australie. Lors de la construction d’une raffinerie de gaz naturel géante à Darwin,
ConocoPhillips a accepté de payer aux Aborigènes de la Terre d’Arnhem occidentale 850.000
$ US par an, pendant 17 ans pour compenser les émissions de gaz à effet de serre de la
raffinerie (The Western Arnhem Fire Management Agreement). Les Aborigènes garderont
leurs pratiques traditionnelles de gestion du feu, dont on a montré scientifiquement qu’elles
réduisaient les émissions de gaz en comparaison de celles produites par les feux de brousse
naturels. 4
La commercialisation du carbone continue à être une question très controversée. Le plus
discutable est que les compagnies qui n’ont pas réduit leurs propres émissions peuvent payer
d’autres compagnies ou groupes, surtout dans des pays non industrialisés, pour réduire leurs
émissions ou absorber le gaz carbonique de l’atmosphère, et être ainsi, elles, comptabilisées
comme réducteurs d’émissions. Le gros bénéfice qu’en tirent les compagnies est qu’en payant
les autres, ils paient seulement une fraction de ce qu’ils devraient investir chez eux pour
aboutir au même résultat.
S’adapter au changement climatique par la migration
Quand les peuples du Pacifique commencent à ressentir les lourdes conséquences du
changement sur la qualité de leur vie, la migration devient la principale question surtout
lorsque surviennent des inondations dues à la montée du niveau de la mer. L’adaptation forcée
est déjà en cours pour les communautés déplacées de leurs terres et territoires traditionnels à
cause de l’érosion côtière provoquée par les grandes vagues des tornades. La délocalisation
est une réalité à Samoa et au Vanuatu où les inondations, l’élévation des eaux et leurs
conséquences sont devenues la norme. Les habitants de l’atoll de Bougainville, en PapouasieNouvelle-Guinée ont demandé à s’établir sur des terres plus hautes de la terre ferme. Les
habitants de l’atoll Sikaiana des îles Salomon ont aussi émigré d’abord à Honiara, la capitale.
Des îles périphériques de Tuvalu, des migrations se sont aussi produites vers la capitale,
Funafuti. Dans ce dernier cas, presque la moitié de la population nationale a émigré dans
4
Victor Mugarura. Aborigenes burn the way to climate control. BBC, 18 septembre 2007,
http://news.bbc.co.uk/2/hi/asia-pacific/6726059.stm
l’atoll de Funafuti créant l’accroissement de la demande sur les ressources locales 5. Un lent
processus d’évacuation de l’île se met en place : la Nouvelle-Zélande a accepté d’accueillir 75
Tuvaluiens par an,
L’émigration est cependant une solution très problématique. C’est une violation du droit des
pays à exister comme terres de peuplement, une menace pour les cultures et les traditions, une
perte de vies, de la biodiversité, de liens spirituels avec l’environnement et une perte
d’implantation 6. Par conséquent, il est capital que la question des « réfugiés de
l’environnement » soit sérieusement discutée et que les autochtones soient véritablement
impliqués dans la conception et la mise en œuvre des réponses au changement climatique.
S’adapter en appliquant les savoirs traditionnels
Les savoirs et les pratiques traditionnels sont importants pour gérer et conserver
l’environnement. Dans un village côtier de Vanua Levu à Fidji, la philosophie du vanua (le
lien du peuple avec la terre à travers les ancêtres et les esprits gardiens) a servi de guide pour
la gestion et l’utilisation durable de la forêt humide, de la mangrove, des récifs de corail et
des jardins.
Dans d’autres régions du Pacifique, les autochtones ont soutenu la politique de conservation
de la mangrove le long des côtes pour se protéger des catastrophes naturelles comme les
cyclones et les tsunamis. Cela revient moins cher que de construire des digues, financées par
des ressources extérieures. La conservation de la mangrove implique la gestion par la
communauté et la participation des femmes dans les replantations. D’autres activités
demandent la création d’un système de drainage des eaux et empêchent l’abattage des arbres.
On reconnaît cependant que, dans le Pacifique, le renforcement des capacités d’adaptation
requiert plus que des mesures locales, efficaces seulement si elles s’intègrent dans d’autres
actions telles . la préparation aux catastrophes, la planification de l’usage de la terre, la
préservation de l’environnement et des plans nationaux en faveur d’un développement
durable.7
Des subventions des agences des Nations Unies, comme le Fonds International pour le
Développement de l’Agriculture (FIDA) promeuvent le développement et l’extension de
cultures et de techniques appropriées à la région du Pacifique. Grâce à la recherche et à la
documentation, en combinant les techniques autochtones et celles qui conviennent aux atolls,
on peut soutenir l’agriculture et les pêcheries. Une activité de ce genre, gérée par le Trust de
Développement des îles Salomon ( Salomon Island Development Trust ), doit se mettre en
place grâce à une petite subvention sur le budget de l’assistance aux autochtones du FIDA.
Les autochtones seront aidés à améliorer leur résistance à la crise en combinant les savoirs
traditionnel et scientifique.
5
Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC). Report of Intergovernmental Panel on
Climate Change. Working Group 2 : Climate Change Impacts, Adaptation and Vulnerability,
2007, page 708
6
Fiu Mataese Elisara, Effects of climate Change on Indigenous Peoples. A Pacific
Presentation during the International Expert Group Meeting on Indigenous Peoples and
Climate Change, Darwin, Australie 2-4 avril 2008
7
Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC). Report of Intergovernmeent Panel of
Climate Change, Working Group 2 : Climate Change Impacts, Adaptation and Vulnerability,
2007, page 709
Il existe, dans le Pacifique, des barrières institutionnelles qui empêchent l’adaptation. : par
exemple, la limitation des ressources et le manque d’accès aux technologies. D’autre part, le
cas de Ra’ui, Rarotonga dans l’île Cook montre que l’utilisation des connaissances
traditionnelles et de l’expérience du passé est renforcée de plusieurs manières par la mise en
œuvre des institutions sociales maritimes traditionnelles. Elle constitue un outil efficace de
gestion conservatoire et améliore la santé du récif de corail. Les connaissances écologiques
autochtones et les pratiques maritimes coutumières s’intègrent aux données scientifiques pour
conserver la vie d’espèces sauvages. À Kiribati aussi un changement des techniques
maritimes par un retour à une gestion plus traditionnelle a produit ses effets. 8
Ce qui doit être fait
Malgré le consensus scientifique, notamment grâce à l’International Panel on Climate
Change (IPCC), sur les menaces que recèle le changement climatique, les gouvernements ont
été très longs à y répondre. La vulnérabilité aux catastrophes de toute la région rend difficile
la réalisation de la stabilité économique, du développement social, de la conservation de
l’environnement et de la biodiversité.. En septembre 2007, M. Elisara-La’ulu, directeur de la
Ole Siosimaga Society à Samoa, a déclaré que ceux qui savaient que le monde était en crise
ne faisaient rien d’autre que d’être les mauvais architectes de cette crise. Il a exhorté les
dirigeants politiques à interroger les autochtones sur les effets du changement avant de
prendre toute décision et recommandé à ceux-ci de ne pas agir sous la pression des mesures
globales édictées par les grands gouvernements.9 Dans une allocution d’avril 2008, il a noté
que :
« Pour nous, peuples du Pacifique, la discussion sur le changement climatique n’est pas
seulement une question théorique à discuter dans nos réunions générales ! Le changement est
là et nous en voyons les conséquences sur nos vies de tous les jours. C’est une question de vie
ou de mort pour nous ! Dans beaucoup de cas, nous devons décider de rester sur nos îles ou
de les quitter. Nos droits comme citoyens de pays souverains sont protégés par la Charte des
Nations Unies. Nous plaidons avec responsabilité contre ce qui viole nos droits à exister
comme peuples, comme pays et comme nations souveraines. Quelqu’un doit porter la
responsabilité de notre dépossession quand nous perdons nos cultures, quand nos modes de
vie traditionnels sont dévalorisés et quand on nous dénie la liberté d’exister en tant que
peuples. Nous en appelons à la justice et nous continuerons à la faire à chaque occasion qui
se présentera ! »10
Certains petits états insulaires qui sont en pointe, comme Samoa, posent deux importantes
questions :
- Est il possible de leur permettre, d'abord, de donner la priorité à la poursuite de leur
adaptation; et permettre à leurs représentants de pouvoir travailler avec les politiques
permettant une prise en considération de leurs valeurs culturelles en vue de protéger
leurs moyens d'existence et leur bien-être.
8
Ibid., page 708
Meetings Coverage, DPI/NGO Conférence annuelle des ONG/626, PI/1794 Department of
Public Information, ONU, New York, 6 septembre 2007
10
FIU mataese Elisara, Effects of Climate Change on Indigenous Peoples. A Pacific
presentatin during the International Expert Grooup Meeting i Indgenous Peoples and climate
Change, Darwin, Australie, 2-4 avril 2008
9
-
Est il possible de mettre en place des systèmes d'alerte afin que les communautés
possèdent l'information nécessaire pour répondre à toute éventualité et à toute menace
potentielle. Ceci constituant un pas considérable vers la mise en œuvre d'activités
adaptatives durables et minimisera les effets nocifs du changement climatique.
Le Forum régional des organisations de sociétés civiles du Pacifique / Pacific Regional Civil
Society Organization Forum (PIANGO) tenu à Tonga en octobre 2007, a émis les
recommandations suivantes :
. Développer des plans régionaux de secours
pour aider les réfugiés de
l'environnement à maintenir leur identité nationale et leur intégrité
culturelle,
. Engager les organisations autochtones à développer des programmes pour
faire
face aux conséquences du changement climatique,
. Promouvoir la préservation des forêts, l'efficacité énergétique et les
énergies
renouvelables et
. Impliquer au niveau de leurs communautés, les peuples autochtones dans
des
programmes de soutien aux mesures d'adaptation aux et d'atténuation
des
effets
du
changement et, en même temps, reconnaître la valeur de leur
savoir traditionnel qui leur
a donné la possibilité de préserver durablement
leur environnement en interaction avec
lui. 11
11
Communiqué du Pacifique Regional Civil Society Organization Forum tenu à Tonga en
octobre 2007, pp. 4-5
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