Fiches réalisées par Arnaud LEONARD (Lycée français de Varsovie, Pologne) à partir de sources diverses, notamment des excellents « livres du professeur » des éditions Nathan (dir. Guillaume LE QUINTREC) 1 HC – Guerres et paix 1914-1946 Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Mosse George Lachmann, De la Grande guerre au totalitarisme, la brutalisation des sociétés européennes, coll. « Pluriel », Hachette, 1999 (à partir de la question « Quelles sont les conséquences de l’expérience de la mort massive pendant la Première Guerre mondiale ? », l’auteur insiste sur l’idée que 1914-1918 est une guerre d’un nouveau type et développe le concept de « brutalisation » des populations, en particulier en Allemagne). Audouin-Rouzeau Stéphane, Becker Annette, Igrao Christian, Rousso Henry (dir.), La Violence de guerre 1914-1945, Complexe, 2002 (ouvrage de collaboration – 22 auteurs – qui permet de mettre en relief les violences des champs de bataille, celles faites contre les populations durant les deux conflits, les traumatismes et les réactions, mettant ainsi en relation violences de guerre et violences politiques). 14-18, retrouver la guerre, AUDOIN-ROUZEAU Stéphane, BECKER Annette. Paris : Gallimard, 2000. Les Monuments aux morts, mémoire de la Grande Guerre, BECKER Annette, Paris : Errance, 1988. War and Remembrance in the XXth Century, SIVAN Emmanuel, WINTER Jay. Cambridge : University Press, 1999. BRION Patrick, Le Cinéma de guerre, La Martinière, 1996. Prost Antoine, « Pacifismes de l’entre-deux-guerres », dans Becker Jean-Jacques, Audoin-Rouzeau Stéphane (dir.), Encyclopédie de la Première Guerre mondiale, Bayard, 2004. Vaisse Maurice, La Paix au XXe siècle, Belin supérieur, 2004. BOCK Fabienne, Les sociétés, la guerre et la paix. 1911-1946, Armand Colin, 2003. DUFOUR Jean-Louis et VAÏSSE Maurice, La guerre au XXe siècle, Hachette, 1993. Propose une typologie selon six critères (cf. l’Introduction). Particulièrement utile pour caractériser la guerre moderne du XXe siècle (chapitre 1) et préciser la notion de « guerre totale » (chapitre 2). Tableau récapitulatif des victimes des deux guerres. Plusieurs manuels conçus pour la préparation aux concours d’enseignement en 2003-2005 fournissent des mises au point sur les thèmes de ce programme. Celui dirigé par Frédéric Rousseau est riche en informations sur les pacifismes (ROUSSEAU Frédéric dir., Guerres, paix et sociétés 1911 – 1946, Atlande, 2004, p. 552-573). Ces ouvrages supposent de connaître les débats historiques auxquels ils renvoient, notamment autour de la question du consentement des populations à la Première Guerre mondiale (Stéphane Audoin-Rouzeau, Annette Becker, Frédéric Rousseau). Bertrand Maurice, L’ONU, La Découverte, 2003, 128 p., coll. «Repères ». Lafay Frédérique, L’ONU, PUF, 2003, 128 p., coll. «Que sais-je ?». Ressources Itinéraire urbain et travail sur les monuments aux morts (commanditaires, représentations, financements, discours inaugural…). Sortie pédagogique au Mémorial de Péronne (Somme) sur l’expérience de la guerre, la culture de paix. www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers dossier/maintien-paix (Historique de la SDN à l’ONU, liens) Ouverture pour les élèves Giroud Franck, Dethore Jean Paul, Louis la Guigne, Glénat, 1985 : une bande dessinée qui aborde la période de l’Entre-deuxguerres et notamment les difficultés de la République de la Weimar, le rôle des pacifistes ouvriers et internationalistes. Documentation Photographique et diapos : Audouin-Rouzeau Stéphane, « La guerre au XXe siècle, 1. L’expérience combattante », La Documentation photographique, La Documentation française, n° 8041, 2005 ; Dumenil Alain, « La guerre au XXe siècle, 2. L’expérience des civils », La Documentation photographique, La Documentation française, n° 8043, 2005. Revues : Les collections de l’Histoire, n° 21 consacré à la Grande Guerre (deux articles sur le pacifisme). « Le pacifisme à la française (1789-1991) », L’Histoire, n° 144, mai 1991. Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : Accompagnement 1ère STG : « Centrée sur la période 1914-1946, cette séquence place l’Europe au coeur de l’enseignement à travers l’étude des deux guerres mondiales, des totalitarismes, des efforts pour construire la paix. Elle s’appuie sur les acquis de la classe de BO 1ère STG « Guerres et paix (1914-1946) L’EUROPE AU CŒUR DES GRANDS AFFRONTEMENTS On présente les événements militaires des 2 troisième et limite la part du récit au rappel des grands repères chronologiques et géographiques. Pour cela, le recours aux cartes est indispensable. En premier lieu, elles permettent de montrer les principaux changements intervenus dans le découpage de l’Europe médiane et balkanique et la fixation des frontières entre la France et l’Allemagne. Trois dates sont pertinentes pour cet exercice : 1914 – 1938 – 1947. Le choix de 1938 permet de décrire la nouvelle Europe née des traités de paix à la fin de la première guerre mondiale, d’évoquer les modifications apportées par la guerre soviéto-polonaise et de présenter la politique d’agression nazie (Anschluss, autonomie de la Slovaquie). L’année 1947 correspond à une stabilisation des frontières européennes jusqu’aux années 1990 (abordées en Terminale). En second lieu, combinées à une chronologie, les cartes peuvent servir de support à un rappel de quelques événements clés de chaque conflit (bataille de la Marne, Verdun ; Stalingrad, Midway). Sur la carte de l’Europe on montre les territoires directement touchés par chaque guerre et on localise les principaux fronts. On souligne que le centre de gravité se déplace, d’une guerre à l’autre, de l’ouest (front franco-allemand) vers l’est (front germano-soviétique). Sur le planisphère on marque la différence entre une première guerre mondiale encore européo-centrée et une deuxième guerre tout à fait mondiale avec l’affrontement entre le Japon et les États-Unis dans le Pacifique. Cette mise en place des faits et des espaces débouche sur la notion de guerre totale, en grande partie connue des élèves. On la caractérise par l’extension des opérations dans la durée et surtout dans l’espace ; par la mobilisation de tous les moyens, en hommes (pour combattre ou soutenir l’effort de guerre), en argent, en matériel (économie de guerre) ; par l’acharnement des combats et la volonté d’anéantir l’adversaire, jusqu’à passer « de l’acceptation de la guerre à l’acceptation du crime ». Pour chaque guerre on relève ensuite quelques éléments décisifs de l’histoire européenne. De la Première Guerre mondiale, on retient surtout l’expérience d’une violence qui atteint une ampleur et un caractère collectif sans précédent. Se pose dès lors la question des raisons qui ont conduit les populations à soutenir très majoritairement l’effort de guerre demandé par la nation. Si certains historiens insistent sur les mécanismes d’adhésion qui conduisent au « consentement » des individus, d’autres font valoir que cette apparente adhésion est aussi le résultat d’un conditionnement ancien et des contraintes exercées par l’État et la société. La Seconde Guerre mondiale n’oppose plus seulement des États-nations mais des projets politiques et des idéologies. Elle déplace et dilue les distinctions traditionnelles qui permettaient d’opposer le front et l’arrière. La collaboration et la Résistance, les bombardements et la guerre médiatique, ne connaissent pas de frontière. Cette guerre marque aussi le franchissement de nouveaux degrés dans le déchaînement de la violence, le recours aux armes de destruction (bombardements, arme nucléaire), la planification des massacres jusqu’à la volonté d’extermination (Juifs, Tziganes). Elle laisse une Europe en ruines où les pertes militaires et civiles sont presque équivalentes, et cinq fois plus élevées que pendant la Grande Guerre. La présentation des génocides implique au préalable de clarifier le vocabulaire et d’expliquer la distinction opérée progressivement par le droit international entre crimes contre la paix, crime de guerre, crime contre l’humanité, génocide. La volonté de fixer des règles pour protéger les civils et limiter le recours à certaines armes durant les guerres est ancienne et avait donné naissance à un droit international qualifié à l’époque moderne de droit des gens. À partir du XIXe siècle, il se traduit en accords internationaux. La première convention de Genève (1864) et la convention de La Haye (1907) ont, entre autres, tenté de réglementer les lois et coutumes des guerres sur terre pour empêcher les belligérants de s’en prendre à des objectifs non- militaires (civils, prisonniers, blessés). Mais la définition juridique de plusieurs types de crimes s’impose seulement en 1945 avec la création d’un tribunal militaire international installé à Nuremberg. Il distingue dans ses statuts (article 6) trois chefs d’accusation : crime contre la paix ; crime de guerre ; crime contre l’humanité. Le mot génocide est encore absent de cette classification mais il s’impose très vite. Utilisé pour la première fois dans un document officiel en 1945 par le tribunal de Nuremberg, il est défini sur le plan juridique par l’Assemblée générale de l’ONU en 1946. Il entre définitivement dans le vocabulaire du droit international en 1948. » deux guerres essentiellement à l’aide de cartes. La Première Guerre mondiale marque durablement les sociétés par le renforcement de l’État et par l’expérience de la violence. On posera la question du consentement des opinions. La Seconde Guerre mondiale franchit de nouveaux seuils dans la violence du fait des objectifs du nazisme et de l’impérialisme japonais, de l’implication des civils, des armes utilisées (bombe atomique). On oppose les idées-forces des totalitarismes (Allemagne nazie et URSS stalinienne) et des démocraties, à travers leurs fondements, leurs objectifs, leur fonctionnement. On décrit et on analyse les mécanismes qui entraînent les génocides de la Première Guerre mondiale (Arméniens), puis de la Seconde Guerre mondiale (Juifs, Tziganes). SUJETS D’ETUDE La recherche de la paix Le sujet d’étude s’attache aux efforts déployés pour construire la paix et aux difficultés qu’ils rencontrent. Un sujet d’étude au choix : - De la SDN à L’ONU L’échec de la SDN éclaire la mise en place de l’ONU, son organisation, ses buts, ses moyens. » - Pacifisme et pacifistes On montre la diversité du pacifisme, les problèmes qu’il rencontre, son influence. » BO 1ere ST2S : « Guerres et paix (19141946) L'EUROPE : UN ESPACE MARQUE PAR DEUX CONFLITS MONDIAUX. La guerre marque profondément l'Europe du premier XXe siècle et ses peuples. On analyse les dimensions géopolitiques des deux conflits mondiaux, leurs caractères spécifiques, la violence vécue par les combattants et les civils. SUJETS D’ETUDE On montre la diversité du pacifisme, les problèmes qu'il rencontre, son influence. L’Italie, ébranlée par la Première Guerre mondiale, devient un pays totalitaire. On étudie la réalité de la vie quotidienne sous le fascisme. Auschwitz est un vaste complexe, construit à partir de 1940. Il constitue un élément de la politique concentrationnaire nazie et surtout un instrument majeur de la politique d'extermination des juifs d'Europe. Il est devenu un lieu de mémoire. » 3 Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : Accompagnement 1ère ST2S : « La question est centrée sur l’Europe et sur les peuples qui y vivent : le commentaire en exprime clairement le contenu et le déroulement. Elle ne requiert pas un traitement chronologique détaillé : il est d’autant plus important que les enseignants fassent exprimer à la classe – de manière positive – les savoirs sur la période pour en faire des points d’appuis. Les deux guerres mondiales ont profondément modifié, à l’échelle d’une vie humaine, l’organisation géopolitique de l’espace européen. Elles ont suscité des recherches de paix dans lesquelles s’inscrit l’idée européenne. Le projet européen est né des traumatismes des deux guerres et de cette recherche répétée de paix. L’étude des cartes permet de retracer la mise en place progressive des frontières de l’Europe ainsi que la rapidité de leurs modifications. L’existence des empires centraux et les tensions territoriales qui opposent notamment la France et l’Allemagne sont rappelées à partir de la carte du continent en 1914. Elle fait apparaître les nouveaux États nations qui se sont constitués, la montée des tensions et le jeu des alliances. Il est possible de montrer la disparition des empires centraux ainsi que les recompositions territoriales en Europe centrale selon les principes wilsoniens en étudiant la carte de l’Europe dans l’entre-deuxguerres. Les démocraties et les régimes totalitaires qui se sont installés progressivement sont également localisés. Une carte de l’Europe en 1942 permet de caractériser le continent à l’heure allemande et de mesurer les implications territoriales de l’idéologie nazie : Grande Allemagne, espace vital, États vassaux… Enfin, une approche même succincte de l’expansion soviétique est utile pour comprendre le projet de construction européenne en introduisant notamment les antagonismes moteurs de la future guerre froide qui sera traitée en classe de terminale. Les déplacements de populations générés par les régimes totalitaires dans l’entre-deux-guerres et les redécoupages territoriaux après 1945 sont également abordés à partir des cartes. Des exemples régionaux comme ceux de l’Alsace-Lorraine ou de la Haute-Silésie peuvent permettre d’apporter une dimension humaine à cette étude en rendant sensible aux élèves l’intensité et la brutalité des bouleversements vécus par certaines populations. Le programme invite à une étude globale des deux conflits dont il importe de souligner les points communs et les spécificités. L’Europe a été, quoique inégalement selon le conflit, le théâtre principal des deux guerres mondiales. Le continent sort détruit et affaibli d’une période où se sont affrontées sur son territoire, avec une extrême violence, des armées de masse et des idéologies antagonistes. L’étude des affrontements à l’oeuvre lors de la Première comme de la Seconde Guerre mondiale s’appuie sur la notion de guerre totale. L’analyse d’affiches de propagande bien choisies (appel à souscription par exemple) peut donc être l’occasion de souligner à la fois le rôle des États dans la conduite de la guerre et la mise en place d’économies de guerre. Elles permettent d’appréhender la perception de l’ennemi, de décrire l’ampleur de la mobilisation des populations européennes et coloniales aux fronts comme à l’arrière ainsi que de comprendre le rôle des médias dans le conditionnement psychologique. Si la Première Guerre mondiale peut être considérée, avant tout, comme un affrontement de puissances, aboutissement des nationalismes du XIXe siècle, la seconde met aux prises des projets politiques radicalement différents : les régimes totalitaires cherchent à imposer une logique d’exclusion de l’autre alors que les démocraties libérales défendent un modèle de société reposant sur l’affirmation de l’égalité des droits et la garantie des libertés individuelles et collectives. Le communisme soviétique constitue un cas complexe : en dépit de son incarnation politique dans un régime totalitaire, il se réclame de l’égalité individuelle et des libertés collectives et est une clef majeure de la défaite allemande en 1945. Ces projets sont d’autant plus inconciliables que chacun d’eux prétend à l’universalité. La volonté d’anéantissement de l’ennemi et l’extrême violence qui l’accompagne doivent être soulignées. Les Européens ont, en effet, payé un lourd tribut à la guerre. L’analyse comparée du nombre et de la nature des victimes constitue un moyen de souligner l’entrée des masses dans la guerre et, de fait, le poids grandissant des civils victimes des conflits. Elle permet de mesurer en partie l’escalade dans l’échelle de la violence : le nombre des victimes est cinq fois plus élevé lors de la Seconde Guerre mondiale. Les civils connaissent l’invasion et la Filmer pour se souvenir En 1956, Alain Resnais montre dans Nuit et Brouillard des images d’archives, principalement des photographies, sur le texte d’un écrivain, ancien déporté, Jean Cayrol. Camps de concentration et d’extermination ne sont pas différenciés : le film est une réflexion humaniste sur les drames de la Seconde Guerre mondiale. Dans Shoah (1985), au contraire, Claude Lanzman refuse tout document d’archives : son film est fondé sur la parole des victimes, des bourreaux et des témoins de l’extermination des Juifs d’Europe. L’Histoire nous parvient par la catharsis de la mémoire, comme dans le cas de l’ancien coiffeur chargé de raser les victimes avant leur extermination qui, dans un salon de coiffure recréé pour le film, revit devant les spectateurs horrifiés la cruauté de son trauma. Rithy Panh, en mettant face à face anciens bourreaux et victimes des Khmers rouges dans S 21 (2004), se place dans la même lignée, au moment où les responsables confrontés à un futur procès plaident le génocide par ignorance. Seule bande-son, la Radio des Mille Collines appelant au meurtre, seules images, des corps entassés, sont les choix d’Eyal Sivan pour les 13 minutes d’Itsembatsemba, Rwanda, un génocide plus tard (1996). La notion de pacifisme est complexe. On montre comment elle a évolué au cours de la première partie du XXe siècle, jusqu’à la Première Guerre mondiale, puis dans l’entredeux guerres, jusqu’à la création de l’ONU. Comprendre que le pacifisme est une notion polysémique ; sa lecture est « horizontale », c’est-à-dire qu’à une même époque, il engendre des attitudes diverses, mais sa lecture est aussi « verticale » : sa signification subit des modifications au fil du temps. Etre capable de citer des acteurs des diverses expressions du pacifisme, comme Jean Jaurès. Retenir des moments clés du pacifisme comme le pacte Briand-Kellogg du 27 août 1928 ou la conférence de Munich en septembre 1938. Problématiques – Comment la guerre de 1914-1918 marquet-elle l’échec des mouvements pacifistes ? La réponse à cette problématique devrait permettre de cerner la diversité des conceptions et des types d’action du pacifisme. L’intitulé du sujet d’étude illustre bien que si le désir de paix est partagé, la définition de la paix et les attitudes pour la protéger ne sont pas identiques. Il faudrait en outre éclairer l’échec des pacifistes 4 retraite ainsi que l’occupation. Les bombardements altèrent les distinctions spatiales entre espace de combat et espace civil. La question de la violence dont sont victimes combattants et civils introduit aux notions de culture de guerre et de brutalisation des rapports humains comme à celles de génocide et de crimes contre l’humanité. Les deux guerres génèrent des crimes contre l’humanité définis dans l’article 6 des Statuts du tribunal de Nuremberg. L’étude du procès de Nuremberg pourrait être, à la fois, l’occasion d’expliquer la « logique » génocidaire en s’appuyant sur les témoignages et également de souligner l’exigence de justice indispensable à la reconstruction d’une Europe pacifiée. Il est aussi possible de rappeler aux élèves que si le terme de génocide s’est imposé pour qualifier la Shoah, il divise encore concernant les Arméniens, sa reconnaissance constituant, pour certains, un préalable à l’adhésion de la Turquie au sein de l’Union européenne. Le sujet invite également à poser la question des liens entre cette violence, nouvelle par son ampleur mais aussi par sa nature, et l’idéologie comme le fonctionnement des régimes totalitaires. Elle ouvre la réflexion sur le degré et les modalités d’acceptation de cette violence. L’oeuvre de Marie Curie, son engagement pour soulager la souffrance des malades avec la création d’une voiture radiologique, constituent une expérience humaine dont le récit introduit les questions des traumatismes, des relations avec l’arrière et de la place des scientifiques dans l’effort de guerre. Les articulations potentielles avec les autres disciplines sont nombreuses. Le recours à des extraits d’oeuvres littéraires, cinématographique ou picturales peut être l’occasion d’un travail mené avec les professeurs de français. Le Grand Troupeau de Jean Giono ou À l’ouest, rien de nouveau de Erich Maria Remarque sont des supports intéressants pour approcher l’enfer des combats. Celui-ci peut aussi être évoqué par la lecture de carnets de poilus ou encore à travers l’analyse d’extraits de films de fiction. Les deux conflits ont inspiré une très riche filmographie qui peut-être utilisée en accroche pour aborder l’expérience combattante (Les Sentiers de la gloire de Stanley Kubrick, 1958 [1914-1918], Week end à Zuidcotte d’Henri Verneuil, 1964, Stalingrad de Jean-Jacques Annaud, 2002 [1939-1945]) ou donner une idée de l’ampleur des moyens humaines et matériels mobilisés (Le Crépuscule des aigles de John Guillermin, 1966 [1914-1918], Il faut sauver le soldat Ryan de Steven Spielberg, 1998 [19391945]). Si ces oeuvres de fiction offrent un point de vue idéologique, elles peuvent inviter à une réflexion critique sur les raisons et la manière de filmer la guerre. Celle-ci peut passer par la confrontation des oeuvres (l’ouvrage d’Erich Maria Remarque, par exemple, a donné lieu à deux adaptations au cinéma : Lewis Milestone, 1930, Delbert Mann, 1979). Les oeuvres d’Otto Dix offrent également une entrée possible. De la SDN à l’ONU Les trois entrées proposées comme sujets d’étude possibles ont toutes pour objectif de montrer comment les hommes, notamment en Europe, ont tenté d’empêcher la guerre et d’instaurer une paix durable. La chronologie du programme ne doit pas empêcher l’enseignant d’aborder des aspects postérieurs à 1946, par exemple quand il évoque les opérations de maintien de la paix, le tribunal international de La Haye, les courants pacifistes. La première entrée met l’accent sur le rôle des États et leur action diplomatique. L’établissement de la Société des Nations en 1920, puis de l’Organisation des Nations Unies, vise à substituer l’arbitrage à la guerre. L’échec de la SDN ne doit pas conduire à sous-estimer l’espoir suscité dans les années 1920 par « l’esprit de Genève ». Tirant les leçons de cette première expérience, l’ONU se dote d’une charte (San Francisco, 26 juin 1945) et de moyens qui vont lui permettre, à défaut d’empêcher les guerres, d’en prévenir certaines, d’en limiter d’autres en menant des opérations de maintien de la paix, surtout après la fin de la guerre froide. Pacifisme et pacifistes Une troisième entrée déplace l’approche du côté du rôle des sociétés et des opinions publiques. Il s’agit de montrer l’évolution du pacifisme et des formes d’engagement pacifistes entre 1914 et 1946. L’aspiration à la paix est dominante en Europe après la Première Guerre mondiale. Elle n’implique pas pour autant que les populations soient acquises au pacifisme en tant qu’action militante contre la guerre. Le pacifisme prend lui-même des formes différentes selon les motivations et les objectifs poursuivis. Les mouvements les plus importants se réclament d’un pacifisme chrétien, humaniste et socialiste. Ils conduisent certains lorsqu’éclate la Première Guerre mondiale, ainsi que les nouvelles solutions envisagées durant le conflit lui-même. – Comment les pacifismes s’expriment-ils des années 1920 aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale ? Cette problématique fait appel à des connaissances factuelles : l’échec des pacifistes avec la Grande Guerre, les manifestations du pacifisme parfois poussé à l’extrême dans l’entre-deux-guerres (l’appellation est significative !) et l’échec – une fois de plus – du pacifisme dans la Seconde Guerre mondiale. La problématique ne repose pas que sur la principale mémorisation des événements et débouche sur une réflexion quant à la nature du pacifisme et ses différentes approches. Elle permet de contextualiser une notion qui est très complexe. – Quels objectifs et quelles voies différentes les pacifistes proposent-ils pour défendre la paix ? La seconde problématique, sans être évidemment décontextualisée, amène cependant vers une réflexion plus approfondie sur les diverses expressions du pacifisme. Que recouvre ce mot ? Pourquoi n’y a-t-il pas une définition et une manifestation uniques ? Au cours du XIXe siècle et pendant les premières années du XXe siècle, les idées de paix, mais aussi paradoxalement les nationalismes, prennent de l’ampleur. Le pacifisme est pourtant présent dans la vie de chaque État comme sur le plan international. Ainsi, le premier prix Nobel de la paix est-il attribué en 1901 au fondateur de la CroixRouge, le Suisse Henri Dunant (1828-1910). Des conférences internationales (La Haye, 1887 et 1907), montrent les efforts pour créer une communauté internationale. Mais les pacifistes sont issus de milieux très divers : intellectuels, diplomates, hommes politiques, militants syndicalistes, féministes… Les mouvements pacifistes concilient difficilement patriotisme et pacifisme. Les socialistes ne parviennent pas à se mettre d’accord sur les moyens d’empêcher la guerre. En 1914, l’assassinat du leader socialiste pacifiste français Jean Jaurès, puis l’entrée en guerre, mettent en évidence l’impuissance du mouvement pacifiste. Pourtant celui-ci relève la tête, pendant le conflit lui-même. Ainsi, dans ses « quatorze points » de janvier 1918, le président des États-Unis Woodrow Wilson énonce-t-il des propositions pour la paix future, reposant sur une diplomatie lisible, des accords commerciaux équilibrés et une réduction raisonnée des armements. Les traumatismes laissés par la Première Guerre mondiale, le « plus jamais ça » des 5 au refus absolu de toute guerre (objection de conscience, antimilitarisme) ; d’autres dénoncent la guerre comme recours irrationnel et inhumain sans exclure qu’elle soit parfois nécessaire ou inévitable. Après l’hécatombe de la Deuxième Guerre mondiale, un consensus s’établit pour penser que la paix est irréalisable sans la volonté des peuples de vivre ensemble. Il débouche sur la construction européenne et la définition de principes et de valeurs partagés universellement (Déclaration universelle des droits de l’homme, 1948). En 1914 se manifeste un pacifisme ouvrier et international qui se poursuit pendant la Première Guerre mondiale et s’exprime surtout à partir de 1917 dans le contexte des révolutions en Russie et de la lassitude des combats. Son symbole reste Jean Jaurès : ces pacifistes sont très souvent des socialistes ou des syndicalistes révolutionnaires qui prônent l’internationalisme. Leur message – de même que celui du pape Benoît XV en 1917 – rencontre un faible écho auprès de populations engagées dans l’effort de guerre. Pourtant après 1918, le pacifisme devient très populaire en Europe, où l’idée de la « guerre à la guerre » est défendue par les anciens combattants. Les pacifistes veulent inscrire la paix dans le droit en s’appuyant sur les règles et les principes énoncés par Wilson en 1917 qui ont conduit à la création de la Société des Nations. L’idée d’une sécurité collective qui laisse espérer une paix librement consentie entre anciens belligérants se développe, grâce aux efforts conjoints de l’Allemand Gustav Stresemann et du Français Aristide Briand. Les deux hommes soutiennent devant la SDN un projet d’États-Unis d’Europe (5 et 9 septembre 1929), un mémorandum sur l’union fédérale européenne étant même élaboré en 1930. L’union économique et le rapprochement des peuples y sont envisagés comme indispensables au maintien de la paix en Europe. L’analyse de quelques passages de ce texte peut être l’occasion de présenter les prémices de l’idée européenne. Les modes de diffusion de l’idée de paix sont aussi pédagogiques et culturels : commémorations, monuments aux morts, oeuvres d’art, dans les pays vainqueurs et dans les pays vaincus ; le message pacifiste y est explicite ou implicite (il y a par exemple très peu de monuments aux morts ouvertement pacifistes en France). Le pacifisme est le fait d’acteurs multiples : États, gouvernements, associations, individus. Il est confronté, dans les années 1930, à la montée des tensions internationales (Espagne, Allemagne). Ce contexte divise les pacifistes entre ceux qui veulent éviter la guerre à tout prix (Munichois) et ceux qui s’engagent contre les régimes totalitaires. La Seconde Guerre mondiale s’accompagne d’un ralliement quasi général à la guerre. Menée contre les régimes totalitaires, elle est juste pour les citoyens des démocraties. Assumée comme une croisade pour la liberté et l’indépendance nationale, elle est résistance. Les pacifistes sont alors parfois ceux qui s’engagent dans la collaboration (France, Belgique). La sortie de guerre engendre une nouvelle vision du pacifisme, complexe elle aussi : incitation des peuples à vivre ensemble par le partage de valeurs et d’intérêts communs (comme dans le cadre de la construction européenne), ambivalence de l’arme nucléaire à la fois dissuasive et destructrice, etc. L’analyse d’extraits du corpus de textes accompagnant la naissance de l’ONU permet aux élèves d’en comprendre les objectifs (paix, mais aussi développement économique, affirmation des principes démocratiques, libre détermination des peuples). » LE POIDS DU SOUVENIR, par Annette Becker La mémoire des conflits naît dès le début des hostilités, se développe dans les drames vécus et se prolonge après les guerres dans le présent de ceux qui se remémorent. Sigmund Freud a évoqué dès 1915, dans Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort, la conséquence à la fois première et ultime du conflit : la mort. Les hommes d’avant 1914 avaient voulu l’oublier, « l’éliminer de la vie ». La guerre la ramenait à l’échelle industrielle et c’était insupportable. D’où la sagesse de Freud qui proposait de réincorporer la mort à la vie : « Supporter la vie reste bien le premier devoir de tous les vivants. [...] Rappelons-nous le vieil adage : Si vis pacem, para bellum. Si tu veux maintenir la paix, arme-toi pour la guerre. Il serait d’actualité de le modifier : Si vis vitam, para mortem. Si tu veux supporter la vie, organise-toi pour la mort. » Diversité des victimes Personne, en 1914, n’est prêt pour l’hécatombe. Or, en 1918, on compte près de anciens combattants, entraînent la recherche de la paix par tous les moyens. C’est, par exemple, la paix réglementée par le droit : le pacte de la Société des Nations (SDN), en 1919, interdit la guerre d’agression mais non la guerre elle-même. En revanche, en 1929, le pacte Briand-Kellogg propose aux États de renoncer à la guerre. Ce peut aussi être la recherche de la paix par le désarmement. L’historien Antoine Prost (Les Anciens combattants 1914-1940, collection Archives, Gallimard, Julliard, 1977) montre qu’est vive chez les anciens combattants l’aspiration à vivre en paix et qu’ils expriment leur haine de la guerre. Il évoque le « pacifisme combattant » contre le patriotisme « cocardier », mais un pacifisme qui s’accompagne aussi d’antiparlementarisme. Selon Prost, cette attitude des anciens combattants français est un obstacle au fascisme car il organise les classes moyennes dans la légalité républicaine. Les mouvements pacifistes s’expriment par voie d’affiches, par des manifestations, par les leçons des instituteurs… Les associations d’anciens combattants entretiennent la haine de la guerre dans des défilés spectaculaires. Les mouvements populaires se mobilisent pour la paix. Mais les conditions posées par le traité de Versailles ont exacerbé les nationalismes en Allemagne et en Italie. En 1938 à Munich, la crainte d’une nouvelle guerre conduit les démocraties britannique et française à céder à Hitler. L’absence de coordination internationale, les enjeux économiques, politiques et territoriaux mènent une fois de plus à la guerre. Munich n’était qu’une illusion. Au lendemain du conflit, en 1945, les vainqueurs relancent la paix par le droit. En 1945, ils créent l’ONU (Organisation des Nations Unies), destinée à garantir la paix et la sécurité ainsi qu’à réguler la sécurité internationale. – Pacifisme motivé par le sentiment de solidarité entre les classes ouvrières des différents pays, dans le cas de la gauche internationaliste, par l’idéal chrétien ou humaniste. Il s’exprime à la fois par des prises de position individuelles et par des initiatives collectives : manifestations, tracts, pétitions et, après la Première Guerre mondiale, associations d’anciens combattants, monuments aux morts, oeuvres d’art. – Dans l’entre-deux-guerres, le mouvement pacifiste, principalement porté par les anciens combattants, se développe et se structure dans toute l’Europe. La SDN et le rapprochement franco-allemand permettent de faire émerger l’espoir d’une paix durable. Face au bellicisme de l’Italie et de l’Allemagne, une majorité des européens demeure favorable à la paix. Les dirigeants 6 dix millions de morts, et l’on peut prolonger les intuitions de Freud : « Si tu veux la vie, commémore les morts. » En 1945, le nombre des morts est bien plus extraordinaire, au moins cinquante millions, et, surtout, ce sont des morts différents. Dans le premier conflit mondial, on ne comptabilise pratiquement que des morts militaires, des hommes qui ont porté un uniforme, même si des civils ont également disparu pendant la guerre, victimes d’atrocités, (1,2 million d’Arméniens de l’Empire ottoman). La Seconde Guerre mondiale a inversé les cruelles statistiques : plus de civils que de combattants sont morts, sous les bombardements, de faim et surtout d’extermination, au point que, en 1943-1944, le juriste Raphaël Lemkin a inventé le concept de génocide pour nommer l’innommable, l’extermination des Juifs d’Europe. Adapté de manière rétrospective, à partir des années 1980, au massacre des Arméniens, le mot génocide est devenu, d’une certaine façon, un lieu de la mémoire terrible du XXe siècle, symbole des hypermnésies et des amnésies qui se sont succédé, parfois pour le même phénomène. Il est difficile aujourd’hui, quand on connaît l’importance de la mémoire du génocide des Juifs dans le monde contemporain, de rappeler que, dans les années 1950 et 1960, les victimes directes et les descendants de ceux qui avaient vécu l’extermination ont largement gardé le silence, en dehors d’une vaine tentative de témoignage en 1945-1947. Les difficultés que Primo Levi a rencontrées pour publier Si c’est un homme à son retour du camp d’Auschwitz sont symptomatiques de ce processus. Seuls quelques exemplaires en italien ont alors été diffusés. En revanche, depuis la fin des années 1980, le livre traduit dans des dizaines de langues a été lu par des millions de lecteurs. La mémoire de la Grande Guerre ne s’est pas arrêtée en 1939, à la déclaration de la guerre suivante, mais au contraire s’est poursuivie dans et par-delà le second conflit mondial. Celle de la Seconde Guerre, de même, se nourrit de son avant, les années 1914-1939, de son vécu de 1939-1945 et des guerres de décolonisation qui lui ont succédé. D’où des ensembles de souvenirs et de mémoires compliqués dans le temps et l’espace. D’où, également, de nombreuses interrogations. Qui se souvient ? Où se souvient-on ? De quoi se souvient-on ? Peut-on se souvenir de ce qu’on n’a pas connu, de ce qu’on ne connaît pas ? Quel est le poids du souvenir sur les individus, sur les groupes auxquels ils appartiennent ? Quel allerretour se fait entre les mémoires officielles, célébrées par les États, et les mémoires plus diverses des groupes ? Quels choix de mémoire sont effectués, consciemment ou inconsciemment ? Le trauma dû à la perte et aux divers chocs reçus est parfois revécu par certains individus sous forme de cauchemars ou de troubles graves de la vie toujours recommencés ; chez d’autres, l’amnésie l’emporte. On éprouve alors des difficultés immenses à se rappeler ce que justement on ne veut pas oublier. Les historiens de la mémoire sont également amenés à prendre en compte les progrès de la connaissance du cerveau par les neurobiologistes. La Première Guerre mondiale, laboratoire ou matrice du siècle Dans ce domaine comme dans bien d’autres, cette guerre permet de répondre à une partie des interrogations sur le souvenir. Les représentations de la mort entre 1914 et les années 1920, les pratiques funéraires, l’accompagnement de la mort, le travail de deuil s’inscrivent au cœur d’une réflexion sur le legs tragique de la guerre aux sociétés belligérantes. Dès 1915, on votait en France une loi instituant la notion de « mort pour la France », qui stipulait : « Il semble juste que l’état civil enregistre à l’honneur du nom de celui qui a donné sa vie pour le Pays un titre clair et impérissable à la gratitude et au respect de tous les Français ». Dans la guerre juste par excellence, la guerre du droit et de la civilisation, la loi fonde la mémoire juste, celle du « droit au souvenir », selon Serge Barcellini. Si les morts au combat sont désormais identifiables, que dire de ceux qui les pleurent ou de ceux qui sont morts de faim, de chagrin, des suites de l’invasion ou de l’occupation de leur région, de façon moins héroïque mais non moins tragique ? En 1918, Marcel Proust se rappelait les cathédrales de la Picardie visitées avant guerre : « Je pleure et j’admire plus les soldats que les églises qui ne furent que la fixation d’un geste héroïque, aujourd’hui à chaque instant recommencé. » Il n’est pas étonnant que Proust ait si bien exprimé ce qui était le lot de l’immense majorité des habitants de la France et, au-delà, de l’Europe et du reste du monde. Après la guerre, on pourrait reconstruire les cathédrales ; mais des morts, que resterait-il sinon cette injonction duelle infiniment rappelée : ne pas oublier, ne jamais plus permettre une telle catastrophe ? Freud décrit bien le « total effondrement quand la mort a frappé un de nos britannique et français doivent prendre en compte le poids du pacifisme au sein de leur opinion publique, dans un contexte de reprise des tensions internationales. – En 1914, le pacifisme est balayé par le réflexe patriotique qui rassemble les populations derrière des gouvernements d’Union sacrée, comme en France. Pendant le conflit, le désir de paix ressurgit au fur et à mesure que la guerre s’éternise. Mais c’est après la guerre que le pacifisme, profondément ancré au sein des populations européennes, aboutit à des réalisations concrètes en faveur de la paix et du désarmement. L’importance de ce courant ne parvient cependant pas à empêcher la montée des totalitarismes et le déclenchement d’un second conflit mondial. 7 proches, parent ou époux, frère ou sœur […]. Nous enterrons avec lui nos espoirs, nos exigences, nos jouissances, nous ne nous laissons pas consoler, et nous nous refusons à remplacer celui que nous avons perdu. » En 1918, cette notation concerne l’essentiel des survivants du conflit, anciens du front comme hommes, femmes et enfants de l’arrière. Les œuvres de Marcel Proust, de Sigmund Freud et du sociologue Maurice Halbwachs, ces maîtres du deuil, du travail de deuil et du travail de la mémoire, paraissent de bons guides dans les méandres des essais de transfiguration privés et publics de la mort de masse. Parce qu’ils ont été écrits pendant la guerre ou dans les années qui la suivent et la prolongent, ces textes offrent un cadre intellectuel contemporain à la réflexion. Halbwachs s’interroge sur les conditions sociales qui permettent de produire des souvenirs. Pour lui, toute mémoire individuelle cristallise dans un cadre social, et les événements publics laissent une très grande empreinte sur leurs contemporains, en particulier ceux qui sont jeunes, en train de forger leur identité d’adultes. On comprend tout de suite quelles implications tirer et pour les anciens combattants, majoritairement jeunes en 1918, et pour leurs enfants, nés pendant et surtout juste après la guerre et élevés dans son souvenir héroïque et/ou tragique. Halbwachs insiste sur le fait que les mémoires sont individuelles et privées et qu’à la fois, on peut, contrairement aux rêves, les partager et les définir collectivement. Mais il sait aussi que la mémoire des individus conserve des traces uniques qui, selon les cas, se mêlent à des souvenirs communs et collectifs. À moins qu’ils y résistent. Car travail de deuil et travail de mémoire doivent, pour être bien compris, être insérés en ces deux niveaux explicatifs et ne jamais être disjoints d’une réflexion sur leurs pendants inverses : oubli, refoulement. La mémoire et l’oubli sont donc des choix subtils et complexes, qu’ils soient individuels ou collectifs ; chacun s’articule dans une continuité du passé ainsi que dans une sélection de ce dernier, leur interaction construisant une nouvelle continuité. C’est dans ces tensions multiples qu’ont été vécues les années 1920 et 1930. Car, devant la catastrophe qu’a été la Première Guerre mondiale, comment continuer à croire, à être, sinon dans le souvenir de ceux qui ont payé de leur vie ce qu’ils croyaient – pour l’immense majorité d’entre eux – être le juste combat ? L’espace et le temps scandent la remémoration C’est juste après la guerre que se met en place l’essentiel des formes de commémoration, depuis les monuments aux morts jusqu’aux cérémonies diverses du souvenir, soit sur les anciens champs de bataille, soit dans les nations et régions d’origine des combattants. Beaucoup d’entre eux (Britanniques, et plus encore peuples des Dominions, troupes coloniales, Américains, mais aussi Allemands) se sont battus et sont morts loin de leur sol. Vainqueurs et vaincus partagent ainsi une même dualité : les lieux de mémoire sont à la fois érigés sur le lieu des combats et de la mort, et aussi sur leur territoire, ce lieu d’appartenance collective et individuelle, nationale et locale, publique et privée, laïque et religieuse. Des portions du sol français, belge, turc, serbe, etc., ayant avalé les combattants de toutes origines, sont « nationalisées », désormais réservées à la remémoration. À l’inverse, ce culte a fait pénétrer la Grande Guerre sur des territoires épargnés, comme ceux de l’Australie, du Canada, des Antilles ou des États-Unis. Ainsi, par les commémorations, le front a été transporté à l’arrière. La chronologie, quant à elle, nous interroge : comment est-on passé du consentement à la guerre au consentement à la mémoire ? En effet, le temps des commémorations est précisément celui pendant lequel, le conflit terminé, le consensus, qui s’était effrité depuis 1916 et surtout 1917 puis reformé dans la remobilisation de 1918, se brise définitivement. On en vient à réexprimer l’union sacrée dans la mémoire au moment précis où l’on commence à prendre la mesure du tragique bilan humain. Le temps du souvenir montre une grande tension entre l’identité à la guerre et l’identité dans le deuil. Pendant la guerre, des cercles de souffrances entouraient les individus, les familles, les groupes divers. Désormais, ce sont des cercles de deuil et de commémoration, ensembles de souffrances d’après guerre, qui vont elles aussi des individus aux États. Les pratiques de mémoire locales sont un élément fondamental, souvent fondateur, de la chaîne qui relie capitales et provinces, champs de bataille et arrières. Ils représentent la mort et le deuil fichés dans tous les espaces, publics et privés, des anciens belligérants. Pour la génération perdue, les différentes collectivités, locales, régionales, nationales, ont créé un ensemble parfaitement tragique : unité de temps, le 11 novembre ; unité de lieu, le monument aux morts ; unité d’action, la cérémonie commémorative. À la onzième heure du onzième jour du onzième mois de la 8 cinquième année de guerre, les armes se sont tues, laissant le champ aux larmes. Selon les pays, ce 11 novembre devint ou non jour férié (en 1922 en France) ; parfois d’autres dates commémoratives furent choisies, non sans polémiques. Partout, le 11 novembre devint cependant jour de recueillement. Les deux minutes de silence absolu où tout se fige dans le Royaume-Uni, depuis les chaînes des entreprises jusqu’aux autobus dans les rues, en sont l’expression la plus spectaculaire. Dans la plupart des pays se manifeste alors probablement l’une des rares expressions abouties de « religion civile ». Comme pendant la guerre elle-même, on doit faire la distinction entre le religieux et le sacré. C’est ce que disent les vers de Victor Hugo (composés après la révolution de 1830) si souvent gravés sur les monuments français : « Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie/Ont droit qu’à leur tombeau la foule vienne et prie. » Banalisation de la guerre ? Les cimetières militaires, comme les monuments aux morts, les cartes postales, les jouets, les objets les plus triviaux ou le cinéma, sont aussi au cœur de la banalisation de la mémoire de la mort de masse et participent de la déréalisation du drame de la guerre, en disant d’abord la glorification du combat de l’homme viril qui fait le sacrifice christique de sa personne pour la vie et la résurrection de sa patrie. Toutes ces représentations aseptisent la mort insupportable, la banalisent : les héros deviennent parfois au moins autant objets de commerce que de pèlerinage. Les conditions du combat, en multipliant les soldats inconnus, avaient imposé de transformer les lieux d’affrontement en cimetières à la dimension du conflit. Dans les ossuaires, on regroupa les corps non identifiables (voir p. 14 -17). Les cimetières militaires et les ossuaires, devenus lieux de pèlerinage, sont un des lieux de fixation intense de la mémoire de la Grande Guerre, qui se prolonge jusqu’à aujourd’hui. Pensons aux polémiques qui ont entouré le projet de création d’un troisième aéroport en Picardie : les cimetières sont vus comme un patrimoine des régions qui les abritent, gardiennes de la mémoire du conflit après en avoir été les champs de bataille. Ce qui reste en 1919 des unions sacrées, c’est cet immense souffle de ferveur né en 1914, vécu dans l’intensité et le désarroi mêlés à travers les années de guerre, et que les commémorations nationales réactivent partout dans le respect du sacrifice et, souvent, dans le sentiment de l’horreur de son inutilité. Au-delà des cérémonies et des défilés militaires, les différents soldats inconnus inhumés chez tous les anciens belligérants ont cristallisé les valeurs de sacrifice et de malheur liées à la guerre. Et, par un retournement qui a probablement séduit les détracteurs des commémorations officielles, les tombes sont devenues aussi de hauts lieux de l’expression du pacifisme. Démobilisations culturelles Si les commémorations donnèrent une place gigantesque aux combattants, pour lesquels on peut même parler d’hypermnésie, en revanche d’autres catégories touchées autrement par la guerre furent exclues de sa mémoire, ou au moins marginalisées. La mémoire, centrée sur une expérience exclusive – celle des combattants des tranchées – tendait à rejeter dans l’oubli les douleurs exceptionnelles et minoritaires, qu’elles fussent de sexe (les femmes), d’âge (les personnes âgées et les enfants), de statut (les prisonniers) ou bien encore géographiques (les occupés). Ainsi les civils occupés des territoires du nord et de l’est de la France et, à plus forte raison, les déportés civils et les prisonniers de guerre furent-ils oubliés. Souvent ils le désirèrent eux-mêmes, par culpabilité : parce que, pendant le conflit, ils s’étaient trouvés placés en quelque sorte en dehors du territoire national, géographiquement et symboliquement. Car comment commémorer des victimes qui ne sont pas des héros ? Peut-on parler de « l’incommémorable » qui s’appelle la faim, le froid, le travail forcé, le viol, les otages, les réquisitions ? Alors on s’est surtout ingénié à maquiller la mémoire pour rendre supportables les différences d’avec le reste du pays. En Alsace, les soldats sur les monuments sont souvent représentés nus : comment reconnaître un Allemand d’un Français, sans l’uniforme ? Ainsi, la Pietà de Strasbourg tient les corps de ses deux fils sans vie sur ses genoux ; l’inscription « À nos morts » omet la formule « pour la patrie ». De quelle patrie s’agirait-il, en effet, après plus de quarante ans d’une occupation qui s’était peu à peu muée en accommodement plus tacite que forcé pour la majorité des Alsaciens-Mosellans ? Les mémoires du conflit sont ainsi symptomatiques de la démobilisation culturelle et de son impossibilité ; elles présentent des différences et des 9 ressemblances entre les vainqueurs et les vaincus. Dans le cas allemand, l’extériorité de la défaite – la population allemande n’a pas senti physiquement la présence ennemie sur son sol avant l’arrêt des combats – constitue le socle du refus de toute intériorisation de la catastrophe militaire. Aussi les soldats sont-ils accueillis en vainqueurs par la population civile comme par les autorités (par Ebert à Berlin). Au passage des régiments, c’est la fête et non l’abattement qui l’emporte. Dès lors, la défaite est non seulement incompréhensible, non seulement refusée, non seulement attribuée à la trahison (le mythe du « coup de poignard dans le dos ») mais parfois, tout simplement, occultée. Ainsi, dans certains manuels scolaires de la république de Weimar, les chapitres sur la Grande Guerre s’arrêtent sur le succès des ultimes offensives allemandes du printemps 1918. Ce déni de la défaite s’est traduit aussi par le sentiment que la guerre n’avait pas cessé avec l’armistice : « La guerre contre le peuple allemand continue. La Première Guerre mondiale ne fut que son sanglant début », déclare un officier en 1918. Cette guerre continuée explique la cruauté des corps francs dans la répression du spartakisme, en 1919, et aussi le terrorisme d’extrême droite sous la république de Weimar. De nombreux vétérans non seulement continuent la guerre, mais transfèrent sur le front intérieur la brutalité spécifique des pratiques du front. C’est ce que George Mosse appelle la « brutalisation », cette réfraction de la violence de la guerre dans l’espace du politique de l’après-guerre : une mémoire des temps extraordinaires de dureté et de souffrance qui se prolonge longuement. Un refus postérieur Pour les pacifistes, la radicalisation est inverse. Entre 1925 et 1930, alors que la couverture monumentale est déjà presque achevée, on prend conscience que la parenthèse de la Grande Guerre ne sera jamais refermée. Un certain nombre d’écrivains, de témoins, d’analystes, d’artistes (George Grosz, Otto Dix, Georges Rouault) se livrent alors à un retour sur la guerre. Ces productions artistiques et littéraires sont si riches, elles ont tellement marqué les contemporains d’alors et jusqu’à aujourd’hui qu’on les prend quelquefois pour des témoignages du temps de la guerre alors qu’elles furent rédigées et/ou dessinées bien après. Elles marquent un tournant dans la mémoire du conflit : on peut désormais montrer la peur (E. M. Remarque, G. Chevallier), la lâcheté (Céline), l’inutilité de la guerre, la mutilation volontaire, le suicide (Giono, Dix). De même les anciens combattants français ou anglais radicalisent bien souvent leur pacifisme de type politique au cours des années 1930. C’est un des grands paradoxes de la Grande Guerre : acceptée pendant les années 1914-1918, elle fut refusée après, dans la mémoire. L’agressivité à l’égard de la guerre est venue prendre exactement la place du consentement au conflit dans une impression de gâchis intense qui désormais domine la mémoire. Maurice Genevoix, officier exemplaire pendant le conflit, l’écrit dès 1923 : « On vous a tous tués, et c’est le plus grand des crimes. Vous avez donné votre vie, et vous êtes les plus malheureux. Je ne sais que cela, les gestes que nous avons faits, notre souffrance et notre gaieté, les mots que nous disions, les visages que nous avions parmi les autres visages, et votre mort. […] Il ne me reste plus que moi, et l’image de vous que vous m’avez donnée. Presque rien : trois sourires sur une toute petite photo, un vivant entre deux morts, la main posée sur leur épaule. Ils clignent des yeux, tous les trois à cause du soleil printanier. Mais, au soleil, sur la petite photo grise, que reste-t-il ? » (Ceux de Verdun, 1923). La sacralisation très forte des cérémonies commémoratives locales, autour des monuments aux morts, ou nationales, autour des soldats inconnus, ont eu partout un indéniable contenu spirituel. Chacun a pu trouver dans les différents éléments de la commémoration de quoi nourrir son travail de deuil personnel, à l’Arc de triomphe ou devant la tombe du cimetière militaire ou paroissial, en y empruntant une forme de sacré pour trouver la force de continuer après l’épreuve. Le rappel de la mort prend si bien le pas sur la commémoration de la victoire que des psychiatres parleraient peut-être d’une « monstration » du deuil au cours de ces années d’après-guerre. On peut cependant se demander si cela n’a pas eu pour fonction de cacher la douleur intime. Les commémorations infinies seraient-elles une façon d’éviter, de refouler dans l’inconscient le drame de la souffrance de la perte ? Tout simplement pour continuer à vivre ? De même, mouvements de combattants et de vétérans, pacifismes, pèlerinages vers les tombes ou tourisme de champ de bataille constituent autant d’aspects étroitement liés à la prégnance de la mort de masse. Il faut peser toute la souffrance du deuil pour arriver à comprendre, comme le fait Paul Ricœur 10 s’appuyant sur Halbwachs, « ce phénomène de la mémoire transgénérationnelle […]. C’est lui qui assure la transition entre l’histoire apprise et la mémoire vivante ». Tout en n’oubliant ni la concurrence des mémoires ni celle de l’oubli. La « mémoire vive » de la Seconde Guerre mondiale En 1945, amnésies et déformations de mémoire se sont très fortement emparées du champ des souvenirs, et cela chez tous les anciens belligérants. Par culpabilité : les Allemands de l’Ouest comprenant plus ou moins lentement leur passé de « bourreaux » nazis avant de se retrouver réunifiés à ceux de l’Est et de se redécouvrir aussi victimes des bombardements alliés. Par arrogance nationale : les Japonais se représentant uniquement en victimes des bombes atomiques et refoulant totalement leur guerre brutale et cruelle. Tous les cas de figures sont possibles. La France cumule un passé difficile, celui de la « guerre civile » entre collaborateurs et résistants, et une tradition républicaine où sont refusés les drames communautaristes : que faire de la spécificité de la déportation des Juifs vivant sur le territoire français ? Ce « passé qui ne passe pas » est devenu un topos de la réflexion sur la mémoire. La mémoire de la Seconde Guerre mondiale reste d’autant plus vive, au moins jusque dans les années 1990, que les acteurs sont toujours vivants, voire décideurs politiques de premier plan, du général de Gaulle à François Mitterrand. Si toute mort à la guerre, malgré ou à cause de ses aspects d’héroïsme, est génératrice d’un deuil interminable, comme on l’a vu pour la Grande Guerre, que dire alors de la guerre totale de 1939-1945, des bombardements qui touchent tous les civils indistinctement et de la guerre d’extermination contre les Juifs décidée et mise en œuvre par les nazis qui se sont assurés, en France, de la collaboration zélée de Vichy ? La France avait subi une défaite accablante en 1940, suivie de quatre ans d’occupation, avec toutes formes de collaborations et de résistances, de compromissions et d’accommodements. Des temps de mémoire, depuis 1945, ont scandé les souvenirs, les oublis. Henry Rousso a appelé justement « le syndrome de Vichy » ce que le régime de l’État français a laissé comme séquelles dans les mémoires. Dans les années 1945-1947, le deuil et l’unanimité nationale se font autour de l’héroïsme des résistants, pendant que disparaissent dans l’oubli, d’une part, les spécificités de la collaboration et, d’autre part, celles de la déportation. Des mémoires multiples Alors que les combattants du premier conflit mondial représentaient une unanimité nationale, en 1939-1945 différents groupes d’acteurs se font en quelque sorte concurrence. Même si les résistants, par leur héroïsme et leur patriotisme, peuvent jouer un rôle moral considérable, les divisions entre gaullistes et communistes compliquent les remémorations. Le discours d’André Malraux le 19 décembre 1964 lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon montre cependant le niveau d’émotion généré par la geste résistante, malgré le cadre particulièrement officiel : « Puissent les commémorations des deux guerres s’achever par la résurrection du peuple d’ombres que cet homme anima, qu’il symbolise, et qu’il fait entrer ici comme une humble garde solennelle autour de son corps de mort. […] Aujourd’hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n’avaient pas parlé ; ce jour-là, elle était le visage de la France. » Depuis la fin des années 1960, ce qui avait été enfoui, l’autre visage de la France en guerre, celle des compromissions et des complicités dans les crimes, revient à la conscience par le croisement de deux mémoires éveillées, réveillées. La génération de 1968, sensibilisée aux questions d’éthique et des droits de l’homme, va se poser des questions sur le crime contre l’humanité au moment où commence à s’effriter la mémoire unanimiste mise en place autour du général de Gaulle. Le film Le Chagrin et la Pitié (Marcel Ophuls) sort en 1971. Par ailleurs, après le procès Eichmann, qui a lieu en 1961 en Israël, puis la guerre des Six Jours, les Juifs du monde entier et ceux de France en particulier commencent à retrouver une conscience communautaire de la catastrophe spécifique qui les a frappés et qu’on appellera d’ailleurs, après la sortie du film de Claude Lanzman « Shoah », ou « catastrophe » en hébreu (voir Focus). Désormais le souvenir obsédant est celui de la recherche des responsables et des traces : camps d’internement en France, camps d’extermination en Pologne. Les procès des responsables deviennent des lieux d’expression de la parole des témoins et se resserrent de plus en plus autour de la France de Vichy : Klaus Barbie est un Allemand nazi, Paul Touvier un collaborateur direct de l’occupant, Maurice 11 Papon un haut fonctionnaire. Si certains peuvent s’inquiéter de la confusion des rôles entre les magistrats et les historiens, il est sûr que les procès des années 1980 et 1990 ont été un vecteur essentiel de retour sur la période de la guerre. Le 16 juillet 1995, en présidant la cérémonie commémorative du cinquante-troisième anniversaire de la rafle du Vél’d’hiv’, Jacques Chirac a prononcé un discours, reconnaissant que « la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable ». Et il ajoutait : « Ces valeurs, celles qui fondent nos démocraties, sont, ne l’oublions pas non plus, aujourd’hui bafouées en Europe même, en Bosnie notamment, sous nos yeux, par les adeptes de la “purification ethnique”. Sachons tirer les leçons de l’Histoire ! N’acceptons pas d’être les témoins passifs, ou les complices, de l’inacceptable ! » Ainsi le président de la République disait que le travail d’histoire était nécessaire pour répondre aux besoins de mémoire et de réparation. Un défi qui demeure encore bien difficile pour les sociétés contemporaines. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 12 HC – Pétain Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Guy Pedroncini, Pétain, 1856-1918 : le soldat et la gloire, Perrin, 1989 Guy Pedroncini, Pétain, novembre 1918-juin 1940 : la victoire perdue, Perrin, 1995 Marc Ferro, Pétain, Hachette Littérature, Poche, (1987) 1993 (sur Pétain à Vichy) Henri Amouroux, Pétain avant Vichy, éd. Fayard, 1967 Documentation Photographique et diapos : Revues : Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO actuel : « PEDRONCINI (Guy) — Pétain. Le soldat et la gloire. 1856-1918. Paris, Perrin, 1989. Sans l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand, le 28 juin 1914, Philippe Pétain, fils de cultivateur du Pas-de-Calais, aurait pris sa retraite en 1914, à cinquante-huit ans, comme colonel commandant un régiment d'Arras, et sa notoriété n'aurait pas franchi le cercle des brevetés de l'École de guerre, où l'on avait tout de même noté l'originalité novatrice de ses vues. La Grande Guerre révèle et impose, de Charleroi à Verdun, ce colonel qui a mis trente-quatre ans pour atteindre son grade et qui, en trente-quatre mois de combats, devient, en mai 1917, commandant en chef. Après le miracle de Joffre à la Marne, il y a le miracle de Pétain en 1917. Il trouve une armée épuisée, révoltée, menacée de surcroît par le retour des divisions allemandes du front oriental. Par une stratégie originale et globale, il surmonte la triple crise morale, tactique et stratégique et permet à l'armée française de tenir et de vaincre. 19401944 a conduit des auteurs à minimiser rétroactivement le rôle de Pétain en 19141918, à chercher dans les témoignages de ses pairs ou de ses supérieurs les traces du pessimisme et du défaitisme qu'on lui reprochera plus tard. Guy Pedroncini, grand historien des conflits contemporains, s'est attaché, comme nul ne l'avait fait, à étudier et à dépeindre minutieusement et sans à-priori le comportement, les idées et les décisions du général Pétain. Il montre par les archives que son rôle est tout à fait essentiel, non seulement à Verdun, mais dans la victoire finale. Et celle-ci aurait été plus décisive si l'offensive qu'il avait conçue et préparée pour acculer l'armée allemande à un nouveau Sedan avait pu être lancée le 14 novembre 1918. Selon Guy Pedroncini, il aurait mieux valu que les décideurs suprêmes fussent Poincaré, Pétain ou Joffre plutôt que Clemenceau et Foch, et l'on peut, après le général de Gaulle, regretter une victoire inachevée. Enfin, dans la perception de l'utilité des premiers avions et des premiers chars, comme dans leur emploi, Pétain est un pionnier. Le 8 décembre 1918, il reçoit le bâton de maréchal de France. Il « n'était pas moins grand soldat » que Foch, estimera Clemenceau. Certainement l'égal des plus grands, mais assurément le plus secret et le plus indépendant. Guy Pedroncini, Pétain, novembre 1918-juin 1940 : la victoire perdue, Perrin, 1995 Le 11 novembre 1918, l'armistice de la victoire est signé en dépit des protestations du général Pétain, qui voudrait poursuivre l'offensive. Le 25 juin 1940, l'armistice de la défaite est accepté par le Maréchal pour limiter les conséquences de la débâcle. Pourquoi la victoire de 1918 a-t-elle été perdue en moins de vingt-deux ans ? Pétain, commandant en chef jusqu'en 1931, inspecteur de la défense aérienne de 1931 à 1934, ministre de la Guerre en 1934, a-t-il une responsabilité dans l'affaiblissement de l'armée et dans la désastreuse conduite de 13 la guerre en 1939-1940 ? Non, estime Guy Pedroncini, qui traite ici de la période la moins étudiée de la vie du Maréchal. Il montre les efforts de Pétain pour conserver une armée forte après la victoire de 1918. Il cite ses interventions répétées en faveur des chars et de l'aviation : le Maréchal estimait que le sort de la prochaine guerre dépendrait de la puissance mécanique (en 1918-1919, il propose 7000 chars en arme autonome, en 1932 une force de frappe aérienne). Il souligne ses réserves quant à la ligne Maginot. Mais les avertissements du Maréchal à l'égard de la guerre future, ses diagnostics et ses pronostics se heurtent à des gouvernements éphémères englués dans les difficultés financières, politiques et industrielles. En dépit de son prestige, il n'eut pas les moyens d'imposer ses vues. Il les a exposées dans de nombreux discours, largement cités par Guy Pedroncini, qui témoignent d'une vision claire du présent et des menaces de l'avenir. Plus encore, il les a défendues dans le secret des délibérations du Conseil supérieur de la guerre, puis du Conseil permanent de la défense nationale. Occupant une place importante dans cet ouvrage, celles-ci pourront apparaître ardues au profane, mais intéressantes au passionné d'histoire militaire. Elles sont nécessaires pour connaître à la fois les positions du maréchal Pétain et celles des autres grands chefs. L'auteur évoque naturellement les succès de la guerre du Rif, que Pétain avait accepté de conduire en 1925-1926, son action comme ministre de la Guerre, la réussite de son ambassade en Espagne en 1939-1940 d'où il fut rappelé pour s'engager dans la gestion d'un désastre sans précédent à un âge - 84 ans - qui ne favorise pas une adaptation à des circonstances aussi tragiques. Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 14 HC – Les grandes phases de la Seconde guerre mondiale Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Bédarida François (dir.), La Politique nazie d’extermination, actes des 11-13 décembre 1987, journées d’études organisées par l’Institut d’histoire du temps présent, Albin Michel, 1989, 336 p. Hilberg Raul, La Destruction des Juifs d’Europe (2 tomes), Gallimard, 1992, coll. «Folio Histoire», 1098 p. Wieviorka Annette, Auschwitz, la mémoire d’un lieu, coll. « Pluriel », Hachette, 2005 (l’historienne retrace une histoire des camps d’Auschwitz et propose une réflexion sur les enjeux mémoriels et la visite du lieu par des élèves). Forges Jean François, Éduquer contre Auschwitz, Histoire et mémoire, Pocket, 2003 (l’auteur propose une réflexion sur la manière d’enseigner Auschwitz). Ressources « Auschwitz, le cauchemar sans fin », Dossiers et documents du Monde, n° 342, mai 2005. Ouverture pour les élèves Levi Primo, Si c’est un homme, Pocket, 1947 (récit autobiographique de l’expérience concentrationnaire de cet écrivain italien juif déporté à Auschwitz de février 1944 à janvier 1945). Wieviorka Annette, Auschwitz raconté à ma fille, Le Seuil, 1999. Des témoignages en ligne d’anciens déportés ou enfants de déportés sur le site de la chaîne TV5 Monde : www.tv5.org/TV5Site/auschwitz Site Web du musée d’Auschwitz-Birkenau (des cartes, des plans, une visite virtuelle du camp…) : www.auschwitz.org.pl/html/eng/start/index.html Documentation Photographique et diapos : Revues : « Auschwitz, la solution finale », Les Collections de l’Histoire, n° 3, octobre 1998 (articles sur les « mécanismes de l’extermination », les « spectateurs » et la « mémoire du génocide », incluant des images, des cartes et des plans). Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO 1ere : « La Seconde Guerre mondiale - Les grandes phases L’analyse des grandes phases, fondées sur des cartes, se limite à l’essentiel. Elle met en évidence l’extension géographique et le caractère global du conflit. » BO 3e actuel : « Les phases militaires de la guerre sont analysées à partir de cartes. Cartes : L’Europe en 1939. La France en 1940. L’Europe et le monde en 1942. L’Europe et le monde en 1945. » BO 3e futur : « LA SECONDE GUERRE MONDIALE, UNE GUERRE D’ANEANTISSEMENT (1939-1945) La guerre est un affrontement aux dimensions planétaires. L’observation de cartes permet de montrer l’extension du conflit et d’établir une brève chronologie mettant en évidence ses temps forts. C’est une guerre d’anéantissement aux enjeux idéologiques et nationaux. L’étude part d’un exemple au choix (la bataille de 15 Stalingrad ; la guerre du Pacifique) permettant d’étudier la mobilisation de toutes les forces matérielles et morales des peuples en guerre. C’est dans ce cadre que le génocide des Juifs et des Tziganes est perpétré en Europe. L’étude des différentes modalités de l’extermination s’appuie sur des exemples : l’action des Einsatzgruppen, un exemple de camp de la mort. Connaître et utiliser les repères suivants : - La Seconde Guerre mondiale : 1939-1945 - La libération des camps d’extermination : 1945 - Fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe : 8 mai 1945 - Bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki : août 1945 Caractériser les enjeux militaires et idéologiques de la guerre Décrire et expliquer le processus de l’extermination ». Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : III. Auschwitz Auschwitz est aujourd’hui le symbole de l’extermination des Juifs d’Europe et du système concentrationnaire nazi. Plus grand complexe construit durant la Seconde Guerre mondiale par le IIIe Reich, il se compose d’un camp de travail, d’un camp de concentration (depuis juin 1940) et d’un camp d’extermination où sont morts plus de un million de Juifs et de Ttsiganes venus de toute l’Europe. L’étude d’extraits de la conférence de Wannsee (20 janvier 1942) permet de montrer que cette conférence constitue un tournant dans la politique nazie à l’égard des juifs : la « solution finale » y est définie et son processus précisé. Il importe de mentionner les différents sens qui ont été donnés par les nazis au terme « solution finale » pour aboutir à celui de l’élimination organisée et systématique des Juifs d’Europe. Comme le rappelle Philippe Burin, la prise de décision a été progressive et cumulative tandis que le projet changeait d’échelle. De régional, le génocide devient européen. Dans les mois qui suivent, Himmler modifie ses plans concernant Auschwitz. Une chronologie simple permet de montrer dans quel contexte militaire s’inscrivent ses choix (manque de la maind’oeuvre soviétique espérée lié à l’échec de la guerre-éclair en Union soviétique alors que les besoins de l’industrie allemande sont énormes). Auschwitz se voit alors attribuer deux fonctions : l’assassinat des personnes considérées comme « inaptes » et la mise au travail jusqu’à l’exténuation mortelle des autres. Le complexe devient un instrument majeur de la politique d’extermination des Juifs d’Europe à partir du printemps 1942 avec la construction du plus grand centre de mise à mort (Auschwitz II-Birkenau). Il est l’instrument technique du génocide, « monstrueuse machine à avilir et à tuer » (J.-P. Azéma). À l’aide de cartes à l’échelle européenne, on peut mettre en évidence les raisons pour lesquelles le site d’Auschwitz a été choisi (bonne desserte ferroviaire au coeur d’un réseau européen de voies ferrées, présence de nombreuses communautés juives en Europe orientale, isolement). L’étude permet de revenir sur la définition du vocabulaire (camps de concentration, camps d’extermination [ou centres de mise à mort]). L’analyse des plans, de photographies aériennes montrent l’étendue du complexe des camps d’Auschwitz et doit s’accompagner d’une définition du vocabulaire (chambres à gaz, crématoires). À cette occasion, l’analyse de témoignages de survivants et de bourreaux permet de décrire l’organisation rationnelle de l’horreur et le fonctionnement de l’univers concentrationnaire. Le rôle d’Auschwitz dans le génocide doit aussi être mis en évidence par le rappel du nombre de victimes (nombre des déportés, nombre et origine des victimes). En 1947, le site d’Auschwitz-Birkenau devient un musée. Dépendant de l’État polonais, il est cependant un enjeu mémoriel pluriel (mémoire polonaise – qu’il Accompagnement 1ère : « Il s’agit d’étudier la deuxième guerre mondiale, de son déclenchement à l’arrêt des combats. Tout ne pouvant être traité avec la même précision, le programme a opéré des choix. La présentation des grandes phases de la guerre peut se faire à partir de cartes et d’une chronologie évoquant la conquête hitlérienne en Europe et la conquête japonaise en Asie, l’extension de 1941, le reflux de l’Axe et la victoire des Alliés après le tournant de 19421943 ; elle manifeste le caractère mondial du conflit. L’étude de la politique nazie d’extermination des Juifs et des Tziganes constitue un élément capital pour comprendre la nature du conflit et son importance dans l’histoire contemporaine. Elle passe par le rappel de la distinction qui, au sein de l’univers concentrationnaire, sépare camps de concentration et camps d’extermination et par l’analyse de ce qu’est un génocide. Tous ces domaines ont fait l’objet de nombreux travaux scientifiques ; ils exigent d’être présentés avec une rigueur excluant toute approximation. Ces approches permettent de mettre à jour le caractère de guerre totale du conflit, marqué par l’implication des populations civiles autant que des militaires, l’importance des facteurs idéologiques, économiques et psychologiques, les phénomènes de collaboration et de résistance, les déportations, les massacres programmés massifs (Pologne, URSS) et la politique d’extermination. » 16 faut prendre garde de délégitimer –, mémoire juive, mémoire communiste et résistante). Il devient également un lieu de mémoire, symbole de la politique génocidaire nazie et des souffrances vécues par les victimes. L’impératif de se souvenir, présent dès la libération des camps, y est adressé aux jeunes générations. » I. UN VASTE COMPLEXE CONCENTRATIONNAIRE Constitué de trois camps : un camp de concentration principal d’origine (Auschwitz I) ; le camp de Birkenau (Auschwitz II), presque entièrement consacré à l’extermination à partir de 1942 ; enfin, le camp de Monowitz (Auschwitz III) dont les détenus travaillent dans le complexe industriel proche (usines de la Buna, appartenant à la firme I-G Farben). II. ÉLIMINATION IMMÉDIATE ET MORT LENTE Près d’un million de Juifs, raflés et déportés depuis l’Europe occupée, sont exterminées à Auschwitz. A partir de 1942, les nazis y appliquent la « solution finale». Le camp se dote d’infrastructures vouées à l’extermination de masse (chambres à gaz et crématoires). La majorité des déportés sont gazés dès leur arrivée dans le camp. Les autres meurent à cause des privations, de la dureté du travail forcé, ou des violences qui leurs sont infligées. À peine un dixième des Juifs déportés à Auschwitz ont survécu. III. UN LIEU DE MÉMOIRE Auschwitz est un lieu de mémoires multiples. Pour les Juifs, bien entendu, qui représentent la grande majorité des victimes de ce complexe concentrationnaire nazi. Le camp devient à la fin du XXe siècle le lieu le plus représentatif de la Shoah. Mais c’est également un lieu de mémoire pour des populations non juives, qui y ont aussi trouvé la mort : Tsiganes, prisonniers de guerre soviétiques, Polonais, opposants politiques, etc. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 17 HC – Les Français dans la Seconde guerre mondiale Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Azéma Jean-Pierre, Bédarida François (dir.), La France des années noires (2 tomes), Le Seuil, 2000, coll. «Points Histoire», 580 p., 632 p. Burrin Philippe, La France à l’heure allemande, 1940-1944, Le Seuil, 1997, coll. «Points Histoire», 560 p. Laborie Pierre, L’Opinion française sous Vichy, les Français et la crise d’identité nationale, 1936-1944, Le Seuil, 2001, coll. «Points Histoire», 406 p. Peschanski Denis, La France des camps, l’internement, 1938-1946, Gallimard, 2002, coll. «La Suite des temps», 560 p. Rousso Henry, Les Années noires, vivre sous l’Occupation, Gallimard, 1992, coll. «Découvertes Histoire», 192 p. ALARY Éric, La Ligne de démarcation (1940-1944), Paris : Perrin, 2003. VEILLON Dominique, Vivre et survivre en France, 1939-1947, Paris : Payot, 1995. Documentation Photographique et diapos : Revues : Vivre en France sous l'Occupation, VEILLON Dominique, TDC, N° 852 du 15 au 31 mars 2003 La Résistance, Ces Français du refus, BRUNO LEROUX, TDC, N° 750, du 15 au 28 février 1998 Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Ecrire l’histoire du quotidien Il existe un très grand nombre de journaux intimes, de notes, de carnets de guerre qui constituent un gisement inestimable pour comprendre de l’intérieur ce quotidien de guerre (par exemple, le journal d’une institutrice qui a consigne ce qu’a été son existence dans le quartier de Montmartre de 1940 à 1945). Les rapports des préfets ou ceux de la gendarmerie, ainsi que les comptes rendus de nombreux fonctionnaires de services de ravitaillement permettent de suivre l’état d’esprit de la population. Le courrier saisi par la censure offre un autre éclairage. De même la presse nationale, qui renferme des indications ponctuelles (rations théoriques mensuelles), ou les magazines féminins, qui soulignent les difficultés des familles à travers les doléances des lectrices. Les caricatures nombreuses, les dessins publicitaires (chaussures à semelles de bois, voiture à gazogène) ou les photographies d’époque ne doivent pas non plus être négligés. Des figures mythiques, un héroïsme au quotidien, un chef hautement charismatique : la légende de la Résistance a longtemps été entretenue sans être soumise à un examen critique rigoureux. Or l’ouverture d’archives porte un regard nouveau sur sa réalité sociologique : qui sont ces hommes et ces femmes qui, à différents titres et dans des circonstances très diverses, ont décidé de « résister » ? Des pionniers de l’an 40 aux conquérants de la Libération, une page entière de l’histoire des Français est renouvelée depuis les années 1990. Les travaux des historiens portent un regard nouveau sur le phénomène de la Résistance en France et vont plus loin que les publications des décennies précédentes. Ils s’attachent en particulier à cerner les rapports entre la Résistance et les Français : comment, partis de rien, les clandestins recrutent-ils et parviennent-ils à former des organisations couvrant tout le territoire ? Quelles relations ces organisations entretiennent-elles avec la population ? Autant d’interrogations et de réponses qui dépassent l’opposition simpliste entre une Résistance ultra-minoritaire et une masse de Français « attentistes » : si la Résistance organisée n’a guère concerné plus d’un pour cent de la population (les FPI seront 500 000 à la Libération), elle n’a pu se développer en 1943-44 qu’avec le concours de communautés villageoises entières et l’appui tacite d’une large partie de la population. Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO 1ere : « La France dans la Seconde Guerre mondiale L’étude de la France, de l’armistice à la Libération, permet d’analyser le rôle du régime de Vichy, les différentes formes de collaboration, les composantes et l’action de la Résistance intérieure et de la France libre. » BO 1ère STG : « L’année 1940. Au-delà de l'armistice, le choix entre acceptation, collaboration et résistance met en jeu les valeurs qui fondent la démocratie. » BO 3e actuel : « Une place particulière est faite à l’histoire de la France : analyse du régime de Vichy, rôle de la France libre et de la Résistance. Documents : Discours du Maréchal Pétain du 17 juin 1940. Appel du Général de Gaulle du 18 juin. Extraits du statut des juifs (1940). Témoignages sur la déportation et le génocide. Témoignages sur la Résistance. » BO futur 3e : « EFFONDREMENT ET REFONDATION RÉPUBLICAINE (19401946) La défaite de 1940 entraîne le renversement de la IIIe République. Pétain et de Gaulle illustrent les deux attitudes devant la défaite militaire. On présente les conditions de l’armistice et on explique le renversement de la République. 18 Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Le régime de Vichy, autoritaire et antisémite s’engage dans la voie de la collaboration avec l’Allemagne nazie. La politique du régime de Vichy et sa collaboration avec l’Allemagne nazie sont présentées en s’appuyant sur quelques exemples de ses décisions et de ses actes. En liaison avec la France libre, la Résistance intérieure lutte contre l’occupant et porte les valeurs de la République. La Résistance est abordée à travers l’exemple d’un réseau, d’un mouvement ou d’un maquis. Une mise en perspective permet d’expliquer la place de la France libre, ses liens avec la Résistance intérieure et le rôle qu’elle a joué dans son unification. Connaître et utiliser le repère suivant - Appel du général de Gaulle : 18 juin 1940 - Régime de Vichy 1940-1944 - Fondation du Conseil National de la Résistance par J. Moulin : 1943 Raconter la défaite et expliquer ses conséquences, l’armistice et la fin de la IIIe République Décrire - Quelques aspects de la politique du régime de Vichy révélateurs de son idéologie - La vie d’un réseau, d’un mouvement ou d’un maquis en montrant les valeurs dont se réclament les hommes et les femmes de la Résistance. » Activités, consignes et productions des élèves : Accompagnement 1 STG : « L’année 1940 Dans un contexte de guerre où s’affrontent militairement démocraties et totalitarismes européens, l’année 1940 marque, pour la France, ébranlée par l’exode et la défaite, une étape cruciale dans la lutte entre deux modèles politiques et idéologiques dont les valeurs sont opposées. Le 16 juin 1940, le maréchal Pétain, le vainqueur de Verdun, est nommé Président du Conseil après la démission de Paul Reynaud. Il conclut un armistice avec les Allemands, qui occupent plus de la moitié de la France, et installe son gouvernement à Vichy. Le 10 juillet, le Parlement accorde les pleins pouvoirs à Pétain par 569 voix contre 80 et 19 abstentions. Pétain prend en charge la rédaction d’une nouvelle constitution, « Constitution de l’État français », qui met fin à la République et instaure, sous la devise « Travail, Famille, Patrie », un État autoritaire, négation des principes républicains, qui va conduire une politique réactionnaire, antisémite, marquée par une collaboration active avec l’Allemagne nazie. Le 18 juin, à Londres, le général de Gaulle lance, sur les ondes, un appel à la résistance contre l’Allemagne. Son message sera rediffusé le lendemain et le texte en sera publié par les journaux encore libres du Sud de la France. Une résistance s’organise peu à peu, enchevêtrement complexe de destinées, de réseaux et de motivations diverses mais qui est mobilisée autour des grandes valeurs qui fondent la démocratie. » Accompagnement 1ère : « L’étude de la France dans la deuxième guerre mondiale relève d’une exigence de rigueur, sans schématisme. Le pays est anéanti par sa défaite. Les Français, englués dans les difficultés de la vie matérielle quotidienne, tentent de s’accommoder de l’occupation ; mais cela n’empêche ni un rejet massif de l’occupant et de la collaboration, ni une désaffection croissante à l’égard du gouvernement de Vichy. Ce régime, négation des principes républicains, attaché aux apparences de sa souveraineté mais pris dans l’engrenage de la collaboration d’État et des surenchères collaborationnistes, se met volontairement au service des exactions de l’occupant. À ce choix, s’opposent la résistance intérieure, minoritaire et diverse, et le général de Gaulle, avec la France libre, qui, d’abord isolé, rallie une partie de l’empire et impose l’image d’une France de la Libération rassemblée autour de lui et figurant dans le camp des vainqueurs. » I. Résister : les Français du refus LE TEMPS DES PIONNIERS Au lendemain de la défaite de 1940, le refus de la soumission est le fait de pionniers. Tel est bien le terme qui caractérise cette poignée de résistants éparpillés sur tout le territoire, qui doit littéralement inventer ses organisations comme ses formes d’action. Aucun groupement existant (parti, syndicat, Église) ne met en effet ses structures au service de ceux qui « veulent faire quelque chose Les résistants : où et qui ? La Résistance se développe d’abord dans les villes, sur les côtes et le long des voies ferroviaires. La sensibilité du monde rural au thème vichyste du retour à la terre et à son cléricalisme n’explique pas le faible engagement des paysans dans les ère 19 » pour poursuivre la lutte. Les raisons en sont aujourd’hui bien connues. D’abord, Hitler choisit de ménager relativement la France, partiellement et bien moins durement occupée que la Pologne par exemple. Ensuite, Pétain met en œuvre un programme politique autoritaire quitte à pratiquer une collaboration d’État avec le vainqueur. Enfin, un contexte exceptionnel permet au même Maréchal d’anesthésier le patriotisme national au profit de ses objectifs. D’une soudaineté inimaginable, la défaite a généré le sentiment d’une faillite des élites républicaines, pleinement intériorisé par celles-ci. Le patriotisme du « vainqueur de Verdun » est, dans l’été 40, le seul repère collectif qui demeure, et semble le dernier rempart provisoire contre l’occupant. Dès lors, même si les Français se désintéressent dès 1941 de la Révolution nationale, la collaboration d’État est encore interprétée comme un double jeu du Maréchal. Dans ces premiers temps, refuser d’accepter la défaite est donc une décision individuelle. D’autant plus difficile qu’elle amène obligatoirement à désobéir au gouvernement légal, attitude contraire à toute la tradition civique forgée par l’école républicaine. La lutte clandestine du Parti communiste français est, comme on sait, dirigée quasi exclusivement contre Vichy jusqu’à la rupture du pacte germano-soviétique en juin 1941. Seuls certains services de l’armée d’armistice mènent une action collective contre l’occupant, mais elle est en contradiction avec d’autres bureaux qui, eux, arrêtent les agents anglais et ceux qui les aident. La révolte des « pionniers » les isole donc du reste des Français, sans que leur faible nombre leur permette de se regrouper avant longtemps. C’est doublement vrai pour Charles de Gaulle, qui a choisi l’exil londonien. Certes, il est le seul à opposer une alternative au pouvoir légal, au nom d’une vision de la guerre mondiale à venir. Mais, toutes proportions gardées, la France libre peine autant à se développer à l’extérieur que la Résistance en métropole : elle ne rallie qu’une petite partie de l’Empire et quelques dizaines de milliers de volontaires. Dans l’Hexagone, l’audience précoce des émissions de la BBC et l’implantation de « réseaux » de renseignements précieux pour les Anglais sont des succès indéniables. Cependant la France libre ne peut y envoyer que quelques agents et se voit privée de tout contact avec les groupes métropolitains avant l’automne 1941. À l’aveuglette, elle tente de mobiliser l’opinion, avec des résultats inégaux : à la réussite de la campagne des V succède l’échec du « garde-à-vous » national de cinq minutes en octobre 1941, en hommage aux premiers otages fusillés. ROMPRE L’ISOLEMENT Comme pour la France libre, le choix des actions à entreprendre est crucial en métropole. Encore faut-il déjà rencontrer quelques compatriotes partageant le même état d’esprit : combien en sont réduits, pour longtemps, à des réactions individuelles, par nature limitées : lacération d’affiches, diffusion hasardeuse de tracts... ? Les premiers rebelles organisés sont souvent des individus au passé militant : catholiques de gauche, syndicalistes, socialistes. Mais les relations antérieures ne suffisent pas à élargir les « cercles ». Leur développement tient surtout à leur capacité à mener des actions jugées « rentables » pour eux-mêmes. Ce n’est pas un hasard si les premières chaînes de solidarité se constituent dans le Nord et l’Est pour faire passer en zone libre les prisonniers de guerre en transit vers l’Allemagne. De même le contact avec « Londres » reste le souci primordial de bien des résistants : les petits groupes qui collectent des renseignements, formés de militaires ou de cadres civils, mentent souvent à leurs recrues en leur assurant qu’ils l’ont déjà. Si certains cercles arrivent à se raccrocher à un réseau français libre ou anglais, la plupart, isolés, tâtonnent, essaient de diversifier leurs actions. La plupart de ceux qui se développent de façon autonome, et qui deviendront les « mouvements », expérimentent le puissant pouvoir de recrutement d’un journal clandestin : tout un chacun peut devenir diffuseur, la prise de risque est perçue comme modérée et, en recréant des collectivités soudées par le simple souci du patriotisme, le journal attire les « sympathisants ». A contrario, en zone occupée, le choix de la lutte armée par le Parti communiste à l’été 1941 paraît irréaliste et l’isole pour longtemps. L’ÉMERGENCE DES GRANDS « MOUVEMENTS » Fin 1941, trois groupes ont réussi en zone Sud, où les risques sont moindres, à faire paraître régulièrement un journal à plusieurs milliers d’exemplaires sur plusieurs régions : Combat, Libération-Sud et Franc-Tireur. Leur réussite va faire prendre un tournant à la Résistance, du fait de phénomènes dont il faut bien saisir mouvements et réseaux. Les formes d’action menées par les premiers résistants sont plutôt à prendre en compte pour comprendre le caractère urbain de la lutte : le renseignement (les troupes allemandes sont concentrées en ville), la propagande (plus facile à fabriquer et à diffuser anonymement en milieu urbain), les filières d’évasion. Les premiers organisateurs sont généralement issus des classes supérieures : journalistes, universitaires, militaires de la haute ou moyenne bourgeoisie. Mais ils recrutent dans les classes moyennes, toujours selon une logique fonctionnelle : les professions permettant de fréquents déplacements (commerçants, artisans, employés des postes et des chemins de fer) sont particulièrement sollicitées. En 1943, en raison du refus du STO, la Résistance s’étend sur tout le territoire. Le monde rural s’engage surtout à la frange de la Résistance organisée. Il aide occasionnellement les maquis, selon une forme d’action qui convient aussi le mieux à la culture paysanne : l’entraide individuelle. C’est aussi à cette date que le monde ouvrier entre massivement en résistance. Visé par les réquisitions de main-d’œuvre, il est sollicité par les mouvements pour des actions qui appartiennent à sa culture politique (manifestations, grèves) ou qui emploient ses capacités professionnelles (sabotage dans les usines), et adopte plus volontiers l’action violente, plus proche de son horizon culturel. Si toutes les catégories sociales ont été représentées dans la Résistance, elles ne l’ont donc pas été toutes en même temps. Le brassage social aussi a été relatif, chaque mouvement ayant une certaine homogénéité sociale : l’engagement massif des ouvriers, en particulier, est lié au Front national, d’obédience communiste. Les « dissidents » de la France libre Parmi les 50 000 FFL (Forces françaises libres), la moitié se sont évadés de métropole par les côtes ou les Pyrénées, d’où parmi eux une prédominance de Bretons et de gens du Sud-Ouest. Les passages les plus nombreux ont eu lieu durant les périodes où se rodait le dispositif allemand, au second semestre 1940, et dans les mois suivant l’invasion de la zone Sud. Les FFL sont souvent jeunes et célibataires : les trois quarts ont moins de trente ans, plus d’un quart sont lycéens ou étudiants. Passer à la « dissidence » est en effet plus problématique pour ceux qui sont en charge d’une famille, et doivent de surcroît les exposer à d’éventuelles représailles. Les plus âgés, et la plupart des officiers, ont rallié avec leur unité l’Angleterre ou l’Empire. Au début, comme en métropole, la plupart des volontaires rejettent les élites républicaines jugées responsables de la 20 la chronologie : les contacts établis avec la France libre, le durcissement de la collaboration pratiquée par l’État français, le réveil de l’esprit républicain. L’arrivée d’une manne financière, grâce à deux envoyés de la France libre, Morandat puis Jean Moulin, offre aux mouvements un potentiel de tirage bien plus important, qui répond à une « demande » de l’opinion. En effet, la collaboration entre Vichy et l’occupant s’amplifie : Laval revient en avril, la Relève, qui prévoit l’échange de prisonniers de guerre contre des travailleurs, est annoncée en juin, suivie des premières réquisitions de main-d’œuvre pour l’Allemagne en automne ; les grandes rafles anti-juives sont opérées durant l’été. Une partie des Français est alors prête à manifester ouvertement son opposition au régime. Pour preuve, l’importance dans les grandes villes de la zone Sud des manifestations du 1er mai et surtout du 14 juillet organisées par la Résistance en liaison avec la BBC. La presse des trois mouvements y a joué un rôle mobilisateur décisif. Le succès des mouvements, outre qu’il récompense les efforts d’organisation déployés l’année précédente, réside dans le contenu même de cette presse : c’est elle qui relie dans une explication cohérente la collaboration à une autre caractéristique du régime, vécue celle-là par tous les Français : l’anti-républicanisme. VICHY, DE GAULLE ET LA PREMIÈRE RÉSISTANCE La dénonciation de l’anti-républicanisme de Vichy était pourtant minoritaire chez les premiers résistants. Seuls les rebelles sensibles aux luttes antifascistes d’avant-guerre s’y ralliaient. La majorité, comme le reste des Français, était trop choquée par la faillite de la République pour prendre parti contre le nouveau régime. Les uns s’abstenaient de toute prise de position, ne souhaitant pas mêler la politique à leur lutte patriotique. D’autres approuvaient les valeurs réactionnaires de la Révolution nationale. Toutefois, une différence essentielle séparait ces derniers des « pétainistes » : ils ne croyaient pas à la réussite de ladite Révolution tant que la France serait occupée. Or, en 1942, ces « patriotes autoritaires » sont en train d’évoluer vers l’antivichysme, moins rapidement du reste en zone Nord qu’en zone Sud. En effet, pour ceux qui, au nord, sont déjà aux prises avec l’occupant, le problème de Vichy demeure secondaire. En outre, la répression allemande rend nécessaire un cloisonnement entre les groupes qui ne favorise pas les débats. Au contraire, au sud, dès le second semestre 1941, chaque nouvelle étape de la collaboration (création de la Légion des Volontaires français, répression des attentats communistes) pousse l’ensemble de la presse clandestine vers une critique radicale du régime. Au même moment, les rencontres à trois entre Libération-Sud d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie, Liberté de François de Menthon et le MLN de Henri Frenay (ces deux derniers fusionnant dans Combat) favorisent cette évolution. Quant au rapport avec le général de Gaulle, le problème est délicat. Jean Moulin met pas moins de neuf mois à obtenir des trois grands mouvements de zone Sud qu’ils coordonnent leur action sous l’égide de la France libre. Pour comprendre ce délai, il faut d’abord rappeler que les chefs de ces mouvements ont créé leur organisation sans aucune aide. De surcroît, dans les deux zones, très peu de groupes ont déjà proclamé leur ralliement à de Gaulle : les « patriotes autoritaires » désapprouvent ses attaques contre le Maréchal, tandis que les antifascistes se méfient d’un militaire qui se veut le détenteur d’un pouvoir civil. D’où l’importance des voyages de résistants à Londres : d’abord Pineau (LibérationNord) au printemps 1942, qui ramène la première « déclaration » politique de de Gaulle à la Résistance, puis d’Astier et Frenay à l’automne. Il faut des contacts d’homme à homme. L’autre facteur décisif est le changement d’esprit à la base. Grâce à l’écho donné par la BBC à l’action de la France libre, le « gaullisme » est né en 1941 en tant que signe de reconnaissance pour tous les Français partisans de la victoire anglaise. Ralliés, les mouvements doivent aussi être coordonnés. Une gageure, tant se révèle si peu homogène cette « micro-société » résistante, aux responsables inconnus les uns des autres, sans notoriété antérieure, sans autres canaux d’information sur leurs interlocuteurs que les rumeurs ou certaines de leurs feuilles clandestines. Ainsi Henri Frenay, malgré son évolution personnelle vers l’antivichysme, excite-t-il à tort les pires soupçons chez ses partenaires du fait de sa rencontre avec Pucheu, le ministre de l’Intérieur de Vichy, début 1942. Celuici lui demande de cesser ses attaques contre Pétain en échange de la libération de certains membres de Combat. Frenay a beau refuser tout accord, six mois vont lui être nécessaires pour dissiper les soupçons des autres mouvements. En fait, ce défaite. De Gaulle en est conscient, qui bannit pendant un an à la BBC la devise « Liberté, Égalité, Fraternité », au profit de « Honneur et Patrie ». Républicain lui-même, s’il condamne les atteintes de Vichy aux libertés, il n’en rejette pas moins le régime parlementaire d’avant-guerre. Mais sa doctrine institutionnelle mettra des années à prendre forme. Il se contente alors d’affirmer la continuité juridique entre la IIIe République et la France libre, et de promettre de rendre la parole à la Nation. À partir de l’automne 1941, constatant le rejet croissant de Vichy en métropole, il affirme publiquement son attachement aux principes démocratiques et esquisse même l’idée d’un nouveau régime économique et social garantissant la liberté, la dignité et la sécurité de tous, en partie en écho à la Charte de l’Atlantique adoptée par Roosevelt et Churchill. À la base, les FFL vont former une petite armée de plus en plus politisée : en mai-juin 1943, ils débaucheront 4 000 soldats de l’Armée d’Afrique, dirigée par des officiers pétainistes. La fusion avec celle-ci ne les empêchera pas de garder leur particularisme jusqu’à la fin de la guerre. La Résistance, une affaire de jeunes L’engagement des jeunes classes d’âge dans la Résistance organisée est remarquable : en Ille-et-Vilaine, par exemple, la moitié des résistants recensés ont moins de trente ans, alors que cette tranche d’âge représente un tiers de la population. En zone Nord, les lycéens et étudiants sont les premiers à réagir collectivement, en manifestant le 11 novembre 1940 à Paris, et à se livrer à des actes d’« incivilité » envers l’occupant : refus de céder le trottoir, huées lors des actualités allemandes au cinéma, etc. Mais leur engagement en masse est surtout lié à la réaction suscitée par le STO en 1943, qui vise les 21-23 ans, puis à la mobilisation générale vers les maquis après le 6 juin 1944. Les statistiques sur le poids des jeunes sont cependant à nuancer : les aînés qui ont charge de famille sont sans doute plus nombreux hors de la résistance organisée, dans la population sédentaire qui apporte une aide occasionnelle, non sans risque toutefois : ainsi des villageois ravitaillant les maquis. Les jeunes sont particulièrement nombreux dans l’action violente : réseaux de sabotage, guérilla urbaine et maquis. Elle correspond d’abord à leurs possibilités (plus que le « renseignement », par exemple, pratiqué plutôt par des hommes d’expérience) et à une moindre influence de ces traditions contraires à l’usage de la violence (christianisme, culture républicaine, internationalisme). Logiquement, les moins âgés sont surtout agents de liaison, tel Mathurin Henrio, le plus jeune compagnon 21 sont les actions menées en commun sur le terrain (manifestations de mai et juillet 1942, intense propagande contre la Relève) qui contribuent le mieux à la coordination. 1943 : DÉSOBÉISSANCE CIVILE ET MAQUIS En novembre 1942, le mythe d’une souveraineté de Vichy garantie par le Maréchal s’effondre avec la perte de l’Afrique, de la zone libre, de la flotte. Premier effet : de nombreux officiers de l’armée d’armistice dissoute entrent en dissidence. Mais surtout une désobéissance civile de masse se développe après l’instauration du Service du travail obligatoire (STO) en février 1943. Elle implique tous les milieux susceptibles de venir en aide aux réfractaires : médecins qui les exemptent, fonctionnaires qui leur fournissent de faux papiers, gendarmes qui les recherchent mollement. Cependant, ces mutations majeures n’accroissent pas mécaniquement les forces des mouvements existants. Ainsi l’Organisation de résistance de l’armée (ORA), formée de militaires devenus clandestins, se rallie au général Giraud soutenu par les Américains en Afrique du Nord alors qu’il maintient la législation vichyste. Un « vichysme résistant » persiste donc, au moins jusqu’à la formation, en juin 1943 à Alger, du Comité français de libération nationale (CFLN), coprésidé par de Gaulle et Giraud. D’autre part, la grande majorité des jeunes réfractaires au STO (200 000 à l’automne 1943) sont simplement « planqués » : seuls 30 à 40 000 rejoignent les maquis. C’est que l’aide aux réfractaires est en soi un défi pour les mouvements : elle implique un effort croissant de propagande à destination des jeunes requis, le passage au stade « industriel » pour des activités comme les faux papiers. Quant au maquis, phénomène surgi spontanément, il prend de court les mouvements eux-mêmes : il faut tisser des liens avec les communautés rurales, tant pour obtenir des secours matériels (nourriture, habillement) que pour garantir leur sécurité. Avec les maquis se noue alors une nouvelle relation entre la Résistance et la population : la « résistance au village ». Elle ne signifie pas l’entrée massive des paysans dans les organisations clandestines, mais plutôt un réseau de solidarités autour de celles-ci : ainsi, durant l’hiver 1943, de nombreux maquisards se feront héberger dans les vallées pour échapper au froid. Autre enjeu : transformer les maquisards en combattants, armés et entraînés par des instructeurs compétents. Or l’armement ne peut venir que de l’extérieur, et les cadres de l’ORA manquent... La question de l’unité, intérieure et extérieure, de la Résistance s’avère plus que jamais cruciale. L’UNIFICATION : CRISES ET ACCÉLÉRATION Le Conseil national de la Résistance est créé, on le sait, en mai 1943. Mais pour en mesurer la portée, il faut comprendre que les mêmes raisons qui font ressentir l’union comme urgente exacerbent en même temps les tensions entre ses acteurs. À partir de 1943, le « temps relatif », celui que vivent les contemporains, s’accélère : la « base » espère un débarquement allié en France pour l’année même. Dès lors, les mouvements posent la question de l’armement massif de la Résistance et de son entraînement à l’action violente en vue de la libération. Cette perspective les rapproche du PCF, seul jusqu’alors à pratiquer la lutte armée, mais elle accroît aussi leurs exigences vis-à-vis de la France libre et des Britanniques. Problème : ces derniers veulent ménager l’essentiel du potentiel militaire résistant en vue du jour J, et le séparer en même temps des activités de propagande. En désaccord avec Londres, les mouvements, soucieux de conserver leur autonomie de décision, contestent donc le monopole de la Délégation générale en France créée par Moulin, qui concentre entre ses mains toutes les liaisons avec l’Angleterre (radios, atterrissages, parachutages). En outre, la renaissance d’un parti socialiste clandestin et des forces syndicales met à l’ordre du jour l’idée d’un « parlement » clandestin qui révulse les pionniers de la Résistance : voilà donc le retour des élus de la IIIe République, dont l’absence a été assourdissante pendant deux ans ! Cependant, l’urgence de la situation accélère le processus d’unité. Début 1943, tandis que les mouvements de zone Nord se rallient instantanément à de Gaulle, les trois « grands » de zone Sud fusionnent dans les Mouvements unis de résistance (MUR). La formule du CNR, rassemblant mouvements, partis et syndicats, finit par l’emporter, et cela pour plusieurs raisons. L’une est extérieure : les mouvements sont ulcérés par le soutien « pragmatique » des Alliés à Giraud, qui a derrière lui l’armée d’Afrique, bien plus puissante que les FFL ; pour les convaincre que les Français de métropole soutiennent de Gaulle, ils acceptent de figurer aux côtés d’hommes politiques connus à l’étranger. Par ailleurs, le PCF de la Libération, fusillé à 14 ans. Mais une originalité des groupes clandestins est de modifier parfois les rapports entre générations, offrant à des étudiants comme Philippe Viannay, fondateur de Défense de la France, ou Serge Ravanel, chef national des Groupes francs, des responsabilités impensables dans une société « normale » en temps de paix. Résistance et déportation Jugés et détenus en France tant qu’ils formaient une infime minorité, les résistants ont été déportés à partir de 1943, la plupart du temps sans jugement, quand leur nombre a commencé à refléter les appuis qu’ils trouvaient au sein de la population. Cette évolution de la répression apparaît bien dans la procédure « Nacht und Nebel » au sigle « NN ». Dès la fin 1941, Hitler ordonne de juger en Allemagne même certains résistants d’Europe de l’Ouest dont le châtiment dans les pays d’origine risquerait de faire des martyrs : femmes, prêtres, officiers. Leur sort devra rester ignoré de leurs proches. En 1943, la Gestapo « détourne » cette procédure judiciaire : parmi tous les résistants qu’elle expédie désormais dans les camps, elle affuble du sigle NN ceux qui doivent être soumis au secret absolu. L’année suivante, d’ailleurs, les NN encore en attente de jugement dans les prisons allemandes seront transférés dans les camps. Aucun de ces déportés ne se doutait de la nature de l’univers concentrationnaire, croyant généralement aller vers des camps de travail : au même moment, le Reich n’imposait-il pas le STO en Europe ? L’entassement dans les wagons, puis les baraques, la sous-alimentation, le froid, le travail jusqu’à l’épuisement, tout participait ici d’un système conscient mis en place pour exploiter le détenu jusqu’à la mort – mort parfois accélérée par les « sélections » qu’opèrent les médecins SS, condamnant les malades et les plus faibles. Au total, il y a eu 63 000 déportés politiques français, dont 6 000 NN de la procédure judiciaire (sur un nombre total inconnu). Dispersés en Allemagne, en Pologne, en Autriche et même en Alsace annexée (camp du Struthof), dans 15 à 20 « camps de la mort lente » pourvus de camps annexes et de Kommandos extérieurs de travail, 37 000 d’entre eux reviendront. Un chiffre qui démontre par contraste la spécificité du sort réservé aux déportés « raciaux » : seuls 2 500 des 76 000 Juifs déportés de France ont survécu. Le Militärbefehlshaber in Frankreich (MBF, commandant militaire allemand en France) installé à l'hôtel Majestic à Paris constitue la pièce centrale du système d'occupation allemand. Sa mission est d'assurer la sécurité 22 étant reconnu comme vrai parti résistant, il se révèle nécessaire d’équilibrer le poids de celui-ci par d’autres formations partisanes. ANTICIPER LA LIBÉRATION À partir de l’automne 1943, la perspective du débarquement oriente toutes les actions des résistants. Ils s’y préparent sans en connaître ni la date ni le lieu, en proie à une répression préventive impitoyable, au sein d’une population épuisée par près de quatre années de privations. L’attente du jour J engendre toute une série de comportements anticipateurs, divergents dans certains domaines, révélateurs d’une profonde unité dans d’autres. Car des désaccords persistent sur l’« action immédiate » à entreprendre (faut-il ou non se livrer à la guérilla avant le jour J ?) et freinent localement l’union de toutes les forces paramilitaires, officiellement réalisée au sommet. Ils alimentent la méfiance sur les projets politiques du PCF, principal partisan de l’action immédiate, dont le poids croît dans la hiérarchie FFI. Enfin, ils posent le problème des rapports avec la population, que la peur des représailles n’empêche pas d’adhérer aux actions résistantes, dès lors qu’elles paraissent adaptées au moment précis. Ainsi sont mieux comprises, pendant l’hiver 1943-44, les activités tendant à la simple survie des maquis et les raids pour se procurer alimentation et vêtements, voire de l’argent dans les perceptions. L’action violente est davantage admise à partir du printemps, dans l’imminence du débarquement. Des tensions existent donc. Mais elles sont contrebalancées par la conscience d’une appartenance commune à un « contre-État » clandestin. Celui-ci propose ses propres valeurs : sa presse clandestine, qui tire alors à deux millions d’exemplaires, oppose au dernier Vichy fascisant une « IVe République » à laquelle le programme du CNR fixe comme mission de profondes réformes économiques et sociales. À la base, chez les jeunes recrues du maquis surtout, un « patriotisme sentimental », fondé sur la simple envie de se battre, relativise l’importance des appartenances : la plupart des Francs-Tireurs et Partisans (FTP), par exemple, ne sont pas communistes, quoique encadrés par le parti. Cet État clandestin ne se prépare pas seulement à prendre le pouvoir : il l’exerce parfois déjà, usant d’une symbolique de l’inversion par rapport à Vichy. À Oyonnax, le 11 novembre 1943, les « bandits » du maquis défilent en une formation militaire impeccable ; à Cajarc, en mai 1944, on exécute publiquement des miliciens dont les cours martiales jugent et font exécuter les résistants ; en Limousin, Guingouin, le « préfet du maquis », réglemente les prix agricoles. Enfin, cet « État de l’ombre » s’adresse directement aux serviteurs de l’État français, fonctionnaires, policiers ou magistrats, pour les persuader de se rallier. Par tous ces actes, la Résistance s’installe ainsi dans une sorte de légitimité reconnue par la population : des villages qui, jusque dans l’été 1944, redouteront la venue de maquisards par peur des représailles, se sentiront solidaires d’eux dès qu’ils seront là. LA RÉSISTANCE DANS LES LIBÉRATIONS Le rôle des FFI et des Français en général dans la libération de leur propre territoire est au cœur du mythe gaullien d’une France tout entière résistante : c’est peut-être le point le plus sensible, mais aussi un des plus mal étudiés en raison du caractère original de la lutte résistante. Du point de vue de l’histoire militaire classique, en effet, on a tendance à opérer un tri selon l’aide apportée aux armées alliées. Personne ne conteste le rôle capital des réseaux de renseignement dans la préparation des débarquements de Normandie et de Provence, ni la contribution essentielle des plans de sabotage exécutés par la Résistance pour retarder l’arrivée des réserves allemandes. En revanche, la guérilla des maquis, pendant que les Alliés piétinent en Normandie, paraît limitée dans son impact immédiat : sans armement lourd, les FFI ne représentent pas une menace sérieuse sur les arrières allemands ; ils échouent à tenir les quelques agglomérations libérées par eux le 6 juin (Tulle, Guéret, Nantua, Annonay) et même les grands maquis fixes conçus comme des « centres de mobilisation » (Saint-Marcel en Bretagne, le mont Mouchet en Auvergne, le Vercors). Cette période est surtout utile aux maquis eux-mêmes, qui reçoivent enfin massivement des armes et peuvent ainsi pratiquer une incessante guérilla mobile avec un nombre de volontaires toujours croissant. À partir des percées alliées en Normandie et en Provence, les FFI jouent un rôle important mais pas essentiel : ils accélèrent les libérations régionales, soit aux côtés des Alliés (particulièrement en Bretagne et dans les Alpes), soit en leur absence (dans le Sud-Ouest et le Centre, profitant de la retraite allemande), soit en précipitant par leur action propre l’intervention des armées régulières des troupes d'occupation en France mais aussi et surtout de réunir les conditions d'une exploitation économique optimale de la France. La photographie de l'opinion proposée mensuellement par les « rapports de situation » du MBF repose sur les informations rassemblées par divers services de renseignements. Le regard porté par le Majestic sur l’opinion publique française est, au-delà des fluctuations perçues, d’une grande constance et pourrait se résumer à trois observations majeures : attentisme, léthargie et inquiétude pour la survie quotidienne. La ligne de démarcation principale en 194041 : une « frontière » humaine, économique, administrative et politique, inédite dans l’histoire des guerres du XXe siècle. Dès l’été 1940, la ligne de démarcation met les Français dos à dos. En premier lieu, ils ne savent pas très bien où passe la ligne de démarcation, dans la mesure où le tracé fourni par les Allemands est approximatif. À l’échelon local, les préfets, sous-préfets et maires attendent que le régime nouveau de Vichy leur adresse des précisions. En réalité, il faudra attendre la mise en vente des cartes précises de l’IGN jusqu’au printemps 1942. Les Allemands cultivent volontairement le flou du tracé afin de le modifier à leur guise et d’imposer en conséquence la loi du vainqueur. Des millions de Français qui ont fui pendant l’exode de mai-juin 1940 doivent, entre août et septembre, regagner leur domicile en zone occupée, selon des règles de passage très strictes. Pendant cette période, la ligne est un carrefour où des centaines de prisonniers évadés et des soldats français – qui cherchent à se faire démobiliser – passent d’une zone à l’autre, ce dans l’illégalité. La SNCF doit aussi réorganiser ses horaires en fonction des temps d’arrêt pour le contrôle douanier et policier allemand dans les gares de démarcation, comme Vierzon, Chalon-surSaône, Langon, etc. Les Allemands tentent de restreindre au minimum les libertés individuelles en utilisant la ligne de démarcation comme une frontière. Un Ausweis (laissez-passer), très difficile à obtenir, est obligatoire pour aller d’une zone à l’autre, que ce soit à pied, en voiture ou en train ; il est interdit d’envoyer du courrier interzones dans un premier temps, puis les Français ont la possibilité d’envoyer des cartes avec des mentions préimprimées à biffer, avant la création de cartes familiales où un texte « libre » est possible. Des milliers de retraités de la zone non occupée ne perçoivent plus leurs pensions, car les banques sont situées dans l’autre zone ; les transferts de fonds interzones sont interdits ou très surveillés ; de nombreux Français ne peuvent plus 23 (insurrections de Paris et Marseille). Mais ce sont bien sûr les armées alliées qui livrent les combats stratégiques face à l’ennemi. Nulle part les FFI, en infériorité matérielle trop manifeste, ne sont en mesure notamment d’empêcher la réussite globale de la retraite allemande et le rétablissement du front en septembre dans l’Est du pays. Cependant, comparer les FFI aux armées régulières est biaisé. Ces deux partenaires ne sont pas égaux : ce sont les Alliés qui ont assigné aux FFI leur rôle en les lançant le 5 juin dans une guérilla sur tout le territoire sans leur en avoir donné les moyens et en les armant tardivement et mal. Leur but primordial était d’abuser les Allemands sur l’importance réelle de l’opération Overlord. Par ailleurs, les résistants eux-mêmes ont aussi conçu leur rôle comme civique (faire que les Français participent à leur propre libération) et politique (substituer à Vichy les représentants du Gouvernement provisoire de la République française). Or, il y a bien eu « levée en masse » à partir du 6 juin : le nombre des FFI passe de 100 à 500 000 durant l’été, et à partir de l’automne près de 200 000 d’entre eux continueront le combat, soit sur le front de l’Alsace, soit en gardant les poches résiduelles de l’Atlantique. D’autre part, partout la Résistance a pris en mains les rênes de l’administration sans opposition ni luttes internes, sans l’anarchie ni la guerre civile redoutées par Roosevelt. L’HÉRITAGE Entre 1944 et 1946, la plupart des réformes prônées par le programme du CNR sont appliquées, notamment les nationalisations et la généralisation de la sécurité sociale. Encore faut-il, avec le recul, relativiser la portée de ces mesures : certaines d’entre elles, comme le commissariat au Plan, sont dans la continuité de l’avant-guerre et de Vichy ; d’autres, comme les nationalisations n’ont pas été vraiment des réformes de structures ; le vote des femmes, lui, n’est qu’un rattrapage. Quant au renouveau politique espéré, il a abouti à une « IIIe République bis », au surplus avec les mêmes partis, certes renouvelés dans leurs élites mais pas dans leurs programmes. Le projet de grand parti réformateur rêvé par les résistants s’est brisé sur les oppositions classiques entre socialistes et communistes, et seuls les démocrates-chrétiens s’unissent alors pour constituer une nouvelle formation, le MRP. Au demeurant, les résistants eux-mêmes ont rapidement réalisé, parfois avec amertume, le décalage entre le rêve d’une société nouvelle qu’ils avaient caressé et les réalités de l’après-guerre. Toutefois ce même recul permet d’apprécier le renouveau proprement inimaginable de la France de 1944 par rapport au pays balayé en 1940, grâce à l’action de de Gaulle et des résistants. Sur la scène internationale, la France se retrouve signataire à la capitulation allemande, puissance occupante en Allemagne et titulaire d’un des cinq sièges du Conseil de sécurité de l’ONU. De même, si en politique intérieure l’effondrement de Vichy signe la disparition des courants antiparlementaire et contre-révolutionnaire dans le paysage politique, la presse clandestine, certainement la plus chargée de projets politiques de toutes les Résistances européennes, et la propagande de la France libre ont joué un rôle essentiel dans ce résultat. Par ailleurs, les luttes de la Résistance ont permis à toute une génération de « décideurs » de prendre la relève, à des groupes sociaux comme les ouvriers, au cœur des réformes de la Libération, de faire entendre leur voix, mieux qu’en 1936. Enfin, à un niveau plus profond encore, on peut penser que la mémoire et la légende résistantes ont infusé dans la société une culture du risque qui contraste avec les valeurs traditionnelles de prudence et de modération véhiculées par les radicaux et la droite avant-guerre, et favorisé la modernisation de l’économie et de la société française durant les Trente Glorieuses. II. Collaborer recevoir de chéquiers ou même de l’argent liquide, car leurs comptes sont bloqués en zone allemande. Bref, des dizaines de gestes banals en temps de paix sont entravés et deviennent quasi impossibles. Seuls les « frontaliers », qui habitent dans un espace de 10 kilomètres de part et d’autre de la ligne, peuvent bénéficier de laissez-passer spéciaux pour aller travailler dans une zone, alors que leur domicile est situé dans l’autre. Toute l’économie locale est à réinventer en s’adaptant aux nouvelles contraintes territoriales. Souvent, la seule solution pour voyager d’une France à l’autre est d’emprunter la voie clandestine. Dans la zone annexée, les occupants ont l’intention de « germaniser » la région très rapidement ; les Alsaciens appelés les « malgré-nous » sont enrôlés de force dans l’armée du Reich. Les Lorrains qui refusent de se laisser faire sont expulsés en zone non occupée par milliers en novembre 1940. Les Allemands leur font franchir la ligne de démarcation sans prévenir le régime de Vichy. À partir du printemps 1941, la pénurie croissante de biens matériels et alimentaires est autrement plus préoccupante pour les Français. L’état sanitaire de la population Les conséquences sanitaires des pénuries sont multiples. De 1941 à 1943, on note une surmortalité chez les personnes âgées ou les aliénés. La mortalité infantile augmente, la sous-alimentation des mères entraînant une mauvaise qualité de leur lait. Manque d’hygiène et de savon se conjuguent pour favoriser l’apparition de la gourme et de la gale chez de nombreux écoliers. Les hôpitaux et les dispensaires ne disposent pas d’antiseptiques ou de produits pour enrayer ces épidémies. Pour pallier les carences alimentaires et les risques de rachitisme chez les enfants, l’administration pousse au développement des cantines scolaires et distribue des biscuits vitaminés à l’école. En 1945, une enquête dans neuf grandes villes constate un déficit moyen de 5 kilos pour les filles et de 6 kilos pour les garçons, déficit qui se comble à partir de 1947. À Paris, les filles et les garçons de 13 à 14 ans ont perdu de 7 à 11 centimètres en taille par rapport à 1935. L’un des rares points positifs est la baisse significative de la mortalité par alcoolisme. III. Vivre sous l’Occupation Parce qu’elle rompt le quotidien, la guerre brouille les repères habituels des populations. À ce titre, la période 1939-1945 est révélatrice de ce banal qui devient extraordinaire. Dans cette course au mieux-être qui caractérise la société française au XXe siècle, les années d’Occupation et d’après guerre constituent une mise entre parenthèses d’un univers familier. Dans l’évocation des souvenirs des témoins ordinaires, le quotidien revient comme un leitmotiv au détriment d’autres faits. Le poids du banal, la présence de difficultés de toutes sortes ont perturbé l’ordre 24 des préoccupations et même relégué au second plan des hommes, ainsi que des événements politiques et militaires décisifs (à l’exception de ceux qui en avaient été les victimes). L’épopée de l’exode, la défaite de 1940, les restrictions ont pendant longtemps été largement mémorisées, bien avant les conséquences de l’armistice conclu avec les Allemands, la signature de la convention, cadre obligé des relations franco-allemandes, la « Révolution nationale » ou le gouvernement de Pierre Laval. Que dire du passage de la ligne de démarcation qui n’a cessé d’alimenter les sagas familiales ou bien encore des multiples péripéties menées çà et là pour obtenir un simple kilo de pommes de terre ! Phénomène de distorsion de mémoire, de subjectivité dans l’évocation des faits, il n’en reste pas moins que la pesanteur du quotidien a existé durant cette période et qu’elle mérite l’attention de l’historien. Le traumatisme de 1940 et ses conséquences Un premier élément se dégage quand on examine la décennie 1939-1949, c’est cette rupture avec une période de bien-être à laquelle la population avait fini par s’habituer. On constate un point d’arrêt dans la marche au progrès qui caractérisait la société de la première moitié du XXe siècle. La France et ses habitants se trouvent ramenés cent ans en arrière, voire plus en certains cas, d’où un changement perceptible dans les façons de vivre et de penser. C’est en juin 1940 que tout commence réellement. Auparavant, la drôle de guerre, ainsi qualifiée parce que, en apparence, il ne se passait rien, n’a pas préparé la population à subir le choc de mai-juin 1940. Le réveil est donc brutal. À cet égard, le traumatisme de 1940 doit être étudié à l’aune du quotidien pour bien en percevoir les répercussions sur les mentalités. L’exode transforme les habitants les plus sédentaires en nomades, jetant sur les routes huit à dix millions de personnes. C’est un phénomène comparable à celui de la Grande Peur en 1789 où se mêlent la contagion, les rumeurs les plus incroyables. La seule vue de familles du Nord fuyant l’envahisseur en emportant leurs biens les plus précieux amplifie l’événement auprès de ceux qui voient passer autos bondées, chariots surchargés, gens harassés. Tout cela fait boule de neige et propulse sur les routes d’autres tribus familiales. « Ils seront là demain », la phrase se répand comme une traînée de poudre. La contagion gagne la capitale où les automobiles chic avec chauffeur se mettent en route les premières, bientôt suivies par des véhicules plus modestes. Viennent ensuite pêle-mêle des voitures d’enfants, des cyclistes, des piétons. En quelques jours, c’en est fini du confort auquel chacun était plus ou moins habitué. Les repères familiaux craquent, tout se délite. On assiste à une implosion sociale. Le pays prend une allure différente. Les gestes les plus communs comme manger, boire et dormir dans un lit deviennent difficiles à assumer dans ce chaos. Les barrières sociales disparaissent, relayées par une vie communautaire où la promiscuité, les mélanges sont parfois les garants d’une survie. « Un nivellement uniforme égalise ces voyageurs de conditions si diverses » explique l’historien Stanley Hoffman. Les conventions finissent par se relâcher. Préfigurant ce qui allait suivre, le cadre de vie se rétrécit considérablement à la mesure du village ou de la ferme où l’on s’est réfugié faute de pouvoir avancer. Dormir sous un toit, fût-ce une étable, est vu comme une aubaine quand tant de gens doivent se contenter de fossés. Ce phénomène de panique, on le retrouvera à l’identique quatre ans plus tard en certaines régions, notamment en Normandie avec le harcèlement des bombardements, au moment du Débarquement. À Caen, des familles entières vivent plusieurs semaines terrées dans des grottes, des caves, s’abritent dans des églises et font revivre les communautés à l’ancienne. À SaintLô, elles s’enfuient dans la campagne, se réfugient à l’ombre des haies. Le manque d’informations suscite la formation de bobards. Le 17 juin 1940, l’annonce de l’armistice se transmet par le bouche à oreille bien plus que par la radio. L’arrêt des combats est ressenti comme un soulagement par une population exténuée qui voit surtout se terminer son cauchemar. Peu à peu, on découvre que la défaite et les conditions imposées par les Allemands s’avèrent redoutables pour la vie de tous les jours et qu’il faut apprendre à vivre autrement. Le vainqueur occupe les deux tiers du pays. En application des clauses de l’armistice, le pays est déchiré par une ligne de démarcation qui conditionne l’existence des Français. Selon que l’on est du bon côté de la ligne ou non, l’espace de liberté change. Le pays est compartimenté en plusieurs zones aux frontières difficilement franchissables. Cette nouvelle géographie entraîne un changement d’échelle dans l’espace et dans le temps qui retentit sur les manières d’être de chacun. Chaque région vit repliée sur elle25 même et ce cloisonnement perdurera longtemps, les destructions de routes et de voies ferrées à la Libération accentuant le phénomène. Le pays revêt des allures d’avant la révolution industrielle, les distances prenant une autre dimension. Des villes, des villages jadis proches semblent tout à coup éloignés, faute de carburant ou de voitures. En ville, des moyens de locomotion abandonnés, tel le fiacre, sont remis à l’honneur, tandis que la bicyclette connaît une vogue sans précédent. Communiquer et se déplacer sont laissés à l’appréciation du vainqueur qui institue des règles strictes (système de cartes pré-imprimées, Ausweis). On a beaucoup de mal à savoir ce qui se passe à cinquante ou cent kilomètres, d’où un renforcement du repli sur soi. La propagande alimentée par la presse locale exerce un rôle de premier plan dans lequel la censure joue à plein. Il y a un rétrécissement du temps. Submergé par les problèmes quotidiens, le Français vit au jour le jour. Penser à l’avenir lui demande un effort qu’il est parfois incapable de surmonter. Il s’intéresse aux événements proches de lui, à ce qui touche sa famille, son village, sa ville, voire son quartier, et ses jalons ne sont pas à la mesure de l’Histoire avec un grand H. On le constate à travers le courrier où les allusions à la politique sont quasi absentes. Le temps des restrictions La situation nouvelle engendrée par la défaite entraîne la désorganisation de l’économie sur laquelle pèsent de lourdes contraintes. Le système de zones provoque des changements. Ainsi les trois quarts de la production de blé, de sucre, de beurre viennent de la zone nord, dont la zone libre dépend, ce qui revient à dire que les Allemands sont les maîtres du jeu. En outre, le manque de main-d’œuvre se fait cruellement sentir en raison du nombre de prisonniers de guerre (sur près de deux millions, on compte sept cent mille actifs agricoles). S’y ajoutent le blocus avec l’Angleterre, les prélèvements de tous ordres opérés par le vainqueur, la France étant devenue le fournisseur attitré du Reich avec en prime le versement d’une indemnité de 400 millions de francs par jour. On enregistre une chute de la production qui varie selon les produits et le temps. Face aux réquisitions allemandes et à la pénurie qui s’ensuit, le gouvernement de Vichy n’est pas long à réagir. Quand on examine les multiples facettes du quotidien, on est frappé par l’inflation législative sans précédent qui a touché la réglementation de la pénurie ! La gestion de la vie courante occupe une place importante chez ceux qui sont en charge des affaires de l’État1. Jamais la sphère de la vie privée n’a connu aussi peu de marge de manœuvre qu’à cette époque. Déjà, diverses mesures avaient été prises dès l’été 1940 pour réglementer la ration de sucre, la vente de pain frais et la consommation de pâtes, de riz et de savon. Le 23 septembre 1940, sous la pression des Allemands, l’État intervient de façon autoritaire pour organiser la distribution des denrées alimentaires. La population est divisée en catégories en fonction de l’âge et de l’emploi occupé, qui donnent droit à une carte individuelle d’alimentation. Ainsi l’appartenance sociale ne suffit plus à les désigner aux yeux de leurs semblables, la date de naissance s’avérant au moins aussi importante. Des lettres apparaissent : E, enfants de moins de 3 ans, et J, de 3 à 12 ans2 ; A, adultes de 12 à 70 ans, et T, adultes effectuant des travaux pénibles ; C, cultivateurs. Ces lettres sont plus qu’une simple hiérarchie, leur emploi dans un monde où seuls les critères sociaux (bourgeoisie, aristocratie, employés, ouvriers, ruraux) servent de repères entraîne un changement spectaculaire des mentalités. On en veut à ceux qui reçoivent des suppléments. Ainsi, les cheminots, parce qu’ils sont classés en T, l’emportent sur les employés de bureau, jusqu’alors qualifiés de « cols blancs », auxquels on refuse tout supplément de nourriture. Le mécontentement ne cesse d’augmenter. Des lettres anonymes dénoncent les privilégiés ou considérés comme tels, le voisinage se montrant très actif en ce domaine. En septembre 1940, la ration de base est la suivante : pain, 350 g par jour ; pâtes, 250 g par mois ; fromage, 50 g par semaine ; matières grasses, 200 g par mois ; margarine, 200 g par mois ; viande, 300 g par semaine ; sucre, 500 g par mois ; riz, 50 g par mois. D’après les calculs d’un nutritionniste de l’époque, cela équivalait à 1 325 calories par jour contre 3 000 avant guerre. Au fil des mois, la situation ne cesse de se dégrader, le pain devient de plus en plus noir, la ration de viande diminue, etc. Si les rations de base sont les mêmes en théorie, on vit plus ou moins bien suivant les régions. À Paris, en 1943, les tickets de rationnement ne couvrent que la moitié des besoins alimentaires journaliers, soit 1 200 calories. Certains départements agricoles, comme la Charente, la Vendée et la Vienne, ont une caractéristique commune, celle d’être relativement privilégiés. Leurs habitants s’en tirent plutôt bien. À l’inverse, une région comme le Languedoc, 26 voué à la monoculture de la vigne, est défavorisée et manque de tout. Il en est de même pour la ville de Marseille qui, d’avril à juillet 1942, voit nombre de familles modestes touchées par une sous-alimentation sérieuse. Comme autrefois, le quotidien se réduit à l’obsession de la nourriture et caractérise ce grand bond en arrière que l’on observe. Le « droit au pain » est un droit au minimum vital en fonction duquel l’opinion réagit. Manquer de pain devient synonyme de famine ; baisser la ration, c’est remettre en cause aux yeux de la population l’essence même d’une vie décente, d’où l’importance accordée aux récoltes de céréales. Les autorités locales administratives et religieuses lancent des appels à la paysannerie pour qu’elle livre son blé. La propagande intervient jusqu’à la presse enfantine où la moisson devient l’un des thèmes privilégiés des histoires pour enfants. La « soudure » (analogie avec la France d’avant la révolution industrielle) est la période critique, ainsi que l’objet de préoccupations incessantes. Autre référence à cette France de l’Ancien Régime, l’importance que revêt la part de l’alimentation dans les budgets modestes et ouvriers. Comme autrefois, celleci occupe la plus grande partie du budget au point d’éliminer le reste. Elle entraîne de vives réactions dans les milieux populaires. Ainsi, dans le Midi et dans la banlieue parisienne, on relève des manifestations orchestrées par des femmes. Hors du domaine privé qui est traditionnellement le leur, des ménagères prennent la tête des cortèges de rue et investissent l’espace public pour montrer leur désaccord avec la politique menée. Elles fustigent les municipalités, se réunissent devant les mairies et réclament : « du pain pour nos enfants ». Bientôt d’autres contraintes apparaissent. Dès l’automne 1940, le cuir fait l’objet d’une sévère réglementation. La France doit prioritairement fournir au Reich six millions de paires de chaussures à un moment où la production a bien du mal à atteindre huit à dix millions de paires de chaussures à semelles de cuir. Dans ces conditions, des bons d’achat sont institués par le gouvernement en janvier 1941 et il n’est plus possible à la population d’acheter une paire de chaussures sans être en possession de ces fameux bons. En juillet 1941, les bons sont remplacés par une carte de chaussures. Jamais on n’aurait pensé descendre aussi bas ! S’agissant des vêtements, on en arrive à une situation analogue. La loi du 11 février 1941 décide l’octroi à tout consommateur d’une carte comprenant un certain nombre de points (cent points). Cette carte doit permettre l’acquisition, suivant un barème strict entre les articles textiles et le nombre de points nécessaires. Une jupe contenant de la laine équivaut à vingt points, une veste pour femme, à cinquante points. Mais le gouvernement, tout-puissant en la matière, décide que dans un premier temps seulement trente points seront honorés. Des cartes de charbon et de tabac complètent le tout. À l’image de la pénurie, une véritable culture de guerre apparaît, entraînant des symboles forts en ville, comme les files d’attente qui s’allongent devant les boulangeries, boucheries et épiceries. La queue devant les boutiques est inséparable des restrictions, elle fait partie du paysage de guerre et de la vie de tous les jours. Elle possède aussi ses codes particuliers, car, pour se procurer de quoi manger, il faut savoir attendre des heures entières. Mais la file d’attente, c’est aussi une nouvelle forme de sociabilité, le lieu où circulent les nouvelles les plus incroyables, le thermomètre de l’opinion publique. Espace potentiellement explosif, ce qui s’y dit est révélateur du moment (cherté de la vie, pénuries de toutes sortes, hostilité ou sympathie à l’égard du gouvernement de Vichy, des Allemands, distribution de tracts de résistance). « On parle de tout, on entend de tout dans la queue, c’est le chœur antique » note un observateur. Les gendarmes ne se font pas faute de multiplier les rapports sur les humeurs, les ragots, les réactions xénophobes qu’ils relèvent çà et là. Autre symbole révélateur de la culture de guerre inséparable des restrictions en zone urbaine : le bouche à oreille. Telle voisine vous fait savoir que tel cordonnier a du cuir d’avant guerre pour ressemeler des chaussures. Aussitôt, on se précipite à l’adresse indiquée pour être parmi les heureux élus qui, on l’espère, obtiendront satisfaction. Mais, à l’inverse, la pénurie peut engendrer une certaine réserve, susciter la clandestinité. On apprend à se taire, à se méfier même de ses plus proches amis. L’ère du secret se superpose aux bobards, ce qui rend difficile la communication. Chez les ruraux, les conditions de vie sont différentes. Ils vivent en « autoconsommation » et, pour eux, les déficits ne sont pas alimentaires et se caractérisent par le manque d’engrais, d’essence, de sulfate de cuivre pour la vigne, de vêtements, en particulier de chaussures. Mais on les jalouse parce qu’ils 27 mangent à leur faim. Leur culture de guerre se situe sur un autre plan qui tient en ces mots : troc, récupération, silence, la méfiance faisant partie intrinsèque de leur comportement depuis des générations. Les juifs sont traités comme des parias L’existence de la population juive est brisée au fur et à mesure de la prise de décrets et cumule les difficultés. La première ordonnance allemande mettant en place le recensement des juifs est prise dès le 27 septembre 1940, le 3 octobre de la même année, Vichy définit la condition des juifs en s’appuyant non sur la religion mais sur la « race ». Appartenir à une famille juive modeste ne permet pas d’améliorer son ordinaire par des achats parallèles ou l’envoi de colis réguliers. Mais le pire est à venir, avec l’institution du port de l’étoile jaune (mai 1942) qui transforme les juifs en « parias », les rafles, comme celle du Vél’ d’Hiv (juillet 1942), l’internement dans des camps (Pithiviers, Beaune-la-Rolande, Drancy). Ceux qui se réfugient en zone libre, éliminés de la scène économique, ont également des difficultés à se tirer d’affaire. Il en va de même des résistants, dont la vie clandestine renforce singulièrement la précarité du quotidien. Ripostes et systèmes d’adaptation Le fait de ne plus avoir à sa disposition des ustensiles, même les plus courants, marque une régression au niveau de la civilisation. Casser un verre, une tasse devient un problème tant les difficultés sont grandes pour renouveler les objets de base. Chaque geste du quotidien se double d’une démarche pour continuer à survivre. On finit par s’accommoder à une situation qui se dégrade avec, en corrélation, l’apparition de nouveaux modes de vie, de nouveaux comportements. Les Français s’adaptent tant bien que mal. Pour remédier au manque de produits de base, un vaste système de ripostes se met en place, qui va de la riposte légale à la riposte illégale. Il y a la mise en culture d’espaces publics en milieu urbain. À Paris, le jardin des Tuileries se couvre de champs de pommes de terre. À l’image du retour à la terre prôné par Vichy, le gouvernement encourage l’exploitation de jardins familiaux qui se multiplient aux abords des villes. Ces jardins sont réservés aux pères de famille nombreuses ou répartis entre les ouvriers de certaines entreprises. La Société des jardins populaires de Roubaix distribue aux familles ouvrières des lopins de terre ainsi que des semences qui permettent un appoint calorique non négligeable. Les familles sont ainsi alimentées en légumes frais. Au total, 75 000 hectares sont ainsi cultivés. Vichy se lance dans une politique d’assistance familiale et sociale. Ainsi, des bureaux de bienfaisance encadrent étroitement ceux qui ont besoin d’être secourus avec des « préférences » ou des « priorités » au premier rang desquelles se trouvent les prisonniers de guerre, les mères de famille ou les orphelins. La solidarité familiale joue à plein de même que les attaches à la campagne. On fait appel aux cousins du Poitou ou à l’oncle de Dordogne qui nourrissent les leurs par l’intermédiaire de colis familiaux. Certains fermiers acceptent de répondre à des annonces pour envoyer des colis à des citadins, moyennant une solide contribution. On estime à plus de un million le nombre de colis expédiés en 1942 (trois cents colis alimentaires sont envoyés par jour du bourg d’Évron, en Mayenne, vers Paris cette même année). Ce qui fait la différence entre les bénéficiaires, ce n’est pas tant le colis que le contenu. Celui-ci est nettement plus nutritif quand il s’agit de familles riches. À Paris, une étude faite suivant les arrondissements montre qu’il existe de grosses disparités entre le 16e et le 20e arrondissement. En ville, les petits élevages se multiplient. À Paris, on ne compte plus le nombre de balcons transformés en clapiers. Un système d’échange ancestral très usité se développe : c’est le troc. Très apprécié du monde rural, il prend des allures de jamais vu auparavant. Une paire de chaussures de bonne qualité ou un pneu se révèle la meilleure des introductions pour obtenir un kilo de beurre ou un morceau de viande. Pour les non-fumeurs, le tabac s’avère une excellente monnaie d’échange. Autre pratique très répandue : le marché gris qui consiste pour un fermier à céder à son entourage à petits prix des produits de la ferme. Il diffère du marché noir qui repose sur la vente au-dessus de la taxe à n’importe quel prix de produits que l’on ne trouve ni sur les étals ni dans les boutiques. Chaque fin de semaine voit des hordes de cyclistes sillonner les fermes à la recherche d’un peu de beurre ou de viande. Mais il n’y a aucune commune mesure entre les achats effectués pour les besoins d’une famille et ceux que pratiquent les trafiquants pour alimenter les restaurants de luxe. L’Église justifie « ces modestes opérations extra-légales qui 28 procurent quelques suppléments jugés essentiels aux familles ». De même, l’État ferme les yeux, la loi du 15 mars 1942 sur le marché noir précise que « les infractions qui ont été commises en vue de la satisfaction directe des besoins personnels ou familiaux sont exemptes de poursuite ». Le système D fait une entrée remarquée. Le mot lui-même signifie : se débrouiller envers et contre tout. Il faut apprendre à faire du neuf avec du vieux. Les magazines féminins offrent des solutions aux mères de famille, qui, faute de pouvoir renouveler les vêtements, les recyclent. Des patrons leur sont proposés : comment tailler dans un pardessus pour homme deux manteaux d’enfant ou modifier un pantalon pour en faire une jupe, etc. Trois ou quatre morceaux de tissu se transforment en une robe « mille morceaux » qui plaît aux femmes et dont le succès est grand outre-Atlantique. Pour les coquettes dont les bas n’en peuvent plus à force d’être reprisés et lâchent, une teinture est vendue dans les bazars qui permet de dessiner un bas sur la jambe. Illusion garantie ! Des produits de remplacement (ou ersatz) sont mis sur le marché. Ils sont nombreux en certains domaines, comme dans le textile où des avancées importantes sont faites avec les fibres artificielles dont la rayonne ou la fibranne. Non seulement la production augmente, mais encore des recherches sont faites en laboratoire pour en améliorer la qualité. Les résultats s’avèrent décevants. Apparaît aussi la saccharine remplaçant le sucre, les légumes déshydratés. Dans la Mayenne, face au manque d’arachides, les fabricants envisagent d’utiliser les pépins de raisin et le colza. Devant la pénurie de carburant, on voit se développer en ville le vélo-taxi, sorte de pousse-pousse tiré par des cyclistes. Des concours fleurissent, qui récompensent les meilleures trouvailles, les succédanés de café, d'huile, etc. Les journaux de bricolage connaissent un succès sans précédent, comme Tout le système D. Une nouvelle société, des difficultés permanentes après 1945 Dans cette vie quotidienne déstabilisée, la morale est souvent mise à mal. Les fausses cartes de pain sont très répandues et donnent droit à des suppléments que l'on perçoit sans état d'âme excessif. Les jeunes entre 15 et 20 ans n'hésitent pas à gagner de l'argent en se livrant à des combines plus ou moins honnêtes. Ils sont experts dans la vente de fausses cigarettes en 1943 et continueront leurs trafics avec les GI américains. Longtemps une image prédominera, celle du paysan cupide qui a profité de la situation. Même si la réalité est un peu différente, tous les ruraux n'ayant pas eu la même attitude, on assiste à une reventilation des classes sociales. Durant la guerre, Léon Werth comparait la classe rurale à une « nouvelle féodalité » détentrice de pouvoirs, car elle possédait les biens de la terre : le beurre, les œufs, la viande ; toutes marchandises qui, ayant disparu de la circulation, n'avaient pas de prix parce qu'elles facilitaient l'existence. Cette domination ne disparaîtra pas avec l'arrêt des combats. Les fermiers, dont le poids sur la production ne s'arrête pas avec la fin de la guerre, sont qualifiés d'affameurs par des citadins accablés. Le tableau que peint Jean Dutourd, dans Au bon beurre, des commerçants et du marché noir reste longtemps d'actualité. Épiciers, boulangers, bouchers, ceux que l'on nomme les BOF (beurre, œufs, fromage), copient désormais le style de vie de la bourgeoisie. On voit certaines femmes franchir les portes de maisons de couture qui autrefois leur étaient interdites et commander les plus beaux modèles qu'elles paient avec des liasses de billets de banque. Leur langage et leur comportement trahissent leurs origines devant des vendeuses ébahies. Loin de se combler, le fossé entre les catégories sociales se creuse. Salariés, rentiers et retraités, éprouvés par la baisse de leur pouvoir d'achat, vivent plus mal que durant la guerre et s'inquiètent devant le coût de la vie. Les beaux jours de la Libération terminés, une partie du pays, qui avait misé sur le départ des Allemands pour que sa situation s'améliore, voit ses illusions s'envoler. Le bilan est lourd : un million de sans-abri, deux millions et demi d'immeubles détruits, dix mille ponts et plus de 20 000 kilomètres de voies ferrées ont disparu. Les régions sont isolées les unes des autres. Aussi, le 8 mai 1945 n'entraîne-t-il pas une explosion de joie comparable à celle de la Libération, d'autant qu'il coïncide avec le retour de prisonniers de guerre qu'il faut accueillir et vêtir, et que l'on découvre avec stupéfaction l'horreur des camps de concentration. La pénurie est omniprésente dans les centres urbains et les cartes d'alimentation restent encore en service : après avoir été supprimée, la carte de pain est rétablie en janvier 1946 ; la dernière carte d'alimentation disparaîtra en 1949. La désillusion s'installe. En 1945, en France, 65 % de la population non fermière ne recevra que 50 à 70 % de ses besoins vitaux. Des disparités existent entre les 29 consommateurs de l'Orne et d'Ille-et-Vilaine et les familles parisiennes ou marseillaises. Les premiers disposent de 3 146 calories en moyenne contre 2 285 et 2 427 pour les autres. Dans les grandes villes, il n'est pas question d'accorder un quart de litre de lait aux J3 qui auraient besoin de calcium. La tuberculose fait des ravages chez les jeunes et parmi les ouvriers. Les conditions physiques et morales dues aux restrictions pendant la guerre ont donc marqué toute une génération. Quelles que soient leurs opinions politiques, qu'elles aient passé la guerre en zone libre ou en zone occupée, bien des personnes, dans leurs témoignages écrits ou oraux, évoquent les manques en tout genre et, en particulier, les difficultés alimentaires. Dans la mémoire collective, la mémoire de la faim figure au premier plan. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 30 HC – L'Etat français (1940-1944) Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Documentation Photographique et diapos : Revues : Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : BO futur 3e : « EFFONDREMENT ET REFONDATION RÉPUBLICAINE (1940-1946) La défaite de 1940 entraîne le renversement de la IIIe République. Pétain et de Gaulle illustrent les deux attitudes devant la défaite militaire. On présente les conditions de l’armistice et on explique le renversement de la République. Le régime de Vichy, autoritaire et antisémite s’engage dans la voie de la collaboration avec l’Allemagne nazie. La politique du régime de Vichy et sa collaboration avec l’Allemagne nazie sont présentées en s’appuyant sur quelques exemples de ses décisions et de ses actes. En liaison avec la France libre, la Résistance intérieure lutte contre l’occupant et porte les valeurs de la République. La Résistance est abordée à travers l’exemple d’un réseau, d’un mouvement ou d’un maquis. Une mise en perspective permet d’expliquer la place de la France libre, ses liens avec la Résistance intérieure et le rôle qu’elle a joué dans son unification. Connaître et utiliser le repère suivant - Appel du général de Gaulle : 18 juin 1940 - Régime de Vichy 1940-1944 - Fondation du Conseil National de la Résistance par J. Moulin : 1943 Raconter la défaite et expliquer ses conséquences, l’armistice et la fin de la IIIe République Décrire - Quelques aspects de la politique du régime de Vichy révélateurs de son idéologie - La vie d’un réseau, d’un mouvement ou d’un maquis en montrant les valeurs dont se réclament les hommes et les femmes de la Résistance. » Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO 3e actuel : « Une place particulière est faite à l’histoire de la France : analyse du régime de Vichy, rôle de la France libre et de la Résistance. Documents : Discours du Maréchal Pétain du 17 juin 1940. Appel du Général de Gaulle du 18 juin. Extraits du statut des juifs (1940). Témoignages sur la déportation et le génocide. Témoignages sur la Résistance. » Activités, consignes et productions des élèves : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 31 HC – Jean Moulin et le Conseil National de la Résistance Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Préfet de l’Eure-et-Loir en 1939 lors de l’invasion allemande, Jean Moulin, adversaire résolu de l’Allemagne nazie, incarne l’unité de la Résistance française. À travers le portrait de cet homme hors du commun, on brosse une brève histoire de cette période. Comment la vie et l’action de Jean Moulin expriment-elles un attachement sans faille aux idéaux républicains ? Sources et muséographie : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Ouvrages généraux : Michel Henri, Jean Moulin, coll. « Pluriel », Hachette, 1993 (1re édition, 1971). Azéma Jean-Pierre, Jean Moulin, le politique, le rebelle, le résistant, coll. « Tempus », Perrin, 2003 (plus récent et évoquant largement la problématique de la mémoire). Ressources Moulin Jean, Premier Combat, Éditions de Minuit, (1983) 2001. Seul livre écrit par Jean Moulin. L’édition de 1983 comporte, en appendice, des documents intéressants : discours prononcé par le préfet Moulin pour le 150e anniversaire de la Révolution, lettres de protestation adressées aux autorités allemandes, lettre de révocation, etc. www.v1.paris.fr/musees/memorial/annales_musees/comunique_presse/com_moulin.htm#moulin site du musée Jean Moulin dans le XVe arrondissement de Paris, dont le service éducatif propose un questionnaire qui peut accompagner la visite du musée, ou, s’y l’on vit dans un lieu éloigné de la capitale, être complété à l’aide de pages web qui comportent des documents originaux intéressants : www.v1.paris.fr/musees/Memorial/expositions/expo_moulin2003.htm L’excellent site sur l’histoire et la mémoire de la Seconde Guerre mondiale en Rhône Alpes réalisé par des membres de l’association des clionautes lyonnais : www.memoire-net.org/ Le discours de Malraux au Panthéon sur le site de l’INA : www.ina.fr/archivespourtous/index.php?vue=notice&from=fulltext&full=malraux&datedif_annee1=1964& num_notice=1&total_notices=13 Ouverture pour les élèves Une nouvelle de Daenincks Didier, Les Chiens et les Lions, dans le recueil Cités perdues, Verdier, 2005. Sur l’arrestation de Caluire, le film de Claude Berri, Lucie Aubrac, d’après les mémoires de cette grande résistante intitulées Ils partiront dans l’ivresse, également accessibles pour des élèves. Documentation Photographique et diapos : Revues : Plusieurs articles dans L’Histoire dont Joutard Philippe et Lecuir Jean, « Jean Moulin au Panthéon », n° 242. Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : Problématiques – Quelle part Jean Moulin prend-il aux débuts de la Résistance ? En 1940, comme un certain nombre de Français isolés, Moulin veut « faire quelque chose ». Après son limogeage, il cherche des contacts et décide de se rendre à Londres pour rencontrer le général de Gaulle qu’il ne connaît pas. Il se présente en ambassadeur spontané des mouvements de la résistance intérieure. Moulin est donc, en 1940-1941, un résistant parmi d’autres, au demeurant peu nombreux. BO 1ère ST2S : « Combattre pour la République : Jean Moulin. La figure de Jean Moulin a valeur exemplaire. Elle permet de mieux comprendre les motivations de ceux qui défendirent la République au moment où celle-ci était menacée de l’extérieur et de l’intérieur, et la nature de leur combat. » – Pourquoi Jean Moulin incarne-t-il la résistance française ? L’entrevue entre de Gaulle et Moulin d’octobre 1941 est décisive. Jean Moulin devient l’ambassadeur officiel de la France libre auprès des mouvements de la résistance intérieure. C’est son rôle dans la création du CNR et sa résistance à la torture qui en font le symbole de la résistance unifiée. BO futur 3e : « EFFONDREMENT ET REFONDATION RÉPUBLICAINE (19401946) En liaison avec la France libre, la Résistance intérieure lutte contre l’occupant et porte les valeurs de la République. La Résistance est abordée à travers l’exemple d’un réseau, d’un mouvement ou d’un maquis. Une mise en perspective permet d’expliquer la place de 32 Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Accompagnement 1ère ST2S : « Ce sujet n’appelle pas un traitement biographique linéaire (de l’enfance à la mort sous la torture) mais plutôt une réflexion sur l’acte de résistance et ses liens avec le combat républicain grâce et à travers la rencontre avec un homme, ses choix, ses actes, sa formation, son destin. Si, pour appréhender le parcours qui conduit ce jeune fonctionnaire de la République qui a mené sa carrière avec maestria à devenir l’artisan d’une résistance unifiée, il est nécessaire d’évoquer des éléments du contexte historique, de la guerre d’Espagne au caractère antirépublicain du régime de Vichy en passant par la victoire du Blitzkrieg, l’approche doit donc rigoureusement rester centrée sur Moulin. Haut fonctionnaire, Jean Moulin n’est pas d’abord un « combattant de l’ombre », comme l’a fait remarquer Henri Michel dans une biographie. Mais il est l’un de ceux qui se maintiennent à leur poste en pleine débâcle, afin de ne point « faillir à son devoir », c’est-à-dire secourir les réfugiés, maintenir une autorité française face à l’avancée des troupes allemandes, comme il l’affirme lui-même dans son seul ouvrage autobiographique, Premier Combat, publié en 1947 par les soins de sa soeur (l’étude de passages de ce livre constituerait une entrée efficace dans le sujet d’étude). Il est aussi l’un des tout premiers à opposer directement une résistance à l’occupant en refusant de signer des documents accusant injustement des tirailleurs sénégalais d’avoir violé et massacré des femmes et des enfants. Ce refus, au nom de son attachement à l’armée de la République et des valeurs qu’elle incarne, lui vaut de subir des tortures physiques et morales durant de longues heures. Cette expérience n’entame pas la force de ses convictions. Ces dernières sont celles d’un homme qui a fait des choix politiques importants dès les années 1930 (en intégrant le cabinet du radical Pierre Cot et en s’engageant auprès de son ministre, en faveur de la République espagnole) : il réagit à des circonstances dramatiques en combattant pour la défense des valeurs d’une culture républicaine dont il est pétri. La perspective d’être à nouveau torturé conduit le préfet d’Eure-et-Loir à tenter de se suicider car il pense qu’il ne pourra plus s’opposer à ce qui est exigé de lui. C’est cependant le même homme qui, rétabli et demeurant à Chartres jusqu’à sa révocation par Vichy en novembre 1940, multiplie les protestations auprès des autorités allemandes contre les exactions des troupes d’occupation et qui, quelques mois plus tard, prend le risque de rejoindre les Forces françaises libres à Londres puis celui d’être parachuté dans le sud de la France pour unifier les réseaux du « peuple de l’ombre ». Il serait intéressant d’engager une réflexion sur la place de Jean Moulin dans la mémoire nationale : pourquoi la (Ve) République en a-t-elle fait un héros national, « panthéonisé » en 1964 ? Le panégyrique prononcé par Malraux lors de la véritable liturgie républicaine organisée à cette occasion, et que les archives de l’INA permettent d’entendre, est à ce titre un document de première importance qui constituerait, lui aussi, une entrée efficace dans ce thème. La référence à Jean Moulin dans les combats républicains ultérieurs peut aussi être montrée à partir d’exemples comme celui de l’existence d’un « Club Jean-Moulin » animé notamment par Daniel Cordier et qui était décidé à lutter contre un éventuel coup d’État des militaires d’Algérie, y compris les armes à la main, pendant l’été 1958. Serviteur de l’État, Jean Moulin a l’étoffe d’un homme d’État. Comme le dira Malraux, il était capable de parler « le même langage à des instituteurs radicaux ou réactionnaires », d’avoir la « rigueur […] pour exiger d’accueillir dans le combat commun tel rescapé de la cagoule ». Il a donc su endosser une fonction unificatrice à porter au crédit de ses convictions républicaines. » A. UN SERVITEUR DE LA RÉPUBLIQUE la France libre, ses liens avec la Résistance intérieure et le rôle qu’elle a joué dans son unification. Connaître et utiliser le repère suivant - Fondation du Conseil National de la Résistance par J. Moulin : 1943 Décrire la vie d’un réseau, d’un mouvement ou d’un maquis en montrant les valeurs dont se réclament les hommes et les femmes de la Résistance. » Activités, consignes et productions des élèves : La réunion de Caluire Elle est organisée dans l’urgence suite à l’arrestation du général Delestraint, chef de l’Armée secrète. Cette arrestation est extrêmement préoccupante pour la résistance et risque de la désorganiser. Il faut donc réunir les principales composantes de la résistance pour prendre des mesures provisoires en attendant que de Gaulle nomme un remplaçant à la tête de l’AS. Le 21 juin 1943 à Caluire sont arrêtés, en plus de Jean Moulin, des responsables de grands mouvements de résistance dans l’ex-zone sud par le lieutenant SS Klaus Barbie, qui dirige le service de renseignements et de la répression contre la résistance à Lyon. La résistance en zone sud peut être alors définitivement démantelée si ces personnes parlent sous la torture. Cette affaire de Caluire a longtemps « pollué » la mémoire de la Résistance pour reprendre les mots de Jean-Pierre Azéma. Aujourd’hui, les historiens replacent l’arrestation de Jean Moulin dans le contexte des affrontements politiques de la Résistance en mai-juin 1943. En effet, la crise est alors ouverte entre Jean Moulin et certains responsables de Combat qui contestent les directives de Londres ainsi que l’autorité du général de Gaulle. D’autre part, Caluire fait suite à une longue suite de succès allemands en matière d’arrestation et de démantèlement de réseaux résistants. En l’état des sources actuelles, tout porte à croire que René Hardy fut bien celui qui mena Klaus Barbie à Jean Moulin. En effet, membre important de Combat, Hardy est arrêté le 7 juin par les nazis, interrogé par Barbie et relâché le 10 juin ; mais il cache son arrestation à ses compagnons. Alors qu’il n’est pas convoqué à la réunion de Caluire, il y est tout de même envoyé à la demande de Aubry (présent lui aussi à la réunion en tant que représentant de Combat). Arrêté en même temps que tous les autres participants, il parvient à fuir. Interrogé en 1948 par les services secrets américains, Klaus Barbie affirme que Hardy lui a fourni la date et le lieu de la réunion de Caluire, mais l’authenticité de ces pièces d’accusation a été contestée en 1950. Dès lors, soit l’on admet que Hardy a trahi soit l’on considère que, filé par des hommes de Barbie après avoir été 33 Jean Moulin fut d’abord un grand serviteur de l’État, un homme de dossiers, capable de gérer des situations délicates. Jean Moulin fit carrière au sein de l’administration préfectorale d’abord comme chef de cabinet du préfet de Savoie. Les qualités de Jean Moulin furent vite reconnues puisqu’il devient sous-préfet en 1925 à l’âge de 26 ans (le plus jeune sous-préfet de France) et préfet en 1937 à l’âge de 38 ans (le plus jeune préfet de France). Sous le Front populaire, il est chef de cabinet dans un ministère, celui de l’Air, aux côtés du ministre radical Pierre Cot. Ce dernier avait été sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères en 1932 (Jean Moulin était alors chef-adjoint de son cabinet), ministre de l’air dans le gouvernement Daladier en 1933. Les expériences politico-administratives de Jean Moulin auprès de Pierre Cot renforcent ses convictions républicaines et son attachement à la défense de l’État. Il est chargé notamment en 19361937 de faire livrer dans le plus grand secret des avions français aux républicains espagnols pendant la guerre civile. Alors que la France est en pleine débâcle militaire, que les civils du Nord et de l’Est de la France fuient devant l’invasion allemande, il appelle au calme et au sang-froid, fait face à l’exode, tente de donner confiance à la population, exprime sa confiance en la victoire. On sait que durant plusieurs semaines le préfet de Chartres s’est démené pour organiser les secours d’urgence. Le 17 juin, c’est en grand uniforme de préfet qu’il reçoit sur le perron de la préfecture d’Eure-et-Loir les autorités militaires allemandes dont les troupes viennent de pénétrer dans Chartres. Il est l’une des seules autorités de la ville à ne pas avoir fui devant l’ennemi. Il refuse de signer un document incriminant des troupes françaises coloniales (sénégalaises) de massacres de civils. Jean Moulin est guidé dans ses actions par son patriotisme, son attachement viscéral à l’État républicain et à l’honneur de l’armée française : il n’envisage pas que la France puisse être défaite et ne peut accepter qu’un document que lui impose l’ennemi salisse l’armée de la République. Jean Moulin refuse de signer le papier qui accuserait à tort les tirailleurs et cautionnerait le racisme des nazis. Cet acte spontané marque son refus de se soumettre. Après une séance de tabassage, Moulin tente de se suicider car il craint de ne pouvoir supporter d’autres épisodes semblables. La tentative de suicide de Jean Moulin échoue, mais il garde de cet acte une grande cicatrice le long de sa gorge. Il tente de la cacher le plus souvent par une large écharpe qu’il enroule autour de son cou. Hospitalisé, il reste isolé et n’entend pas l’appel du général de Gaulle, pas plus que la majorité des Français. Néanmoins, Moulin restera en poste à Chartres jusqu’au moment où Vichy limogera les préfets républicains car ils sont restés attachés au « régime ancien », c’est-à-dire à la République que le nouveau pouvoir a abolie. B. L’UNIFICATEUR DE LA RÉSISTANCE Entre son limogeage et son départ pour Londres, Moulin a pris contact avec les premiers mouvements de résistance qui s’organisent dans la zone non occupée où il réside. Comme beaucoup de résistants de la première heure, il est d’abord isolé et cherche des contacts au cours de l’année 1941 avant de décider de se rendre à Londres pour informer de Gaulle des besoins de la Résistance intérieure. Jean Moulin, avant de quitter Chartres en novembre 1940, avait pris soin de se faire établir des faux papiers au nom de Joseph Mercier, professeur (pour plus de sûreté, les initiales sont les mêmes que les siennes). C’est sous ce nom qu’il se rend à Londres en octobre 1941. Il se présente à de Gaulle comme l’ambassadeur spontané de ces mouvements et attire son attention sur leurs besoins et leur dévouement à la cause de la libération. Les contacts étant alors quasi inexistants entre l’intérieur et l’extérieur, de Gaulle doutait en effet de la capacité des mouvements de la Résistance intérieure – nés en dehors de son appel – à organiser des actions sur le territoire français. Ceux-ci se méfiaient de cet officier issu d’un milieu conservateur. Moulin pense que des liens doivent être établis : il a en mémoire l’isolement des républicains espagnols et leur défaite lors de la guerre civile et veut éviter l’isolement de la résistance intérieure. C’est de janvier 1942 à juin 1943 que le rôle de Moulin devient déterminant : il contribue au renforcement de la Résistance intérieure et l’unifie sous l’autorité du général de Gaulle. L’année 1943 constitue un tournant pour la Résistance car la lutte armée se développe sur le territoire national, tandis que Jean Moulin réussit à unifier la résistance intérieure sous l’autorité du général de Gaulle. La création du « conseil de la résistance » (il ne s’appellera Conseil national de la Résistance qu’après la disparition de son fondateur) marque l’apogée de l’action de Moulin relâché, il a été le «conducteur involontaire» du policier allemand vers la réunion de Caluire. A la demande du général de Gaulle, alors président de la République, cette dernière rend hommage à Jean Moulin en 1964 en transférant ses centres au Panthéon. Cette ancienne église en plein coeur de Paris est depuis 1 885 définitivement consacrée au culte des grands hommes de la France («Aux grands hommes, la patrie reconnaissante »). Lors de la cérémonie du 19 décembre, retransmise en direct à la télévision, André Malraux, ministre de la Culture, dans un vibrant discours, un éloge funèbre, fait de Jean Moulin le symbole, la figure emblématique du combat héroïque de la Résistance toute entière, une Résistance où hommes et femmes firent preuve d’un courage extraordinaire et de sacrifice, au combat, face à la torture (Jean Moulin n’a pas parlé malgré les souffrances qui lui ont été infligées) ou dans les camps de concentration. André Malraux rattache le combat de Jean Moulin aux valeurs à la fois incarnées par la Révolution française à travers Carnot (la défense de la patrie menacée) et par la République à travers Victor Hugo (le peuple) et Jean Jaurès (la justice sociale). Il insère donc le héros de la Résistance dans une glorieuse lignée qui fait de Jean Moulin l’héritier et le continuateur d’une longue histoire de la République. Cette photographie est toujours associée à Jean Moulin, héros de la Résistance certainement pour trois raisons. D’un part, elle sollicite les représentations que l’on a de la Résistance : celle de l’agent de l’ombre, du résistant clandestin cherchant à se fondre dans la masse, portant un manteau sombre et un chapeau mou dont il peut éventuellement baisser le bord afin de masquer son regard tout en inclinant la tête ; Moulin est contre un mur et c’est bien souvent adossés à un mur qu’étaient fusillés les résistants. D’autre part, l’écharpe autour du cou évoque (à tort) la cicatrice que portait Moulin après sa tentative de suicide en 1940 et qu’il cache par un morceau de tissu. Enfin, il y a dans le regard de cet l’homme, comme perdu dans ses pensées, quelque chose de romantique ; inévitablement, on projette sur ce beau visage encore jeune, l’image, comme l’a si bien dit Malraux, de « sa pauvre face informe du dernier jour », les traces des souffrances endurées après des heures et des heures d’un interrogatoire d’une rare violence. À cette photographie, la plus connue du grand public, correspond une légende. Pendant longtemps, elle a été datée postérieurement à la tentative de suicide du 34 et de l’évolution de De Gaulle qui admet désormais le dialogue avec les partis politiques et s’est engagé à restaurer la République. Le CNR se donne pour tâche d’une part de préparer la Libération en luttant contre l’occupant, d’autre part et surtout de préparer la France de l’après-guerre en élaborant un programme de réformes politiques, économiques et sociales. C. UN HÉROS ET UN MARTYR DE LA RÉSISTANCE FRANÇAISE Comme tous les résistants, Moulin courait de gros risques ; après son arrestation à Lyon, il est torturé, mais ne parle pas. La Résistance unifiée s’efforcera, après sa mort, de préparer à la fois la libération du territoire et le rétablissement de la République. Ce travail est effectué sous la présidence du successeur de Moulin, Georges Bidault. On a pu dire qu’avant la fondation du CNR, il y avait des résistants et qu’après, il y avait une Résistance. Cela ne signifie pas pour autant que tous les conflits internes étaient apaisés. En 1964, le président de la République Charles de Gaulle décide qu’un grand résistant sera inhumé au Panthéon et deviendra la figure nationale de la Résistance. Plusieurs personnalités répondent aux critères définis par le gouvernement ; c’est Jean Moulin qui est finalement choisi, alors que la plupart des Français ignorent encore les raisons de ce choix. Le secrétaire de Moulin, Daniel Cordier, intitulera d’ailleurs la biographie monumentale qu’il lui consacrera en 1989 L’Inconnu du Panthéon. C’est son rôle d’unificateur et son courage sous la torture qui amènent, en 1964, le général de Gaulle, alors président de la République, à décider le transfert de ses cendres au Panthéon. Il y représente l’unité de la Résistance autour des valeurs républicaines : le patriotisme, l’attachement à la démocratie et au service de l’État. André Malraux décrit toutes les figures de la Résistance, hommes et femmes, qui ont subi la torture, la déportation, l’exécution. Jean Moulin en est l’image symbolique. Le discours fait référence aux valeurs républicaines : le patriotisme avec les soldats de l’an II, l’idéal de justice sociale avec Victor Hugo et Jean Jaurès, grandes figures du XIXe siècle. Pour Malraux, Moulin incarne donc la continuité républicaine. La mémoire de la Résistance se perpétue au Panthéon et à travers les monuments érigés en l’honneur de Moulin. Le monument photographié se trouve à Caluire, dans l’agglomération lyonnaise, où Moulin a été arrêté. D’autres monuments ont été érigés ; des rues, des établissements scolaires, portent le nom du préfet résistant. En 1981, quelques jours après son élection, François Mitterrand s’est rendu au Panthéon pour une cérémonie républicaine : en déposant une rose sur la tombe de Moulin, il affirmait la continuité de l’hommage à la Résistance. 17 juin 1940 pour expliquer l’écharpe, qui dissimulerait alors la cicatrice. En réalité, nous sommes en octobre 1939, et Jean Moulin rend visite à sa mère et à sa soeur à Montpellier. Il déjeune avec son ami d’enfance Marcel Bernard, photographe amateur, qui lui propose de faire quelques clichés. Il fait froid ce jour là à Montpellier, un bon mistral souffle sur la ville. Jean Moulin met alors son pardessus, son feutre et enroule une écharpe autour du cou. Et le préfet de Chartres, en compagnie de son ami, entame une promenade en ville. Arrivés près de l’esplanade du Peyrou, Marcel Bernard sort son appareil, mais estime que la lumière n’est pas bonne. Il propose de descendre, après le château d’eau, près des arches de l’aqueduc, les Arceaux. C’est le dos contre l’une des arches que Jean Moulin pose…, sans le savoir pour l’éternité. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : En 1940, la résistance est embryonnaire : de Gaulle refuse l’armistice et appelle à la poursuite du combat depuis Londres ; en France, quelques sabotages ont lieu, quelques feuilles clandestines sont distribuées. Jean Moulin, préfet d’Eure-etLoir, s’oppose dès le 17 juin aux autorités d’occupation. Toutes ces initiatives sont isolées et spontanées. C’est après son limogeage par le gouvernement de Vichy, en novembre 1940, que Moulin commence à prendre contact avec les organismes de résistance qui se sont mis en place dans la zone non occupée. Un an plus tard, il se rend à Londres. Jean Moulin incarne la Résistance française car son action a permis l’unification de la résistance extérieure et des mouvements et partis politiques de la résistance intérieure, sous l’égide du général de Gaulle : il est le premier président du CNR. Son arrestation et sa mort symbolisent les risques encourus par les résistants dans la France occupée. Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 35 HC – Les femmes et la Seconde guerre mondiale Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Cf primaire Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Christine Bard, Les femmes dans la société française au 20° siècle, Armand Colin, 2001. Françoise Thébaud (dir.), Résistances et libérations. France 1940-1945, Clio, Histoire, Femmes et Sociétés N° 1, 1995. Dominique Veillon, La Mode sous l’Occupation, Payot, 1990 ; “ La vie quotidienne des femmes ”, in JP Azéma et F Bédarida (ed), Vichy et les Français, Fayard, 1992, pages 629-639 Francine Muel Dreyfus, Vichy et l’éternel féminin, Seuil, 1996. Union des femmes françaises, Les femmes dans la résistance, Éditions du Rocher, 1977. Fabrice Virgili, les tontes des femmes accusées de collaboration en France, 1943-1946, EHESS, décembre 1999. Yannick Rippa. Les femmes, actrices de l'Histoire, Sedes, 1999. Debilly Isabelle, Martinaud Claude, Madeleine Roux, Aux urnes Citoyennes, CRDP de Marseille, mars1995. Documentation Photographique et diapos : Revues : "Les femmes dans la Résistance en France", actes du colloque international de Berlin tenu en octobre 2001 « Les Résistantes dans l'historiographie et la mémoire collective », actes de la journée d'étude organisée sur l'initiative du G.R.F.M Groupe de Recherche Femmes-Méditerranée à Aix en Provence en décembre 2000. Claire Andrieu “ Les résistantes. Perspectives de recherche ”, le Mouvement social, n° 180, juillet-décembre 1997, pages 69-96 Rolande Trempé et Marie-France Brive, “1943-1993 : L’Histoire sans parité. Où sont passées les résistantes dans l’histoire nationale?”, Parité-Infos, n°2, juin 1993. Marie France Brive “ L’image des femmes à la Libération ”, in La libération dans le midi de la France, Eché éditions, 1986, pages 389399 Fabrice Virgili,“Les tontes de la Libération en France”, les Cahiers de l’IHTP, n°31 Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Histoire des femmes dans la Seconde Guerre mondiale, histoire de la “ sexuation des politiques ” Le poids de la guerre et des années noires a été souligné par Françoise Thébaud dès l’introduction générale du cinquième volume de L’Histoire des femmes consacré au XXe siècle ; la guerre est aussi le sujet du premier numéro de la revue Clio, Histoire, femmes et sociétés. Des avancées ont été faites en France dans trois domaines : la politique nataliste de Vichy, la place des femmes dans la Résistance, les violences de guerre et le genre sous l’Occupation et à la Libération. Dans chacun des domaines évoqués, le point de vue peut être soit les politiques, avec l’étude de “la sexuation des politiques de guerre”, c’est à dire comment les gouvernants, les partis et les groupes utilisaient la symbolique de la division sexuelle, soit “une histoire d’en bas ”- la vie des hommes et des femmes ordinaires - soit les actions hors de l’ordinaire dans la Résistance (et dans la collaboration) de femmes et d’hommes qui ne sont qu’une infime minorité. Ces nouvelles approches posent des questions épistémologiques sur l’usage des discours et des représentations et sur le rapport entre sources écrites et sources orales. Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO actuel : « Il ne s'agit pas de faire un cours sur les femmes dans la Résistance mais d'identifier dans le cadre d'un cours portant sur les Français dans la Résistance les acteurs de la Résistance contre l'occupant allemand, la nature et la portée de leurs actions menées individuellement ou collectivement et de montrer dans le cadre d'une approche comparative comment la répartition sexuée des tâches peut être révélatrice des schémas de représentations sociales de l'époque. Pour aborder ce thème, une étude de cas à partir d'archives locales sur la Résistance intérieure dans une grande ville méridionale et dans ses environs est proposée aux élèves. Ces dernières années, les recherches des historiens ont apporté un nouvel éclairage sur la Résistance dans le sud de la France jusque là sous estimée. Une Résistance surtout urbaine dans un premier temps dont l'essor à partir de 1943, n'aurait pas été possible sans des bases solides préalables : les mouvements Combat, Libération étant en place avant l'Occupation. Cette étude de cas privilégie la période se situant entre 36 Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : I. Vichy, l’Occupation et la Résistance Les travaux les plus récents portent sur l’examen des tensions entre les représentations mentales et les réalités vécues, et également sur la déconstruction de la catégorie “femmes” qui n’ont pas eu toutes la même expérience au cours des années noires (différences sociales, géographiques - vie à la campagne ou à la ville, dans la zone occupée ou dans la zone non occupée - , de nationalité française ou étrangère) et sur les différentes formes du consentement, du refus, ou, plus majoritairement, de l’accommodation aux difficultés du temps. Le terrain – largement exploré, et depuis longtemps – est celui des transformations dans la vie des femmes ordinaires : travail, rationnement, nationalisation de la fonction maternelle peuvent caractériser les éléments nouveaux dans cette histoire des temps de guerre, où l’importance démesurée prise par les choses banales, mais vitales, instaure une véritable dictature mentale et physique du quotidien. La prise en considération des civils et pas seulement des militaires (officiels ou clandestins) dans l’histoire générale de la guerre donne de la force à cet angle d’approche. Du point de vue de la sexuation des politiques, l’ouvrage de Francine Muel Dreyfus a posé la question classique de la rupture ou de la continuité, celle du régime de Vichy avec la IIIe République. L’auteur s’appuie sur la profusion des discours pétainistes à propos des femmes et de la famille qui dessinent une nature féminine éternelle faite de renoncement, d’oubli de soi et de soumission. Le point de vue peut être discuté du point de vue de sa méthodologie (les discours cités, de nature très différentes, manquent de contextualisation et de chronologie) et de sa conclusion qui privilégie la notion de rupture avec le régime précédent. Il reste aussi à démontrer si et comment, pour les femmes et les filles, l’intériorisation du modèle proposé s’est effectuée. Cette sociogenèse des représentations sociales ne se préoccupe guère des vecteurs de leur diffusion et de leurs possibles effets. Cependant en soulignant combien le régime de Vichy fut une période de régression politique et sociale, de retour aux principes d’avant 1789 - tout en étant lié aux enjeux nouveaux du bio-pouvoir et de l’amélioration de la “race” -, Francine Muel Dreyfus a mis l’accent sur la nature même du régime de Vichy, mais la propagande et le consensus nataliste chez les élites de l’entre-deuxguerres sont sous-estimés. Vichy et les femmes Parmi les facteurs de la défaite de 1940, la Révolution nationale du maréchal Pétain compte explicitement l’esprit de « jouissance », la coquetterie, l’individualisme des femmes, leur égalitarisme (désir d’instruction, de travail hors du foyer…) qui les ont dénaturées, les ont éloignées de leur mission et qui ont affaibli la nation. On attend d’elles une rédemption par la soumission au nouveau pouvoir, le sacrifice aux intérêts supérieurs de la famille. Les mœurs des femmes de prisonniers sont surveillées… La loi doit retenir la femme au foyer. Les procédures de divorce sont rendues plus difficiles, la Fête des Mères, créée en 1926, réactivée, la natalité est exaltée, l’avortement encore plus sévèrement réprimé (une condamnation à mort). Par la loi du 11 octobre 1940, l’État français tente d’imposer une sévère limitation du travail des femmes : l’embauche des femmes mariées dans les services publics est interdite et la limitation de leur travail dans les entreprises privées encouragée. La politique familiale suit : l’allocation de salaire unique prolonge l’allocation de mère au foyer des années 1938-39. Ces mesures rencontrent l’approbation d’un éventail assez large d’associations et ne présente pas de totale rupture dans ses principes avec la IIIe République. Mais les principes du Maréchal Pétain se heurtent aux nécessités de novembre 1942, date à laquelle la zone Sud est occupée, et décembre1943. A cette date, la Résistance change d'échelle passant, selon Jean-Marie Guyon, de petits groupes plus ou moins bien structurés à une Résistance de "masse" capable de mobiliser des milliers de personnes lors de manifestations ou de grèves. Les documents choisis mettent en avant une Résistance "vue d'en bas", urbaine, armée et civile. Activités, consignes et productions des élèves : UNE COMBATTANTE DE L’OMBRE : LUCIE AUBRAC Ils partiront dans l’ivresse paraît en 1984, plus de quarante ans après les faits qu’il rapporte. L’ouvrage se présente comme un journal, écrit au jour le jour. C’est d’abord un livre de souvenirs. Ceux d’une vie de jeune épouse, de mère, de professeure, de résistante dont les circonstances ont fait un parcours atypique. En tant que document, il présente les limites de tout ensemble de souvenirs personnels. Au début de la Seconde guerre mondiale, Lucie Bernard se marie à un jeune ingénieur juif, Raymond Samuel. Ensemble, ils participent à la création et à l’organisation d’un des premiers réseaux de résistance, Libération-Sud. Elle écrit pour Libération, diffuse le journal clandestin, sert d’agent de liaison, puis participe, à partir de 1943 aux actions plus dures qui permettent l’évasion des résistants emprisonnés par Vichy ou par les Allemands. L’arrestation de Raymond, devenu l’un des chefs de l’Armée secrète, aux côtés de Jean Moulin lors de l’entrevue de Caluire, marque l’un des tournants de la vie du couple. Raymond, dont la véritable identité est inconnue des Allemands, est aux mains du chef de la Gestapo à Lyon, Klaus Barbie. Lucie réussit à le faire échapper au terme d’une action particulièrement audacieuse — celle-ci sert de toile fond au film que consacre Claude Berri à Lucie Aubrac (1997). Au début de l’année 1944, la Résistance évacue le couple en Angleterre. Devenue déléguée à l’Assemblée consultative d’Alger, elle sera, au lendemain de la guerre, la première Française parlementaire. Dans ce même temps, elle conçoit avec Raymond, ses deux enfants... La Résistance, une affaire d’hommes ? Sans doute ! Surtout si on affecte de ne la considérer que sous l’angle exclusivement militaire et guerrier. Mais voilà, Lucie Aubrac se préoccupe d’abord du quotidien, assure la garde de son bébé, fait la queue pour obtenir les denrées désormais rationnées et continue sa vie professionnelle. La Résistance s’inscrit dans cette vie, sans que les actions d’éclat ne puissent être dissociées des joies et des peurs les plus banales de la vie d’une femme. Et quand elle imagine la ruse qui lui permet de faire évader 37 la réalité : la loi sur le travail des femmes doit être suspendue en 1942, par besoin de main d’œuvre. Les Résistantes : un rôle essentiel, un rôle mal reconnu Des figures mythiques, des martyrs, un petit nombre de chefs, c'est une vision épique de la Résistance qui a longtemps été proposée. Rompant avec le discours commémoratif, les historiens orientent, depuis le milieu des années 1970, leurs recherches vers une histoire plus globale de la Résistance afin de saisir cette réalité sociale, politique, humaine dans toute sa profondeur et sa complexité. Une série de colloques entre 1993-1996 autour du thème «La Résistance et les Français» ont permis de faire le point sur le renouvellement de la recherche. Les historiens se sont interrogés en particulier sur le processus complexe des relations de la Résistance avec la société française, la Résistance touchant les conduites individuelles ou collectives mais influe aussi sur le fonctionnement du corps social dans son ensemble. Ce regard nouveau sur la réalité sociologique de la Résistance a permis de dépasser l'image d'une Résistance organisée, unitaire et combattante et d'aller audelà du clivage entre quelques héros et la masse des anonymes. Cette nouvelle approche repose sur une redéfinition du concept de Résistance qui ne se limite plus aux faits de guerre mais s'étend également aux actes civils. Ce nouveau cadre de recherche a permis notamment de sortir de l'oubli les femmes en historicisant leur participation à la Résistance et en prenant en compte la différence sexuelle. Depuis une quinzaine d’années l’histoire de la Résistance s’est considérablement renouvelée : dépassement des mythes, pluralité des approches, mise à jour de géographies et de chronologies multiples, et rapports entre la Résistance et la société, tels sont les chemins récemment explorés. Un constat s’impose : la Résistance n’est pas seulement une affaire d’hommes, même si la participation des femmes à la résistance a été un phénomène longtemps occulté à l’exception de quelques figures élevées au rang d’héroïnes ou de martyrs (Lucie Aubrac, Danielle Casanova, Bertie Albrecht, MarieMadeleine Fourcade..). C’est une association politique, l’Union des femmes françaises - et non les historiens/nes - qui a organisé en 1975 le premier colloque sur Les femmes dans la Résistance . Les études quantitatives fondées sur la reconnaissance officielle et les décorations soulignent la sous-représentation féminine. La transgression et la rupture qui définissent l’acte de résister se sont arrêtées, dans leur reconnaissance, au seuil du foyer. Pourtant la quotidienneté de la Résistance est faite de la participation active des femmes et d’abord dans leurs tâches ordinaires et familières d’entretien, de nourriture et de soins. Dans son ultime phase, celle de la lutte armée, la Résistance a donné une place encore plus grande aux hommes. Il n’y a pas eu de reformulation des rôles respectifs des hommes et des femmes, pas de modèle alternatif - le programme du CNR (1944) ne contient aucune indication sur la place des femmes dans sa préfiguration d’une France nouvelle- alors que la période de la guerre, par les situations exceptionnelles qu’elle engendre, est un temps de remise en cause des identités de genre. A la Libération, c’est la fonction maternelle qui est valorisée dans la reconstruction de la nation. Les femmes accusées de relations avec les Allemands - quelle que soit la nature de ces relations -sont assimilées à des prostituées. Ces représentations sont à l’origine des violences de guerre sexuées. Le rôle des femmes dans la Résistance est donc le plus souvent un prolongement des activités traditionnelles qui leur sont dévolues dans la sphère privée : nourrir, soigner. Une division sexuelle des tâches pesante qui est un frein à l'exercice de responsabilités par les femmes, missions traditionnellement confiées aux hommes. Une seule femme est recensée comme responsable de maquis, deux comme chefs de réseau. Cette codification sexuée peut occulter également le rôle exact que les femmes ont pu jouer. Ainsi d'après des témoignages, Berthie Albrecht aurait été bien plus qu'une simple "collaboratrice" et a sans doute eu une influence politique auprès d'Henri Frenay au sein du mouvement Combat. Une invisibilité pourtant dont les femmes ont pu tirer parti dans la vie clandestine notamment en tant qu'agent de liaison. L'étude des manifestations de ménagères contre les pénuries entre 1940 et 1944 mené par Jean-Marie Guillon soulignent la participation de ces femmes au foyer à ces mouvements qui par certains traits rappellent les émeutes de subsistance spontanées d'Ancien Régime, mais présentent aussi des aspects plus "modernes" pour l'époque, ces manifestations étant organisées ou revendiquées par le Parti son mari, c’est en se servant de sa condition de femme enceinte. Pendant longtemps, la Résistance féminine s’est résumé à quelques figures exemplaires : Berty Albrecht ou Danielle Casanova. Celles-ci ne s’étaientelles pas conduites comme des hommes ! Lucie Aubrac est une autre figure emblématique, celle de ces combattantes « ordinaires » que l’historiographie redécouvre aujourd’hui. Engagées dans des actions au nom des mêmes valeurs que leurs père, frères ou époux, elles n’en ont pas moins agi en s’inscrivant dans les rôles sexuels que la société attribuait alors aux hommes et aux femmes. La Résistance y trouvait largement son compte. Cependant à tout moment — l’extrait choisi ci-dessous en témoigne — ces mêmes combattantes « ordinaires » pouvaient être renvoyées à l’inégalité « ordinaire » des femmes de ce temps. 38 Communiste. Ces manifestations, qui se prolongent au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, font que les femmes qui y sont impliquées ne se perçoivent pas forcément, ni ne sont forcément perçues comme des Résistantes. Pourtant ce sont bien là des actes de transgression collectifs révélateurs du basculement de l'opinion de Vichy vers la Résistance. L’approche classiquement guerrière de la Résistance a mis en valeur quelques héroïnes emblématiques telles Bertie Albrecht ou Danielle Casanova mais a laissé « dans l’ombre » les femmes ordinaires essentielles dans la logistique (ravitaillement, liaison, convoyage, secrétariat, diffusion de propagande…). Leur choix relève parfois d’une expression familiale (G. de Gaulle, Laure Moulin, Lucie Aubrac…) ou d’une appartenance à un parti (communiste par exemple), mais toujours d’une conviction personnelle. Dans ces rôles spécifiques, indispensables et dangereux, elles risquaient leur vie, elles ont été réprimées, exécutées et déportées, mais, discrètes dès la fin de la guerre, elles ont moins que les hommes fait valoir leurs droits au titre de Combattant volontaire de la Résistance ; 6 (pour 1024 hommes) ont eu droit au titre de Compagnon de la Libération. II. Violences de guerre et différence des sexes : La question des “ cultures de guerre ” héritées de la violence a été récemment posée par l’historiographie dans le cadre d’une comparaison entre les deux guerres mondiales. Les camps En matière d’extermination, les femmes ont payé leur tribut sans discrimination et rencontrèrent à leur retour la même difficulté que les hommes à « en parler ». « Nous avons cherché à parler, mais nul n’a voulu entendre». Peut-être, par exemple, peut-on mettre en parallèle l’écriture « lazaréenne » de Primo Levi et celle de Charlotte Delbo. Les tondues : un « carnaval moche » ? une reconstruction de la masculinité ? La Libération, en revanche sait sanctionner la collaboration horizontale et mettre en scène la punition de la trahison symbolique que représentaient les liens avec l’occupant. Le corps des femmes appartient à la nation, il doit être désinfecté, purifié et déféminisé par cette « cérémonie » ritualisée et humiliante, véritable défoulement collectif qui participe de la « reconstruction de la masculinité » de la Libération. “Collaboration horizontale”, “collaboration intime”, ”collaboration sentimentale“, les termes varient pour désigner l’objet du délit sanctionné par la répression sexuée des temps de guerre. Fabrice Virgili dans La France virile (2000) a montré qu’il s’agit d’un phénomène de masse dans la quasi totalité des départements même s’il n’y a pas eu d’appel national, pas de texte officiel, pas de politique publique déclarée des tontes. On trouve cependant dans des journaux clandestins de la Résistance des appels précoces à la flétrissure, tel celui publié en 1942 dans Défense de la France ou encore en janvier 1944 dans celui de Femmes françaises, journal des femmes communistes. Cette violence a été exercée essentiellement contre des femmes (quelques cas d’hommes tondus ont été recensés, assimilés ainsi au sexe féminin, forme de double dégradation). La justice sexuée est mise en oeuvre par la résistance locale et assumée par le voisinage. La population est moins complice et plus mal à l’aise qu’on ne l’a parfois montré. Pour les femmes tondues, l’humiliation publique se pérennise dans le local et marque les mémoires. Elle se prolonge donc dans le futur. Ces femmes ont été condamnées pour avoir disposé d’elles-mêmes et de leur corps ; mais le corps des femmes est considéré comme symbole du corps de la nation. La question des violences et des cultures de guerre ouvre donc des perspectives nouvelles sur la période de l’Occupation et la Libération. Les conclusions nous invitent à approfondir la question du genre attribué à la nation et des variations historiques des identités de genre, leurs permanences ancrées dans des traits culturels de longue durée, comme les changements introduits par l’événement dans une conjoncture spécifique. III. Identités de genre sous l’Occupation et à la Libération Marie France Brive avait en 1986 attiré l’attention sur la question du masculin et du féminin pendant et après la guerre. L’approche de la revue Modern and 39 contemporary France inclut les relations de genre, la construction de la masculinité et de la féminité et la structuration des rôles masculins et féminins des hommes et des femmes. Le recours aux sources littéraires et filmiques contribue à approfondir l’analyse historique des représentations. La dégénérescence est qualifiée de “féminine” et le salut des fascistes de “masculin”. Le discours fasciste de Je suis partout insiste sur la reconstruction de la masculinité dans un discours réactionnaire de la modernité et dans une nouvelle définition de la citoyenneté. Dans la même perspective théorique, Luc Capdevila a étudié la construction du mythe du guerrier et de l’éternel masculin après la guerre. Il souligne que, à la Libération - y compris dans les discours du général de Gaulle - l’association entre virilité et redressement national était constante. La virilité avait été émoussée par le déclin national perceptible dès les années 1930 et accentué par la défaite. La Libération est donc un moment de reconstruction de l’identité masculine dans l’épanouissement d’une culture guerrière et dans la mise en scène de la différence sexuelle. Cette hégémonie du masculin est prégnante dans toutes les représentations figurées de l’époque : affiches, films, photographies. A la Libération l’identité masculine se reconstruit sous la figure du travailleur, du guerrier et du père nourricier et l’identité féminine sous celle de la mère. Par une ordonnance du 21 avril 1944, le général de Gaulle donne aux femmes les mêmes droits civiques qu‘aux hommes. Le droit de vote est acquis parce que le retard de la France par rapport aux pays alliés est trop important ? Parce qu’elles ont participé à la Résistance ? Parce que le général de Gaulle pense que le vote féminin lui sera favorable ? … L’histoire de l’obtention du suffrage par les femmes en 1944 est relativement récente mais bien établie, même si son interprétation varie selon les auteurs. Elle n’a intégré l’histoire généraliste que sous la forme d’un droit accordé par le général de Gaulle et pour services rendus à la Résistance. C’est l’article 17 de l’ordonnance du 21 avril 1944, sur l’organisation des pouvoirs publics à la Libération qui accorde - après des débats houleux à l’Assemblée consultative d’Alger et un vote finalement majoritaire - le droit de vote et l’éligibilité pour les femmes dans les mêmes conditions que les hommes. Pour Pierre Rosanvallon, il s’agit de l’aboutissement d’un long processus qui conduit la femme à devenir un sujet politique juridiquement autonome. Ce point de vue ne correspond guère aux opinions des contemporains exprimées lors des élections d’après-guerre. Associations, partis et Églises encadrent les premiers votes des femmes. Une véritable pédagogie du suffrage leur est appliquée, accompagnée d’une injonction au civisme. Le père ou le mari sont les intermédiaires culturels de cette socialisation civique. L’opinion publique, la presse et même les politologues considèrent que les femmes ne relèvent pas de l’universel-citoyen, mais ont des caractéristiques identitaires spécifiques. La référence aux compétences et à la nature spécifiques de l’électorat féminin est généralisée, y compris chez une féministe comme Louise Weiss. On attend des femmes une régénération de la vie politique et une contribution par leurs qualités propres à “l’ordre nouveau” de l’après-Libération. A la Libération les discours sur “la femme nouvelle” mettent en avant la citoyenne et la représentante4. Une trentaine d’élues à l’assemblée nationale, une sous-secrétaire d’État à la jeunesse et aux sports pendant six mois en 1946, une ministre (la première à porter ce titre) Germaine Poinso-Chapuis - désignée comme titulaire du ministère de la santé en 1947, tels sont les fruits de la Libération en matière de représentation des femmes dans la vie politique. Mais très vite leur (faible) nombre décroît et la participation s’étiole jusqu’à la Ve République - la “République des mâles” selon l’expression de Mariette Sineau dans laquelle être femme politique relève d’un destin d’exception. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Rappeler que leur participation à la Résistance justifie l’obtention du droit de vote en 1945. Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 40 HC – Le projet Manhattan : la science en débat Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Cohen Samy, La Bombe atomique, stratégie de l’épouvante, coll. « Découvertes », Gallimard, 1995. Ressources La lettre d’Albert Einstein au président Roosevelt, le 2 août 1939. Albert Camus, éditorial de Combat, 8 août 1945, dans lequel il dénonce l’utilisation de la bombe atomique. Ces textes sont accessibles sur le site : http://hypo.ge.ch/www/cliotexte//html/bombe.atomique.html Une pièce de Heinar Kippardt, En cause : J. Robert Oppenheimer, L’Arche, 1967. Documentation Photographique et diapos : Revues : Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : Il s’agit de voir que la guerre est un contexte favorable aux bonds scientifiques et technologiques, mais qu’elle agit en retour sur la structure et les objectifs mêmes de la recherche. Problématiques – Par quels moyens les États-Unis parviennent-ils à produire une bombe atomique ? Il s’agit de comprendre que les États-Unis partent de très loin lorsqu’ils se lancent dans le projet Manhattan, mais qu’ils mettent en place une mobilisation exceptionnelle des budgets et des moyens scientifiques. – Comment la décision d’utiliser la bombe est-elle prise et quels sont les effets des deux explosions ? La bombe atomique est utilisée à deux reprises contre le Japon. Pourquoi Truman décide-t-il de s’en servir ? Quels sont ses effets matériels et humains ? Quelles sont les conséquences politiques ? – En quoi le projet Manhattan a-t-il initié de nouveaux enjeux politiques autour de la recherche fondamentale ? La guerre sort la science de la spéculation abstraite et exige des applications concrètes immédiates et efficaces (armes, transports, transmissions…). Aprèsguerre, les moyens déployés ont produit de tels effets que l’organisation et la finalité de la science sont transformées. Recherche sur des personnalités impliquées de près ou de loin dans le projet Manhattan : Einstein, Oppenheimer, Szilard, Fermi. Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : Accompagnement 1ère ST2S : « Le projet Manhattan (1942) est le nom de code du programme de recherche mené au cours de la Seconde Guerre mondiale qui a permis aux États-Unis de réaliser la première bombe atomique de l’histoire. Il est le point d’aboutissement des recherches en physique nucléaire conduites depuis la fin du XIXe siècle. En cela, la physique nucléaire, à la différence des autres sciences, suit un parcours « exemplaire » : les découvertes y ont précédé les applications, alors que ces dernières ont parfois précédé la connaissance par les scientifiques des conditions précises de leur efficacité. C’est un programme d’envergure, très coûteux, mobilisant de très nombreux scientifiques américains et européens qui, à cette occasion, collaborent de façon intense. Dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933, la fuite vers les États-Unis de scientifiques, notamment de confession juive, est décisive pour la mise en oeuvre Les recherches sur la radioactivité aboutissent dans les années 1930 à l’hypothèse de la possibilité d’une réaction en chaîne. Le contexte international conduit les milieux scientifiques à envisager une application militaire pour cette découverte. La communauté scientifique européenne, massivement exilée aux États-Unis, se met au service du « projet Manhattan », car elle craint que l’Allemagne nazie produise la bombe atomique. La rencontre de cette richesse scientifique avec la puissance financière et industrielle des États-Unis BO 1ere ST2S : « On présente le projet Manhattan. On montre à cette occasion que l’utilisation de la science et de l’innovation technique soulève également la question de la responsabilité des scientifiques. » 41 du projet Manhattan. Le projet utilise aussi une masse de connaissances issues des sciences et des techniques industrielles (métallurgie, génie chimique). Son objectif est d’aboutir à la conception, à la production et à l’explosion de trois bombes atomiques selon des étapes clairement établies. La science est placée sous la tutelle militaire ; de ce fait la règle du secret s’impose. La réalisation, en un temps record, du projet Manhattan démontre les possibilités qu’offre un programme de recherche coordonné par l’État (en l’occurrence américain, assisté du Canada et du Royaume-Uni). À cette occasion naît un nouveau modèle de recherche qui combine recherche fondamentale et recherche appliquée, recherche militaire et recherche civile, le tout soutenu par des financements publics. Dès le début du projet, des interrogations éthiques naissent dans le milieu scientifique. Elles sont vite balayées par les nécessités de la guerre totale. Des savants hostiles en temps de paix au développement du nucléaire à des fins militaires modifient leur prise de position (cf. la lettre Einstein-Szilard-Wigner à Roosevelt, août 1939). Mais avant son achèvement, ce programme suscite à nouveau des interrogations. Faut-il avoir recours à cette arme de destruction massive alors que l’Allemagne a capitulé au printemps 1945 et que la victoire paraît proche ? Au cours de l’été 1945, les savants confrontés à la mort de 200 000 Japonais prennent conscience de leur responsabilité. Des scientifiques américains dont Oppenheimer, un des chefs du projet Manhattan, font pression pour obtenir une autorité civile de régulation et réclament un contrôle international des armes nucléaires (1946, loi Mac-Mahon). L’opinion publique revendique une place dans les débats qui se développent autour de l’usage de la technologie nucléaire. Les politiques et les militaires ne peuvent plus décider seuls. » – Les progrès de la recherche sur la fission nucléaire combinés à la menace d’une Allemagne nazie dotée de l’arme atomique persuadent des scientifiques de renommée internationale que les États-Unis doivent se lancer dans la course à la fabrication de la bombe. Dès 1939, des physiciens comme Léo Szilard et Albert Einstein tentent de convaincre le Président Roosevelt de lancer un programme de grande envergure. L’entrée en guerre des Etats-Unis entraîne en 1942 le lancement du projet Manhattan, gigantesque programme scientifique, militaire et industriel, auquel sont associés des savants de toutes nationalités travaillant sous la direction du physicien Robert Oppenheimer dans la ville-laboratoire de Los Alamos. – En 1945, le projet aboutit : les États-Unis possèdent la bombe. Mais les savants se divisent sur la question de son utilisation. Certains souhaitent une démonstration scientifique destinée à convaincre le Japon de capituler. D’autres sont favorables au bombardement d’une ville japonaise, pour hâter la fin du conflit. – Dans les années qui suivent la Seconde Guerre mondiale, la communauté scientifique est partagée face aux projets de perfectionnement des armes atomiques dans un contexte de guerre froide où un conflit entre les États-Unis et l’URSS n’est pas à exclure. Certains scientifiques servent leur gouvernement et travaillent à la mise au point d’armes de plus en plus puissantes. D’autres refusent de travailler sur la bombe à hydrogène ou prennent position pour une interdiction des armes atomiques. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : aboutit au plus spectaculaire programme scientifique de tous les temps. À l’été 1945, la guerre est terminée en Europe et se poursuit contre le Japon, réduit à son archipel et à quelques territoires asiatiques quasi isolés par la domination aérienne et navale des États-Unis. C’est le moment où le projet Manhattan touche au but et où trois bombes atomiques sont produites. Malgré plusieurs signaux envoyés par Tokyo via des ambassades neutres quant à la volonté du Japon de sortir du conflit, Truman décide d’utiliser la bombe. Il s’agit d’épargner des vies américaines en abrégeant la guerre, d’imposer une capitulation sans condition, mais également de marquer l’emprise américaine sur l’Asie contre d’éventuelles visées soviétiques. Les deux explosions rasent les villes et tuent des dizaines de milliers d’habitants, mais elles contaminent également pour de longues années la population locale soumises aux effets de la radioactivité. Les explosions sur Hiroshima et Nagasaki montrent à l’évidence qu’une grande puissance est un pays capable d’utiliser la science à des fins militaires. Dès ce moment, la recherche fondamentale est dirigée par les États : budgets, personnels, objectifs, tout concourt à l’efficacité militaire. Dans ces conditions, les résultats les plus innovants et les plus spectaculaires ne sont plus issus de la science théorique ou de la pratique expérimentale menée dans de modestes laboratoires universitaires. Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 42 HC – De 1945 à 1949, la naissance d'un nouvel ordre mondial Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : COURTOIS Stéphane et WIEVIORKA Annette (dir.) , L’État du monde en 1945, Paris, Éditions La Découverte, 1994. D. 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Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des Enjeux didactiques (repères, notions et savoirs, concepts, problématique) : méthodes) : Accompagnement Tle : « Introduction : le monde en 1945 L’introduction dresse un tableau du monde à l’issue des combats. Il inclut Socle : Ajout dans les repères 1948 : la Déclaration universelle des droits de l’homme 43 l’évaluation du coût global du conflit, l’analyse du planisphère géopolitique – qui révèle la nouvelle hiérarchie des États et l’émergence d’une bipolarisation –, le projet et les premiers pas de l’Organisation des Nations unies, qui vise à éviter le retour des engrenages des années 1930 et incarne l’espoir d’un monde meilleur. » 1945 se trouve à la croisée des chemins du siècle : le monde européen y jette ses derniers feux et le monde bipolaire s’y construit. L’intérêt historique de ce bilan, ce qui le rend dynamique, est de montrer ce double mouvement à travers la dernière année de la guerre. D’une part, la perte de prestige des vieilles puissances européennes. Et, d’autre part, la montée en puissance des deux Grands. La vieille SDN, sise à Genève, laisse place à la jeune ONU, installée à New York. L’historiographie récente s’est nourrie de travaux sur « les sorties de guerre », que ce soient celle de 1918 ou celle de 1945, de transition entre la guerre et la paix. L’attention s’est ainsi portée sur les dynamiques démobilisatrices (notamment le problème de la démobilisation culturelle en fonction des expériences de guerre ou du vécu des violences), sur les phénomènes d’épuration légale ou spontanée mais toujours inachevée, sur les processus de reconstruction aussi bien au plan matériel, économique, politique que culturel, ou même psychologique avec la constitution de mémoires spécifiques et évolutives. Pour le second conflit mondial, il reste important d’insister sur la victoire de l’antifascisme, tout en signalant l’émergence d’un monde bipolaire. Attention cependant à ne pas sombrer dans la téléologie :Yalta n’est pas « le partage du monde », la guerre froide ne commence vraiment que vers 1947. Le Moyen-Orient n’est pas un espace géographique clairement identifié et délimité, mais il est devenu un objet d’étude historique de plus en plus autonome. Une abondante bibliographie est maintenant consacrée à cet espace dans son ensemble. L’historiographie actuelle est marquée par les débats au sein du monde universitaire israélien sur la naissance de l’État d’Israël. De « nouveaux historiens », qui forment un groupe disparate malgré cette appellation générique, ont remis en cause, depuis la fin des années 1980, les mythes fondateurs de la naissance d’Israël qui constitue encore dans le pays une vulgate scolaire assénée dès le plus jeune âge : le slogan sioniste «Une terre sans peuple pour un peuple sans terre», repris depuis cinquante ans comme une évidence dans la société israélienne, est amplement remis en question. Les nouveaux historiens, comme Ilan Pappé et Benny Morris, ont mis à jour dans les archives israéliennes les preuves d’une politique d’expulsion des Palestiniens par les milices sionistes et l’armée du jeune État d’Israël, rejoignant ainsi, en les modérant toutefois, les conclusions des historiens palestiniens comme Elias Sanbar. Cette polémique sur les origines d’Israël et sur son attitude à l’égard des Palestiniens a débordé des cénacles universitaires pour agiter la société israélienne, comme en témoignent les nombreux articles polémiques du Jérusalem Post et de Haaretz. Le réalisateur Amos Gitaï en a même fait l’objet d’un téléfilm, «The House» qui relate le destin d’une demeure palestinienne. Plus personne en Israël n’ignore aujourd’hui le nom de Deir Yassine, village palestinien dont la population a été massacrée le 9 avril 1948 par des milices sionistes profitant de la passivité des troupes régulières juives. BO 1ère STG « Guerres et paix (1914-1946) SUJETS D’ETUDE - Les grands procès après la Seconde Guerre mondiale On s’intéresse aux procès qui suivent la fin de la Seconde Guerre mondiale en France, en Allemagne (Nuremberg), au Japon (Tokyo). » Accompagnement 1ère ST2S : « Les grands procès après la Seconde Guerre mondiale La seconde entrée incite à réfléchir à la délicate question des « sorties de guerre » : comment passer de l’arrêt des hostilités à une paix fondée sur l’adhésion des peuples ? Il apparaît que le travail de deuil ne peut être conduit sans satisfaire à l’exigence de justice. Celle-ci passe par l’organisation de procès qui impliquent de définir les crimes avant de condamner les coupables. Le tribunal militaire international de Nuremberg (20 novembre 1945 – 1er octobre 1946) constitue une innovation décisive pour l’élaboration d’un droit pénal international avec la définition des crimes et le recours à des documents, notamment des images, afin de mettre en accusation le système nazi. Il sert en partie de modèle au tribunal qui siège à Tokyo du 3 mai 1946 au 12 novembre 1948 : seuls les crimes contre la paix commis par les généraux et hommes politiques japonais sont concernés. L’Assemblée générale des Nations Unies a confirmé le 11 décembre 1946 «les principes de droit international reconnus par le Statut du tribunal de Nuremberg et par le jugement de celui-ci » et leur a donné une valeur permanente (Résolution 95(1), Assemblée générale, Nations Unies). » Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : Le choix d’un programme commençant à la fin de la Seconde Guerre mondiale engage à voir le bilan de la guerre comme une matrice des conflits idéologiques (dans le cadre de la guerre froide et de la décolonisation) et des logiques économiques de plus en plus mondiales. Cette guerre totale constitue une rupture pour le monde : les moyens de destruction mis en oeuvre pendant le conflit n’ont jamais été aussi importants, un affrontement idéologique a déchiré le monde, le rôle des États a été remis en question et, matériellement, la victoire des Alliés se fait au prix de pertes lourdes. Dresser un tableau du monde à l’issue des combats, c’est donc à la fois évaluer le coût global du conflit mais aussi comprendre la nouvelle donne géopolitique qui surgit de la guerre et qui révèle la nouvelle hiérarchie des États (l’émergence d’une bipolarisation) et enfin voir les stratégies d’apaisement – sinon de paix – qui se mettent en place au sortir de la guerre. Pour autant, il faut éviter de faire du déterminisme en faisant de la guerre froide L’expression « Année zéro » évoque-t-elle la « table rase », dont on peut réactiver la notion grâce à des expressions comme « Allemagne, année zéro » (titre du célèbre film de Rossellini) ou «Ground Zero » (raser jusqu’au niveau du sol, expression qui définissait l’objectif des bombardements stratégiques, par exemple sur Dresde ou Hiroshima), une totale rupture, une complète abolition du passé ? Ou active-t-elle une référence à « l’an I » des calendriers qui, par leur numérotation même, annihilent le moment zéro et, de ce fait, insistent plus sur 44 naissante la continuité logique de l’année 1945. I. Le coût du conflit Les victimes de la Shoah Tableau tiré de la thèse de Raoul Hilberg, soutenue en 1952, publiée en 1961 et traduite en français seulement en 1988. L’auteur, Juif autrichien réfugié aux États-Unis en 1940 à l’âge de 14 ans, est engagé volontaire dans l’armée américaine. Il entre à Munich en avril 1945 avec la 45e division d’infanterie US. Il récupère alors des caisses d’archives abandonnées par les nazis : sa vocation d’historien est née. Dans sa thèse, il s’appuie uniquement sur les données administratives, à la différence d’autres historiens (comme Claude Lanzmann dans Shoah) qui s’appuient sur des témoignages oraux. Hilberg insiste sur l’efficacité de la machine à isoler et à détruire, reposant sur l’administration, l’armée, l’économie et le parti nazi. On ne connaît pas le nombre exact des victimes, mais des estimations ont été établies à partir des archives allemandes (très bien tenues) et des sources par pays. Certaines données sont très fiables (France, Belgique, Italie), d’autres sont plus incertaines (Pologne, Roumanie, URSS), du fait, en particulier, des modifications de frontières. C’est à l’Est (la « Shoah par balles ») et dans les Balkans que la Shoah a été la plus meurtrière. À l’inverse, certains États ont œuvré plus ou moins activement pour sauver leur population juive. En août 1943, les autorités danoises ont ainsi organisé le passage clandestin en Suède de la presque totalité des Juifs danois. En Italie, la politique d’extermination fut tardive, menée en grande partie dans la partie de l’Italie occupée par les troupes allemandes à partir de 1943. De tous les pays soumis à l’Axe ou alliés de l’Allemagne, seule la Bulgarie refusa d’exterminer les Juifs : seuls 4 221 Juifs de Thrace furent déportés, tandis que les Juifs bulgares furent protégés par le gouvernement et la population. Le tribunal de Nuremberg a accrédité le chiffre de six millions de morts juifs du fait de la Shoah. «Gravez ces mots dans votre coeur » L’oeuvre de Primo Levi offre à l’historien un puissant appui dans la difficile tâche qui consiste à étudier et à faire étudier le génocide perpétré pendant la Seconde Guerre mondiale. Ses deux ouvrages, Si c’est un homme (1947) et Les naufragés et les rescapés: quarante ans après Auschwitz (Gallimard, 1989), ne sont pas uniquement de formidables témoignages. Ils constituent également un appel à étudier et à enseigner l’histoire de la Shoah en confrontant le devoir de vérité et le devoir de mémoire, ainsi que le souligne Jean Dujardin : « La Shoah, l’événement est encore là, présent dans toute son horreur, indicible et inimaginable. Les questions qu’il pose à la conscience humaine sont redoutables. Non en elles-mêmes – il est normal, en effet, de se demander qui a fait cela, comment cela a été possible et pourquoi on l’a fait –, mais parce que chacune de ces questions ouvre un abîme d’interrogations sous nos pas. On voudrait se taire. Mais l’historien, quels que soient ses sentiments, ne peut se contenter d’une telle attitude. Il doit savoir, chercher à comprendre, expliquer. Cependant, il peut partager en tant qu’homme le sentiment de Primo Levi : « Peut-être que ce qui s’est passé ne peut pas être compris, dans la mesure où comprendre est presque justifier… Si comprendre la haine est impossible, la connaître est nécessaire parce que ce qui est arrivé peut recommencer, les consciences peuvent à nouveau être déviées et obscurcies… la nôtre aussi. » […] Par l’ampleur des questions soulevées, la Shoah est un fait dévastateur pour la civilisation et pour la conscience humaine. On peut, et on doit étudier l’événement comme un fait circonscrit dans l’histoire, et ne pas céder à la mise en garde du témoin Elie Wiesel : « On ne peut expliquer Auschwitz, parce que l’Holocauste transcende l’histoire», ni à celle du théologien protestant Karl Barth : «Expliquer le mal, c’est effacer le scandale ; c’est d’une certaine façon l’accepter comme naturel, comme inévitable ; expliquer le mal, c’est au fond le nier ». Malgré la prudence qu’il convient d’observer à l’égard de toute idée de leçon en histoire, il n’est pas interdit de voir dans cet événement, du fait de sa nature et de son ampleur, un avertissement pour toutes les sociétés tentées par une dérive totalitaire. Il faut «mettre l’humanité en face de la réalité nue», disait le résistant français Pierre Kaan ; mais on doit aussi écouter Primo Levi, lorsqu’il écrit dans Les naufragés et les rescapés : «Les vérités qui dérangent rencontrent un chemin difficile la volonté de regarder vers l’avenir, depuis un moment particulier, dont la valeur de référence suppose l’entretien d’une mémoire ? L’expression « année zéro », née dans les zones occidentales de l’Allemagne occupée d’après-guerre, « die Stunde Null » comme le disent les Allemands (littéralement, l’heure zéro), semble porter en elle la notion de rupture totale, d’abolition du passé et de départ sur des bases nouvelles. De fait, la durée, l’étendue et l’intensité de la Seconde Guerre mondiale enfin terminée peut laisser aux contemporains cette impression de nouveau départ. Cependant, à l’instar du film de Roberto Rosselini, Germania anno zero, le legs du passé proche fait partie de leur quotidien : à la reconstruction répond l’ampleur des destructions et la misère de la vie dans les ruines, au renouveau de la démocratie répond le sentiment de culpabilité, etc. Entre renaissance et construction de la mémoire, l’expression « année zéro » insiste sur la volonté de regarder vers l’avenir, sans pour autant que l’imaginaire collectif ne puisse s’affranchir d’un passé proche et douloureux qui sera par la suite régulièrement convoqué. Cette expression relève donc d’un mythe. La découverte de l’horreur Les camps ont été libérés par l’Armée rouge (Auschwitz, Bergen-Belsen), par les Américains (Dachau), par les détenus euxmêmes. Les Américains ont forcé les populations civiles allemandes à visiter les camps, le général Patton oblige les habitants de Weimar à visiter Buchenwald, le général Eisenhower fait visiter les camps à ses troupes. De nombreuses photographies sont prises et font la une des revues du monde entier déjà libéré ; des caméras russes, anglaises, et américaines rendent compte de l’horreur des camps dans les reportages qu’ils tournent au fur et à mesure de leur découverte. Les Britanniques enregistrent, avec l’aide d’Hitchcock et Bernstein, un documentaire sur la découverte des camps (The Memory of the Camps - La Mémoire meurtrie) qui ne sortira pas en salle et ne sera pas montré avant les années 1990. Seule dans Berlin est un récit qui permet de suivre le quotidien des Allemands et surtout des Allemandes (et les violences auxquelles ils sont soumis) pendant la libération de la ville par l’Armée rouge. Hiroshima Chaque année depuis 1945, les survivants et leur famille viennent se recueillir sur les ruines de ces deux villes. Le « Dôme », centre de promotion de l’industrie d’Hiroshima, très proche de l’hypocentre, est 45 ». Jean Dujardin, « Shoah », in Jean-Pierre Azéma, 1938-1946. Les années de tourmente. Dictionnaire critique, Flammarion, 1995, pp. 1047-1059. Les Grands à Yalta Que s’est-il réellement passé à Yalta ? Certainement pas le «partage du monde », et encore moins le tracé du futur rideau de fer. Les accords signés à Yalta sont clairs pour l’Asie (il s’agit d’amener les Soviétiques à entrer en guerre contre le Japon) et pour la future ONU (Staline accepte la procédure de vote au Conseil de sécurité voulue par Roosevelt). On s’entend aussi sur la situation en Europe jusqu’à la paix, et c’est bien là que la démilitarisation et la division en quatre zones d’occupation de l’Allemagne est décidée. Mais ces accords sont vagues pour ce qui concerne le devenir de l’Europe après la victoire. On s’en tient à de bonnes intentions dans une déclaration sur l’Europe libérée qui évoque explicitement la tenue d’élections libres, mais pas leurs modalités : les trois grands promettent d’aider « les peuples des États européens libérés ou les anciens satellites de l’Axe (…) à constituer des gouvernements qui s’engageraient à établir le plus vite possible, par des élections libres, des gouvernements correspondant à la volonté des peuples ». Mais ce sont les rapports de force de la fin du conflit et les politiques menées au début de la guerre froide qui décident véritablement du « partage du monde ». II. La bipolarisation L’année 1945 marque l’avènement d’un nouvel ordre international sur les plans politique et économique. Politiquement, elle confirme la prédominance des États-Unis sur la scène internationale ; elle installe et valide la puissance militaire et idéologique de l’URSS ; elle consacre le déclin de l’Europe et préfigure l’accélération de la volonté d’indépendance des peuples colonisés. Un nouvel ordre se met en place, visible, bipolaire, comme le montre le télégramme de Churchill à Truman dès le 12 mai 1945. Économiquement, la pax americana se met en place entre 1944 (Bretton Woods) et 1947 (accords du GATT). Cette prééminence double des États-Unis était en quelque sorte annoncée dès 1942 par le vice-président Wallace confessant avoir « failli à notre tâche après la Première Guerre mondiale » mais espérant en tirer les leçons afin de « mettre à profit notre expérience pour bâtir un monde qui, politiquement, économiquement, et (…) moralement, sera solide. » II. Les stratégies d’apaisement L’ONU Les concepteurs de l’ONU, à commencer par les Américains qui en sont les principaux maîtres d’oeuvre, ont voulu la doter des moyens qui avaient fait défaut à la SDN pour accomplir sa mission. Les attributions du Conseil de sécurité visent à rendre plus crédibles les sanctions décrétées à l’encontre d’États agresseurs. Signe des temps : l’ONU n’est pas installée en pays neutre, comme la SDN (à Genève), mais à New York, dont l’immeuble de verre inauguré en 1951 apparaît comme le symbole de la transparence désormais recherchée dans les relations internationales. Contrairement enfin à la SDN, l’ONU rassemble tous les États indépendants en 1945, sauf les vaincus (l’Italie y entre en 1955, le Japon en 1956 ; les deux Allemagne devront d’abord se reconnaître mutuellement pour y être admises, en 1973). L’ONU est donc d’emblée une organisation universelle, mieux à même que la SDN de représenter la communauté internationale dans son ensemble. Toutefois, l’efficacité de l’ONU repose sur le maintien de l’entente entre les vainqueurs de la guerre et sur le bon vouloir des membres permanents du Conseil de sécurité à appliquer les résolutions votées par l’Assemblée générale. Or, dès 1945, la violation par Staline de la « déclaration sur l’Europe libérée », adoptée lors de la conférence Yalta, compromet la poursuite de la coopération entre les Alliés de la guerre. La France, la Grande-Bretagne et la Chine (où la guerre civile bat son plein), sont elles-mêmes trop affaiblies pour peser face aux deux Grands au sein du Conseil de sécurité. Par ailleurs, l’ONU n’a pas la capacité d’intervenir dans les conflits qui commencent à poindre entre les métropoles et leurs colonies, la France et la Grande-Bretagne étant elles-mêmes de grandes puissances coloniales. Au lendemain de la guerre, l’ONU récupère seulement la tutelle sur les mandats confiés par la SDN aux Français et aux Britanniques : c’est à ce titre que la Grande-Bretagne, incapable de surmonter les affrontements entre juifs et un des seuls bâtiments à avoir résisté au souffle. Il a été renommé Mémorial de la paix d’Hiroshima. Il fait partie des monuments de l’Unesco depuis 1996. Le film d’Alain Resnais, Hiroshima mon amour, en 1959, sur des dialogues de Marguerite Duras pose les questions de la mémoire et de l’oubli, à la fois sur le plan collectif et individuel. Resnais, dans son poème d’amour et de mort, évoque la première bombe atomique lancée sur la ville et appelle à la réconciliation des peuples. Combat est un journal clandestin lié à la Résistance pendant l’Occupation allemande. Camus y entre dès 1942. Le 24 août 1944 paraît le premier numéro diffusé librement. Combat devient quotidien à la Libération. Essayiste et romancier célèbre depuis Le Mythe de Sisyphe (1942) et L’Étranger (1942), Camus en est le principal éditorialiste depuis septembre 1943. Sous la houlette de Camus jusqu’en 1947, ce titre connaît dans l’après-guerre sa période la plus prestigieuse attirant des collaborateurs tels que Gide, Malraux ou Aron autour de son idéal de journalisme critique, proche de la gauche non communiste, n’hésitant pas à exposer des points de vue contradictoires. Sa diffusion est, à cette époque, tout à fait importante pour un journal d’opinion puisqu’il tire à 250 000 exemplaires environ. Dès la nouvelle de l’explosion de la bombe atomique sur Hiroshima, les journaux se sont généralement félicités de l’impact qu’elle ne manquerait pas d’avoir sur le gouvernement japonais. Un des rares à s’inquiéter des conséquences de la bombe est Albert Camus. Dans cet éditorial du 8 août 1945, Camus adopte une prise de position hostile à l’emploi de l’arme atomique. Il est alors à contre-courant de l’opinion publique de l’époque. Camus, qui sort d’une période de résistance active, exprime son adhésion à un socialisme démocratique et critique les régimes totalitaires. La date de son article est remarquable puisqu’elle se situe dans le contexte immédiat de l’explosion d’Hiroshima, avant même que la deuxième bombe atomique n’ait explosé à Nagasaki. La recherche d’une capitulation rapide des Japonais est le but de cette explosion. Camus en reconnaît l’importance (« Qu’on nous entende bien… »), mais il insiste sur la dimension éthique du choix d’une telle arme et s’en prend surtout à l’enthousiasme « indécent » qui accompagne l’événement. Les pays vainqueurs n’ont guère retenu les principes évoqués par Camus pour assurer la paix. L’ONU n’est pas devenue « une véritable société internationale, où les grandes puissances n’auront pas de droits supérieurs aux petites et aux moyennes nations ». Elle a été paralysée au cours de la guerre froide et le monde a été 46 Arabes, s’en remet à l’ONU en 1947 pour établir un plan de partage de la Palestine, ce dernier étant toutefois resté lettre morte. Nuremberg et Tokyo Le procès de Nuremberg a beaucoup été critiqué par ceux qui y ont vu un procès des vainqueurs. Certains ont regretté que les accusés n’aient été jugés que par les quatre grands États vainqueurs de la guerre, et non par les autres signataires de la déclaration des Nations unies de 1942 ou par les États neutres. L’historien Joseph Rovan, ancien déporté à Dachau, a estimé qu’il aurait été plus utile de juger et de condamner les accusés devant un tribunal allemand et selon les lois allemandes en vigueur avant 1933. On a pu également dénoncer la partialité d’un procès qui exonérait l’URSS des crimes qu’elle avait elle-même commis : le protocole secret annexé au pacte germano-soviétique constituait bien un crime contre la paix et les massacres de Katyn, un crime de guerre caractérisé. Après l’échec des Soviétiques pour en imputer la responsabilité aux accusés, le procès de Nuremberg fit silence sur les auteurs réels de ces exécutions massives (et pour cause, puisque l’ordre en avait été signé de la main de Staline). Certains ont considéré que les bombardements de Dresde, de Hambourg, d’Hiroshima ou de Nagasaki, qui provoquèrent la mort de centaines de milliers de civils, entraient également dans la catégorie des crimes de guerre, ce qui est bien plus contestable, car c’est faire abstraction du contexte militaire dans lequel ces bombardements avaient été décidés par les Alliés. Enfin, il apparaît surtout aujourd’hui que le procès de Nuremberg n’a pas permis à l’époque de prendre la mesure de la spécificité du génocide des juifs, très largement évoqué, mais dans le cadre des nombreux autres crimes perpétrés par les nazis en Europe. Pourtant, le procès a bel et bien contribué à faire connaître le caractère sans précédent des crimes nazis. Aujourd’hui encore, la documentation réunie pour l’instruction, composée notamment des nombreuses pièces d’archives allemandes récupérées par les Américains, reste une source d’information essentielle pour les historiens (le protocole Hossbach de 1937, par exemple, ou encore le journal remis par Hans Frank). La tragédie des enfants d’Izieu, déportés à Auschwitz par Klaus Barbie, y fut évoquée, preuves écrites à l’appui, par le représentant de l’accusation française, Edgar Faure. Ces preuves ont ensuite été réutilisées lors du procès du « boucher de Lyon » en France. Le tribunal a convoqué à la barre de hauts responsables du génocide qui, pour la première fois, ont ouvertement confessé leurs crimes : Otto Ohlendorf, commandant de l’un des Einsatzgruppen, y a livré le premier témoignage sur la Shoah par balles, ou Rudolf Höss, le commandant d’Auschwitz (dont le procès eut lieu plus tard en Pologne). Le procès a enfin contribué à faire progresser la jurisprudence internationale en matière de crimes contre l’humanité. Le 9 décembre 1948, l’Assemblée générale des Nations unies adopta ainsi une convention pour la prévention et la répression du crime contre l’humanité. Les tribunaux internationaux institués pour juger les crimes dans l’ex-Yougoslavie et au Rwanda, ainsi que la Cour pénale internationale, qui a vu le jour en 1998, ont pu s’appuyer sur le précédent du procès de Nuremberg. Si Annette Wieviorka a montré que le génocide n’est pas au coeur de Nuremberg et qu’il n’est entré réellement que le 3 février 1946 au procès, il n’en est pas moins, pour la première fois de l’histoire, défi ni et reconnu. Cette notion nouvelle en effet est alors régulièrement intégrée au droit international. Le 9 décembre 1948, l’assemblée générale des Nations unies adopte le texte de « la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ». En 1964, le « crime contre l’humanité » est déclaré imprescriptible en Allemagne, en France ; en 1968 par l’ONU. Une imprescriptibilité qui a permis de juger Adolf Eichmann en 1961, Klaus Barbie, ancien officier SS responsable de la Gestapo de Lyon, en 1987 (condamné à la réclusion criminelle à perpétuité). En 1993, le Conseil de sécurité de l’ONU créé un tribunal pénal siégeant à La Haye pour juger les crimes dans l’ex-Yougoslavie : le droit international s’impose désormais à tous, quel que puisse être le droit interne des États. À la différence de Nuremberg, nombreux furent les chefs militaires japonais qui échappèrent aux poursuites. Tel fut, au premier chef, le cas de l’empereur HiroHito, qui fut la personnalité la plus importante à échapper ainsi aux poursuites. Lorsqu’il fut question d’établir la liste des criminels de guerre, la question la plus cruciale tourna autour de sa mise en accusation éventuelle. Le général Mac Arthur recommanda au gouvernement américain d’accorder l’immunité à l’empereur Hiro-Hito, et de maintenir le système impérial nécessaire au bon essentiellement régi par les deux Superpuissances. Quant au nucléaire, il est devenu l’objet d’une course aux armements entre les grandes puissances (le plan Baruch, qui prévoyait en 1946 une sorte d’internationalisation du nucléaire sous le contrôle de l’ONU, a été enterré). La fin de la Seconde Guerre mondiale est marquée par un enchaînement de violences qui touchent en particulier les civils. Camus fait ainsi allusion aux multiples bombardements (des villes allemandes comme Dresde) et à la découverte de l’horreur des camps. «La science se consacre au meurtre organisé» : on est au cœur de la condamnation énoncée par Albert Camus. C’est une condamnation de l’usage de la science à des fins de destruction que l’on rencontre déjà après 1918, à propos des gaz de combat par exemple. Mais, ici, c’est l’usage de l’atome, après celui de la propulsion à réaction, qui est directement visé. Or, pour Camus, son ampleur nouvelle renforce ce sentiment de « sauvagerie ». Camus est visionnaire, l’« angoisse nouvelle », qu’il est le premier à identifier, est la base de l’équilibre de la terreur, typique de toute la période de la guerre froide. La misère dans l’Italie libérée Curzio Malaparte (1898-1957) est un écrivain italien, qui évoque l’immédiate après-guerre en Italie dans La Peau (1949). D’abord séduit par le fascisme, il participe à la marche sur Rome en octobre 1922, puis évolue vers le socialisme et l’antifascisme dans les années trente. Il se rallie aux troupes alliées en 1943 et participe à la libération de Naples en octobre 1943. Il décrit l’état d’extrême dénuement et l’humiliation dont souffrent les Napolitains, affamés et malades, contraints d’accueillir en vainqueurs et avec joie leurs ennemis de la veille. « La renaissance du lansquenet » Ce document aborde la notion de traumatisme par une oeuvre d’art, afin de situer d’emblée que, selon l’expression du peintre Soulages, « on ne peut plus penser ni peindre comme avant Hiroshima ». « La renaissance du lansquenet », tapisserie de Lurçat, a été retenue parce qu’elle oppose, un peu comme la photographie de Dresde, une représentation de la culture judéo-chrétienne (ici un ange) à la réalité d’une barbarie humaine (ici symbolisée, dans les flammes fantastiques d’un enfer souterrain, par les noms de grands sites d’affrontements guerriers, où l’on retrouve comme un rappel des guerres passées celui de Sedan, mêlé à ceux de la Seconde Guerre mondiale, tels Guernica, Oradour, Varsovie, Leningrad). Le commentaire de cette création permet d’évoquer d’autres noms 47 fonctionnement de l’occupation du Japon. La Guerre froide s’intensifiant, la classe dirigeante conservatrice japonaise put de plus en plus aisément dissimuler ses responsabilités dans la guerre en échange de sa collaboration à la politique anticommuniste des États-Unis. Contrairement à l’Allemagne, le Japon n’eut donc pas l’occasion de s’interroger sérieusement sur ses propres crimes de guerre. La plupart des manuels ne parlent que des crimes dont se sont rendus coupables les nazis en Europe. Pourtant les atrocités commises par les Japonais en Asie ont été d’une grande ampleur. Elles sont l’objet de grandes controverses historiques ou politiques et marquent encore fortement les relations internationales dans cette région du monde. L’historien américain Chalmers Johnson écrit : « Essayer d’établir lequel des deux agresseurs de l’Axe, l’Allemagne ou le Japon, fut au cours de la Seconde Guerre mondiale le plus brutal à l’égard des peuples qu’ils martyrisèrent est dénué de sens. Les Allemands ont tué six millions de juifs et 20 millions de Russes [citoyens soviétiques] ; les Japonais ont massacré pas moins de 30 millions de Philippins, Malais, Vietnamiens, Cambodgiens, Indonésiens et Birmans, dont au moins 23 millions étaient ethniquement chinois. […] Les deux conquérants ont réduit en esclavage des millions de personnes et les ont exploités comme main-d’oeuvre forcée – et, dans le cas des Japonais, comme prostituées (de force) pour les troupes du front. […] Le taux de mortalité pour les PGs [prisonniers de guerre] aux mains des Japonais approchait les 30 %. ». Cet article de Chalmers Johnson, « The Looting of Asia », paru dans The London Review of Books, novembre 2003, est consultable en anglais sur le site : www.lrb.co.uk/v25/n22/john04.html Déclaration universelle des droits de l’homme, 10 décembre 1948 Le document a été préparé par une Commission des droits de l’homme de l’ONU, présidée par Eleanor Roosevelt (veuve du Président américain mort en avril 1945) et par le Français René Cassin (1887-1976, vice-président de la Commission, prix Nobel de la paix en 1968). C’est une oeuvre de circonstance, destinée à réaffirmer les droits imprescriptibles de la personne humaine après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale. Elle reprend les grands principes de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 (droits de la personne), tout en y ajoutant des droits nouveaux, les droits économiques et sociaux (droits au travail, à l’éducation, à la sécurité sociale, à la santé et à la culture). Le texte est adopté le 10 décembre 1948 à Paris, au palais de Chaillot, par 48 voix et 8 abstentions, dont celle de l’URSS, qui a trouvé trop abstraite la définition des droits économiques et sociaux. Ce n’est qu’au sortir de la Seconde Guerre mondiale que la découverte des horreurs du nazisme, devant lesquelles il n’était plus possible de se voiler la face, a fait naître la conviction que les droits de l’homme devaient être reconnus dans le monde entier pour que celui-ci ne soit pas à nouveau menacé de génocides et de guerres. La Déclaration mentionnera dans son second paragraphe que « la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité ». Dès avant la fin du conflit, les pays en guerre contre l’Axe, qui se désignaient alors comme les « nations unies », jouèrent un rôle moteur. Notamment lors de la conférence de Dumbarton Oaks qui a réuni, d’août à octobre 1944, les représentants de la Chine, des États-Unis, du Royaume-Uni et de l’Union soviétique ; puis surtout lors de la conférence internationale de San Francisco qui s’est ouverte le 25 avril 1945, peu avant la capitulation de l’Allemagne – alors que la guerre durait encore dans le Pacifique – et qui s’est achevée le 26 juin par la signature de la Charte des Nations unies, véritable Constitution de la société internationale. Son préambule commence en effet par une déclaration solennelle de « foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine », tandis que son article premier énonce que l’un des buts poursuivis par l’organisation est de « développer, encourager le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Tout en respectant la souveraineté des États, elle énonce l’idée d’un droit de regard des Nations unies si l’application de la Charte est en cause, mais sans définir ni expliciter ces droits fondamentaux. EN RÉACTION AUX HORREURS DU NAZISME C’est dans ce but qu’une Commission des droits de l’homme a été créée en janvier 1946 par l’Assemblée générale des Nations unies. Présidée par Eleanor Roosevelt, elle avait pour vice-président le Chinois Chang et pour rapporteur le Libanais Charles Malik. Elle comprenait le Français René Cassin, qui fut l’un de porteurs d’une mémoire de la barbarie, par exemple Katyn, Lidice, Dachau ou, surtout, Auschwitz et Hiroshima. Il permet également de s’interroger sur le sens des petites étoiles qui illuminent, malgré tout, le ciel éthéré : par quels actes des hommes ont-ils humainement dépassé leur condition de bourreaux ou de victimes ? Il importe, comme le préconise Serge Klarsfeld, de souligner ces lueurs : celle des Justes qui sauvèrent des enfants juifs promis au génocide, celle des opprimés qui se sont aidés, celle des résistants et des soldats qui ont combattu les « lansquenets ». Le nom « Sedan » rattache la Seconde Guerre mondiale à la longue lignée des guerres franco-allemandes alors que ceux de Guernica, Oradour, Leningrad (qu’on pourrait lire aussi « Stalingrad » puisque le début du nom est rendu incertain) se réfèrent précisément à ce dernier conflit, en soulignant par ces choix deux de ses traits spécifiques : la prise en otage des civils et l’étendue géographique de la guerre. Les motifs mettent en évidence, outre des blasons et des emblèmes barbares, les signes de l’incendie, des charniers, de la torture (des tenailles), de la mort, du sang, des ruines… Au centre, une échelle (de Jacob), brisée, semble interdire tout espoir d’échapper à l’enfer, dont la tache noire macule de ses volutes épaisses un ciel de plus en plus réduit mais toujours étoilé. René Cassin Né en 1887 à Bayonne de parents juifs (sa mère, née Dreyfus, était d’origine alsacienne et son père descendait de Juifs italiens établis à Nice), René Cassin a suivi passionnément, alors qu’il était adolescent, les échos de l’affaire Dreyfus. Une fois passé son baccalauréat en 1904, au lycée Masséna à Nice, il poursuit des études de droit et d’histoire à Aix-en-Provence. « S’il n’y avait pas eu l’affaire Dreyfus, j’aurais peut-être choisi la carrière militaire », racontera-t-il. En 1914, malgré de brillants résultats à l’école des officiers de réserve pendant son service militaire, c’est comme simple soldat qu’il est mobilisé. Gravement blessé en octobre 1914, au bras, au flanc et au ventre, il se retrouve en 1916 chargé de cours de droit à Aix-en-Provence et à Marseille. Il participe à la fondation d’une des premières associations de victimes de la guerre, l’Union fédérale des mutilés et veuves de guerre. Membre de la Ligue des droits de l’homme, il collabore au Bureau international du travail fondé à Genève sous l’égide de la Société des Nations et s’oppose à toute récupération nationaliste de la cause des anciens combattants. Plusieurs fois candidat à des élections sous l’étiquette du parti radical, favorable en juillet 1936 à l’aide au gouvernement républicain 48 ses membres les plus actifs (voir encadré ci-dessous). C’est à lui qu’Eleanor Roosevelt avait demandé en avril de présider un groupe de travail restreint et, le 16 juin 1947, il présente, devant le Comité de rédaction de cette commission, le projet de déclaration qui constitue la base du texte adopté dix-huit mois plus tard à l’Assemblée générale des Nations unies réunie à Paris, au palais de Chaillot. Outre son caractère pour la première fois universel, elle se distingue des déclarations précédentes par l’absence de référence à toute divinité et la proclamation, déjà faite dans la Charte, de l’égalité de tous les êtres humains non seulement en droits mais aussi en dignité. Le préambule exprime avec force que « la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde ». Réaction au nazisme, cette affirmation s’accompagne du rejet des discriminations en fonction de la race ou de la couleur (article 2). Elle affirme aussi, en son article 3, le droit à la vie, qui figurait dans la Déclaration d’indépendance américaine et dans le projet de texte élaboré en 1936 par la Ligue française des droits de l’homme, mais non dans la Déclaration française de 1789 (l’idée de mentionner comme exception le cas des personnes condamnées à mort ayant été écartée, sans pour autant que l’on mentionne explicitement l’interdiction de cette peine). DE LA PLURALITÉ DES DROITS DE L’HOMME La Déclaration universelle reprend non seulement l’esprit de la Déclaration française de 1789 quant aux droits et libertés individuels, mais inclut aussi, dans ses articles 22 à 27, les droits économiques, sociaux et culturels. Elle affirme le droit à la sécurité sociale (article 22), au travail (article 23), au repos et aux loisirs (article 24) et à « la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance » (article 25). Et, plus précis que tous les textes antérieurs, son article 26 définit la finalité de l’éducation : « L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personne humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre tous les groupes raciaux ou religieux ainsi que le développement des activités des Nations unies pour le maintien de la paix ». C’est dans son article 27 que l’on trouve la première proclamation officielle des droits culturels : « Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent ». L’une des particularités de la Déclaration universelle est précisément de consacrer à la fois les droits-libertés et les droits économiques, sociaux et culturels et de les associer indissolublement en affirmant qu’ils sont à la fois complémentaires et inséparables. UNE CONTRIBUTION ELLE AUSSI UNIVERSELLE Quelle que soit l’importance de l’Europe occidentale et de l’Amérique du Nord dans la marche dans laquelle la Déclaration universelle s’est inscrite, il serait faux de réduire celle-ci à ces seuls pays. C’est l’insistance de l’URSS sur les droits économiques et sociaux qui a favorisé leur prise en compte dans la Déclaration universelle, alors que le gouvernement américain de l’époque leur était hostile. À la différence, d’ailleurs, de la représentante des États-Unis, Eleanor Roosevelt, veuve du président démocrate initiateur du New Deal... UN TEXTE DE RÉFÉRENCE MORALE Contrairement à ce que souhaitait René Cassin, la Déclaration n’a pas valeur de traité mais constitue une simple résolution adoptée par l’Assemblée générale : elle a été votée une fois pour toutes, et les États qui se sont constitués depuis n’ont pas eu à la signer ou à l’approuver. Elle présente « l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations » et n’a donc qu’une force morale qui n’implique d’engagement juridique précis que pour les États qui y font référence dans leur Constitution. Mais sa portée mondiale lui donne, selon l’expression de René Cassin, « une valeur juridique de recommandation » qui fait d’elle, cinquante ans après, la référence universelle en matière de droits de l’homme. Sur les cinquante États membres alors des Nations unies, quarante ont voté pour et aucun contre, mais il y a eu huit abstentions. C’est le nombre jugé trop réduit des articles consacrés aux droits économiques et sociaux (6 articles sur 30) qui fut mis en avant par l’URSS et ses alliés (la Biélorussie, l’Ukraine, la Tchécoslovaquie, la Pologne et la Yougoslavie) pour justifier leur abstention. Pour d’autres raisons relevant d’une hostilité beaucoup plus fondamentale espagnol, et hostile, deux ans plus tard, aux accords de Munich par lesquels la GrandeBretagne et la France cédaient devant Hitler, il s’embarque pour Londres dès l’annonce de l’armistice en juin 1940 et y rejoint la France libre. Prix Nobel de la paix en 1968, membre de la Cour européenne des droits de l’homme, il menace d’en démissionner si la France ne ratifie pas la Convention européenne qui lui sert de base. Pourtant, ce n’est qu’en 1981, cinq ans après sa mort, que la France la ratifiera entièrement. Une rédaction collective Eleanor Roosevelt, veuve de Franklin Delano Roosevelt, président des États-Unis de 1933 à 1945, a su orienter intelligemment le travail de rédaction de la Déclaration universelle. Ce dont les délégués lui rendront hommage par une longue ovation, une fois le texte adopté. Elle fut souvent en désaccord (sur le droit au travail, la protection sociale et la responsabilité économique et sociale des États) avec son gouvernement, républicain, partisan d’un retour à un libéralisme économique radical, qu’elle était pourtant chargée de représenter. Mais son prestige personnel lui conférait une certaine marge de manœuvre qui explique en partie l’équilibre du texte. Et elle a contribué à faire de la Déclaration un texte facilement compréhensible. « Je disais souvent à mon mari que s’il parvenait à me faire comprendre quelque chose, alors ce serait clair pour tout un chacun dans le pays. C’était peut-être en cela que résidaient l’essentiel de mon apport et la valeur réelle de ma participation au Comité de rédaction de la Déclaration universelle. » Le juriste canadien John Humphrey a été chargé en mai 1947 d’écrire un premier projet. Mais, sur de nombreux points, il différera du texte final : il admettait l’existence de la peine de mort comme une exception au droit à la vie, prévoyait de mettre dans le préambule un égal accent sur la notion de droits et sur celle de devoirs (ce que ne voulaient ni Cassin, ni Eleanor Roosevelt) et subordonnait le droit des individus à bénéficier de moyens d’existence à leur « devoir de travailler ». En revanche, le projet présenté par Cassin, qui préférait, par exemple, la notion de devoir envers la société à celle de devoirs envers l’État, peut être considéré comme la base du texte final. Dix-huit mois d’âpres débats De juin 1947 à décembre 1948, la question du lieu des réunions – Genève ou New York – et celle de la composition des groupes de travail, ont fait l’objet de tensions, parfois entre Occidentaux et pays de l’Est, parfois entre Américains, d’une part, et Soviétiques et Européens, de l’autre. Des changements ont été opérés. Tantôt dans 49 (notamment à l’égalité des sexes, à la non-discrimination raciale), l’Arabie saoudite et l’Union sud-africaine de l’apartheid s’abstenaient de leur côté, tandis que le Honduras et le Yémen étaient absents lors du vote. Mais elle inspirera de nombreuses constitutions nationales, notamment celles des nouveaux États issus de la décolonisation, et elle continue d’exercer aujourd’hui une forte influence sur l’évolution du droit international. D’AUTRES TEXTES POUR GARANTIR ET COMPLÉTER LES DROITS Si la Déclaration universelle n’est pas écrite au nom des peuples comme la Charte des Nations unies (« Nous, peuples des Nations unies, résolus à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité des hommes et des femmes... »), conformément au vœu, là encore, de René Cassin, elle ne fait pas seulement référence aux États mais aux « peuples », « nations », « individus », et « tous les organes de la société ». Son contenu est le résultat de compromis intervenus au terme de luttes parfois intenses entre Américains, Soviétiques et Européens. Comme le voulaient ses rédacteurs, elle a été ensuite complétée par deux pactes ayant valeur de traité, qui visent donc à en garantir l’application, votés en 1966 et entrés en vigueur en 1976 après avoir obtenu le nombre de ratifications nécessaire. L’un est relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, l’autre aux droits civils et politiques. L’ensemble constitue une Charte internationale des droits de l’homme. Aux obligations morales inscrites dans la Déclaration universelle, s’ajoutent des obligations juridiques destinées à constituer une garantie véritable pour les peuples des États signataires. Ces deux pactes ont mis en place, en particulier, des procédures de contrôle au sein de la commission des droits de l’homme de l’ONU. Certes, les États signataires ont pu émettre des réserves quant à leur application, ces réserves ne pouvant toutefois concerner les points fondamentaux comme l’interdiction de l’esclavage, de la servitude, de la torture, des atteintes à la vie, ni celle de la rétroactivité des lois pénales. Mais, après son entrée en vigueur en 1976 avec sa signature par 51 États, la Charte internationale des droits de l’homme a accru considérablement le nombre de ses signataires puisque, aujourd’hui, 130 États sur un total de 185 y souscrivent. Il s’agit donc d’une quasi-universalité, même si l’on compte des exceptions notables, ainsi celle des États-Unis qui n’ont pas ratifié le pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Ou encore celle de la Chine qui n’a pas ratifié le pacte relatif aux droits politiques. À partir de ce triptyque et en référence à lui, un nombre considérable de conventions et autres instruments (traités, pactes, protocoles) a été mis sur pied par l’organisation internationale et ses institutions spécialisées. Assimilés à des traités, leur valeur juridique est supérieure à celle des lois des pays qui y souscrivent. Ils marquent un double mouvement d’approfondissement et d’extension des droits. À chaque étape dans le développement de la société, de son économie et de ses techniques, correspondent de nouveaux droits. Ainsi, des textes spécifiques ont été adoptés sur les droits de groupes sociaux et de catégories de la population qui ont besoin d’une protection particulière, comme ceux de l’enfant, des femmes, des membres de minorités nationales, ethniques, religieuses et linguistiques, des réfugiés et des personnes handicapées. Par ailleurs, des instruments ont été adoptés pour faire face à des atteintes aux droits de l’homme particulières, comme la discrimination raciale et le racisme, la misère et l’absence de développement, les menaces sur l’environnement et les pratiques rendues possibles par les nouveaux développements de la biologie et des techniques de communication. un sens plus restrictif : suppression du droit de pétition ; tantôt dans un sens plus libéral : alors que les projets de Humphrey et Cassin affirmaient seulement le droit de tout État d’accorder asile aux réfugiés politiques, le droit d’asile sera affirmé comme un droit du réfugié. Et, alors que l’un comme l’autre plaçaient sur le même plan le droit et le devoir pour les individus de « faire un travail utile », le texte final leur reconnaîtra clairement un « droit au travail » et imposera même aux États l’obligation de « prendre les mesures en leur pouvoir en vue de prévenir le chômage ». C’est René Cassin qui a milité pour que le titre ne soit pas Déclaration internationale, mais Déclaration universelle des droits de l’homme, plus fort et plus éloigné de celui d’un simple traité entre nations. La place à accorder aux droits économiques et sociaux par rapport aux libertés fondamentales a été abondamment discutée. Tout comme la question des « droits des peuples », qui ne furent pas reconnus, y compris celui à l’indépendance. Le point de vue qui a prévalu a été que la définition des individus est évidente alors que celle des peuples est impossible à énoncer de manière indiscutable. De même, pour le droit des minorités ethniques, linguistiques et culturelles que Cassin voulait inclure, mais dont la majorité des États ne voudront pas. Ou encore pour la création d’un Tribunal pénal international, proposée par l’Australie dès 1946. 60 ans après : un passé toujours présent 60 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, vainqueurs et vaincus n’ont pas entièrement achevé leur réconciliation. À la grande différence toutefois de ce qui s’était produit au lendemain de la Première Guerre mondiale, les ressentiments ne sont pas tels qu’ils pourraient dégénérer en un nouvel affrontement. Les nations vaincues ont elles-mêmes renoncé à reconstruire leur puissance militaire et se sont dotées d’institutions démocratiques stables. Or, au XXe siècle, aucune guerre n’a jamais opposé deux démocraties entre elles. À quelques exceptions près (les îles Kouriles, par exemple, annexées par la Russie, dont 4 sont encore revendiquées par le Japon), aucun ancien belligérant ne remet en cause le tracé des frontières héritées de la fin de la Seconde Guerre mondiale. 50 Les contentieux historiques prennent donc essentiellement la forme de conflits mémoriels qui mobilisent les opinions publiques, parfois relayés par des partis politiques ou des gouvernements à des fins de politique extérieure ou intérieure. En Europe, la réconciliation franco-allemande apparaît comme un modèle. Elle a joué un rôle moteur dans la construction européenne. La fin de la guerre froide a toutefois fait réapparaître certains contentieux historiques. La question des expulsions de 1945 a ainsi créé des tensions entre la RFA d’une part, la Pologne et la République tchèque de l’autre. L’Association des expatriés allemands (Bund der Vertriebenen) a obtenu du gouvernement fédéral, fin 2007, la construction d’un Centre des expulsions à Berlin. En présentant sans nuance les expulsés comme des victimes, les associations d’expulsés sont accusées par les voisins de l’Allemagne d’occulter les responsabilités premières de cette dernière dans le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale et dans les expulsions qui en ont résulté. Gestes symboliques de réconciliation, déclarations communes et commissions d’historiens ont toutefois contribué à aplanir les différends. Le souvenir de l’occupation soviétique, qui a débuté dès 1939 en Europe orientale, demeure un sujet très sensible en Pologne et dans les pays Baltes. Il interfère avec le souci de ces pays de se prémunir contre le retour en force du nationalisme russe. Durant la guerre dans l’ex-Yougoslavie, Serbes et Croates se sont affrontés en réactivant le conflit qui les avait opposés en 1939-1945. En Asie, les séquelles de la mémoire de la guerre n’ont pas empêché la normalisation des relations entre le Japon d’une part, la Chine et surtout la Corée du Sud d’autre part, au nom de leurs intérêts économiques et politiques bien compris. La Corée du Nord continue toutefois d’attiser un fort nationalisme antijaponais pour justifier son programme d’armement nucléaire. Mais dans les autres pays d’Asie qui ont eu à souffrir de l’occupation japonaise, la mémoire de la guerre ne suscite pas de réelles tensions, notamment en raison d’une commune hostilité à l’égard de la Chine populaire (Taiwan, Malaisie, Philippines) ou du soutien que le Japon impérial avait pu apporter aux nationalismes locaux (Indonésie). Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 51 HC – De la société industrielle à la société de communication Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : J.-C. Asselain, Histoire économique du XXe siècle, La réouverture des économies nationales (1939 aux années 1980), Presses des Sciences Po et Dalloz, Paris, 1995 (remarquable synthèse, sans équivalent depuis, mais qui ne couvre pas toute la période). P. Bairoch, Victoires et déboires, histoire économique et sociale du monde du XVIe siècle à nos jours, coll. « Folio histoire », Gallimard, Paris, 1997, 1085 p., tome 3 (le XXe siècle) (une vue très polarisée par la question des inégalités Nord-Sud). Bairoch (P.), Mythes et paradoxes de l’histoire économique, La Découverte, 1999. A. Maddison, L'Économie mondiale. Une perspective millénaire, études du Centre de développement, OCDE, 2001 (la bible de l’histoire quantitative, l’achat de l’ouvrage donne accès à toutes les données statistiques sur Internet). GAUTHIER André, L’Économie mondiale : Du début du XXe siècle à nos jours : d’une mondialisation à l’autre, Paris, Éditions Bréal, 2004. A. Gauthier, Le Monde au XXe siècle, panorama économique et social, Bréal, Paris, 2001, 768 p. (une somme rédigée par un ancien professeur de prépa ECS). André Gauthier, L’Économie mondiale des années 1880 aux années 2000, Bréal, 1999. P. Léon (dir.) Histoire économique et sociale du monde, le second XXe siècle, 1947 à nos jours, A. Colin, t. 6, Paris, 1977 (ancien mais toujours utile. Il s’arrête à la veille du premier choc pétrolier). COHEN Daniel, Trois leçons sur la société post-industrielle, Paris, Éditions du Seuil, 2006. Daniel Cohen, Richesses du monde, pauvretés des nations, Flammarion, 1997. D. 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Carte murale : Enjeux didactiques (repères, notions et Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des méthodes) : savoirs, concepts, problématique) : BO Tle actuel : « Ce thème invite à une présentation synthétique des grandes Il est très difficile de faire un point historiographique sur une période aussi transformations du second XXe siècle (cadre récente et sur des enjeux aux résonances aussi actuelles. La période économique, mutations sociales, civilisation chronologique (1945-2000) étudiée en classe de terminale nous empêche de matérielle, évolution des sciences et des traiter de ces modifications économiques et sociales sur le long terme et de les intégrer dans une réflexion plus profonde sur l'industrialisation et sur sa diffusion techniques, révolution informatique). Il ; elle fait de la Seconde Guerre mondiale une rupture majeure dans l'histoire inclut le fonctionnement du marché mondial des biens culturels et la question de la économique. L'intitulé de la question au programme nous invite aussi à revoir la mondialisation de la culture”. » rupture traditionnelle de 1973. Il ne s'agit plus en effet de traiter des bouleversements des cadres de l'économie mondiale en opposant Trente BO futur 3e : « L’ÉVOLUTION DU Glorieuses et crise contemporaine mais d'essayer de comprendre la progressive SYSTÈME DE PRODUCTION ET SES mondialisation des échanges et les transformations du marché. Il s'agit donc de CONSÉQUENCES SOCIALES rompre avec le cadre national (les transformations économiques et sociales de la On étudie, dans un contexte de croissance en France apparaissent plus tardivement dans le programme) et dépasser la simple longue durée, les mutations technologiques étude des pays développés à économie de marché. La même difficulté apparaît lorsque l'on doit traiter de la mondialisation, concept flou, discuté et débattu, mais du système de production et l’évolution de l’entreprise, du capitalisme familial au au final peu traité dans une optique historique ; ainsi dans la bibliographie, se capitalisme financier. L’étude est conduite à côtoient à la fois une réflexion pionnière sur les conséquences spatiales de la partir de l’exemple d’une entreprise et de son mondialisation (Dolfus) et une analyse critique et plus récente des évolution depuis le début du XXe siècle. dysfonctionnements des grandes institutions internationales (Stiglitz). On en met en évidence les principales Articuler le national et le mondial est donc une tâche mal aisée parce qu'elle doit conséquences : évolution de la structure de la prendre en compte la diversité des situations des pays et les aléas d'une conjoncture fluctuante depuis 1945. En ce sens, le travail de fond de l'économiste population active et migrations de travail. L’étude s’appuie sur l’histoire d’un siècle Angus Maddison permet de mieux recentrer cette période de croissance d’immigration en France. économique : l'économiste américain oppose un « Âge d'Or de la croissance » Décrire et expliquer l’évolution des formes (1950-1975) à un « âge néolibéral » (1975-1998). La première expression a l'avantage d'insister sur l'exceptionnalité d'une croissance hors normes. En effet, de production industrielle et de la structure d’une entreprise, de la dimension familiale à avec un taux de croissance moyen annuel dépassant les 5 % et des gains de productivité important, c'est, selon Maddison, la période la plus dynamique de la firme multinationale. l'histoire économique mondiale, très loin devant le trend des 2 % du XIXe siècle. Caractériser l’évolution de l’immigration en En revanche, l'expression, « âge néolibéral », met de côté les aspects les plus France au XXe siècle » dramatiques du ralentissement de la croissance dans les PDEM (chômage, « désindustrialisation », crise sociale profonde) et ne s'attarde pas sur les « causes » Accompagnement Tle : d'un tel changement. Ce que met en lumière Maddison, c'est avant tout l'impact « L’immédiat après-guerre est dévolu à la des transformations structurelles de l'économie mondiale pendant cette période reconstruction – dont un élément majeur est (libéralisation accrue des échanges et des capitaux, boom des NTIC...) et une le plan Marshall – et à la mise en place des croissance somme toute honorable car plus importante qu'à l'âge de fondements du redémarrage économique : l'industrialisation florissante (1850-1913). Alors que dans les années 1970 et conférence de Bretton Woods, accord 1980, le débat s'orientait sur la compréhension d'une « crise » multiforme et sur la général sur les tarifs et le commerce mise en parallèle des crises de 1973 et de 1929 (Bouvier), il s'agit aujourd'hui de international (GATT), OECE. Puis la mettre davantage en lumière les transformations structurelles de l'économie croissance l’emporte, exceptionnelle par son mondiale et de les intégrer dans une réflexion beaucoup plus vaste sur la importance, sa régularité : dans l’ensemble mondialisation. des pays développés de 1950 à 1973, le 53 Le sujet ne porte pas sur un objet historique clairement identifié, c’est-à-dire ayant pu faire l’objet d’une synthèse académique. Cela est lié à la fragilité des notions utilisées, au caractère pionnier du type d’histoire que le traitement du thème suppose. Néanmoins quelques concepts permettent de sous-tendre la réflexion sur l’évolution économique et sociale d’ensemble à l’oeuvre dans la mondialisation, qui caractérise la seconde moitié du XXe siècle. Beaucoup d’entre eux sont très discutés. La base scientifique des concepts utilisés pour définir le sujet n’est pas assurée, d’où l’emploi préférable des guillemets : parler de « société industrielle » en 1945 pour brosser une « présentation synthétique » des sociétés du monde est non seulement réducteur mais inexact. Une écrasante majorité de la population vit d’une agriculture non industrialisée en 1945, et si l’on prend le critère de l’urbanisation, il faut attendre aujourd’hui pour que se réalise le basculement historique d’une majorité de la population vivant dans les villes. Encore ce critère ne recoupe-t-il pas pour autant l’existence d’une société industrielle. Quant à la « société de communication », un simple regard sur l’évolution des taux d’équipement mondial en téléphones ou en connexion à Internet permet de mesurer combien la qualification de « société de communication » pour désigner la situation actuelle est abusive. Le même constat se dessine si l’on considère les origines de la richesse. L’activité tertiaire ne contribue pas majoritairement, loin s’en faut, au PIB mondial d’aujourd’hui, et à l’intérieur du tertiaire les ressources tirées des communications sont encore très faibles, bien qu’en augmentation. Il est à noter que l’expression de « société de communication », est de plus en plus concurrencée par celle de « sociétés du savoir », avec la même ambiguïté. Les qualificatifs employés sont en fait très révélateurs d’une perspective implicite autocentrée. La France ou même les pays les plus développés ne sont pas le monde, et traiter du thème lui même aurait supposé de se limiter à quelques régions du monde, ce qui n’est pas l’objet sujet, qui affirme explicitement la nécessité de traiter le thème dans le cadre mondial. Cependant, derrière ces qualificatifs contestables, il y a l’incontestable réalité des transformations économiques, technologiques et sociales considérables qui affectent l’ensemble du monde contemporain, à un rythme de plus en plus soutenu. Nous pouvons tenter de construire le développement à partir d’une démarche ressortissant de la « World History » parfois aussi dénommée « Global History ». Pour traiter le sujet, il est en effet indispensable de regarder la question d’un point de vue planétaire, et non pas régional, national ou local. Pour cela, il faut tenter de s’appuyer sur une branche de l’histoire universitaire en émergence, mais dont le développement est rendu difficile par l’inexistence de structures académiques internationales ou mondiales qui pourraient le financer et le porter. La porosité des milieux académiques français à cette nouvelle manière de faire de l’histoire, dont on peut dater les prémices au début des années 1970 dans le monde anglo-saxon, est particulièrement faible pour des raisons qui sont exposées très clairement dans le numéro spécial consacré à « L’Histoire globale » par la Revue d’Histoire moderne et contemporaine 2007/5, n° 54-4 bis, supplément 2007. On lira avec profit notamment l’introduction rédigée par Caroline Douki et Philippe Minard, « Histoire globale, histoires connectées : un changement d’échelle historiographique ? » (pp. 7 à 21). De plus, il faut constater que les chantiers ouverts par cette histoire mondiale ne concernent que peu l’histoire contemporaine, encore moins l’histoire du temps présent, et encore moins la communauté scientifique historienne française. Le champ est largement occupé par les économistes et les sociologues, à commencer depuis 1976 par les fondateurs du centre Braudel à New York, qui se veulent les héritiers de la pensée de l’inventeur du concept d’économie-monde et dont Immanuel Wallerstein est la figure dominante (cf. son Comprendre le monde ; introduction à l’analyse des systèmes-monde, traduit en 2006 et publié à La Découverte). Les historiens écrivant en français sur le sujet sont rares : Paul Bairoch (19301999) était belge et a longtemps enseigné en Suisse ; Jean-Charles Asselain a la double casquette d’agrégé d’histoire et de sciences économiques. Nous leur sommes redevables de la base de ce travail. Leurs travaux de synthèse ne dépassent cependant pas le début des années 1990. Il faut s’appuyer sur des travaux en langues étrangères, qui ne sont que très exceptionnellement traduits : Eric J. Hobsbawm, L’âge des extrêmes, Histoire du court XXe siècle (1914- volume du PNB par habitant croît à un rythme annuel de 3,9 %, soit une multiplication par plus de 2,4 durant ces vingt-trois ans. Le processus d’industrialisation, ancien, franchit un nouveau seuil, imposant ses valeurs et ses modes d’organisation et de consommation (fordisme) à toutes les sociétés. Dans une partie importante du monde, une vaste gamme de produits, notamment manufacturés, devient accessible à de larges couches de la population : on parle de « société de consommation ». Le Tiers-Monde est partie prenante de cet élan de la croissance ; pour autant, sa part dans le commerce international diminue tandis que se creuse l’écart de son niveau de vie avec celui des pays développés. Les années 1974-1975 connaissent un recul du PIB, une montée du chômage et une poussée inflationniste : ce tournant se nourrit de l’ébranlement monétaire de 1971-1973, de l’essoufflement du fordisme, des mutations de la hiérarchie et de la distribution des secteurs de production et du premier choc pétrolier, qui agit comme un détonateur. Elles ouvrent une nouvelle période, à la fois en continuité et en rupture avec les « trente glorieuses » : conjoncture plus cyclique, poursuite de la croissance (le PIB par habitant de l’Inde s’accroît davantage entre 1973 et 1993 qu’entre 1820 et 1973, celui du Japon augmente de 80 % entre 1973 et 1998), augmentation du volume des échanges internationaux, diversification du Tiers-Monde, décrochages sectoriels et régionaux (l’Europe de l’Est dans les années 1970-1980, une partie de l’Afrique), ampleur du chômage – singulièrement en Europe –, accélération de la redistribution des actifs, mise en cause de l’État-providence. Parallèlement, plusieurs phénomènes se conjuguent pour faire du fait migratoire une donnée de base du second XXe siècle : le doublement de la population mondiale entre 1960 et 2000, l’exode rural, les migrations interrégionales vers les zones d’emploi ou vers celles qui offrent une meilleure qualité de vie, les migrations internationales vers les pôles de richesses, les drames qui chassent ceux qui deviennent des réfugiés. Il y aurait aujourd’hui cent cinquante millions de personnes résidant durablement hors de leur pays : un tiers de migrants de travail, un tiers de migrants familiaux et un tiers de réfugiés. L’urbanisation des sociétés, la transformation des modes de vie, les progrès de la scolarisation et la montée en force de la connaissance comme variable économique majeure ne sont pas dissociables des ensembles de faits précédemment évoqués. Ils sont aussi à articuler avec les bouleversements scientifiques et technologiques de la période ; s’il est impossible dans le cadre des cours de faire la 54 1991), est l’exception, et a été édité en Belgique par les éditions Complexe en 1999, 5 ans après sa publication en anglais. L’introduction de l’édition française explique cette localisation et ce retard. Parmi les ouvrages en anglais ou en allemand qui peuvent être utiles, on peut citer ici, parmi d’autres, les approches de David Reynolds, One World Divisible ; a global history since 1945, W. W. Norton and Company, Londres, New York, 2000, ouvrage centré sur la période. Sur « l’histoire connectée », on peut citer un essai « grand public » publié par le même éditeur en 2002, par Tignor R., et al. Worlds together, worlds apart, a history of the modern world from the Mongol Empire to the Present, dont les pages 425 à 462 sont consacrées à la période. Parmi les histoires globales thématiques, on peut citer la tentative de Clive Ponting, Progress and Barbarism : The World in the XXth Century, Chatto and Windus Ldt, 1998, et souligner le dynamisme, dans le cadre thématique plus restreint mais géographiquement nécessairement mondial de l’histoire de l’environnement, Joachim Radkau, Natur und Macht, eine Weltgeschichte der Umwelt, C.H. Beck Verlag, Munich 2002, et, plus centré sur le XXe siècle, J.-R. McNeill, Something New Under the Sun, An environmental History of the XXth Century World, W. W. Norton, Londres New York, 2001. Il faut également se tourner vers des travaux rédigés par des spécialistes venus d’horizons non-historiens et tenter d’en intégrer les travaux : ceux des géographes, des démographes, des économistes, des sociologues, des anthropologues peuvent être lus dans cette perspective. On le voit, le thème oblige l’historien à sortir de la tour d’ivoire dans laquelle la spécialisation universitaire l’enferme trop souvent, et à se confronter à d’autres discours des sciences sociales sur le même objet. – L’industrie au coeur des transformations : Contrairement à ce que le terme de « société de la communication » semble impliquer, nous défendons ici la thèse d’un courant d’industrialisation généralisée, les logiques industrielles pénétrant aussi bien l’agriculture (recul de l’agriculture vivrière, scientifisation de l’exploitation agricole, insertion de la production agricole dans les grands circuits de transformation agroalimentaire, etc.) que le tertiaire. L’informatisation transporte des schèmes et des logiques de production industrielle dans le tertiaire, dans le prolongement de la mécanisation des activités de bureau (voir Delphine Gardey, Écrire, calculer, classer : comment une révolution de papier a transformé les sociétés contemporaines (1800-1940), La Découverte, Paris, 2008). Il est cependant exact que l’informatisation amène avec elle une nouvelle façon d’organiser la société industrielle : « l’industrialisation de la connaissance » en est un exemple. – « Révolutions industrielles » et nouveaux paradigmes techno-économiques : Pour des raisons pédagogiques, nous avons fait le choix de présenter les choses de manière classique, articulée autour du concept de « révolution industrielle », tel qu’il a été revisité par l’économiste Christopher Freeman par sa réflexion sur l’évolution des paradigmes techno-économiques. La tendance actuelle est de parler de première, deuxième et troisième industrialisations. Mais à notre sens c’est une révolution, comparable à la révolution néolithique, qui se déroule depuis 1760 à partir du noyau anglais, pour s’entendre au reste du monde à un rythme beaucoup plus soutenu que celui qui a généralisé l’agriculture à partir du berceau du « croissant fertile » : il y a là une double raison pour utiliser le qualificatif de révolution, et de succession de petites révolutions. Sur les caractéristiques du nouveau système en émergence et leurs conséquences sociales, on pourra lire par exemple : C. Freeman, H. Mendras (dir.), Le paradigme informatique : technologie et évolutions sociales, Descartes & Cie, Paris, 1995. – Au coeur des « 2e et 3e révolutions industrielles » se trouve la production scientifique et technique, dont les évolutions font l’objet de travaux d’historiens des sciences et des techniques. Sur ce thème et leur place dans le champ des sciences humaines, on pourra utilement se reporter à Dominique Pestre, Introduction aux Science Studies, coll. « Repères », La Découverte, Paris, 2006, historien des sciences à l’EHESS. On peut aussi lire du même auteur la conférence donnée, à Paris, le 25 septembre 2007 lors de la présentation des nouveaux programmes Histoire et Géographie de ST2S organisée par l’Inspection Générale. Dominique Pestre, Entre techno-science, industrie et régulations étatiques dans le cadre de l’État-nation : mettre les années 1870-1970 en perspective (voir http://www.pedagogie.acnantes.fr/1197557928609/0/fiche___document). recension de ceux-ci et a fortiori de les analyser tous, il serait important d’aider les élèves à en percevoir les axes majeurs et de travailler un exemple, y compris par appel aux enseignants des disciplines scientifiques et technologiques ou à un intervenant extérieur. C’est dans ce cadre d’ensemble que s’inscrit la révolution informatique du dernier quart du XXe siècle, qui induit une mutation de la défense, de la recherche, de la production et des échanges. Fondé sur les découvertes des années 1950-1970, le parc d’ordinateurs connaît un développement étonnant et ses usages se diversifient. Alors que le premier micro-ordinateur est mis au point en 1978, il s’en vend soixante millions en 1995. Une des conséquences est l’émergence de l’Internet. Né aux États-Unis à la fin des années 1960, ce dernier s’ouvre au grand public et amorce une croissance vertigineuse au milieu des années 1990 ; on évalue le nombre de ses utilisateurs à cinq cents millions en 2002. Ces mutations récentes accentuent fortement un trait plus ancien du XXe siècle : la tendance à la mondialisation de la culture. Cette analyse s’appuie sur des réalités inégalement mesurables : la capacité qu’ont des entreprises de fabriquer et de diffuser des produits culturels à une échelle mondiale, l’acquisition ou au moins la connaissance par des millions de gens desdits produits, l’homogénéisation des références et des pratiques culturelles, déjà induite par les progrès du cinéma, de la radio et de la télévision et le développement des satellites de communication depuis la décennie 1960. Dès 1962, Marshall McLuhan ne lançait-il pas l’idée de « village planétaire » dans sa Galaxie Gutenberg ? Existe-t-il effectivement aujourd’hui une culture-monde ? Si la tendance n’est pas niable, on sait qu’elle est inégalement à l’oeuvre et qu’elle rencontre des résistances tout autant qu’elle induit un métissage culturel créatif. L’enjeu, qui ne se limite pas à l’industrie du divertissement, est en tout cas majeur et se traduit par des affrontements et des compromis périodiques. Dès les années 1970, lors de discussions menées dans le cadre de l’Unesco, des pays du Tiers-Monde demandent que l’on pose les bases d’un «nouvel ordre de la communication» ». 55 Cette phase se décline en fin de période par une façon de faire des sciences et techniques que D. Pestre et Amy Dahan appellent un « régime de guerre froide », qui s’achève aujourd’hui, les contours de la nouvelle façon de faire étant encore flous. Amy Dahan tente une prospective en défendant la perspective d’un « régime climatique » dans un travail récent (A. Dahan (dir.), Les modèles du futur. Changement climatique et scénarios économiques : enjeux politiques et économiques, La Découverte, Paris, 2007). Leurs travaux ne sont pas sans faire écho dans la sphère historienne aux travaux d’économistes dits de l’École de la régulation. – L’articulation entre l’économique et le social : les apports de la « théorie de la régulation » : La théorie de la régulation a été formulée dans les années 1980 par un groupe d’économistes du Centre pour la recherche économique et ses applications (CEPREMAP), réfléchissant sur la crise économique des années 1970. Pour simplifier, dans la perspective régulationniste, la sphère économique évolue plus vite que la sphère sociale, ce qui induit des phases de décalage créatrices de crises, jusqu’à l’instauration temporaire d’une certaine harmonie. On pourra lire utilement sur elle l’ouvrage de Robert Boyer, un de ses principaux fondateurs, La théorie de la régulation. 1. Les fondamentaux, coll. « Repères », La Découverte, Paris, 2004. L’économie marque incontestablement les sociétés de la seconde moitié du XXe siècle. Après les destructions sans précédent de la Seconde Guerre mondiale, les pays développés à économie de marché connaissent une croissance spectaculaire, appuyant leur reconstruction sur la prospérité renforcée des États-Unis. Ces derniers sont doublement motivés dans leur aide aux pays occidentaux et au Japon : leur industrie exige des clients solvables et à hauts revenus pour éviter la surproduction, et la « guerre froide » qui débute impose de repousser la tentation du communisme par des perspectives de développement. Le libéralisme est pourtant désormais teinté d’interventionnisme étatique, dans la lignée des années 1930, et même d’encadrement international : pour la première fois est mis en place un véritable système monétaire international, jusque dans les années 1970, tandis que progressent les échanges et que s’ouvrent, surtout à partir des années 1960, les économies. La croissance qui ralentit alors dans les PDEM se diffuse dans le même temps aux pays émergents. La fin du siècle constitue ainsi une nouvelle mondialisation où triomphe universellement la société de consommation, rajeunie dans l’ère du tout communication. Comment expliquer la croissance exceptionnelle de l’économie mondiale ? Quelles ont été ses répercussions sur les sociétés ? Nombreux sont les facteurs qui expliquent la croissance exceptionnelle de l’économie mondiale depuis 1945, et particulièrement celle des pays développés : facteurs démographiques (croissance puis recul des taux de natalité, recours à l’immigration) ; évolution des sciences et des techniques, révolution informatique ; essor sans précédent de la productivité ; multiplication des échanges commerciaux entre les pays ; facteurs politiques enfin (le choix de la voie capitaliste ou communiste ; la conduite d’une politique libérale par exemple). Les bouleversements économiques ont des répercussions sur les sociétés : l’urbanisation s’accélère tandis que les campagnes se vident ; le niveau de vie et les richesses augmentent, faisant reculer la pauvreté et l’exclusion sans pour autant les éradiquer ; certaines catégories sociales sont en difficulté ou en crise (paysans, ouvriers, mineurs, petits artisans et petits commerçants), tandis que d’autres s’affirment et prennent une place de plus en plus importante dans la société, les classes moyennes et la figure du cadre en particulier. À la faveur de ces recompositions, des résistances se manifestent, des crises d’identité parfois, et de nouvelles sociabilités se créent. La mise en place de la société de consommation et de la société de communication – cette dernière étant appelée à connaître un zénith avec l’avènement de la mondialisation –, sont deux faits de civilisation marquants de la période qui s’ouvre en 1945 et se poursuit aujourd’hui. Le thème de la mondialisation de la culture, qui alimente une abondante littérature et devient l’objet de débats politiques ou intellectuels souvent passionnés, conduit à interroger simultanément la civilisation matérielle et ses ambitions culturelles. Quels sont les grands moments des évolutions esquissées ci-dessus ? Le cadre chronologique peut-être découpé en plusieurs périodes bien distinctes : 56 la Reconstruction (1944-1950), l’essor des Trente Glorieuses (1950-1973), puis la croissance dépressive à partir de 1973. La coupure de 1973 est certes pratique, car hautement symbolique et désormais entrée dans les moeurs, mais elle ne doit pas cacher les dysfonctionnements que connaissent la plupart des pays développés dès la fin des années 1960. L’idée générale est qu’on est passé, à compter de 1945, du modèle de la « société industrielle » au modèle de la « société de communication », expression dont la divulgation date des années 1970. Autrement dit : d’une organisation sociale déterminée par un système productif dominé par les activités et les techniques industrielles à des sociétés dont les structures et les rapports sociaux sont de plus en plus fondés sur les technologies, la production et les échanges d’informations. C’est le sens de l’évolution globale, à l’échelle du monde, des économies et des sociétés à partir de la seconde moitié du XXe siècle. Mais, bien entendu, ce schéma ne doit pas masquer les grandes inégalités de développement entre pays anciennement industrialisés et nouveaux pays industriels et, plus encore, avec les pays n’ayant pas même accédé au stade de l’industrialisation. Cette évolution d’ensemble a d’ailleurs eu pour effet de provoquer l’éclatement de la notion (forgée dans les années 1950) de Tiers-Monde, accélérant le développement d’un certain nombre de pays alors considérés comme en voie de développement et enfonçant encore plus dans le sous-développement les pays les moins avancés. Ce sujet doit permettre d’aborder les processus de croissance, de dépression et de mondialisation dans leur complexité, en effectuant un va-et-vient incessant entre histoire économique, histoire politique, histoire sociale et culturelle, géographie et sociologie. L’histoire des représentations doit également être mobilisée : comment une telle histoire fut-elle perçue par ses contemporains ou ses acteurs ? Le témoignage de Georges Perec dans Les Choses (1965) ou celui de Georges Friedmann dans Où va le travail humain ? (1967) sont à cet égard d’une grande valeur. 1973 : une rupture ? de type conjoncturel ou de nature structurelle ? La chronologie de cette évolution est construite autour de la rupture conjoncturelle du premier choc pétrolier de 1973 : c’est la fin de la croissance économique rapide et continue et l’entrée dans une croissance économique ralentie et discontinue, faisant alterner reprises et récessions. Mais l’importance de la rupture conjoncturelle de 1973 ne doit pas occulter le fait que les structures économiques et sociales sont plus visqueuses que les cours du pétrole : la mutation des sociétés industrielles en sociétés de communication constitue un processus de longue durée et il faut bien souligner que les formes de l’ancien modèle continuent à être présentes alors même que les dynamiques du nouveau modèle sont déjà effectives. Accident conjoncturel ou changement profond ? En 1979, les analyses manquent de recul : les deux crises pétrolières se sont succédé sans que l’on ait encore connu le mécanisme du contre-choc pétrolier. D’où une explication causale simple, peu satisfaisante pour les historiens : la crise économique est fille du choc pétrolier. L’autre explication, reposant sur un diagnostic d’usure du modèle capitaliste triomphant des Trente Glorieuses, conduit à voir dans la crise un retournement profond de tendance (la phase descendante d’un cycle de Kondratieff par exemple). La décélération commence avant le choc pétrolier de 1973 (théorie de Schumpeter qui considère que c’est dans la croissance que l’on retrouve les germes de la crise). Crise, dépression, récession ? Nous avons préféré l’expression « croissance dépressive » à celle de « grande dépression » plus couramment utilisée, mais qui a le tort de laisser croire que la croissance a disparu, ce qui n’est pas le cas. En effet, malgré les difficultés incontestables que connaissent les sociétés occidentales – montée des inégalités, chômage, etc. – la croissance est toujours au rendez-vous, quoique ralentie. Reconversions industrielles et chômage sont deux phénomènes majeurs de cette période. Une troisième révolution industrielle : les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) Si l’on prend le terme innovation dans son acception classique, c’est-à-dire la mise au point d’une idée nouvelle insérée dans les circuits de production ou de 57 vente, et si on l’applique à la période qui commence à partir des années 1990, on ne peut que constater que l’on est bien entré dans ce que l’on appelle une révolution de l’information. La révolution informatique jointe à la révolution des satellites permet la transmission de l’information en temps réel, fait entrer le monde dans une société de la communication. Ces innovations ont de plus un effet multiplicateur, puisque, très souvent une amélioration permet plus de productivité, ce qui nécessite en amont et en aval des capacités encore accrues de production, de transformation et/ou de transport ; d’où la nécessité d’innover dans les secteurs périphériques – qui demandent eux-mêmes ensuite plus de productions. Le secteur recherche-développement devient désormais une des clefs de ce que l’on appelle parfois la Nouvelle économie. Ainsi, le progrès technique né dans les années 1970, perfectionné dans les années 1980, a-t-il bien stimulé dans les années 1990 la croissance économique – annuellement, celle des Etats-Unis dépend pour 40 %, des industries de communication au sens large. Certains n’hésitent pas à parler aujourd’hui de « nouvelle révolution industrielle ». Les découpages de l’ère industrielle sont multiples et contestables : si l’électrification et les nouvelles méthodes de travail du début du XXe siècle sont incontestablement un tournant, certains voient dans le nucléaire, rupture technologique majeure, une troisième révolution. Celle de l’informatique et de l’électronique est pour le moins aussi importante, même si, en 1982, Michel Albert ne peut y voir que l’extraordinaire mutation de la miniaturisation des informations à travers le perfectionnement des microprocesseurs et leur démocratisation. La fluidité des échanges que permet depuis la numérisation des données est l’autre versant de cette révolution. Par ailleurs cette nouvelle phase est marquée par un transfert d’activités vers le Sud, les délocalisations, filles des facilités du transport et de la recherche des avantages comparatifs dans la nouvelle division internationale du travail. Il faut allier les analyses de la conjoncture et des structures et marier les explications relevant à la fois du niveau de l’offre, de la demande et des marchés ; cela reflète les principales méthodes de la recherche actuelle en histoire économique et sociale. Pour rendre compte, à un niveau plus structurel, des grands types d’explications des transformations économiques et sociales rapides qui ont marqué le monde au cours du second XXe siècle : – L’hypothèse du passage du système technique de la deuxième à la « troisième révolution industrielle ». C’est tenter d’expliquer les évolutions économiques et sociales et les transformations des systèmes productifs du point de vue de l’offre (c’est-à-dire le côté des producteurs). On peut mettre l’accent sur l’exemple de la révolution de l’informatique. – L’hypothèse d’une généralisation au plan mondial des pratiques et des valeurs dominantes de la société de consommation. C’est cette fois envisager les évolutions du système productif du point de vue de la demande (c’est-à-dire le côté des consommateurs). – L’hypothèse d’une mutation dans les modalités de l’échange des hommes, des biens et des services qu’on peut décrire comme le processus allant de l’internationalisation à la «mondialisation » des économies et des sociétés. C’est, enfin, rechercher le moteur des transformations du point de vue du marché (c’està-dire le côté des échanges qui mettent en relations producteurs et consommateurs). Cette problématique peut être illustrée d’une part au moyen d’une approche cartographiée et d’autre part par un dossier documentaire consacré à la question spécifique de la culture dans la mondialisation. Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : Quels liens unissent la société actuelle, dominée par les effets de la révolution des technologies de communication, et la société du triomphe industriel des Trente Glorieuses dont elle est issue ? Le « village mondial » Le livre de 1962 de Marshall Mc Luhan, The Gutenberg Galaxy, établit l’invention du caractère mobile comme matrice de l’individualisme. L’ère Marconi, celle de la télévision lui succède, avant (le titre date de 1968) l’émergence d’un village global, dans lequel, selon le sociologue canadien, La démarche consiste à analyser les relations qui ont existé, dans la période, entre les évolutions dans les manières de produire des richesses (« le système productif », incluant les techniques de production, mais aussi les formes d’organisation du travail), les façons d’échanger ces richesses («le marché») et les modes de vivre 58 ensemble (les structures et les rapports sociaux, mais aussi les mentalités et les idéologies). Cette analyse est conduite ici d’un point de vue mondial, mais aussi en prenant appui sur des exemples nationaux. On évitera donc un plan chronologique du type : I) L’industrie au service de la consommation. (1945-1970) II) Crise ou mutation ? (1970-1980) III) Nouvelle économie et évolutions sociales au XXIe siècle L’analyse de cette mutation sociale peut être menée selon trois directions de recherche principales : 1. Les transformations du système productif : de l’usine taylorienne à l’entreprise en réseau. 2. Les évolutions des sciences et des techniques : de la Deuxième à la Troisième Révolution technologique. 3. Les transformations des échanges : de l’internationalisation à la mondialisation des marchés. La société de consommation et L’ère de l’opulence John K. Galbraith (1908-2006) est un économiste canadien qui a conseillé plusieurs présidents démocrates (Roosevelt, Kennedy, Johnson). Dans son ouvrage, L’ère de l’opulence, paru pour la première fois en 1958, il montre que la consommation est impulsée par les grandes entreprises, qui imposent leurs produits sur le marché (par la publicité) et fixent les prix indépendamment de l’offre et de la demande. De tradition keynésienne, il estime que l’État a un rôle important à jouer dans le domaine économique. Galbraith, analyste de la grande entreprise américaine, est aussi un critique mordant de la société de consommation triomphante des années 1950. Le crédit systématisé, malgré le souvenir amer de son rôle dans la crise de 1929, fait de la consommation des ménages le moteur de la croissance américaine, au détriment de l’épargne. Ce modèle d’endettement est permis par la domination du dollar, qui permet aux États-Unis d’exporter leurs dettes. La publicité n’est pas non plus une nouveauté, mais elle perfectionne son efficacité et s’appuie sur de nouveaux supports, notamment la télévision. Art et société de consommation Le dossier rassemble trois oeuvres issus du mouvement du Pop art qui s’est développé en Grande-Bretagne et aux États-Unis dans les années 1950-1960. Les trois artistes ici représentés sont nés dans les années 1920 et figurent parmi les représentants principaux de ce courant. Eduardo Paolozzi et Richard Hamilton sont britanniques. Paolozzi est né le 7 mars 1924 à Leith au nord d’Edimbourgh, Richard Hamilton à Londres en 1922. Après avoir fréquenté la Slade School of Art de Londres, ils participent à la fondation du Groupe Indépendant, groupe qui organise en 1956, à la Whitechapel Art Gallery de Londres, l’exposition « This is tomorrow » qui marque la fondation du Pop art britannique. Andrew Warhola, plus connu sous le nom d’Andy Wahrol, né le 6 août 1928 à Pittsburgh, est américain. Après des études au Carnegie Institute of Technologie, il s’installe à New-York, où il commence à travailler comme dessinateur publicitaire pour Vogue et Harper’s Bazar. En 1952, il organise sa première exposition à la Hugo Gallery à New-York. Entre 1953 et 1955, il devient créateur de costumes dans une troupe de théâtre et s’affuble d’une perruque platine qui va être durablement associée à son image. Il faut attendre 1960 pour qu’il réalise ses premiers tableaux inspirés des Comics. Le tournant décisif a lieu en 1962 à New York : il participe avec Roy Lichtenstein et des artistes français, comme Yves Klein et Nikki de Saint-Phalle, à une exposition majeure du Pop art et du Nouveau réalisme sous le nom de The New Realists. Le terme de « Pop art » a été utilisé pour la première fois en 1953 par le critique d’art Lawrence Alloway. Richard Hamilton le définit ainsi : « Populaire, éphémère, remplaçable, peu coûteux, fabriqué en série, jeune, spirituel, sexy, plein de trouvailles, séduisant, grandes affaires ». Comme le montre les trois oeuvres de ce dossier, les artistes pop rompent avec l’expressionnisme abstrait, très en vogue depuis la fin de la guerre, et entament un retour au réel, réel qu’ils identifient à la société de consommation ainsi qu’à la culture publicitaire et populaire qui s’épanouit avec elle : l’American way of life devient la matière première de leur travail. Andy Wahrol s’est fait une spécialité de mettre en scène les icônes (Marylin Monroe) et les objets quotidiens et banals de la société de consommation (les l’information circule de manière instantanée d’un bout à l’autre de la planète. Autant que le nombre de morts, c’est effectivement leur exploitation télévisuelle qui intéressait les terroristes du 11 septembre. Si « village global » il y a, ce dernier est essentiellement limité au monde occidental et capitaliste. Nuançons donc les prévisions de Zbigniew Brzezinski et d’Alain Finkielkraut, qui prévoyaient « une intimité mondiale sans précédent » pour des « hommes planétaires ». En effet, l’Amérique Centrale et l’Amérique du Sud, mais surtout l’Afrique, le Moyen-Orient, l’Asie et la zone Pacifique sont mal équipés en ordinateurs reliés à Internet. L’opposition ancienne entre Nord et Sud n’a pas disparu dans le domaine des communications en 2002. On retrouve aussi ce décalage entre les civilisations concernant l’équipement en téléphones mobiles ; même si cette technologie tend à se répandre partout. À travers l’exemple de Renault, on montre l’évolution quasi copernicienne de l’industrie automobile en France. La logique de croissance de Renault s’inspire toujours des politiques de développement de ses concurrents – les anticipant aussi, parfois – Ford en son temps, Toyota ensuite. La première image nous montre une chaîne de montage en 1952 sur le site de BoulogneBillancourt (construite afin de concurrencer Citroën sur l’île Seguin, en région parisienne) : dès 1929, la première chaîne de montage ouvre ; en 1937, l’usine est terminée. Deux ouvriers travaillent sur cette chaîne où cohabitent encore hommes et machines – il s’agit ici des machinestransferts inventées par Pierre Bézier. La deuxième photographie a laissé place nette aux machines. Désormais, nous sommes dans l’ère de l’automation, et la machine a complètement remplacé l’homme dans l’exécution des tâches. La fin de l’île-usine de Billancourt est en ce sens emblématique des nouvelles orientations de Renault en particulier, et de l’industrie automobile en général. La verticalité de la grande usine, son « enclavement » dans une région de plus en plus saturée avaient rendu ce site obsolète ; la grande grève de 1985 allait sonner le glas de ce site désormais anachronique : trop d’hommes sans doute, réunis sur de trop petites surfaces désormais inadaptées à la nouvelle donne de l’industrie automobile. En 1992, la fi n de Boulogne-Billancourt sanctionne la fi n d’une époque. Maubeuge (Nord-Pas-de-Calais), c’est tout autre chose : une usine située au coeur des réseaux de distribution européens, près de la frontière belge ; elle s’étale sur une grande superficie. Sur ce site peuvent se conjuguer sans entrave les nouvelles consignes de la production automobile : robotique, informatique, 59 boîtes de soupe Campbell). Dans ce tableau, composé de 7 rangées de 30 bouteilles de Coca-cola, il souligne le caractère reproductible et impersonnel des produits fabriqués de manière standardisée dans les usines taylorisées. La technique utilisée – la sérigraphie – accentue l’aspect artificiel de ces bouteilles. Wahrol ne les peint pas lui même mais il les reproduit à l’aide d’un procédé emprunté à l’industrie publicitaire. Au lieu d’un objet concret, c’est donc une technique qui entre discrètement, presque en sous-main, dans l’oeuvre. À l’image de la logique marchande, ces bouteilles trompent l’oeil et l’esprit. À leur réalité se substitue une image sérielle, froide et déréalisante qui symbolise les productions d’une société dépourvue de véritable substance et d’âme. Sir Eduardo Luigi Paolozzi, artiste avant tout sculpteur, Écossais d’origine italienne né en 1924 est un des premiers représentants du Pop art britannique. Il inclut, dès 1947, dans son collage I Was a Rich Man’s Plaything (Tate Gallery, Londres), une pin-up, une bouteille de Coca-Cola et le mot « pop ». Membre du Young group, il représente une nouvelle génération d’artistes en rupture avec la culture élitiste, qui s’intéresse aux effets de la société moderne et de la communication de masse sur la perception du monde et sur l’art. Dans ce collage, Paolozzi met côte à côte des figures et des objets emblématiques de l’imagerie populaire, publicitaire et médiatique de l’Amérique de l’après-guerre : une ménagère et une starlette d’Hollywood, associées à un rouge à lèvres, forment les deux représentations dominantes de la femme ; un couple sur une moto et une automobile renvoient à l’exaltation de la vitesse, de l’autonomie et de la liberté ; la boîte de jus d’orange, dont la marque donne le titre au tableau, au règne du produit standardisé ; l’appareil de TSF au rôle nouveau joué par la communication. Au fond, une horloge semble donner le mot d’ordre de cette société de consommation : « Time is money ». Présenté lors de l’exposition de la Whitechapel Art Gallery de Londres en 1956, ce collage constitue un des oeuvres fondatrices du Pop art britannique. Hamilton met en scène un couple caricatural – monsieur muscle attifé d’une sucette pop, une strip-teaseuse – dans un appartement doté de tous les attributs de la culture et du confort modernes : journal, magnétophone, télévision, couverture d’une bande dessinée à succès ; canapés, aspirateur, grille-pain. Un abat-jour est en partie recouvert par le logo de Ford tandis que le plafond lunaire fait référence à un des grands mythes de la société américaine : celui de la conquête de nouvelles frontières, la conquête de l’espace en l’occurrence. Hamilton renvoie l’image d’une société dominée par les objets et par les productions de la culture de masse. Le point de vue de l’artiste est mitigé. L’univers représenté dans ce collage apparaît aseptisé et artificiel et les deux personnages centraux seulement soucieux de leur corps et de leur apparence. Hamilton éprouve néanmoins une certaine fascination pour cette nouvelle société en voie d’émergence. Caddie et abbé Pierre La fuite en avant dans la consommation correspond à une nouvelle aliénation, dénoncée du point de vue de la défense des consommateurs par le mouvement consumériste, popularisé en Californie par Ralf Nader, et théorisé par les situationnistes français des années 1960 (Guy Debord), puis par le philosophe Jean Baudrillard. L’aspect peu avenant de la consommatrice, antithèse des modèles répandus par la mode et le cinéma, sa surcharge pondérale comme les aliments industrialisés de son caddie, tout contribue à inscrire cette sculpture hyperréaliste dans la même veine dénonciatrice. La précarité prend de nouvelles formes dans les années 1980. Les nouveaux pauvres, pudiquement camouflés derrière l’acronyme administratif de SDF remplacent les sans-logis de l’abbé Pierre des années 1950. Dans « Iconographie de l’abbé Pierre », Roland Barthes montre que la posture et l’accoutrement de l’abbé Pierre participent pleinement à sa popularité (dans Mythologies, éditions du Seuil, 1957). La figure du fondateur des chiffonniers d’Emmaüs quitte brutalement les pages des Mythologies de la IVe République de Barthes pour s’installer en force parmi les footballeurs en tête des classements de popularité des célébrités. Cette photo peut par ailleurs se lire comme l’antithèse de la sculpture de Hanson : l’emblème de la société de consommation, le caddie, est désormais utilisé pour trimbaler les très relatives richesses de tous ceux que l’État-providence n’assiste plus. La société de consommation « Moulinex libère la femme » proclame une réclame contemporaine en France. politique du « juste à temps ». À noter également que Maubeuge participe de la charte de l’Agenda 21 en ce qui concerne le développement durable. Georges Perec Les Choses. Georges Pérec (1936-1982) a 29 ans et est un auteur totalement inconnu lorsqu’il reçoit en 1965 le prix Renaudot pour son roman Les Choses. Dans ce texte d’avant-garde, devenu un classique, il met en scène un couple, Jérôme et Sylvie, qui ne rêve que de standing, de confort immobilier, de train de vie et de bonheur vestimentaire. La société qu’il décrit est une société organisée sur le modèle du supermarché, dans laquelle l’activité essentielle de chacun de ses membres consiste à pousser le chariot et à consommer. Court et accessible, ce roman nous plonge au coeur des années 1960, durant lesquelles la société de consommation triomphe. Confronter des objets à cinquante années d’intervalle permet de saisir l’ampleur des progrès technologiques qu’ont connus les pays développés. Ces choses symbolisent aussi l’avènement de nouvelles pratiques sociales et culturelles. Ces objets sont représentatifs de la société de consommation car, assez rapidement après leur lancement, ils sont produits et diffusés en très grand nombre, démocratisés en somme. Ils sont aussi représentatifs de la mise en place d’une société de communication car tous sont des médias, au sens où ils créent du lien et permettent de diffuser des informations. Il existe une grande différence entre les prototypes ou les premiers objets de chacune de ces catégories, et les objets que nous utilisons quotidiennement aujourd’hui. En cinquante années, leur design et leur format ont évolué vers une plus grande fonctionnalité et, surtout, ils ont rétréci. On passe ainsi du téléphone fixe au téléphone portable, de la salle d’ordinateur à l’ordinateur de bureau (et même au portable), d’un magnétophone lourd et disgracieux à un baladeur discret et multifonctionnel. Ces évolutions témoignent de l’efficacité de la recherche et de la production dans les domaines de l’électronique : révolution de la puce, puis celle du numérique. D’un usage professionnel (pour le téléphone et le magnétophone des années 1950) et parfois collectif (l’ordinateur de 1952), on passe à une utilisation individuelle et personnelle de l’objet. Cette appropriation va dans le sens d’une individualisation de ces objets, qui pourraient passer pour des symboles d’une société où la place de l’individu grandit, tandis que celle des groupes s’efface. Vie professionnelle et vie privée se confondent 60 Ici s’étale la modernité électrique et le gaz qui doit permettre une simplification des tâches. Les arts ménagers permettent des ruptures dans l’alimentation et le travail domestique, notamment avec la généralisation des réfrigérateurs et des cuisinières au gaz. Pour autant, les tâches restent très sexuées, et le modèle bourgeois de la femme au fourneau persiste, alors même que le taux de féminisation du travail progresse fortement. Pour quelles raisons la croissance ralentit-elle après 1973 ? L’expression « les Trente Glorieuses » a été employée par l’économiste français Jean Fourastié, en référence aux trois journées révolutionnaires de 1830, pour désigner les transformations profondes qu’ont connues les structures économiques et sociales dans les pays développés entre 1945 et 1975. L’analyse de Jean Fourastié (1907-1990) repose sur le cas français. Il met en évidence vingt-cinq années de « temps faciles » pendant lesquelles la France a profité de la croissance mondiale ; cette dernière reposant, selon lui, sur une longue période où progrès techniques, progrès économiques et progrès sociaux s’interpénètrent. Une partie du monde – les pays industrialisés – est bel et bien en développement, et la population bénéficie des fruits de la croissance : la France appartient à cette catégorie de pays. Les principaux facteurs de blocage après 1973 se retrouvent dans les quatre assertions de Jean Fourastié : – des pays industrialisés qui manquent de matières premières et de sources d’énergie ; – l’industrialisation de certains pays du tiers monde (il fait allusion aux NPI) ; – la désorganisation du commerce international : les différents Rounds du GATT n’aboutissent pratiquement jamais ; – un système monétaire international qui perd ses repères – notamment à partir de 1971 où le dollar n’est plus convertible en or – consacre l’éclatement du système de Bretton Woods. À partir de 1973, à l’initiative de l’Europe, l’adoption de changes flottants induit, de fait, un nouveau système monétaire international sans qu’une conférence internationale n’en définisse les règles. Les accords de la Jamaïque se bornent à entériner le flottement des monnaies et à démonétiser l’or (1976). Ce texte reste toujours d’actualité car Jean Fourastié semble avoir anticipé la remarquable capacité d’adaptation du système libéral, qui triomphe après l’éclatement de l’URSS, ainsi que l’avènement d’une croissance ralentie. Le texte du document se poursuit par la phrase suivante : « Faute de régulation à l’échelle mondiale, tout porte à croire qu’elle sera plus dure encore que dans le passé aux peuples qui n’auront pas les réflexes des forts ». Ainsi, Jean Fourastié a bel et bien anticipé l’âpreté de la lutte économique, et l’inexorable paupérisation des pays les plus démunis. Reste à savoir si l’organe de régulation évoqué – aujourd’hui l’OMC – a les moyens ou la volonté d’imposer de nouveaux équilibres. Les pays industrialisés ont connu une croissance économique exceptionnelle entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et le choc pétrolier de 1973. Les taux de croissance moyens de la période ont été trois à quatre fois supérieurs à ceux de la période 1913-1950. Cette période a été qualifiée par l’économiste français, Jean Fourastié, de «Trente Glorieuses » en référence aux journées révolutionnaires de 1830. On peut s’interroger sur le caractère vraiment radical des transformations qui ont alors marqué les économies et les sociétés industrialisées. On pourra de la sorte chercher à comprendre la part de mythe et de réalité que recouvre cette expression forgée après coup, en 1979. – Une croissance sans précédent de l’économie : entre 1951 et 1973, la croissance des principaux pays a été beaucoup plus rapide que dans la première moitié du XXe siècle et que depuis le coup d’arrêt lié au choc pétrolier de 1973. On a pu parler pour certains pays de «miracle économique». Cette croissance a été tirée par l’industrie, secteur où les gains de productivité ont été très importants. Cette croissance s’explique par des facteurs techniques, mais aussi par des facteurs structurels. Le travail à la chaîne s’est généralisé dans la période, ainsi que la robotisation des usines. Cet effort d’investissement a bénéficié, en outre, d’un transfert massif de main-d’oeuvre du secteur primaire vers le secteur secondaire. – L’apogée de la société industrielle : la croissance économique des Trente Glorieuses a considérablement transformé les sociétés des pays industrialisés : le aujourd’hui dans l’usage que l’on peut faire du téléphone ou de l’ordinateur portables. L’invasion des objets, la « civilisation de la poubelle » ? Jean Baudrillard (né en 1929), sociologue, est l’un de ces intellectuels français qui, comme Roland Barthes ou Georges Perec, se sont efforcés de donner du sens aux évolutions de la société de consommation et au langage des choses. L’ouvrage du sociologue et philosophe Jean Baudrillard (1929-1987), La Société de consommation, demeure, avec L’Homme unidimensionnel d’Herbert Marcuse (1964), l’oeuvre la plus marquante de cette critique de la société de consommation. Dans ce livre, il montre comment la consommation est devenue le grand mythe des sociétés modernes ainsi que le moteur essentiel des comportements. Soumis à l’empire des « signes » véhiculés par le monde médiatique et publicitaire, l’individu, replié sur la sphère privée, est aliéné à l’univers des objets et totalement coupé du monde réel dans sa totalité. Il a publié Le Système des objets en 1968. Dans ce texte, il explique que la multiplication des biens durables en s’interposant entre les hommes (le recours au téléphone pour se parler) a provoqué une véritable « mutation écologique de l’espèce humaine » : les objets sont devenus les intermédiaires obligés entre les êtres humains, mais aussi entre les hommes et la nature. Cette omniprésence des objets est critiquée par l’auteur qui estime qu’elle est à l’origine d’un gaspillage qui témoigne aussi de l’inégale répartition de l’abondance à l’échelle de la planète. Dans ce tableau, qui appartient à la série des Scapes, dans laquelle l’artiste réunit dans des formats panoramiques une imagerie rassemblée autour d’un même sujet (foodscape, planescape, sciencefictionscape, spacescape), le peintre islandais Erró (né en 1932) souligne à son tour la place envahissante de l’objet. Composée d’automobiles, en plus ou moins bon état, rassemblées dans ce qui s’apparente à une décharge, cette oeuvre donne l’image d’un monde dont l’horizon est bouché par les objets. L’univers d’Erró est aussi un monde illusoire et transitoire qui génère, par l’abondance de sa production, gaspillages et déchets. Pour compléter,on peut mentionner le mouvement hippie, les écrits du Club de Rome qui dès 1972 prône une croissance zéro mais aussi l’oeuvre cinématographique de Jacques Tati (Mon Oncle en 1958, Playtime en 1967). 61 groupe des ouvriers a atteint son niveau maximum, tandis que les paysans disparaissaient au profit d’une petite minorité d’agriculteurs intégrés à la production industrialisée. Les employés et les cadres se sont rapidement multipliés. Dans le même temps, les villes se sont rapidement développées, regroupant plus d’habitants que les campagnes qui se sont vidées. Cette période a ainsi correspondu à l’apogée de la société industrielle. – Le problème du partage des fruits de la croissance. L’augmentation des richesses provoquée par la croissance a posé le problème de leur partage entre groupes sociaux. La généralisation du fordisme a certes permis une élévation globale du pouvoir d’achat. C’est ainsi que le pouvoir d’achat des ouvriers en France a été multiplié par trois entre 1950 et 1975. Cette évolution s’explique par l’efficacité du dialogue social dans la période et le rôle de l’État-providence. Mais elle n’a pas empêché le maintien d’inégalités du haut en bas de l’échelle des salaires et surtout l’existence d’exclus de la croissance (cas des travailleurs émigrés). Comment, après les années 1970, une longue dépression d’un type nouveau et la mondialisation de l’économie dans un contexte libéral engendrent-t-elles une société post-industrielle ? À partir des années 1970, les pays industrialisés entrent dans la crise qu’on attribue, dans un premier temps, au choc pétrolier de 1973 et à l’ébranlement monétaire de 1971/72. La réalité est plus complexe et la dépression de la fin du XXe s. présente un caractère inédit voire « insolite » comme le constate Jacques Marseille dans la revue L’Histoire (n° 279, sept. 2003), en la comparant à celle de 1929. La dépression de la fin du XXe s. apparaît peu comparable au « modèle classique » de la crise de 1929, car dès 1976 la croissance est à nouveau à l’ordre du jour. Les années 1970 ne constituent donc pas la rupture qu’on s’imaginait. Le choc pétrolier de 1973 ne marque plus une rupture décisive. Dès lors, les remèdes préconisés pour « sortir de la dépression » (keynésianisme, monétarisme ou néolibéralisme) ne peuvent plus se concevoir que dans le contexte d’une mondialisation accélérée par les progrès techniques (« troisième révolution industrielle »). Cette mondialisation est le fait marquant de l’avènement de la société post-industrielle. Pourquoi une « nouvelle économie » apparaît-elle à la fin du XXe siècle ? Un nouveau cycle d’inventions décisives Le schéma des phases de croissance du XIXe et du début du XXe siècles de l’économiste J. Schumpeter semble à l’oeuvre au tournant des années 1980-1990. Les innovations qui entraînent de nouveaux besoins arrivent groupées et orientent les marchés dans de nouvelles directions, non sans avoir mis à mal les spécialisations précédentes. Ces « destructions créatrices » voient ainsi, par exemple, la numérisation des informations ruiner le marché traditionnel de la vente de musique sous forme matérielle (CD après les disques vinyles et les cassettes magnétiques), tandis que les fabricants de lecteurs MP3, format conçu exactement 10 ans après le Compact Disc, engrangent des bénéfices consistants (Apple se relance grâce à ses I Pod). La révolution informatique – jointe à la révolution des satellites – permet la transmission de l’information en temps réel, fait entrer le monde dans une société de la communication dans laquelle la maîtrise de la connaissance devient la clé de tous les pouvoirs. La convergence des divers moyens de communication (télévision, téléphone, Internet) marque l’entrée dans la société de la vidéosphère (concept forgé par le philosophe Paul Virilio ; il désigne une société caractérisée par l’omniprésence des messages visuels diffusés par des supports multiples (télévision, Internet, téléphone) à destination d’un public mondial. Chacun a désormais les moyens d’être acteur de ce système. Les secteurs concernés par la nouvelle économie sont en marge de l’industrie traditionnelle (informatique, électronique, télécommunication), voire en dehors (biotechnologies). Ces dernières profitent des avancées de la science pour renforcer la marchandisation d’un service au statut particulier, la santé. L’allongement de l’espérance de vie, partout sensible au Nord malgré le vieillissement (sauf en Russie), le pouvoir d’achat élevé des retraités et l’effacement de l’État providence ouvrent des perspectives favorables aux entreprises du secteur, qui investissent massivement dans une course aux innovations qui peut leur offrir des retombées exceptionnelles. Les industries informatiques progressent par amélioration de leur support matériel, mais aussi Le choc pétrolier Il a correspondu à une hausse brutale du prix du pétrole décidée unilatéralement par les pays de l’OPEP en 1973. Le quadruplement du prix des hydrocarbures a contribué à stopper la croissance rapide qui avait caractérisé les économies des pays développés depuis le début des années 1950 et qui avait notamment reposé sur le bas prix de l’énergie. Le choc pétrolier a également contribué à accélérer l’inflation dans tous les pays industrialisés. Une autre conséquence du choc pétrolier fut de ralentir la consommation d’énergie des pays développés (thème des économies d’énergie) et de modifier la structure de leur bilan énergétique (part croissante des énergies de substitution, comme le nucléaire ou les énergies douces, tels l’énergie solaire ou éolienne). Margaret Thatcher et la dépression Un an et demi après son arrivée au pouvoir, Margaret Thatcher souligne les trois axes de la politique qu’elle souhaite mettre en oeuvre pour sortir le pays de la dépression : lutte contre un pouvoir syndical jugé exorbitant, privatisations massives et lutte contre l’inflation. Née en 1925, cette fille d’épicier, Premier ministre britannique de 1979 à 1990, remet en cause le modèle de développement « keynésien » qui s’est imposé dans les pays occidentaux au lendemain de la guerre. Influencée par les idées de Milton Friedman et de Friedrich Von Hayek, elle souhaite réduire l’interventionnisme étatique et favoriser l’initiative privée en réduisant les dépenses publiques, en allégeant la fiscalité et en libéralisant l’environnement économique. Elle devient, avec Ronald Reagan, le symbole de la révolution néolibérale qui se diffuse dans le monde occidental à partir des années 1980. 62 par la mise au point de nouveaux logiciels. Les années 1990 voient se renforcer les interactions entre l’informatique et les télécommunications, la numérisation permettant de faire transiter toutes les données vers les mêmes supports. Le domaine spatial, pour spectaculaire qu’il soit, n’est pas le plus novateur. C’est probablement la date de 1962 qui est la plus importante ici, même si le lancement par les Américains du premier satellite de communication est resté relativement à l’ombre des exploits soviétiques du moment (premier animal, premier homme, première femme envoyés dans l’espace). De façon plus générale, c’est l’ensemble du secteur tertiaire qui a été révolutionné par l’informatisation, qui a simplifié quantité de tâches et permis ainsi des gains de temps et de productivité comparables à ceux de l’industrie lors de la seconde révolution industrielle. Ici jouent à plein les règles de retour sur investissement de l’innovation : pour un dollar investi dans la recherche fondamentale, la recherche appliquée peut espérer en retirer 10, tandis que l’application industrielle en rapporte 100. D’où la relative stagnation du domaine spatial depuis la fin de la guerre froide, avant une éventuelle relance avec les tentatives de militarisation de cet espace par les Chinois et les Américains depuis 2007. Par ailleurs, ces nouvelles technologies trouvent autant de retombées dans les secteurs du loisir et des jeux, comme l’illustre la photo de l’usine Sega, que dans ceux des télécommunications : se constituent ainsi des groupes puissants, aux frontières de l’électronique et du jeu, fragilisés par ailleurs par la rapidité du vieillissement de ces produits et par les effets de mode. Le progrès technique dans l’industrie informatique et dans les télécommunications entretient, pour l’instant, un cercle vertueux ; on assiste à une diminution des coûts et une augmentation de la productivité dans les secteurs concernés. Mais cela va bien au-delà : bien utilisé, complètement maîtrisé, l’outil informatique stimule les secteurs traditionnels en les contraignant à s’adapter, à changer jusqu’à leur façon de produire et de distribuer. Il permet ainsi d’incontestables économies d’échelle, et augmente encore la productivité. En cela, le progrès technique est bien un élément de la croissance économique (le « wintelisme », néologisme créé par Michael Borrus et John Zysman en 1997 à partir d’« Intel » et de « Windows », défi nit un nouveau modèle productif fondé sur de nouvelles technologies). Selon Michel Goussot (Les États-Unis dans la nouvelle économie mondiale, Éditions Armand Colin, 2000), les nouvelles technologies ont permis aux États-Unis de revenir à des taux de croissance de l’ordre de 3 % à la fi n des années 1990, tout en limitant le chômage et en contenant l’inflation : « la nouvelle économie est en marche, fournissant un modèle que le monde entier suivra. » En permettant la convergence des technologies de l’information et de la communication, Internet et la révolution numérique sont à l’origine de la naissance de la « société en réseau » (Manuel Castells, L’Ère de l’information, 1996). Le réseau Internet est fondé sur l’interactivité, l’hypertextualité et la connectivité. Pour certains spécialistes (Derrick de Kerckhove), ces caractéristiques remettent totalement en cause le système cognitif tel qu’il est apparu à la Renaissance. Désormais, la pensée n’est plus hiérarchique mais interactive, le savoir n’est plus localisé mais dispersé, il n’appartient plus à une élite mais est partagé et produit par tous (Wikipédia). À l’ère d’Internet, la notion d’auteur tend à disparaître au profit de celle du lecteur comme créateur de sens. La révolution de l’informatique a multiplié le volume des informations disponibles et a accéléré leur diffusion sur l’ensemble de la planète. Elle peut faciliter la circulation des idées et des informations au moindre coût et elle constitue donc un facteur de réduction des inégalités de développement. Mais, d’autre part, elle peut aussi accroître le fossé existant entre les pays (ou les groupes sociaux) ayant accès au réseau d’échange d’information et les pays (ou les catégories sociales) exclus par manque d’équipement ou de formation. Une mondialisation contestée La mondialisation est un phénomène incontestable, d’où le changement d’intitulé de ses adversaires au tournant du siècle, d’antimondialistes à altermondialistes. Le mouvement réunit sans vraiment les fédérer des tendances tiers-mondistes traditionnelles, dont l’une des chapelles apparaît ici avec le CCFD, ONG issue de l’Église qui associe à ses actions caritatives des campagnes pour l’annulation de la dette et un meilleur partage des richesses. Joseph Stiglitz situe bien les enjeux : 63 c’est une amélioration des règles des institutions internationales qui peut permettre de corriger le tir. Apparaît à cette époque le néologisme de « gouvernance », pour décrire les meilleurs modes de fonctionnement des organismes capables de peser sur les évolutions du monde. Daniel Cohen et Joseph Stiglitz ne remettent pas en cause la mondialisation en tant que telle. Pour le prix Nobel américain Joseph Stiglitz, renoncer à la mondialisation n’est « ni possible, ni souhaitable ». Pour Daniel Cohen, les critiques résultent du décalage qui existe entre les espoirs que la mondialisation suscite et sa faible incidence réelle sur la vie quotidienne des peuples. Attendue avec impatience par les populations, elle demeure en effet largement inachevée. Joseph Stiglitz met lui en cause la gestion de cette mondialisation. Au lieu de favoriser un développement harmonieux et juste, les politiques néo-libérales mises en place par les institutions internationales servent les intérêts des pays les plus riches. Il plaide en faveur d’une réorientation de ces politiques et d’une réforme de ces institutions. La mondialisation économique concerne au premier chef le marché des produits culturels (cinéma, musique, télévision, sports…). Elle a pour conséquence de développer de manière exponentielle ces produits vendus dans le monde entier (civilisation des loisirs). Mais, par là même, la mondialisation aboutit à uniformiser les pratiques et les représentations culturelles sur le modèle unique de la culture capitaliste américaine. Cette évolution pose le problème de la qualité des productions culturelles et de la sauvegarde de la diversité culturelle dans le monde qui risque de disparaître au profit d’un village planétaire qui ne serait en fait qu’un vaste marché aux productions standardisées et bas de gamme. La création d’Internet La création d’Internet est le résultat d’une coopération entre l’armée américaine et les milieux universitaires. La naissance de l’ARPA est une réponse directe à l’envoi dans l’espace par les soviétiques du premier satellite artificiel, Spoutnik. En 1962, l’US Air force demande à un groupe de chercheurs de concevoir un réseau de communication capable de résister à une frappe nucléaire massive. Paul Baran, chercheur à la Research and Development Association (RAND), propose de créer un système décentralisé susceptible de continuer de fonctionner même si une ou plusieurs machines sont touchées. Son projet est refusé par les militaires mais il est à la base de la mise au point d’Arpanet en 1969. D’abord réservé à une minorité d’usagers, le réseau Internet devient accessible au grand public dans les années 1990. Le tournant décisif s’opère en 1989, avec la mise au point par Tim Berners-Lee, chercheur au Centre européen de recherche nucléaire (CERN), du World Wide Web. Dès lors, les instruments pour faciliter la circulation sur le réseau se multiplient : logiciels de navigation avec Mosaic, Netscape Navigator et Internet Explorer, annuaire avec Yahoo, moteur de recherche avec Google, etc. Dans le même temps, les usages se diversifient et l’essor pris par Ebay témoigne du succès grandissant du commerce électronique. Même si l’usage d’Internet s’est largement diffusé depuis les années 1990, il demeure encore une pratique très minoritaire à l’échelle de la planète : un milliard d’utilisateurs sur plus de 6 milliards d’habitants. De nombreux territoires et populations, notamment dans les zones rurales les moins développées, n’ont pas accès au réseau et sont cantonnés dans une sorte de ghetto cybernétique. Internet instaure de fait une véritable fracture numérique. Réduire cette inégalité est désormais au centre des préoccupations de la communauté internationale, de l’Union internationale des télécommunications notamment (sommets de Genève en 2003, de Tunis en 2005). Paul Ariès, au même titre que Serge Latouche, se rattache au mouvement de la décroissance. À l’image de la canadienne Naomi Klein qui dénonce la tyrannie des marques et des firmes transnationales (dans son ouvrage No Logo), l’auteur dénonce l’injustice et les dangers pour la planète d’un modèle de développement, celui des occidentaux, basé sur le gaspillage des ressources et la consommation effrénée. Reprenant les mots d’ordre du syndicalisme révolutionnaire du début du siècle, il en appelle à une grève générale de la consommation. Comment évolue la condition féminine 64 dans la seconde moitié du XXe s. ? La place de la femme a évolué de différentes manières, selon les domaines et selon les pays. Dans le domaine politique, le droit de vote est une conquête récente. Les femmes y accèdent dans la première moitié du XXe s. dans la plupart des pays occidentaux, puis dans d’autres pays. Seuls deux pays musulmans cités dans le tableau n’ont toujours pas accordé ce droit aux femmes, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis. En ce qui concerne le nombre d’élues, l’inégalité est plus universellement partagée, excepté en Suède et en Chine ; ce taux est en général inférieur à 10 %. Dans le domaine économique, partout la femme participe au travail salarié, avec des taux record en Chine, pays communiste. Les taux de l’ensemble des pays industrialisés dépassent les 50 % ; on parle de « révolution silencieuse ». C’est dans les pays musulmans que ce taux est le plus faible : on y considère encore que la place de la femme est au foyer. Dans le domaine social, on note que le taux de scolarisation dans le secteur primaire atteint quasiment 100 %. Cependant, les taux d’alphabétisation de certains pays restent faibles comme en Iran ou en Algérie. Les tensions politiques, les difficultés économiques expliquent ce phénomène. Dans l’enseignement supérieur les taux n’atteignent que 50 %. Les filles quittent l’école plus tôt que les garçons, avec des diplômes de moindre niveau. Si on assiste globalement à une amélioration du statut de la femme, certaines régressions perdurent comme l’obligation qui lui est faite de porter le voile dans certains pays musulmans. Partout c’est elle qui subit la première les conséquences des situations de crise. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 65 HC – Le modèle américain de 1945 aux années 1970 Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Vaïsse Justin, Le Modèle américain, Armand Colin, 1998, 96 p., coll. « Synthèse histoire ». A. Kaspi, Les Américains, les États-Unis de 1607 à nos jours, 2 vol., Seuil, Paris, collection « Points Histoire », (1986) 2002. KASPI André, Le Watergate : 1972-1974, Bruxelles, Éditions Complexe, collection « La mémoire du siècle », 1983. 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KEROUAC Jack, Sur la route, Paris, Éditions Gallimard, collection « Folio », 2007 (1re éd. 1960). STEINBECK John, Voyage avec Charley, Paris, Éditions Phébus, collection « D’ailleurs », 1995. 66 Documentation Photographique et diapos : PORTES Jacques, « Histoire et cinéma aux États-Unis » in Documentation photographique, n° 8028, 2002. Revues : «L’empire américain », Les Collections de l’Histoire, février 2000, n° 7. « Dossier : Noirs et Blancs », in L’Histoire, n° 306, février 2006. Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : L’analyse des modèles soviétique et américain doit s’inscrire étroitement dans le cadre de l’histoire des relations internationales depuis 1945. En effet, ces dernières se structurent pendant longtemps autour de l’existence et de la confrontation de ces deux universalismes à prétention hégémonique. C’est pourquoi le sujet centre leur étude sur les décennies 1950-1960, période qui marque l’apogée de la bipolarisation du monde. L’emploi de la notion de modèle demande d’insister sur les caractéristiques les plus durables des deux systèmes, de mettre l’accent sur la composante idéologique (valeurs, normes, pratiques culturelles, mythes fondateurs, etc.) et enfin d’expliquer leur force de séduction ou les réactions de rejet qu’ils ont pu provoquer. Une telle analyse ne doit pas se contenter de dégager les invariants des deux modèles ; il faut aussi prendre en compte leur évolution, leur diffusion, leur mobilisation, lesquelles sont souvent fonction de leur confrontation à l’échelle planétaire. Le modèle américain est sans doute à son zénith au lendemain de la guerre. La démocratie américaine, qui impose ses valeurs au monde, notamment à travers la Charte des Nations unies, et le capitalisme triomphant, qui semble fournir un bien être incomparable à une majorité d’Américains (American way of life), fascinent les étrangers, y compris les plus critiques. Ce modèle séduisant est fort de la confiance d’une population, convaincue de la supériorité de son mode de vie, dans un système de valeurs qui fonde la cohésion de la société américaine : c’est la certitude qu’aux États-Unis chaque citoyen est libre et peut réussir, la croyance que Dieu protège l’Amérique, la conviction qu’il y a toujours de nouveaux horizons à conquérir (mythe de la frontière), etc. Les années 1960 semblent un moment de remise en cause du modèle. Cette période voit la prise de conscience de certaines inégalités sociales, le début d’un ralentissement économique et l’essor d’une contestation interne (noirs, jeunes, etc.) ou externe (surtout liée à la guerre du Vietnam). Cependant le modèle américain sait se renouveler, notamment sous la présidence du démocrate Johnson. Les difficultés n’empêchent pas les États-Unis de continuer à faire rêver le monde comme le montre l’importance de l’immigration. L’historiographie des États-Unis n’a pas donné lieu à des débats intenses, mais est fortement marquée par les péripéties de l’affrontement Est-Ouest. Dans le contexte de la guerre froide et du renouveau conservateur américain de l’aprèsguerre, l’histoire, et en particulier l’histoire des idées, devient une arme dans la lutte contre le communisme ce qui aboutit à la production d’une série d’ouvrages ultrapatriotiques. Pour les auteurs de « l’école du consensus », les études historiques sur les États-Unis doivent en effet servir à révéler la supériorité morale de l’American way of life et à montrer que le triomphe de la consommation est l’aboutissement naturel et logique de la démocratie politique. Le rôle déterminant des États-Unis dans la victoire de 1945 les impose comme un modèle que l’historien américain doit légitimer. Cet impératif est au coeur des problématiques historiques de l’après-guerre. Max Lerner écrit en 1957, America as a Civilization, un ouvrage qui met à l’ordre du jour la défense et l’illustration du modèle états-unien. Le Genius of American Politics (1953) de D. Boorstin est un long réquisitoire contre l’idéologisme ainsi que la démonstration que le « génie » américain repose sur la capacité d’engendrer un large consensus sur des questions fondamentales. Daniel Boorstin reprend cette thèse dans The Americans, une histoire des pratiques culturelles, publiée entre 1958 et 1973. Il décrit des communautés qui suivent pratiquement toutes le même modèle, celui de l’homogénéisation qui, donc, apparaît comme le vrai « génie » de la vie américaine. Au cours des années 1960 et 1970, cette école connaît un essoufflement et de profondes remises en question. Une nouvelle école Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO actuel : « On étudie les traits majeurs des modèles soviétique et américain, en se centrant sur les années 1950-1960 » « Accompagnement Tle ES-L : « Les relations internationales de la période se structurent donc en partie autour de l’existence et de la confrontation de deux universalismes : les modèles américain et soviétique. Ceux-ci ne sont immuables ni dans le temps ni, tant ces pays sont vastes, dans l’espace : pour simplifier l’approche, le programme centre leur étude sur les décennies 1950-1960 et sur leurs caractères les plus permanents. Le modèle américain connaît aussi un apogée au lendemain de la guerre. Il se nourrit d’un corps de valeurs : la liberté et la force des contre-pouvoirs ; l’influence du pouvoir judiciaire et de la religion, liée à l’histoire américaine de la démocratie et à l’exercice du civisme ; la confiance dans la valeur régulatrice du marché, la figure positive de l’entrepreneur, la bonne conscience vis-à-vis de la réussite matérielle, la suspicion envers l’action publique, dont un corollaire est l’efficacité des fondations privées ; la capacité à susciter périodiquement de nouveaux horizons : mythe de la frontière ou nouvelles étapes de la modernité économique, dont le pays se veut un laboratoire permanent. L’American way of life fournit un horizon d’attente aux Américains qui n’ont pas encore rejoint la classe moyenne et fascine l’étranger, y compris les détracteurs des États-Unis. La puissance économique et la réussite dont témoigne ce mode de vie concourent à convaincre les Américains de l’exemplarité de leur démocratie libérale. Cette confiance est cependant ébranlée durant les années 1960, qui connaissent de nombreuses inflexions : développement de la réglementation sociale et de l’intervention de l’État – surtout sous la présidence Johnson –, phase d’introspection et de profonde contestation, premiers indices de la crise du fordisme. Pour autant, le rêve américain n’est pas mis à mal, comme en témoignent les chiffres de l’immigration après la libéralisation de celle-ci (1965). » 67 historique, issue de la New Left américaine, rejette l’antimatérialisme et l’anticommunisme qui ont marqué les écrits de bien des historiens dans les années 1950. Radicaux, les jeunes historiens de la New Left font surtout de l’histoire sociale et prétendent que le développement historique est uniquement engendré par des facteurs matériels. Pour la New Left, les idées ne sont pas largement autonomes du socio-économique, comme l’ont prétendu les historiens du consensus, elles y sont entièrement subordonnées. De plus, les historiens de la New Left veulent écrire une histoire pluraliste qui cherche à transcender l’élitisme, le sexisme et l’eurocentrisme de l’école du consensus. Vers la fin du XXe siècle, ce courant historique emprunte de plus en plus aux autres sciences sociales, notamment à l’anthropologie. L’histoire culturelle occupe le devant de la scène. L’histoire des élites est éclipsée par celle de tranches de populations entières comme les noirs – rebaptisés, significativement « Africains-Américains » –, les femmes, les handicapés, etc. L’histoire n’est plus rassembleuse, elle se fragmente tout en se pluralisant. Jean Heffer et François Weil remarquent ainsi que « les séismes politiques des années 1960-1970 laissent une histoire fragmentée, éclatée, ou chaque groupe social ou idéologique peut trouver de quoi satisfaire sa propre quête d’identité ». Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : Le code Hays est un code de censure régissant la production des films, établi par le sénateur William Hays, président de l’Association of Motion Picture Producers, en 1930. Ce texte restera en vigueur jusqu’en 1966. Il faut noter que ce sont les studios eux-mêmes qui se sont imposé cette censure, afin d’éviter une censure extérieure et la multiplication des procès. Surnommé « M. propre », William Hays est chargé d’assurer la moralité des productions d’Hollywood. Le code Hays lutte contre la représentation de la violence au cinéma, mais s’attarde surtout sur les atteintes aux bonnes moeurs. Défense d’un certain puritanisme moral, le code s’emploie à restreindre les situations scabreuses (adultère, baiser, danse…). Parmi ces situations scabreuses, on notera la référence explicite à la mixité raciale, interdite par le code Hays, qui valide les principes de discrimination et les principes de la morale Wasp. Attaché aux vertus patriotiques de l’Amérique, le code interdit les atteintes aux symboles nationaux et contraint les réalisateurs au respect des valeurs religieuses. Le billet d’un dollar américain Le dollar devient la monnaie officielle de la fédération des États-Unis en 1786. Les premières pièces en métal précieux sont émises par le gouvernement fédéral à Philadelphie en 1794. Le département du Trésor édite les premières coupures papier en 1862, pendant la guerre de Sécession. En effet, les pièces de monnaie viennent à manquer et il faut financer l’effort militaire. Tous les billets adoptent progressivement la même taille et la même couleur ; c’est pourquoi on parle couramment de « billet vert ». Pour les différencier, l’habitude s’instaure de mettre sur chaque billet un personnage célèbre sur le recto du billet et un bâtiment ou un emblème sur le verso. Le premier billet de banque d’un dollar est créé en 1862 et porte le portrait du secrétaire du trésor, Salmon P. Chase (1861-1864). C’est seulement en 1869 que George Washington est figuré sur le billet. La face et le revers du sceau américain y sont placés pour la première fois en 1935. La devise « In God We Trust », apparue en 1957, se généralise à partir de 1963 sur tous les billets. Depuis cette date, l’apparence de billet n’a plus changé. Le billet présente les principaux aspects de l’idéologie qui fonde le modèle américain. Sont ainsi rappelés certains mythes fondateurs de la nation américaine comme celui de la frontière (pyramide inachevée), celui de la destinée manifeste (« novo ordus seclorum »), de la capacité à intégrer de nouvelles populations ainsi que la conviction que l’Amérique est une terre promise sous la protection de Dieu. Les symboles choisis montrent aussi l’attachement à la souveraineté du pays et à la liberté chèrement acquise (rappel de la déclaration d’indépendance, aigle, rameau d’olivier et flèches, etc.). Le billet insiste sur la nature fédérale et démocratique du régime Ce document est un extrait de l’audition du réalisateur américain Sam Wood par la Commission des activités antiaméricaines (HUAC : House Un-American Activities Committee) créée par le Congrès en 1938 afi n de mettre à jour toutes les activités subversives susceptibles de porter atteinte aux intérêts américains. À partir de 1947, cette commission a agi sous l’impulsion du sénateur républicain Mac Carthy et utilisé des méthodes dignes de l’inquisition d’où la référence à la « chasse aux sorcières ». Son activité visait tous les milieux, mais elle s’est particulièrement focalisée sur le monde du cinéma hollywoodien en raison de son influence sur les masses. Il est vrai qu’en 1946-1947 des mouvements de grèves avaient éclaté dans les studios. Ils avaient été attribués à des activistes communistes et en 1947 la loi Taft avait interdit aux représentants syndicaux d’appartenir au Parti communiste. Le HUAC comprenait neuf membres dont certains d’extrême droite. Pour les premières auditions en octobre 1947, quarante et un témoins « amicaux », comme Sam Wood, avaient été convoqués. Ils avaient livré dix-neuf noms de scénaristes et réalisateurs. Les audiences suivantes avaient concerné ces dix-neuf « témoins inamicaux ». Dix avaient refusé de répondre à la question : « Êtes-vous ou avez-vous été membre du Parti communiste ? » Les peines qui leur avaient été infligées allaient de six mois à un an de prison pour « outrage au Congrès ». En outre, ils avaient été inscrits sur une liste noire qui les avait condamnés au chômage à leur sortie de prison. Ces agissements ont suscité les protestations d’acteurs comme Humphrey Bogart et Lauren Bacall. Des réalisateurs comme Jules Dassin, Joseph Losey puis Charlie Chaplin se sont exilés. Cependant, le maccarthysme a connu son plein développement à partir de 1949 après l’explosion de la bombe atomique soviétique, la victoire du communisme en Chine et le début de la guerre de Corée. À Hollywood, une deuxième série d’auditions a eu lieu en 1951-1952. De nombreux acteurs et réalisateurs se sont livrés à la délation (parmi eux Elia Kazan). Ces auditions ont 68 été soigneusement mises en scène pour stigmatiser les suspects et frapper les esprits. Ce document témoigne de la psychose qui s’est emparée des Américains au point de remettre en question les libertés fondamentales dans le pays qui se présentait comme le modèle de la démocratie. Il faut noter que la chasse aux ennemis de l’intérieur a pris de bien plus importantes proportions en URSS et dans les pays d’Europe orientale où les partis communistes ont été purgés. Hollywood a fait du rêve américain un de ses thèmes de prédilection. Pendant longtemps, le cinéma a relayé les valeurs de l’American Way of Life comme en témoignent les structures de base de bien des films, fondés, comme La vie est belle, sur un optimisme foncier, une confiance sans faille en l’être humain, une fin heureuse voire, comme ici, exemplaire (happy ending). La conscience que le cinéma exerce une influence particulière sur les masses et peut devenir un efficace outil de propagande explique la vigilance à son égard. Pendant la guerre froide, le Congrès n’hésite pas à mener une enquête dans les milieux cinématographiques pour traquer les idées « subversives ». Le film de Fred Zinnemann, Le train sifflera trois fois, met en scène un héros solitaire comme Hollywood les aime, mais celui-ci se heurte à la lâcheté de la population, vocation sans fard du climat qui règne alors dans les milieux intellectuels aux États-Unis. Dans les années 50, le regard des cinéastes se fait plus critique, plus sensible aux contradictions du rêve américain. Aucun film ne traduit mieux cette évolution que La fureur de vivre de N. Ray. Le film met le doigt sur les limites du rêve : la famille décomposée, l’hypocrisie des adultes, les conflits entre les générations, la vacuité du quotidien… Un héros de l’égalité des droits Earl Warren (1891-1974), né à Los Angeles, commence une carrière d’avocat, puis entre dans la vie politique. Il est gouverneur républicain de Californie de 1942 à 1953, année où il est nommé Chief Justice, président de la Cour suprême, par le président républicain Dwight D. Eisenhower. À la tête de cette institution jusqu’en 1969, Warren exerce une grande influence sur ses collègues et contribue de façon décisive au combat contre les discriminations raciales. Warren obtient le vote à l’unanimité en 1954 de l’arrêt Brown v. Board of Education of Topeka qui fait jurisprudence. Ce jugement déclare que la ségrégation raciale dans les écoles publiques est contraire à la Constitution des États-Unis. Sous l’autorité d’Earl Warren, la Cour suprême, rend de nombreux arrêts portant sur les droits civiques : inconstitutionnalité de la ségrégation raciale dans les transports publics, affirmation de la séparation des Églises et de l’État, respect des droits de la défense dans la procédure pénale. Les combats féministes Betty Friedan (1921), journaliste et docteur en psychologie, publie en 1963 The Feminine Mystique (l’ouvrage a été traduit en français par Yvette Roudy, future ministre de François Mitterrand, La femme mystifiée, Gonthier, 1964). Elle se livre à une attaque en règle du mode de vie de la housewife, mystifiée par la publicité et les médias qui la persuadent qu’elle est vouée au double rôle de mère et d’épouse. Elle critique violemment les théories freudiennes, justifiant la situation subordonnée de la femme par son caractère «biologiquement incomplet ». Pour Betty Friedan, la psychanalyse, nouvelle religion dogmatique, constitue une des pièces maîtresses de l’idéologie dominante élaborée par et pour les hommes. Le succès de l’ouvrage – 1 350 000 exemplaires vendus – montre que les stéréotypes misogynes sont déjà mis à mal. Trois ans plus tard, Betty Friedan et une vingtaine de militantes créent la National Organization for Women (NOW), dont le sigle est à lui seul un programme. Adoptant la même tactique que la NAACP, la NOW veut obtenir par la légalité – et un intense lobbying – une véritable égalité juridique et le droit de maîtriser la fécondité (libre accès à la pilule, droit à l’avortement). Peu nombreuses – la NOW compte 10000 membres en 1971, dont 10 % d’hommes – mais actives, les femmes de la NOW réussissent à étendre leur mouvement et à devenir un groupe de pression reconnu. Mais, cette modération ne fait pas l’unanimité. Les féministes radicales s’en prennent au « chauvinisme mâle », allant quelquefois jusqu’à ostraciser les femmes mariées! Joe Freeman, une ancienne du Free Speach Movement de Berkeley, lance en 1967, le Women’s Liberation Movement (WLM). Des petits groupes multiplient les actions provocatrices : le WITCH (Women’s International Terrorist Conspiracy from Hell) se lance dans des opérations spectaculaires (attaques de dès son origine. Le Congrès (barre horizontale du blason) représente le peuple souverain. Les 13 étoiles, les 13 bandes du blason, sont les 13 colonies qui ont fondé la fédération et rédigé la Constitution (par extension ces signes évoquent aussi les 50 États fédérés qui composent la nation en 1957). La devise « e pluribus unum », première devise nationale, souligne encore cet aspect. Sur le recto du billet, la présence de George Washington, premier président des États-Unis, peut se comprendre aussi comme le symbole du caractère présidentiel des institutions. Jack Kerouac, Sur la route Jack Kerouac, écrivain américain en partie d’origine française, est né en 1922 ; il meurt à 47 ans. C’est l’un des initiateurs du mouvement « beat », qui insiste sur l’épuisement de la civilisation, sur le retour indispensable à l’origine. La société américaine est pourrie par l’argent. Elle ne sait plus reconnaître le caractère sacré de la vie. Il faut, en conséquence, sur les décombres de la société occidentale, par le recours aux drogues, revenir à l’Éros, c’està-dire à la mystique de la sexualité. Kerouac exalte cet idéal dans son ouvrage qui a pour titre On The Road. Il parcourt les ghettos et fréquente le monde des marginaux. Il dépeint le beatnik, cheveux longs et sales, drogué, nihiliste incompris, adepte de la nonviolence et de la liberté d’expression. C’est un avant-goût de la contre-culture des années 1960. « L’autre Amérique » L’ouvrage de Michael Harrington a exercé une forte influence, lors de sa parution. Il rappelle brutalement que, dans cette Amérique de la prospérité, il existe encore près de 40 millions de pauvres. Les ÉtatsUnis ont connu la grande pauvreté dans les années 1930, lorsque la crise économique réduisait au chômage des millions d’Américains. Puis, l’entrée en guerre a stimulé la croissance. L’après-guerre a ouvert une ère de prospérité. Les pauvres ont été oubliés. Michael Harrington, un journaliste socialiste, dénonce en 1962 cette « autre » Amérique, formée de Noirs et de Blancs, de femmes célibataires, d’infirmes, de handicapés mentaux qui bénéficient d’une protection sociale très insuffisante. Il estime que 35 à 40 millions d’Américains sont victimes de la pauvreté. John Kennedy, puis Lyndon Johnson décident de déclarer la guerre à la pauvreté, c’est-à-dire de faire voter des mesures qui poussent beaucoup plus loin les expériences de welfare du New Deal. 69 concours de beauté ; occupation du Stock Exchange, déguisées en… sorcières !) tout comme le SCUM (Society for Cutting Up Men !), À la différence de la nouvelle gauche et du Black power, le féminisme connaît un succès certain. Les femmes obtiennent des résultats à tous les échelons de la démocratie américaine, comme le montre l’arrêt de la Cour suprême en faveur de l’avortement au nom du droit à la vie privée (Wade vs Roe, 1973). Toutefois, le combat pour l’adoption d’un amendement garantissant l’égalité des droits échoue : le projet d’ERA (Equal Rights Amendment) a bien été approuvé par le Congrès en 1972, mais, pour entrer en application, ce XXVIIe amendement devait être ratifié par les deux-tiers des États dans un délai de 10 ans, or cette majorité n’a pu être réunie dans les délais (34 États au lieu de 38). La révolte des jeunes Frank Zappa crée à Los Angeles en 1965 le groupe Mothers of Invention, dont le premier disque, Freak Out (1966), produit par Tom Wilson (producteur de Bob Dylan), constitue le premier concept album de l’histoire du rock. C’est en effet un album dont la trame musicale, textuelle, homogène et cohérente, illustre une même idée. Hungry freaks daddy (3’30) est la première chanson de cet album qui manie avec brio la satire sociale et l’humour. Ce disque, considéré comme un des plus marquants de l’histoire du rock, touche le public hippie, même si Zappa refuse toute appartenance à ce mouvement. Cette chanson critique sévèrement le modèle américain. L’extrait s’en prend au système éducatif qui n’enseigne rien, à la société de consommation, au pouvoir politique qui ne s’occupe pas assez des laissés pour compte (allusion au programme de Johnson jugé insuffisant). Cette société américaine apparaît aussi marquée par l’étroitesse d’esprit, l’ennui et l’absence d’un véritable idéal. Zappa tourne en dérision la terreur de l’Américain qui voit son rêve consumériste bouleversé par l’invasion de hordes de jeunes « dingues » en révolte contre les normes sociales. Grand reporter, John Launois est le témoin à la fois du rêve américain et de sa désillusion. Émigré aux États-Unis à la fi n des années 1940 après avoir assisté à la libération de la France en 1944, il opte pour la nationalité américaine. Il collabore régulièrement au magazine Life auquel participe également Norman Rockwell. Rentré à New York en 1961, il fait partie de ces artistes et intellectuels qui s’efforcent de montrer les réalités invisibles du modèle américain pour obtenir une amélioration du système. Le choix de la couleur n’est pas anodin. Il rompt avec une tradition de la photographie humaniste qui rend pittoresque et poétique la pauvreté. Ici la couleur participe de la volonté de montrer la brutalité de la pauvreté. On note le caractère posé de la photographie. On relève la saleté, les ordures à même le sol, le caractère solitaire et prématurément vieilli de la jeune mère (célibataire). On compte 5 enfants (entre 10 ans et 8 mois environ). La pauvreté se mesure à la malpropreté, au désordre, au caractère précaire de l’habitat mais pas à l’absence totale de biens de consommation (présence d’un réfrigérateur). Cette photographie de Marc Riboud prise pour le compte de l’agence Magnum a fait le tour du monde. Prise lors d’une manifestation qui rassemble 100 000 personnes à Washington, elle immortalise l’apothéose de l’engagement des étudiants contre la guerre du Vietnam. Le cadrage rapproché, la position des mains serrées autour d’un chrysanthème comme dans une prière, le gros plan sur la baïonnette, la fragilité de cette jeune femme porteuse de fleurs posent l’archétype d’une jeunesse pacifiste en rupture avec un modèle américain militariste dans lequel elle ne se reconnaît pas. Jane Rose est issue d’une famille qui incarne la réussite des classes moyennes et leur inscription dans le rêve américain. Pourtant, l’hypocrisie d’une société encore très puritaine et conservatrice devient insupportable en ces temps de revendications des minorités et de libération des moeurs. Ce geste pacifiste s’accompagne de l’incinération par les jeunes gens de leur livret militaire mais aussi de la prise d’assaut du Pentagone. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 70 HC – Le modèle soviétique de 1945 aux années 1970 Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : WERTH Nicolas, Histoire de l’Union Soviétique, Paris, Éditions PUF, collection « Que sais-je ? », 2007. WERTH Nicolas, La terreur et le désarroi, Staline et son système, Paris, Éditions Perrin, collection « Tempus », 2007. WERTH Nicolas & GROSSET Mark, Les années Staline, Paris, Éditions du Chêne, 2007. Werth Nicolas, Histoire de l’Union soviétique, de l’Empire russe à l’Union soviétique (1900-1990), PUF, (1990) 2001, coll. « Thémis Histoire », 576 p. N. Werth, G. Moullec, Rapports secrets soviétiques 1921-1991. La société russe dans les documents confidentiels, Gallimard, Paris, 1994 (Point de départ obligé de toute relecture de l’histoire de la Russie soviétique, un recueil de 319 documents, provenant pour l’essentiel des rapports confidentiels (svodki) de la police politique, de l’OGPU au KGB, éclaire d’une lumière neuve 74 ans de régime communiste). N. Werth, « Un État contre son peuple. Violences, répressions, terreurs en Union Soviétique », in Le Livre noir du communisme, R. Laffont, Paris, 1997, pp. 45-312 (Aujourd’hui en collection « Bouquins », cet ouvrage a suscité de multiples débats en raison de sa préface. On peut se reporter à la revue Communisme, n° 5960, parue en 1999 et retrouver un concentré de la pensée de Stéphane Courtois dans le n° 247 de L’Histoire d’octobre 2000, « Cent millions de morts ? Le bilan d’une tragédie », pp. 36-45). N. Werth, « Les formes d’autonomie de la société socialiste » et « Logiques de violence dans l’URSS stalinienne », in H. Rousso (dir.), Stalinisme et nazisme. Histoire et mémoire comparées, Paris/Bruxelles, IHTP-CNRS/Complexe, coll. « Histoire du temps présent », 1999. Malia Martin, La Tragédie soviétique, histoire du socialisme en Russie, 1917-1991, Le Seuil, (1995) 1999, coll. «Points Histoire». M. Martin, Le Cinéma soviétique de Khrouchtchev à Gorbatchev, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1993. M. Heller, La Machine et les rouages, La formation de l’homme soviétique, coll. « Tel », Gallimard, Paris, 1994. A. 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La caractéristique la plus nette du modèle soviétique est l’imprégnation générale par la doctrine (donc le langage) marxiste-léniniste. Cette tendance conduit à une forte idéologisation de la réalité ; on proclame la capacité du pouvoir politique à transformer le territoire et ses habitants, on annonce la naissance d’un homme nouveau qui serait dévoué à la collectivité, enfin on affiche la certitude optimiste que la société soviétique marche irréversiblement vers le progrès. Ce discours volontariste légitime l’organisation politique, économique et sociale d’un système soviétique marqué par une forte centralisation, la stricte limitation de la propriété privée, le rôle directeur attribué au Parti communiste, etc. La période stalinienne est particulière dans le sens où elle est marquée par la dictature personnelle et une terreur de masse qui crée des « ennemis » du peuple et de l’État pour justifier l’autoritarisme ou expliquer les échecs : le Goulag est à son apogée au début des années 1950. Après la mort de Staline, commence un processus complexe de sortie du totalitarisme ; les dirigeants prônent la réforme sans remettre en cause les fondements du modèle. N. Khrouchtchev prétend ainsi rénover les pratiques les plus décriées du régime, mais maintient le cadre autoritaire, tout en multipliant les déclarations volontaristes qui refusent de plus en plus de tenir compte des réalités. Ce discours optimiste, empreint d’une idéologie de justice sociale, séduit de nombreuses personnes et organisations à travers le monde. Pour eux, l’expérience soviétique, magnifiée par une habile propagande et dont l’efficacité apparaît indéniable (résistance victorieuse aux Allemands, industrialisation rapide, conquête spatiale, succès sportifs, etc.) semble vraiment permettre un avenir meilleur pour l’humanité. L’histoire de l’URSS est celle qui a donné lieu aux débats théoriques les plus vifs. Pendant longtemps, deux grands courants se sont opposés. Les « totalitaristes » (par exemple, Martin Malia, Michel Heller, Alain Besançon) ont mis l’accent sur l’omniprésence de l’idéologie et l’existence d’un régime politique monolithique qui veut créer un homme nouveau et qui cherche à dominer l’ensemble du monde. Cette « idéocratie » soviétique, appuyée sur un État-parti tout-puissant, aurait alors exercé un contrôle absolu sur une société atomisée, devenue docile à cause d’un endoctrinement massif et du règne de la terreur. L’approche chronologique est ici très réduite : c’est plus une analyse de politologie, une « soviétologie » qui présente un système statique et facilite l’étude comparative avec le fascisme mussolinien et le nazisme. Les « totalitaristes » fondent leurs thèses sur la mainmise du politique, sur l’absence d’autonomie de l’économique et du social, même si certains admettent l’existence de zones d’autonomie et parlent alors d’un « totalitarisme inefficace ». Selon Martin Malia, dans La Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO actuel : « On étudie les traits majeurs des modèles soviétique et américain, en se centrant sur les années 1950-1960 » Accompagnement Tle ES-L : « Les relations internationales de la période se structurent donc en partie autour de l’existence et de la confrontation de deux universalismes : les modèles américain et soviétique. Ceux-ci ne sont immuables ni dans le temps ni, tant ces pays sont vastes, dans l’espace : pour simplifier l’approche, le programme centre leur étude sur les décennies 1950-1960 et sur leurs caractères les plus permanents. Parmi les traits caractéristiques du modèle soviétique, on trouve le postulat optimiste du progrès et la croyance en la toute-puissance du pouvoir, qui ont une traduction dans le volontarisme aménageur ; l’affirmation de l’unité organique de la société, que traduisent l’exaltation d’un homme nouveau dévoué à la collectivité, la stricte limitation de la propriété privée, le rôle attribué au parti communiste ou le transfert des échecs et des craintes sur les «ennemis» du peuple et de l’État : le Goulag est à son apogée au début des années 1950 ; la prégnance des méthodes de gestion des années 1930, qui vont de pair avec l’idéologisation de la réalité ; l’imprégnation générale du langage marxisteléniniste. Après la disparition de Staline, les nouveaux dirigeants associent rupture et continuité. Un processus complexe de sortie du totalitarisme s’amorce. Par contre, après une phase effective de réformes socioéconomiques dans un contexte de forte croissance, le khrouchtchévisme renoue à partir de 19581959 avec un mode de régulation et une floraison d’effets d’annonce qui tournent le dos au réel. Pour beaucoup d’hommes à travers le monde, l’expérience soviétique, connue de manière sélective et dont la 72 Tragédie soviétique. Histoire du socialisme en Russie, 1917-1991, paru en 1995, le régime soviétique est une dictature totalitaire car un groupe de fanatiques, mû par une idéologie à prétention totalisante, est parvenu à imposer sa volonté à la société. Martin Malia instaure donc une continuité très nette entre Marx, Lénine et Staline : le totalitarisme est, selon lui, présent dans les gênes du marxismeléninisme. Cette interprétation est critiquée car ses partisans s’intéressent plus aux formes du contrôle qu’aux capacités de résistance. Ils négligent les réactions de la société et prennent le risque de confondre les ambitions affichées avec leur concrétisation dans le monde réel. Ces critiques expliquent la position des « révisionnistes » comme Moshe Lewin, Leopold Haimson ou Sheila Fitzpatrick qui ont, à partir des années 1970 et surtout des années 1980, entrepris de réhabiliter l’histoire sociale, laquelle met l’accent sur l’analyse des processus sociaux comme facteur d’explication. Ces historiens révisionnistes étudient en effet les liens entre le marxisme-léninisme ou stalinisme et la société ; ils veulent réagir contre l’importance donnée au politique par les « totalitaires » en construisant une « histoire par en bas ». Cette démarche conduit à chercher les marques d’un consensus (à travers les stratégies d’ascension sociale) ou d’un rejet. En effet, les révisionnistes considèrent que les théoriciens du totalitarisme ont exagéré la soumission de la population. Les dernières recherches centrées sur l’évolution des groupes socioprofessionnels en URSS concluent à l’existence d’une certaine autonomie, notamment politique, prospérant sur les contradictions du système. Certains (J. Arch Getty ou L. Viola) contestent ainsi la vision monolithique du système, l’omnipotence du parti-État, en montrant que les administrations sont marquées par des rivalités d’intérêts, des conflits institutionnels, des oppositions entre personnes, des luttes entre centre et périphérie, entre appareil d’État et bureaucratie du Parti, etc. Enfin les révisionnistes soulignent des inflexions chronologiques. L’histoire sociale a bénéficié de l’ouverture des archives à partir de l’effondrement de l’URSS en 1991. L’accès à des sources inédites (rapports de la police politique sur l’esprit public, lettres adressées par de simples citoyens, etc.) permet d’explorer l’effet des politiques de terreur, les formes de résistance, la permanence de comportements « non-conformes ». Les archives du Goulag montrent aussi que les déportations de groupes sociaux ou ethniques sont une pratique constante de 1930 à 1953. L’histoire du modèle soviétique est donc encore un vaste chantier. Selon Nicolas Werth, trois aspects majeurs de la période stalinienne sont en passe d’être confirmés : le poids essentiel du pouvoir central (de l’appareil d’État, du groupe dirigeant et de Staline), les déficiences de fonctionnement qui entraînent une inadéquation constante entre les objectifs et leurs réalisations, l’ampleur des résistances de la société (active jusqu’au début des années 1930, passive ensuite). Les années 1950-1980 ont fait l’objet d’un nombre plus limité de travaux (peu d’études récentes sur Khrouchtchev, sur Brejnev), car les archives s’ouvrent à peine (prescription trentenaire). En outre, il n’existe pas encore aujourd’hui de synthèse qui permettrait de dépasser les deux tendances historiographiques qui partent de postulats théoriques trop contradictoires. Ordre ou chaos ? Soumission ou résistance ? L’ouverture des archives allait rendre intenables les positions les plus extrêmes alors même que la perestroïka ébranle les certitudes des uns et des autres : comment un régime totalitaire, par essence immuable, pouvait-il s’effondrer aussi rapidement et de sa propre initiative ? Comment expliquer l’émergence d’une société civile censée être irrémédiablement détruite ? Autant de pierres dans le jardin de l’école totalitarienne. Mais, l’échec final de Gorbatchev ne révèle-t-il pas aussi que le système était irréformable et que l’idéologie en était le seul ciment ? résistance victorieuse aux Allemands vient de montrer l’efficacité, offre un exemple de transformation volontariste de l’existence. Elle constitue une réponse aux dysfonctionnements qu’ils constatent ou combattent. » Aborder la question des modèles implique de ne pas « sacrifier à l’idole de la téléologie » (D. Roche). La chute du communisme peut, avec le recul, nous paraître inéluctable. Pourtant, rien n’est écrit dans le regard, les pratiques des contemporains et il suffit de relire les analyses des politologues comme des historiens pour se rendre compte que rares étaient ceux qui prévoyaient l’effondrement du communisme. Reste que la chute du mur de Berlin a eu lieu et qu’elle éclaire l’essoufflement puis la crise du « système collectiviste ». La question de ses origines ne peut évidemment être éludée, même si on aura garde de ne pas oublier que celui-ci a longtemps fait preuve d’un réel dynamisme. 73 Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : Khaldeï est un photographe juif d’origine ukrainienne, engagé par l’agence Tass à partir de 1939. Ayant perdu sa famille dans la Shoah, il couvre la Grande Guerre patriotique et est l’auteur de la photographie du Reichstag. Chassé de Tass par le retour de l’antisémitisme désigné comme « lutte contre le cosmopolitisme » en 1948, il vit à partir de cette date de commandes passées par le journal syndical Klub et Amateurs d’art et réalise des reportages sur les kolkhozes, usines, jardins d’enfants. Entre 1955 et 1959, il travaille pour la Société des amitiés avec les peuples étrangers. C’est la rigueur de son cadrage et l’attention portée à l’homme qui sont sa marque. Refusant depuis la guerre de montrer le malheur, il apparaît comme le parfait représentant de l’homme soviétique, laudateur du progrès, animé d’une foi totale dans l’édification d’un monde meilleur. L’avènement de Khrouchtchev est une chance pour lui et lui vaut des commandes de la Pravda. Leonid Brejnev au camp de vacances des «pionniers » Artek, 1979 Comme tous les régimes totalitaires, l’URSS accordait une importance considérable à l’encadrement et à la mobilisation de la jeunesse afin de former les hommes nouveaux acquis aux valeurs du communisme soviétique. Aux 23 millions d’enfants membres des pionniers s’ajoutent les 35 millions d’adolescents qui, âgés de 15 à 18 ans, sont membres de l’Union de la jeunesse communiste, les Komsomols. Fondé en 1925, le camp d’Artek, situé près de Yalta, dans un cadre méditerranéen riant, est devenu dans les années 60 célèbre, accueillant des enfants du monde entier. Les séjours à Artek étaient un des moments forts de la vie de pionnier : ils récompensaient et motivaient les jeunes garçons et filles engagés dans les organisations de jeunesse communiste pendant toute l’année. Les dirigeants communistes s’y rendaient volontiers et Brejnev sacrifie d’autant plus à la tradition qu’il y voit, comme le souligne avec une involontaire maladresse la photographie, un moyen de démontrer l’éternelle jeunesse du régime. Les détenus au goulag Longtemps sujet de spéculations et d’extrapolations hasardeuses, le nombre de détenus au Goulag est aujourd’hui bien connu, depuis l’ouverture des archives soviétiques au début des années 1990. Au début des années 1930, les camps du Goulag comptaient environ 200 000 détenus, un demi-million en 1934. Lors de la « Grande Terreur » de 1937-1938, les camps du Goulag accueillirent plus de 800 000 nouveaux détenus, condamnés pour la plupart à 10 ans de travaux forcés. Au cours de la guerre, la population du Goulag diminua d’un tiers, à la suite d’une très forte mortalité et de libérations anticipées de détenus condamnés à de courtes peines et immédiatement versés dans l’Armée rouge. Après-guerre, de nouvelles catégories de détenus rejoignent le Goulag : résistants baltes et ukrainiens luttant contre la soviétisation des nouveaux territoires (pays baltes, Ukraine occidentale) incorporés à l’URSS au lendemain de la guerre, citoyens soviétiques condamnés à la suite d’une législation hyper-répressive contre le « vol de la propriété sociale » (cinq à dix ans de camp pour le glanage d’épis dans les champs kolkhoziens ou le chapardage dans les usines).L’apogée du Goulag se situe au début des années 1950, avec environ 2,5 millions de détenus. Au total, entre 1930 et 1953, environ 17 millions de Soviétiques sont passés par les camps du Goulag ; 1,7 million y moururent. Jacques Rossi, issu d’un milieu très cosmopolite et très aisé, polyglotte, est un des représentants des étrangers sincèrement convaincus que le « soleil se lève à l’Est ». Français qui a grandi en Pologne et s’est converti au communisme dès l’âge de 17 ans, il devient très vite un agent de liaison du Komintern et remplit diverses missions en Europe occidentale entre 1929 et 1937. Rappelé à Moscou en 1937, il est victime des grands procès et des purges consécutives à la mort de Kirov en 1935. Condamné aux travaux forcés, il est emprisonné pendant vingt ans au goulag. Par fidélité envers ses engagements politiques, il demeure en URSS et est assigné à résidence en Asie soviétique avant de devenir professeur de faculté en Pologne. De son expérience du goulag, il rapporte des dessins et publie deux livres. La vie d’un déporté Varlam Chalamov, fils d’un prêtre orthodoxe, avait été arrêté une première fois dans une imprimerie clandestine de l’université pour diffusion du Testament de Lénine (dans lequel Lénine exprimait ses réticences sur le choix de Staline comme successeur). Condamné à trois ans de travaux forcés dans une section spéciale à Vichéra, au nord de l’Oural, il travaille à la construction du combinat chimique de Berezniki. Il est arrêté de nouveau, en janvier 1937, condamné à cinq ans de bagne, il est envoyé dans cet Extrême-Orient soviétique dont les fabuleuses richesses minières et aurifères, récemment découvertes, sont exploitées coûte que coûte et connaît différents camps le long du fleuve Kolyma. En 1943, sa peine est allongée de dix ans et, en 1951, il est assigné à résidence sur place. Il doit attendre la mort de Staline pour pouvoir revenir à l’ouest de l’Oural et entreprend alors la rédaction des Récits de la Kolyma. Il est officiellement réhabilité en 1956, s’installe à Moscou et achève les Récits, agencés selon une esthétique moderne, celle du fragment. Ces fragments construisent peu à peu un tableau saisissant de l’univers de la Kolyma. La circulation des mêmes motifs entre différents récits, différentes périodes, Cette affiche témoigne des répercussions de la Guerre froide dans les périodes de grande tension, comme celle de la guerre de Corée, dans les pays occidentaux comme la France où le Parti communiste était puissant. Elle émane du mouvement « Paix et Liberté » qui était une organisation d’action psychologique créée en 1950 par Jean-Paul David, député maire radical de Mantes avec le soutien non officiel du gouvernement Pleven. Ce mouvement a perduré jusqu’en 1956 après avoir connu un net ralentissement de son activité à partir de 1954. Son objectif était d’organiser une riposte à la propagande du PCF entré dans une opposition systématique aux orientations choisies par les gouvernements de la Troisième Force (regroupant démocrates-chrétiens, socialistes et radicaux). En 1950, son action était dirigée contre le Mouvement de la Paix, animé par le PCF, qui dénonçait dans l’appel de Stockholm les menaces que faisait peser sur la paix mondiale les recherches américaines sur la bombe H. « Paix et Liberté » a usé de tous les supports dans sa propagande fortement anticommuniste : affiches et tracts en assez grand nombre, revues à diffusion assez limitée, émissions de radio. L’affiche proposée ici est à rapprocher d’autres plus connues comme La colombe qui fait BOUM parodie de La Colombe de la paix que Picasso avait dessinée pour le Mouvement de la Paix. 74 constitue à elle seule un élément capital pour le décryptage de la réalité du camp; on y retrouve la grande préoccupation de Chalamov : comment traduire dans la langue des hommes libres une expérience vécue dans une langue de détenu, de crevard, confronté en permanence à violence indicible et à la mort ? « Les Récits de la Kolyma mettent en scène des hommes qui se trouvent dans un état extraordinaire, encore jamais décrit, lorsque l’homme approche d’un état de trans-humanité » écrit-il dans À propos de ma prose, en 1971, ajoutant «Ma prose fixe le peu de chose qui reste alors dans l’homme. Quel est donc ce peu de chose ? et connaît-il une limite, ou bien cette limite est-ce la mort, spirituelle et physique ? » Cet extrait de L’Aveu d’Arthur London décrit la mise en scène des procès pendant la période « d’épuration » des partis communistes dans les démocraties populaires. A. London était vice-ministre des Affaires étrangères en Tchécoslovaquie quand il fut arrêté avec d’autres communistes, souvent anciens membres des Brigades internationales, déportés pendant la guerre, juifs pour certains (l’antisémitisme pointant derrière l’antisionisme). Interrogés pendant des mois, par des Tchèques mais aussi par des agents soviétiques, torturés, jugés au cours d’une parodie de procès, ils prononcent les aveux qu’ils ont dû apprendre par coeur. Sur les principaux accusés du procès de 1952, onze furent condamnés à mort et exécutés, trois dont London furent condamnés à la réclusion à perpétuité. Libérés ultérieurement (lors de la déstalinisation), ils témoignèrent. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 75 HC – La guerre froide Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : De l’après-guerre à la fin des années 1970, les relations internationales sont profondément marquées par la confrontation entre un « Ouest », ensemble d’États capitalistes mais pas tous démocratiques sous la tutelle américaine, et un « Est », bloc communiste sous la coupe de l’URSS. Ce face à face, même en l’absence d’affrontement direct entre les États-Unis et l’URSS, est une véritable guerre globale et mondiale. Elle imprègne autant les calculs de politique intérieure que de politique extérieure, elle modèle les réalités politiques, économiques, sociales et culturelles du monde ; elle structure toute une époque. Elle est le canevas idéologique de référence qui permet de lire le monde. Sources et muséographie : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Ouvrages généraux : Duroselle Jean-Baptiste, Kaspi André, Histoire des relations internationales, tome 2, De 1945 à nos jours, Armand Colin, 2002, coll. «Classic », p. 1-377. P. MILZA, Les Relations internationales de 1973 à nos jours, Hachette, « Carré Histoire », 2001. S. BERSTEIN et P. MILZA, Histoire du XXe siècle, vol. 3, Hatier, coll. « Initial », 2003. Soutou Georges-Henri, La Guerre de cinquante ans : les relations Est-Ouest, 1943-1990, Fayard, 2001, 650 p. (ouvrage fondamental, une analyse chronologique détaillée). Vaïsse Maurice, Les Relations internationales depuis 1945, Armand Colin, (1990) 2005, 250 p., coll. «Cursus ». M. Vaïsse (dir.), Dictionnaire des relations internationales au XXe siècle, coll. « Dictionnaires », A. Colin, Paris, 2000. P. Grosser, Le Temps de la guerre froide : réflexions sur l’histoire de la guerre froide et les causes de sa fin, Complexe, 1995. A. 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L’INA propose en ligne un dossier consacré au mur de Berlin sur http://www.ina.fr/archivespourtous/ Le site officiel de la ville de Berlin : http://www.berlin.de/mauer/index.fr.html/ Une exposition en ligne proposée par le Mémorial de Caen sur Berlin : http://www.memorialcaen.fr/mur_de_berlin/berlin.htm/ Pour les élèves Le cinéma peut également être un moyen d’appréhender l’histoire de Berlin et constituer une ouverture culturelle : Wolfgang BECKER, Good bye Lenin ! 2003 Florian HENCKEL VON DONNERSMARCK, La vie des autres, 2006 : une description du régime communiste et de ses atteintes aux droits de l’homme avec pour décor Berlin-Est dans les années 1980 Roberto ROSSELLINI, Allemagne année zéro, 1948 Wim WENDERS, Les Ailes du désir, 1987 (représentation de la ville de Berlin divisée par le Mur). Documentation Photographique et diapos : GROSSER Pierre, La Guerre Froide, La Documentation Photographique, n° 8005, 2007. Revues : JEANNENEY Jean-Noël, La chute du mur de Berlin, L’Histoire, n°268, septembre 2002 « La chute du mur de Berlin » L’Histoire, dossier spécial, n° 236, octobre 1999 « 1947 : Naissance de la Guerre froide », in L’Histoire, n° 209, avril 1997. « Goodbye Yalta ! Du Rideau de fer à la Grande Europe », in L’Histoire, n° 286, avril 2004. S.COURTOIS, « La vérité sur l’affaire Rosenberg », L’Histoire n° 229, février 1999. J. DALLOZ, « Les Américains au Vietnam : l’engrenage », L’Histoire n° 130, février 1990. V. TOUZE, « Révélations sur la crise de Cuba », L’Histoire n° 221, mai 1998. « L’Europe, de Yalta à la Grande Union », dossier dans L’Histoire n° 286, avril 2004. « Israël-Palestine », Les Collections de l’Histoire, n° 39, avril 2008. DALLOZ Jacques, « Les Américains au Vietnam », in L’Histoire, n° 23, avril 2004 « Le temps de la Guerre froide. Du Rideau de fer à l’effondrement du communisme », in L’Histoire n° 151, janvier 1992. « Enseigner l’histoire contemporaine », Historiens & Géographes, juillet-août 2001, n° 375, et septembre-octobre 2001, n° 376 (articles de R. Frank, A. Kaspi, J. Marseille et J. Sapir). Hérodote : Géopolitique de l'URSS, n° 47/70, 1987. La revue Questions internationales, publiée par la Documentation française, présente d’excellentes mises au point sur les grands sujets d’actualité. Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : Le terme de Guerre froide naît au XIVe siècle en Espagne pour désigner le conflit entre chrétiens et musulmans. Il réapparaît en 1947 sous la plume d'Américains, le journaliste Walter Lippman et l'industriel Bernard Baruch, pour désigner le conflit qui oppose les États-Unis et l'Union soviétique. La recherche historique porte pour beaucoup sur les causes de la Guerre froide, cette question permettant d'en définir les responsabilités. Utilisant les seules archives occidentales, les historiens de l'Ouest ont, de 1947 jusqu'au début des années 1970, attribué cette responsabilité à l'expansionnisme soviétique. Puis à la fin des années 1960, un courant « révisionniste » américain fait des États-Unis les principaux instigateurs du conflit, en vertu d'une politique d'expansion économique virulente. Ensuite la thèse dominante a défendu l'idée d'une méfiance réciproque née de malentendus. En 1991, l'ouverture des archives soviétiques et d'Europe de l'Est a fait naître l'espoir d'une avancée décisive dans la connaissance historique. Mais ces archives, si elles mettent en évidence le rôle décisif de l'idéologie dans l'expansionnisme soviétique, demeurent incomplètes dans la mesure où les décisions dépendaient largement de Staline lui-même sans que ce processus ait laissé d'archives. BO Tle L-ES : « On étudie les lignes de force de la politique internationale de 1945 aux années 1970, moment où la détente crée un certain équilibre international. Les années 1970 constituent un tournant car l’équilibre international ordre mondial depuis les années est remis en cause : dérèglement économique, moindre maîtrise du 1970 monde par les deux Grands, nouvelles formes d’opposition intérieure dans les sociétés communistes, multiplication des conflits dans le Tiers Monde. Après un regain de la tension Est-Ouest, la disparition de l’Union soviétique met un terme à la guerre froide. Les États-Unis s’imposent, non sans contestations, comme l’unique superpuissance. À partir de la fin des années 1970, l’affirmation de 77 Le traitement du sujet doit intégrer la tendance des ouvrages les plus récents de relations internationales, qui mettent en avant la coupure des années 1970 comme tournant majeur. Sans sous-estimer l'impact de la fin de la Guerre froide, on voit en effet se dessiner dès les années 1970, les contours d'un ordre mondial en mutation : au-delà du dérèglement économique qui pèse sur les relations internationales, c'est surtout la fin du « condominium américano-soviétique » (expression de Michel Jobert, ministre des Affaires étrangères en 1973) qui est frappant et l'émergence d'un monde multipolaire. Parallèlement, de nouvelles menaces émergent : le terrorisme international (on entre dans une troisième phase de l'histoire du terrorisme médiatique, qui s'exporte sur la scène internationale, lié au Proche-Orient avec par exemple l'OLP et la prise d'otage des JO de Munich, les attentats des années 1980 en France), l'islamisme (Gilles Kepel distingue trois temps : théorisation dans les années 1960, révolution islamiste dans les années 1970-1980 - Iran, Liban, Afghanistan, puis Egypte avec les frères musulmans et Algérie dans les années 1980 -, puis un déclin à la fin des années 1990 malgré des accès de violence spectaculaires). Enfin, on assiste à la multiplication de conflits périphériques qui échappent à logique de Guerre froide comme la guerre du Biafra (1967-1970), la guerre Iran-Irak (1980-1988) : se dessinent déjà les zones grises dont parle aujourd'hui Gérard Challiand (zones de conflits de basse intensité délaissées par les puissances) et de nouveaux acteurs comme les ONG. L’usage contemporain a voulu qu’à la suite du financier américain Bernard Baruch et du journaliste Walter Lippmann, on donne le nom de « guerre froide » à cette confrontation dressant l’un contre l’autre deux camps idéologiquement antagonistes cherchant à étendre leur influence sur le monde, ou du moins à restreindre celle de l’autre. Un des débats majeurs de l’historiographie occidentale porte sur les origines de ce conflit. On peut dire que deux grands courants se sont succédés. De 1947 jusqu’au début des années 1970, se répand la thèse de l’expansionnisme soviétique en Europe comme cause première de la confrontation Est-Ouest. Les Soviétiques sont jugés responsables du conflit en raison de leur politique agressive marquée par une préoccupation obsessionnelle pour leur sécurité nationale et par la volonté d’imposer leur autorité en Europe centrale et orientale. Staline aurait violé les accords de Yalta et repris la politique impérialiste de la Russie tsariste en Eurasie. Selon les partisans de cette thèse, la réponse américaine est justifiée et joue un rôle essentiel pour sauver le monde de la « subversion communiste ». Vers la fin des années 1960, dans le contexte de contestation engendrée par la guerre du Vietnam, de nombreux historiens révisent cette interprétation. Pour cette école « révisionniste », les États-Unis sont les principaux instigateurs du conflit. Ils auraient voulu obtenir une suprématie globale en profitant de leur position de première puissance militaire et économique, de la faiblesse politique de l’Europe et de l’incapacité des Soviétiques, alors sans arme nucléaire, à riposter efficacement. Le président américain Harry Truman aurait joué un rôle déterminant dans le déclenchement de la confrontation Est-Ouest, en raison de son anticommunisme virulent. Cette histoire de la guerre froide venue d’Occident a été élaborée en fonction des sources américaines et ouest-européennes. Un renouvellement historiographique s’est progressivement fait sentir grâce à l’étude de sources provenant d’Asie ainsi que d’Europe orientale et orientale, puis grâce à l’ouverture des archives soviétiques depuis 1991. Les interprétations sur les origines de la guerre froide se sont alors complexifiées et diversifiées. Des historiens affirment que chacune des deux grandes puissances a été motivée par des objectifs de sécurité nationale et que l’expansionnisme a été mutuel, même si, malgré tout, l’URSS porte une plus grande part de responsabilités. On sait aujourd’hui que Staline avait en 1945 défini de manière confidentielle les nouvelles orientations de sa politique extérieure. La lutte contre le monde capitaliste devait reprendre, mais la guerre ne serait envisageable que dans dix ou quinze ans, le temps que les Soviétiques se dotent des moyens militaires nécessaires. Certains chercheurs soulignent que l’antagonisme idéologique entre les deux superpuissances était tel que l’affrontement était inévitable une fois la menace hitlérienne disparue. D’autres auteurs soulèvent des problèmes de perception réciproque ; la peur de l’ennemi aurait conduit à une mauvaise appréciation du danger représenté par l’autre. Un autre débat historiographique porte sur l’importance des années 1970 dans l’évolution des relations internationales. Certains affirment l’existence d'un l’islamisme, sous différentes formes, constitue un autre fait majeur. Ces profonds bouleversements façonnent le monde actuel, au sein duquel les organismes internationaux sont à la recherche d’un rôle nouveau, notamment face à la gestion des conflits locaux. » BO Tle STG : « Le jeu des puissances dans un espace mondialisé de 1945 à nos jours – On étudie trois moments de l’histoire des relations internationales : - 1947-1949 : la coupure du monde, symbolisée par la création des deux Allemagnes, se cristallise dans la Guerre froide. - 1989-1991 : l’effondrement du mur de Berlin et l’éclatement de l’URSS encouragent les aspirations à la démocratie ; ils favorisent en Europe un réveil des nationalismes qui bouleverse la carte de l’Europe ; parallèlement s’affirment de nouvelles idéologies. - Le début du XXIe siècle voit l’émergence de nouveaux rapports de force. On axe l’étude sur la super-puissance des États-Unis, la construction européenne et la montée en puissance de la Chine. » BO 3e actuel : « Les principales étapes de l’évolution des relations internationales depuis 1945 (monde bipolaire, décolonisation, construction de l’Europe, dislocation des blocs) sont présentées en mettant en évidence les facteurs qui conduisent de la bipolarisation au monde d’aujourd’hui. L’étude ne peut être exhaustive, pour les affrontements Est-Ouest on se limite à l’exemple de l’Allemagne et de Berlin. Documents : extraits de la doctrine Truman et de la doctrine Jdanov. Discours de J.F. Kennedy devant le mur de Berlin : “Ich bin ein Berliner” (23 juin 1963). » BO futur 3e : « LA GUERRE FROIDE En 1945, la création de l’ONU répond à une aspiration au maintien de la paix. On présente les objectifs de l’ONU. Cependant, les États-Unis et l’URSS s’affrontent durablement en Europe et dans le monde. L’étude de la guerre froide s’appuie des exemples : - En Europe : la situation de l’Allemagne et de Berlin. - Dans le monde : la guerre de Corée ou la crise de Cuba. La division du monde en blocs est présentée à partir d’une carte. En 1989-1991, la guerre froide s’achève avec la chute du Mur de Berlin et la disparition de l’URSS. Connaître et utiliser les repères suivants - Le Mur de Berlin : 1961 – 1989 78 tournant essentiel dans les années 1970. Les relations internationales seraient jusqu’à cette date dominées par la logique de « confrontation Est-Ouest », puis après cette période par celle de « recherche d’un nouvel ordre mondial ». Cette vision de l’histoire des relations internationales appartient à un courant historiographique dont les chefs de file sont Pierre Milza et Robert Frank (voir son article « Réflexions sur les relations internationales depuis 1945 » dans Historiens et Géographes, n° 376, septembre-octobre 2001) en France. Selon eux, le ralentissement de la croissance a changé l’ambiance politique sur la scène internationale et a eu de multiples impacts (guerre économique dans le camp occidental entre les États-Unis, la CEE, et le Japon, aggravation des difficultés des pays de l’Est, éclatement du Tiers-Monde, essor des nationalismes agressifs et des intégrismes, etc.). Le Tiers-Monde devient alors le principal théâtre de guerres qui échappent totalement à la logique bipolaire et les deux superpuissances ne réussissent plus à rétablir l’ordre. À partir du milieu des années 1970, s’installe donc ce que P. Milza appelle « un nouveau désordre mondial » dans un monde désormais multipolaire. Cet éclatement du monde en différents pôles s’accompagne d’un déclin des deux Grands. Pour les États-Unis, l’affaiblissement est relatif et limité dans le temps. Pour l’URSS et le monde soviétique en général, les années 1970 marquent le début de la fin. Cette thèse qui voit naître le nouvel ordre mondial dans les années 1970 ne nie pas l’importance de la chute du mur de Berlin en 1989, ainsi que de l’implosion de l’URSS en 1991. Cependant les tenants de cette théorie pensent que notre monde est extrêmement dépendant de facteurs qui précèdent la fin du bloc soviétique. Pour d’autres, l’étude du nouvel ordre mondial doit commencer en 1991. Cela semble davantage se conformer à l’opinion des historiens comme Jean Baptiste Duroselle et André Kaspi qui, sans nier l’importance des années 1970, placent le changement fondamental dans les années 1990. Pour André Kaspi, « après la disparition de l’Union soviétique, tout change » car « seuls, les États-Unis conservent le statut de superpuissance politique et diplomatique, économique et technologique, militaire et culturelle. » C’est aussi l’avis d’Eric Hobsbawm. À la fin du chapitre qu’il consacre à la guerre froide dans un ouvrage paru en 1999, il écrit : « il est des moments historiques dont même les contemporains peuvent reconnaître qu’ils marquent la fin d’une époque. Le début des années 1990 fut clairement un moment de ce type ». Les recherches actuelles s’enrichissent grâce à l’ouverture des archives de l’Union soviétique et de l’Europe de l’Est, mais la nature, les étapes et la durée du conflit font toujours débat. La guerre froide peut être interprétée comme un moment dans le déploiement de l’hégémonie américaine en marche depuis la fin du XIXe siècle ou dans la remise en cause du capitalisme par les partis et les États communistes depuis 1917. Enfin, comme le souligne Pierre Grosser (La Documentation française, 2007), le conflit ne fut pas froid pour tous, notamment pour les Coréens et les Vietnamiens. Il ne faut pas s’arrêter à une vision centrée sur les seules superpuissances et sur l’Europe, car certains États, certaines ONG, certains personnages réussirent à jouer un rôle important dans ce conflit larvé, sans forcément être manipulés par les grandes puissances. Quoi qu’il en soit, la guerre froide débouche sur la domination des États-Unis, sur la renaissance de l’Europe et sur l’émergence de nouveaux acteurs comme la Chine. - Carte des blocs au moment de la guerre froide Raconter les crises étudiées et expliquer en quoi elles sont révélatrices de la situation de guerre froide. » Accompagnement Tle : « L’expression guerre froide, inventée en 1947, désigne en même temps une période de l’histoire contemporaine (que le programme prend dans son acception large : de la seconde moitié des années 1940 à 1991) et un conflit multiforme, d’intensité variable, dressant l’un contre l’autre deux blocs visant l’extension maximale de leur influence et l’endiguement voire le refoulement de l’adversaire. Au fil de 1945 et 1946, les témoignages de méfiance puis les blocages se multiplient entre les alliés, notamment dans la gestion de la question allemande, pôle de tension durable. L’année 1947 marque une étape décisive dans l’émergence de deux camps antagonistes. Ce processus de bipolarisation ouvre la guerre froide, qui constitue avec la décolonisation l’autre fait majeur des rapports internationaux de l’après-guerre. Ses ressorts durables sont l’opposition des idéologies – qui rend la paix impossible –, la recherche permanente du meilleur positionnement, la prise au sérieux du risque nucléaire – qui rend la guerre improbable –, la peur et diabolisation de l’autre, qui atteignent leur maximum entre 1948 et 1953. À partir de la seconde moitié de la décennie 1950, la volonté d’affirmation du TiersMonde, le changement de la politique extérieure soviétique et les enseignements de crises graves, comme celle de Cuba, induisent une pacification progressive. Celleci débouche sur la période de la «détente», qui s’étend de 1963 au milieu des années 1970 et fait des États-Unis et de l’URSS des « adversaires-partenaires ». Malgré la poursuite de la guerre au Viêtnam et le désaccord profond sur la situation au ProcheOrient, les rencontres Nixon-Brejnev de 1972 et 1973 marquent un temps fort de cette phase. Les années 1973-1975 constituent un renversement de la conjoncture internationale, à partir duquel la déstabilisation l’emporte. Une tonalité anxiogène succède à l’euphorie de la première époque de la croissance. Les rapports de force entre les deux grands évoluent à rythme court (déclin états-unien à partir de 1973-1974 puis réaffirmation au temps du «reaganisme », expansion brejnévienne puis enlisement). Leur cogestion s’essouffle : la logique de guerre froide s’affirme à nouveau à partir de 1979, tandis que s’accroissent les concurrences politique (la Chine) ou économique (le Japon). Les conflits régionaux se multiplient, 79 Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : contribuant aux profondes difficultés du continent africain. À partir de la fin de la décennie 1970, l’affirmation de l’islamisme introduit un nouveau facteur. Prenant acte des effets asphyxiants pour l’URSS de l’expansion impériale et militaire, Mikhaïl Gorbatchev, nouveau premier secrétaire du PCUS (1985), privilégie l’apaisement. Ce dernier se marque notamment par le traité de Washington de décembre 1987, qui ouvre la voie au désarmement. Ce fait et d’autres, telle la fin de l’apartheid en Afrique du Sud ou le caractère assez largement apaisé du dialogue interreligieux, montre aux contemporains que le pire n’est pas inéluctable. Puis, à un rythme absolument imprévu, des fondements majeurs du monde de l’après-guerre, voire d’après 1917, s’effondrent. À l’issue d’une tentative de six ans pour apporter une réponse aux impasses du système, l’URSS se délite en 1990 et disparaît en décembre 1991, après avoir accepté la perte de son glacis européen dès 1989. Le système d’économie communiste disparaît d’Europe (tandis que la Chine, qui a introduit l’économie de marché en 1978, l’officialise en 1993). La guerre froide prend fin et les Américains se trouvent désormais sans adversaire militaire. » Activités, consignes et productions des élèves : Cette guerre froide ne commence pas en 1945. Jusqu’en 1946, les relations internationales sont encore marquées par l’ambiance irénique et unanimiste qui a présidé à la fondation de l’ONU. Cependant la méfiance s’accroît rapidement entre les principaux membres de la Grande Alliance, ce qui conduit à la rupture décisive de 1947. Celle-ci enclenche le processus de bipolarisation par l’organisation de deux camps opposés en Europe. Progressivement, la confrontation Est-Ouest se mondialise, dans un contexte où la prise en compte par les deux grandes puissances du danger nucléaire rend un affrontement direct improbable. Des phases d’extrêmes tensions, marquées par des guerres locales à la périphérie des blocs et des crises politiques, alternent avec des phases plus calmes, pendant lesquelles les adversaires envisagent une coexistence pacifique. À partir de la seconde moitié des années 1950, la volonté d’affirmation du TiersMonde, le changement de la politique extérieure soviétique à la suite de la mort de Staline et les enseignements de la crise de Cuba conduisent à une volonté de pacification. Elle se concrétise par une « détente », qui dure de 1963 jusqu’au milieu des années 1970. Cependant, rien ne remet fondamentalement en cause l’existence des deux blocs. La poursuite de guerres locales, comme la guerre au Vietnam, ou les désaccords persistants, notamment sur la situation au ProcheOrient, montrent que la guerre froide n’est pas terminée. Accompagnement 3e : « Il faut éviter une étude chronologique de la période qui juxtaposerait les crises successives. Cela ne signifie pas que l’analyse soit abstraite : pour appréhender globalement ce que fut le monde bipolaire et l’affrontement Est-Ouest, une carte, qui en précise l’extension mondiale, suffit. Ensuite, l’exemple de l’Allemagne est plus particulièrement analysé. Il permet de voir concrètement ce que fut cette bipolarité, marquée dans le territoire même et dans cette ville symbole qu’est Berlin. Il offre l’exemple d’une succession de crises, du blocus de 1948-1949 à la chute du Mur en 1989, qui rythment l’affrontement Est-Ouest et il symbolise sa fin, avec le démantèlement du Mur, qui précipite la dislocation du bloc soviétique avant que l’URSS n’implose elle-même. » Accompagnement Tle ST2S : « BERLIN : UNE VILLE DANS L’HISTOIRE DEPUIS 1945 Berlin est considérée comme une ville symbole, véritable révélateur de l’histoire de la deuxième moitié du XXe siècle. Mais c’est bien elle (et notamment son urbanisme et son architecture) qu’il faut étudier, sans la reléguer au niveau d’un prétexte pour travailler sur les relations internationales. On notera que le programme envisage la question mémorielle, pour laquelle l’actualité fournit périodiquement des données intéressantes. La triste situation de Berlin en 1945 peut être appréhendée par des photographies. C’est l’occasion d’insister sur l’importance des destructions et les difficiles lendemains de la guerre dans le quotidien de la population : violences de guerre soviétiques, restrictions alimentaires, risques d’épidémie… La situation 80 géopolitique particulière de Berlin peut rapidement être expliquée à partir d’une série de cartes : à l’été 1945, la ville, divisée entre les quatre vainqueurs, se trouve entièrement enclavée dans la zone d’occupation soviétique. Elle est placée sous l’autorité d’un commandement interallié ; mais, avec la multiplication des tensions entre Alliés, Berlin devient un lieu majeur de la lutte d’influence entre Est et Ouest. Le premier véritable affrontement est celui du Blocus de Berlin (24 juin 1948-mai 1949). Au-delà des enjeux politiques et géostratégiques que l’on peut rappeler brièvement, cette crise de la Guerre froide change l’image de Berlin : lieu de pouvoir du militarisme prussien puis du nazisme, la ville apparaît désormais comme le symbole du combat pour la liberté. Cette crise reste un moment fort de la construction de l’identité berlinoise. À l’issue du Blocus, la partition politique de l’Allemagne entraîne la division municipale de Berlin : deux villes désormais se font face. L’administration de Berlin-Ouest relève de la Kommandatura alliée, des institutions fédérales et de l’assemblée de Berlin (la ville de Berlin-Ouest n’est pas partie intégrante de la RFA mais dispose d’un statut particulier). BerlinEst devient la capitale de la RDA. Les Deux Grands ne tardent pas à faire de Berlin la vitrine de leurs modèles respectifs. Berlin-Ouest, poste isolé et avancé, exerce une forte attraction sur les Allemands de l’Est qui y voient un espace de liberté et d’accès à la société de consommation. Grâce aux efforts conjugués des Alliés et des Allemands de l’Ouest cette partie de la ville achève sa reconstruction dès la fin des années 1950. La municipalité se lance dans de vastes projets urbanistiques. Berlin-Ouest redevient également le premier centre culturel allemand et retrouve un certain rayonnement international. Face à ce dynamisme, Soviétiques et dirigeants est-allemands se voient contraints d’édifier une capitale prestigieuse pour la RDA. Ils donnent la priorité à la réalisation de monuments de prestige au détriment de la satisfaction des besoins de la population. Mais les habitants de Berlin-Est refusent un modèle imposé de l’étranger et supportent difficilement le manque de liberté, la pénurie des biens de consommation, le conformisme social et culturel. Les relations entre les deux Berlin sont restreintes (visites de particuliers à Berlin-Est limitées et strictement contrôlées, coupure des lignes téléphoniques, et des lignes de bus et tramways). Le refus d’un modèle imposé et l’espoir de réunification nourrissent deux formes de réaction : la fuite (1,6 millions d’Allemands de l’Est ont gagné l’Ouest en passant par Berlin entre 1949 et 1961) et la révolte (soulèvement de Berlin-Est en juin 1953). Malgré la reprise du dialogue entre Est et Ouest après la mort de Staline, Berlin reste un foyer de tension entre les deux blocs, les Soviétiques souhaitant toujours contrôler l’ensemble de la ville. Khrouchtchev a le projet de faire de Berlin une ville libre, démilitarisée, dont la neutralité serait garantie par l’ONU. La crainte des Occidentaux de voir la ville livrée à l’influence soviétique et le refus de la population de Berlin-Ouest, exprimé dans les urnes, ne permettent pas d’aboutir à un accord. Les Soviétiques et dirigeants Est-allemands optent alors pour une solution qu’ils jugent défensive : la construction du mur est annoncée dans la soirée du 12 août 1961 ; elle est justifiée par deux objectifs : mettre un terme à la propagande occidentale et freiner les départs des ressortissants de la RDA vers l’Ouest. Les Berlinois de l’Ouest ne comprennent pas la faible réaction des Occidentaux devant l’encerclement de Berlin-Ouest. Ils n’admettront jamais la présence du mur dans leur paysage urbain et mental. Ils expriment leur refus avec force. Ainsi alors qu’il reste blanc à l’Est, le Mur sert à l’Ouest de support aux graffitis les plus divers. Le Mur est aussi la cible de nombreux attentats et parfois l’ultime horizon de ceux qui, nombreux, essaient de le franchir au péril de leur vie. Il transforme la physionomie des quartiers qui le bordent (condamnation des accès occidentaux d’immeubles, de jardins, d’églises…situés à l’Est). Mais il a surtout pour effet d’accentuer le développement différencié des deux parties de la ville : Berlin-Ouest achève de se donner l’allure de « vitrine de l’Occident » tandis que les autorités est-allemandes veulent faire de Berlin-Est une vitrine opposée, celle de la RDA. Cette rivalité s’exprime dans les années 1960 et 1970 par le remodelage urbanistique et le développement des équipements socioculturels. Cependant, Allemands et Berlinois prennent conscience que la réunification n’est pas envisageable à court terme et qu’il leur faut vivre avec le Mur. De nombreux Berlinois de l’Ouest sont séparés de leurs familles situées à Berlin-Est. Dans ce contexte, l’action de W. Brandt mérite d’être présentée. Bourgmestre de BerlinOuest, il tente de rendre le Mur moins hermétique et de favoriser les rencontres dans l’espoir de préserver un sentiment d’unité nationale. Plusieurs accords sont 81 ainsi négociés avec les autorités Est-allemandes (premier accord sur les laissezpasser obtenu le 17 décembre 1963 entre le sénat de Berlin-Ouest et le secrétaire d’État de RDA). En 1966, Brandt, alors vice-chancelier et ministre des affaires étrangères, définit une nouvelle politique, l’Ostpolitik (ouverture à l’Est), dont les principes et les enjeux pour Berlin s’inscrivent dans le contexte international de la détente. Cette politique est prolongée par l’accord quadripartite de 1972 qui apporte notamment des améliorations pratiques dans le domaine des transports. Avec le retour de la guerre fraîche, les années 1970-1985 constituent une période de statu quo. Pourtant, les Berlinois n’aspirent qu’à resserrer les liens qui les unissent dans une conscience commune de fidélité à un héritage commun. Cette volonté s’exprime par des envois de colis et des visites des Berlinois de l’Ouest à leurs familles de l’Est. L’absence d’évolution de la situation provoque une augmentation des tentatives de passage à l’Ouest. Ce mouvement est favorisé par le fait que les Allemands de l’Est peuvent capter désormais les chaînes de télévision ouest-allemandes et se faire une image plus réaliste du pays voisin. Ils prennent davantage de distance vis-à-vis de la propagande officielle qui vante les vertus du système (absence de chômage, protection sociale…). La situation ne se débloque qu’avec l’arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev en URSS. Sa politique de glasnost et de perestroïka change la donne. Elle condamne à l’échec la RDA, victime d’un exode massif de population. Les Allemands de l’Est passent par la Hongrie (un des premiers pays du bloc de l’Est à avoir adopté une politique de libéralisation) pour atteindre ensuite la RFA. L’ampleur croissante des manifestations (Leipzig, Berlin-Est) contraint le régime à céder. Le 9 novembre 1989 les autorités annoncent que chaque citoyen de RDA peut se rendre à Berlin Ouest et en RFA : les Allemands de l’Est ne croyant pas en cette nouvelle se précipitent vers le Mur : entre le 9 et le 14 novembre 1989, 3 millions d’entre eux se rendent à l’Ouest. La télévision rend compte de cet évènement médiatique : le recours aux archives de l’INA aide à percevoir l’ampleur de l’évènement et la joie des Berlinois. La chute du Mur modifie les conditions de vie des Berlinois. Ce qui n’était pas possible est désormais permis. La liberté de circulation favorise la reprise d’une vie animée. Entre 1989 et 1991, le Mur est progressivement détruit. Seuls quelques vestiges, témoins du passé demeurent (notamment 1,3 km de graffitis : East Side Gallery, un musée du Mur à Checkpoint Charlie). Berlin réunifiée est désormais une agglomération de 3,4 millions d’habitants. Elle retrouve son statut de capitale de l’Allemagne le 20 juin 1991. Il s’agit désormais d’en faire une seule entité urbaine à partir de deux villes différentes. Pour devenir cette capitale attractive et prestigieuse, Berlin doit préserver les vestiges de son passé (ancien et récent) tout innovant avec audace. L’étude des réalisations urbanistiques permet de le montrer. Des architectes du monde entier sont ainsi invités à participer à une rénovation architecturale originale faite de contrastes. Tandis que les quartiers où abondent les espaces vides (le long du Mur) accueillent l’innovation (bâtiment du Daimler Chrysler Center, Sony Center...), Berlin se réconcilie avec son passé en redonnant vie à des lieux chargés d’histoire (restauration de l’ancienne enceinte, reconstruction en respectant des plans anciens dans le centre historique, Reichstag). La ville se dote également d’un quartier destiné à l’appareil gouvernemental et parlementaire de l’Allemagne réunifiée. Le projet retenu réunit symboliquement l’Est et l’Ouest à partir d’un ensemble architectural enjambant la Spree. La rénovation de Berlin n’est cependant pas exempte de conflits mémoriels. Ainsi la reconstruction du palais des Hohenzollern qui doit remplacer le Palais de la République, symbole de la défunte RDA, suscite-t-il la polémique. » Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 82 HC – Le monde depuis 1991 Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Duroselle Jean-Baptiste, Kaspi André, Histoire des relations internationales, tome 2, De 1945 à nos jours, Armand Colin, 2002, coll. «Classic », p. 405 sqq. Milza Pierre, Les Relations internationales (1945-1973), Hachette, 1996, 240 p., coll. «Carré histoire ». Vaïsse Maurice, Les Relations internationales depuis 1945, Armand Colin, 2002, 250 p., coll. «Cursus ». Kepel Gilles, Jihad, Gallimard, 2003, 751 p., coll. « Folio actuel ». G. Kepel, Expansion et déclin de l’islamisme, Gallimard, Paris, 2000. Al Qaida dans le texte, sous la dir. de G. Kepel & J.-P. Milelli, PUF, Paris, 2005. F. Géré, Pourquoi les guerres ? Un siècle de géopolitique, Larousse, collection « 20-21, d'un siècle à l'autre », 2002. Bertrand Maurice, L’ONU, La Découverte, 2003, 128 p., coll. «Repères ». Lafay Frédérique, L’ONU, PUF, 2003, 128 p., coll. «Que sais-je ?». Atlas du Monde diplomatique, 2004. Dico Rebelle, Michalon, 2004. BONIFACE Pascal & VÉDRINE Hubert, Atlas du monde global, Paris, Éditions Armand Colin / Fayard, avril 2008. P. BONIFACE., Le Monde contemporain .Grandes lignes de partage, PUF, coll. Quadrige, 2003. P. BONIFACE, Atlas des relations internationales, Hatier, 2003. S. CORDELLIER dir., Le Nouvel État du monde, La Découverte, 2002. 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Kaspi, J. Marseille et J. Sapir). « Les islamistes », L’Histoire, novembre 2003, n° 281. Politique étrangère, revue trimestrielle de l'IFRI. Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des Enjeux didactiques (repères, notions et savoirs, concepts, problématique) : méthodes) : On peut distinguer trois grandes écoles traditionnelles de pensée des relations internationales : les réalistes, les libéraux et les marxistes. - Pour les réalistes (Hans Morgenthau, Kissinger ou Brzezinski), le monde est fondamentalement dans un état d'anarchie au sein duquel les relations internationales sont un jeu d'équilibres et de menaces entre États dont les intérêts sont donnés une fois pour toutes. Dès lors la problématique des pôles est au cœur de leur réflexion et le débat porte sur les mérites comparés des systèmes multipolaire, bipolaire ou unipolaire pour garantir la stabilité. - Pour les libéraux (Thomas Friedman et dans une certaine mesure Fukuyama), Accompagnement TS : « Au tout début des années 1990 s’achève une double séquence chronologique : les États-Unis se trouvent sans adversaire militaire ; le système d’économie communiste disparaît d’Europe, tandis que la Chine, qui a introduit l’économie de marché en 1978, l’officialise en 1993. Première puissance globale de l’histoire, les Etats-Unis 83 les véritables acteurs sont les individus et groupes privés dont les États ne sont que les représentants. Par ailleurs, les relations entre États sont marquées par l'interdépendance et donc les États, sous la pression des groupes sociaux, interagissent en terme de coûts/bénéfices pour chacun d'eux. Pour les libéraux, l'état d'anarchie n'est pas une fatalité et les individus sont portés à influer sur les États dans le sens de la coopération, car elle apparaît moins coûteuse. C'est une vision plus optimiste des relations internationales. - Pour les marxistes, les relations entre États sont déterminées par les intérêts matériels et en même temps par la structure des relations internationales. La fin de la Guerre froide et la mondialisation ont correspondu à un regain de débats intenses chez les internationalistes, obligeant à faire la critique de ces trois approches. L'analyse réaliste, si elle domine encore (notamment aux États-Unis), a été relativisée par la réflexion sur la globalisation qui favoriserait les acteurs transnationaux (FMN, ONG, groupes « perturbateurs » comme les réseaux terroristes) et tend à réduire le rôle de l'État comme acteur des relations internationales. Certains auteurs vont aujourd'hui jusqu'à remettre en cause la notion même de pôle. Pascal Boniface relativise de son côté cette critique en montrant que les acteurs transnationaux sont encore très dépendants des structures étatiques. La vision libérale a été battue en brèche, selon Stanley Hoffman, par la persistance des conflits : la globalisation pousse les États à s'arquebouter sur ce qui leur reste, l'identité nationale, à défaut de la vie économique qui leur échappe. La globalisation nourrirait les ressentiments et les conflits. De nouvelles théories tentent d'intégrer les changements issus de la fin de la Guerre froide. L'école constructiviste revisite les relations internationales à partir d'une conception intersubjective des rapports entre États : les idées peuvent l'emporter sur les intérêts (comment comprendre la fin de la Guerre froide sans le rôle déterminant de la « nouvelle pensée » de Gorbatchev ?) et les intérêts des États sont déterminés par une structure partagée de normes, qui peut évoluer. Cette dernière idée rejoint la réflexion de Joseph Nye sur la puissance : elle ne peut plus être simplement brute (hardpower), mais elle suppose un minimum d'acceptation par les autres de cette puissance (la puissance doit donc pouvoir manœuvrer sur les valeurs communes et jouer des institutions internationales, c'est le softpower). L’autre grand débat historiographique concerne l’islamisme, sa définition, l’articulation avec l’islam et l’évaluation d’un phénomène qui n’est pas nouveau mais dont les mutations récentes sont importantes. À ceux qui considèrent, dans le sillage de Samuel Huntington que le choc des civilisations entre Occident et Islam est inéluctable et qu’il a même déjà commencé, les attentats du 11 septembre 2001 devant en fournir une démonstration irréfutable, s’opposent Olivier Roy et Gilles Kepel qui estiment que l’islamisme a connu des échecs cinglants et que ses formes actuelles, terroristes et déterritorialisées, témoignent davantage de sa fragilité à mobiliser les masses musulmanes que de sa force. Les attentats sanglants ne devant pas ici occulter l’absence de perspective d’un islam politique dans l’impasse. BO Tle S : « Le nouvel ordre mondial La disparition de l’Union soviétique met un terme à la guerre froide. Les ÉtatsUnis s’imposent, non sans contestations, comme l’unique superpuissance. À partir de la fin des années 1970, l’affirmation de l’islamisme, sous différentes formes, constitue un autre fait majeur. Ces profonds bouleversements façonnent le monde actuel. » BO Tle STG : « Le jeu des puissances dans un espace mondialisé de 1945 à nos jours – Le début du XXIe siècle voit l’émergence de nouveaux rapports de force. On axe l’étude sur la super-puissance des États-Unis, la construction européenne et la montée en puissance de la Chine. » Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : veulent promouvoir un «nouvel ordre mondial», au sein duquel la paix serait fondée sur le multilatéralisme (première guerre d’Irak). Mais ce néo-wilsonisme suscite rapidement des réserves, qui mettent en cause une realpolitik de fait, la prétention instinctive des États-Unis à se situer du côté du bien, leur lecture idéologique des réalités mondiales, les motifs inavoués de leur alternance d’interventions ou de réserve, ou encore la direction qu’ils impriment aux institutions économiques internationales (fortement contestée par les organisations altermondialistes). Dans les faits, le passage entre le XXe et le XXIe siècle apparaît marqué par la complexité (qui transparaît nettement dans la situation du Proche-Orient) plus que par un ordonnancement manifeste. Les attentats du 11 septembre 2001 contre les États-Unis en fournissent une illustration dramatique, qui focalise l’attention sur la frange radicale de l’islamisme. Les efforts de l’Organisation des Nations unies – qui compte 190 membres en 2002 pour 125 en 1970 – pour incarner la communauté internationale témoignent de cet état de fait. L’attribution aux «casques bleus» du prix Nobel de la paix en 1988 est révélatrice de l’énergie mise à monter des opérations de paix et des espoirs investis dans l’ONU durant la seconde moitié des années 1980 et le début des années 1990. Le décalage entre ces espoirs et la réalité se révèle souvent cruel par la suite, et la question des missions et du financement se pose avec d’autant plus d’acuité que la combinatoire des attentes et des risques évolue rapidement. Il n’est que de souligner les pistes nouvelles que constituent l’affirmation du droit d’ingérence (1991), la création de la Cour pénale internationale (1998) ou encore les craintes anciennes mais réactivées en matière de dissémination nucléaire et de qualité de l’environnement. » Activités, consignes et productions des élèves : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 84 HC – La construction européenne depuis 1945 Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Guillaume DEVIN, Guillaume COURTY, La Construction européenne, La Découverte, coll. « Repères », 2001.La Construction européenne, La Découverte, 2001, 128 p., coll. «Repères » Bruneteau Bernard, Histoire de l’unification européenne, Armand Colin, 1996, 236 p., coll. «Prépas». B. Bruneteau, Histoire de l’idée européenne au premier XXe siècle à travers les textes, A. Colin, Paris, 2006.Courty Guillaume, Gerbet Pierre, La Construction de l’Europe, Imprimerie nationale, (1983) 1999, 618 p. GERBET Pierre, 1957, La Naissance du Marché Commun, Bruxelles, Éditions Complexe, collection « Historiques », 2007 (1re éd. 1987). BITSCH Marie-Thérèse, Histoire de la construction européenne, Bruxelles, Éditions Complexe, 2008 (1re éd. 1996). Bossuat Gérard, Les Fondateurs de l’Europe, Belin, (1994) 2001, 286 p. G. Bossuat, L’Europe Occidentale à l’heure américaine, éditions Complexe, Bruxelles, 1992. Gaillard Jean-Michel, Rowley Antony, Histoire du continent européen, 1850-2000, Seuil, 2001, 768 p., coll. « Points histoire ». Gauthier A., La Construction européenne, Bréal, 2004. Du Réau Élisabeth (dir.), L’Europe en mutations de la Guerre froide à nos jours, Hachette, Carré Histoire, 2001. É. Du Réau, L’Idée d’Europe au XXe siècle, éditions Complexe, Bruxelles, 1996 et 2001. 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Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des Enjeux didactiques (repères, notions et savoirs, concepts, problématique) : méthodes) : Les travaux historiques qui analysent le phénomène dans toutes ses dimensions sont encore rares. Les études sur les institutions sont dominantes, et lorsque les hommes sont pris en compte, il s'agit généralement de ceux qui « ont fait l'Europe », c'est-à-dire les chefs d'État. L'analyse des relations politiques inter-étatiques prend le pas sur l'intégration économique, et les aspects culturels apparaissent peu. Les travaux de Guillaume Courty et Guillaume Devin ont l'intérêt de dépasser ces approches réductrices en analysant la construction européenne comme produit d'un processus largement non planifié. Ils mettent en lumière trois logiques qui concourent à la construction européenne, tantôt antagonistes, tantôt complémentaires : les stratégies des États, la dynamique propre des institutions et l'organisation des intérêts. BO Tle L-ES : « L’Europe de l’Ouest en construction jusqu’à la fin des années 1980 La construction européenne procède de plusieurs facteurs : un idéal qui associe rejet des “guerres civiles” européennes et recherche d’un modèle, une réaction à la menace soviétique, une volonté d’utilisation de la puissance de la Communauté au service des politiques nationales. Elle se traduit par la mise en place d’une politique d’intégration et de convergence.» La construction européenne fait l’objet depuis l’origine d’une profusion d’analyses et d’études tant par les acteurs politiques eux-mêmes que par les milieux universitaires ou les fondations privées représentant les intérêts des différents courants politiques attachés aux principes de l’unification européenne. Il ne s’agit plus d’analyser un modèle mais de cerner les enjeux de la construction européenne et les rythmes de sa mise en oeuvre. La construction européenne a certes été le fruit de circonstances propres au monde de l’après-guerre mais n’est pas le résultat spontané d’un destin européen incontournable. C’est d’abord le résultat de volontés opiniâtres et convergentes qui témoignent de l’autonomie du politique dans les démocraties libérales, dont les principes forment le socle de l’Europe en gestation. Si la nécessité de l’unification européenne se fait plus forte en fonction des circonstances de la guerre froide et par la recherche d’un redressement européen après trois décennies de guerres et de difficultés, il ne faut pourtant pas occulter la dimension nationale de la construction européenne qui a souvent été conçue comme un instrument au service de la puissance des États-nations. Il convient donc de se garder d’une approche trop manichéenne qui opposerait indépendance nationale et construction européenne dans un cadre fédéral. Le choix de la fin des années 1980 comme limite chronologique répond davantage aux impératifs d’une approche globale de l’Europe aujourd’hui réunifiée que de l’étude de la seule Europe de l’Ouest et de sa dynamique d’unification. Accompagnement TL-ES : « La volonté d’initier des politiques de convergence et d’intégration entre les États d’Europe occidentale bénéficie d’un climat favorable à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Les raisons en sont multiples : écoeurement des guerres entre Européens, crainte de la puissance soviétique, moyen pour les pays marqués par la décolonisation et le risque de l’effacement de conserver une existence sur la scène mondiale, promotion d’un modèle associant libéralisme politique et économique et mise en oeuvre de l’État-providence. À des degrés et sur des terrains divers, l’OECE (1948), le Conseil de l’Europe (1949), l’OTAN (1949) et bien sûr la CECA (1951) participent de cette volonté appuyée par les États-Unis. Cependant, l’intitulé du thème d’étude et le temps disponible invitent à centrer l’étude sur la Communauté économique européenne, depuis les traités de Rome (Marché commun et Euratom) jusqu’à la veille des mutations géopolitiques de la fin de la décennie 1980. Cette étape met l’accent sur l’union douanière et l’intégration économique. Elle est ponctuée d’avancées importantes : politique agricole commune initiée en 1962, tarif douanier extérieur commun et suppression des droits de douane internes en 1968, entrée en vigueur du Système monétaire européen en 1979, signature de l’Acte unique (1986) parachevant l’espace économique unifié souhaité par les fondateurs de la CEE. Mais ces avancées n’auraient pu avoir lieu sans l’élaboration progressive d’institutions et de fonctionnements acceptables par tous, ni prendre toute leur dimension sans les élargissements. Ces derniers induisent un changement d’échelle : à partir de 1973, la CEE compte 252 millions d’habitants et est le deuxième pôle économique du De nombreux facteurs permettent de comprendre la naissance après 1945 de la construction européenne : le rejet des guerres, la crainte de l’expansionnisme soviétique, la conscience de l’affaiblissement lié à la perte des colonies, mais aussi la volonté de préserver son influence sur la scène mondiale, liée à la hantise du déclin. L’histoire de l’unification européenne est le résultat de la volonté de nombreux acteurs. Elle se traduit par une stratégie de coopération et d’intégration débouchant sur des dynamiques institutionnelles. Le modèle européen associe libéralisme politique et économique et État providence. L’accent porte sur l’union douanière et l’intégration économique. La PAC, un tarif douanier extérieur commun, la suppression des droits de douane internes, le SME, l’Acte unique parachèvent un espace économique unifié. La volonté d’initier des politiques de convergence et d’intégration entre les États d’Europe occidentale bénéficie d’un climat favorable à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. À des degrés et sur des terrains divers, l’OECE (1948), le Conseil de l’Europe (1949), l’OTAN (1949) et bien sûr la CECA (1951) participent de cette volonté. Cependant, l’intitulé du thème d’étude et le temps disponible invitent à centrer l’étude sur la Communauté économique européenne, depuis les traités de Rome jusqu’à la veille des mutations géopolitiques de la fin de la décennie 1980. Cette étape met l’accent sur l’union douanière et l’intégration économique. Elle est ponctuée d’avancées importantes : politique 86 agricole commune (1962), tarif douanier extérieur commun et suppression des droits de douane en 1968, entrée en vigueur du SME (Système monétaire européen) en 1979, signature de l’Acte unique (1986) parachevant l’espace économique unifié souhaité par les fondateurs de la CEE. Mais ces avancées n’auraient pas pu avoir lieu sans l’élaboration progressive d’institutions et de fonctionnements acceptables par tous, ni prendre toute leur dimension sans les élargissements. Ces derniers induisent un changement d’échelle : à partir de 1973, la CEE compte 252 millions d’habitants et est le deuxième pôle économique du monde. Choisir un temps fort, un acteur (ou un couple d’acteurs) ou un courant politique emblématiques de la construction européenne et lui consacrer un développement permettrait d’incarner ce processus et d’enrichir la compréhension des motivations, enjeux et difficultés à l’oeuvre. Qu’est-ce qui a motivé la construction européenne ? L’idée d’unir les peuples d’Europe est ancienne, mais reste longtemps purement utopique ; les désastres de la Première Guerre mondiale amènent à une prise de conscience et font naître les premières initiatives concrètes, comme le projet d’Aristide Briand de fédération européenne, présenté en 1929 à la Société des Nations. En 1945, la ruine économique, la division de l’Europe rendent désormais impérative la réconciliation et le rapprochement des peuples et des pays d’Europe occidentale. Il faut reconstruire, se protéger face au « péril rouge ». Les premiers pas sont donc motivés par ce contexte ; la création de l’OECE en 1948, encouragée par les États-Unis, doit permettre de répartir l’aide du plan Marshall. En 1949 la fondation du Conseil de l’Europe, forum de discussion auquel participent une dizaine de pays, rappelle que les Européens partagent des valeurs et des principes communs ; en 1950 le Conseil adopte la Convention européenne des droits de l’Homme. L’initiative majeure revient cependant aux « pères de l’Europe », Monnet, Schuman, Adenauer et Gasperi, qui veulent unir l’Europe par des réalisations concrètes, une solidarité de fait créant les conditions d’une prospérité commune. C’est ainsi que naît en 1951 la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), disposant d’institutions propres, supranationales, première étape de la construction européenne. monde. Choisir un temps fort, un acteur (ou un couple d’acteurs) ou un courant politique emblématiques de la construction européenne et lui consacrer un développement permettrait d’incarner ce processus aux yeux des élèves et d’enrichir la compréhension qu’ont ces derniers des motivations, enjeux et difficultés à l’oeuvre.» Accompagnement Tle STG : « Construction européenne La construction européenne, décidée et commencée sous la IVe République (CECA, Traité de Rome en 1957), n’est pas remise en cause par de Gaulle, même s’il veut une Europe des nations autour de l’axe francoallemand. Elle progresse, malgré les crises et les rivalités entre États, et jouit d’abord en France d’un large consensus au sein des principaux partis de gouvernement. Mais les divergences quant au type d’Europe à construire s’accentuent, au sein des partis et de l’opinion, à l’occasion de la ratification du traité de Maastricht en 1992 et du Traité constitutionnel en 2005. Elles font de l’Europe, dont les Français constatent désormais le poids des décisions pour la vie nationale, une question centrale du débat politique. » Comment les peuples qui se sont déchirés pendant des siècles ont-ils réussi à s’unir autour de valeurs communes ? Après ces premiers pas très prometteurs, la construction reste cependant difficile et lente ; l’échec de la Communauté européenne de défense en 1954 marque un tournant : les Européens ne peuvent encore s’unir que sur des objectifs de coopération économique, sans remettre en cause les souverainetés nationales. En outre, le volontarisme des dirigeants politiques, leur bonne entente vont jouer un rôle clé dans le projet européen, comme le montre l’action du couple francoallemand. C’est ainsi qu’est signé le traité de Rome en 1957, donnant naissance à la CEE et lui fixant des objectifs ambitieux : réaliser une union douanière (effective dès 1968), mettre en oeuvre des politiques économiques communes, en particulier dans le domaine agricole, favoriser le progrès social ; pour cela la Communauté dispose d’institutions propres mais les décisions sont prises à l’unanimité pour toutes les questions importantes. La crise de la chaise vide en 1966, provoquée par la France, confirme ce principe et met fin aux rêves de fédération européenne. À partir des années 1970, la construction européenne se poursuit dans deux directions : les élargissements et l’approfondissement. En 1973 avec l’entrée du Royaume-Uni, de l’Irlande et du Danemark, la CEE devient « l’Europe des 9 » ; dans les années 1980, elle s’ouvre aux pays de l’Europe du Sud débarrassés de leurs dictatures. Après les avancées des années 1970 (SME, élection du Parlement au suffrage universel), les années 1980 sont marquées par la volonté de relancer la construction européenne par la réalisation des ambitions annoncées dans le traité de Rome ; l’Acte unique élaboré par Jacques Delors doit permettre cet aboutissement. Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : La première partie évoque l’idée européenne et l’aspiration à la paix après la Seconde Guerre mondiale, tout en montrant la diversité des partisans de l’Europe comme de ses adversaires. Cette exposition est suivie d’une partie consacrée au poids des circonstances internationales dans les débuts de la construction Le Congrès fédéraliste de La Haye (1948) Le congrès de La Haye de 1948 devait présenter des solutions pratiques pour la 87 européenne, du plan Marshall à la CECA, en insistant particulièrement sur les questions de sécurité européenne dans le contexte de la guerre froide. La partie suivante évoque le développement des politiques d’intégration et de convergence depuis les premiers traités de la CEE jusqu’à l’Acte unique européen. LES RÉUSSITES ET LES ÉCHECS DE LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE (1945-1989) I. Les premières étapes de la construction 1945-1957 (comment construire l’Europe au lendemain de la guerre ?) II. Les débuts d’une Europe communautaire 1957-1973 (quelle part les facteurs externes et internes à l’Europe ont-ils joué dans le processus et le rythme de la construction européenne et avec quels résultats ?) III. La construction européenne entre crise et relance 1973-1989 (quelle Europe construire (entre élargissement et approfondissement) ?) Trois « pères de l’Europe » Robert Schuman et Konrad Adenauer sont à juste titre rangés parmi les pères fondateurs de l’Europe. Avec De Gasperi, ils constituent le noyau démocratechrétien des européistes. Dans son Journal du septennat, le socialiste Vincent Auriol évoque d’ailleurs d’une manière caustique, au sujet de Schuman, Adenauer et De Gasperi, « trois tonsures sous la même calotte ». Robert Schuman, « homme de la frontière, lotharingien par origine » comme il aimait à se définir, veut en finir avec la vieille rivalité franco-allemande. Animé par son patriotisme, sa ferveur chrétienne et son anticommunisme, Robert Schuman trouve en Konrad Adenauer un partenaire de choix. Ce dernier, chancelier durant 15 ans, a marqué la politique de son époque au point que l’on parle d’une « ère Adenauer ». La construction européenne est selon lui le meilleur moyen pour la RFA de rétablir la souveraineté allemande et d’effacer les réticences alliées envers le passé nazi de l’Allemagne. En cela, l’idée européenne s’articule aux intérêts de souveraineté nationale sans nécessairement les contredire ou les contrecarrer. L’Europe est, pour l’Allemagne, un outil pour réintégrer le concert des nations. Adenauer continue la politique de rapprochement après 1958, avec le général De Gaulle. Ensemble, ils contrecarrent les projets britanniques visant à affaiblir la CEE (1958), mettent en place la politique agricole commune (1962) et signent le traité de l’Élysée (1963), acte de réconciliation officielle entre les deux pays. Moins connue, la personnalité d’Alcide de Gasperi mérite d’être évoquée dans un chapitre qui doit s’inscrire dans la dimension la plus européenne possible. « Homme de la frontière » lui aussi, il a été député autrichien avant que les aléas de l’Histoire ne rattachent sa province natale, le Trentin, à l’Italie en 1919. Animateur du mouvement démocrate-chrétien italien, il fut huit fois président du Conseil entre 1945 et 1953. Le plan Marshall et l’OECE L’aide Marshall repose sur une exigence américaine, la mise en oeuvre d’une coopération européenne afin de répartir l’aide. C’est pour répondre à cet impératif qu’est organisée la conférence de Paris sur la coopération économique européenne à l’été 1947. Renonçant à une union douanière, les participants mettent alors en place un organisme de coopération intergouvernementale, l’OECE, rejoint par 15 pays d’Europe ainsi que la Turquie et l’Allemagne occidentale. Limitée dans son action par la règle de l’unanimité, l’OECE a quand même facilité les échanges intra-européens et permis la création d’une Union européenne des paiements pour rendre les monnaies européennes convertibles. La CECA, une « réalisation concrète » Selon Schuman, l’Europe doit se construire par des « réalisations concrètes », portant « sur un point limité mais décisif » et concernant « au premier chef la France et l’Allemagne ». La préoccupation majeure de Robert Schuman est de mettre en oeuvre la réconciliation franco-allemande, sous la forme d’une coopération dans deux secteurs stratégiques de l’industrie lourde, le charbon et l’acier. L’originalité du plan réside dans son pragmatisme. Échaudés par les échecs des visions théoriques et des proclamations fédéralistes sans lendemain, Jean Monnet et Robert Schuman proposent un outil apte à réaliser immédiatement l’objectif proclamé d’une intégration sectorielle, certes partielle, mais profondément fédérale. La CECA est en effet un premier pas vers une réalisation de l’unité européenne. Mais, en dépit de résolutions généreuses, les dissensions l’emportent alors sur le consensus. Fédéralistes et unionistes s’opposent tandis que libéraux et dirigistes ne peuvent trouver de terrain d’entente. Les délégués de 24 pays européens ont toutefois contribué à montrer l’image dynamique et diversifiée des courants européistes. On remarque au mur la présence de ce qui allait devenir le drapeau des militants fédéralistes européens : le E vert sur fond blanc. Ce drapeau ne devait cependant jamais devenir le drapeau institutionnel de l’Union. En effet, en 1986, le drapeau étoilé est choisi pour représenter l’Union européenne. « En avant, l’Europe ! » Après la défaite des conservateurs aux élections anglaises de 1945, Winston Churchill, ancien Premier ministre et héros de la Seconde Guerre mondiale, s’engage en faveur des « États-Unis d’Europe » dans le célèbre discours de Zurich. Il reprend l’expression, déjà citée par Victor Hugo, d’ « États-Unis d’Europe », et prône, comme Aristide Briand vingt ans auparavant, la création d’un axe franco-allemand. Churchill est favorable à un rapprochement européen, qu’il décrit en des termes enthousiastes mais assez flous. Il faut souligner que la GrandeBretagne encourage ce rapprochement mais n’y participe pas. Pour Churchill, La GrandeBretagne a déjà son « groupement naturel », le Commonwealth. Les « États-Unis d’Europe » sont indispensables face au danger soviétique que ressent si douloureusement Churchill et qu’il a déjà évoqué dans le récent discours de Fulton, mais la tradition d’indépendance de la Grande-Bretagne ne saurait lui permettre d’y participer. Le « premier pas » de ce rapprochement européen doit être la réconciliation franco-allemande. Churchill a parfaitement compris que l’Europe occidentale ne peut pas s’unir face au danger communiste si la France ne se rapproche pas de son ancien ennemi allemand. Il anticipe ainsi sur ce qui s’est produit en 1950-1952 avec la CECA. L’Allemagne, la Russie et l’Europe Wilhem Röpke est l’un des théoriciens de l’« économie sociale de marché » qui prône un libéralisme tempéré par l’État, garant du libre jeu du marché. Économiste conservateur, il a influencé la politique économique des divers chanceliers allemands, ce qui l’a auréolé de la paternité intellectuelle du miracle économique ouestallemand. Conscient des responsabilités allemandes dans le déclenchement de guerres qui ont ensanglanté l’Europe, il partage les convictions européistes d’Adenauer, en particulier dans l’espoir de redresser 88 fédération européenne. Une Haute Autorité de 9 membres indépendants des États qui les ont nommés prend les décisions économiques, tandis qu’une assemblée de 78 parlementaires désignés par les assemblées des pays membres encadre les travaux de cette Haute Autorité. L’optique fédéraliste l’emporte nettement dans ce cadre institutionnel, qui fut facilement accepté, sauf en France. Ce projet est emblématique de ce qu’on a appelé la « méthode Monnet », car l’inspirateur de la CECA est bien Jean Monnet : partir d’un projet très concret, pour dépasser les souverainetés nationales et construire une Europe fédérale. La « méthode Monnet », c’est aussi une stratégie médiatique : Schuman maintient le secret jusqu’au dernier moment et n’informe ni l’Assemblée nationale ni le quai d’Orsay. La déclaration fait donc l’effet d’une bombe, le 9 mai 1950, dans le salon de l’Horloge du ministère des Affaires étrangères, devant des journalistes qui ignoraient ce à quoi ils étaient conviés. Faut-il réarmer l’Allemagne de l’Ouest ? Il faut souligner le rôle pivot de la question du réarmement allemand pour la sécurité européenne. En 1950, alors que gronde le conflit coréen et que l’expansionnisme communiste est de plus en plus perçu comme une menace, les responsables politiques occidentaux, en particulier américains, réclament « des Allemands en uniforme ». La République fédérale d’Allemagne n’a ni armée, ni ministère de la Défense, alors même que sa situation géographique au coeur de l’Europe, en fait un théâtre d’affrontements en cas de conflit Est-Ouest. Favorable au réarmement, le chancelier Adenauer défendra la Communauté européenne de défense. Les principaux dirigeants européens sont plus partagés sur la question du réarmement allemand. Le projet de Communauté européenne de défense apporte provisoirement une réponse aux craintes des Européens en proposant de réarmer l’Allemagne mais sous le contrôle d’une autorité supranationale européenne. Pour une Communauté européenne de défense René Pleven est un catholique proche de Jean Monnet et du général de Gaulle. Il annonce le plan qui porte son nom alors qu’il est devenu président du Conseil après avoir exercé les fonctions de ministre de la Défense et que les tensions internationales s’accroissent du fait de la guerre de Corée commencée en juin 1950. Une fois de plus, ce plan d’unification militaire doit tout à Jean Monnet qui en a assuré l’élaboration. Devant l’insistance du secrétaire d’État américain Dean Acheson à mettre en place des « Allemands en uniforme pour l’automne 1951 » et le refus français de toute renaissance militaire allemande autonome, le gouvernement français lance un projet de Communauté européenne de défense. Cet ambitieux projet est aussi un instrument entre les mains des fédéralistes qui veulent ainsi réaliser une armée européenne pour faciliter ensuite la naissance de l’État européen fédéral qu’elle serait destinée à protéger. Pleven annonce que les institutions de la CED seront calquées sur celles de la CECA. Cependant, le caractère supranational du projet de la CED sera moins marqué qu’il ne l’évoque alors. L’idée d’un ministre européen de la défense responsable devant le parlement de la CECA est par exemple abandonnée. La CED, 1954 Les « cédistes » (partisans de la CED) jouent la carte du pacifisme et de la fin des guerres civiles européennes en montrant que le malheur n’a pas de frontières : la veuve française et la veuve allemande sont unies dans la douleur. Les « anticédistes » agitent l’épouvantail allemand. L’échec du projet de Communauté européenne de défense est paradoxal : initié par les autorités françaises afin d’éviter un réarmement allemand que souhaitent de plus en plus les Américains, le projet est finalement rejeté par les Français. Plusieurs fois amendé et vidé de sa substance supranationale, non soutenu par le gouvernement de Pierre Mendès France, le projet est enterré sans discussion par l’assemblée nationale le 30 août 1954. Le sentiment national plutôt qu’européen et la peur du danger allemand l’ont emporté sur la volonté de construire une défense commune pourtant acceptée par tous nos partenaires européens et aussi par le gouvernement américain. Les États-Unis et la défense de l’Europe Les accords de Paris du 23 octobre 1954 fondent l’Union de l’Europe occidentale (UEO). L’Allemagne de l’Ouest est autorisée à rejoindre le pacte de Bruxelles l’Allemagne et d’y affermir les convictions démocratiques. Le traité de Rome instituant la CEE (1957) Les traités de Rome sont le résultat d’une relance européenne entamée à la conférence de Messine de 1955, alors même que la construction européenne semble dans l’impasse après l’échec de la CED et l’isolement de la CECA. Les conflits entre fédéralistes « maximalistes » menés par Denis de Rougemont et Altiero Spinelli, et les « possibilistes » plus pragmatiques et mesurés, lassent une opinion publique de plus en plus indifférente à la construction européenne. Mené par le socialiste belge Paul-Henri Spaak, un comité de travail doit choisir entre la voie d’une relance par l’intégration sectorielle et celle de la mise en place d’un marché commun. Le comité Spaak réalise un compromis en proposant une intégration sectorielle dans le domaine atomique et la mise en place d’un marché commun. « Europe des Six » contre « Europe des Sept » À l’initiative du Royaume-Uni, la convention de Stockholm, signée par les ministres britannique, norvégien, danois, suisse, portugais, suédois et autrichien, le 4 janvier 1960, donne naissance à l’Association européenne de libre-échange. L’AELE a pour objectif de créer une zone de libre-échange pour les pays d’Europe nonmembres de la Communauté économique européenne (CEE) et de contrebalancer l’influence économique de cette dernière. Le siège de l’AELE est situé à Genève. Ce marché de 90 millions d’habitants n’a jamais débouché sur une volonté d’union plus politique, c’est une association purement intergouvernementale, une simple zone de libre-échange. C’est en août 1961 que le RoyaumeUni présente sa première candidature à la CEE. En janvier 1963, dans une conférence de presse, le général De Gaulle y oppose une fin de non-recevoir. Il revient sur l’idée que la Grande-Bretagne s’était opposée à la Communauté en refusant de participer aux traités de Rome et en suscitant une union concurrente : l’Association européenne de libre-échange (AELE), en 1960. Il évoque également le décalage des structures économiques (le secteur primaire n’y représente plus il est vrai, au début des années 1960, que 2 % de la population active, contre environ 10 % en RFA, 20 % en France, 30 % en Italie), ainsi que l’alignement atlantiste de Londres, qui ferait du Royaume-Uni le « cheval de Troie » de l’influence américaine en Europe. 89 alors que se desserrent les liens du régime d’occupation. Si la RFA n’est pas autorisée à se doter d’armes de destruction massive, elle dispose de forces conventionnelles, la Bundeswehr, qui intègrent l’OTAN en mai 1955. Après l’échec d’une solution européenne, c’est donc une solution atlantiste qui est trouvée à la « question allemande ». La ratification de l’UEO entraîne une riposte soviétique, la création du pacte de Varsovie. Les anticédistes disaient vouloir éviter un réarmement allemand et un renforcement de l’influence américaine en Europe, ils obtinrent pourtant ce qu’ils craignaient le plus. Les institutions de la CEE (1957-1989) Le pouvoir législatif appartient essentiellement au Conseil des ministres, qui prend toutes les décisions à la majorité qualifiée ou à l’unanimité. La Commission détient aussi une partie du pouvoir législatif, puisqu’elle propose les textes adoptés ou non par le Conseil (initiative des lois). L’Assemblée parlementaire européenne de 142 membres à l’origine, qui prend le nom de Parlement européen seulement en 1962, n’est qu’un organe consultatif. Le pouvoir exécutif est partagé par le Conseil, organe dirigeant, et par la Commission, chargée d’exécuter les décisions et que l’on peut assimiler à une sorte de gouvernement de la CEE. Il est important d’expliquer aux élèves l’originalité de la CEE où les pouvoirs ne sont pas séparés selon le modèle démocratique libéral qui nous est familier. Ces institutions sont le résultat d’un compromis entre les unionistes, attachés à la coopération intergouvernementale, et les fédéralistes, qui souhaitent réduire la souveraineté des États-membres. Il apparaît nettement que la sensibilité unioniste l’a emporté à l’origine. L’exécutif est partagé en deux, mais le Conseil a plus de pouvoir que la Commission, tandis que l’institution parlementaire, fédérale par essence, ne dispose alors d’aucun pouvoir. Le traité de la CEE est donc en retrait par rapport aux institutions de la CECA. L’originalité des traités de Rome est d’avoir réalisé la synthèse entre la formule intergouvernementale, éprouvée par les institutions de l’OECE, et le modèle supranational dont la CECA est l’exemple le plus achevé. Comment la CEE est-elle sortie des crises des années 1970-1980 ? La CEE se heurte à deux types de difficultés. La première est économique et sociale avec la baisse de la croissance, à l’origine d’un chômage important (autour de 10 % à la fin des années 1980). De plus, les réponses sont effectuées dans un cadre national, sans concertation. Enfin, ces politiques sont souvent dissonantes : la France de Mitterrand adopte une politique néokeynésienne de relance de la consommation, l’Angleterre de Thatcher, une politique néolibérale de rigueur et d’austérité budgétaire. La seconde traduit une désillusion qui peut aller jusqu’à une indifférence ou une désaffection pour l’Europe, sentiment pour lequel on utilise l’expression d’europessimisme. La CEE semble incapable de surmonter ses difficultés car elle est divisée : l’opinion des populations des pays membres diverge, certains ne croyant plus en ses capacités, et ses dirigeants sont repliés sur eux, au détriment d’une politique de concertation commune. La construction européenne connaît malgré tout trois types d’avancées : la réforme des institutions avec l’élection des députés du Parlement au suffrage universel en 1979, l’élargissement avec l’entrée de l’Espagne en 1986 (mais aussi de la Grèce en 1981 et du Portugal en 1986), enfin le Marché unique européen mis en place en 1986 renforce le poids politique et économique de la communauté. Ces avancées ne font pas tout à fait disparaître l’europessimisme. En ce qui concerne les élections, il serait naïf de croire à la seule vertu pacificatrice du vote, il ne peut mettre fin à deux mille ans de nationalisme guerrier. D’autre part, l’identité européenne n’est pas le fait de partager des traits identiques, mais d’en avoir conscience. Or on peut avoir conscience d’être Européen, mais ne pas vouloir construire l’Europe (d’où l’europessimisme). La construction européenne des années 1950 a modifié l’identité européenne, en créant de façon fragmentaire, le sentiment d’appartenance, elle n’est plus une aire culturelle, mais une communauté politique en gestation : elle est plus « volonté d’identité ». Ensuite, on n’est pas « européen » selon le lieu d’Europe. Enfin le sentiment européen est concurrencé par le sentiment national et même régional. En ce qui concerne l’élargissement, les Espagnols craignent la montée des prix pour se mettre à niveau des Européens. La CEE sort cependant renforcée des années 1980, car la crise l’a poussée à poursuivre sa dynamique d’approfondissement (élections du Parlement au suffrage universel, Acte unique) « Vous voulez de nouveau descendre ! » La Grande-Bretagne a adhéré à la CEE pour des raisons économiques. La GrandeBretagne ne réalisant plus en 1972 qu’un cinquième de son commerce extérieur avec le Commonwealth, la Communauté européenne devient prépondérante dans les investissements du Royaume-Uni. La décision de relancer une demande d’adhésion à la CEE en juin 1970 est donc logique (après la fin de non-recevoir du général de Gaulle en 1963 et 1967). Au cours de l’été 1971, le gouvernement d’Edward Heath mène en Angleterre une intense campagne de propagande en faveur de l’adhésion au Marché commun. L’adhésion est approuvée le 28 octobre 1971 par un vote historique à la Chambre des Communes. La Grande-Bretagne intègre la CEE le 1er janvier 1973. La Grande-Bretagne envisage de quitter la CEE pour des raisons financières. Dès l’origine, le problème de la contribution britannique au budget communautaire est le point le plus difficile à régler. Selon les règles communautaires, la Grande-Bretagne doit verser à la CEE des sommes importantes au titre des prélèvements agricoles. La Grande-Bretagne importe la majorité de ses produits alimentaires à partir de pays tiers et à des prix inférieurs aux prix communautaires, les prélèvements sont donc très élevés. Par contre, comme le secteur agricole britannique occupe une place faible dans l’activité économique, le retour financier est faible. Londres cherche donc à obtenir une diminution de sa contribution. La victoire des travaillistes aux élections en février 1974 relance la question de la contribution financière. Harold Wilson exige l’allégement de la participation financière et la reconduction des subventions directes aux paysans des régions défavorisées. Un référendum est même prévu sur le maintien du pays dans la CEE, ce qui pousse les partenaires européens à d’importantes concessions. Les partisans de l’unification européenne réussissent alors à convaincre une majorité d’Anglais (67 %) d’approuver le maintien de la Grande-Bretagne dans la CEE lors du référendum du 5 juin 1975. En 1979-1980, la Grande-Bretagne contribue encore pour 20 % aux recettes communautaires, mais ne reçoit que 12 % des dépenses. Margaret Thatcher, Premier ministre conservateur déclare « I want my money back ». De nouvelles concessions sont alors accordées. Les années 1970 sont marquées par les figures de Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt (chancelier de RFA de 1974 à 1982). Tous deux sont arrivés au pouvoir en 1974, à trois jours d’intervalle, les 16 et 19 mai, et sont bien plus liés que leurs deux 90 et d’élargissement. L’Europe à la croisée des chemins, 1985 Jacques Delors appartient tant à la famille des démocrates-chrétiens qu’à celle des socialistes non marxistes. En cela, il réalise la synthèse des deux grands courants politiques qui ont impulsé la construction européenne dès l’origine. En 1985, Jacques Delors dresse un bilan sévère mais lucide de la construction européenne. Les difficultés économiques et financières des années 1970 ont favorisé le développement de l’euroscepticisme. Il faut relancer à nouveau la construction européenne. Le Livre Blanc, que J. Delors, nouveau président de la Commission européenne, publie en juin 1985, permet de mettre en avant un projet concret de mise en oeuvre d’un grand marché et de refonte des institutions européennes. Jacques Delors opère une distinction entre marché commun et marché unique. Il s’agit bien de parachever la réalisation d’un marché commun, qui se définit par les quatre libertés (libre circulation des biens, des personnes, des services et des capitaux) – par exemple en supprimant les postes de douane. Mais il s’agit d’aller encore plus loin dans la convergence économique entre les États-membres, par « l’harmonisation des règles, le rapprochement des législations et des structures fiscales, le renforcement de leur coopération monétaire ». C’est cela le marché unique. Pour Jacques Delors, ce marché unique est un préalable à une plus grande unité politique. Si la CEE ne parvient pas « à parfaire l’intégration économique de l’Europe », elle sera incapable de s’unifier vraiment et retombera au niveau d’une simple zone de libre-échange. Dans cette alternative, il y a une certaine dramatisation de la part de Jacques Delors, qui veut ainsi donner un nouvel élan à la construction européenne. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : prédécesseurs, Georges Pompidou et Willy Brandt. En dépit de quelques désaccords, ils se concertent pour promouvoir de réelles avancées : création du Conseil européen, élection du Parlement au suffrage universel, lancement de l’union monétaire… François Mitterrand et Helmut Kohl ont constitué le couple franco-allemand le plus long et le plus solide, de 1982 à 1995. Ensemble, ils ont eu à gérer de nombreux chantiers importants comme la crise des euromissiles en 1983, l’élargissement de 1986, la relance de 1985-1986 (Acte unique), l’effondrement du communisme, la réunifi cation allemande, le traité de Maastricht… Cela n’a pas été sans désaccords, mais leur idéal commun et une sympathie réciproque favorisaient le compromis. Ils s’accordent avant les sommets pour présenter une position commune face aux autres États, notamment sur la question de la participation financière britannique à la CEE (Londres réclamant une compensation car l’Angleterre paie plus à l’Europe qu’elle n’en reçoit) et la nomination d’un nouveau président pour la Commission européenne. Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 91 HC – Les démocraties populaires Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : FEJTÖ François, Histoire des démocraties populaires, 2 tomes, Paris, Éditions du Seuil, 1969. Fejtö François, Histoire des démocraties populaires, Seuil, « Points histoire », (1953-1992) 1. L’Ère de Staline, 1945-1953, (1953) 1992, 384 p. ; 2. Après Staline, 1953-1979, (1979) 1992, 384 p. ; 3. La fin des démocraties populaires, les chemins du postcommunisme (avec la collaboration d’Ewa Kulesza-Mietkowski), (1991) 1997, 608 p. F. FETJÖ, 1956, Budapest, l’insurrection, Complexe, 1990. F. Fejtö et J. Rupnik, Le Printemps tchécoslovaque, Complexe, Paris, 1999 (actes du colloque sur la Tchécoslovaquie). J. Rupnik, L’Autre Europe, crise et fin du communisme, édition du Seuil, Paris, 1993. Mink Georges, Vie et mort du bloc soviétique, Casterman-Giunti, 1997, 160 p., coll. «XXe siècle ». Soulet Jean-François, L’Empire stalinien, l’URSS et les Pays de l’Est depuis 1945, Le Livre de poche, 2000, 256 p., coll. «Références» (des origines à la fin des démocraties populaires). J.-F. Soulet, Histoire comparée des États communistes de 1945 à nos jours, Armand Colin-Masson, Paris, 1996. Bogdan H., Histoire des pays de l’Est des origines à nos jours, Perrin, 1990. GARTON ASH (T.), La Chaudière Europe centrale 1980-1990, Gallimard, 1990. Michel DREYFUS (sous la dir.), Le Siècle des communismes, Ed. de l'Atelier, 2000. Levesque Jacques, 1989, la fin d’un Empire, l’URSS et la libération de l’Europe, Presses de Sciences Po, 1995. K.KAPLAN, 1952, Procès politiques à Prague, Complexe, 1980. A. KRIEGEL, Les Grands Procès dans les systèmes communistes, Gallimard, 1972. E. TERRAY, Novembre 1989. Le mur de Berlin s’effondre, Le Seuil, 1999. Snejdarek Antonin, Mazurowa-Chateau Casimira, La Nouvelle Europe centrale, Imprimerie nationale, 1986, 436 p. CARRÈRE D’ENCAUSSE Hélène, Le grand frère : l’Union soviétique et l’Europe soviétisée, Paris, Flammarion, 1983. P. LEMARCHAND (sous la dir.), L'Europe centrale et balkanique. Atlas d'histoire politique, Éditions Complexe, Paris, 1995. S. COURTOIS (sous la dir.), Le Livre noir du communisme, Laffont, 1997. J. KORNAI, Le Système socialiste. L'économie politique du communisme, Grenoble, PUG, 1996. D. BEAUVOIS, Histoire de la Pologne, Hatier, 1995. S. KOTT, Le Communisme au quotidien, Belin, 2001. S. Leteuré, Le Temps des démocraties populaires, Ellipse, Paris, 2004. G. H. Soutou, La Guerre de cinquante ans, Fayard, Paris, 2001. Havel Vaclav, Interrogatoire à distance, Édition de l’Aube, 1987. Documentation Photographique et diapos : Revues : «La chute du mur de Berlin », L’Histoire, octobre 1999, n° 236. Gaillard J.-M., « Chronique d’une Europe coupée en deux », dans l’Histoire, n° 286, avril 2004. Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : L'historiographie des régimes « socialistes » des pays de l'Est s'est renouvelée ces dernières années grâce à l'ouverture partielle des archives communistes. Si ces nouvelles sources n'ont pas suscité de découverte sensationnelle sur des événements déjà largement connus, elles ont rendu possible une analyse fine des processus décisionnels au sein du mouvement communiste à toutes les échelles (locale, nationale, internationale) et une réflexion approfondie sur les modes d'insertion du phénomène communiste dans l'histoire sociale et politique de chaque pays. La sociologie est largement sollicitée pour rendre compte de la spécificité des sociétés communistes qui ne peuvent être pensées indépendamment du pouvoir politique. Les études récentes s'intéressent notamment aux modalités de la domination de l'appareil d'État sur la société civile, et aux attitudes de résistance ou de refus qu'une telle domination suscite. L'entreprise est un terrain d'étude intéressant, car elle est la principale zone de contact entre l'État et la société civile et occupe une place privilégiée dans l'imaginaire socialiste. Le sujet impose le recours à une histoire comparée, mais force est de constater que règne encore largement la division de l'historiographie sur les pays socialistes. Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO Tle L-ES : « Le temps des démocraties populaires (1948-1989) L’étude de la mise en place de l’ordre stalinien permet de montrer la dépendance de ces pays envers l’URSS. Les révoltes des années 1950 et les stratégies réformistes font apparaître une différenciation marquée entre les pays. L’entrée en jeu progressive des sociétés civiles est mise en valeur pour rendre compte de la disparition des démocraties populaires.» Accompagnement TL-ES : « Lorsque s’achève la guerre, les victoires de l’Armée rouge ont constitué un glacis dans lequel l’autorité de l’URSS s’exerce sans contre-pouvoirs effectifs : il correspond 92 L’histoire des pays d’Europe centrale et orientale (PECO) a été renouvelée en profondeur depuis 1989. Les historiens ont eu accès à des archives jusqu’alors inaccessibles. Des commissions issues des gouvernements nouveaux ont rassemblé des documents et auditionné des témoins. La chute des démocraties populaires a permis d’envisager la totalité du processus, de la mise en place à la disparition, et donc de mieux voir les faiblesses du système. Ce qui frappe, c’est la rapidité de l’effondrement, qui a fait dire à l’historien M. Malia que si la fin du communisme ressemblait à la chute d’un château de cartes, c’est que cela avait toujours été un château de cartes. La situation est quelque peu variable, bien sûr, d’un État à un autre, mais le communisme peut apparaître en effet peu enraciné dans les démocraties populaires, souvent perçu comme une idéologie imposée de l’extérieur. Le rôle de Gorbatchev semble décisif dans le retournement de la fin des années 1980. En s’engageant à ne plus intervenir militairement dans les démocraties populaires, Gorbatchev permet le développement de mouvements libéraux. Le rôle des événements polonais de 1980-1981 est également mis en avant comme marquant le « début de la fin », car ils apparaissent comme une authentique révolution ouvrière contre le pouvoir communiste. De plus, même si l’état de siège semble interrompre le mouvement, « les fondations du système totalitaire ont été brisées » (Jacek Kuron). Le cas polonais permet d’autre part de voir comment, depuis les années 1970, la société civile polonaise s’est organisée et a progressé, en totale autonomie par rapport aux organismes officiels. Grâce au cas particulièrement net de la Pologne, la reconstitution et le développement des sociétés civiles dans les PECO ont ainsi pu être réévalués et mis en évidence. Enfin, les recherches récentes confirment le respect des zones d’influence : ainsi, lors de l’intervention du pacte de Varsovie à Prague en 1968, le président Johnson reçoit l’ambassadeur soviétique Dobrynine dans une ambiance quasi amicale. Les événements de 1989 amènent également à reconsidérer les tentatives antérieures de soulèvement, notamment Budapest en 1956 ou le « printemps de Prague » en 1968, ces événements ayant fait l’objet d’un colloque à Paris en 1998. Un débat existe sur le sens de ces événements : volonté de réformer le système ou déjà véritable « révolution » anticommuniste ? Un questionnement nouveau est porté sur l’attitude de personnages comme Dubcek : était-il profondément décidé à engager un changement ou n’a-t-il pas surtout tenté de contrôler un mouvement révolutionnaire qui risquait de lui échapper ? D’autre part, la mise en perspective de l’histoire des PECO sur l’ensemble du XXe siècle conduit à remarquer que ces pays ont peu connu la démocratie, et ont affronté à la suite deux formes de totalitarisme, ce qui inclut cet espace dans le débat sur la comparaison des totalitarismes, et ceci dans le cas particulier d’une même aire géographique. à la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie et la Tchécoslovaquie. Il faut y ajouter la zone d’occupation en Allemagne, qui deviendra la RDA, et deux pays où la résistance communiste a pris le pouvoir après avoir joué un rôle majeur dans la lutte contre l’Axe : l’Albanie et la Yougoslavie, qui adhère au magistère soviétique jusqu’en 1948. Ces entités sont diverses en ce qui concerne leur organisation socio-économique, leur paysage religieux, le rapport historique qu’elles entretiennent avec la Russie/URSS, l’espoir mis dans le communisme et leur expérience du pluralisme politique. Nonobstant ces contrastes, un système aussi uniforme que possible s’y impose en quelques années, conjuguant élimination de fait du pluralisme au profit des communistes et soumission à Moscou (acquise dans les pays du glacis entre 1945 et 1948), terrorisme visant à déstructurer les identités nationales, évolution vers le socialisme d’État. Le qualificatif de démocraties populaires est utilisé (1947) pour désigner ce nouveau type de régime, appelé au dépassement de la démocratie « bourgeoise» et à l’édification du socialisme. La mort de Staline et le cours nouveau introduit par ses successeurs permettent de mesurer le rejet de ce modèle imposé de l’extérieur, rejet déjà manifesté par la résistance yougoslave à la soviétisation. Un équilibre se cherche. Si toute remise en cause jugée dangereuse est passible d’une répression qui s’abat sur les dirigeants et la société (l’Octobre hongrois), les partis communistes nationaux acquièrent une marge réelle. En témoignent la gestion ouverte de la crise polonaise de 1956, le positionnement diplomatique roumain et plus généralement le réformisme à l’œuvre à partir des années 1950, lui-même indissociable des mutations sociales (accroissement des effectifs ouvriers, essor d’une intelligentsia technicienne et forte augmentation des diplômés). La tentative de refondation du socialisme tchécoslovaque (1963-1968) montre qu’une alliance est possible entre les groupes sociaux dynamiques et la fraction modernisatrice du Parti, pour réformer sans nier les acquis du régime ; mais le «printemps de Prague» marque les bornes de la réforme et celles de la souveraineté. À partir de la seconde moitié des années 1970, les dysfonctionnements s’accroissent et touchent même les démocraties populaires les mieux placées en matière socio-économique (RDA). L’ouverture des économies puis l’augmentation du prix des hydrocarbures induisent une dette extérieure et une dépendance énergétique insurmontables. La force mobilisatrice du marxisme-léninisme et la conviction qu’il est possible d’améliorer les choses se 93 Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : sont érodées : un fossé se creuse entre le consensus apparent et le détachement réel. Tout ceci se traduit, de manière inégale selon les pays, par la non-satisfaction de besoins élémentaires, une perte de vitalité, une autonomisation accrue de la société civile, que reflètent, inégalement là encore, la montée de la dissidence et la régression de l’athéisme. C’est en Pologne que s’identifie le mieux le divorce entre l’État et la nation, adossée à l’Église et au patriotisme, eux-mêmes renforcés par l’élection pontificale du cardinal Wojtyla en 1978. L’état d’urgence imposé dans ce pays fin 1981 confirme que le régime ne survit que par l’usage de la force et, en dernier ressort, la menace d’une intervention soviétique. Là comme ailleurs, l’évolution de la politique extérieure soviétique sous Mikhaïl Gorbatchev introduit donc un paramètre décisif. Les régimes de démocratie populaire disparaissent en six mois en 1989, y compris en Bulgarie, RDA et Roumanie, où le pouvoir signifiait pourtant qu’il ne voulait rien lâcher.» Activités, consignes et productions des élèves : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 94 HC – Les enjeux européens depuis 1989 Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Foucher Michel, La République européenne, Belin, 2000, 150 p. Mathieu Jean-Louis, L’Union européenne, PUF, 2002, 128 p., coll. « Que sais-je ?». J.-F. DREVET, L'Élargissement de l'Union européenne, jusqu'où ?, L'Harmattan, 2001. G. 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Revues : Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : 95 La fin de la division de l'Europe et l'élargissement ont ouvert un débat dont on peut tenter de poser les grandes lignes. La question fondamentale est celle du risque d'une dilution de l'Europe : c'est tout le débat entre Europe espace (Europe de libre-échange et de coopération économique) et Europe puissance (l'Europe comme acteur international majeur) qui passe par l'approfondissement des institutions et la recherche d'une politique extérieure et de défense commune comme le souligne le commentaire du programme. Plusieurs questions en découlent alors : - Les observateurs se distinguent alors sur leur plus ou moins grand optimisme dans la capacité des Européens à dégager une ligne claire, à s'entendre sur les moyens (relations intergouvernementales, fédération, coopérations renforcées...). - La définition d'une Europe puissance pose la question du positionnement avec les États-Unis : certains insistent sur l'impuissance de l'Europe notamment en termes militaires, d'autres comme J.-L. Delpuech estiment en même temps que les États-Unis jouent le rôle de « réveilleur d'Europe » car ils l'obligent à se positionner (même si cela passe d'abord par la division) et à jouer le rôle de frein à l'hyperpuissance. - Comment se définirait alors la place de l'Europe puissance sur la scène internationale ? Pour Pascal Boniface l'Europe puissance qui se dessine certes difficilement serait alors un facteur d'équilibre face aux États-Unis car, s'étant construite par la négociation et le compromis, sa puissance repose sur une culture du consensus, de la persuasion quand les États-Unis pensent être en mesure d'imposer un modèle universel. Pour P. Magnette, l'Europe peut constituer un modèle transposable pour d'autres regroupements régionaux par la méthode qu'elle a su mettre en œuvre pour substituer la coopération à la guerre. - Quelles relations définir avec ses voisins et corollairement quelles frontières pour l'UE ? Avec la Russie qui cherche de son côté à recréer une zone d'influence sur son étranger proche ? Avec les pays de la rive sud de la Méditerranée : créer un ensemble euroméditerranéen ? Avec la Turquie alors que celle-ci chercherait à créer un arc islamique dans les Balkans (Alexandre Del Valle, La Turquie dans l'Europe, un cheval de Troie islamiste ? éd. Des Syrtes, 2004) ? On retrouve toutes ces questions dans les différents scénarios possibles d'une redéfinition du modèle européen résumés par Jacques Attali, dans son intervention « L'Europe jusqu'où ? », au colloque Europe : élargir sans détruire, décembre 1997 : - L'Europe de l'euro : faire une Europe politique de quinze à vingt-cinq qui viendra à partir de l'euro. L'Europe faite par l'euro rendrait nécessaire une cohérence budgétaire, fiscale, qui rendra nécessaire une intervention parlementaire. Ce premier scénario correspondrait pour lui plus à une vision française. - L'Europe des régions/réseaux qui correspondrait à la fois à l'ambition géopolitique allemande et certainement à une large partie des politiques britanniques. Pour ces derniers, il s'agirait d'y voir surtout une zone de libreéchange, avec au mieux une monnaie commune, à l'intérieur de laquelle des régions autonomes et fortes seraient autant de « Singapour à l'européenne », qui sauront mieux s'adapter aux enjeux de la modernité. - Le troisième scénario consiste à concevoir l'Europe comme un simple appendice du monde occidental, Europe plus États-Unis. Ce troisième scénario correspond aux intérêts économiques anglais et géopolitiques d'une partie du monde politique américain. Il s'inscrit de façon implicite dans la thèse d'Huntington du choc des civilisations. - Le quatrième scénario serait de dire qu'il faut que l'Europe se pense comme étant un ensemble géographique infiniment plus vaste que celui de l'imaginaire européen aujourd'hui, qui se limite à 25 (ce qui suppose de dépasser une définition chrétienne de l'Europe). L'Europe pourrait devenir le véhicule, le modèle, d'une civilisation qui intègre les dimensions des différentes cultures (par un partenariat privilégié avec la Turquie et la Russie) pour montrer, justement, qu'une civilisation n'est pas une confrontation religieuse mais un ensemble géographique où les religions et les cultures se mêlent. Ce scénario peut correspondre à ce que Giscard d'Estaing appelle le « cercle des amis ». Aux débats anciens (par exemple celui qui oppose fédéralistes et souverainistes) s’en ajoutent de nouveaux qui concernent les limites géographiques de l’Union et les objectifs qu’elle doit se donner, dès lors qu’il apparaît qu’elle n’est plus BO Tle L-ES : « Les enjeux européens depuis 1989 L’implosion de la zone d’influence soviétique ouvre la voie à l’élargissement de l’Union européenne à l’est, posant avec acuité la question de l’approfondissement. Les transferts progressifs de souveraineté invitent les Européens à s’interroger sur le rapport entre les États-nations et l’Union. Les conflits dans les Balkans montrent que le continent européen n’est pas à l’abri du retour de la guerre ; ils soulignent la difficulté de l’Union à mettre en oeuvre une politique extérieure commune.» Accompagnement TL-ES : « Après plus de quarante ans de stabilité, la question des frontières et des territoires redevient brûlante à partir de 1989. Pour plusieurs modifications acquises à l’amiable (réunification allemande, scission de la République tchèque et de la Slovaquie), l’implosion de la Yougoslavie puis le conflit au Kosovo réintroduisent la guerre en Europe dans les années 1990. La gravité de ces faits puis des crises internationales de grande ampleur, comme la seconde guerre d’Irak en 2003, mettent à rude épreuve les progrès réels de la Communauté au plan politique. La détermination d’une Europe de l’armement, d’une politique étrangère et de sécurité commune et du partage des responsabilités au sein des structures de commandement de l’OTAN induisent de difficiles débats internes et avec les ÉtatsUnis. La complexité de ces sujets ne contribue pas à rapprocher l’ensemble des citoyens de la construction européenne : plusieurs consultations électorales – et notamment les votes d’approbation du traité de Maastricht (1992), qui relance la dynamique économique et monétaire, l’union politique et une coopération en matière de justice et d’affaires intérieures – témoignent d’un déficit d’adhésion de larges pans des populations. La clarification de la nature de la citoyenneté européenne et une répartition plus compréhensible des rôles entre États-nations et niveau «fédéral» apparaissent nécessaires. Il en va de même de l’adaptation des institutions à l’élargissement, qui se poursuit en 1995 puis s’amplifie, confirmant la force d’attractivité de l’Union. Les débats du début des années 2000 accompagnant l’entrée de nouveaux membres – l’Union européenne avoisine en 2004 les 450 millions d’habitants et les 4 millions de km2 – et le projet d’une «constitution» destinée à se substituer aux traités successifs soulignent la diversité des conceptions. C’est pourtant au prix d’un rapprochement de ces dernières que des chantiers majeurs, comme la réforme du budget communautaire, la politique 96 seulement une vaste zone de libre-échange mais qu’elle entend se donner une dimension politique : – quel rôle doit-elle jouer dans le monde ? Sur ce point, il lui est encore difficile de parler d’une seule voix, comme l’ont montré les divisions apparues en son sein en 2002-2003, à propos de la guerre en Irak ; – sur quelles valeurs doit-elle se fonder, ce qui fait aussi l’objet de débats, comme le montre la discussion autour de la référence aux racines chrétiennes et helléniques de l’Europe ? d’immigration ou le soutien à la croissance, pourront être conduits à terme. Association novatrice d’États ayant librement choisi de mettre en commun une partie de leur souveraineté, l’Union européenne s’interroge sur les formes que prendra son avenir. Autant qu’hier, elle apparaît comme le fruit d’une élaboration patiente et toujours à inventer.» Le sujet nous invite à analyser les mutations de l’Europe depuis 1989. Les conséquences de la fin de la guerre froide sont à analyser à l’échelle européenne. L’Europe est bien sûr un terrain privilégié pour étudier l’après guerre froide : – La fin de la confrontation Est-Ouest a permis au continent européen de retrouver son unité géographique et historique, « de l’Atlantique à l’Oural ». L’évolution a été spectaculaire avec l’ouverture du rideau de fer, « l’automne des peuples » en Europe centrale et orientale, la chute du mur de Berlin, la réunification allemande, la fin de l’URSS et la possibilité pour les organisations européennes (UE, OTAN, Conseil de l’Europe) de s’élargir vers l’Est et d’acquérir enfin une dimension paneuropéenne. – Mais cette période voit aussi le retour de la guerre en Europe, alors que le continent en avait été finalement protégé tout au long de la guerre froide. L’éclatement de la Yougoslavie ramène dans les Balkans des conflits sanglants ; l’éclatement de l’URSS se traduit aussi par des tensions armées (Moldavie, Caucase, etc.). À peine « réunifiée », l’Europe risque d’être « balkanisée ». Confrontée à cette situation complexe, l’Union européenne doit gérer en même temps son élargissement et l’approfondissement nécessaire de ses institutions. Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 97 HC – Les conflits de mémoire après la Seconde guerre mondiale Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Wieviorka Annette, Déportation et Génocide, entre la mémoire et l’oubli, Plon, 1992, Hachette, 2003, 506 p., coll. « Pluriel » Wieviorka Annette, L’Ère du témoin, Plon, Paris, 1998, Hachette, 2002, 186 p., coll. « Pluriel ». 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L'ambiguïté d'un bilan moral partagé entre la joie de la Libération, le deuil des atrocités nazies et le souvenir douloureux de la guerre civile conduit d'emblée à en concevoir le difficile héritage. Dès 1947, des mémoires contradictoires de la guerre surgissent et ne cessent de diviser les Français. C'est pourquoi le chapitre est bâti autour de l'idée du conflit de mémoire. Le souvenir de la guerre est l'un des thèmes majeurs de la vie politique française depuis 1944. L'introduction (Que commémorer ?) souligne donc la difficulté pratique à bâtir une mémoire univoque du conflit. Le déroulement du chapitre est chronologique, ce qui permet d'en appréhender les évolutions. La chronologie retenue est celle établie par Henry Rousso (Le Syndrome de Vichy) et de Robert Franck (La France des années noires, sous la direction de J.-P. Azéma et F. Bédarida) : au deuil des premières années (19451947) succède les déchirements (1947-1954) puis le temps des silences et des refoulements (1955-1969). De 1969 à nos jours, le retour des souvenirs enfouis conduit à une tentative de réconciliation et de repentance inaugurée par }. Chirac en 1995. Une attention particulière est portée sur la mémoire du génocide, à la fois au cœur d'une redéfinition de la mémoire juive et d'une interrogation sur la mémoire de la communauté nationale française (Documents et dossier « Les responsabilités de Vichy »). Point historiographique L'évolution historiographique fait partie intégrante du dégel des mémoires, caractéristique de la dernière période évoquée. Depuis la parution de La France de Vichy (1973) de Robert Paxton, les historiens se sont beaucoup intéressés à Vichy, à rebours des thèses jusque-là admises par le résistendalis-me (voir Robert Aron notamment). Dans les années 1980, l'apogée de cette remise en question des « années noires » a coïncidé avec un intérêt nouveau pour la mémoire comme objet historique : l'entreprise de Pierre Nora dans Les Lieux de mémoire (1985) en marque le point de départ. En définissant la mémoire comme « présence du passé dans le présent », il mit en valeur le lien entre mémoire et politique et établirent définitivement, en France, la théorie constructiviste anglo-saxonne selon laquelle les identités collectives sont un produit historiquement et socialement déterminé. La commémoration n'est alors rien d'autre que le modus operandi d'une mémoire toujours à construire. C'est en 1987 que Henry Rousso attaque la période de Vichy sous l'angle des mémoires dans Le Syndrome de Vichy. L'ouvrage, paru au milieu de la vague des grands procès, suscita de vives controverses et de nombreux travaux. Les historiens, appelés à la barre, se retrouvèrent mêlés aux débats épineux sur la responsabilité de l'État français. Ces faits marquent le départ d'une réflexion sur les rapports ambigus de l'histoire et de la mémoire (Marie-Claire Lavabre), sur la spécificité de la mémoire d'événements traumatiques (Annette Wieviorka) et sur le rôle et la responsabilité de l'historien dans la cité (Laurent Douzou). Enfin, face au négationnisme (Robert Faurisson, 1979), la discipline historique a retrouvé une vigueur intellectuelle qui semblait assoupie (Valérie Igounet, Pierre Vidal-Naquet). Le sujet consacré aux « mémoires de la Seconde Guerre mondiale » montre qu’on a voulu prendre en compte l’importance croissante qu’occupe désormais l’histoire de la mémoire dans l’historiographie. Cela répond également à une forte demande sociale, exprimée tant par les associations de résistants et de victimes de la guerre que par les pouvoirs publics, qui a donné lieu ces dernières années à une multiplication des actes de commémoration et des lieux de mémoire consacrés au souvenir de la Seconde Guerre mondiale. Le sujet permet également d’amorcer la réflexion sur d’autres conflits mémoriels, comme ceux portant sur la mémoire de la guerre d’Algérie, sur l’esclavage ou sur le bilan de la colonisation. Comment aborder l’histoire de la mémoire ? Henry Rousso propose de la définir comme « l’étude de l’évolution des représentations du passé, entendues comme des faits politiques, culturels ou sociaux ». Comme le suggère Pierre Nora dans Les Lieux de mémoire, on étudie « non pas les événements pour eux-mêmes, mais leur construction dans le temps, l’effacement et la résurgence de leurs significations ; non le passé tel qu’il s’est passé, mais ses réemplois successifs ». On ne reviendra pas ici sur l’histoire de la Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : « Accompagnement Tle : « Opérer le bilan du conflit conduit à enseigner les pertes humaines, les destructions et la persistance durable d’un quotidien difficile, la reconstruction de l’État et l’épuration. Ces questions majeures n’épuisent pas les conséquences pour la France d’un phénomène d’aussi grande ampleur que la Seconde Guerre mondiale. Celles-ci se manifestent aussi par l’ébranlement du système colonial ou par la constitution, dans l’immédiat aprèsguerre puis au fil du temps, de mémoires de la période. Ces mémoires sont multiples, chacune d’elles ne montrant qu’une vision partielle. S’il est impossible d’en tenter une typologie exhaustive, il est important que les élèves comprennent, d’une part, que les souvenirs et la réinterprétation de ceux-ci par les mémoires individuelles ou collectives diffèrent selon les personnes ou les groupes et leur relation avec l’événement ; d’autre part, que des mémoires de groupe se construisent, évoluent et, éventuellement, entrent en concurrence ; enfin, qu’il est possible de faire l’histoire de ces phénomènes. La mémoire du Génocide et celle de la Résistance, par la gravité et l’importance des faits sur lesquels elles portent comme par leur prégnance dans le débat politique et philosophique, font partie des thèmes à privilégier. Dans l’après-guerre, la singularité du Génocide est peu reconnue : il est inclus dans la déportation, voire dans la somme des souffrances de l’Occupation. La figure de référence du déporté est celle du résistant et l’amalgame est fait entre tous les types de camps, dont Buchenwald ou Dachau, selon les sensibilités, constituent les exemples emblématiques. Les associations juives souhaitent d’abord affirmer leur appartenance à la communauté nationale, et leurs urgences vont à l’entraide et à la reconstruction. Au demeurant, les rescapés des centres d’extermination occupent une place modeste au sein de l’ensemble de ceux qui reviennent de déportation : 54 % du total des partants, mais 6 % des survivants ; leurs témoignages, nombreux dans les toutes premières années de l’après-guerre mais difficilement reçus par la société, se tarissent ensuite. Nuit et Brouillard (1956), d’Alain Resnais et Jean Cayrol, qui concerne le système concentrationnaire dans son ensemble et présente une vision univoque du camp et du déporté, apparaît révélateur de cette période d’une quinzaine d’années. La décennie 1960 marque un tournant et une redécouverte, du fait du procès Eichmann (1961), qui ouvre l’ère du témoin porteur 99 Seconde Guerre mondiale en tant que telle : l’histoire de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale ne se confond pas avec l’histoire de la guerre. Il s’agira de montrer comment certains faits ont pu être occultés ou réinterprétés, d’expliquer pourquoi ce retour sur le passé a été parfois douloureux et polémique, au point d’engager les plus hauts responsables de l’État à s’exprimer officiellement sur des épisodes vieux de plus d’un demi-siècle. Il faut toutefois rappeler que la France n’a pas été le seul pays à devoir affronter certains épisodes sombres de son histoire. Italiens et Allemands ont dû s’interroger sur les responsabilités de leurs compatriotes dans la montée du fascisme et du nazisme. Les Soviétiques ont longtemps refusé de reconnaître les crimes perpétrés par Staline dès 1939-1940, notamment en Pologne (Katyn). Les États-Unis n’ont que tardivement reconnu les injustices commises à l’encontre des Nippo-Américains. En France, le souvenir conflictuel de la Seconde Guerre mondiale est essentiellement lié à l’existence du régime de Vichy, et par conséquent au maintien, sous l’occupation allemande, d’un État qui s’est placé au service de l’occupant pour faire la chasse aux résistants et déporter les juifs. C’est en ce sens qu’il y a bien un « syndrome de Vichy ». L’enjeu majeur de la question est de comprendre pourquoi, jusqu’à ces dernières années, la Seconde Guerre mondiale n’a pas pu faire l’objet de la même commémoration unitaire que la Première. Il conviendra donc de repérer, au cours de la période, l’expression de différentes mémoires de la guerre, concurrentes et parfois conflictuelles : – Les mémoires de groupe sont portées par les acteurs et les victimes de la guerre. Elles militent chacune à leur manière contre l’oubli, d’où l’importance qu’elles accordent au témoignage ; mais elles sont par définition sélectives dans leur commémoration du passé. Ici se place, comme l’a bien souligné Robert Frank, la spécificité de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale : « La France éclatée de l’époque a vu se multiplier les groupes d’acteurs, et aucun d’entre eux n’a véritablement réussi à faire prévaloir sa mémoire auprès de la collectivité. » Robert Frank évoque ainsi : la « mémoire repliée » des prisonniers de guerre ; la « mémoire motrice » des résistants, qui a longtemps occupé la plus grande part de l’espace commémoratif ; la « mémoire blessée » des déportés, au sein de laquelle une mémoire spécifiquement juive de la guerre ne s’est que tardivement manifestée ; la « mémoire défensive » enfin de groupes qui, pour des raisons très différentes, mènent depuis la guerre une véritable « bataille de la mémoire » : « déportés du travail », « malgré-nous » alsaciens et lorrains, homosexuels, mais aussi défenseurs de la mémoire du maréchal Pétain. – La mémoire officielle, prise en charge par l’État, s’exprime par des discours et des commémorations. Les pouvoirs publics se sont efforcés d’instituer une commémoration aussi consensuelle que possible de la guerre, au prix souvent d’une édulcoration de ses aspects les plus controversés. Le mythe d’une France unanimement résistante, propagé par le pouvoir gaulliste, a eu ainsi un effet inverse à celui qui était recherché, puisqu’il a réactivé les manifestations du syndrome de Vichy à la fin des années 1960. – La mémoire savante est l’oeuvre des historiens : si ces derniers ont tenu à préserver leur autonomie par rapport aux témoins et aux acteurs de la guerre, ils n’en sont pas moins pleinement impliqués dans le processus d’élaboration de la mémoire collective, en raison notamment de la place accordée à l’enseignement de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale au collège et au lycée. – Il y a enfin une mémoire diffuse de la guerre, dont les manifestations peuvent être analysées par exemple dans des oeuvres de fiction littéraires ou cinématographiques, ou bien appréhendées à partir de sondages d’opinion. Quel doit être le rôle des historiens dans la transmission du souvenir de la Seconde Guerre mondiale ? Il convient de bien dégager le rôle spécifique de la mémoire et de l’histoire. Au « devoir de mémoire » revendiqué par les associations de victimes et institutionnalisé par de nombreuses commémorations, les historiens ont opposé la notion de « devoir d’histoire ». La mémoire veut abolir la distance entre le passé et le présent, elle s’exprime principalement au travers de témoignages et de commémorations, qui visent à susciter l’émotion de ceux qui se souviennent. Comme l’écrit Paul Ricoeur, le devoir de mémoire est « le devoir de rendre justice, par le souvenir, à un autre que soi ». Toute mémoire, même la plus légitime, est sélective et procède, comme l’écrit Henry Rousso, d’« une organisation de l’oubli ». Le métier d’historien répond à d’autres d’exigences : il d’histoire, puis de la guerre des Six Jours. Celle-ci constitue une étape majeure à cause de l’angoisse qu’elle suscite pour le jeune État d’Israël ; elle est d’autant plus vécue comme une seconde menace décisive contre le judaïsme, que l’évaluation que fait de Gaulle de la situation choque. La mémoire du Génocide devient constitutive de l’identité juive et revendique sa place dans la société. Une troisième époque s’amorce à partir de la fin des années 1970. Des raisons de nature différente concourent à libérer la parole des survivants et à l’investir d’une grande responsabilité : le débat enclenché par la projection d’Holocauste (1978-1979), la lutte contre l’entreprise négationniste, une série de procès, dont celui de Klaus Barbie (1987). Cette attente et cette libération de la parole se traduisent par un énorme travail documentaire et l’intervention de témoins dans les débats télévisuels et auprès des jeunes dans les établissements scolaires. De ce fait et grâce aux avancées historiographiques, la mémoire collective des années 1940-1944 évolue : la responsabilité de l’État français dans la persécution est réévaluée, ce que marque chaque année à partir de 1993 une journée commémorative. Se met peu à peu en oeuvre un impératif social, qui tend à devenir un devoir civique : la mémoire de l’extermination est appelée à nourrir l’engagement pour le présent. La représentation collective de la Résistance n’a pas connu un parcours plus linéaire. Au sortir de la guerre, la mémoire résistante offre un cadre structurant à la mémoire collective et aux valeurs des Français. Le contexte d’ensemble y est favorable : jusqu’à la fin des années 1960 domine une lecture assez unanime de l’Occupation, qui se nourrit de la prise en charge efficace du souvenir et de la commémoration par le parti communiste et les gaullistes, de la force avec laquelle le général de Gaulle affirme l’unanimité nationale et la contribution de la France à la victoire, de la vision héroïque que diffuse majoritairement l’édition et le cinéma, à l’image de l’oeuvre de René Clément. Le mont Valérien est le lieu de mémoire par excellence et l’année 1964, qui est celle du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon et de l’institution du concours national de la Résistance et de la Déportation, marque un apogée de la commémoration. Certes, la réalité est plus complexe qu’il y paraît – l’unanimité affichée tend à nier la spécificité du combat résistant, les déchirures de la guerre froide se répercutent au sein des associations ou entre elles, l’amnistie de 1951 et 1953 ou les aléas de la célébration du 8-Mai choquent une partie des résistants – mais la tonalité « résistancialiste » domine. Cette première phase s’interrompt à la jointure des décennies 1960-1970, avec l’arrivée à l’âge 100 implique une mise à distance du passé afin de replacer les faits historiques dans le contexte qui leur donne sens. L’historien se place sur le terrain de la connaissance, et non pas sur celui de la morale ou de la justice (d’où les réserves émises par certains historiens sur les enjeux du procès Papon). Confondre l’histoire et la mémoire exposerait au double danger de la sacralisation et de la banalisation du passé : comme le montre Tzvetan Todorov, le passé, s’il est sacralisé, « ne nous rappelle rien d’autre que lui-même » ; le passé banalisé « nous fait penser à tout et à n’importe quoi ». L’autonomie revendiquée par les historiens par rapport aux témoins et aux acteurs de la guerre ne signifie pas qu’ils soient « neutres » : c’est en intégrant le témoignage à la connaissance historique que l’historien en démultiplie la portée, en contribuant de la sorte à ce que la parole des témoins, restée longtemps inaudible après la guerre, puisse non seulement être transmise, mais comprise par les générations futures. Se constituent, dans l’immédiat après-guerre puis au fil du temps, de mémoires de la période. Ces mémoires sont multiples, chacune d’elles ne montrant qu’une vision partielle de ce passé qui ne passe pas. Les mémoires des différents groupes se construisent, évoluent et, éventuellement, entrent en concurrence. Elles investissent puis désinvestissent certains aspects de la Seconde Guerre mondiale, touchent plus ou moins l’opinion publique, affectent la perception officielle de l’histoire. Dans l’après-guerre, la singularité du génocide est peu reconnue : il est inclus dans la déportation, voire dans la somme des souffrances de l’Occupation. La mémoire résistante offre alors un cadre structurant à la mémoire collective et aux valeurs des Français. Les années 1960 marquent un tournant et une redécouverte du génocide, grâce au procès Eichmann (1961), qui ouvre l’ère du témoin porteur d’histoire. Une troisième époque s’amorce à partir de la fin des années 1970. L’avènement d’une nouvelle génération n’ayant pas connu la guerre, la fin de la domination gaulliste, le travail d’historiens d’abord étrangers sur la France de Vichy, le débat enclenché par la projection d’Holocauste (19781979) ou Du Chagrin et la pitié, la lutte contre l’entreprise négationniste, une série de procès puis la reconnaissance officielle de la responsabilité de l’État français dans le génocide en 1995 sont autant d’éléments qui conduisent à modifier à la fois le rapport des Français mais aussi celui de l’État français à leur passé douloureux. Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : adulte d’une nouvelle génération, la fin du gaullisme historique, les mutations de la mémoire juive. La réception du film de Marcel Ophuls Le Chagrin et la Pitié (1971) et le scandale que suscite en 1972 la grâce présidentielle accordée à Paul Touvier en constituent des révélateurs et des détonateurs. La relecture historienne des années noires, entamée fin des années 1960-début des années 1970 (on pense à l’impact de La France de Vichy de R. Paxton, traduit en 1973) puis relayée par l’enseignement au début des années 1980, contribue à fonder ce tournant et le conforte. La représentation dominante diffuse désormais une double culpabilité : avoir accepté le régime, n’avoir pas su ou pas voulu accepter la vérité ni punir les coupables. Ce contexte peu favorable est encore troublé par la série de polémiques qui affectent la Résistance durant les années 1990, notamment autour de la figure de Jean Moulin : l’image de la Résistance tend à devenir une nouvelle manifestation du syndrome de Vichy. Une nouvelle représentation, plus équilibrée, est peut-être en cours d’élaboration : après avoir sacralisé la face noble puis la face noire de l’attitude des Français, elle renoue avec la Résistance comme fait historique, admet mieux la diversité des parcours et les inévitables divergences internes, comprend l’extraordinaire difficulté du choix et du combat des résistants et la dignité de leur «non». » Activités, consignes et productions des élèves : I. Mémoires de la guerre, de la résistance et de l’Occupation II. Mémoires et génocide juif Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 101 HC – Enjeux et débats institutionnels en France depuis 1945 Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Les volumes de la Nouvelle histoire de la France contemporaine de la collection « Points Seuil » proposent des chapitres thématiques sur les grandes évolutions : J.-P. Rioux, La France de la Quatrième République, 2 volumes, t. 1 L’Ardeur et la nécessité, tome 2 : L'expansion et l'impuissance (1952-1958), Le Seuil, Points, 1980 et 1983. J.-J. Becker (avec P. Ory), Crises et alternances 1974-1995, Seuil, Paris, 1998. S. Berstein (avec J.-P. Rioux), La France de l’expansion, t. 1 La république gaullienne, 1958-1969, t.2 L’apogée Pompidou, 1969-1974, Seuil, Paris, 1989 et 1995. Sirinelli J.-F. (dir.), Dictionnaire historique de la vie politique française au XXe siècle, PUF, 2003. J.-F. SIRINELLI, La Ve République, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2008. J.-F. SIRINELLI et alii, La France de 1914 à nos jours, PUF, coll. « Premier Cycle », 1993. J.-F. SIRINELLI, Aux marges de la République, essai sur le métabolisme républicain, PUF, 2001 (voir la dernière partie). J.-F. SIRINELLI dir., La France contemporaine : Goetschel Pascale et Toucheboeuf Bénédicte, La IVe République. La France de la Libération à 1958, Livre de Poche, 2004. (synthèse et exposé des débats historiographiques en cours) ; Mathias BERNARD, La France de mai 1958 à mai 1981. La grande mutation, Le Livre de Poche, 2003 ; M. BERNARD, La France de 1981 à 2002. Le temps des crises ?, LGF/Le Livre de Poche, coll. « Inédit/Histoire », 2005. 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La conjoncture politique et sociale de la France d’après-guerre est en effet inédite. Les forces de droite sont momentanément hors-jeu. Le patronat est « au piquet ». Vichy a contribué à discréditer cette France bourgeoise et paysanne qui constituait « l’assise de granit » de la IIIe République. La classe ouvrière, longtemps cantonnée « aux portes de la cité », s’impose en revanche comme la principale force de changement social. De son soutien dépend l’issue de la « bataille de la production ». Pour les forces issues de la Résistance, la Libération doit donc aller bien au-delà d’une simple reconstruction ; le journal Combat, où s’illustre notamment Albert Camus, porte en sous-titre : « De la Résistance à la Révolution ». Les grandes réformes mises en oeuvre par le gouvernement provisoire doivent être replacées dans cette perspective. Elles s’inspirent des réflexions nouvelles suscitées par la crise du libéralisme et du parlementarisme dans les années 1930 et concrétisent les valeurs diffusées au sein de la Résistance. Le rôle majeur assigné à l’État dans la vie économique et sociale du pays serait-il néanmoins « un acquis irréversible ou une banale solution d’attente » (Jean-Pierre Rioux) ? La modernisation engagée par l’État-providence prendrait-elle l’allure d’une révolution ou d’une restauration ? Les Français attendent également un profond renouvellement de la démocratie parlementaire, discréditée par son impuissance durant la crise des années 1930 et par la défaite de 1940. Issue de la guerre et de la Résistance, la IVe République porte les espoirs d'un renouvellement profond de la vie politique en France. Il faut donc voir comment les institutions se mettent en place en 1946 et comment elles échouent à redonner la stabilité au pays. Les partis politiques sont puissants, mais malgré la qualité de certains dirigeants, ils sont incapables d'assurer le pilotage de l'État. Sous cette République, la France a connu d'immenses transformations qui en font un des moments les plus passionnants du XXe siècle français : développement économique, transformations sociales, développement culturel et surtout guerre coloniales dans une relation difficile avec les alliés occidentaux. C'est pourquoi, il faut aussi réinterpréter l'apport de la IVe République à la construction de la société française contemporaine. L'histoire politique de cette république a été largement renouvelée avec la publication des deux volumes que Jean-Pierre Rioux consacre à la IVe Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO 3e actuel : « On analyse les grandes phases de la vie politique depuis 1945 en relation avec les transformations matérielles et culturelles de la société, de ses modes et cadres de vie, de ses aspirations. » Socle : Ajout aux repères 1995-2007 : les années Chirac. BO Tle ST2S : « La Ve République, un régime politique cinquantenaire. On inscrit la Ve République dans la tradition républicaine, tout en mettant l’accent sur sa spécificité. La Ve République réaffirme le principe de la souveraineté nationale et instaure un nouvel équilibre entre les pouvoirs, en séparant l’exécutif et le législatif, en attribuant la primauté au premier et en encadrant l’activité du second. Après avoir rappelé ces caractéristiques, on montre que le système né en 1958-1962 a évolué et intégré de nouvelles pratiques, comme la cohabitation. » BO Tle STG : « La Ve République : cadre institutionnel, vie politique, défis européens On montre comment la Ve République instaure en 1958, puis en 1962, un nouvel équilibre des pouvoirs et favorise une distribution bipolaire des forces politiques. En rupture avec les institutions de la IVe République, elle permet une plus grande stabilité des gouvernements en dégageant des 103 République et également avec plusieurs colloques qui se sont tenus dans les années 1980-1990, au fur et à mesure que s'ouvraient les archives tant civiles que militaires et diplomatiques. Depuis une vingtaine d’années, le retour du politique est le point commun des travaux historiques sur la France contemporaine. Cette volonté de reprendre par le politique l’histoire du pays a été marquée par la prise de conscience, autour du livre dirigé par René Rémond, Pour une histoire politique (1988), du renouvellement des centres d’intérêts et des méthodes de cette discipline historique, bien loin de la caricature d’une histoire jugée auparavant trop fortement événementielle. L’historiographie actuelle se nourrit depuis plus d’une décennie des travaux sur la culture politique (cf. J.-P. Rioux, J.-F. Sirinelli, Pour une histoire culturelle, 1997) et s’oriente, de manière privilégiée, vers l’étude des systèmes politiques ainsi que les définissent M. Duverger et J.-F. Sirinelli dans la présentation de leur Histoire générale des systèmes politiques (La Démocratie libérale, 1998) : «Qu’entend-on par système politique? Il s’agit de l’ensemble des institutions et des relations – juridiques ou autres – permettant la dévolution et l’exercice de ce que l’on appelle le pouvoir ou l’autorité, mais replacées de surcroît au sein des sociétés, des valeurs et des cultures qui les sous-tendent. Les systèmes politiques ainsi entendus incluent donc l’analyse des grandes constructions institutionnelles mais également l’étude de leur soubassement social et culturel. En d’autres termes, les rouages mais aussi le terreau des régimes politiques.» On voit donc l’attention renouvelée portée à l’étude des régimes politiques, conçus désormais comme des systèmes globaux, de l’institutionnel au culturel. Dès lors, c’est bien du « système républicain» qu’il s’agit. Nous sommes invités à étudier son «évolution politique de 1945 à nos jours». Comment, depuis la Libération, notre régime a-t-il été refondé après avoir essuyé de graves crises? Doit-on voir en de Gaulle notre Washington, celui qui a mis en place le régime le plus en phase avec notre culture politique, comme le pense Odile Rudelle (in S. Berstein et O. Rudelle (dir.), Le Modèle républicain, 1992)? La Ve République, récemment amendée par la pratique des alternances et des cohabitations, confrontée à la montée des abstentions et des extrêmes, est-elle encore adaptée à son « terreau» social au XXIe siècle? L’historiographie récente nous invite à intégrer la notion de culture politique, que l’on peut définir ainsi : ensemble de valeurs et de références communes qui légitiment et inspirent l’action politique. La vieille culture républicaine est aujourd’hui bousculée par de nombreuses évolutions : la présidentialisation du régime sous la Ve République et la médiatisation des hommes politiques ; le poids croissant de la politique européenne ; les interrogations sur la laïcité, etc. On évitera une présentation caricaturale de la IVe République, trop longtemps présentée à la suite des gaullistes comme impuissante. La IVe République a dû gérer en même temps de nombreux problèmes (reconstruction économique, décolonisation, guerre froide, construction européenne) et elle l’a fait souvent avec succès. Ses institutions ne sont pas forcément en cause, car il s’agit d’un régime parlementaire (voire d’un régime d’assemblée) très proche de la IIIe République (qui détient encore le record de longévité, avec 70 ans d’existence). L’instabilité gouvernementale n’empêcha pas la haute administration de poursuivre des politiques cohérentes. Le vrai problème était sans doute la représentation proportionnelle, à comparer avec le scrutin uninominal majoritaire en vigueur sous la Ve comme sous la IIIe République. Des débats sur les institutions marquent en 2008 le cinquantième anniversaire de la Ve République. L’esprit du sujet est celui d’une réflexion synthétique sur les institutions, à partir notamment de la comparaison entre la IVe et la Ve République. Il faut éviter une approche événementielle trop détaillée : on n’a pas besoin de connaître tous les gouvernements de la IVe ou de la Ve République, mais de développer les notions essentielles (régime parlementaire et présidentiel ; différents modes de scrutin ; grandes familles politiques françaises, etc.). On fera comprendre l’originalité de la Ve République, compromis assez singulier entre le régime parlementaire et un pouvoir présidentiel fort. La dualité de l’exécutif instituée par la Constitution de la Ve République n’est apparue comme un éventuel problème qu’avec la cohabitation à partir de 1986. Si la présidentielle de 2007 a suscité un regain d’intérêt, elle n’a inversé que très majorités qui peuvent diverger (majorité présidentielle, majorité parlementaire). Elle mène à son terme le processus de décolonisation et poursuit la construction de l’Europe. » BO futur 3e : « EFFONDREMENT ET REFONDATION RÉPUBLICAINE (1940-1946) La Libération marque le retour à la République. L’étude du programme du CNR ou du préambule de la Constitution de 1946 met en évidence la volonté de refonder les valeurs républicaines en relation avec les grandes réformes de la Libération. Connaître et utiliser le repère suivant - Libération de la France, rétablissement de la République (la IVe), droit de vote des femmes, Sécurité sociale : 1944-1945 Décrire les principales mesures prises à la Libération (dont le droit de vote des femmes). DE GAULLE ET LE NOUVEAU SYSTÈME RÉPUBLICAIN (1958-1969) En 1958, la crise de la IVe République débouche sur le retour du général de Gaulle au pouvoir et la fondation de la Ve République. Seule la crise du 13 mai 1958 est étudiée pour montrer les impasses de la IVe République. La présidence du général de Gaulle marque une nouvelle conception de la République et de la démocratie. On met en évidence quelques grandes caractéristiques de cette présidence : suprématie du pouvoir exécutif, volonté de réaffirmer la puissance française. La crise de mai 1968 témoigne des difficultés du régime face à de nouvelles aspirations politiques, sociales et culturelles. L’étude s’appuie sur quelques images significatives. Connaître et utiliser le repère suivant - Les années de Gaulle : 1958-1969 Caractériser les grands choix politiques du général de Gaulle. LA Ve RÉPUBLIQUE À L’ÉPREUVE DE LA DURÉE Entre 1969 et 1981 les successeurs du général de Gaulle poursuivent sa pratique des institutions en s’efforçant de prendre en compte les grandes aspirations sociales et culturelles de la population. L’étude se limite à quelques exemples d’adaptation de la législation aux demandes de la société (majorité à 18 ans, légalisation de l’IVG…). Depuis 1981, la vie politique est marquée par une succession d’alternances et de cohabitations. L’étude de la vie politique française depuis 1981 se focalise sur deux moments : 1981-1986 : la première alternance et les politiques menées sous la présidence de François Mitterrand ; 1997-2002 : la troisième cohabitation et le 104 ponctuellement la tendance au désintérêt et à la méfiance envers la politique. Les derniers scrutins montrent toujours l’importance de l’abstention (40 % au second tour des législatives de juin 2007) et de l’émiettement des suffrages. Cependant, la droite, secouée dans les années 1980 par l’extrême droite, semble avoir réglé son problème avec le FN. Le parti de Jean-Marie Le Pen perd son influence sur le paysage politique français. Alors que la gauche peine à sortir de sa crise d’identité et reste concurrencée par l’extrême gauche. Les enjeux actuels sont passionnants, n’arrive-t-on pas à la fin d’un cycle en matière de culture politique et idéologique ? Nos institutions correspondent-elles toujours aux nouvelles aspirations, aux nouvelles attentes et aux nouvelles valeurs qui émergent dans la société ? Accompagnement 3e : « Présenter les grandes phases de la vie politique ne doit surtout pas reposer sur une étude chronologique détaillée de cette évolution politique : il faut montrer comment s’est reconstruite, à partir de 1944, une vie politique démocratique, comment et pourquoi le régime est entré en crise, quelle nouveauté politique a représenté la Ve République et comment elle a duré. L’étude précise des institutions de la IVe République n’est pas nécessaire. Il suffit de faire comprendre ce qu’était l’instabilité gouvernementale. Inversement, doivent être analysées les institutions de la Ve République et leur évolution. On peut se limiter pour cela à une étude de la période gaulliste (1958-1974) et à une étude des années Mitterrand (1981-1995). Cela permet de montrer aux élèves en quoi le régime, même s’il est juridiquement parlementaire (l’article 49 de la Constitution prévoit la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement), laisse de grands pouvoirs au Président de la République et fait de l’élection présidentielle, depuis la réforme constitutionnelle de 1962 et l’élection de 1965, le temps fort de notre vie politique. La cohabitation n’a pas remis en cause fondamentalement ce fonctionnement des institutions. Outre l’analyse des institutions et l’examen de deux temps forts, l’évolution des grandes forces politiques peut constituer un troisième thème d’étude. Cela peut être l’occasion de montrer comment s’articulent, dans une démocratie, les affrontements politiques, et quels sont les règles et les enjeux du débat. » problème du partage du pouvoir exécutif. Les clivages politiques subissent les effets de l’évolution des grands débats idéologiques, des mutations sociales, culturelles et religieuses, de l’intégration européenne et de la mondialisation. On étudie, à l’aide d’un exemple au choix de débat politique inscrit dans la durée (depuis 1969) les positionnements et recompositions des forces politiques. Connaître et utiliser les repères suivants - Les années Mitterrand : 1981-1995 - Les années Chirac : 1995-2007 Décrire et expliquer - Quelques exemples d’adaptations législatives à l’évolution de la société - Des prises de positions, arguments et recompositions politiques sur le débat étudié » Accompagnement Tle : « La Libération permet le rétablissement de la démocratie. Le choix est fait de ne pas revenir à la IIIe République et d’établir une nouvelle organisation des pouvoirs. La IVe République se caractérise rapidement par la souveraineté parlementaire et l’émiettement du système partisan, qui mettent l’exécutif sous contrôle et le font dépendre de coalitions fragiles, affrontées à la guerre froide, à la décolonisation et à une opposition sans concession, dès 1947, du RPF et du parti communiste. Ces traits n’empêchent pas que soient conduites des politiques cohérentes : c’est le cas en matière européenne, du fait de la proximité de vue des démocrates-chrétiens et des socialistes. Nombreux sont ceux qui sont conscients de la nécessité de moderniser la vie politique et d’accroître la marge d’action de l’exécutif. Le mendésisme représente la tentative la plus aboutie en la matière ; par-delà la brièveté du passage du radical Pierre Mendès France aux affaires (1954-1955), l’impact de sa défense de la volonté politique est profond. La crise algérienne, qui accroît la faiblesse de l’exécutif en même temps qu’elle en révèle l’ampleur, provoque la fin de la IVe République et l’appel au général de Gaulle. La Constitution, promulguée le 4 octobre 1958, vise à garantir la continuité et l’efficacité de l’État dans le respect de la souveraineté du peuple, qui élit les députés, décide du sort des projets qui lui sont soumis par référendum et, à partir de 1962, choisit le président de la République. Elle introduit un nouvel équilibre des pouvoirs, plus strictement séparés et au sein desquels l’exécutif l’emporte sur l’activité parlementaire (voter les lois, contrôler le gouvernement) très encadrée. S’il est évident pour le général de Gaulle – comme pour ses successeurs – que le président de la République est la clé de voûte des institutions, une ambiguïté existe dans le partage des responsabilités entre celui-ci et le Premier ministre : elle se révèlera ultérieurement. Au total, la Ve République présente un visage institutionnel inédit, incluant des éléments parlementaires et des éléments présidentiels ; on a pu parler d’un régime « semi-présidentiel». Il fonctionne sans à-coup grave durant la période gaullienne, les septennats de Georges Pompidou et de Valéry Giscard d’Estaing et les premières années de la présidence de François Mitterrand, malgré les 105 césures que représentent le dur affrontement sur le mode d’élection du président de la République (automne 1962), la crise de 1968 et le départ brusqué du général de Gaulle l’année suivante, l’accès d’un non-gaulliste à l’Élysée (1974) et l’alternance qui porte la gauche au pouvoir (1981). Des traits apparus tôt tendent à s’amplifier, tels le présidentialisme, la logique binaire, le poids du Conseil constitutionnel. Par bien des traits, on a quitté la culture républicaine traditionnelle pour celle des grandes démocraties libérales, ce que confortent le tournant décentralisateur (fin 1981) et l’entrée croissante de la norme internationale dans l’ordre interne. Les législatives de 1986 introduisent un nouveau paramètre : la majorité parlementaire diffère de la majorité présidentielle. La désignation du Premier ministre et la formation du gouvernement dépendant dans les faits du rapport de force à l’Assemblée nationale, commence l’expérience dite de cohabitation. Comme elle est récurrente, puisque aucune majorité élue depuis 1978 n’a été reconduite, elle nourrit un débat portant à la fois sur le régime et sur la capacité des projets politiques à satisfaire les aspirations des Français. Une redistribution de l’électorat et des partis accompagne ces évolutions des décennies 1980 et suivantes : recul électoral du parti communiste, constitution d’un courant écologiste, efforts pour construire des coalitions de droite et de gauche, ancrage de l’extrême droite et poussée de l’extrême gauche. Ces deux derniers traits apparaissent nettement lors des présidentielles de 2002, à l’issue desquelles Jacques Chirac est élu pour la deuxième fois – désormais pour cinq ans. » Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : I. La IVème République II. La Vème République Accompagnement Tle STG : « Organisation et fonctionnement des pouvoirs : la Constitution de 1958. La Ve République naît de la crise algérienne qui confirme la faiblesse des institutions de la IVe République. Le Parlement doit se résoudre à faire appel au général de Gaulle : ce dernier accepte de devenir son dernier président du conseil à condition de changer la constitution. On ne fera référence à la constitution de 1946 que pour mettre en évidence les points débattus, en particulier les rapports entre exécutif et législatif et la formation de majorités stables. La constitution de 1958 instaure un nouvel équilibre des pouvoirs au profit de l’exécutif. L’élection du président de la République, au suffrage universel direct à partir de 1962, tend à renforcer ce poids de l’exécutif, en faveur duquel joue aussi la pratique de la constitution. Néanmoins le texte comporte des éléments présidentiels et des éléments parlementaires : on a pu parler d’un régime semiprésidentiel. L’expérience de la cohabitation, répétée en 1986, 1993, 1997 montre la possibilité d’un régime de type parlementaire. Mais l’affaiblissement de l’exécutif et les risques de paralysie en situation de cohabitation conduisent à remplacer le septennat présidentiel par un quinquennat à partir des élections de 2007 afin d’harmoniser élections présidentielles et législatives. La Constitution de la Ve République permet une plus grande stabilité (grâce au scrutin uninominal) et encourage une bipolarisation de la vie politique, d’autant que l’élection du président au suffrage universel direct laisse deux candidats face à face au second tour. Cette mécanique institutionnelle conduit la gauche, divisée sous la IVe République, à s’unir en 1972 sur un « programme commun de gouvernement », et la droite à se rassembler aussi. Mais les équilibres internes se modifient. A gauche le parti communiste, premier parti de gauche jusqu’en 1973, ne cesse de s’affaiblir et le nouveau parti socialiste dirigé par François Mitterrand (Épinay, 1971) affirme sa prééminence à gauche. La droite est dominée par le courant gaulliste mais l’alliance du centre droit et de la droite libérale assure la victoire de Valéry Giscard d’Estaing, candidat non gaulliste, en 1974. La tendance est cependant à la prédominance d’un parti à droite. Vie politique Quelques repères chronologiques permettent de structurer l’explication : 1968/1981/1986/1997/2002. Si la vie politique est rythmée par les élections présidentielles, les débats sont Activités, consignes et productions des élèves : LA VIE POLITIQUE SOUS LES TRENTE GLORIEUSES Si les changements économiques et sociaux des Trente Glorieuses bouleversèrent le quotidien des Français, la vie politique connut, elle aussi, des mutations majeures. Dans ses Mémoires de guerre, usant d’une métaphore marine qu’il affectionnait particulièrement, le général de Gaulle dressait un tableau sans concession de la situation de la France et des Français à la Libération : « La marée, en se retirant, découvre donc soudain, d’un bout à l’autre, le corps bouleversé de la France. » Le propos vaut assurément pour l’état économique et financier d’un pays ruiné et dévasté par la guerre. Mais il s’applique aussi pleinement à la vie et aux forces politiques une fois refermée la parenthèse de l’État français et de l’Occupation. UNE VOLONTE DE RECONSTRUCTION POLITIQUE Pendant des années, la droite porte ainsi sur elle, dans son ensemble, le discrédit de Vichy tandis que la principale force politique du pays, le parti communiste, glisse bientôt de la confortable position de l’unanimisme national lié à son rôle dans la Résistance au ghetto réservé aux alliés du totalitarisme soviétique. Mais au-delà des séquelles de l’épuration et des conséquences nationales de la Guerre froide, les Français manifestent très fortement, au moins à deux reprises, leur volonté de profonds changements par rapport à l’avant-guerre. Ainsi, lors du référendum du 21 octobre 1945, ils rejettent massivement (96 % des suffrages exprimés) la IIIe République. De même, en approuvant massivement en 1958 la Constitution de la 106 dominés par quelques grands thèmes. Avec de Gaulle, elle est commandée par la fin de la guerre d’Algérie, le quasi achèvement de la décolonisation commencée sous la IVe République (Indochine, Maroc, Tunisie…), la volonté d’une grande politique étrangère. Mais au milieu des années 1960, et de manière spectaculaire avec la crise de mai-juin 1968, les problèmes intérieurs passent au premier plan. Durant les présidences suivantes (Pompidou, Giscard d’Estaing, Mitterrand, Chirac), les questions économiques, sociales, sociétales (statut de la femme, lois sur la contraception et l’avortement, âge du vote, abolition de la peine de mort, libéralisation des médias, etc.) occupent le devant de la scène. On insistera sur l’importance de l’élection présidentielle de 1981 parce qu’elle permet la première alternance droite-gauche dans le cadre de la Ve République, réactive la question du rôle de l’État, accélère la redistribution des forces politiques. Jusqu’au début des années 1980, droite et gauche étaient favorables à l’intervention de l’État dans l‘économie et la protection sociale. Au lendemain de la guerre, les gouvernements d’union, d’abord dirigés par de Gaulle, avaient fait le choix des nationalisations, de la planification et de la protection assurée par l’État (statut des salariés, Sécurité Sociale, allocations familiales). Quand la gauche gagne les élections présidentielles en 1981, son programme ambitionne d’aller plus loin par une « rupture avec le capitalisme ». Elle entreprend, dès son arrivée au pouvoir, la deuxième grande vague de nationalisations depuis la Libération et lance un programme de réformes sociales. Mais à partir de 1983, la politique de rigueur, présentée comme une nécessité dans une économie de marché, marque la fin de cette ambition. Elle inaugure un débat de longue durée sur la place de l’État dans l’économie et la société. Le changement de cours en matière économique s’amplifie lors de la première cohabitation, en 1986, avec la loi sur les privatisations. Elle marque une orientation plus libérale qui n’est pas remise en cause par la gauche lors de la troisième cohabitation (1997-2002). Mais ce tournant déconcerte une partie de l’électorat, notamment l’électorat populaire, divise la gauche, entraîne des recompositions profondes à gauche comme à droite. À gauche les années 1980-90 voient l’émergence du courant écologiste (les Verts) et la poussée de l’extrême-gauche. À droite, la montée de l’extrêmedroite (Front National) contribue à radicaliser certains thèmes (immigration, sécurité). Les variations des programmes, la recomposition des partis, la persistance du chômage et la précarité accroissent les hésitations de l’opinion et favorisent la répétition des cohabitations. L’élection présidentielle de 2002 confirme l’éclatement des choix. » Accompagnement Tle ST2S : « La constitution de 1958 procède du retour au pouvoir du général de Gaulle dans le cadre de la crise algérienne que le régime précédent a été incapable de résoudre. Face au risque de guerre civile, le dernier président de la IVe République René Coty choisit de faire appel au général de Gaulle : ce dernier accepte de devenir chef du gouvernement à condition de pouvoir réformer les institutions. Son retour aux affaires marque la fin de la IVe République. Le 4 septembre 1958, le général de Gaulle présente le texte constitutionnel qu’il appelait de ses vœux depuis la Libération en un lieu et à une date chargés de sens : la place de la République, le jour anniversaire de la proclamation de la Troisième République. Cette double symbolique marque la volonté de s’enraciner dans la continuité des différents régimes républicains qui se sont succédé. La Constitution s’inscrit pleinement dans cet héritage et aboutit même à le renforcer. Ainsi, le préambule de 1958 reprend-t-il les principes proclamés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi que ceux mentionnés dans le préambule de la Constitution de 1946. Cette démarche conduit à réaffirmer les droits politiques du citoyen dans le cadre de la souveraineté nationale. Elle permet aussi de souligner qu’à travers les siècles, la conception de la citoyenneté définie par des droits et des devoirs n’a pas varié en France. Cependant, pour la première fois dans l’histoire de notre pays, un organe nouveau, le Conseil constitutionnel, valide la conformité des lois avec les principes constitutionnels. La Constitution s’inspire aussi des droits économiques et sociaux définis par l’Assemblée nationale constituante en 1946. Ceux–ci sont très largement empruntés au programme rédigé par le Conseil National de la Résistance le 15 mars 1944. Leur mention rappelle le rôle majeur du général de Gaulle et de la Résistance dans le retour et l’approfondissement de la démocratie en France. La Constitution présente toutefois des originalités très marquées. Elle instaure, en effet, de nouvelles relations entre les pouvoirs dont la séparation se Ve République (79,26 % des suffrages exprimés), les Français tirent définitivement un trait sur une IVe République mal aimée, et ce en partie de manière injuste au regard de l’Histoire. Ces deux votes, qui s’inscrivent dans des contextes historiques exceptionnels, la Libération et la guerre d’Algérie, n’ont pourtant rien d’épidermique. Ils soulignent surtout combien, depuis les années 1930, le modèle républicain français est en quête d’adaptation aux nouvelles donnes mondiale et nationale. Certes, la Guerre froide divise le paysage politique français. Mais au-delà de ces fractures bien réelles, il y a fondamentalement la recherche de nouveaux équilibres entre une société française en pleine mutation et la Politique (philosophies et modèles, systèmes institutionnels et forces politiques). De ce point de vue, la Libération peut être considérée comme une occasion manquée tant les changements apportés au système politique n’ont pas répondu aux attentes des Français ni d’ailleurs aux défis des temps nouveaux. En effet, le grand souffle rénovateur s’est rapidement brisé sur les masses de granite de la tradition républicaine française telle qu’elle s’était progressivement forgée depuis la fin du XIXe siècle. La Résistance ne parvient pas après guerre à traduire politiquement cette aspiration au changement qu’elle porte pourtant en elle. Aussi, à l’exception notable du Mouvement républicain populaire – d’inspiration démocrate chrétienne –, aucune grande formation politique issue de la Résistance ne voit durablement le jour. Quant au général de Gaulle, il se refuse initialement à former autour de sa personne un grand parti susceptible de promouvoir une véritable transformation du champ politique. Et, lorsqu’il lance finalement le Rassemblement du peuple français en avril 1947, il est déjà trop tard. Le RPF, qui prône une réforme radicale des institutions désormais en place, est même considéré par ses rivaux politiques comme un parti factieux et anti-républicain, du moins au sens d’une république organisée sur le modèle d’un régime d’assemblée. UN REGIME MAL AIME Dans ces conditions, la IVe République se trouve, dès 1947, en butte à l’hostilité irréductible des deux principales formations politiques du pays – PCF et RPF recueillent respectivement 26 et 21,7 % des suffrages exprimés aux élections législatives de juin 1951 –, qui mettent en avant leurs propres modèles politico-institutionnels, ce qui pose la question de l’adhésion des Français à ce régime. Ces derniers ont, il est vrai, approuvé cette constitution de guerre lasse lors du référendum du 13 octobre 1946 (53 % des suffrages exprimés mais pour seulement 36 107 fait plus nette. L’exécutif est renforcé ; l’activité parlementaire fortement encadrée. Entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif s’établit un déséquilibre inverse à celui qui existait antérieurement. Le parlementarisme classique à l’oeuvre sous les régimes républicains précédents est abandonné : c’est la fin de la « république des députés ». L’idée de renforcer l’exécutif en affirmant la primauté présidentielle n’est pas nouvelle. Elle s’était déjà fortement exprimée dans les milieux de la Résistance, y compris à gauche, et dans le discours prononcé par le général de Gaulle à Bayeux le 16 juin 1946. La conjoncture politique de l’époque n’avait pas permis de l’imposer. La crise de la IVe République crée les conditions favorables à la mise en place d’un État plus fort, que de Gaulle veut garant de l’unité nationale et dégagé du jeu des partis, qu’il juge source de divisions et de paralysie. La réforme de 1962 donne au nouveau régime toute son originalité et à la Constitution tout son sens. Elle accentue le présidentialisme du régime. Le développement de nouvelles pratiques liées à l’essor de la culture de masse favorise aussi cette orientation. Les présidents de la République, le général de Gaulle le premier, ont fait de leurs interventions télévisées des moments majeurs de la vie politique française. Cette pratique offre une entrée pertinente pour faire comprendre aux élèves, selon une approche concrète, l’imbrication des champs du politique, du social et du culturel. À cet égard, l’un et l’autre sujet d’étude se prêtent bien à dévoiler l’articulation entre question obligatoire et sujet d’étude et à ouvrir ainsi une problématique intéressante. Devenu le représentant direct de la nation, le chef de l’État est le seul acteur institutionnel élu par l’ensemble des citoyens. Sa légitimité est plus grande que celle de chaque député, élu par le corps électoral d’une circonscription. L’affirmation de son irresponsabilité politique et son pouvoir de dissoudre l’assemblée nationale lui confèrent une position prééminente au sein des institutions. S’il est évident pour le général de Gaulle que le président est la clef de voûte du système politique, le texte de la constitution est, cependant, plus ambigu sur le partage des responsabilités entre le chef de l’État et le Premier ministre : ce n’est qu’ultérieurement que cette ambiguïté se révélera. Au total, la nouvelle République présente un visage inédit, incluant des éléments parlementaires et présidentiels : on a pu parler « d’un régime semi-présidentiel ». C’est un changement important dans la tradition républicaine française qui le plus souvent a identifié la démocratie au seul parlementarisme. Le régime fonctionne sans à-coup grave durant la période gaullienne, les septennats de George Pompidou et de Valéry Giscard d’Estaing et les premières années de la présidence de François Mitterrand. La crise de mai 1968, et la démission brutale du général de Gaulle l’année suivante, l’arrivée d’un nongaulliste à l’Élysée (1974) et l’alternance qui porte la gauche au pouvoir en 1981 démontrent la solidité des institutions. Cette période voit le renforcement d’évolutions apparues antérieurement : le présidentialisme, la bipolarisation de la vie politique, le poids du Conseil constitutionnel. L’importance de l’élection présidentielle de 1981 mérite que l’on s’y arrête. L’élection d’un socialiste, à la présidence de la République constitue, en effet, un tournant dans la vie politique française. Pour la première fois, sous la Ve République, l’alternance droite/gauche est réalisée. Des réformes importantes sont menées dès 1981 (abolition de la peine de mort, autorisation des radios libres). La loi de décentralisation (1982) transfère aux régions une partie des compétences dévolues à l’État. C’est aussi avec la victoire de la gauche qu’est relancé, avec la politique de nationalisations, le débat sur la place de l’État dans l’économie et la société. Elle suscite l’apparition en contrepoint d’un courant de pensée favorable aux privatisations des grandes entreprises du secteur public. Les élections législatives de 1986 introduisent un nouveau paramètre. Pour la première fois dans l’histoire institutionnelle de la Ve République, la majorité parlementaire ne coïncide pas avec la majorité présidentielle. Cette situation contraint le président de la République à la cohabitation. En introduisant une véritable dyarchie au sommet de l’État, cette expérience répétée en 1993 et 1997, remet en cause l’orientation présidentialiste du régime engagée depuis 1958. Mais elle montre aussi la capacité d’adaptation des institutions. La volonté collective de redonner au pouvoir présidentiel sa prééminence au coeur du système institutionnel a conduit à l’instauration du quinquennat (référendum de 2000) et à l’inversion du calendrier électoral ; les élections présidentielles se déroulant désormais avant les élections législatives. Une redistribution de l’électorat et des partis politiques accompagne ces % des inscrits), après avoir repoussé – fait unique dans l’histoire constitutionnelle française – un premier projet proposé par l’Assemblée nationale constituante. Le renouveau institutionnel espéré n’est donc pas au rendez-vous, pas plus dans les textes que dans la pratique puisque le « parlementarisme rationalisé » que veut incarner la IVe République aboutit à 24 gouvernements entre 1947 et 1958, soit une durée moyenne de gouvernement d’à peine six mois contre huit pour la précédente République. Durant ces années, au cours desquelles s’accomplit pourtant une remarquable œuvre de redressement économique, la IVe République demeure mal aimée des Français et ce, malgré quelques figures emblématiques populaires comme Antoine Pinay et Pierre Mendès France. Le phénomène mendésiste illustre parfaitement ce profond désir de changement du système politique des Français, qui ne sont au demeurant pas tous mus par le souci de modernité. Les importantes mutations économiques et sociales en cours engendrent également des votes protestataires, fruits de réflexes de repli identitaire et de peurs face à un avenir incertain. La poussée poujadiste (11,4 % des suffrages exprimés), lors des élections législatives de janvier 1956, en témoigne notamment. La guerre d’Algérie constitue pour la IVe République le facteur aggravant décisif qui a précipité sa chute. En effet, elle se montre incapable de trouver une solution à un conflit qui, depuis 1956, voit les appelés du contingent combattre le FLN. À cette absence de perspective de sortie politique et militaire s’ajoute la question morale soulevée par les méthodes employées pour la pacification – notamment la torture – et couvertes par les gouvernements français. L’AVENEMENT DU GAULLISME La crise de mai 1958 et l’avènement de la Ve République marquent incontestablement la seconde opportunité d’une véritable modernisation de la vie politique française, mais selon des conceptions politiques et institutionnelles en rupture avec celles de 1946. Toutefois, tant les modalités du retour au pouvoir du général de Gaulle que l’organisation des pouvoirs publics mise en place par la nouvelle République demeurent, au cours des années suivantes, très critiquées par la gauche et l’extrême gauche. Il est vrai que, si le régime se veut parlementaire au sens où le gouvernement est responsable devant le Parlement, ce dernier voit ses pouvoirs considérablement réduits. C’est désormais le président de la République qui est la clé de voûte du système, d’autant que la pratique institutionnelle du général de Gaulle conduit à établir la prépondérance du président de la 108 évolutions des décennies 1980 et suivantes. À gauche, ces évolutions sont marquées par le recul du Parti communiste, l’émergence d’un courant écologiste et la poussée de l’extrême-gauche. A droite, la montée et l’enracinement électoral de l’extrême-droite (Front National) témoignent notamment de la radicalisation de certains thèmes dans l’opinion (immigration, sécurité). Les années 1980-1990 sont aussi celles d’une crise du système représentatif. Le « choc du 21 avril 2002 » en révèle certains aspects : émiettement des forces politiques, développement d’un vote protestataire, progression de l’abstentionnisme. Les élections présidentielles de 2007 ne confirment pas les évolutions en matière d’abstentionnisme : elles ramènent les Français sur le chemin des urnes. » LA REPUBLIQUE SANS DE GAULLE ? L’écrasante victoire des gaullistes (réorganisés au sein de l’Union pour la défense de la République) lors des élections législatives de juin 1968 – ils obtiennent la majorité absolue des sièges – ne peut cependant pas cacher le divorce croissant entre le général de Gaulle et une « majorité silencieuse » de Français, mue par un réflexe de peur et qui a massivement rejeté les manœuvres des partis de gauche lors de cette crise. L’échec du référendum d’avril 1969 et la démission de la présidence de la République de Charles de Gaulle ne marquent toutefois que la rupture officielle entre un homme hors catégorie sur la scène politique française et ses concitoyens. La Ve République, elle, perdure. Pour preuve, la victoire facile au second tour de l’élection présidentielle de juin 1969 (58,21 % des suffrages exprimés) du gaulliste Georges Pompidou sur le centriste Alain Poher, symbole d’un passé politique révolu. À travers l’enracinement définitif de l’élection du président de la République au suffrage universel direct, c’est bien l’ensemble des institutions de la Ve République qui a été de nouveau approuvé par les Français. Mais, si la continuité l’emporte, le nouveau président doit adapter sa fonction et les pouvoirs qui lui sont conférés à une pratique moins « gaullienne ». Certes, l’État – gaullisme oblige – demeure une notion quasi sacrée, l’institution qui garantit les Français contre eux-mêmes, contre les dangers de l’individualisme triomphant ainsi que contre leurs traditionnelles divisions, et ce, autour de l’intérêt général de la nation. Il s’efforce néanmoins de mieux prendre en compte les aspirations des Français au « bonheur » (société de consommation et des loisirs) et de rapprocher les pouvoirs des citoyens (simplification des procédures administratives et création du médiateur de la République ; déconcentration plus que décentralisation et timide réforme régionale de 1972). Du point de vue politique, le président Pompidou doit ouvrir sa majorité afin de l’asseoir durablement. La politique d’ouverture qu’il conduit avec son Premier ministre, Jacques Chaban-Delmas, permet ainsi le ralliement d’une partie des centristes réunis autour de Jacques Duhamel, qui forment le troisième pilier de la majorité présidentielle. Quant à la gauche, il lui faut désormais tenir compte de la survie du régime à la disparition de son charismatique fondateur. La logique majoritaire la pousse elle aussi à s’unir, au moins tactiquement. Le parti socialiste (fondé en 1969 à partir de la SFIO) sous la houlette de François Mitterrand, le PCF et l’aile gauche des radicaux (MRG) signent à cette fin en juillet 1972 un « programme commun de gouvernement » fondé sur un renforcement du rôle de l’État en matière économique et sociale. Les élections législatives de mars 1973 marquent un net progrès – malgré la défaite – dans le sens de la conquête du pouvoir par la gauche, qui devra néanmoins patienter jusqu’en 1981. UNE PERIODE FONDATRICE Les Trente Glorieuses n’ont pas, en elles-mêmes, constitué une étape singularisable dans l’histoire politique française mais un moment au cours duquel le processus d’adaptation de la démocratie française aux réalités de son temps s’est accéléré. Deux Républiques ont été nécessaires pour parvenir à de nouveaux équilibres – jamais définitifs – entre une société française en pleine mutation, ses institutions et sa classe politique. Toutefois, de manière peut-être paradoxale, la crise économique et sociale des années 1970 et 1980 ne conduit pas à la remise en cause des institutions de la Ve République qui demeure le cadre dans lequel les forces politiques en présence avancent leurs projets de solutions pour en sortir. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : République sur le Premier ministre Michel Debré (1959-1962) au sein de l’exécutif. La réforme de l’automne 1962 sur l’élection du président de la République au suffrage universel direct donne même à cette lecture « présidentialiste » de la Constitution, rendue possible jusqu’ici grâce au prestige personnel du Général, la légitimité populaire indispensable à ses futurs successeurs. Pour les tenants de la conception traditionnelle de la République française, qui accorde au Parlement un rôle central, la défaite est totale et signifie que la parenthèse gaullienne ne sera plus refermée avec le dénouement de la guerre d’Algérie. Les élections législatives du mois de novembre 1962 accentuent encore le mouvement – engagé avec la réintroduction du scrutin d’arrondissement en 1958 – de bipolarisation droite-gauche, qui s’affirme pleinement lors des élections présidentielles de 1965. Dès lors la vie politique française est dominée, au cours des années 1960, tant par la contestation du pouvoir gaullien – non seulement de son action mais aussi, pour certains, de sa légitimité – que par les recompositions multiples de l’opposition. Le MRP et certains « modérés » fondent le Centre démocrate tandis que la gauche non communiste, en dépit de ses profondes divergences, se rassemble tant bien que mal dans la Fédération des gauches démocrate et socialiste. Le parti gaulliste, l’Union pour la nouvelle République, allié aux Républicains indépendants de Valéry Giscard d’Estaing, dispose quant à eux de la majorité absolue des sièges à l’Assemblée nationale, ce qui donne au gouvernement de Georges Pompidou (1962-1968) une certaine marge de manœuvre dans son action. Toutefois, après le premier coup de semonce du ballottage du général de Gaulle lors de l’élection présidentielle de décembre 1965, les élections législatives de mars 1967 marquent une nouvelle étape dans l’érosion du pouvoir gaullien puisque la majorité présidentielle n’est reconduite que d’extrême justesse. La crise de mai-juin 1968 ne fait que confirmer cette désaffection. Certes, le malaise s’avère commun aux pays industrialisés. Mais cette crise révèle tout particulièrement le décalage croissant entre « l’exercice solitaire du pouvoir » par le Général et les générations du baby-boom, qui critiquent, non sans contradictions, le monde de leurs aînés : société de consommation, inégalités, morale traditionnelle, autoritarisme et hiérarchies rigides au sein de la société (famille, école, travail, etc.). Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 109 HC – Population et société en France depuis 1945 Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Rioux Jean-Pierre, Sirinelli Jean-François, Le XXe siècle, t. 4 Le Temps des masses. Histoire culturelle de la France, Seuil, 1998, 400 p. Rioux Jean-Pierre, Sirinelli Jean-François (dir.), La Culture de masse en France de la Belle Époque à aujourd’hui, Fayard, 2002, 446 p. J.-P. Rioux et J.-F. Sirinelli (dir.), La France d’un siècle à l’autre, 1914-2000. Dictionnaire critique, Hachette Littératures, Paris, 1999 (nombreux articles d’histoire sociale et culturelle). Sirinelli J.-F., Les Baby-Boomers. Une génération (1945-1969), Fayard 2003, Hachette Littératures, coll. « Pluriel », 2007. Sirinelli J.-F. , Les Vingt Décisives. Le passé proche de notre avenir (1965-1985), Fayard, 2007. Les volumes de la Nouvelle histoire de la France contemporaine de la collection « Points Seuil » proposent des chapitres thématiques sur les grandes évolutions économiques, sociales et culturelles : J.-P. Rioux, La France de la Quatrième République, tome 2 : L'expansion et l'impuissance (1952-1958), Le Seuil, Points, 1983. J.-J. Becker (avec P. Ory), Crises et alternances 1974-1995, Seuil, Paris, 1998. S. Berstein (avec J.-P. Rioux), La France de l’expansion, t. 1 et 2, Seuil, Paris, 1995. Eck Jean-François, Histoire de l’économie française depuis 1945, Armand Colin, (1995) 2003, 208 p., coll. «Cursus ». ECK Jean-François, La France dans la nouvelle économie mondiale, Paris : PUF, 1998. Mollard C., Le 5e Pouvoir. La Culture et l’État de Malraux à Lang, Armand Colin, 1999. Schor R., Histoire de la société française au XXe siècle, Belin Sup Histoire, 2004. Guillaume Pierre, Histoire sociale de la France au XXe siècle, Masson, 1993. A. Gueslin, L’État, l’économie et la société française XIXe-XXe siècle, coll. « Carré Histoire », Hachette, Paris, 1997. A. Gueslin, Puissance et faiblesses de la France industrielle XIXe-XXe siècle, « Points Histoire », L’Histoire-Seuil, 1997. GUESLIN André, L'Économie ouverte 1948-1990. Nouvelle histoire économique de la France contemporaine (Vol. 4), Paris : La Découverte, (1989) 1994. Barrière Jean-Paul, La France au XXe siècle, Hachette Supérieur, 2000. Baverez Nicolas. Les trente Piteuses, Flammarion, 1998. Beltran Alain, Un siècle d’histoire industrielle en France, Industrialisation et Sociétés. 1880-1970, SEDES, 1998. Caron François, Histoire économique de la France XIXe-XXe siècles, Colin, 1995. Fernandez Alexandre, L’économie française depuis 1945, Hachette Supérieur, 2001. Lévy-Leboyer Maurice (dir.), Histoire de la France industrielle, Larousse, 1996. Borne Dominique, Histoire de la société française depuis 1945, Armand Colin, (1988) 2002, 192 p., coll. « Cursus ». C. Bard, Les Femmes dans la société française au XXe siècle, coll. « U », A. Colin, Paris, 2003. M.-C. Blanc-Chaleard, Histoire de l’immigration, coll. « Repères », La Découverte, Paris, 2001. Y. LEQUIN, La Mosaïque France, Paris, Larousse, 1988. NOIN Daniel, Le Nouvel espace français, Paris, Armand Colin, 2006 (1re éd. 1998). G. NOIRIEL, Le Creuset français, Le Seuil, 1988. G. Noiriel, Population, immigration et identité nationale en France XIX-XXe siècle, coll. « Carré Histoire », Hachette, Paris, 1992. NOIRIEL Gérard, Atlas de l’immigration en France : exclusion, intégration, Paris, Éditions Autrement, 2002. TELLIER Thibaut, Le temps des HLM, 1945-1975 : la saga urbaine des Trente Glorieuses, Paris, Éditions Autrement, 2007. P. Yonnet, Jeux, modes et masses. La société française et le moderne (1945-1985), Gallimard, Paris, 1985. G. Cholvy, La Religion en France de la fin du XVIIIe siècle à nos jours, coll. « Carré Histoire », Hachette, Paris, 1998. P. Clastres et Paul Dietschy, Sport, société et culture en France du XIXe siècle à nos jours, coll. « Carré Histoire », Hachette, Paris, 2006. A. Prost, Éducation, société et politiques. Une histoire de l’enseignement de 1945 à nos jours, coll. « Points Histoire », Seuil, Paris, 1997. R. Remond et J. Le Goff (dir.), Histoire de la France religieuse, t. 4, XXe siècle, société sécularisée et renouveaux religieux, Seuil, Paris, 1999. BUSSIERE Éric, GRISET Pascal, BOUNEAU Christophe, WILLIOT Jean-Pierre, Industrialisation et sociétés en Europe Occidentale (1880-1970), chapitre X, Armand Colin, 1998. Fourastié Jean, Les Trente Glorieuses ou la Révolution invisible de 1946 à 1975, Hachette, (1979) 2004, 288 p., coll. « Pluriel ». Mendras Henri, La Seconde Révolution française, 1965-1984, Gallimard, (1994) 1998, 456 p., coll. « Folio essais ». H. Mendras et L. Duboys Fresney, Français, comme vous avez changé : histoire des Français depuis 1945, L’Aube, La Tour d’Aigues, 2007. G. DUBY (dir.), Histoire de la France urbaine, tome 5, Le Seuil, 1985 A. GAURON, Histoire économique et sociale de la Ve République, La Découverte, 1988. J.-P. JEANCOLAS, Histoire du cinéma français, Nathan Université, 1995. P. ORY, Les Intellectuels en France, de l'Affaire Dreyfus à nos jours, Colin, 1986. 110 P. POIRRIER, L'État et la culture en France au XXe siècle, Livre de poche, 2000. M. WINOCK, Le Siècle des intellectuels, Le Seuil, 1997. L’État de la France 2007-2008, La Découverte, Paris, 2008. L’État des inégalités en France, Paris, Belin, 2007. Documentation Photographique et diapos : Borne Dominique, « La société française. Années 1930-1990 », La Documentation photographique, juin 1996, n° 7035. Azria Régine, «Le fait religieux en France », La Documentation photographique, 2003, n° 8033. Blanc-Chaléard Marie-Claude, « Les immigrés et la France. XIXe-XXe siècles », La Documentation photographique, 2004, n° 8035. Revues : Fridenson, Patrick, «Tendances actuelles des recherches en France sur l’histoire économique et sociale de la période contemporaine », Historiens et Géographes, n° 378, mai 2002, pp.181-188. Ce numéro ainsi que le n° 380, octobre 2002, sont consacrés à l’Histoire économique. Les Trente Glorieuses, La France de la prospérité, Éric Bussière ; Émilie Willaert, TDC n°93, avril 2007 Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : L'histoire économique française est aujourd'hui tiraillée entre la notion de Trente Glorieuses (Jean Fourastié) et l'obsession récente d'un éventuel déclin de la France (Nicolas Baverez, La France qui tombe, Perrin, 2003) ou de la nécessaire réforme de l'État (Marseille, la Guerre des deux France, celle qui avance et celle qui freine, Pion, 2003). Dans ce chapitre qui porte sur la période 1945 à nos jours, il importe surtout d'insister sur la modernisation des structures économiques de la France d'abord encadrée par l'État et le Plan puis par les nouveaux patrons. L'histoire sociale et culturelle de la France a bénéficié de travaux récents qui mettent en lumière l'émergence d'une culture de masse portée par une nouvelle génération : les baby boomers (Sirinelli) tout à la fois bénéficiaires de la croissance et porteurs de la contestation de la fin des années 1960. L'approfondissement de la civilisation des loisirs pourra être étudié au travers des travaux de A. Corbin, L'Avènement des loisirs 1850-1960, Aubier, 1995 et de A. Rauch, Vacances en France de 1830 à nos jours, Hachette, 1996. L’économie française s’est internationalisée et la société française présente désormais de nombreuses similitudes avec les autres sociétés européennes. On a vu ainsi s’affirmer depuis la guerre un phénomène de « convergence des sociétés européennes », que l’historien allemand Harmurt Kaelble fait remonter au début du XXe siècle. En perdant ses attaches paysannes, la société française se rapproche des autres sociétés industrialisées. À partir des années 1960, la France entre, comme ses partenaires, dans l’ère de la société de consommation de masse et des loisirs. Parallèlement, « l’Europe rattrape la France » (Gérard Noiriel) : tous les pays d’Europe occidentale enregistrent une chute de leur fécondité, et certains deviennent à leur tour des pays d’immigration. La tertiarisation des économies contribue à homogénéiser les caractéristiques sociales des différents pays. La crise des années 1970 accélère cette évolution car, partout en Europe, elle ébranle les structures du monde du travail qui s’étaient édifiées lors des deux phases d’industrialisation successives. Enfin, en France comme en Europe, l’Étatprovidence, qui a été mis en place au lendemain de la guerre (quoique les modalités soient différentes selon les pays), entre en crise à partir des années 1980. Pour le sociologue Henri Mendras, les bouleversements économiques et sociaux qui se sont produits depuis la guerre ont pris l’allure d’une « seconde Révolution française ». Cette « révolution » se caractérise selon lui par « l’émiettement des classes » (« fin des paysans », désagrégation de la classe ouvrière, promotion des classes moyennes salariées), et par la « désacralisation » des grandes institutions sociales (famille, école, armée, Église, syndicats) par rapport auxquelles les individus se sont affranchis. L’essor de la culture de masse doit être analysé en liaison avec ces grandes évolutions sociales : « Aujourd’hui, écrit Henri Mendras, les pratiques culturelles se distribuent dans toutes les catégories de la société. Il n’y a plus de cultures de classes, totalitaires et cohérentes, englobant tous les aspects de la vie, s’affrontant l’une à l’autre… La seule catégorie qui se distingue nettement des autres est celle des jeunes entre quinze et trente ans », ce qui justifie l’intérêt que l’historiographie récente a accordé à l’histoire des « babyboomers » et à la culture de masse. Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO Tle STG : « Les classes moyennes La première difficulté avec ce thème est la définition des « classes moyennes ». Le pluriel pour les désigner rappelle leur hétérogénéité qui rend difficile une définition. Les classes moyennes sont « moyennes » dans le sens de « milieu » entre les deux classes extrêmes de la société, la grande bourgeoisie et le prolétariat (la classe ouvrière). Le petit commerçant, l’artisan, les professions libérales constituent les principales couches de la classe moyenne indépendante. Les employés, les fonctionnaires, les techniciens et les ingénieurs (les cadres) constituent la classe moyenne salariée. On pourrait intégrer la paysannerie dans les classes moyennes mais on s’en tiendra aux classes moyennes urbaines. Ce qui caractérise les classes moyennes après la Seconde Guerre mondiale, en France et dans tous les pays industrialisés, c’est leur massification, notamment en ce qui concerne la couche salariée. Le facteur essentiel en est le développement de l’État providence et l'émergence ou le développement de nouveaux secteurs du tertiaire (banque, assurance, publicité, etc.). Les classes moyennes ont été, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, un creuset de la mobilité sociale : en effet, de plus en plus d’enfants d’ouvriers accèdent à la classe moyenne, tandis que les enfants de la petite bourgeoisie accèdent à un niveau plus élevé, grâce à l’enseignement supérieur qui se démocratise. C’est cette mobilité ascendante que le ralentissement de la croissance met en cause. » 111 Accompagnement Tle : « Ce thème d’étude vise à dégager l’évolution d’ensemble de la démographie, des structures économiques, du niveau de vie et des modes de vie, au sein desquels s’inscrivent le fait religieux et les pratiques culturelles. Il se nourrit de l’analyse de données statistiques et de faits et témoignages signifiants. Le repérage des rythmes et des inflexions aide les élèves à maîtriser cette évolution ; ainsi l’installation structurelle du chômage à partir de 1975 (890 000 personnes et un dépassement du seuil de 3 %) dessine-t-elle peu à peu un nouveau paysage social, politique et culturel. La césure de la décennie 1970 ne se révèle pas systématiquement pertinente : des mutations sociales entamées durant les années 1960 l’enjambent, le PIB par habitant s’accroît autant entre 1973 et 2001 qu’entre 1950 et 1973. La croissance est l’un des maîtres-mots de l’analyse : elle vaut pour l’espérance de vie et la population – qui augmente de 19 millions entre 1946 et le début du XXIe siècle, soit nettement plus que de 1700 à 1950 –, la productivité et la production, le niveau de vie et la consommation, la formation, dont la prolongation transforme le niveau moyen d’études et de qualification de la population. La productivité apparaît comme une clé et un emblème du changement : en 1973, un actif occupé crée 20700 dollars constants de plus qu’en 1950 ; en 1998, il en crée 18770 de plus qu’en 1973. Ce dernier trait contribue à dessiner une nouvelle France du travail. Il en est d’autres : recul du travail indépendant, augmentation de la population active, diminution de la durée du travail (à nuancer selon les périodes et les catégories), redistribution des activités collectives. D’une répartition presque égalitaire en 1954 : 6,4 millions d’actifs dans l’agriculture, 6,7 millions dans l’industrie et 7,1 millions dans les services, on passe à la ventilation hiérarchisée du début du XXIe siècle et à ses 16,5 millions d’actifs dans les services. C’est la population employée dans l’industrie qui connaît l’évolution la plus heurtée, atteignant son apogée historique en 1973 puis diminuant de 3 millions en trente ans. Un tel contraste attire l’attention sur la rapidité – voire la brutalité – des changements et sur l’importance de la chronologie. Bien des phénomènes possèdent la même caractéristique : les modes de gestion et de management des entreprises successivement dominés par le modèle du fordisme puis par celui du toyotisme, la place des femmes sur le marché du travail d’abord en net repli puis en expansion, la géographie des espaces productifs industriels ou encore l’appel aux travailleurs immigrés. Ce dernier est massif et multiforme dans les décennies d’après-guerre (nourrissant le second grand flux migratoire de l’histoire de France : 1,7 million d’étrangers en 1954, 3,4 millions en 1975) puis se tarit dans les années 1970, sous le double effet du retournement de conjoncture et de l’arrivée de classes d’âge nombreuses sur le marché du travail ; il cède alors la place à une immigration de regroupement familial. Immigration, arrivée des rapatriés, croissance naturelle, exode rural et mutation de l’appareil productif, tout se conjugue pour favoriser les villes. Pour faire face, l’urbanisation est d’abord majoritairement verticale, avant de s’épandre en vastes nappes pavillonnaires – 230 000 maisons individuelles sont construites en 1977. Elle donne naissance à de nouvelles manières d’occuper le territoire et à de nouveaux paysages, comme le font aussi l’avènement des hypermarchés à partir de 1963, la modernisation des infrastructures de transport ou l’équipement des littoraux. Pour valoriser l’espace national, orienter les phénomènes qui l’affectent et établir une certaine équité spatiale, une politique d’aménagement du territoire est officialisée dès 1950 et assurée de manière volontariste jusqu’au début des années 1970 ; c’est l’un des aspects du renforcement du rôle de l’État, si sensible depuis les années 1930. Si un nouveau paradigme s’affirme ensuite en matière d’aménagement, l’idée elle-même n’est pas abandonnée. Ce nouveau rapport aux lieux est l’un des facteurs ayant modifié les choix et les modes de vie, marqués par une mutation proprement inimaginable au sortir de la guerre. Celle-ci affecte la structure familiale, la place et la situation matérielle des plus âgés et, dans un autre registre, la consommation, le confort de l’habitat, l’équipement matériel, l’ampleur des déplacements de toute nature, etc. L’amélioration du niveau de vie des plus de soixante/soixante-cinq ans constitue l’un des tournants les plus nets ; à la fin du siècle, c’est au sein d’autres groupes que vit la majorité des exclus : jeunes de quinze à vingt-cinq ans, femmes à la tête d’une famille monoparentale… La mutation affecte aussi le rapport de la société au religieux. Au sortir de la 112 guerre, rares sont les régions coupées des traditions chrétiennes. Ainsi l’Église catholique baptise-t-elle neuf enfants sur dix et marie-t-elle huit couples sur dix dans les années 1950. L’après-guerre apparaît même comme l’un des apogées du catholicisme français, ce que reflète plus tard l’intérêt suscité par le concile œcuménique Vatican II. Mais l’érosion de la place du religieux est manifeste au fil des trente glorieuses. Compte tenu de sa position dominante, le catholicisme est le plus touché, et la crise qui l’affecte à partir des années 1960 retentit sur tout le dispositif social, symbolique et spirituel. À la suite de ces évolutions et de nombreuses autres, le paysage religieux français contemporain apparaît contrasté et fluctuant : le judaïsme et l’islam, renouvelés par des apports migratoires, se sont donné une plus grande visibilité communautaire ; les Églises chrétiennes, ébranlées, demeurent une instance de transmission et d’activité caritative sans beaucoup d’équivalents dans la société civile ; l’émergence de nouveaux courants spirituels ou, dans un tout autre registre, le succès de l’ésotérisme, de la voyance ou de l’astrologie manifestent une religiosité diffuse, une recherche d’équilibre et des besoins de certitudes ; la modernité est soumise à un questionnement inquiet. Autre trait majeur du second XXe siècle : la montée en puissance d’une culture de masse fondée sur le son et l’image, qui concourt à la dislocation des cultures closes (celles des terroirs et des groupes socioprofessionnels) et à l’uniformisation de la société. Caractérisée par la consommation en très grand nombre de spectacles et d’objets culturels identiques, elle se diffuse par de multiples canaux. Mais c’est avec la télévision qu’elle entretient les rapports les plus étroits : ils font de cette dernière le média souverain de la période, même s’il est loin d’être hégémonique : en 1963 et 1964 deux tiers des quatorze/vingt ans lisent le mensuel Salut les copains, de 1958 à 1978, la radio triple son parc. Dans ce contexte, la culture « cultivée» est l’objet d’une évolution ambiguë : nombre de ses vecteurs (enseignement secondaire et supérieur – en 1936, 2,7 % d’une classe d’âge obtient le baccalauréat pour 20 % en 1970, 36 % en 1989 et 63 % en 1995 –, livres, revues de haute vulgarisation, expositions, etc.) et de ses thématiques sont plus répandus qu’avant-guerre ; parallèlement, elle est mise en concurrence et relativisée par la critique des hiérarchies dont est porteur l’esprit de 1968. Ce contraste n’est que l’un de ceux dont témoigne l’histoire culturelle contemporaine : culture de masse mais privatisation des pratiques culturelles permise et encouragée par le progrès technologique, uniformisation mais constat au fil des enquêtes du maintien de fortes distinctions culturelles entre groupes sociaux. » Quels ont été les grands bouleversements de la société et de l’économie françaises de 1945 à nos jours ? La France a connu des bouleversements économiques et sociaux identiques à ceux de l’ensemble des pays capitalistes, avec des spécificités que nous nous efforcerons de mettre en lumière dans ce chapitre. Le cadre chronologique du programme peut-être découpé en plusieurs périodes bien distinctes : période de la reconstruction (1944-1950), essor des Trente Glorieuses (1950-1973), puis croissance dépressive à partir de 1973. Ce découpage, très économique, doit être affiné si l’on veut mettre en valeur les changements socio-culturels qui affectèrent la France. À cet égard, les années 1960 sont très importantes : essor de la consommation de masse, plein-emploi, émergence des cadres, crises des mondes ouvriers et paysans, propagation de la culture jeune qui se cristallise autour du phénomène « yéyé », déclin accéléré des pratiques religieuses, émancipation accélérée des femmes, crise de mai 68, etc. Cette décennie fut le cadre de ce qu’Henri Mendras appelle la Seconde Révolution française (1988). Après la guerre, la France entre de plain-pied dans la croissance, et devient une société de consommation, où les loisirs et la communication prennent chaque jour davantage de place. Cette nouvelle donne entraîne une modification des pratiques culturelles des Français ; en l’espace de deux générations, les croyances et les pratiques religieuses se renouvellent. En outre, les Français découvrent et adoptent de nouveaux loisirs, et privilégient certains médias comme la télévision, ou plus récemment Internet. La notion de travail est fréquemment interrogée, surtout à partir des années 1970 quand le chômage se propage et s’installe durablement en France. Les jeunes et les femmes sont des acteurs importants des changements que connaît le pays. Ils acquièrent entre 1945 et nos jours une visibilité sans précédent, ce qui ne va pas sans entraîner d’importants bouleversements culturels et politiques. 113 Quelles sont les caractéristiques du « modèle » français ? Le modèle français repose sur deux piliers : le poids de l’État d’un côté, et de l’autre l’idée d’une « exception culturelle » à sauvegarder. Par ailleurs, certaines questions de société sont récurrentes sur la scène politique française, pensons en particulier aux débats et aux interrogations autour de l’immigration ou de l’école. En quoi le « modèle » français semble-t-il menacé ? Au-delà les discours sur le « déclin » ou quelque « décadence » du pays, il faut tenter de dresser un état des lieux objectif des difficultés auxquelles la France est confrontée : ralentissement de la croissance, persistance du chômage, creusement des déficits publics, déficit de la sécurité sociale, interrogations nombreuses sur les inégalités grandissantes, sur le rôle de l’école ou l’américanisation de la culture française, etc. Les sujets de réflexion ne manquent pas ! Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : I. Les Trente Glorieuses Période de croissance jamais égalée, les Trente Glorieuses (1946-1975) furent marquées par un processus exceptionnel de modernisation de l’économie et de transformations sociales. Durant trente années, les pays industrialisés ont connu une croissance sans précédent, un formidable essor des échanges et de la consommation, immortalisés par Jean Fourastié sous le terme de « Trente Glorieuses ». L’économiste décrit dans son ouvrage Les Trente Glorieuses ou la Révolution invisible de 1946 à 1975 (Fayard, 1979) deux villages, Madère et Cessac, que tout oppose : la répartition sectorielle de la population active, le niveau d’équipement ou encore la productivité (voir Focus). À travers cet exemple, l’auteur étudie les bouleversements qui transformèrent le pays en profondeur durant cette période. Un modèle économique original La France connaît, en effet, de réelles mutations entre le début des années 1950 et 1975. Dans le prolongement des réflexions de l’entre-deux-guerres puis de celles de la Résistance, l’ambition des responsables politiques à la Libération est nettement orientée vers la modernisation du pays et l’augmentation de la production. Il s’agit tout à la fois de faire face aux besoins de la reconstruction, d’améliorer les conditions de vie des citoyens mais aussi de rompre avec la spirale du déclin dans lequel le pays semblait plongé depuis les années 1930 et la défaite de 1940. La France accomplit alors un formidable rattrapage économique qui lui permet de sortir progressivement du marasme, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et d’entrer dans l’ère de la société de consommation en ayant développé considérablement son industrie et modernisé l’ensemble de ses structures économiques. Ce nouveau modèle économique se met en place au début des années 1950, associant impulsions publiques et initiatives privées, effort national mais aussi emprunts au modèle américain et ouverture sur l’Europe et le monde. Ces mutations s’accélèrent dans les années 1960, « point d’orgue des Trente Glorieuses » (Jean-François Sirinelli, Comprendre le XXe siècle français, Fayard, 2005). Les innovations La croissance fut, pour l’essentiel, liée aux nouvelles technologies et à la mise en œuvre de méthodes destinées à accroître la productivité. Le potentiel de la France en matière de technologie sortait très affaibli de la Seconde Guerre mondiale, du fait du retard d’investissement lié à la crise des années 1930 puis de l’isolement du pays vis-à-vis de la recherche internationale durant le conflit. La mobilisation de l’ensemble des acteurs avait été encouragée par l’État dès l’entre-deuxguerres, et un premier regroupement des structures avait été réalisé à travers la création du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en 1939. La guerre, puis l’après-guerre, voient l’éclosion d’une recherche à large échelle à travers la création de structures spécialisées tant publiques que privées, parmi lesquelles l’Institut national de la santé et de recherche médicale (Inserm) en 1941, l’Irsid pour la sidérurgie, l’Institut français du pétrole en 1943, le Centre national d’études des télécommunications (Cnet) en 1944, le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) en 1945 ou encore le Centre national d’études spatiales (Cnes) en 1961. Si, d’une manière générale, l’objectif est celui d’un rattrapage Accompagnement 3e : « Au partage binaire entre les « Trente glorieuses » et la longue crise depuis le milieu des années 70, on préférera l’idée d’une reconstruction économique jusqu’au début des années 50, suivie d’une phase de croissance rapide avec ses déséquilibres, débouchant à partir du milieu des années 70 sur une période de croissance ralentie, commodément baptisée crise, et au cours de laquelle la France a continué à se transformer très rapidement. Les mutations sociales et culturelles qu’a connues notre pays depuis la guerre se poursuivent à un rythme qui s’est encore accentué à partir du milieu des années 70. » Genèse d’une expression L’économiste Jean Fourastié (1907-1990) est le témoin privilégié – il a notamment été conseiller au Commissariat au Plan – des bouleversements qui touchent la France après la Seconde Guerre mondiale. Il analyse ces mutations dans un ouvrage publié en 1979 Les Trente Glorieuses ou la Révolution invisible de 1946 à 1975. Deux villages voisins, Madère et Cessac, y sont étudiés. L’économie et le mode de vie de Madère restent agricoles et traditionnels : « Tous ses habitants sont chrétiens […]. La plupart des autres éléments du niveau de vie et du genre de vie des habitants de Madère sont restés très proches de ce qu’ils étaient au XIXe siècle. » Au contraire, « les habitants de Cessac ont […] tous les caractères sociologiques des citoyens d’un pays très développé. […] Le groupe dominant à Cessac est tertiaire. » Deux modèles économiques cohabiteraient donc sur le territoire français. En fait, ces deux villages sont fictifs. Dans la réalité, il s’agit du « seul et même village de Douelle en Quercy saisi à deux dates différant de trente années et décrit à l’aide des recensements de ces deux dates : 1946 et 1975. » Grâce à ce procédé didactique, l’auteur nous fait appréhender la formidable révolution économique et sociale de cette période. 114 par rapport aux États-Unis, à travers la mise en place de technologies nationales qu’illustrent la filière graphite-gaz dans le domaine du nucléaire civil ou le Secam pour la télévision, l’appui américain joue un rôle majeur et efficace par l’acquisition de licences pour des secteurs comme l’aéronautique. L’emprunt aux méthodes d’outre-Atlantique se révèle également important en matière d’organisation de la production et des entreprises. C’est ainsi qu’une réflexion associant l’ensemble des partenaires économiques et sociaux aboutit à la création de l’Association française pour l’accroissement de la productivité, qui organise, à partir de 1948, plus de 250 missions aux États-Unis – diffusant ainsi les méthodes d’organisation scientifique du travail et du management américaines (diminution du coût de fabrication, augmentation par une pratique de bas prix de la masse de produits vendus, etc.) L’internationalisation des échanges L’ouverture des frontières résulte, d’une part, des discussions sur les tarifs douaniers du Gatt (General Agreement on Tariffs and Trade, de 1947), mais aussi de la stabilité monétaire (système de Bretton Woods) et de l’aide américaine perçue sous forme de crédits ou de dons qui permettent de relancer les investissements. La construction européenne entraîne la libéralisation progressive des échanges. Les organismes de coopération comme l’OECE (Organisation européenne de coopération économique), qui regroupe les pays bénéficiaires de l’aide Marshall, engagent le processus de coopération européenne. La création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), en 1951, représente la première étape d’une intégration plus approfondie à l’échelle de l’Europe des Six. L’union douanière et les politiques communes issues de la mise en œuvre du Marché commun, incitent, à partir de 1957, les entreprises à augmenter leur productivité, à être plus compétitives pour faire face à la concurrence et exporter davantage. La part qu’occupaient les colonies dans le commerce extérieur français tend à diminuer, et la dimension européenne la remplace peu à peu dans les priorités fixées par l’État. Toutefois, il faut rappeler que la France connaît un climat d’inflation quasi permanent qui gêne ses exportations et déséquilibre sa balance commerciale. Ainsi, de 1948 à 1969, le franc doit subir huit dévaluations successives. Une politique volontariste L’État accompagne la croissance économique. La planification devient le cadre privilégié dans lequel s’exprime l’association entre les orientations et impulsions venant des pouvoirs publics, et les initiatives des acteurs économiques. Progressivement mise en place par le Commissariat général au Plan confié à Jean Monnet en janvier 1946, elle est indicative et elle est fondée sur une intense concertation avec l’ensemble des acteurs économiques et sociaux. L’objectif est clairement la croissance. Résultat : le niveau de production de 1929 – le plus élevé de l’entre-deux-guerres – est rattrapé en 1948 puis dépassé de 25 % en 1950. La nation doit se doter d’une série d’outils essentiels à la mise en œuvre d’un tel programme. Au-delà de motivations politiques évidentes, les nationalisations relèvent de cet impératif. Le contrôle d’une série de secteurs clés par l’État devait garantir que les efforts d’investissement, de rationalisation et de modernisation seraient effectués au profit de l’économie tout entière. Dans le secteur énergétique, la création des Charbonnages de France (CDF), d’EDF et de GDF correspondait à ces ambitions. Quant à la nationalisation des sociétés d’assurance et des quatre grandes banques de crédit – Crédit lyonnais, Société générale, Comptoir national d’escompte de Paris et Banque nationale de commerce et d’industrie (BNCI) –, elle visait à doter le pays de moyens de crédit au service de la croissance. Cette politique fut largement placée entre les mains du ministère des Finances. Les nationalisations bancaires furent complétées par le développement d’une série d’institutions financières spécialisées à statut très réglementé comme le Crédit agricole. À côté de ces grandes orientations, l’État cherche à consolider certains secteurs dans lesquels l’intérêt national est en jeu. La convention État-sidérurgie signée en 1966 vise à consolider une activité encore en pleine croissance mais confrontée à des coûts trop élevés, au surendettement et à des structures trop dispersées. Elle conditionne les aides publiques à un effort de rationalisation des installations, d’investissement et à la concentration des entreprises autour d’un pôle lorrain (De Wendel-Sidelor), d’un pôle centré sur le Nord (Usinor), d’une entreprise spécialisée dans les aciers spéciaux (Creusot-Loire), puis, au début des années 1970, elle facilite l’implantation de la sidérurgie à Fos-sur-Mer. Une stratégie 115 similaire est également conduite en plusieurs étapes en faveur des chantiers navals ou du secteur des technologies de pointe. En ce qui concerne l’informatique, le résultat est plus mitigé. L’État cherche à promouvoir l’industrie française des calculateurs scientifiques et des ordinateurs avec la mise en œuvre du plan calcul et le soutien à la Compagnie internationale d’informatique (CII) constituée en 1967. Il met en œuvre ce programme à travers un ensemble de crédits et de commandes des administrations étalées sur cinq ans. En 1973, il ambitionne de développer l’internationalisation de l’informatique française à travers l’association à la CII des activités informatiques de Philips et de Siemens au sein d’Unidata. Mais des difficultés aboutissent à l’éclatement du groupe et favorisent le regroupement de Bull (associé depuis lors à Honeywell) et de la CII en 1975. Les initiatives sectorielles sont plus efficaces dans l’aéronautique et le nucléaire. Dans ce premier domaine, l’État a provoqué le regroupement des constructeurs publics en une grande entreprise nationale, la Snias (Société nationale industrielle aéronautique), née en 1970. L’acquisition des bases technologiques est progressivement obtenue à travers les aventures de la Caravelle puis du Concorde, qui permettent de lancer le programme Airbus en association avec le partenaire allemand en 1969. En matière de nucléaire civil, la décision prise en 1969 d’adopter la technologie américaine à uranium enrichi débouche sur la mise en œuvre d’un vaste programme associant les entreprises d’outre-Atlantique, plusieurs pays européens, des organismes de recherche, des entreprises publiques (EDF) et des industriels du secteur privé. Cette combinaison permet de répondre en partie au défi de la crise énergétique à travers le lancement d’un programme électronucléaire de large envergure, à partir de 1974. Les programmes sectoriels impulsés par les pouvoirs publics témoignent tout à la fois d’une prise en compte des opportunités de la coopération internationale et européenne, et de pratiques de plus en plus contractuelles dans les relations entre l’État et les entreprises du secteur public, entre le secteur public et le secteur privé. Le financement des entreprises Pour financer la reconstruction puis la croissance, on fit, dans un premier temps, largement appel aux ressources publiques dans la mesure où l’autofinancement des entreprises françaises ne représentait que 12 % de leurs investissements en 1947 et 22 % en 1949. Les financements publics transitèrent pour l’essentiel par le canal du Fonds de modernisation et d’équipement – pour une part alimenté par l’aide Marshall – rebaptisé par la suite Fonds de développement économique et social (FDES). Les établissements bancaires spécialisés furent aussi l’un des canaux de ce financement (par exemple, le Crédit agricole contribua à la modernisation de l’agriculture au moyen de crédits à taux réduits). La part de financement public dans l’investissement productif déclina toutefois au cours des années 1960 au fur et à mesure que les capacités bénéficiaires des entreprises se redressèrent. De manière paradoxale, les résultats financiers des entreprises françaises durant les Trente Glorieuses ne furent jamais à la hauteur des besoins. La modernisation continue des entreprises ne pouvait donc être assurée que par l’appel au marché financier et le recours au crédit bancaire. La Bourse fut toutefois loin d’apporter aux entreprises les ressources nécessaires car, si les cours se redressèrent durant les années 1950, ils stagnèrent durant les années 1960 entravant ainsi les émissions d’actions. C’est donc par le biais du financement bancaire que l’investissement fut assuré. Les réformes engagées dans l’immédiat après-guerre permirent un développement considérable du crédit à moyen terme (cinq ans), qui devint l’instrument privilégié du financement de l’équipement industriel du pays. Ces crédits furent distribués par les banques, qui transformèrent ensuite les dépôts à vue de leurs clients en crédits à terme aux entreprises : c’était là une nouveauté par rapport à une tradition de sécurité des placements bancaires établie depuis un siècle. Au total, si la croissance fut assise sur un très important effort d’investissement, elle le fut sur des bases financières peu à peu fragilisées. La spirale de l’endettement se révéla néfaste aux entreprises y compris les plus importantes, dont les résultats bénéficiaires, pénalisés par des charges financières alourdies, compromettaient la tenue du cours en Bourse et la capacité à obtenir des ressources par cette voie et annonçaient une future crise. Les nouvelles structures Ce modèle économique original s’appuie enfin sur la modification des structures 116 des entreprises qui sont au cœur même de la croissance. Leur caractère relativement dispersé s’estompe au cours des années 1950 sous l’effet des coûts croissants de la recherche-développement, des économies d’échelle réalisées en matière d’organisation de la production et de commercialisation. L’État encourage alors un mouvement de concentration à travers son action dans le secteur public. La nationalisation du secteur de l’énergie avait lancé le mouvement avec la création d’EDF-GDF ou de CDF. Dans le secteur pétrolier, une série d’acteurs publics forment, entre 1945 et le début des années 1970, le groupe Elf-Erap, qui devient derrière la CFP-Total le second grand acteur français du secteur. Dans le secteur bancaire, le Comptoir national d’escompte de Paris et la BNCI fusionnent en 1966 pour créer la Banque nationale de Paris (BNP). Mais les regroupements furent également importants dans le secteur privé. La sidérurgie ou les chantiers navals connurent une série de concentrations réalisées souvent sous la pression de l’État qui conditionna les aides qu’il accordait à ces branches aux fusions indispensables. Nombre des opérations de regroupement qui affectèrent l’industrie française durant la période trouvèrent en réalité leur aboutissement au tournant des années 1970. Ce furent la création de Péchiney-Ugine-Kuhlman (PUK) dans le secteur de la chimie et des non-ferreux, le renforcement de Rhône-Poulenc par le rachat d’une partie des actifs de Péchiney et de Saint-Gobain qui, de son côté, prenait le contrôle de Pont-àMousson. Dans l’automobile, Peugeot racheta Citroën en 1974. Ces regroupements aboutirent peu à peu à rapprocher les normes des entreprises françaises, en matière de taille, de celles des entreprises allemandes et britanniques, traditionnellement plus concentrées. Les entreprises françaises tendirent à imiter les standards internationaux en matière de structure d’organisation et de mode de management. La concentration et la diversification croissante des entreprises les conduisirent à se réorganiser selon des modèles inspirés des schémas en vigueur aux États-Unis, et que des consultants comme McKinsey contribuèrent à diffuser. L’on distingua dans les plus importantes d’entre elles une série de départements fonctionnels en charge des services communs (finances, département juridique, etc.) et des divisions opérationnelles en charge des grands secteurs d’activité de l’entreprise. D’une entreprise à l’autre, la décentralisation fut plus ou moins accentuée, faible dans les entreprises sidérurgiques, forte à la Compagnie générale d’électricité (CGE) ou chez PUK, où les divisions autonomes étaient coiffées par un état-major restreint. En 1970, la structure d’organisation multidivisionnelle avait été ainsi adoptée par plus de la moitié des cent plus importantes entreprises françaises. Ces mutations de structures eurent pour conséquence l’évolution de la composition du patronat. On observe, en effet, l’apparition d’une technostructure de managers (« les technocrates »). Les entreprises familiales, toujours nombreuses dans les secteurs peu concentrés, eurent tendance à disparaître du sommet de la hiérarchie, soit par déclassement de certains secteurs, comme le textile, soit sous les effets de la concentration, comme dans la sidérurgie. Quelques familles réussirent pourtant à se maintenir au sommet de la hiérarchie du monde de l’entreprise, comme les de Wendel qui conservèrent leurs responsabilités dans la sidérurgie jusqu’à la fin des années 1960, les Michelin ou les Peugeot. Le plus souvent cependant, la direction des grandes entreprises passa entre les mains d’états-majors de salariés peuplant les conseils d’administration. On retrouva progressivement à la tête des entreprises des ingénieurs (les anciens élèves de l’École polytechnique représentent 20 % des dirigeants des entreprises entre 1929 et 1973), d’anciens élèves de l’ENA ayant quitté le service public et des diplômés d’écoles de management réorganisées sur le modèle américain, comme le fut HEC au cours des années 1960. Le résultat : la croissance Exceptionnelle, la croissance est cependant sélective selon les secteurs. Elle engendre aussi un bouleversement des structures de la société française. La croissance a été en effet longue, et régulière. En moyenne de 5 % par an, elle a été plus élevée que celle de la Grande-Bretagne (aux alentours de 3 %) ou des États-Unis, mais toutefois moins élevée que celle du Japon (aux environs de 10 %) ou de l’Italie (près de 6 %). On note parfois quelques ralentissements de ce taux (vers 1952-1953 ou encore 1965-1966), en raison des efforts faits pour contenir l’inflation et stabiliser le franc. Pour expliquer cette croissance, il ne faut pas négliger le rôle de l’expansion démographique. Conséquence du baby-boom de l’immédiat après-guerre, de 1946 à 1978, la population française s’est accrue de 13 millions d’habitants , ce qui entraîne des répercussions sur la demande 117 intérieure. Cette croissance démographique explique en partie l’augmentation parallèle de la consommation des ménages. Celle-ci augmente d’environ 5 % par an grâce à la formidable progression du pouvoir d’achat. Elle est soutenue par une offre de crédit qui se généralise et elle affecte toutes les catégories sociales. Mais la croissance est inégale selon les secteurs. L’agriculture connaît une augmentation des diverses productions végétales et animales entre 1950 et 1975. La diminution à la fois des superficies cultivées et du nombre d’actifs montre la modernisation de ce secteur qui voit sa productivité croître grâce à la motorisation, à l’utilisation d’engrais. Et pourtant, on peut parler d’un déclin de l’agriculture au sein de l’économie française car sa place dans le PIB diminue. Le secteur industriel est au cœur des préoccupations des pouvoirs publics, et sa part dans le PIB passe d’environ 20 % au début des années 1950 à près de 30 % en 1973, tandis que la population active qui y est employée croît rapidement (30 % en 1945 environ mais 40 % en 1970). Enfin, le secteur tertiaire devient prépondérant au sein de l’économie nationale ; il emploie plus de 50 % de la population active en 1973 et fournit plus de 50 % du PIB. Le secteur de la distribution est emblématique de cette expansion des services : il connaît de fortes mutations au cours de la période avec l’apparition des grandes surfaces. Si la formule du libre-service apparaît pour la première fois à Paris en 1948 dans le secteur alimentaire, l’augmentation de la taille des établissements se produit surtout dans les années 1960. En 1957, les deux premiers supermarchés sont créés, tandis que le premier hypermarché est ouvert dans la région parisienne en 1963. En 1970, la France compte 70 hypermarchés et 1200 supermarchés. De plus en plus, ces formes nouvelles de la distribution s’insèrent dans des centres commerciaux en banlieue dotés de vastes parkings où cohabitent grandes surfaces et petits détaillants. Cette mutation contribuera au déclin de la petite distribution, alimentant des formes diverses de protestation dont le poujadisme, qui trouvera une partie de ses bases dans l’Union de défense des commerçants et des artisans, créée en 1953. Mutations sociales Issue de réflexions et de certaines mesures prises durant l’entre-deux-guerres, la notion d’État-providence apparaît après 1945. Grâce à de nouvelles institutions, à une intervention législative et réglementaire constante, les pouvoirs publics favorisent l’amélioration des conditions de vie à travers la prise en charge d’une série de risques et une politique des revenus. La mise en place de la Sécurité sociale constitue la base de ces réformes. L’assurance maladie, dans un premier temps destinée aux salariés, est bientôt généralisée aux professions agricoles (1961) puis aux autres catégories non salariées (1966), si bien que moins de 5 % des Français n’en bénéficient pas à la fin des années 1960. De la même manière, le régime des retraites est progressivement élargi à de nouvelles catégories, au point de devenir obligatoire pour tous les Français en 1975. Quant au régime de l’assurance maladie, il permet l’amélioration de la situation sanitaire de la nation et un allongement de l’espérance de vie. Combiné avec les allocations familiales, l’ensemble de ces dispositifs aboutit à porter la part des dépenses sociales dans le revenu national de 8 % en 1947 à plus de 20 % en 1970 : l’enrichissement du pays a contribué à l’épanouissement de la société de consommation. On note une progression du revenu par tête de 217 % entre 1953 et 1967. Celle-ci se combina avec une mobilité professionnelle qui joua au profit des employés et des cadres, dont le développement assura l’essentiel de la mobilité sociale. C’est ainsi que le nombre d’employés et de cadres passa de 3,6 millions à près de 7,9 millions entre 1954 et 1975. Le taux de promotion qui permit à des fils de travailleurs manuels d’accéder à des professions non manuelles entre 1954 et 1972 est de 28 %. Cette évolution conduisit à une réduction de l’écart des revenus, puisque si le revenu annuel moyen d’un ouvrier était encore trois fois inférieur à celui d’un cadre supérieur en 1960, il n’est plus que deux fois inférieur en 1970. Une mutation liée à une élévation sensible du niveau de formation des Français : en 1957-1958, le taux de scolarisation à 18 ans n’est encore que de 17 %, mais il atteint 54 % au milieu des années 1970. Cette population demande à consommer les multiples produits désormais à sa disposition. Nouvelles conditions de vie Le développement de la nouvelle société apparaît à travers d’importantes mutations de la structure du budget des ménages. La diminution de la part de l’alimentation et de l’habillement (de 51,3 % en 1950-1954 à 39,4 % en 19651968) est associée à l’augmentation de celle du logement, des biens de consommation durables et des services. Les taux d’équipement en automobiles et 118 en téléviseurs des foyers français témoignent de cette évolution : on passe ainsi de 37 voitures pour 1 000 habitants en 1948 à 252 en 1970, tandis que le nombre de téléviseurs passe de 41 en 1960 à 201 en 1970. Il faut ajouter que la généralisation de comportements caractéristiques des sociétés industrielles contemporaines concerne toutes les catégories sociales par effet de mimétisme et par la progression des revenus. Il ne fait aucun doute que cette évolution d’ensemble du modèle de consommation fut assez largement influencée par le modèle américain véhiculé par la diffusion de plus en plus importante de programmes radiophoniques, cinématographiques, puis télévisés d’outre-Atlantique. L’expansion de ce modèle s’appuya sur un accroissement considérable des budgets de publicité des entreprises, qui furent multipliés par cinq en valeur constante entre 1952 et 1972 et que symbolise l’apparition de la publicité à la télévision. La presse féminine, marquée par l’importante diffusion de Marie-Claire puis de Elle, joua un rôle central dans la diffusion des biens d’équipement de la maison, comme la machine à laver le linge, que les Françaises achetèrent en masse et qui représenta le symbole d’une certaine « libération ». Une libération mais aussi une révolution qui passa par la diminution du temps passé aux travaux ménagers, mais aussi et surtout, par l’accès à la contraception, aux études, au travail que favorisait la tertiarisation de l’économie. Plus massivement, l’essor d’une culture jeune popularisée par un magazine comme Salut les copains, lancé en 1959 par le groupe Fillipacchi et qui comptait 3 700 000 lecteurs en 1967, s’accompagna de la diffusion d’un modèle inspiré de l’Amérique et dont les symboles furent le jean, le T-shirt, le Coca-Cola et le chewing-gum. Les adolescents des sixties consomment massivement. D’abord de la musique : sur les Teppaz, ils découvrent les yé-yé marqués par les sons d’outre-Atlantique. Même au sein de la contestation de 1968, lorsque les camarades remplacent les copains, « l’Amérique reste pourtant, aux yeux de la nouvelle génération, une entité dont la fascination ne décroît pas » (Jean-François Sirinelli, op. cit.). Les jeunes ne sont pas les seuls cibles des publicitaires ou des médias vantant la nouvelle société, « l’homme moderne » n’est pas oublié, comme en témoigne le lancement du magazine Lui en 1963,qui comptera près de 5 millions de lecteurs. Ces facteurs contribuèrent à uniformiser les modes de vie et à homogénéiser la société. Nous pouvons noter d’autres transformations dans la vie quotidienne qui participèrent à ce phénomène de consommation de masse : la banalisation progressive des vacances estivales, l’essor des sports d’hiver et, pour les plus privilégiés, les croisières et séjour à l’étranger. Les loisirs eux aussi se développent et la façon dont ils se pratiquent nous autorise à parler de consommation de masse : clubs de sport ou de vacances prennent une ampleur sans précédent. Une remise en cause de la croissance L’émergence de la société de consommation suscita des réactions. En effet, la critique d’une société influencée par le modèle de consommation américain était de tradition en Europe depuis les années 1920 et elle se manifesta à nouveau au cours des années de croissance à travers le décodage qu’en firent certains intellectuels comme Roland Barthes dans Mythologies en 1957 ou une partie des acteurs du mouvement de mai 1968. Cette critique trouva un relais à travers l’écho dont bénéficièrent en France les travaux du Club de Rome qui préconisèrent la croissance zéro au début des années 1970. Mais la portée de cette remise en cause ne doit pas être exagérée : la plupart des manifestants de mai 1968 voulaient participer davantage aux bénéfices d’une croissance qui semblait garantie pour longtemps, mais aussi, il est vrai, éveiller l’attention des dirigeants sur le fait qu’il existait certain exclus de la croissance. Enjeu fondamental de l’après-guerre, la modernisation du pays est réelle. Elle est toutefois remise en cause par le choc pétrolier de 1973, par les flottements monétaires du début des années 1970, et par l’apparition du chômage. La France entre alors dans une ère où l’instabilité domine. Cependant, malgré ces nuances, souvent à travers le prisme déformé de la mémoire, mais aussi grâce à de réelles avancées sociales, les Trente Glorieuses apparaissent aujourd’hui rétrospectivement comme un âge d’or, une sorte de paradis perdu, avant la longue période des années « rugueuses ». Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 119 HC – La France dans le monde depuis 1945 Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Bozo Frédéric, La Politique étrangère de la France depuis 1945, La Découverte, 1997, 128 p., coll. «Repères ». Pervillé Guy, De l’empire français à la décolonisation, Hachette, 1991, coll. « Carré histoire », p. 232-247. Dalloz Jacques, La France et le Monde depuis 1945, Armand Colin, (1993) 2004, 233 p., coll. «Cursus ». J. DALLOZ, Textes de politique étrangère de la France, Paris, PUF, 1989. A. Dulphy, La Politique extérieure de la France depuis 1945, coll. « 128 » Nathan, Paris, 1994. P. Moreau Defarges, La France dans le monde au XXe siècle, coll. « Les Fondamentaux », Hachette, Paris, 1994. G. Le Quintrec, La France dans le monde depuis 1945, coll. « Mémo », Le Seuil, Paris, 1998. M.-C. KESSLER, La Politique étrangère de la France, Acteurs et processus, Presses de Sciences Po, 1999. S. MONNET, La Politique extérieure de la France depuis 1970, A. Colin, 2000. F. Roche & B. Pigniau, Histoires de diplomatie culturelle des origines à 1995, La Documentation française, Paris, 1995. BITSCH Marie-thérèse, Histoire de la construction européenne de 1945 à nos jours, Bruxelles, Éditions Complexe, 2008. WAUTHIER Claude, Quatre présidents et l’Afrique : De Gaulle, Pompidou, Giscard d’Estaing, Mitterrand : quarante ans de politique africaine, Paris, Éditions du Seuil, 1995. Documentation Photographique et diapos : Revues : Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Accompagnement Tle : « La France de 1945 doit retrouver son rang et exorciser l’humiliation de 1940. Dans ce contexte, l l’opinion rejette toute mise en cause de l’empire colonial. Associé à la tradition républicaine qui croit à l’assimilation – qu’illustre la départementalisation de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de la Réunion en 1946 –, à la faiblesse de l’exécutif et à la cécité d’une partie des dirigeants et des colons, ce sentiment aide à comprendre l’impréparation du pays face à la vague décolonisatrice. Il faut la succession des difficultés, le coût global de la guerre d’Algérie et l’appel de la modernisation et de l’Europe pour qu’un revirement s’opère. Prolongeant les avancées notables de la IVe République, la Ve République tourne la page : la longue séquence de la colonisation prend fin pour l’essentiel en 1962. S’achève en même temps le cycle guerrier ininterrompu depuis 1939. De Gaulle définit alors une voie nouvelle : celle d’un pays qui n’est pas l’une des grandes puissances, mais dont la voix importe à l’équilibre du monde, qui aspire à jouer un rôle de premier plan en Europe (et grâce à l’Europe), qui a des ambitions mondiales, en partie assises sur l’expérience née du long passé national. Ces divers tournants permettent une plus nette affirmation des principes de la politique étrangère : l’ancrage dans le camp occidental, empreint de résistance à l’hégémonisme des États-Unis et d’une certaine culture de l’exceptionnalisme ; la participation à la construction européenne, non sans tension sur les objectifs ; une place de choix dans le concert des nations par la défense des acquis (comme le siège permanent au Conseil de sécurité), l’effort pour se doter des outils militaires de l’indépendance, la tentative de mener un dialogue multilatéral, le maintien d’une sphère d’influence en Afrique. Comme ces pistes sont en partie tracées dès la IVe République et qu’elles demeurent le coeur de la politique internationale des successeurs de De Gaulle – qui, comme lui, concentrent la décision en la matière –, on peut véritablement parler de constantes. Pour importants qu’ils soient, ces domaines ne résument pas à eux seuls la place de la France dans le monde. On doit donc évoquer, sans chercher l’exhaustivité, d’autres variables, telles que la dilatation du territoire de la République à l’échelle du monde, les missions assumées par l’armée française à l’extérieur, l’espace linguistique et culturel que constitue la Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO actuel T L-ES : « La France dans le monde On présente l’enjeu de la décolonisation et les constantes de la politique étrangère, le rôle de la France dans les institutions internationales et sa place dans les échanges mondiaux, les formes de la présence française dans le monde. » 120 francophonie (institutionnalisée en 1970) et, bien sûr, la puissance économique, qui lui vaut sa participation au G7. Malgré une histoire heurtée de la balance commerciale – de 1959 à 1991, on comptabilise vingt et un soldes négatifs pour douze soldes positifs, puis on entre avec les années 1990 dans une phase durable d’accroissement –, le choix de l’ouverture opéré à la fin des années 1950 n’a jamais été remis en cause. Il se traduit par un accroissement continu de la part du commerce extérieur au sein du PIB : près de 9 % en 1958, près de 15 % en 1973, 23 % en 1992. Au total, l’économie française est désormais l’une des plus extraverties du monde, tant en matière d’investissements à l’étranger et d’accueil des investissements étrangers (premier rang en 1992, quatrième en 1995) qu’en matière d’exportations de marchandises et de services, pour lesquelles elle occupe au début des années 2000 respectivement les quatrième et deuxième rangs mondiaux. Cette internationalisation est multiforme : elle se traduit aussi par une expatriation croissante des talents, singulièrement en direction des pays anglosaxons. » Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : Cette question permet de mobiliser, à propos de la France, une grande partie des thèmes importants : la mondialisation ; la guerre froide ; la décolonisation ; la construction européenne ; la fin de la guerre froide et ses conséquences ; et enfin la politique intérieure française (l’analyse du gaullisme serait lacunaire si elle n’incluait pas la « politique de grandeur » du Général). Bref, réfléchir à la place de la France dans le monde permet de poser les grandes problématiques de l’époque contemporaine. L’approche ne doit pas se limiter à une histoire purement diplomatique et militaire, nécessaire mais insuffisante. Il faut inclure dans le raisonnement l’ouverture de l’économie française sur le monde (un phénomène majeur de la seconde moitié du XXe siècle) et le rayonnement culturel de la France. Pour aborder le rôle de la France dans le monde contemporain (depuis 1945), l’approche chronologique n’est pas forcément la plus efficace. La période est en effet marquée par des constantes plus que par des tournants. On peut cependant revenir ici sur la période pour essayer d’en distinguer les grandes phases. 1. L’immédiat après-guerre pose d’une façon brutale la problématique qui est au fond celle de toute la période : la France n’est plus une grande puissance. Discréditée par le régime de Vichy et la collaboration, elle a perdu son prestige de « patrie des droits de l’homme ». Affaiblie économiquement, elle est, comme les autres pays européens, très dépendante des États-Unis. Et politiquement, il s’en est fallu de peu qu’elle ne devienne pas un simple territoire occupé, géré par l’armée américaine. Il a fallu tout le génie du général de Gaulle (aidé par Churchill), pour que la France soit admise in extremis parmi les vainqueurs et retrouve des attributs de (grande) puissance : un siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU et une zone d’occupation en Allemagne. Dans ce contexte, l’empire colonial joue un rôle majeur : il est au fond le seul élément « concret » qui puisse encore donner à la France l’illusion d’être une puissance mondiale. C’est pourquoi la France s’y accroche. Paradoxalement, les Français commencent à croire à l’utilité de leur empire colonial au moment même où celui-ci leur échappe. 2. La IVe République fait les choix décisifs, redéployant la politique française de l’Empire vers l’Europe. On peut ici « réhabiliter » un régime souvent présenté d’une manière caricaturale, notamment par ses adversaires gaullistes. La IVe République a certes mal géré le problème algérien, mais on peut rappeler que de Gaulle lui-même a eu du mal à le régler (au prix de quelques palinodies). C’est bien la IVe République qui a enclenché le processus de décolonisation, sous la contrainte : défaite militaire en Indochine, échec politique lors de la crise de Suez. Elle a su alors amorcer une évolution pacifique en Tunisie, au Maroc et en Afrique noire (loi-cadre Defferre). L’engagement européen et atlantiste de la France est un acquis majeur de cette période. On peut aussi souligner que le programme nucléaire militaire de la France est discrètement lancé par la IVe République (après Suez), même si les premières réalisations ont lieu sous de Gaulle. 121 3. La présidence du Général de Gaulle (1958-1969) est placée sous le signe de la « politique de grandeur ». Il faut ici faire le départ entre le discours et la réalité et mesurer les éléments de rupture et de continuité. De Gaulle lui-même a affirmé que sa politique était en rupture avec celle du régime précédent. À l’opposé d’une IVe République qui aurait bradé la souveraineté nationale en s’inféodant aux États-Unis et en promouvant une Europe fédérale, le Général serait le champion de l’indépendance nationale. C’est lui aussi qui aurait lancé la modernisation de l’économie française en imposant son ouverture au monde. Ces affirmations doivent être nuancées. La politique gaullienne s’inscrit en fait en partie dans la continuité de la IVe République. L’ouverture de l’économie commence par l’acceptation du traité de Rome, héritage du régime précédent. Certes la France quitte le commandement intégré de l’OTAN en 1966, mais elle reste fermement ancrée dans l’Alliance atlantique. La politique de grandeur est d’abord une rhétorique de la grandeur. C’est dans le discours que le gaullisme marque surtout une rupture. Il s’agit au fond de conjurer le « déclin » de la France en proclamant qu’elle conserve son « rang » de grande puissance. Pour ce faire, la marge de manoeuvre est très limitée (c’est ce qu’on appelle en géopolitique de la « gesticulation »). Sans renier son appartenance au camp occidental, la France gaullienne conteste certains aspects de l’hégémonie américaine et essaie de faire entendre une voix différente. Cela passe par une sympathie affichée pour les peuples du Tiers-Monde et par des relations renouées avec les « pays de l’Est ». Cela passe aussi par le choix d’une dissuasion nucléaire nationale, qui permet à la France de se passer du « parapluie nucléaire » américain et de s’afficher dans le club très sélect des puissances qui ont « la bombe ». Cela passe enfin par une certaine vision de l’Europe, essentiellement conçue comme un levier de la puissance française et refusant le fédéralisme. 4. De 1969 à 1989, les présidents de la Ve République mènent une politique gaullienne atténuée. Elle reste fondée sur les mêmes principes, mais elle insiste d’une manière moins tonitruante sur la « grandeur » et elle adopte un style moins flamboyant que celui du Général. La seule inflexion notable est une politique européenne moins crispée, avec la levée du veto sur l’entrée de la GrandeBretagne (Pompidou) et un attachement plus grand à la construction européenne de la part de Giscard (issu d’une famille libérale et centriste de tradition plus européiste que les gaullistes). Si Giscard cultive un style décontracté, sa politique étrangère ne marque pas de grand changement. La France tente de maintenir son rang et multiplie les initiatives : création du G7, institutionnalisation des sommets franco-africains, organisation du Conseil européen (qui réunit les chefs d’État et de gouvernement de la CEE), etc. L’alternance n’en est pas une en matière de politique extérieure. François Mitterrand, malgré la présence des communistes au gouvernement, assume résolument l’ancrage de la France dans le camp occidental. En 1983, il soutient fermement l’OTAN dans la crise des euromissiles et affirme : « les pacifistes sont à l’Ouest et les missiles sont à l’Est ». Les socialistes français se comportent au fond comme les démocrates aux Etats-Unis quand ils arrivent au pouvoir : ces derniers en rajoutent dans la fermeté en politique extérieure, parce qu’ils se sentent toujours soupçonnés de mollesse, etc. Quant au tiers-mondisme mis en avant par la France socialiste, il est en continuité parfaite avec la politique gaullienne… 5. La fin de la guerre froide marque une rupture. La France doit alors s’adapter à un monde qui hésite entre multipolarité (déblocage de l’ONU, etc.) et unipolarité (l’hyperpuissance des États-Unis). La France s’était installée dans la guerre froide. En cherchant à limiter son alignement sur les États-Unis, elle jouait son rôle de puissance « décalée », un rôle créé avec brio par de Gaulle et interprété avec quelques variantes par ses successeurs. Les bouleversements de la scène internationale à partir de 1989 prennent la France un peu au dépourvu et lui imposent une redéfinition de son rôle. En fait, deux interprétations différentes peuvent être faites de l’après-guerre froide : – Une confirmation de « l’exception française » ? Pour certains, la France était bridée par la confrontation Est-Ouest, qui lui laissait une marge de manoeuvre très faible. La fin de la guerre froide est alors interprétée comme une véritable libération, qui permettrait à la France de jouer enfin son jeu de puissance indépendante et originale. Dans cette perspective, la politique de « grandeur », qui tentait de conjurer la logique des blocs, est considérée comme prophétique. 122 La diplomatie gaullienne n’aurait fait qu’anticiper sur le monde multipolaire de l’après guerre froide. L’exception française serait donc plus que jamais à l’ordre du jour. La France devrait lutter par tous les moyens contre l’hégémonisme américain, en s’appuyant sur l’Europe, sur le dialogue Nord-Sud, sur la francophonie. La reprise temporaire des essais nucléaires ou le discours à l’ONU contre la guerre en Irak (de Villepin en 2003) peuvent être interprétés dans ce sens. – Une normalisation de la puissance française ? Si l’on considère en revanche que la guerre froide avait permis à la France de jouer un rôle original, en affichant sa différence avec le reste du camp occidental et en se posant en champion du dialogue Nord-Sud, alors on doit interpréter la fin de la guerre froide en termes de normalisation. La rhétorique gaullienne de la grandeur n’aurait fait que retarder la prise de conscience du déclin. Il ne serait que temps pour la France de s’assumer comme une puissance moyenne, « normale », de rentrer dans le rang en refermant la parenthèse gaullienne. Le relatif rapprochement de la France et de l’OTAN peut être interprété dans ce sens. Pour ceux qui raisonnent ainsi, la France devrait surtout se soucier des bases économiques de la puissance, en s’adaptant aux contraintes de la mondialisation, notamment par une accélération de l’intégration européenne. Les aspects « archaïques » de la puissance – politiques et militaires – perdraient de leur importance. Le rôle de la France en Afrique, par exemple, pourrait être réévalué à la baisse. La France devrait jouer à fond le jeu du multilatéralisme et être une puissance exemplaire à l’ONU… Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 123 HC – Mai 1968 Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : J.-F. SIRINELLI, Mai 68, l’événement Janus, Fayard, 2008. ARTIERES Ph., ZANCARINI-FOURNEL M. (dir.), 68, une histoire collective, La Découverte, 2008, 847 p. Une somme récente et complète. GOBILLE B, Mai 68, La Découverte, « Repères », 2008, 120 p. C. FAURE, Mai 68 jour et nuit, Gallimard, coll. « Découvertes », 1998. HAMON Hervé, ROTHMAN Patrick, Génération, T1 les années de rêve, T2 les années de poudre, Le Seuil, 1987 et 1988, 615 p. et 694 p. ROSS Kristin, Mai 68 et ses vies ultérieures, Complexe, 2005, 248 p. WINOCK Michel, Chronique des années soixante, Seuil, « Points histoire », 1987, 379 p. Une évocation thématique très réussie des années 1960. Mai 1968, les médias et l'événement, La Documentation française, 1988. Ressources pédagogiques Deux évocations par la photographie, la première à partir d’images d’archives, la seconde par le travail d’un grand photographe, reporter à l’agence Gamma. DEPARDON Raymond, 1968, une année autour du monde, Seuil, « Points », 2008, 160 p. JULY Serge, MARZORATY J-L, La France en 1968, Hoëbeke, 2008, 120 p. DE GAULLE Charles, Mémoires d’espoir, Plon, 1970 (l’édition « Omnibus » dans sa troisième partie, Allocutions et messages sur la IVème et la Vème Républiques, contient le discours du 30 mai). Pour les élèves On peut encourager les élèves à voir des films qui évoquent l’esprit de la période : Louis MALLE, Milou en mai, 1990. (1968 en province) Patrick ROTHMAN, 68, 2008 (documentaire planétaire à base d’archives). Documentation Photographique et diapos : Revues : Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Accompagnement Tle ST2S : « Mai 1968 est un événement, dont la singularité n’empêche pas qu’il faille l’envisager comme l’aboutissement d’une évolution et de mutations profondes que la France n’a pas été la seule à connaître. Cet événement, qu’on n’attendait pas, a beaucoup surpris, à commencer par le régime gaullien, qui, pour la première fois, parut ébranlé, mais aussi la France des « Trente glorieuses », qui, au beau milieu d’une période de prospérité sans précédent, fut confrontée à l’un des plus grands mouvements sociaux de l’après-guerre et à la plus importante contestation de l’ordre social qu’elle ait connue. À ce titre, mai 1968, constitue bien un événement au sens historiographique du mot. Faire comprendre aux élèves l’événement de Mai, c’est en resituer les phases successives et mais aussi la surprise et l’émotion qu’il a suscitées. » Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO Tle ST2S : « Mai 1968 est un événement : on restitue la surprise qu’il a suscitée et ses phases successives. Cet événement a une signification – au plan national et international – et des conséquences : on aborde ces deux dimensions, sans recherche d’exhaustivité. » Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : Accompagnement Tle ST2S : « I. L’événement Ce qui ne semble au départ qu’une crise étudiante, en région parisienne et dans quelques villes de province comme Rennes ou Dijon (2 au 12 mai : premières – La crise de mai 1968 débute dès le mois de mars à l’université de Nanterre, en région parisienne : premières revendications portant sur les conditions de la vie étudiante et les finalités de l’enseignement supérieur. La 124 barricades et affrontements avec les forces de l’ordre), se généralise après la manifestation intersyndicale du 13 mai à Paris, et prend la forme d’un mouvement social d’une ampleur inégalée (sept à huit millions de grévistes), auquel les pourparlers de Grenelle (25 et 26 mai) ne mettent pas fin. La poursuite des grèves plonge le pays dans la crise politique (proposition de referendum, sans effet, le 24 mai). Le pouvoir paraît vacant avec la « disparition » de de Gaulle le 29 mai avant que le Président ne prenne le 30 mai la décision de la dissolution : le discours du 30 mai constitue à cet égard l’un des documents pertinents de ce sujet d’étude. Le calme revient au mois de juin, d’abord difficilement (les affrontements des 10 et 11 juin font plusieurs victimes), puis sans équivoque avec la nette victoire des gaullistes aux législatives des 23 et 30 juin. II. L’interprétation de l’événement L’interprétation de l’événement a fait l’objet d’une bibliographie qualifiée d’« océanique » par Serge Berstein, et continue de faire débat comme en témoigne la controverse récente sur l’héritage de Mai-68. Disons pour simplifier qu’il y a ceux pour lesquels il ne s’est rien passé (« La révolution introuvable » de Raymond Aron), d’autres pour qui il s’est passé quelque chose qui n’a abouti à rien (une révolution politique qui a échoué), et enfin ceux pour qui Mai est avant tout l’expression d’un bouleversement culturel et social, en France et ailleurs. Personne cependant ne nie la singularité de l’événement, ni les questionnements qu’il souleva à l’époque et jusqu’à aujourd’hui, ni l’existence d’une postérité complexe mais importante. « En mai dernier, on a pris la parole comme on a pris la Bastille en 1789 » (Michel de Certeau). Ce caractère inédit du mouvement surprit les acteurs politiques et sociaux traditionnels (le Parti communiste, les syndicats) auxquels sa signification échappa et qui tentèrent de l’ignorer ou d’en nier l’importance. Certains observateurs et acteurs (D. Cohn-Bendit, E. Morin, C. Lefort, C. Castoriadis, A. Touraine) continuent d’affirmer la dimension politique de mai, qui reste, pour eux, la « révolution antitotalitaire ». L’historienne Kristin Ross insiste également sur l’aspect politique du mouvement dont les thèmes dominants furent l’antigaullisme, l’anticapitalisme et l’anti-impérialisme (les références à la guerre du Viêt-Nam ou à Cuba, aux figures de Mao, Che Guevara, Castro ou Hô Chi Minh sont significatives). En revanche, personne ne retient la thèse d’un complot communiste et d’une tentative de subversion par les groupes d’extrêmegauche, avancée par le pouvoir par calcul politique (voir le discours du général de Gaulle le 30 mai : « un parti qui est une entreprise totalitaire », ou encore ceux de R. Marcellin ministre de l’Intérieur de l’après-mai). L’événement doit aussi être envisagé dans ses dimensions sociale et culturelle. Il révèle en effet l’ampleur des changements qui ont transformé la France depuis la Seconde Guerre mondiale, aux plans démographique (baby-boom, rajeunissement, augmentation de l’espérance de vie), économique et social (la croissance économique forte, l’urbanisation, la société de consommation et de loisirs, accroissement de la durée des études et du nombre de diplômes décernés). Ainsi est-ce en 1968 que les Français obtiennent la quatrième semaine de congés payés, qu’est lancée la télévision en couleurs, qu’apparaissent les premières cartes de crédit… Le mouvement de mai est aussi une contestation de la société de consommation, du productivisme et de la croissance qui caractérisent les sociétés industrielles : ce à quoi aspiraient les manifestants était un changement qualitatif de vie qui n’impliquait pas forcément ou pas toujours un accroissement de biens (d’où l’incompréhension intergénérationnelle entre les étudiants et leurs parents). Cette exigence de bonheur et d’épanouissement personnel conduisit aussi à remettre en question, dans une société et un système politique fondés sur l’autorité, toutes les formes que celle-ci pouvait prendre : celle des parents, du patron, du mari, du maître, du prêtre, mais encore celle du pouvoir politique et de l’État, et à formuler de nouvelles revendications politiques dans les années qui suivirent. La contestation ne fut pas une spécificité française. Elle s’inscrit dans une perspective internationale. Le mouvement pour les droits civiques et les manifestations contre la guerre du Viêt-Nam aux États-Unis précédèrent Mai-68, auquel ils fournirent des références et des modèles dans les formes de protestation. Des événements comparables touchèrent le Japon, les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Italie, la Suède ou encore le Mexique. Les pays de l’Est de l’Europe (Prague, Varsovie) n’y échappèrent pas : si les formes furent différentes, les événements participèrent bien d’une remise en cause de même nature de contestation se nourrit également de préoccupations plus larges partagées par la jeunesse occidentale (critique de la société de consommation, remise en cause des autorités traditionnelles, dénonciation de la domination des États-Unis dans le monde). Rapidement, le mouvement étudiant est politisé par des groupuscules gauchistes qui visent à créer une situation révolutionnaire en France. – La crise se déroule en trois phases : d’abord, une crise étudiante qui met aux prises à Paris les étudiants et les forces de l’ordre lors de manifestations et de nuits de barricades. À partir du 13 mai, une crise sociale avec l’organisation de grandes manifestations de solidarité entre étudiants, syndicats de salariés et partis de gauche, ainsi que des grèves massives qui paralysent progressivement le pays. Enfin, à partir de la fin mai, la crise devient politique : les accords sociaux de Grenelle, conclus entre syndicats patronaux et syndicats de salariés sous le patronage du gouvernement, ne parviennent pas à mettre fin au mouvement de grèves ; la gauche réclame alors la démission du gouvernement, le départ du général de Gaulle et la formation d’un gouvernement provisoire ; de Gaulle met fin à la crise politique en annonçant la dissolution de l’Assemblée nationale, le parti gaulliste remporte les élections législatives du mois de juin 1968. – Mis en cause durant la crise, le général de Gaulle quitte le pouvoir un an plus tard après l’échec d’un référendum. À droite, des tentatives sont faites pour répondre à certaines aspirations de mai 1968 : programme de la « nouvelle société » du Premier ministre Jacques Chaban-Delmas, sous la présidence de Georges Pompidou ; abaissement de la majorité à 18 ans et législation sur l’IVG en 1974, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. Dans les mentalités et les moeurs, la crise de mai 1968 a profondément transformé les relations au sein de la famille, du couple, de l’entreprise. De son côté, la gauche, qui parvient à s’unir en 1972, rédige un Programme commun ambitionnant d’approfondir la démocratie politique (limitation des pouvoirs présidentiels) et d’instaurer une démocratie économique (cogestion, nationalisations). 125 l’ordre établi après la Seconde Guerre mondiale. Quand le calme revint, en juin, le retour à l’ordre politique n’était qu’apparent, et l’on se rendit compte progressivement de l’ampleur du changement, de Gaulle le premier, qui quitta le pouvoir après l’échec du referendum d’avril 1969. Le pays comme l’entreprise ne pouvaient plus se diriger comme avant. La classe, la famille, le couple ne fonctionnaient plus sur les mêmes valeurs ni les mêmes rapports de force. C’est la prise de conscience par chacun, sous le choc de l’événement puis, ensuite, des mutations à l’oeuvre dans le pays, qui confère à Mai-68 sa place d’événement majeur dans l’histoire nationale. » Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 126 HC – Les gauches en France depuis 1945 Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Jean-Jacques Becker et Gilles Candar (dir.), Histoire des gauches en France, Éditions La Découverte, coll. Sciences Humaines Tome 1 : L'héritage du XIXe siècle, 2005, 588 p., Tome 2 : XXe siècle : à l'épreuve de l'histoire, 2005, 784 p. Michel Winock, La gauche en France, Éditions Perrin, Coll. Tempus, 2006, 500 p. Documentation Photographique et diapos : Revues : Les Grandes batailles de la gauche, espoirs et désillusions / LES COLLECTIONS DE L'HISTOIRE, N° 27, Avril-Juin 2005 Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Histoire des gauches en France, Sous la direction de Jean-Jacques Becker et Gilles Candar Voici la première grande synthèse sur l’histoire de la gauche française, grâce à plus de quatre-vingts contributions réparties en deux volumes. Historiens confirmés et jeunes chercheurs se sont associés avec le seul souci de saisir cette invention française : la gauche, gauche politique, culturelle, sociale ou économique. Il s’agit autant de rendre compte de la diversité des courants et formations politiques qui se sont réclamés d’elle, parfois en quête d’unité, souvent en cultivant leurs différences, que d’analyser les valeurs, les traditions, les références, les comportements et les sociabilités des hommes et des femmes de gauche. Émerge alors une identité de gauche qui n’est pas figée ou définitivement établie, qui se construit, se déconstruit et se reconstruit sans cesse. Le second volume suit la gauche à l’épreuve de l’histoire depuis le début du siècle, qu’elle soit au pouvoir – rarement tout entière – ou qu’elle s’y oppose. Partis politiques, syndicats, associations, personnalités, forment ensemble un « peuple de gauche », multiple, divers et changeant, désormais affirmé et identifié, mais où on se déchire sur les questions de l’heure : la révolution, la réforme, la guerre, la colonisation et la décolonisation, l’évolution de la société, l’avenir del’humanité. “La gauche en France”, de Michel Winock, Éditions Perrin, 2006 Dès lors qu'on s'interroge sur l'histoire de la gauche, on est amené - tout de même que pour la droite - à employer le pluriel. Si " être de gauche " se réfère à une éthique, à une philosophie, dont les racines plongent dans les Lumières et la Révolution, force est de constater qu'il y a bien des manières de traduire en politique l'idéologie du progrès contre l'idéologie de la tradition. Nous pouvons distinguer trois gauches, issues de trois révolutions successives : celle de 1789, la révolution industrielle du XIXè siècle, et la révolution bolchevique. Trois révolutions, trois gauches, c'est lumineux. Oui mais il en est une quatrième, qui n'a jamais cessé de souffler sur les braises, à côté ou en marge des autres, qu'on appelle soit 1'ultragauche, le gauchisme, ou la gauche de la gauche. Une gauche critique de la gauche, et qui est parfois à l'origine des trois autres. Ainsi Marx, prophète de la gauche socialiste et communiste, ne se disait pas " de gauche ". L'expression était, on le sait, d'origine parlementaire, et Marx brocardait volontiers le " crétinisme parlementaire ". Essayons de définir, dans le cadre français, quatre familles de gauche, que le filtre de l'histoire a maintenues jusqu'à nos jours, à travers leurs avatars et leurs interférences. 1. La gauche républicaine et les radicaux Précisons d'emblée que cette gauche-là, née de la Révolution, n'a pas été d'emblée républicaine. Sous la Restauration, elle se disait " libérale ", s'opposant à toutes les volontés et velléités d'un retour à l'Ancien Régime tel que l'incarnait un Charles X. Benjamin Constant, le meilleur orateur de cette gauche libérale, n'était Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : “La gauche en France”, de Michel Winock, Éditions Perrin, 2006 TABLE DES MATIÈRES Introduction : Les quatre familles de la gauche I - LES SOURCES RÉPUBLICAINES 1. L'esprit de 1848 2. Victor Hugo le républicain 3. L'affaire Dreyfus et l'idéologie républicaine 4. L'invention de la laïcité 5. Démocratie et République II - UTOPIE ET SOCIALISME 6. L'utopie, le bonheur et la révolution 7. 1871 : la lutte des classes 8. 1893 : la percée socialiste 9. 1904 : l'année où Jaurès a fondé L'Humanité 10. L'impossible social-démocratie 11. La culture politique des socialistes 12. Guy Mollet, un socialisme à la française 13. François Mitterrand et le socialisme III - LA FASCINATION COMMUNISTE ET RÉVOLUTIONNAIRE 14. Les socialistes devant la Révolution russe 15. Le grand aveuglement 16. Le schisme idéologique 17. Mythe et réalité de l'antifascisme 18. Les Français pleurent Staline 19. Retour sur Mai 68 20. Sartre et l’ultragauche CONCLUSIONS 21. La gauche dans la Vè République 22. Où va le socialisme au début du XXIè siècle ? 127 nullement républicain : il défendait la liberté, qui était tout uniment la liberté individuelle (contre les puissances tutélaires d'un ordre monarcho-catholique) et la liberté publique (contre l'autorité exclusive d'un appareil d'État sans contrepoids). La principale revendication de cette gauche était la liberté de la presse, et l'on sait que, en raison des atteintes que Charles X a tenté de porter à celle-ci par ses ordonnances de 1830, les " Trois Glorieuses " ont mis fin à son régime. Sous la monarchie de Juillet commence à prendre corps une gauche républicaine. A côté de la " gauche dynastique ", qui constitue le parti du " Mouvement " face au parti de la " Résistance ", qui se confond avec la politique conservatrice du régime (Guizot), il existe une mouvance républicaine composée de diverses associations, et s'exprimant principalement dans deux journaux : Le National, fondé par Armand Carrel, et plus tard, en 1843, La Réforme, dont le plus important des actionnaires, Alexandre Ledru-Rollin, se pose en apôtre de la réforme politique et de la réforme sociale. Vaincus par le coup d'État du 2 décembre, les républicains reconstruisirent peu à peu leur mouvement sous le second Empire. Deux grandes figures en émergèrent, Jules Ferry et Léon Gambetta, futurs fondateurs de la IIè République. De style différent, tous les deux ont acquis la conviction d'une nécessité : pour installer solidement la République, il fallait en finir avec les barricades, il fallait rallier l'immense opinion paysanne, fonder la démocratie rurale ; c'est par la modération qu'ils y parviendraient. Ferry, comme tous les républicains modérés, a été hostile à la Commune de Paris, cette " saturnale sans idée et sans plan " ; Gambetta, retiré après la défaite des armées françaises face aux Prussiens, est resté silencieux. Dans les années qui ont suivi, Ferry et Gambetta ont été les éloquents commis voyageurs de le République. C'est en ce sens qu'ils sont à gauche, dès lors que l'affrontement central est celui des républicains et des conservateurs. La crise du 16 mai 1877 et sa conclusion par la victoire électorale des républicains décident en faveur d'un régime parlementaire, libéral et laïque. Face à cette gauche républicaine, à ces républicains de gouvernement, comme on les appelle, à ces " opportunistes ", se dresse bientôt contre eux, à leur gauche, un parti de l'intransigeance : le radicalisme. Les hommes qui animent cette tendance, les Clemenceau, les Pelletan, les Brisson, se sont opposés aux concessions acceptées par les modérés : un président de la République, le septennat, une seconde Chambre (le Sénat). Ils se disent " radicaux " mais restent avant tout fidèles au programme républicain de 1869. (…) Les radicaux créent en 1901 le Parti radical et radical-socialiste. Ils représentent bientôt au Parlement la principale formation de gauche : en 1902, au moment du Bloc des gauches (c'est alors que le terme est définitivement d'usage courant dans les campagnes électorales), les radicaux constituent la majorité, et c'est l'un des leurs, Émile Combes, qui se lance dans une politique anticléricale dont l'aboutissement sera, en décembre 1905, le vote de la loi de séparation des Églises et de l'État. Il reste encore des républicains modérés dans cette majorité de gauche issue de l'affaire Dreyfus, mais on assiste, de 1898 à 1919, à un décrochage progressif de ces modérés vers la droite. Pour eux, de Méline à Poincaré, le danger n'est plus représenté par la droite cléricale et royaliste, surtout après la loi de Séparation ; le danger vient de l'extrême gauche socialiste de sorte qu'ils composeront une droite républicaine, généralement regroupés dans l'Alliance démocratique. Dès lors, la République ne sera plus un monopole de la gauche, quand bien même ce sont les formations de la gauche parlementaire, au premier chef les radicaux, qui portent au plus haut ses idéaux fondateurs. Qu'est-ce que le radicalisme ? Entre les deux guerres mondiales, Édouard Herriot en est le meilleur porte-parole. Pour lui, " les racines de notre doctrine " remontent au XVIII siècle, et il se réclame surtout de Condorcet. (…) Libéraux en économie parce qu'ils combattent le marxisme et toutes les formes de collectivisme, ils sont néanmoins adversaires du " laisser-faire, laisser-passer ", et partisans de l'intervention de l'État, notamment en matière de justice fiscale. Ils ont été à l'origine du vote de l'impôt sur le revenu (15 juillet 1914). Surtout, et en quoi ils sont conditionnés par une société largement composée de petits producteurs indépendants, ils veulent la disparition du salariat, " mais ils ne la conçoivent que par l'accession de l'ouvrier à la propriété et à la liberté, dans le développement de l'association ". Le radical-socialisme, qui s'est longtemps confondu avec l'histoire de la IIè République, n'a pas survécu aux bouleversements de la Seconde Guerre mondiale et des " Trente Glorieuses ". Les radicaux rêvaient d'abolir le salariat, et la part des salariés dans la population active n'a cessé de croître. Le programme laïque, longtemps son principal 128 objectif, a été réalisé à peu près complètement (sauf en Alsace et en Moselle). Au milieu des années 1950, Pierre Mendès France a bien tenté de moderniser son parti qui, grâce à lui, à son action comme chef de gouvernement en 1954-1955, avait repris consistance. Les querelles intestines l'en empêchèrent. Plus profondément, sans doute, une autre gauche de gouvernement lui a succédé, le Parti socialiste. 2. La gauche socialiste Les radicaux ne voulaient pas être le parti d'une classe sociale. Les socialistes au contraire se considéraient comme le parti ouvrier, le parti de ce prolétariat que la révolution industrielle a fait naître et dont l'économie capitaliste ne va cesser de renforcer les rangs. Au laisser-faire, laisser-aller du libéralisme intégral, les socialistes répondirent par le volontarisme révolutionnaire: à leurs yeux, il fallait changer la société, abattre le régime capitaliste, créer un monde où l'homme ne serait plus un loup pour l'homme. L'instrument de cette révolution était l'abolition de la propriété privée, la mise en commun des moyens de production, la juste répartition des tâches. Le mouvement socialiste mit du temps à prendre la forme d'un parti politique. Il passa par la phase de l'utopie, où s'illustrèrent les ingénieurs de l'avenir lumineux, Fourier, Cabet, Considérant. Bien des noms français, dont la révolution de 1848 résonna, enrichirent les idées socialistes en cette aurore de l'industrialisation après Saint-Simon, Pierre Leroux, Constantin Pecqueur, Joseph Proudhon, Louis Blanc. Toutefois, il faut attendre le second Empire pour assister à la naissance d'un premier mouvement ouvrier organisé. C'est finalement dans les années 1890 que le socialisme devient une véritable force politique en France. Deux dates l'attestent : 1893, première percée électorale qui conduit une cinquantaine de députés se réclamant du socialisme à la Chambre ; 1895, fondation de la Confédération générale du travail (CGT). Le socialisme politique, divisé, a grand peine à réaliser son unité, finalement accomplie en 1905 par l'unification des tendances rivales dans la SFIO (Section française de l'Internationale ouvrière). A la veille de la Grande Guerre, le groupe socialiste compte une centaine de représentants à la Chambre des députés, la SFIO étant devenue la deuxième formation de gauche derrière le Parti radical. Sans véritable base ouvrière, la SFIO, officiellement marxiste, s'insère dans le combat électoral et parlementaire, acceptant au besoin les alliances avec la bourgeoisie républicaine (les radicaux). En principe, le parti était révolutionnaire, il récusait ce qu'on appelait en Allemagne, depuis les thèses d'Eduard Bernstein, le "révisionnisme" (la révision marxisme). Il n'était pas question pour lui de jouer le jeu parlementaire jusqu'au bout : comment un gouvernement socialiste pourrait-il exister en régime capitaliste ? Pour répondre à cette question théorique, Léon Blum affïna une rhétorique qui permettait tout et son contraire. Il distingua ainsi la "conquête du pouvoir" (la révolution) de l'"exercice du pouvoir" (une expérience de gouvernement socialiste en régime capitaliste au cas où les socialistes arriveraient en tête de la gauche), et de l'"occupation du pouvoir" (formule de défense contre l'extrême droite, un "j'y suis pour éviter qu'elle y soit"). Cette gymnastique de l'esprit permettait au Parti socialiste de maintenir son idéal révolutionnaire puisé chez Marx et d'accepter éventuellement les responsabilités gouvernementales. Cette contradiction centrale du Parti socialiste entre sa théorie et sa pratique ne cessa pas avec la Seconde Guerre mondiale. Les tendances schizoïdes de la SFIO ne cessèrent de s'accentuer sous la IVè République. On vit même Guy Mollet, défenseur d'un marxisme pur et dur, assumer les responsabilités de la guerre en Algérie en 1956 et décider avec le parti conservateur britannique l'expédition de Suez, après la nationalisation du canal par Nasser. Le même, en 1958, entraîna une large fraction de ses députés à voter l'investiture du général de Gaulle. L'opposition interne entraîna une scission, ce fut la naissance du Parti socialiste autonome (PSA) en 1959, devenu, avec l'unification de divers groupes de gauche, le Parti socialiste unifié (PSU) en 1960. Tombée dans un état de faiblesse proche de l'agonie (en 1969, Gaston Defferre obtint péniblement un peu plus de 5 % des voix à l'élection présidentielle), la SFIO fut amenée à se réformer en profondeur. Le Nouveau Parti socialiste, né en 1969, prit son envol en 1971 au congrès d'Épinay. Allaiton, cette fois, assister à la transformation du parti dans un sens "socialdémocrate", suivant l'exemple de la social-démocratie allemande ? Il n'en fut rien. François Mitterrand, nouveau venu, décidé à prendre la tête du parti, s'employa, lui qui n'était ni marxiste ni même socialiste, à revêtir les habits neufs que lui offrait l'aile gauche du congrès, et à se faire le prophète de la "rupture avec le capitalisme", un de ces discours tranchants qui lui servaient à prendre le 129 pouvoir au PS grâce à l'appui de la gauche (le Ceres) et, à plus long terme, à réaliser une alliance avec le Parti communiste. Mitterrand réussit admirablement dans sa stratégie : progrès du PS, redevenu le premier parti de la gauche aux élections de 1978, et victoire personnelle à l'élection présidentielle de mai 1981, suivie par celle d'une majorité absolue de députés socialistes à l'assemblée en juin. On le sait : le Parti socialiste et ses alliés n'ont opéré aucune rupture avec le capitalisme. En 1983, il n'y avait plus de doute pour personne : les socialistes au pouvoir étaient un gouvernement de gauche, mais ils ne faisaient pas, ils ne feraient pas la révolution socialiste. Après les cinq années du gouvernement Jospin (1997-2002), le Parti socialiste a confirmé sa pratique réformiste. L'effondrement du Ceres, l'influence de Pierre Mauroy et de Michel Rocard les événements eux-mêmes - et notamment la chute du communisme soviétique -, la " désindustrialisation " et les changements dans la population active qui voyait sensiblement diminuer la catégorie des "ouvriers", tout a poussé le PS à devenir un parti social-démocrate, à la fois en pratique et en doctrine, un parti de gouvernement, acceptant clairement l'alternance qui est au principe même de la démocratie libérale. Il n'a pu cependant complètement éradiquer son malaise ancien, ce "surmoi révolutionnaire" qui lui fait honte. L'ultragauche, plus encore aujourd'hui que le communisme, se charge de l'accusation, et inspire à une partie de ses cadres et militants une radicalité, au moins dans le discours, qui les rassure. L'un de ses courants minoritaires s'est intitulé un "Nouveau Monde". 3. La gauche communiste La gauche communiste est apparemment plus facile à définir. Né de la scission au sein de la SFIO au congrès de Tours de décembre 1920, le Parti communiste (Section française de l'Internationale communiste ou SFIC) est issu de l'adhésion à la IIIè Internationale (Komintern), aux conditions exigées par son fondateur Lénine. Après la période dite de "bolchevisation" dans les années 1920, le PCF est devenu un parti discipliné, parlant d'une seule voix, celle de l'Internationale siégeant à Moscou. Appuyé sur une vulgate doctrinale, appelée le "marxismeléninisme" après la mort de Lénine, il est destiné à travailler à la révolution mondiale et doit suivre, à cette fin, la ligne imposée par le Komintern. Plus tard, une fois Staline arrivé au pouvoir, son but principal est de défendre l'URSS, la patrie du socialisme, contre ses ennemis. Il s'ensuit une série de virages au gré des intérêts diplomatiques de l'Union soviétique : tantôt il faut dénoncer les socialistes, "social-chauvins", "social-traîtres" ou "social-fascistes", et tantôt les appeler à l'union dans un "front unique". Participant rarement au gouvernement de la France (en 1944-1947, en 1981-1984, en 2000-2002), et jamais en position dominante, le Parti communiste prenait sa revanche dans son pouvoir social, culturel et intellectuel. Un premier envol de ses effectifs dû au Front populaire fut suivi après la guerre d'une montée en puissance qui le porta au faîte des partis français. Il sut aussi créer, ce que la SFIO n'avait jamais réalisé, une contresociété à la manière de la social-démocratie allemande. Fort d'un électorat qui jusqu'en 1958 ne descendra pas au-dessous de 25 % des suffrages, disposant d'un puissant appui syndical de la part de la CGT. Isolé par la guerre froide jusqu'aux années de la détente (à partir de 1962), il trouvait en F. Mitterrand lui-même les moyens d'encadrer une forte population en majorité ouvrière aux besoins de laquelle il répondait par une multitude d'institutions dans les municipalités qu'il avait conquises et dans les grandes entreprises dont il contrôlait les comités d'entreprise. Séduits par cette puissance de masse, confondant volontiers le Parti communiste avec la classe ouvrière, bien des intellectuels se sont mis "au service du Parti". Une série d'événements et de bouleversements économiques, sociaux, culturels, ont peu à peu sapé les bases du monument. La déstalinisation, consécutive au XXè Congrès du Parti communiste de l’URSS et au rapport Khrouchtchev (février 1956), mal vécue par les dirigeants thoréziens, la répression par l'armée soviétique de l'insurrection hongroise en octobre 1956, suivie douze ans plus tard par celle du "Printemps de Prague" en Tchécoslovaquie, lui ont porté de rudes coups mais peut-être moins que la naissance d'une société de consommation et de loisir, les changements du travail industriel exigeant de moins en moins de "cols bleus" (entre 1976 et 2004, l'emploi industriel est passé de 42 % de l'emploi total à 22,5 %), la désuétude aggravée de la vulgate communiste, les désillusions sur l'URSS dont l'échec final éteignit définitivement la "grande lumière qui s'était levée à l'Est". Les revers électoraux se succèdent : la candidature de Jacques Duclos à la présidentielle de 1969 attire encore plus de 21 % des voix, aux législatives de 1968, 1973, et 1978, le Parti communiste se maintient un peu au-dessus de 20 %, mais en 1978, le 130 signal d'alarme retentit, puisque les socialistes passent en tête de la gauche; la suite est un déclin continu, aboutissant à l'étiage à la présidentielle de 2002, lorsque Robert Hue est relégué en onzième position, avec 3,37 % des suffrages. Malgré cela, le PCF refuse de se réformer en profondeur par la révision officielle de son histoire et de sa doctrine. 4. L'ultragauche Elle est, elle aussi, issue de la révolution bolchevique, mais en partie seulement. Elle est représentée par des doctrinaires et des hommes d'action qui n'ont jamais été au pouvoir en France, qui n'ont jamais constitué un parti puissant, mais dont l'existence est repérable dès la Révolution française. Le communisme de Gracchus Babeuf et sa conjuration des Égaux en 1795 pourraient en signer l'acte de naissance. Aspirant à la réalisation d'une égalité sociale véritable succédant à l'égalité purement juridique de la Révolution, l’ultragauche n'attend rien de la démocratie "formelle" et se défie d'un suffrage universel manipulé par le pouvoir bourgeois. De Blanqui à Sartre, la formule "élections, piège à cons" pourrait en être le fil directeur. Sans doute la plupart des groupes gauchistes participent-ils aujourd'hui aux élections, mais seulement à des fins de propagande. Les variantes de l’ultragauche sont nombreuses : l'anarchisme (redouté dans les années 1890), l'anarcho-syndicalisme (à la fin du XIXè siècle), les trotskistes (depuis les années 30), les pivertistes, les luxembourgistes et les conseillistes (adeptes de la spontanéité révolutionnaire et des conseils ouvriers), les maoïstes (des années post-68)... A chaque étape de l'histoire politique et sociale retentissent des appels à la révolution, à l'insurrection, ou simplement les procès de ceux qui mènent le mouvement ouvrier, socialiste, ou communiste, à sa perte. Le gauchisme proprement dit s'oppose à la dictature du parti révolutionnaire, surtout quand celui-ci se constitue en parti hiérarchisé, utilisant les instruments de la répression et de la terreur contre ceux qui ne marchent pas au pas. Les gauchistes comptent sur les masses, l'autonomie ouvrière, le socialisme des soviets, contre le socialisme d'appareil. Leur histoire est un long calvaire, mais leurs défaites successives en URSS, en Bavière, en Hongrie, dans les années 1919-1923, ne les découragent pas : ils sont le sel de la révolution; la révolution pure et incorruptible. Leur heure de gloire sonna lors de la présidentielle de 2002, quand les candidats trotskistes de Lutte ouvrière, de la Ligue révolutionnaire communiste et de l'OCI dépassèrent au total 10 % des voix. Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Activités, consignes et productions des élèves : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 131 HC – Charles de Gaulle Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : De l’idée de la « nation française » à celle du « pouvoir légitimé », de Gaulle a toujours affiché, au rythme de sa propre destinée, l’image d’un inflexible orgueil. Portrait de l’intransigeance et de la stratégie d’un « sauveur » devenu mythe national. Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Maurice Agulhon, De Gaulle, histoire, mythe et symbole, 1999 A. PEYREFITTE, C’était de Gaulle, 3 vol., Fayard, 1994, 1997, 2000. Jean Lacouture, De Gaulle (Paris, Éditions du Seuil (3 volumes) : 1 — Le Rebelle (1890-1944), 2 — Le Politique (1944-1959), 3 — Le Souverain (1959-1970), 1984, 1985 et 1986. Paris, « Points Histoire », 1990 Documentation Photographique et diapos : Revues : La figure de De Gaulle, TDC, N° 813, du 1er au 15 avril 2001 Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Depuis le 9 novembre 1970, date de la mort du Général, s’opère la transformation du personnage historique Charles de Gaulle en mythe national. À l’instar de Jeanne d’Arc ou de Napoléon, l’action de De Gaulle tend à se réduire pour le plus grand nombre à l’évocation d’une épopée, ou à l’invocation quasi magique de son génie. Malgré la persistance des critiques vis-à-vis de sa façon de gouverner, son exemple moral semble offert à la méditation des Français. Cet exemple témoigne d’un processus de réappropriation collective qui transgresse bien des clivages politiques. Le mythe se solidifie sous nos yeux. Mais l’Histoire – et son exigence critique – demeure. Pour comprendre la dimension de l’homme d’État, il est indispensable de le placer dans son siècle, dans son milieu, dans la complexité des situations qu’il eut à affronter. UN FRINGANT OFFICIER Sur quel terreau le jeune Charles a-t-il poussé ? Côté paternel, la famille se reconnaît des ancêtres de petite noblesse désargentée, où l’on est manieur de plume et serviteur de l’État, mais non militaire. Côté maternel apparaît une austère bourgeoisie industrielle du Nord. Il en hérite une foi discrète. Il dit que son père, professeur de lettres, lui a légué le « sentiment de la dignité de la France », la connaissance de l’histoire (Mémoires de guerre). Il puise là le ferment de sa religion historique de la France et de sa mise au service de l’État. Les maîtres à penser ? Les biographes évoquent Barrès, Bergson, Péguy... Sans doute plus marquante a été l’atmosphère dans laquelle le jeune homme vécut : celle de la montée des périls internationaux. Étonnant aussi ce « sens de l’Histoire » qui lui fait écrire à dix-sept ans, lors d’un voyage en Allemagne : « Il y a quelque chose de changé en Europe depuis trois ans et, en le constatant, je pense au malaise qui précède les grandes guerres. » Patriote par héritage familial, par raison et par goût de l’histoire, Charles choisit d’entrer à Saint-Cyr, où il est reçu en 1909. À l’instar de beaucoup de jeunes gens de son milieu, il voit dans l’armée le creuset de la nation, l’arche sainte à l’abri des querelles politiques et de la lutte des classes. Il est lieutenant d’infanterie quand éclate la Première Guerre mondiale. Pour le fringant officier, ce sera une guerre en demi-teinte. Trois fois blessé, promu capitaine pour son courage au feu, il est capturé devant Douaumont en 1916. Suivent trente-deux mois de captivité, cinq tentatives d’évasion, cinq échecs et une amertume croissante d’être écarté des combats. Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO actuel : « Activités, consignes et productions des élèves : Le protégé de Pétain De Gaulle, un homme seul et dépourvu d’appuis ? Pas autant qu’on l’a dit. Pétain a en effet longtemps veillé sur lui... Quand, en 1912, le sous-lieutenant rejoint le 33e d’infanterie à Arras, son colonel s’appelle Philippe Pétain. De Gaulle est séduit et en témoigne dans ses Mémoires de guerre : « [il] me démontra ce que valent le don et l’art de commander. » Pour sa part, Pétain remarque vite l’envergure de son subordonné et ne lui ménage pas les compliments. « Officier hors de pair à tous égards » ajouterat-il à la citation à l’ordre de l’armée de celui qu’on crut mort devant Verdun. À l’École de guerre, l’attitude contestataire de De Gaulle lui vaut une humiliante mention « assez bien » rehaussée en « bien » à l’issue d’une intervention personnelle de Pétain ! En 1925, Pétain attire cet officier original à son étatmajor particulier. Pour de Gaulle, simple capitaine, cette entrée dans le saint des saints est une aubaine. À vrai dire, Pétain a été conquis par le beau style de La Discorde chez l’ennemi (1924) et il cherche une plume pour écrire le livre qui lui vaudra un fauteuil à l’Académie... Il ne refuse rien à son protégé, l’imposant même comme conférencier au sein de l’École de guerre. Les deux hommes se brouillent cependant entre 1926 et 1930, pour des raisons littéraires, de Gaulle n’acceptant pas d’être dépossédé de sa prose. En vérité, déjà tout à sa contestation de la doctrine militaire officielle, l’homme des chars ne supportait plus la tutelle de Pétain, principal promoteur 132 LE THÉORICIEN DE LA GUERRE Assoiffé d’action, décidé à relancer sa carrière, de Gaulle se fait muter à Varsovie en 1919, où il aide la jeune armée polonaise à repousser les Bolcheviks. À son retour à Paris, il entre à l’École supérieure de guerre, d’où l’on sort « breveté », apte aux plus hauts emplois. En 1925, Philippe Pétain le prend dans son équipe. Ainsi abrité, de Gaulle prononce de retentissantes conférences devant des parterres de généraux scandalisés. Battant en brèche la pensée dominante – celle de l’existence d’une « doctrine » tirée de la précédente guerre – il prêche la soumission aux circonstances et la supériorité du mouvement sur la défense statique. En 1932, il est nommé à la 3e section du Secrétariat général de la Défense nationale. Poste clé, où sa mission consiste à préparer une loi sur l’organisation de la nation en temps de guerre. Le commandant de Gaulle (promu en 1927) rencontre tous les décideurs : généraux, hommes politiques, industriels... Il pénètre les arcanes du monde parlementaire et se fait un nom dans les cercles influents, contrairement à une légende tenace. Ce poste stratégique, ce renom de penseur anticonformiste, de Gaulle les met au service d’une idée : doter la France d’une armée mécanisée. Le « moteur combattant », explique-t-il, va révolutionner l’art de la guerre, en réintroduisant la surprise et la vitesse. Livres, études, articles, lettres sont envoyés à des centaines de personnalités de toutes tendances. Reynaud est le seul à s’enflammer pour les divisions cuirassées. Mais le projet de loi que le député libéral présente en 1935 se heurte à une levée de boucliers : pas question de remettre en cause la ligne Maginot. À la veille de la guerre, le colonel de Gaulle – promu en 1937, mais éloigné par sa hiérarchie des milieux politiques – prend la tête des chars de la 5e armée, en Alsace. Mais ces poussières d’unités n’ont qu’un lointain rapport avec la vision gaullienne de « masse blindée », encore moins avec les Panzerdivisionen. En janvier 1940, brisant une nouvelle fois le devoir de réserve, il adresse à quatrevingts personnalités un mémorandum intitulé L’Avènement de la force mécanique. Son allié Paul Reynaud devient bien président du Conseil en mars 1940, mais se trouve ligoté par le maintien de Daladier au ministère de la Guerre. Et rien ne bouge. Le 13 mai 1940, les Allemands crèvent le front à Sedan. À la tête d’une unité de chars, sans soutien aérien, le général de brigade ne peut qu’égratigner l’ennemi à Montcornet et Abbeville. Au moins a-t-il attaqué avec cran, tranchant dans l’inertie générale du commandement. Dix ans plus tard, il écrit : « Alors, au spectacle de ce peuple éperdu et de cette déroute militaire, [...] je me sens soulevé d’une fureur sans bornes. Ah ! c’est trop bête ! La guerre commence infiniment mal. Il faut donc qu’elle continue. Il y a, pour cela, de l’espace dans le monde. Si je vis, je me battrai, où il faudra, tant qu’il faudra [...]. Ce que j’ai pu faire, par la suite, c’est ce jour-là que je l’ai résolu. » La carrière politique de De Gaulle commence le 5 juin 1940, lorsque Reynaud le nomme sous-secrétaire d’État à la Défense. L’armée française est sur le point de rompre sur la ligne Aisne-Somme. Reynaud affronte au sein de son propre cabinet ceux pour qui la guerre est déjà perdue, emmenés par Pétain, viceprésident du Conseil, et par Weygand, commandant en chef. De Gaulle est le pôle le plus solide de la politique opposée : continuer la guerre, quoi qu’il en coûte, ailleurs qu’en métropole, aux côtés de l’Angleterre. Churchill le remarque lors d’une rencontre à Londres (9 juin). Chacun reconnaît en l’autre « l’homme de caractère » qui ne se rendra jamais. La semaine suivante, de Gaulle pousse toutes les initiatives capables de renforcer l’alliance franco-britannique et de soutenir la volonté de lutte de Reynaud : l’idée d’un « réduit breton », le départ du gouvernement pour Alger... Reynaud, empêtré dans ses manœuvres, démissionne le 16 juin. Aussitôt, le président Lebrun appelle Pétain. Dès lors, de Gaulle n’a plus aucune fonction politique, sa liberté même est menacée. Dans la matinée du 17, il s’envole vers Londres alors que Pétain annonce la demande d’armistice. Le lendemain, il lance son premier appel à la résistance sur les ondes de la BBC. Le 28 juin, le gouvernement britannique le reconnaît comme « chef des Français libres ». Le Rubicon a été franchi. De Gaulle n’est plus qu’un déserteur aux yeux des autorités de son pays. Le 2 août, il est condamné à mort par contumace. L’HOMME DE LA FRANCE LIBRE L’objectif de De Gaulle ? Poursuivre la guerre. Vaste programme, vu la faiblesse des moyens. Aucune personnalité d’envergure ne rallie la France libre des débuts, à la seule exception du juriste René Cassin. De Gaulle, « général politique », qui « n’écoute rien » d’après Jean Monnet, inquiète ceux-là mêmes qui sont opposés de cette doctrine. En 1931, ce dernier, malgré la querelle, oriente pourtant son ex-protégé vers le Conseil supérieur de la Défense nationale, qui sera le vrai tremplin de la carrière de De Gaulle. Les mécomptes du RPF En avril 1947, de Gaulle reprend l’offensive contre la IVe République. À Strasbourg, il appelle les Français à se réunir pour « la réforme profonde de l’État ». C’est l’origine du Rassemblement du peuple français, pétri des symboles (et, souvent, des réseaux) de la France libre. La nouvelle formation s’axe sur l’« Association » (capital-travail), sur un anticommunisme virulent, sur l’annonce obsessionnelle d’une troisième guerre mondiale. Les 38 % de voix obtenus aux municipales d’octobre 1947 représentent un atout énorme... qui ne cessera de s’effriter par la suite. Élus et électeurs du RPF comprendront de moins en moins que le Rassemblement vote toujours « contre » en compagnie... des communistes. Le RPF est pris dans une contradiction insoluble : ne pas participer au régime honni des partis, ne se prêter à aucune combinaison, mais ne pas tenter le coup de force. En 1955, de Gaulle se résout à mettre le RPF en sommeil. Le bilan de l’expérience est négatif : l’image d’un de Gaulle de droite, aspirant-dictateur et nationaliste borné, s’est enracinée dans les esprits de gauche. Le pessimisme du général, sa diabolisation des partis, s’aggravent. Il ne croit plus guère à son retour aux affaires. À moins que... « S’il y a catastrophe, alors peut-être auront-ils [les Français] un petit sursaut et peut-être pourra-t-on faire quelque chose » déclarait-il en 1949 à Georges Pompidou. Complot ou pas ? Une partie de la presse de gauche le dénonçait dès le printemps 1958, Mitterrand l’écrivit dans Le Coup d’État permanent en 1964, nombre de témoins et d’historiens l’ont répété depuis : de Gaulle a médité la chute de la IVe République. Il a porté le pays au bord de la guerre civile pour revenir au pouvoir. Pour sa part, le général affirme qu’il a sauvé la France de la guerre civile. Une chose est certaine, il a montré une époustouflante maîtrise, jouant admirablement du temps, du silence et... des ambiguïtés. Sur le destin de l’Algérie, ses propos ont été tels que les partisans d’une évolution et ceux d’une conservation ont cru s’y retrouver. En outre, les réseaux gaullistes ont été omniprésents à Paris et à Alger durant toute la crise. Michel Debré, Jacques Soustelle, Léon Delbecque, gaullistes « Algérie française », ont travaillé l’opinion dans le sens d’un retour du général au pouvoir. Olivier Guichard et Jacques Foccart ont fait le lien avec le reclus de Colombey. 133 à Pétain. Sa raide intransigeance et son autoritarisme font le vide. « Quant à moi, commentera-t-il a posteriori, qui prétendais gravir une pareille pente, je n’étais rien, au départ. [...] Mais ce dénuement même me traçait ma ligne de conduite. C’est en épousant, sans ménager rien, la cause du salut national que je pourrais trouver l’autorité. [...] Les gens qui, tout au long du drame s’offusquèrent de cette intransigeance ne voulurent pas voir que, pour moi, tendu à refouler d’innombrables pressions contraires, le moindre fléchissement eut entraîné l’effondrement. Bref, tout limité et solitaire que je fusse, et justement parce que je l’étais, il me fallait gagner les sommets et n’en descendre jamais plus » (Mémoires de guerre). Qui, à l’été 1940, est avec de Gaulle ? 4 500 soldats, 86 navires de guerre sans marins, quelques centaines d’aviateurs : l’embryon des Forces françaises libres (FFL) ; une poignée d’hommes d’affaires (René Pleven), d’intellectuels (Maurice Schumann, Gaston Palewski) ; et des « sans grade », issus des classes moyennes, échappés de France, en majorité des régions côtières. L’attaque de la flotte française de Mers el-Kébir, le 3 juillet 1940, par les Britanniques, empêchera les ralliements sur lesquels de Gaulle comptait le plus : ceux des grands territoires coloniaux. C’est contre eux qu’il fait donner ses maigres forces. Il échoue devant Dakar, mais le commandant Leclerc, en son nom, s’empare du Cameroun, de l’Afrique équatoriale et du Gabon. L’Afrique noire sera la base territoriale de la France libre. La rentrée dans la guerre se fait aux côtés des Britanniques, notamment en Libye, où la brigade de Kœnig retarde Rommel à Bir Hakeim (mai-juin 1942). Apprenant la nouvelle, de Gaulle, avare de démonstrations, se met à sangloter... TENSIONS ET RALLIEMENTS De Gaulle doit aussi lutter contre les empiétements britanniques et assurer partout la souveraineté française dont il s’estime dépositaire. Il provoque la fureur de Roosevelt, qui le déteste, en s’emparant de Saint-Pierre et Miquelon en décembre 1941. Il accepte le combat fratricide en Syrie, contre les troupes vichystes, en juin 1941. Il va jusqu’à menacer Churchill de rompre l’alliance lorsque celui-ci fait occuper Madagascar, territoire français, à l’automne 1942. La grande crise entre France libre et Alliés intervient après le débarquement au Maroc et en Algérie, le 8 novembre 1942. Soucieux de mettre l’armée française d’Afrique au combat, les Américains jouent la carte de l’amiral Darland, puis du général Giraud, vichystes patentés. Il faudra à de Gaulle une année de lutte pour se débarrasser de Giraud et rester seul président du Comité français de Libération nationale. Encore est-ce le ralliement de la Résistance intérieure qui fait basculer le rapport des forces en sa faveur. Qu’en est-il des rapports entre de Gaulle et les combattants de l’ombre ? Admiration et suspicion résument le point de départ. De Gaulle admire ceux qui luttent sur le territoire national ; mais la forte participation communiste, la réapparition des partis politiques, à ses yeux discrédités, l’inquiètent et l’irritent. Les résistants, eux, saluent le courage du solitaire de Londres. Néanmoins ce général autoritaire n’est-il pas un homme de droite, une variante patriote de ce Vichy abhorré ? De Gaulle et la Résistance intérieure mettront deux années pour cheminer l’un vers l’autre. Jean Moulin sera la clé de ce cheminement. La tension entre de Gaulle, les Alliés et la Résistance resurgit lors de la Libération. Aux Américains qui veulent imposer une administration militaire, de Gaulle oppose ses propres commissaires de la République. Le 14 juin 1944, il va installer lui-même à Bayeux le premier d’entre eux. Autre pouvoir concurrent : celui des divers comités et milices résistants qui s’installent dans le vide laissé par Vichy. Sans états d’âme, de Gaulle les met au pas. L’État, en sa personne, est rentré chez lui. À ceux qui le pressent de proclamer la République à l’Hôtel de Ville, il refuse net, arguant que la République n’a jamais cessé de vivre à travers la France libre. DU POUVOIR AU DÉSERT Le 25 août 1944, de Gaulle arrive dans Paris encore bruissant des combats de la Libération. Le lendemain, c’est la descente triomphale des Champs-Élysées. Enfin, les Français voient ce « général radio » ! Le 31 août, le Gouvernement provisoire de la République française s’installe. De Gaulle en prend la tête et y restera jusqu’en janvier 1946. L’œuvre accomplie durant ces 18 mois est immense. Une bonne part de l’appareil de production, de transport et de crédit est nationalisé. Sont signées les ordonnances organisant la Sécurité sociale et les comités d’entreprise. Le droit de vote est accordé aux femmes. L’ensemble de ces mesures – globalement de gauche – s’inscrivent aussi au crédit Delbecque a mis sur pied le Comité de vigilance qui lance la manifestation algéroise du 13 mai 1958. Le même Delbecque seconde Massu au Comité de salut public. C’est lui encore qui souffle à Salan le fameux « Vive de Gaulle » qui désarme Pflimlin, alors aux affaires. En Corse, la prise d’Ajaccio se fait avec le concours d’un gaulliste local : Pascal Arrighi. L’opération Résurrection est lancée par Massu, sa menace agitée par Delbecque. Enfin, le 3 juin, après la crise, de Gaulle reçoit Delbecque auquel, d’après J.-R. Tournoux, il déclare : « Vous avez été magnifique. [...] La France vous doit beaucoup à Massu et à vous... Mais avouez que j’ai bien joué aussi. » De Gaulle a-t-il accepté l’idée du coup de force ? On ne l’imagine guère débarquant à l’Élysée sur le pavois des paras. Mais, à tout le moins, il a joué sur l’ambiance de putsch, pratiqué ou fait pratiquer l’intox et le bluff, avec un art consommé de stratège. Une politique étrangère hyperactive De Gaulle veut dégager la France de l’oppressante politique des Blocs en suivant un mot d’ordre : primat de la défense et de l’indépendance nationale dans le cadre européen et de la coopération avec le tiersmonde. En contrepoint de la constitution d’une force de frappe nucléaire nationale, il rejette le protectorat américain : la France se retire du commandement de l’OTAN (1966). Certes, de Gaulle est un allié fidèle, résolu si l’heure est grave (crise de Cuba). Il reconduit d’ailleurs l’adhésion française au Pacte atlantique (1969). Mais, lors de ses voyages en Amérique latine (1964) et au Québec (1967), il prêche pour l’indépendance des nations dans le pré carré des États-Unis. Approche reprise vis-à-vis du bloc soviétique, la Pologne (1967) et la Roumanie (1968) étant invitées à prendre distance avec le « grand frère » russe. La reconnaissance de la Chine communiste (1964), le voyage en URSS (1966) et le discours de Phnom Penh (1966) renforcent aussi le non-alignement sur Washington. Dernier axe : le Marché commun. Là encore, de Gaulle expose son indépendantisme gallocentrique. Le double veto (1963 et 1967) mis à l’adhésion d’une Grande-Bretagne, jugée trop proche de Washington, montre sa pugnacité antiaméricaine. Le Plan Fouchet de 1961 vise à liquider toute tendance à la supranationalité et souligne le désir d’une prépondérance française en Europe. C’est un échec, tout comme l’« axe franco-allemand » (1963), car Bonn, pas plus que Londres, ne veut se passer du parapluie nucléaire américain. Dépité par ses échecs, de Gaulle se rabat sur la défense hargneuse des intérêts nationaux, menaçant de se retirer du Marché commun à propos de la politique agricole (politique de 134 de ce que de Gaulle révère le plus : l’autorité de l’État, la solidarité des classes et l’unité de la nation. À l’extérieur, de Gaulle engrange les bénéfices de son combat « pour le rang » : une zone d’occupation en Allemagne, un siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, un empire quasiment intact. L’effondrement de 1940, la honte de Vichy, la participation modeste à la victoire sont gommés par un mythe national qui ne sera écorné que dans les années 1980 : celui d’une France unanimement résistante. De Gaulle en sort renforcé. C’est sur la forme du nouveau régime que de Gaulle va se trouver isolé. Ses projets et ceux de l’Assemblée constituante dominée par les communistes, les socialistes et les démocrates-chrétiens du MRP sont incompatibles. Aussi démissionne-t-il le 20 janvier 1946. Le général croit qu’on va le rappeler. Il se trompe. L’« homme des tempêtes » n’envisage pas l’inaction et, le 5 mai 1946, lorsqu’un référendum rejette le projet d’une constitution qui réduit le pouvoir exécutif à la portion congrue, il croit voir une occasion de ressaisir l’initiative. Le 16 juin, à Bayeux, il prononce un discours retentissant, esquissant un projet qui ressemble fort à la future Ve République. Mais, en octobre, sa campagne se solde par un échec : les Français accordent une (petite) majorité au « oui » à la IVe République. Après l’expérience du RPF, de Gaulle entame sa « traversée du désert », en attendant la catastrophe qui fait qu’on appelle les hommes de recours... LE RETOUR ET LE RECOURS La « catastrophe » souvent évoquée par de Gaulle sera la guerre d’Algérie. Commencé le 1er novembre 1954, ce conflit dégénère en crise de régime après le 8 février 1958. Ce jour-là, l’aviation française bombarde le village tunisien de Sakhiet, en représailles de tirs effectués par l’Armée de libération nationale algérienne. Soixante-quinze civils sont tués. L’affaire, portée à l’ONU par le président tunisien Bourguiba, internationalise la question algérienne. Les AngloAméricains proposent leurs « bons offices », acceptés par le gouvernement Gaillard qui tombe, pour cette raison, le 15 avril. Le 13 mai, après un mois de crise, le MRP Pierre Pflimlin demande l’investiture à l’Assemblée. Le même jour, à Alger, un Comité de vigilance incluant nombre d’activistes d’extrême droite, comme Pierre Lagaillarde, appelle la population à une manifestation : Pflimlin a eu le tort de se déclarer prêt à des discussions avec le FLN. La manifestation dégénère. Les Algérois menés par Lagaillarde prennent d’assaut le Gouvernement général, siège du pouvoir. Mais, de sa propre initiative, le général Massu, commandant la 10e division parachutiste, coupe l’herbe sous le pied des ultras. Il prend la tête d’un Comité de salut public et lance un appel à de Gaulle. Le régime semble se ressaisir. Pflimlin reçoit la confiance de l’Assemblée et condamne l’insurrection, confiant à Salan, commandant en chef, les pouvoirs civils et militaires en Algérie. Mais Salan dévoile les sentiments d’une armée hantée par l’idée d’un « Diên Biên Phu diplomatique ». Le 15 mai, il lance, depuis le balcon du Gouvernement général, un « Vive de Gaulle ! ». Le général sort aussitôt de son mutisme pour se déclarer « prêt à assumer les pouvoirs de la République ». Il se garde bien de désapprouver le mouvement du 13 mai, ce qui renforce la suspicion de la gauche. Pendant les quinze jours qui suivent circulent des rumeurs malsaines. Les paras à Paris ? Massu a chargé certains de ses subordonnés d’étudier une conquête de la métropole par ce qui deviendra « l’opération Résurrection ». Le 24 mai, les paras du 1er choc s’emparent de la Corse. De Gaulle, patelin, joue de cette menace, provoquant des raidissements chez certains (Mendès France, Mitterrand...), des ralliements chez d’autres (Mollet, Pinay...). De Gaulle intervient de nouveau le 27 mai, lorsqu’il sent que l’armée se divise et que l’opération Résurrection pourrait se réaliser pour le compte des ultras. « J’ai entamé hier le processus régulier nécessaire à l’établissement d’un gouvernement républicain », annonce-t-il dans un coup de bluff magistral. Dépassé par la manœuvre, Pflimlin démissionne le 28, alors que la gauche défile aux cris de « le fascisme ne passera pas, de Gaulle au musée ! » La crise est dénouée le 29 mai par l’initiative du président de la République, René Coty, qui appelle de Gaulle à former le gouvernement. Le 1er juin, le général monte à la tribune de l’Assemblée pour y demander « pleins pouvoirs, mandat de soumettre au pays une nouvelle constitution, mise en congé des Assemblées ». Habilement, le général s’adjoint des ministres de tous bords : Mollet, Pflimlin, Pinay, Debré... Le 2, la confiance lui est votée. LA RÉPUBLIQUE GAULLIENNE la « chaise vide », 1966). Parallèlement, il encourage une active politique vers les excolonies africaines et le tiers-monde. Les mots-clés du général La pensée politique de De Gaulle s’ordonne autour d’une « certaine idée » de l’histoire de la France. En s’inspirant de l’analyse de Maurice Agulhon (dans De Gaulle, histoire, mythe et symbole, 1999), on peut en dégager six concepts-clés. FRANCE « Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. Le sentiment me l’inspire aussi bien que la raison. Ce qu’il y a, en moi, d’affectif imagine naturellement la France, telle la princesse des contes ou la madone aux fresques des murs, comme vouée à une destinée éminente et exceptionnelle. J’ai, d’instinct, l’impression que la Providence l’a créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires. » Ainsi s’ouvrent les Mémoires de guerre. Tout est dit ou presque : ce que de Gaulle a fait, il l’a fait pour la France vue comme un rêve, une apparition, une vision, un destin. Le patriotisme gaullien relève ainsi d’une conception quasi religieuse qui ne verse toutefois jamais dans le thème barrèsien du « sang et de la terre », ni ne dégénère en xénophobie. De Gaulle reconnaît l’existence d’autres valeurs que celle de la nation. Des valeurs universelles : la liberté et l’humanisme. Son « idée » de la France est donc ouverte au monde, sans crainte ni complexe, puisque, précisément, son ambition est d’être un modèle au milieu du monde. Mais quels rapports cette « idée de la France » entretient-elle avec les Français ? PEUPLE « Il ne faut pas confondre les intérêts de la France avec ceux des Français », assène le général en 1962 lors d’un conseil des ministres (Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle). Pourquoi ce distinguo ? Parce qu’il juge que les Français ne se montrent pas, en général, à la hauteur de la France. Il parle souvent d’un peuple porté à la division, au découragement, à l’inconstance. Dans Mémoires de guerre, il écrit : « S’il advient que la médiocrité marque, pourtant, ses faits et gestes [de la France], j’en éprouve la sensation d’une absurde anomalie, imputable aux fautes des Français, non au génie de la patrie. » Se souvenant de 1946, il évoque son « doute » et son « angoisse » quant aux possibilités du peuple français : « Ces vastes entreprises [...] ne dépassent-elles pas ses moyens et ses désirs ? » Alors, comment amener, selon Maurice Agulhon, ce « peuple enfant » à être à la hauteur de la France ? De Gaulle juge que « seules de vastes entreprises sont susceptibles de compenser les ferments de dispersion que [ce] peuple porte en lui-même ». « Notre pays, tel qu’il 135 Pour sortir du bourbier algérien, accomplir le « grand dessein » dont il rêve, il faut à de Gaulle une constitution sur mesure. Le texte en est plébiscité le 28 septembre 1958 (79,2 % de oui !). Le chef de l’État est le personnage clé par la possession de trois armes : le droit de dissoudre l’Assemblée, l’octroi de pouvoirs spéciaux en cas de crise, le droit de recourir au référendum. Sur cette base, de Gaulle est élu président de la République le 21 décembre par un collège de conseillers généraux et municipaux. En novembre, les partis qui le soutiennent avaient obtenu la majorité absolue à l’Assemblée, l’Union pour la nouvelle République (UNR) (qui regroupe les mouvements gaullistes) s’octroyant 198 députés sur 468. Sur l’Algérie, de Gaulle s’achemine, par étapes, vers l’indépendance. La détermination du FLN, les divisions apparues dans l’armée et dans le peuple, l’amènent tant bien que mal à signer les accords d’Évian, approuvés par 90 % du corps électoral, le 8 avril 1962. Au passage, le chef de l’État aura affronté la révolte des pieds-noirs, poussés au pire par l’OAS, celle de l’armée (putsch d’avril 1961), puis une tentative d’assassinat, à Pont-sur-Seine, le 8 septembre 1961. Ces convulsions le confortent dans sa volonté d’en finir aussi avec l’empire africain. En 1960, les États africains sortent de la Communauté et accèdent à l’indépendance. Le général s’y résout d’autant mieux que des accords de coopération y maintiennent au premier rang la présence française. Le 22 août 1962, de Gaulle échappe à un attentat perpétré au Petit-Clamart par le dernier carré de l’OAS. Suprême tacticien, il profite de l’émotion soulevée pour proposer, par référendum, une modification majeure de la Constitution : l’élection du président de la République au suffrage universel. Certes, il y perd sa majorité politique début octobre (le gouvernement Pompidou est renversé par la coalition de la gauche et des modérés), mais il dissout l’Assemblée et s’assure finalement une victoire écrasante : le 28 octobre, 62,2 % des électeurs approuvent la réforme. Le 25 novembre, l’UNR, appuyée par les Républicains indépendants de Giscard d’Estaing, reprend la majorité à l’Assemblée. L’opposition est laminée. Le système des partis a volé en éclats. Le général a les mains libres. LE GRAND DESSEIN Dans l’esprit de De Gaulle, gouverner, c’est faire entendre la voix de la France. Sa politique étrangère sera pragmatique et tout empreinte de symboles. Le « rang », la « grandeur », objectifs proclamés, ont-ils vraiment pour but de faire jouer à la France, puissance moyenne, un rôle mondial ? Voire d’enfoncer un coin dans « l’esprit de Yalta », qui stigmatise, dans la mythologie gaulliste, la bipolarisation du monde ? Certains analystes en ont douté, tant l’objectif semblait hors de portée. Le « grand dessein » proposé aux Français n’aurait-il été qu’un symbole à usage interne, un ciment destiné à lutter contre les « ferments de dispersion » et l’affaiblissement du sentiment national ? La question reste ouverte. Quoi qu’il en soit, de Gaulle consacre à la politique étrangère l’essentiel de ses forces. L’appréciation de cette politique reste aussi matière à controverse. Relevons trois faits. Les années passant, le général sera de plus en plus tenté par une diplomatie du « geste » où voyages – avec bain de foule – et discours frappent l’opinion internationale. Le retour de la France au premier plan... médiatique est à cet égard incontestable. Ensuite, même si sa portée pratique est limitée, l’action extérieure recueille l’adhésion des Français. Enfin, cette adhésion se fissure en 1967, avec l’éclat de Montréal (« Vive le Québec libre ! ») et la condamnation d’Israël lors de la guerre des Six jours. Désaccord grave, qui entame un pilier du consensus national, celui de la politique étrangère. Or, cette faille apparaît au moment où la politique intérieure est contestée. LE COMMANDEUR ÉBRANLÉ La crise algérienne réglée, l’action de De Gaulle est de plus en plus jugée dans le domaine économique et social, ainsi que dans son style de gouvernement. Certes, la France connaît une superbe croissance économique, mais l’opinion semble plus sensible à ses déséquilibres ainsi qu’à l’aggravation des inégalités. Grèves et manifestations se multiplient à partir de 1963. De Gaulle rate le test de l’élection présidentielle de 1965. Il s’abstient de faire campagne au premier tour, laissant le champ libre aux hommes qui recomposent alors l’opposition : François Mitterrand pour la gauche non-communiste, Jean Lecanuet pour le centre droit. L’opinion subit un choc à voir et entendre à la télévision des hommes qui en étaient exclus. Le « pouvoir personnel » de De Gaulle y est dénoncé, de même que sa politique européenne. Résultat : ballottage à l’issue du premier tour. Face au péril, le général explique sa politique aux Français et l’emporte finalement est [...], doit, sous peine de danger mortel, viser haut et se tenir droit. Bref, à mon sens, la France ne peut être la France sans la grandeur. » Encore faut-il qu’apparaisse l’« homme de caractère », qui rappelle aux Français leur mission. L’HOMME DE CARACTÈRE L’homme providentiel dont la France a périodiquement besoin, de Gaulle le décrit dès 1932 dans Le Fil de l’épée. « Face à l’événement, c’est à soi-même que recourt l’homme de caractère. Son mouvement est d’imposer à l’action sa marque, de la prendre à son compte, d’en faire son affaire. Et loin de s’abriter sous la hiérarchie [...], le voilà qui se dresse, se campe et fait front. [...] La passion d’agir [...] s’accompagne, évidemment, de quelque rudesse dans les procédés. [...] Les subordonnés l’éprouvent et, parfois, ils en gémissent. D’ailleurs un tel chef est distant, car l’autorité ne va pas sans prestige, ni le prestige sans éloignement. Audessous de lui, l’on murmure tout bas de sa hauteur et de ses exigences. Mais, dans l’action, plus de censeurs ! Les volontés, les espoirs s’orientent vers lui comme le fer vers l’aimant. Vienne la crise, c’est lui que l’on suit, qui lève le fardeau de ses propres bras. » Cette rhétorique du héros, de l’homme providentiel, du sauveur, est usuelle chez les penseurs de la fin du XIXe siècle que de Gaulle a lus, Nietzsche en tête. Elle traverse cette histoire de France que de Gaulle connaît et qu’il se représente comme une généalogie d’êtres d’exception surgissant à point nommé : Jeanne d’Arc, Louis XIV, Carnot, Gambetta, Clemenceau... Nul doute que le jeune de Gaulle se soit identifié à ces figures tutélaires, avant d’envisager d’incarner cet homme providentiel qui, en sauvant la nation, inscrit son nom dans le granit de l’histoire. APPEL Mais, pour que le héros paraisse, l’appel doit retentir. Appel de l’Histoire d’abord : crise nationale, événement catastrophique. À cet égard, de Gaulle est pessimiste : les guerres, civiles ou étrangères, viennent toujours rappeler un peuple à ses devoirs en le menaçant de disparition. L’appel est aussi celui que l’homme de caractère adresse à ceux qui refusent l’abaissement. Dans la mythologie gaullienne, plusieurs événements appartiennent à cette catégorie : l’appel du 18 juin 1940 bien sûr, mais aussi l’exhortation directe « Françaises, Français, aidez-moi ! » lancée à plusieurs reprises, comme le 1er mai 1949 à Bagatelle (au temps du RPF) ou le 23 avril 1961 (lors du putsch d’Alger). Troisième type d’appel : celui qu’un peuple en détresse ne peut manquer d’adresser à l’homme du recours. Fort de l’aura acquise dans la guerre et dans l’immédiat après-guerre, malgré l’échec du 136 contre Mitterrand, au second tour, avec 54,5 % des voix. Malgré cette victoire, le président se sent ébranlé... Un « troisième tour » s’annonce avec les législatives de 1967. L’Union des démocrates pour la Ve République – avatar de l’UNR – frôle la défaite en ne s’assurant que de 245 sièges (dont 43 giscardiens...) sur 487. L’atmosphère politique s’alourdit. LE GLAS DE MAI La crise de mai 1968 surprend tous les acteurs politiques. La violente contestation étudiante, l’énorme vague de grèves, sont incontrôlables. De Gaulle ne prend pas la mesure de l’événement. Au moment où l’agitation atteint son comble à Nanterre, le 3 mai 1968, son premier ministre, Georges Pompidou, part en Afghanistan. Le 14 mai, lendemain de la grande manifestation syndicale, de Gaulle s’envole pour la Roumanie. Le discours qu’il prononce le 24 mai est sans effet. « J’ai mis à côté de la plaque », aurait-il reconnu. Le 28 mai, le pouvoir semble vacant. Mitterrand préconise la formation d’un gouvernement provisoire présidé par Mendès France. Le 29 mai, de Gaulle disparaît. On apprendra plus tard qu’il est parti à Baden-Baden auprès de Massu, commandant des forces françaises en Allemagne. La signification de l’escapade reste incertaine. Crise de découragement ? Volonté de dramatiser la situation en agitant le spectre de la guerre civile ? Quoi qu’il en soit, la riposte du 30 mai est foudroyante. C’est un grand de Gaulle qui s’adresse à la nation : dissolution du Parlement, annonce de nouvelles élections, appel à « l’action civique ». Le soir même, une énorme manifestation gaulliste descend les Champs-Élysées. L’initiative a changé de camp. Les élections législatives de juin sont celles de la peur : l’UDR rafle une majorité écrasante. De Gaulle tire une double leçon de la crise : il faut répondre au besoin de réforme exprimé en mai ; il lui faut éprouver sa légitimité par un référendum. La réforme, de Gaulle la définit comme la « participation » plus grande des Français à la gestion de leurs affaires. Dans cet esprit, il charge Edgar Faure d’élaborer une « loi d’orientation », qui met fin au pouvoir des « mandarins » dans l’Université. Novatrice, la réforme est votée en grimaçant par la majorité UNR. Car cette majorité d’ordre se montre beaucoup plus conservatrice que le président. Elle se reconnaît plus volontiers dans l’ancien Premier ministre, Georges Pompidou, que de Gaulle a remplacé en juillet 1968 par Couve de Murville. Pour retremper sa légitimité, de Gaulle choisit une mauvaise occasion : faire approuver un projet de refonte du Sénat, couplé à un embryon de régionalisation du pays. La question posée au référendum ressemble à un quitte ou double hâtif. Surtout que le « moi ou le chaos », si souvent agité, n’est plus de mise. De sa retraite, Pompidou s’est en effet déclaré prêt à lui succéder, ce qui lève les inhibitions chez beaucoup. La gauche et le centre appellent à voter non, rejoints par les élus locaux hostiles à la réforme du Sénat. Giscard d’Estaing prêche aussi le non, de même que les milieux d’affaires irrités par la politique monétaire du général. Le résultat du référendum est sans surprise : 52,4 % de non. De Gaulle en tire aussitôt la conséquence, cohérente avec sa conception de la légitimité. Le 28 avril 1969 tombe ce bref communiqué : « Je cesse d’exercer mes fonctions de président de la République. Cette décision prend effet aujourd’hui à midi. » Puis il se retire à Colombey, muré dans un silence officiel, jusqu’à sa mort, le 9 novembre 1970. RPF, de Gaulle se pose en recours en 1952. En 1958, il joue de cette idée avec maîtrise. Ainsi, en clôture de sa conférence de presse du 19 mai, il déclare : « À présent, je vais rentrer dans mon village et m’y tiendrai à la disposition du pays. » Que manifeste ce thème de l’appel ? Le fait que de Gaulle conçoit le pouvoir sous la forme d’un lien direct, dramatisé, entre lui et le peuple, dont le référendum serait l’outil institutionnel. RASSEMBLEMENT Les Français sont portés aux querelles ? Il faut les rassembler ! Dès 1946, le mot est omniprésent dans les discours gaulliens. À l’inverse, de Gaulle n’a pas de mot assez dur pour stigmatiser ce qui divise, les partis et la lutte des classes au premier chef. Tous les mouvements politiques se réclamant du général repousseront d’ailleurs la dénomination de parti, lui préférant celle de rassemblement (tel le RPF) ou d’union (UNR, UDR, RPR et plus récemment RPF). Partant de cette logique du rassemblement et de sa conception de l’homme providentiel, de Gaulle se considère donc comme l’homme situé au-dessus des querelles : il se présente en « champion de la France, non point celui d’une classe ou d’un parti » (Mémoires de guerres). Sa définition du rôle de chef de l’État souligne qu’il est « placé au-dessus des partis », « garant de l’intérêt général ». Relevons ici que de Gaulle, comme nombre d’hommes de sa génération, a la nostalgie de l’Union sacrée de 1914, du coude à coude fraternel des tranchées, qui au-delà des différends politiques, religieux et sociaux, symbolisaient la figure tutélaire d’une France unie, indivisible et combattante. ÉTAT L’homme fort et de rassemblement doit donc cimenter le sentiment national et l’unité nationale, ce en quoi l’État le relaie « pour bâtir la puissance nationale » (Mémoires de guerre). « Toute notre Histoire, écrit encore de Gaulle dans Mémoires d’espoir, c’est l’alternance des immenses douleurs d’un peuple dispersé et des fécondes grandeurs d’une nation libre groupée sous l’égide d’un État fort. » Cet État « impartial et fort », de Gaulle en fait le moteur de la grandeur française. C’est le corset, le principe de permanence qui contient l’anarchie latente des « Gaulois ». Dès lors, il n’est pas étonnant qu’il accepte les nationalisations de 1944-1945, qu’il croie à l’« ardente obligation » de la planification économique, qu’il favorise la création de l’École nationale d’administration ou, parmi d’autres exemples, qu’il impulse, sur des fonds publics, de grands projets technologiques visant à illustrer et à magnifier la puissance française : arme nucléaire, fusée Diamant, supersonique Concorde, Plan calcul... 137 Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : De même, le président de la Ve République, qui vivait fort simplement, n’a jamais lésiné sur le faste des réceptions d’hôtes étrangers à Versailles. La France, le souverain, l’État : les trois termes participent d’une même identification, d’un même orgueil, de Louis XIV à Charles de Gaulle. Certains caricaturistes l’avaient bien compris, qui ont croqué de Gaulle pendant des années sous les traits du Roi-Soleil dans le Canard enchaîné... Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 138 HC – Le gaullisme de 1944 aux années 1990 Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Serge Berstein, Histoire du gaullisme (Paris, Éditions Rémi Perrin, 2001) Documentation Photographique et diapos : Berstein Serge, Le gaullisme, La documentation photographique, n°8050, La documentation Française, 2006. Revues : « Les années De Gaulle » in Les collections de L’Histoire, hors série n°1, février 1998. Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des Enjeux didactiques (repères, notions et savoirs, concepts, problématique) : méthodes) : BO actuel : « Ecrire une histoire culturelle du gaullisme, tel est l'ambitieux pari de Serge Berstein. Autrement dit, décoder les écrits et les discours de Charles de Gaulle comme de ses successeurs, décortiquer leur pratique du pouvoir, analyser les mutations du gaullisme depuis les temps héroïques des années 1930 et 1940 jusqu'aux aggiornamentos des années Chirac et à la disparition d'une formation gaulliste autonome. Cela suppose également de s'intéresser aux motivations des militants ou des électeurs, à leurs enthousiasmes successifs suivis de périodes de désaffection plus ou moins prolongées. Mais l'histoire du gaullisme est indissociable de l'aventure d'un homme d'exception et du destin de plusieurs figures politiques marquantes de l'après-guerre. Serge Berstein raconte une " histoire de famille " qui a nourri l'imaginaire de trois générations. * De Gaulle avant le gaullisme : un militaire en marge de la République * Le gaullisme de la Résistance : du refus patriotique à la restauration de la République * L'échec de la greffe gaulliste sur le modèle républicain (octobre 1945 octobre 1946) * Le gaullisme du RPF, une machine de guerre contre la IVe République * La divine surprise du 13 mai * Le gaullisme, une réponse aux problèmes de la France du second XXe siècle ? (1958-1969) * Georges Pompidou et la pérennisation du gaullisme (1969-1974) * Un néo-gaullisme chiraquien ? Captation et banalisation du gaullisme (19741986) * Le retour au pouvoir des gaullistes et le crépuscule du gaullisme Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : Le gaullisme de guerre (1940-1944) Le gaullisme a commencé pendant la guerre, comme un mouvement uniquement patriotique. Il a rassemblé alors autour du général de Gaulle, les hommes de toutes tendances politiques qui voulaient lui apporter leur appui pour continuer le combat contre Hitler et le fascisme aux cotés des Alliés et rejeter l'armistice conclu par le maréchal Pétain. À partir de juillet et d'octobre 1940, De Gaulle a rejeté en outre les lois inconstitutionnelles, répressives et racistes instituées par Pétain, et s'est érigé en défenseur de la légalité républicaine. Les gaullistes qui le pouvaient ont alors rejoint l'Angleterre pour s'engager dans les Forces Françaises Libres, et combattre aux coté des Alliés, ou déclenché les mouvements de ralliement de diverses colonies françaises qui sont rentrées en guerre sous l'autorité de De Gaulle. Les autres gaullistes, ceux qui ne pouvaient le rejoindre (c’est-à-dire la majorité) sont restés dans les territoires dirigés par Vichy, ou certains d'entre eux ont constitué des réseaux de propagande, de renseignements ou de sabotage contre les occupants. Finalement toutes ces organisations de résistance ont été rassemblées par Jean Moulin, au sein du Conseil national de la Résistance (CNR), sous les 139 ordres du Général de Gaulle qui a transformé son mouvement de France libre en France combattante, pour y rassembler les résistants de l'extérieur et de l'intérieur. Mais de Gaulle ne s'est pas contenté de maintenir une partie des Français dans la lutte contre l'occupant allemand : il a aussi tout fait pour reconquérir la souveraineté française dans le camp allié, contre certaines pressions des gouvernants anglais et surtout américain qui ont longtemps joué contre lui la carte vichyste. Lors de la Libération, la Résistance françaises a multiplié ses actions et paralysé les tentatives de riposte allemande au débarquement. Quant à la population française, elle a accueilli de Gaulle en triomphateur, forçant ainsi Roosevelt à reconnaître enfin pleinement le gouvernement provisoire installé en France par de Gaulle. Le gaullisme politique (après 1944) Mais de Gaulle, après avoir atteint son but de guerre et restauré la démocratie, a critiqué le regime des partis qui avait été selon lui pour la France, avant la guerre une source de faiblesse, et préconisé l'instauration d'un système cumulant la démocratie avec un exécutif fort. Les partis politiques, objets de ses critiques, se sont défendus et il s'est considéré, ne pouvant appliquer son programme, comme contraint de démissionner. Le « gaullisme » a alors pris une autre signification : il a cessé d'être un mouvement de résistance et de rétablissement de la démocratie. Le gaullisme est devenu un mouvement politique décidé à soutenir les idées de Charles de Gaulle sur la nécessité d'un pouvoir démocratique mais fort, auquel on avait ajouté un volet social : la volonté d'associer le capital et le travail. Certains anciens vichystes se sont alors ralliés au gaullisme comme d'anciens cadres communistes, tandis que certains de ses compagnons de lutte de la France libre et de la résistance qui avaient pris position à gauche ont combattu son Rassemblement du peuple français (RPF). Comme la Quatrième République avait rapidement évolué dans le sens d'un régime de prépondérance de l'Assemblée, avec des gouvernements de coalition éphèmères et ne parvenant pas à prendre les décisions, les gaullistes l'ont combattu sans merci associant parfois leurs voix au Parlement à celles des communistes. Mais le régime de la IVe République était affaibli par l'incapacité de ses gouvernements de coalition à résoudre les problèmes de la décolonisation. Après un sursaut sous la présidence du Conseil de Pierre Mendès France (ancien aviateur de la France Libre, puis ministre de De Gaulle au Comité d'Alger (CFLN) et au gouvernement provisoire), qui a réussi à mettre fin pour la France à la guerre d'Indochine et à décoloniser la Tunisie, la IVe République a sombré à nouveau dans l'immobilisme : l'insurrection algérienne a entrainé une répression militaire puis un divorce de la métropole, non seulement avec les indigènes, mais aussi avec les Français d'Algérie, jusqu'a la tentative de coup d'État du 13 mai 1958 fomenté à Alger, par des activistes de droite et d'extrème droite et de l'armée encouragés par la population française locale. Le gouvernement central a été incapable de riposter à ce mouvement et a affecté de le prendre sous son égide en nommant le commandant en chef Salan rallié aux rebelles comme son représentant en Algérie. De Gaulle, l'ancien libérateur, a paru alors à beaucoup le seul recours et le président de la république René Coty l'a appelé à prendre la Présidence du Conseil. Les mouvements politiques gaullistes ont eu plusieurs noms suivant les époques : * Rassemblement du peuple français (RPF) (1947-1953) ; * Union pour la nouvelle République (UNR) (1958-1962) ; * Union pour la nouvelle République - Union démocratique du travail (UNRUDT) (1962-1967) ; * Union des Démocrates pour la Ve République (UDVe) (1967-1968) ; * Union des démocrates pour la République (UDR) (1968-1976)[1] ; * Rassemblement pour la République (RPR) (1976-2002). Le(s) gaullisme(s) après de Gaulle Le néo-gaullisme des années 1970 Les successeurs de Charles de Gaulle — Georges Pompidou, Jacques Chirac... — ont toutefois normalisé le programme gaulliste en l'alignant sur celui des droites 140 européennes (capitalisme libéral, atlantisme, Europe supranationale, etc.). On parle alors parfois de « néo-gaullisme » et non plus de gaullisme. Ainsi, le néogaullisme moderne n'a gardé du gaullisme que l'idée d'une France forte au sein d'une Europe indépendante. La conversion libérale et européenne (années 1980-1990) La mutation fondamentale est intervenue sous les présidences de Georges Pompidou et de Valéry Giscard d'Estaing et s'est pousuivie dans la première moitié des années 1980. La rapide diffusion à travers le monde des idées du libéralisme économique sur les modèles britannique (1979) et américain (1980) parallèlement à l'affrontement idéologique avec les gouvernements socialistes de la présidence de François Mitterrand (après 1981) ont entraîné la conversion de la majorité du RPR au libéralisme économique. Les mesures du gouvernement Jacques Chirac de 1986 - 1988 en sont l'illustration. Seconde grande mutation : la conversion officielle du RPR à l'idée européenne, suite au revirement de Jacques Chirac sur cette question (contrairement à l'appel de Cochin), avec en particulier la campagne menée par lui, contre une minorité menée par Charles Pasqua et Philippe Seguin, en faveur du traité de Maastricht). Le RPR regroupait alors trois tendances : * Une aile libérale (Édouard Balladur, Nicolas Sarkozy) dont les idées libérales, européennes et atlantistes ne se différenciaient plus de celles de la droite libérale classique incarnée par une partie de l'UDF. * Une aile gaulliste classique (Charles Pasqua, Philippe Seguin), à la fois plus sociale et plus nationaliste (« souverainiste »), et proche du gaullisme historique des années 1950-1960. * Un « centre » incarné par Jacques Chirac, qui oscille entre le libéralisme et un humanisme hérité du radicalisme ou du gaullisme. L'UMP et la fin du gaullisme ? (2002) [ Cependant, la puissance de l'influence libérale sur l'ensemble des mouvements politiques de droite (et aussi de gauche) à travers le monde, mais aussi la difficulté, 20 ou 30 ans après sa mort, à imaginer ce qu'aurait été la politique du général de Gaulle, ont conduit le RPR à se banaliser au sein des droites européennes. La conséquence logique en a été la fusion avec l'UDF. Après l'élection présidentielle de 2002, le mouvement « gaulliste » Rassemblement pour la République (RPR) s'est dissous dans un grand parti de droite : l'Union pour un mouvement populaire (UMP). Depuis la disparition du RPR, des mouvements revendiquent le maintien de la doctrine gaulliste. Certains sont associés ou proches de l'UMP comme le Mouvement Initiative et Liberté, le cercle Nation et République, les comités Notre République, le club Nouveau Siècle, l'Union des démocrates pour le progrès (UDP), Le Chêne (parti politique) (crée par Michèle Alliot-Marie en 2006). De son côté, Debout la République, fondé en 1999 par Nicolas Dupont-Aignan, a été un mouvement associé à l'UMP jusqu'au départ de celui-ci dans le but de défendre ses idées indépendemment. D'autres ont convergé avec des personnes ou des mouvements héritiers de la gauche jacobine (Jean-Pierre Chevènement) autour de valeurs communes souverainistes et sociales. Les partisans d'une ligne indépendante se sont eux regroupés en de multiples associations et clubs de réflexion, tels que Initiative Gaulliste, l'Union gaulliste, l'Union gaulliste pour une France républicaine, l'Action pour le renouveau du gaullisme et de ses objectifs sociaux, le Cercle Jeune France ou l'Académie du Gaullisme, que l'Union du peuple français a réunifié pour partie d'entre eux. La transformation du RPR en UMP, parti dominant dans la droite française avec un programme nettement libéral et pro-européen (impulsé par Nicolas Sarkozy) pose, dans les premières années du XXIe siècle la question de la perennité du gaullisme dans la vie politique française. Le remplacement de Jacques Chirac par Nicolas Sarkozy à la présidence de la République en 2007 marque pour beaucoup d'observateurs la fin du gaullisme. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 141 HC – La décolonisation française Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le drapeau français flotte sur 12 millions de km2, plus de vingt fois la superficie de la métropole. Près de 70 millions de femmes et d’hommes connaissent ou « subissent » la loi française. L’Empire français, jeune pourtant, semble entrer dans une certaine éternité. Or, un peu plus de vingt ans plus tard, cet édifice est en ruine. Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Pervillé Guy, De l’Empire français à la décolonisation, Hachette Éducation, 1991, coll. «Carré histoire», 256 p. (outre l’intérêt du cas français, le premier chapitre est utile pour l’approche des concepts). Pervillé Guy, L’Europe et l’Afrique, 1914-1974, Ophrys, 1994, 152 p. (sélection de textes commentés). P. Brocheux et D. Hemery, Indochine, la colonisation ambiguë, La Découverte, 1995. Michel Marc, Décolonisations et émergence du Tiers-Monde, Hachette, 1993, 272 p., coll. «Carré histoire ». Coquery-Vidrovitch Catherine, et Ageron Charles-Robert, (dir.), Histoire de la France coloniale, tome III : « Le déclin », de 1931 à nos jours, Armand Colin, 1991 (rééd. 1996). C.-R. AGERON, La Décolonisation française, Armand Colin, coll.« Cursus », 1991. P. BAIROCH, Le Tiers-Monde dans l'impasse, Gallimard, coll. « Idées », 3e édition, 1992. L. CESARI, L'Indochine en guerre, 1945-1993, Belin, coll. « Belin Sup », 1995. G. CHALIAND, Les Mythes révolutionnaires du Tiers-Monde, Seuil, 1979. G. CHALIAND, Repenser le Tiers-Monde, Complexe, 1987. B. DROZ, Les Décolonisations, Seuil, coll. « Mémo », 1996. Henri GRIMAL, La Décolonisation de 1919 à nos jours, Complexe, (1965) 1985. M’bokolo E., Afrique noire, histoire et civilisations, du XIXe siècle à nos jours, Hatier, 2004. Dufour Jean-Louis, Les décolonisations de 1945 à nos jours, A. Colin, 2000. M. FERRO, Histoire des colonisations, des conquêtes aux indépendances, XIX-XXe siècles, Paris, Le Seuil, coll. « Points Histoire », 1996. R. GIRARDET, L’Idée coloniale en France de 1871 à 1962, La Table Ronde, 1972, rééd. Hachette Pluriel. J. MARSEILLE, Empire colonial et capitalisme français, histoire d’un divorce, Points Seuil, 1984. J. LÉVÊQUE, Colonisation et décolonisation,Paris, éd. des Écrivains, 1999. J. DALLOZ, La Guerre d’Indochine, 1945-1954, Le Seuil, coll. « Points-Histoire », 1987. Documentation Photographique et diapos : DROZ Bernard, La Décolonisation, La Documentation photographique, n°8062, 2008. GIRAULT René, La Décolonisation, La Documentation photographique n° 6067, 1983 Revues : La France face à la décolonisation, Une décolonisation manquée ?, Alain Ruscio, TDC, N° 840, du 15 au 30 septembre 2002 L’Histoire, «L’Indochine au temps des Français », n° 203 (dossier spécial). Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Si elle a fait l'objet de nombreux renouvellements depuis une vingtaine d'années, l'historiographie de la décolonisation a longtemps été marquée par plusieurs écueils qu'il convient de rappeler : - Tout d'abord un certain moralisme reposant sur le postulat selon lequel la colonisation n'a été qu'une entreprise inique de domination, alors que ses motivations ont été diverses et complexes ; la décolonisation est alors pensée comme un processus historique juste et inéluctable, ce qui notamment tend à biaiser l'analyse du processus de construction des nationalismes et empêche de comprendre l'ampleur des résistances que l'émancipation politique des possessions impériales put rencontrer en Europe. - À l'inverse de ce moralisme se constitua également une littérature historique empreinte de nostalgie du « temps béni des colonies » ; de cette nostalgie du glorieux passé colonial découla une vision de la décolonisation perçue comme un symptôme de la décadence de la Vieille Europe, au moment précis où le monde issu de la Seconde Guerre mondiale se restructure autour des deux Grands. - De leur côté, les historiographies des pays décolonisés mirent volontiers l'accent sur la geste de l'émancipation et l'héroïsation des acteurs de la décolonisation - a fortiori si celle-ci revêtit une dimension militaire. Cette histoire nationaliste fait la Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO 3e actuel : « On se limite pour la décolonisation aux exemples de l’Inde et de l’Afrique française. Cartes : La décolonisation. Documents : Un témoignage sur la décolonisation. » BO futur 3e : « DES COLONIES AUX ÉTATS NOUVELLEMENT INDÉPENDANTS Dès le lendemain du conflit mondial, grandissent des revendications qui débouchent sur les indépendances. Les nouveaux États entendent être reconnus sur la scène internationale, notamment par le biais de l’ONU. L’étude est conduite à partir d’un exemple au choix : l’Inde, l’Algérie, un pays d’Afrique 142 part belle à la dénonciation et à la condamnation de la colonisation, et sousestime fréquemment la persistance de liens politiques, économiques ou culturels entre l'Europe et ses anciennes possessions coloniales. - Enfin, l'historiographie et les manuels d'enseignement secondaire ont longtemps opposé les décolonisations « pacifiques » aux « décolonisations guerrières ». Cette approche de la décolonisation apparaît aujourd'hui dépassée. Confrontée à deux « sales guerres » coloniales en Indochine puis en Algérie, la France sut aussi accorder à la plupart de ses possessions d'Afrique noire une indépendance négociée et presque totalement exempte de violence ; à l'opposé, la GrandeBretagne se retira d'Inde en 1947 sans que son armée n'ait été aux prises avec les mouvements nationalistes hindous et musulmans, mais laissa ceux-ci s'affronter sans intervenir, au prix d'un bilan humain considérable. Ces éléments étant posés, la plupart des travaux de synthèse récemment consacrés à la décolonisation privilégient une approche à la fois chronologique et géographique du processus : l'émancipation de l'Asie, qui débute dès la seconde moitié des années 1940 et joue un rôle moteur dans la suite du processus en permettant l'émergence sur la scène internationale de pays aussi importants que l'Union indienne (1947) ou l'Indonésie (1949) ; puis la décolonisation du Maghreb entre le milieu des années 1950 et 1962 ; celle de l'Afrique noire enfin, qui s'étend sur un temps plus long. Comme celle de la décolonisation, la question de l'émergence du Tiers-Monde a souvent fait l'objet de travaux très connotés idéologiquement : un certain misérabilisme d'une part, le tiers-mondisme et l'affirmation d'une solidarité avec les États les plus pauvres de la planète d'autre part (cf. les écrits de René Dumont en France), ont parfois nui à la scientificité du discours historique. Si les problèmes économiques occupent toujours une place importante dans les études les plus récentes, l'insertion des États nés de la décolonisation dans les relations internationales (de la conférence afro-asiatique de Bandoung en 1955 au quatrième sommet des non-alignés en 1973) a été réévaluée. En outre, de nombreux travaux tendent à remettre en question la pertinence des notions de Tiers-Monde et de sous-développement, en montrant que cette représentation des mondes périphériques comme un tout monolithique - construite en Europe rendait imparfaitement compte de la diversité des problèmes politiques et économiques et des réponses que l'on a tenté d'y apporter. subsaharienne. Elle porte sur le processus de la décolonisation, les problèmes de développement du nouvel État et ses efforts d’affirmation sur la scène internationale. Les décolonisations sont présentées à partir d’une carte. Connaître et utiliser le repère suivant - Principale phase de la décolonisation : 1947-1962 Raconter la manière dont une colonie devient un État souverain Décrire quelques problèmes de développement auxquels ce nouvel État est confronté » Au moins en ce qui concerne la France, les drames de la décolonisation ont donné lieu à une production abondante pour laquelle il est prudent de s'en tenir aux valeurs sûres. Dans le camp des colonisés, l'ancienneté des mouvements nationalistes, les divisions, les affrontements internes sont aujourd'hui mieux connus grâce par exemple pour l'Algérie aux travaux de M. Harbi ou de B. Stora. D'autres ouvrages (M. Gadant, D. Amrane) mettent en valeur le rôle des femmes dans l'action du FIN. L'attitude des Français est éclairée par les études réunies par J.P. Rioux, celle des appelés par les travaux de J. Ch. Jauffret. Enfin, les thèses de R. Branche et de S. Thenault font le point d'une manière qui paraît définitive sur les questions de la torture et de la justice pendant la guerre d'Algérie. D'une manière générale, l'histoire de la décolonisation est devenue plus complexe. John Darwin (1991) écrit à propos de l'empire britannique « la fin de l'empire [...] fut le résultat de causes variées, politiques, économiques, stratégiques et idéologiques qui opérèrent à trois niveaux : intérieur, international et colonial [...]. Abandonnons les explications simplistes mono causales et tournons-nous à leur place vers la conclusion que les historiens jugent souvent comme de haute sagesse : un ragoût intellectuel irlandais avec un peu de tout dans d'incertaines quantités. » Marc Michel qui cite ces phrases estime qu'une telle démarche peut être généralisée. Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : L’énorme choc du conflit mondial a introduit, outre-mer, des modifications profondes. Les États de l’Axe (Allemagne en Afrique, Japon en Asie) ont utilisé les nationalismes renaissants pour saper les fondements de la coalition antinazie. Au sein même de cette coalition, les intérêts divergent. Si la France et le Royaume-Uni restent attachés au principe de la souveraineté coloniale, les ÉtatsUnis et l’Union soviétique, pour des raisons d’ailleurs bien différentes, émettent Accompagnement 3e : « De même une étude chronologique détaillée de la décolonisation n’est pas possible. Deux cartes suffisent pour présenter globalement le phénomène, avant de centrer l’étude sur deux exemples particulièrement significatifs de la fin des 143 des professions de foi anticolonialistes. La toute nouvelle Organisation des nations unies, enfin, semble bien décidée à soutenir les velléités d’indépendance des peuples. Au sein des nations colonisées, dès l’entre-deux-guerres, les forces de désagrégation s’agitent. La Seconde Guerre mondiale accélère évidemment cette évolution. Au Liban, les rivalités franco-britanniques aboutissent au départ sans gloire des troupes françaises, dès 1945. En Algérie, un militant nationaliste, Ferhat Abbas, publie un Manifeste du peuple algérien (février 1943). Au mois de mai 1945 ont lieu dans toute l’Algérie des manifestations impressionnantes. Le drapeau algérien y est hissé. La répression est féroce. Les victimes se comptent par milliers. Un fossé de haine sépare désormais les deux communautés. Au Maroc, en janvier 1944, 58 personnalités signent un Manifeste du parti de l’indépendance (Istiqlal). En Tunisie, un Front national réclame l’application réelle du principe de l’autonomie interne (février 1945). En Afrique noire française, divers militants, souvent influencés par le PCF, créent le Rassemblement démocratique africain (RDA). À Madagascar, les nationalistes sont à l’origine du Mouvement démocratique de rénovation malgache (MDRM). En Indochine, un temps occupée par les Japonais, la rupture est plus brutale. Au Vietnam, un leader communiste, Hô Chi Minh, crée la Ligue viêt-minh et proclame l’indépendance (2 septembre 1945). Son second, Vo Nguyên Giap, fonde en quelques mois une armée mal équipée, mais animée d’une flamme patriotique incontestable. Au Cambodge et au Laos, les monarques profitent de la faiblesse momentanée de la France pour prendre leurs distances. Le mur colonial se lézarde. L’UNION FRANÇAISE, RÉFORME OU RÉVOLUTION ? Évidemment, le conflit mondial qui vient de s’achever a été mené au nom de l’indépendance nationale, mais il s’agissait des nations « blanches ». On se convainc avec des arguments faciles : l’Empire colonial français, dans les heures sombres de l’Occupation, a fait la preuve de son attachement à la mère patrie pourtant affaiblie. Aussi, l’idée même d’une évolution des nations colonisées vers l’indépendance est repoussée catégoriquement. Mais ce conservatisme sur le fond est accompagné d’une réelle et sincère volonté réformatrice sur les formes de la domination coloniale. La première grande manifestation de cet esprit est la conférence qui se tient à Brazzaville du 30 janvier au 8 février 1944. Le chef de la France libre, le général De Gaulle, en préside la séance inaugurale. Sans aucun doute pétrie de bonnes intentions, cette conférence a toutefois eu des limites qu’il convient de souligner. Tout d’abord, le seul homme « de couleur » présent était le gouverneur guyanais Félix Éboué. De plus, les mesures décidées ont été limitées aux champs social et économique : rémunération égale, pour une qualification comparable, entre colons et Africains ; accélération de la scolarisation des enfants « indigènes » ; formation des cadres africains en plus grand nombre ; suppression des sanctions liées au code de l’indigénat ; plan de mise en valeur économique, industrialisation, etc. En raison des disparités et des discriminations qui régnaient alors en Afrique, ces mesures ne peuvent être considérées comme mineures. Mais les modifications politiques sont les grandes absentes des travaux. « La constitution éventuelle, même lointaine, de self-governements dans les colonies est à écarter », affirment les conclusions générales. En 1945-1946, lois et décrets s’accumulent : déclaration gouvernementale prévoyant un statut pour l’Indochine (mars 1945), reconnaissance de la liberté d’association et de réunion (avril 1946), abolition du travail forcé (avril 1946), reconnaissance de la qualité de citoyens à tous les ressortissants des territoires d’outre-mer (mai 1946), création d’un Fonds d’investissement pour le développement économique et social (Fides) en avril 1946, etc. À cet ensemble, il fallait un cadre constitutionnel. À ces rapports de nature nouvelle, il fallait une expression qui tranchât avec les appellations du passé (Afrique-Occidentale française, Afrique-Équatoriale française). La notion d’Union française fit rapidement l’unanimité. Elle figure en toutes lettres dans la Constitution de la IVe République : « La France forme avec les peuples d’outremer une Union fondée sur l’égalité des droits et des devoirs, sans distinction de race ni de religion. L’Union française est composée de nations et de peuples qui mettent en commun ou coordonnent leurs ressources et leurs efforts pour développer leurs civilisations respectives, accroître leur bien-être et assurer leur sécurité. » Principes généraux, mais viciés par une inégalité fondamentale : la France restait manifestement maîtresse du jeu, les autres « nations » et « peuples » ne pouvant donner leur avis, encore moins envisager une sortie du système. L’immédiat après-guerre semble un temps donner raison aux partisans de cette Union française. En 1946, à l’Assemblée nationale française, la présence de deux grands empires coloniaux : – celui de la décolonisation de l’Inde – celui de la décolonisation de l’Afrique française qui montre bien que la France a rompu avec son passé colonial, progressivement et sans conflit sanglant en Afrique noire, mais difficilement en Algérie où l’affrontement s’est accompagné d’un drame national. Ces difficultés ont joué un tel rôle dans la vie politique de notre pays depuis 1945 qu’un rapprochement entre ce thème et celui de la vie politique française semble tout à fait souhaitable : une mise en perspective des conséquences de la guerre d’Algérie sur l’évolution du la IVe République et sur celle du début de la Ve est tout à fait pertinente. » Décolonisation et guerre froide Les relations internationales, durant toute cette période, ont été marquées par la guerre froide. Or, dans l’affrontement Est-Ouest, la France a clairement choisi son camp : elle fait partie intégrante du « monde libre ». Elle compte pourtant dans ses rangs un PCF actif contre les expéditions coloniales, soutenu alors par un Français sur cinq. Par ailleurs, l’URSS et la Chine populaire ont des diplomaties agressives, fort hostiles à l’Occident. De là à voir l’influence du communisme international derrière chaque mouvement nationaliste, il n’y a qu’un pas. On peut dire que la hantise de la « main de Moscou » est en permanence présente dans les esprits. « Voudriez-vous que Mers-elKébir et Alger soient demain des bases soviétiques ? », demande par exemple le général Challe lors du putsch des généraux. Or si, au Vietnam, le mouvement national fut bel et bien dirigé par des communistes, dont le vieux leader Hô Chi Minh, il n’en fut rien dans le reste de l’Indochine. En Afrique noire, le RDA, un temps influencé par le communisme, s’en détacha dès les années 1950. Au Maghreb, le clivage était plus fort encore, jamais le marxisme n’influença durablement et profondément les mouvements nationaux. Qu’importe. Les fantasmes avaient la vie dure. Décolonisation et intérêts économiques Un marxisme schématique a longtemps mis en avant une explication économique aux lenteurs de la décolonisation : les grands intérêts capitalistes auraient souhaité maintenir une aire d’influence privilégiée. Les secteurs du capitalisme français qui furent obstinément et continûment colonialistes furent souvent les secteurs les plus retardataires, voire obsolètes, du système. Ils profitaient ainsi d’un marché préservé. Mais, globalement, la colonisation 144 députés africains (Senghor, Houphouët-Boigny), malgaches (élus du MDRM), algériens (Ferhat Abbas) et antillais (Césaire) est suffisamment neuve pour laisser augurer une évolution positive. Le voyage officiel de Hô Chi Minh (juin 1946), invité du gouvernement français, est significatif d’une volonté mutuelle de compromis. Du reste, aucun leader nationaliste influent ne rejette alors catégoriquement la notion d’Union française. La mutation réussira-t-elle, permettant ainsi à la France d’entrer, la première, dans l’ère de la décolonisation pacifique ? UN PROLOGUE CATASTROPHIQUE : LA GUERRE D’INDOCHINE (19451954) En Indochine, les illusions du printemps-été 1946 sont vite dissipées. Progressivement, le clan belliciste s’est imposé, tant à Saigon (amiral d’Argenlieu) qu’à Paris (Georges Bidault), et refuse l’éloignement, même partiel, de la Perle de l’Empire. De plus, des communistes sont à la tête du Viêt-minh. Raison largement suffisante, en ces débuts de guerre froide, pour accroître les méfiances. Du côté vietnamien, les extrémistes durcissent le ton. Les incidents se multiplient. Le plus grave a lieu en novembre : la flotte française pilonne Haiphong (plusieurs milliers de victimes vietnamiennes). En décembre, le Viêtminh réplique. Une guerre commence. Dans les premiers temps, une confiance sans bornes règne du côté français. Le gouvernement Hô Chi Minh n’est-il pas en fuite ? Ses troupes, mal armées, encadrées par des officiers sans expérience, ne refusent-elles pas le combat ? L’offensive est également politique. Le gouvernement français part à la recherche d’interlocuteurs plus « dociles ». L’exempereur Bao Dai, alors en exil, accepte de se prêter au jeu et de signer avec la France des accords prévoyant un statut spécial à un « État du Vietnam » au sein de l’Union française. Mais l’enthousiasme sur lequel tablait la France n’est pas au rendez-vous. C’est au contraire avec la plus grande méfiance que la population voit revenir l’ancien souverain. Des événements extérieurs au théâtre d’opérations viennent encore compliquer la situation. En Chine, le rapport de forces a basculé définitivement en faveur des communistes. Un lien physique est désormais établi entre les maquis viêt-minh et le monde « socialiste », permettant des livraisons d’armes et de matériel. À l’opposé, les États-Unis soutiennent désormais l’effort de la France. La guerre de Corée, qui commence à l’été 1950, est une autre étape décisive : désormais, l’Asie est une, le combat contre le communisme est un. L’aide matérielle américaine s’accroît, jusqu’à devenir déterminante. C’est cependant sur le terrain que tout se joue. Les mois passent, et l’armée française perd peu à peu le contrôle du territoire. Les maquis se renforcent. Les services français notent avec inquiétude que la popularité de Hô Chi Minh est intacte. Le Viêt-minh se permet même de passer à une contreoffensive hardie et d’infliger au corps expéditionnaire un premier revers de taille (« bataille des frontières », 1950). L’envoi, fin 1950, du prestigieux général De Lattre de Tassigny permet un temps d’entretenir des illusions. L’année 1951 voit une stabilisation des fronts. Mais De Lattre mort (janvier 1952), la situation se dégrade de nouveau. Désormais, malgré l’aide massive des États-Unis, le cours de la guerre ne peut plus être inversé. La zone contrôlée par le Viêt-minh s’étend chaque jour un peu plus. Plus grave, la conquête des cœurs, si chère aux théoriciens coloniaux, est en voie d’être gagnée par Hô Chi Minh et les siens. Le plan Navarre, du nom du nouveau commandant en chef, en 1953, se donne pour objectif de frapper un grand coup afin de « casser du Viet ». Navarre porte son choix sur une bourgade au nom auparavant inconnu : Diên Biên Phu. Durant six mois, les deux armées s’affrontent. Mais les calculs français – et américains – ont sous-estimé la détermination des combattants et la capacité manœuvrière de Giap. Les positions françaises sont grignotées une à une. Le 7 mai 1954, c’est la chute du camp retranché, au terme d’une résistance héroïque. Pierre Mendès France apparaît, au printemps 1954, comme l’homme providentiel. Nommé président du Conseil, il reprend de main de maître des négociations entamées à Genève qui aboutissent à la partition du Vietnam à hauteur du 17e parallèle et à la neutralisation du Cambodge et du Laos. De fait, la France abandonne le leadership aux États-Unis. En Indochine, une autre guerre peut commencer, autrement plus destructrice... LES PROTECTORATS : DES PROCESSUS PACIFIQUES ? Les processus d’indépendance des protectorats de la Tunisie et du Maroc, comparés aux drames indochinois et algérien, apparaissent idylliques. Mais il serait inexact d’y voir un processus en permanence harmonieux avec la métropole. Dans les deux cas, une politique réaliste et respectueuse de la volonté a entraîné des retards dans l’appareil industriel français. De plus, le coût des campagnes militaires a vite été dissuasif. Sans compter l’énormité des capitaux qu’il eût fallu mobiliser pour une véritable mise en valeur. Pour quels résultats ? Dans les années 1950, la France n’a plus les moyens d’assurer simultanément sa présence outremer et de jouer un rôle économique et politique de premier plan en Europe (les événements de la décolonisation sont exactement contemporains des balbutiements de l’Europe politique et économique). Les secteurs les plus dynamiques du système se sont assez rapidement détournés de l’outremer pour s’attaquer au marché européen, d’un bien meilleur rapport. « C’est un fait : la décolonisation est notre intérêt et, par conséquent, notre politique », dira vers les tout derniers temps du régime colonial l’un des hommes politiques qui lui était pourtant le plus attaché, le général de Gaulle (11 avril 1961). 145 des peuples colonisés succéda à bien des déchirements et des affrontements. De plus, le déclenchement de la guerre d’Algérie amena les gouvernants français à un certain réalisme : le système ne pouvait se permettre de mener de front plusieurs conflits. Au Maroc, la volonté hégémonique française s’est heurtée au « nationalisme dynastique ». Depuis l’instauration du protectorat, en 1912, la population s’était toujours reconnue dans la personne du sultan. La Seconde Guerre mondiale avait fortement accéléré la maturation de la conscience nationale comme le prouve la naissance, en janvier 1944, de l’Istiqlal (« indépendance »). Le sultan Mohammed ben Youssef, tenu à une certaine réserve, avait pourtant laissé entrevoir sa sympathie pour ces thèses (discours de Tanger, avril 1947). La réaction française fut de nommer résident le général Juin, connu comme un solide conservateur en matière coloniale. L’épreuve de force survient en décembre 1952. À la suite d’une grève générale et de manifestations, la police tire sur la foule. Un couvre-feu est institué. L’Istiqlal est interdit, ses dirigeants emprisonnés. Les autorités françaises jugent que le sultan soutient secrètement les milieux nationalistes. Il est déposé le 20 août 1953 et immédiatement exilé en Corse. L’irrémédiable a été commis. La résidence fait appel à Ben Arafa, homme de paille du pacha de Marrakech, dit « le Glaoui », hostile à Rabat. Satisfaits d’une telle mesure, les colons français exultent. Les Marocains entrent dans une dissidence larvée. La période d’abattement pour les nationalistes et d’euphorie pour les ultras et leurs subordonnés dure peu. Un véritable culte du sultan déposé naît, dans toutes les couches de la population. En métropole, le Comité FranceMaghreb, animé notamment par François Mauriac, mène une campagne de dénonciation de la politique métropolitaine qui a de larges échos. Les gouvernants français sont bel et bien dans l’impasse. Ce sera à Edgar Faure, en 1955, de régler le contentieux laissé par ses prédécesseurs. Le nouveau résident, Gilbert Grandval, obtient la démission de Ben Arafa. Le sultan est invité à participer à des négociations sur l’avenir du Maroc. La France compte désormais sur lui pour rétablir l’ordre dans son pays. Le 2 mars 1956, une déclaration franco-marocaine met fin à un demi-siècle de domination française. En Tunisie, le mouvement national s’est rapidement identifié à Habib Bourguiba, chef du parti Néo-Destour. Un temps exilé en Égypte, Bourguiba rentre en 1949 en Tunisie. Il fait connaître (1950) un programme tendant à obtenir de la France diverses concessions. À ces demandes plutôt modérées, les autorités françaises répondent par des atermoiements. Puis par la répression. En janvier 1952, les principaux leaders nationalistes, dont Bourguiba, sont arrêtés, puis exilés ou incarcérés. Les manifestations nationalistes sont violemment réprimées. Le syndicaliste Ferhat Hached est assassiné. Le pays est au bord de la guerre. Un mot fait son apparition dans la presse française : les « fellaghas » (ce mot connaîtra un immense écho en Algérie). Lorsque Pierre Mendès France est investi, en 1954, il hérite de cette poudrière. Il se rend à Tunis pour y prononcer un discours important (dit « de Carthage »). Il reconnaît « l’autonomie interne de l’État tunisien », affirme sa volonté de ne plus intervenir dans les affaires de cet État. Pour Bourguiba, c’est un premier pas : « L’indépendance reste l’idéal du peuple tunisien », affirme-t-il ; mais « la marche vers cet idéal ne prendra plus désormais le caractère d’une lutte entre le peuple tunisien et la France ». En juin 1955, finalement, Bourguiba fait un retour triomphal à Tunis. L’indépendance est proclamée le 20 mars 1956. L’AFRIQUE NOIRE EN QUÊTE D’INDÉPENDANCE VÉRITABLE L’éveil à l’indépendance de l’Afrique noire française (A-OF et A-ÉF) a été plus lent à se dessiner. Mais l’exemple des luttes coloniales dans le reste de l’Empire sert de modèle aux Africains. Les milieux coloniaux comprennent que la seule répression des mouvements politiques « indigènes » serait stérile. Le ministre de la France d’outre-mer de 1950, François Mitterrand, entame le dialogue avec les leaders nationalistes les plus modérés. En 1954, la guerre d’Algérie éclate. La métropole ne peut se permettre un front supplémentaire. « Ne laissons pas croire que la France n’entreprend de réformes que quand le sang commence à couler », affirme le nouveau ministre, le socialiste Gaston Defferre. Il fait voter par le Parlement, en juin 1956, une « loi-cadre » très libérale. Cette loi est considérée par les Africains comme un tremplin vers l’indépendance. En 1958, de Gaulle a également des ambitions africaines. Il est décidé à mettre en place une politique plus hardie que celle de la IVe République. Il crée une notion nouvelle, la Communauté : plus d’autonomie interne pour les possessions outre-mer, des assemblées locales représentant les « élites », le gouvernement métropolitain restant maître de la politique étrangère et de l’économie. En septembre 1958, de 146 Gaulle propose aux Africains un référendum pour choisir entre la Communauté ou l’indépendance. À l’exception de la Guinée, où Sékou Touré a mené bataille contre le projet gaulliste, tous les pays d’Afrique noire française approuvent ce projet. Mais, comme souvent en histoire coloniale, ce qui apparaît comme un achèvement à la métropole n’est qu’une étape pour les leaders de l’outre-mer. L’aspiration à l’indépendance embrase alors toute l’Afrique. Dès septembre 1959, le Mali sort de la Communauté. En 1960, tous les autres pays des ex-A-OF et A-ÉF suivent. Contrairement à ce qui s’était passé ailleurs, et conformément aux souhaits gaullistes, ces pays ne sortent cependant pas de l’aire d’influence française. Indépendance politique formelle, certes, mais maintien de liens solides avec l’ex-métropole. De Gaulle avait réussi son pari. UN BILAN AMER Ainsi, le départ de la France de ses possessions d’outre-mer s’est passé plus souvent dans les larmes et le sang qu’en concertation avec les peuples colonisés. Deux guerres, des vagues d’impitoyables répressions, un usage fréquent de l’emprisonnement, voire de la torture et de la suppression physique, tel est le bilan de l’entêtement des gouvernements métropolitains à préserver « l’œuvre française ». En regard de ce tableau, il faut certes saluer la lucidité, même tardive et hésitante, de Mendès France (Indochine et Tunisie), d’Edgar Faure (Maroc), de Gaston Defferre (loi-cadre) ou du général de Gaulle (derniers temps de la guerre d’Algérie, Afrique noire). Il faut également reconnaître qu’une partie de l’opinion métropolitaine, variable selon les cas, protesta contre les exactions. Par ailleurs, la fin de la colonisation n’a pas toujours été synonyme de ruptures avec l’ancienne métropole, notamment d’un point de vue culturel. Mais l’impression de malaise subsiste. La France a manqué sa sortie de l’ère coloniale. Si, selon la formule célèbre, « Gouverner, c’est prévoir », la grande majorité des hommes politiques français, deux décennies durant, a bien peu gouverné les hommes et les choses... Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 147 HC – La guerre d’Algérie Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : B. Stora, La Gangrène et l’oubli : La mémoire de la guerre d’Algérie, coll. « Poches Essais », La Découverte, Paris, 2005. STORA Benjamin, Histoire de la guerre d’Algérie [1954-1962], La Découverte, « Repères », (1993) 2004, 123 p. B. Stora, Histoire de l’Algérie coloniale (1830-1954), La Découverte, 1991. Ch.-A. Julien et Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, 2 vol., PUF, 1979. (toujours la référence) Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, coll. « Que sais-je ? », PUF, 1973-1990. Ch.-R. Ageron, (dir.), L’Algérie des Français, coll. « Points Histoire», Seuil, Paris 1993. LIAUZU Claude (dir.), Colonisation : droit d'inventaire, Paris, Armand Colin, 2004, 351p. D. LEFEUVRE, Pour en finir avec la repentance coloniale, Flammarion, 2006. B. DROZ et E. Lever, Histoire de la guerre d'Algérie, 1954-1962, Seuil, coll. « Points Histoire », 1982. D. Rivet, Le Maghreb à l’épreuve de la colonisation, Hachette, 2001 (réédition en Pluriel). A.G. SLAMA, La Guerre d'Algérie, histoire d'une déchirure, Découvertes Gallimard, n° 301, 1996. ABÉCASSIS Frédéric & MEYNIER Gilbert, Pour une histoire franco-algérienne, Paris, Éditions La Découverte, 2008. ABÉCASSIS Frédéric et al., La France et l’Algérie, leçons d’histoire. De l’école en situation coloniale à l’enseignement du fait colonial, Paris, Éditions de l’INRP, collection « Éducation, histoire, mémoire », 2007. Documentation Photographique et diapos : BRANCHE Raphaëlle, THENAULT Sylvie, La Guerre d’Algérie, La Documentation photographique n° 8022, août 2001 Revues : La guerre d'Algérie, TDC n° 611, 11 mars 1992 L'Histoire : « La guerre d'Algérie », les collections de L'Histoire HS n° 15, mars 2002. L’Histoire, n° spécial 140, 1991, « Le temps de l’Algérie française ». La guerre d'Algérie 1954-1962 , Dossier H&G, 388 octobre 2004 Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des Enjeux didactiques (repères, notions et savoirs, concepts, problématique) : méthodes) : BO actuel : « Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports Activités, consignes et productions des documentaires et productions graphiques : élèves : LES DÉBUTS DE LA GUERRE D’ALGÉRIE (1954-1957) L’Algérie, après les événements de mai 1945, semble assoupie dans la « paix française ». Certes, les mouvements nationalistes se manifestent encore, en premier lieu le Parti populaire algérien (PPA) de Messali Hadj. Certes, les démocrates des deux bords de la Méditerranée critiquent avec véhémence les truquages électoraux qui émaillent cette période. Certes, les observateurs avisés, André Mandouze et Charles-André Julien, par exemple, appellent, en vain, au réveil de l’opinion. Mais les attentats de la Toussaint 1954 sonnent comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. D’autant que ces actes sont revendiqués par une organisation jusqu’alors inconnue : le Front de libération nationale, FLN. La quasi-totalité des forces politiques françaises condamne ce « terrorisme aveugle », mais ne le relie pas à l’état de misère et de désespoir dans lequel était tombée la communauté arabo-berbère. Le credo est simple, simpliste : « Les départements d’Algérie font partie de la République, ils sont français depuis longtemps ; leur population [...] jouit de la nationalité française et est représentée au Parlement [...]. Jamais la France, jamais aucun Parlement, jamais aucun gouvernement ne cédera sur ce principe fondamental. » (Pierre Mendès France, 12 novembre 1954). La première réponse est donc, par réflexe naturel, la répression. Le gouvernement envoie immédiatement 20 000 hommes, qui s’ajoutent aux 60 000 alors en activité sur le sol algérien. Une simple « opération de police », comme il en a tant existé alors, commence. Avec son cortège d’exactions et de tortures. Même si les contemporains n’en sont pas immédiatement conscients, c’est pourtant bien une guerre qui vient d’éclater. Les mesures de répression habituelles, en ces situations, ne suffisent pas. L’insécurité s’installe. En août 1955 le pays bascule dans la guerre totale. Ce ne sont plus, cette fois-ci, des commandos, relativement isolés, qui agissent. Dans le Femmes en guerre : l’exemple de l’Algérie. Diane Sambron dans sa thèse relative à la politique du gouvernement français à l’égard des femmes algériennes lors de la guerre d’Algérie démontre que très tôt les femmes algériennes ont été au cœur des préoccupations des principaux protagonistes et sont ainsi devenues un véritable enjeu politique. Le gouvernement français, ayant compris qu’elles pouvaient représenter un véritable potentiel électoral, établit une politique féminine volontariste selon trois axes : une refonte du statut personnel des musulmanes, l’octroi du droit de vote et le développement de la scolarisation. La France s’était engagée lors de la conquête à respecter le statut personnel musulman qui dans l’ensemble consacre l’infériorité juridique et sociale de la femme. Elle va cependant le modifier en augmentant l’âge au mariage et en accordant le divorce. Le général de Gaule lors d’une conférence de presse le 5 février 1960 déclare : « Une 148 Constantinois, l’effet de masse a déjà joué. Partout surgissent de nouveaux combattants de la cause nationale. La révolte prend l’aspect de véritables jacqueries aux crimes atroces. Schéma classique : les partisans estiment que seul le déchaînement de violence radicalisera « les masses », que l’impitoyable répression, prévisible, de la part de la puissance tutélaire, soudera autour d’eux une population non encore acquise, dans sa majorité, à la lutte armée. Les autorités françaises réagissent exactement de la manière prévue. Le gouvernement d’Edgar Faure décide le rappel des soldats libérés en avril et le maintien sous les drapeaux de la classe 54/1. Dans le Constantinois, c’est une véritable chasse à l’homme qui est menée. Le bilan est lourd. La réaction politique est tout aussi dure. Le gouverneur Soustelle, arrivé « libéral », passe rapidement dans le camp ultra. En métropole, les hommes politiques et la presse rivalisent pour stigmatiser la violence « bestiale » des insurgés. À l’opposé, les hommes politiques algériens considérés comme « modérés » se radicalisent. En septembre, presque tous les élus musulmans de l’Assemblée algérienne démissionnent. En avril 1956, Ferhat Abbas rend publique son adhésion au Front. La France officielle n’a plus d’interlocuteurs en Algérie. Les deux communautés, qui ne faisaient déjà que coexister, viennent de commencer leur lutte à mort. Aux élections de janvier 1956, pour la première fois, les événements d’Algérie ont été au centre des débats. Le leader du parti socialiste, Guy Mollet, a abondamment critiqué une guerre « imbécile et sans issue ». Il propose le triptyque « Cessez-lefeu, élections, négociations ». Son parti, allié au Parti radical, sort victorieux des urnes. On peut croire un instant que la gauche française saura trouver une issue pacifique. Las ! Dès la première épreuve, Mollet capitule. Le 6 février 1956, à Alger, il est conspué et même bousculé par une foule de pieds-noirs déchaînée. Il se dit « bouleversé » par la quasi-unanimité de la population européenne, soudée par le refus de toute évolution. C’est un autre homme qui revient à Paris. Après avoir obtenu de sa majorité le vote des « pouvoirs spéciaux » (8 mars 1956), Guy Mollet se lance dans une escalade militaire sans précédent. Le Parti communiste, fort critique jusqu’alors, a, lui aussi, voté les « pouvoirs spéciaux ». Dès lors, c’est un véritable appareil de guerre qui est instauré. Les rappels de réservistes se succèdent. En quelques mois, les effectifs passent de 200 à 400 000 hommes. Le gouvernement Mollet, suivant en ceci une vieille tradition française, va chercher à l’extérieur, hors de la société colonisée, les causes de ses déboires. Fin 1956, il participe, conjointement avec le Royaume-Uni et Israël, à une guerre éclair contre l’Égypte de Nasser, accusée, notamment, de soutenir la révolte algérienne. Cette expédition de Suez s’achève piteusement, après des mises en garde convergentes de Washington et de Moscou, fait exceptionnel en cette ère de guerre froide. En Algérie, la guérilla urbaine intensifie son action. En juin 1956 ont éclaté, en plein cœur d’Alger, de premières bombes posées par des militants du FLN. La population d’origine européenne est durement touchée. Le gouvernement Mollet réplique : il confie à l’armée le soin de « nettoyer » la casbah, la vieille ville d’Alger (janvier 1957). Des dizaines de milliers de « suspects » sont arrêtés, des milliers sont interrogés, dans des conditions souvent abominables. En quelques mois, le terrorisme cesse. Mais à quel prix ! Les méthodes employées ont creusé un fossé de haine. Si le parachutiste est désormais l’idole des pieds-noirs, le militant FLN est le héros secret de la population algérienne. Dans l’opinion métropolitaine, les méthodes employées, dont l’ignoble torture, lors de la « bataille d’Alger » et bien au-delà, laissent des traces. Le général de Bollardière demande à être relevé de son poste de commandement et est mis aux arrêts. Le secrétaire général de la police d’Alger, Paul Teitgen, démissionne. François Mauriac, Laurent Schwartz, Pierre Vidal-Naquet... protestent. Henri Alleg, emprisonné et torturé, réussit à publier un témoignage qui fait grand bruit, La Question. L’emploi de méthodes inhumaines fait l’objet d’un débat public. Une certaine mauvaise conscience commence à tarauder la société française. DE GAULLE ET L’INDÉPENDANCE DE L’ALGÉRIE (1958-1962) La IVe République est malade de la guerre d’Algérie. Pour une partie de l’armée et de la communauté pied-noire, la faiblesse de la métropole est responsable de cette situation. Ils sont rejoints par les gaullistes partisans d’un exécutif fort. Le 13 mai 1958, à Alger, une foule européenne en délire ovationne un Comité de salut public, présidé par le général Massu. Le nom de De Gaulle est acclamé. La IVe République a trouvé son fossoyeur, l’Algérie française a trouvé son sauveur. Ou croit l’avoir trouvé. De Gaulle, investi légalement, quoique sous la pression de l’armée, se rend en Algérie. Le 4 juin, à Alger, il lâche un « Je vous ai compris ! » à une foule européenne exaltée. Le 28 septembre, par référendum, le peuple nouvelle structure familiale restreinte, où la femme, pleinement émancipée, apporterait sa contribution, doit succéder à la conception de la famille lignage, où l’élément féminin reste en tutelle… » En ce qui concerne le droit de vote, les Algériennes l’avaient officiellement obtenu en 1947 mais il faudra attendre 1958 pour qu’il soit appliqué. Ce décalage dans le temps s’explique par des blocages des deux côtés. Or en 1958, les femmes représentant des voies potentielles en faveur de l’Algérie française, ces blocages sautent. Des campagnes de propagande sont même organisées pour inciter les Algériennes à voter au référendum du 28 septembre 1958 avec des slogans tel : « Voter oui c’est assurer l’émancipation de la femme musulmane ». Certaines Algériennes seront même élues. Enfin, le contexte de la guerre accélère également les réformes dans le domaine de l’éducation. Dans l’Algérie des années cinquante, seules 4% des femmes sont alphabétisées. En 1958, un arrêté institue l’obligation scolaire pour les filles de 6 à 14 ans. Le gouvernement français s’intéresse également aux filles d’âge post-scolaire en créant à leur intention des centres sociaux où elles reçoivent une alphabétisation, des notions d’hygiène et de puériculture. On peut alors se demander si toutes ces mesures ont eu des conséquences sur leur engagement nationaliste ? D’après les archives du ministère de la guerre algérienne citée par Diane Sambron , 11000 femmes se sont engagées dans la guerre. Le général Pacquette, commandant de la 13e division d’infanterie constate, en 1960, que : « L’aide apportée par les femmes à la rébellion constitue à n’en pas douter un obstacle de plus en plus sérieux sinon nouveau dans notre lutte contre l’infrastructure rebelle. ». Les mouvements nationalistes ont-ils de leur côté donné plus de visibilité aux femmes ? Le FLN s’élève très tôt contre la politique d’émancipation des femmes mise en place par le gouvernement français car il y voit un moyen d’acculturation imposé par le colonisateur. Pour le FLN, la France touche là à un symbole fort de l’identité arabomusulmane. Que reste-t-il une fois l’indépendance acquise ? Leur engagement a-t-il entraîné une modernisation du statut de la femme ? Djamila Amrane décrit bien le désenchantement national qui suit l’été 1962 : « Nous avons l’indépendance, mais que reste-t-il de moi ? » s’interroge une militante. Bien que les femmes soient sorties de leur rôle traditionnel pendant la guerre, il n’y aura aucune remise en cause du statut réel après l’indépendance. Si, dans la première 149 français adopte la constitution d’un nouveau régime taillé sur mesure pour de Gaulle. En décembre, il est élu premier président de la Ve République. Si les discours gaullistes semblent révéler une certaine ambiguïté, voire une duplicité, il serait plus conforme à la réalité de parler de prudentes évolutions. De Gaulle, homme de tradition, profondément attaché aux valeurs impériales, a très probablement cru, au printemps 1958 et dans les temps qui ont suivi, pouvoir sauver l’Algérie française au prix de réformes profondes. Il souhaite se débarrasser des extrémistes des deux bords : les partisans de « l’Algérie de papa », largement majoritaires dans l’armée et chez les pieds-noirs, et les partisans de l’indépendance totale, la guérilla FLN. Il désire ensuite se mettre à la recherche d’interlocuteurs algériens plus « modérés », auxquels il fait allusion dès octobre 1958 (discours dit de la « paix des braves »). La réussite de son projet politique implique une victoire militaire préalable. Durant deux années, 1959 et 1960, l’armée française, qui dispose de bien plus de moyens qu’auparavant, porte des coups très durs à l’adversaire. Cependant, contrairement aux espoirs gaullistes, l’amélioration militaire ne va pas de pair avec l’esquisse d’une solution politique. C’est même le processus contraire : le FLN se donne une structure politique, le gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). Lors de ses différents déplacements en Algérie, le général est marqué par l’incapacité des autorités françaises à trouver des nationalistes algériens intègres et représentatifs. Progressivement, la réalité s’impose à lui. Un an après son arrivée au pouvoir, il se rend à l’évidence et en tire les conclusions : il propose à l’Algérie une « autodétermination » (16 septembre 1959). Puis il lâche une formule définitive : une « République algérienne » existera un jour (4 novembre 1960). En juin 1960, de premiers contacts entre émissaires français et algériens ont lieu. Pour les partisans de l’Algérie française, c’en est trop. Les éléments les plus engagés de l’armée française, dont Salan, tentent, en avril 1961, un putsch. La ferme réaction du pouvoir, la quasi-unanimité de la population métropolitaine, l’hostilité du contingent et des officiers légalistes font échouer ce dernier baroud. Désormais ne continueront plus le combat que des soldats et des civils extrémistes groupés au sein d’une Organisation de l’armée secrète (OAS). Les derniers mois de la guerre d’Algérie sont épouvantables pour les deux communautés, désormais dressées l’une contre l’autre, sans espoir de réconciliation. Le Front contrôle la presque totalité de la population arabo-berbère. Une forte majorité de la communauté pied-noire soutient de fait l’OAS. Les assassinats se succèdent. La terreur règne. La guerre n’épargne d’ailleurs pas le territoire de la métropole : manifestations d’Algériens d’octobre 1961, de Français (morts du métro Charonne), violemment réprimées, attentats de l’OAS... De Gaulle est désormais décidé à multiplier les concessions. Il renonce à demander une souveraineté française sur le Sahara. En octobre 1961, lors d’un conseil des ministres, il résume sa politique d’une formule : « Les réalités et les intérêts nous poussent à permettre la naissance d’un État algérien. » Le 18 mars 1962, l’accord est signé à Évian. Le cessez-le-feu interviendra le lendemain. Malgré l’épouvantable bain de sang des derniers mois (assassinats d’Algériens par l’OAS, liquidation de milliers de harkis par le FLN), une guerre se termine. Cent trente ans de cohabitation s’achèvent sur un divorce par consentement mutuel. assemblée constituante, elles détiennent 10 postes sur 194, dès la seconde assemblée, elles n’en auront plus que 2 sur 138. Après 1973, l’ensemble de la législation antérieure à l’indépendance est abrogé. Il faut la détermination d’historiennes et en particulier de Djamila Amrane pour que l’histoire officielle « rende justice à cette moitié oubliée du peuple algérien ». Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : Le cauchemar : prostitution, viol, torture Le rêve des uns, qui a pu être saisi à travers « le harem colonial », devient parfois le cauchemar des autres avec son cortège de viols, torture, prostitution. Arlette Gautier évoque la stratégie de la terreur exercée sur les filles de notables algériens récalcitrants et envoyés dans des bordels militaires. Raphaëlle Branche , quant à elle, s’est intéressée à la sexualité des appelés , y compris à la question des viols et torture. Elle montre comment le viol est considéré comme faisant partie de la guerre, composante régulière des séances de torture. 150 HC – La France et l’Afrique depuis les indépendances Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : WAUTHIER Claude, Quatre présidents et l’Afrique : De Gaulle, Pompidou, Giscard d’Estaing, Mitterrand : quarante ans de politique africaine, Paris, Éditions du Seuil, 1995. D’ALMEIDA TOPOR Hélène, L’Afrique au XXe siècle, Armand Colin, 2003, 383 p. M’BOKOLO Elikia, L’Afrique Noire, histoire et civilisation, Tome 2, Hatier, 2004, 587 p. MICHEL Marc, Décolonisations et émergence du Tiers-Monde, Hachette , « Supérieur », 2005, 271 p. DROZ Bernard, Histoire de la décolonisation au XXe siècle, Seuil, Paris, 2006 (chapitre 5 sur l’Afrique Noire, p. 219-286). Documentation Photographique et diapos : DROZ Bernard, La Décolonisation, La Documentation photographique, n°8062, 2008. Revues : le n° spécial (302) d’octobre 2005, intitulé « La Colonisation en procès », regroupe des articles montrant « les ambivalences du rapport colonial » (Anne Hugon). La revue Hérodote, Tragédies africaines, n°111, quatrième trimestre 2003, offre des mises au point, notamment de Roland Pourtier, sur la décolonisation et les conflits. Les 6èmes Rendez-vous de l’histoire de Blois, en 2003, étaient consacrés à l’Afrique. Des comptes rendus (et parfois même des retranscriptions intégrales de débats comme celui « La colonisation est-elle responsable du sous-développement »), sont disponibles sur le site de l’académie d’Orléans-Tours : http://www.ac-orleans-tours.fr/rdv-histoire ou sur celui de l’académie de Toulouse, http://pedagogie.ac-toulouse.fr/histgeo/program/recher/blois03/blois03.htm Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO actuel : « Activités, consignes et productions des élèves : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 151 HC – La France et la construction européenne Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Bozo Frédéric, La Politique étrangère de la France depuis 1945, La Découverte, 1997, 128 p., coll. «Repères ». Dalloz Jacques, La France et le Monde depuis 1945, Armand Colin, 2002, 233 p., coll. «Cursus ». JUDT Tony, Après-guerre. Une histoire de l’Europe depuis 1945, 2007, Armand Colin (ouvrage de plus de 1 000 pages qui explore l’après-guerre européen dans toutes ses dimensions ; c’est un essai d’histoire totale, à la fois économique, sociale, culturelle, intellectuelle, politique, diplomatique, religieuse, démographique sous la forme d’un récit linéaire et qui insiste sur l’histoire de l’Allemagne). Bossuat Gérard, Les Fondateurs de l’Europe, Belin, 2001, 286 p. Bruneteau Bernard, Histoire de l’unification européenne, Armand Colin, 1996, 236 p., coll. «Prépas». Courty Guillaume, La Construction européenne, La Découverte, 2001, 128 p., coll. «Repères ». Gerbet Pierre, La Construction de l’Europe, Imprimerie nationale, 1999, 618 p. Documentation Photographique et diapos : Girault René, «L’Europe en chantier, 1945-1990 », La Documentation photographique, février 1990, n° 6105. Revues : « Good bye Yalta ! Du rideau de fer à la Grande Europe », L’Histoire, dossier spécial, n° 286, avril 2004. Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO futur 3e : « LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE JUSQU’AU DÉBUT DES ANNÉES 2000 La construction européenne débute dans les années 1950. La CEE s’élargit à de nouveaux États dès les années 1970. Le traité de Maastricht marque le passage de la Communauté Économique Européenne à l’Union européenne. Trois caractéristiques de la construction européenne servent de fil conducteur à l’étude : - L’ancrage à l’Ouest, - l’adhésion aux valeurs démocratiques, - l’intégration économique. Connaître et utiliser les repères suivants - Les traités de Rome : 1957 - Le traité de Maastricht : 1992 - L’euro : 2002 Raconter quelques étapes de la construction européenne en les situant dans le contexte international ». Activités, consignes et productions des élèves : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 152 HC – La télévision, des années 1950 à la fin des années 1980 Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : COHEN Evelyne, LEVY Marie-Françoise, (dir.), La télévision des Trente Glorieuses, culture et politique, CNRS éditions, 2007, 318 p. MISSIKA Jean-louis, WOLTON Dominique, La Folle du logis, la télévision dans les sociétés démocratiques, Gallimard, 1983, 338 p. Ressources pédagogiques CHAUVEAU Agnès, DEHÉE, Yannick (dir.), Dictionnaire de la Télévision française, Nouveau Monde Éditions , 2007, 558 p. Un ouvrage facile d’accès et abondamment illustré, avec des entrées thématiques, biographiques, et par titre d’émission. Site de l’Institut National de l’Audiovisuel : très riche, on y trouve toutes les émissions mythiques de la télévision française. http://www.ina.fr/ Les grilles de programme sont de bons supports de travail : on peut les trouver dans d’anciennes revues ou magazines. Documentation Photographique et diapos : Revues : Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Accompagnement Tle ST2S : « Le 13 mai 1968, les Shadoks, héros d’une nouvelle émission diffusée depuis le 27 avril, sont interdits d’antenne : « vous déchirez la France en deux », dit le directeur de l’ORTF (Office de radiodiffusion télévision française) à Pierre Schaeffer qui produit l’émission à la liberté de ton inhabituelle ; chaque jour en effet lui parviennent des milliers de lettres d’insulte, et des milliers de lettres de soutien. Le fait est révélateur de l’avènement de la télévision comme principal moyen de communication. » Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO Tle ST2S : « Mise au point dans l’entredeux-guerres, la télévision se diffuse progressivement durant les Trente Glorieuses, jusqu’à atteindre la quasi-totalité des foyers. Ce média est le symbole et le reflet des mutations technologiques, industrielles et politiques du pays. Il est un vecteur majeur de la culture de masse. » Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : Accompagnement Tle ST2S : « La RTF (Radiodiffusion Télévision Française), créée en 1949, diffusait à Paris quelques heures d’images par semaine. En 1952, la redevance recense dix mille récepteurs ; la télévision n’est encore selon l’expression de J-L Missika et D Wolton, que « de la radio filmée ». À la fin des années 1950, la diffusion ne couvre que la moitié du territoire national ; si bien qu’en 1953, et l’affaire fit scandale, les Alsaciens achetèrent des récepteurs au standard allemand pour pouvoir suivre les cérémonies du couronnement d’Elizabeth II. Le parlement vota alors un plan de cinq ans (1954-1959) pour étendre le réseau à tout le territoire. Les choses s’accélérèrent ensuite : trois millions et demi de postes en 1963 (mais douze et demi au Royaume-Uni). En 1964, la RTF devient l’ORTF et lance la « deuxième chaîne ». En 1968, on compte huit millions de récepteurs (deux tiers des foyers sont équipés) et la diffusion en couleurs commence. Cette même année le gouvernement autorise les annonceurs privés à faire de la « réclame » sur les deux chaînes publiques. La télévision touche désormais quelques vingtcinq millions de spectateurs, plus que la presse écrite ne compte de lecteurs, et devient le canal préféré (avec la radio) de la publicité. On entre alors dans l’âge de masse de la télévision, avec, par exemple, la retransmission en direct et en mondovision des premiers pas de l’homme sur la lune (1969). L’image envahit la société et change les habitudes culturelles. La maîtrise et le développement du nouveau moyen de communication montrent que le pays a La télévision, reflet des mutations de la France des années 1950 aux années 1980 – Les enjeux économiques liés à la télévision apparaissent dès que celle-ci commence à devenir un média de masse : afin d’équiper les ménages, il faut produire les récepteurs de manière industrielle et investir dans la recherche afin d’améliorer techniquement ces derniers. Les enjeux s’amplifient avec l’introduction de la publicité en 1968. Dans les années 1980, l’enjeu économique se déplace avec la naissance de chaînes commerciales ou privées. – Au fur et à mesure de sa diffusion dans les foyers, la télévision s’impose comme le premier vecteur de la culture de masse. Émissions de variétés, magazines, événements sportifs et feuilletons sont suivis par des millions de téléspectateurs. La place prise par la télévision dans la vie quotidienne 153 repris sa place dans le groupe des grandes puissances industrielles et technologiques (à l’exemple du Concorde pour l’aéronautique ou de l’accès au nucléaire…), en partie grâce à l’intervention continue de l’État. Le retard initial par rapport à nos voisins britanniques ou allemands s’explique par la faiblesse des moyens engagés et les réticences du monde politique, mais aussi, paradoxalement, par le choix d’un standard de haute définition (819 lignes et non 625 lignes), imposé par le gouvernement et par les ingénieurs, par protectionnisme et par fierté nationale, qui pénalisa l’usager en rendant les récepteurs plus chers. Se pose d’emblée la question de la tutelle de l’État sur l’audiovisuel. La télévision est, comme la radio, un service public dont l’État détient le monopole et qui a une mission à remplir : assurer au mieux, dans la démocratie française, la formation de l’opinion publique, à travers trois objectifs : informer, instruire, distraire. Le général de Gaulle voyait en elle un vecteur de culture, mais aussi un moyen de s’adresser directement aux Français et de faire contrepoids à la presse écrite, jugée trop hostile. Ainsi théoriquement indépendante du pouvoir politique, la télévision est en fait sous l’autorité du ministère de l’information ; même après l’adoption d’un nouveau statut et la création de l’ORTF en 1964, l’information reste sous la tutelle du ministère et surveillée de près par le Service de Liaisons Interministérielles pour l’Information (SLII), créé par Alain Peyrefitte. L’État joue donc le rôle de producteur d’information ou d’émissions défendant les choix du pouvoir (par exemple sur le nucléaire) et, le cas échéant, en 1968 par exemple, de censeur. Cette télévision d’État, en avance sur son époque dans les années 1950 (voir la série de La caméra explore le temps ou le magazine Cinq colonnes à la Une), apparaît vingt ans plus tard en décalage avec son public, notamment avec les jeunes, qui en attendaient davantage de distraction. Cette télévision de divertissement existe bien dans les années 1960, à travers des jeux comme La tête et les jambes ou Intervilles dont le succès est immédiat, mais n’est souvent pas jugée digne de considération par le pouvoir et par les professionnels. La réforme de 1974 remplace l’ORTF par plusieurs sociétés, dont trois chaînes de télévision concurrentes, avec un début de spécialisation de ce qu’on appelle bientôt le paysage audiovisuel. Mais elle réaffirme le monopole du service public : la France n’en finit pas, comme l’a fait par exemple la Grande-Bretagne dans les années 1950, avec la télévision d’État. La rupture a lieu dans les années 1980, avec l’autorisation des radios privées (1981), la création d’une chaîne à péage cryptée (Canal+, 1984), et en 1986, la privatisation de l’ancienne Première chaîne et la naissance de deux nouveaux réseaux commerciaux (la Cinq et TV6). Le paysage audio-visuel change alors très rapidement : à côté d’un secteur public toujours théoriquement chargé de former au mieux l’opinion (avec notamment une chaîne culturelle la Sept, future ARTE), les chaînes privées proposent toujours plus de divertissement et rivalisent pour capter l’audience, source de bénéfices publicitaires (on est passé de quelques minutes à plusieurs heures d’annonces par jour). La télévision est alors devenue, de très loin, le premier media, mais aussi le principal moyen d’accès à la culture, et enfin pour beaucoup le loisir dominant (et pour certains le seul). Se repose alors, mais dans un autre contexte, la question de son rôle dans la démocratie et de ses rapports avec le pouvoir. » des Français entraîne le recul d’autres activités culturelles, comme la lecture de la presse quotidienne. Pour de nombreux observateurs, la libéralisation de la diffusion télévisuelle et la concurrence qui s’est instaurée entre les chaînes, en particulier pour vendre des espaces publicitaires, sont responsables de la dégradation de la qualité des programmes. Selon eux, la logique économique a triomphé au détriment de la mission d’éducation, d’élévation du niveau culturel du pays, confiée initialement au service public de la télévision. – Dans un premier temps, la télévision est contrôlée par l’État (RTF puis ORTF) et par le gouvernement en place (tutelle du ministre de l’Information). Dans les années 1970 et surtout 1980, le contrôle étatique se desserre. En 1982, l’État renonce à son monopole de diffusion télévisuelle et, au sein des chaînes du service public, cherche à garantir l’indépendance de l’information politique. Devenue un média de masse, la télévision devient le lieu privilégié du débat politique. Elle contribue ainsi à la vie démocratique du pays. Toutefois, certains dénoncent l’appauvrissement de ce débat par la télévision qui réduirait la politique à un « spectacle ». Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 154 HC – Etre jeune dans la société française de la Libération à nos jours Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : GALLAND Olivier, Les Jeunes, La Découverte, « Repères », 2002, 124 p. Jean-François SIRINELLI, Les baby-boomers. Une génération 1945-1969, Paris, Fayard, 2003, 324 p. Anne-Marie Sohn, Age tendre et tête de bois, Paris, Hachette, 2001. Ralph Schor, Histoire de la société française au XXe siècle, Belin Sup histoire, 2005, 479 pages Antoine Prost, Education, société et politique. Une histoire de l’enseignement de 1945 à nos jours, 1997 Documentation Photographique et diapos : Revues : numéros hors série de la revue L’Histoire (« Les belles années 1960 », février 1998 ; « La révolution sexuelle », juin 1999). Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO actuel : « Accompagnement Tle STG : « Il s’agit, à travers l’étude d’un groupe social défini par l’âge et l’appartenance à une même génération, d’analyser les évolutions de la société depuis 1945 jusqu’à nos jours. On s’appuiera sur des exemples français sans s’interdire de faire des rapprochements avec des pays étrangers notamment les Etats-Unis et la GrandeBretagne dont partirent beaucoup de phénomènes qui influencèrent la jeunesse française. On mettra d’abord en évidence les mécanismes démographiques favorisés par une politique nataliste. L’État providence (grâce aux allocations familiales, aux crèches, à l’école maternelle, sans oublier la Sécurité Sociale) favorise la forte natalité jusqu’au début des années 1960. Le baby-boom qui en résulte a été un facteur important pour alimenter la croissance par l’extension du marché intérieur. Il donne un poids important à une classe d’âge située entre l’adolescence et l’âge adulte, selon des frontières qui restent floues (l’entrée dans le monde du travail ne signifie plus la sortie de la jeunesse au point que l’on parle de « jeunes adultes »). Mais le phénomène majeur pour comprendre l’émergence de ce groupe est lié à la démocratisation de l’enseignement secondaire et, partant, l’allongement de la scolarité. On passe progressivement, en l’espace d’une génération, d’une époque où les jeunes quittaient l’école majoritairement à 14 ans à celle où la scolarité se poursuit souvent au-delà de 18 ans. Cette évolution résulte de l’enrichissement global de la société pendant les Trente Glorieuses au cours desquelles la hausse des revenus des classes populaires (ouvriers, employés et paysans) ne rend plus nécessaire le travail des enfants pour boucler les fins de mois. Le processus se poursuit malgré le ralentissement de la croissance à partir des années 1970. Entrant dans la vie active de plus en plus tard (et à partir des années 1980 de plus en plus difficilement à cause du chômage), les jeunes disposent cependant de disponibilités financières croissantes (argent de poche) qui en font des consommateurs de produits culturels spécifiques : musiques (du rock-and-roll au rap en passant par la pop), cinéma, presse jeune (Salut les Copains), télévision et jeux vidéos. On assiste ainsi à l’émergence d’une culture jeune, expression qui évoque des références et des pratiques communes, un sentiment d’appartenance au même groupe mais ne doit pas masquer les différenciations sociales et sexuelles garçons-filles qui continuent à traverser la jeunesse. » Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : Jean-François SIRINELLI, Les baby-boomers. Une génération 1945-1969, Paris, Fayard, 2003, 324 p. Qu'est-ce que la jeunesse ? Pour renforcer la définition, voir aussi 155 En 1968, un tiers des Français ont moins de vingt ans. Cette génération est, en effet, contemporaine des Trente Glorieuses et des profondes transformations qui ont affecté la société française. Ses membres ont connu l’irruption de la société de consommation, celle de la culture de masse, l’urbanisation, le développement des technologies de communication. Ils sont tout à la fois le produit et le reflet de ces mutations et leur socialisation politique et culturelle s’est effectuée dans un monde où les jeux d’échelle étaient en train de se modifier à une vitesse et avec une intensité sans précédent. On comprend, à travers le portrait de cette génération confrontée à son histoire, l’irruption de la contestation de 1968 qui aboutira à accorder les cadres sociaux et politiques de la société avec cette nouvelle donne sociologique, et le rôle ambigu que les baby-boomers jouent dans la société contemporaine. L'ouvrage de Jean-François Sirinelli se garde bien de s'aventurer sur les pentes savonneuses de l'ego-histoire. Si le livre est dédié à sa mère "qui donna le jour à trois baby-boomers", il ne précise nullement s'il était l'un d'entre eux. Et pourtant, il émane de ce livre un relent de quête de la respectabilité qui a incité bien des soixante-huitards (le terme n'est pas employé) à prendre leurs distances par rapport à l'aventure de leurs jeunes années, un courant particulièrement répandu en Allemagne, par exemple. La chute du Mur de Berlin est passée par là avec la démonétisation, dans la foulée, de la gauche, y compris non communiste. La violence, elle aussi, est gommée, non seulement celle de cette jeunesse qui, dans le culte des idoles yé-yé, cassait des sièges à nombre de concerts (seul est mentionné celui de la place de la Nation), mais aussi celle de l'OAS ou celle d'un pouvoir qui n'effaçait que trop lentement les multiples mesures répressives qu'il avait mises en place pendant la guerre d'Algérie : la société en était littéralement corsettée et c'est bien de ce carcan qu'il s'agissait de se libérer. La révision qui s'est produite depuis lors autour de la personne du général De Gaulle a effacé, semble-t-il, tous ses aspects paternalistes et autoritaires. Mais la délimitation qu'opère Jean-François Sirinelli d'une génération spécifique, baptisée essentiellement par les médias, incite à regretter l'absence d'orthodoxie mannheimienne. Il s'efforce, non sans mal, de repérer une coupure nette, fondée sur des données démographiques, entre les derniers-nés de la génération de la guerre d'Algérie et les baby-boomers, entre les mentors et les "piétons" de mai. C'est pourquoi il adopte 1965 comme année charnière, plutôt que 1962 et la signature des accords d'Evian : la militance connaît alors une période de latence avec l'avènement de l'indépendance algérienne et l'antifascisme hérité de la Seconde guerre mondiale cède progressivement la place à l'anti-impérialisme. Il n'empêche, le slogan "CRS-SS" scandé en 1968 plonge encore ses racines dans la glorification de la Résistance qui avait animé la génération "algérienne" et continuera à peser durablement sur la vie politique française : on assiste là à un enchevêtrement de temporalités mémorielles. La synthèse entre histoire culturelle et histoire politique ne va pas de soi. Cette dernière reste, chez Jean-François Sirinelli, plutôt traditionnelle, ce qui l'amène à considérer la participation de 85% des inscrits à l'élection présidentielle de 1965 comme un indice d'acceptation des institutions de la Ve République, hypothèse qui mériterait pour le moins d'être nuancée, la constitution ayant fait l'objet depuis lors de multiples remaniements. En outre, mesurer la mobilisation politique aux résultats électoraux, voire au nombre de membres des groupuscules n'informe nullement sur la diffusion possible d'une volonté d'émancipation. En effet, pour en revenir à ce que j'appelais l'orthodoxie mannheimienne, il me semble qu'il conviendrait, sans nécessairement opposer Paris et la province, la jeunesse des Ecoles et celle des ateliers et des champs, de distinguer plus nettement les unités de génération, c'est-à-dire de considérer comme déterminante celle qui, parmi les baby-boomers - si l'on accepte les conventions de JeanFrançois Sirinelli - a marqué de son empreinte "les années 1968" : le phénomène groupusculaire prendra chez elle une ampleur qu'il n'avait nullement connue auparavant. Peut-être le deuxième volume annoncé en rendra-t-il davantage compte. Ma dernière remarque portera sur un détail de socialisation pour lequel, également, des nuances pourraient être apportées dans le temps et dans l'espace, si je peux me fier à mes propres souvenirs. Ainsi les bals, réputés à juste titre pour avoir joué un rôle décisif dans les stratégies matrimoniales. Ceux de la Provence des années 1960, réunissant des jeunes hors de la tutelle des adultes, n'avaient rien à voir avec les fêtes champêtres de l'Alsace de mon enfance - et peut-être encore de la même époque - et s'apparentaient bien davantage à la Galland pages 49 et 50 et sa conclusion. Schor page 275. La jeunesse peut se définir comme une étape dans la vie bornée par la rupture progressive avec l'intégration dans la famille d'origine et l'intégration dans le monde des adultes. L'existence du groupe suppose une sortie de l'enfance, un dépassement du groupe familial dans son autorité, ses valeurs, les comportements qu'elle désigne ou impose…Cette sortie de la famille s'opère notamment par la scolarisation dans le second cycle et le supérieur et le gain d'une relative autonomie. Les jeunes accèdent notamment à une culture en dehors de la famille, et qui affaiblit l'emprise de celle-ci. D'autres critères sont pertinents pour délimiter une sortie de la jeunesse par une intégration dans le monde des adultes : fin des études, logement personnel, vie en couple, premier emploi, avoir un enfant. Tous ces critères se conjuguent et évoluent avec le temps. Galland parle d'une période d'entrée dans la vie adulte. Mais au-delà de cette définition par une période de la vie, l'existence de la jeunesse suppose une constitution en tant que groupe séparé et identifiable, une sociabilité jeune et même une prise de conscience de son existence. Borne dit : "Disposant, avant l'arrivée à l'âge adulte, d'un temps d'adolescence beaucoup plus long… les jeunes se constituent en groupe générationnel séparé".. Voir Borne page 44 pour cette définition. Avec ses bornes de la jeunesse, on s'approche d'une tranche d'âge plus ou moins précise : celle de 14 à 24 ans est au cœur du groupe. Mais les marges restent très floues et diverses selon les individus. Ainsi, le jeune qui travaille, à partir de 16 ans dans une entreprise peut abandonner assez vite les références, les valeurs de la jeunesse pour les remplacer par celles des adultes. On peut quitter le groupe par rupture avec sa culture propre. Cette définition est compliquée encore par le fait que la culture jeune évolue avec le temps, y compris sur la période que nous étudions. Une des questions est de savoir jusqu'où la construction de cette catégorie dépasse ou efface les autres catégories qui traversent la jeunesse : classes sociales, familles, des idéologies… La constitution de la jeunesse en groupe social a une histoire qui dépasse la période étudiée même si cette période en constitue une étape déterminante. Galland dit que la classe d'âge juvénile se constitue en 4 temps. (Page 46) avant lesquelles ont passe sans réelle transition de l'enfance au monde des adultes. Première étape : Découverte et reconnaissance de l'enfance par les familles 156 "soirée en boite". Jean-François Sirinelli a le goût de la formule. Nul doute que nombre d'entre elles feront mouche dans les écrits des jeunes chercheurs. Mais décidément les baby-boomers font trop figure chez lui de gentils petits un peu turbulents. Peut-être auront-ils davantage de nerf dans le deuxième volume. Trois temps : 1. La montée de la jeunesse, Années 1950 et 1960 2. Une jeunesse contestataire, Années 1960 au milieu des années 1970 3. Evolution du groupe, Milieu des années 1970 à nos jours 1. Les jeunes Montée du groupe par le nombre. La part des 14-25 ans de moins de 14% à plus de 16% de la population. Documents statistiques. Montée du groupe par l'allongement et la démocratisation de la scolarisation. Les effectifs de lycéens passent de 156 000 en 1950 à 848 000 en 1970. Ceux des étudiants, de 140 000 à 637 000 sur la même période. Retard de l'entrée sur le marché de l'emploi. Documents statistiques. Les valeurs, les comportements, la sociabilité, la culture jeunes se mettent en place et se démarquent. Documents iconographiques et textuels sur la culture jeune : SLC, Edgar Morin… Prise de conscience et autonomisation du groupe. La société et le groupe luimême prennent conscience de l'existence des jeunes. Documents : textes de journalistes et sociologues. Contexte Baby boom sur fond de politique nataliste et mentalités. Etat-providence, rôle de la SS… Etat-providence et encadrement de la jeunesse. Trente Glorieuses et capacité économique à faire face à la demande d'éducation. Société de consommation et meilleur niveau de vie. Equipement. Développement des médias. Influence du modèle américain et anglais. Diversité du groupe Des jeunes accèdent tôt au travail. Au début des années 1950, un tiers des garçons est déjà au travail à 14 ans. Mais la loi Berthoin de 1959 tend à faire passer par le temps de la jeunesse les futurs ouvriers ou paysans. L'école révèle de profondes inégalités sociales. Années 60 : Les enfants d'ouvriers ne représentent que 10% du nombre des étudiants alors que les ouvriers représentent 37% de la population active. Mais la montée d'une culture jeune tend à réduire dans ce groupe, les différences sociales voire entre sexes. bourgeoises à partir du XVIII° siècle et promotion de l'idée moderne d'éducation qui se met notamment en place au XIX. Seconde étape : Au XX par les tentatives, notamment celles de la bourgeoisie éclairée, de structurer et encadrer enfants et jeunes des classes populaires, dans des mouvements éducatifs qui dépassent et prolongent l'école (Exemple des organisations catholiques des années entre les deux guerres). Naît ainsi une première sociabilité adolescente. Voir aussi Sirinelli page 34 et suivantes. Dans un troisième temps, l'Etat entre en jeu dans cette volonté d'encadrement avec notamment le Front Populaire (Soussécrétariat chargé des Sports et des Loisirs) et Vichy "pour la mettre en condition par de saines expériences collectives" (Paxton). Vichy qui crée les inspecteurs généraux de la jeunesse. . La Libération reprend la préoccupation d'encadrement dans un esprit pluraliste (secrétariat d'Etat à l'enseignement technique, à la Jeunesse et aux Sports, en 1950). Le quatrième temps est celui de notre programme, celui de l'explosion scolaire de l'après Seconde Guerre mondiale. Avec l'affirmation d'une culture, d'une sociabilité adolescentes véritablement autonomes. Et le débordement par un fait juvénile dans les années 1960. Le groupe se forme aussi dans les événements de 1968. "La société française a accouché de sa jeunesse dans les cris et la fureur", dit Galland. Débordement provisoire il est vrai car la société a su dépasser cet antagonisme en faisant droit aux revendications d'autonomie de la classe d'âge juvénile. La jeunesse révoltée semble avoir laissé place, ensuite, à une jeunesse assagie, soucieuse de s'intégrer dans les structures traditionnelles du travail et de la famille. Une problématique ? Comment se constitue et évolue le groupe "jeunes" ? 2. Les jeunes L'héritage d'encadrement de la jeunesse contesté. Opposition aux valeurs héritées et contestation ou appropriation des cadres hérités…Exemple de l'UNEF. Document : chanson d'Antoine. Mai 1968, le temps fort de la contestation. Réajustement des valeurs. Un document sur mai 1968. Les impacts de la contestation. Place citoyenne des jeunes renforcée avec notamment l'abaissement de l'âge de la majorité … Contexte Culture héritée : culture élitaire ou populaire, valeurs traditionnelles. Force du pouvoir politique gaulliste. Situation internationale. Fordisme dans les entreprises et entrée du monde ouvrier dans le mouvement. Législation sur la contraception. La montée des organisations féminines où peuvent d'exprimer les jeunes femmes. 157 3. Les jeunes Allongement de la période de jeunesse par recul des seuils d'entrée dans le monde adulte : fin des études, premier emploi et indépendance économique, logement indépendant, vie en couple, premier enfant. Document : graphique de Galland. Evolution de la culture jeune. Sorties, sport, TV, jeux d'écran, musique, discussions avec les copains, amélioration des relations familiales, recul du religieux… Document sur pratiques culturelles : chat, blog… Prises de position socio-politique plus ponctuelles. Manifestations violentes dans les "quartiers"… Opposition par les modes d'expression artistique : rap, graf, tag. Document : extrait d'une chanson de Diam's. Montée de la délinquance juvénile. La part des jeunes dans les auteurs d'infractions passe de 14% (Moyenne 1970 à 1994) à 21% en 2001. Contexte Crise économique et montée du chômage. Montée de la précarité. Mais niveau de vie des parents globalement maintenu voire en progression. La pauvreté glisse vers les jeunes. Travailleurs pauvres. Progression de l'offre scolaire. 80% d'une classe d'âge au bac… Evolution des technologies de la communication. Société de consommation se poursuit. Construction de l'Europe et mondialisation et ouverture des échanges à des échelles nouvelles. Jeunisme et jeunes comme modèles. Vieillissement de la population et des baby boomers en particulier. Diversification du groupe : de la jeunesse aux jeunes…. Renforcement de la ségrégation spatiale et notamment dans les types de banlieues. Réduction des inégalités face à l'école mais ZEP. Place particulière des immigrés dans la société. Accès inégal aux nouveaux supports culturels. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 158 HC – L’émancipation des femmes en France (années 1960 et 1970) Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Peut-être faut-il situer la rupture chronologique en ce qui concerne les relations sociales de sexe dans les années 1960. Des questions surgissent alors. Mutations / révolution ? Une contestation radicale du pouvoir masculin fait-elle rupture à partir de 1968-1970 ? Les transformations privées (mais le privé est politique…), sociales et économiques à partir des années 1960 sont-elles si radicales que les femmes « auraient tout », que garçons adolescents, jeunes adultes et hommes rencontreraient une grave crise d’identité ? Sont-elles en voie de dissoudre la hiérarchie ? L’égalité est-elle inachevée au contraire ? Des inégalités se recomposent-elles, comme en témoigne la persistance du monopole masculin du pouvoir politique, les inégalités de salaires, les plafonds de verre fermant l’accès aux postes de décision ? Les violences sont-elles plus visibles ? Moins acceptables ? Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Cf primaire Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Annie GOLDMANN, Les Combats des femmes, Castermann-Giunti, 1996. Documentation Photographique et diapos : Revues : Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO actuel : « Activités, consignes et productions des élèves : Rappel : Les années 1950 : un préambule Les électrices neutralisées Considéré avec paternalisme, inquiétude ou ironie lors de leur premier suffrage (la charge du Canard enchaîné est violente), le droit de vote des femmes ne fait guère événement : en tous cas il ne marque pas véritablement une entrée des femmes dans la vie politique. On doit, certes, tenir compte de leur vote, mais leur poids à l’Assemblée est insignifiant : moins de 6% de députées en 1946, 1,7% en 1962 : c’est un des taux de représentation les plus bas du monde. Le vote est effectivement (comme le prévoyaient certains) un peu plus conservateur que le vote masculin. Leur présence au gouvernement est exceptionnelle. Le féminisme est dans le creux de la vague. La fée du logis est une mère du baby boom Le général de Gaulle avait appelé à faire douze millions de beaux bébés, en dix ans : il en eut huit et demi. Cette explosion de naissances (dans des familles de deux, trois ou quatre enfants) est exceptionnelle en Occident malgré une relance générale. L’État-providence devient partiellement pourvoyeur de la famille et assume une partie des fonctions paternelles, la politique familiale prenant une nouvelle ampleur . Le baby boom a donc été favorisé par l’extension et la revalorisation des allocations familiales, la protection de la maternité, l’allocation de salaire unique… Peut-être, par ailleurs, l’intériorisation des longues campagnes natalistes antérieures s’exprime-t-elle à l’occasion de l’optimisme de l’après-guerre ? Peut-être y-a-t-il effet à long terme du maternalisme qui fut longtemps un argument justificatif de la revendication du droit de vote des femmes ? Cependant, si les conditions médicales s’améliorent beaucoup, élever des enfants au début des Trente Glorieuses est dur pour le plus grand nombre La MYSTIQUE FEMININE, FEMME MYTHIFIEE, FEMME MYSTIFIEE Betty Friedan et le tournant des années 60 Au retour des soldats démobilisés, à partir de 1945, une propagande se développe aux Etats-Unis pour que les femmes, armée de réserve du travail, retrouvent « leur vraie place». Les Américaines sont ainsi nombreuses, après la guerre, à rentrer à la maison, où elles ont «tout» pour être heureuses : l'argent du mari, les enfants et l'équipement ménager. C'est dans le rôle de «fée du logis» que doit désormais s'épanouir la «vraie» femme. Cependant, Betty Friedan, ancienne journaliste, née en 1921, ménagère ellemême et mère de trois enfants, prend conscience, vers 1959, qu'elle éprouve, dans cette situation, un malaise sans nom, indéfinissable, partagé par un nombre incalculable d’Américaines qui se sentent vides, incomplètes, fatiguées, sans existence propre ni identité... Betty Friedan analyse le conditionnement 159 vulgarisation massive des savoirs sur l’éducation exerce, de plus, une lourde pression sur des mères que l’on culpabiliserait volontiers. La publicité pour les équipements ménagers conditionne encore plus les femmes, crée des besoins à satisfaire mais surtout ancre la fonction maternelle et les besognes du foyer comme une obligation féminine évidente. En fait l’hostilité au travail des femmes à l’extérieur du foyer se maintient dans les représentations et dans tout un imaginaire social alimenté également par le cinéma. Les sondages d’opinion font encore apparaître le travail féminin (dont le taux est stable ou en léger tassement jusque vers 1960) comme un danger pour la famille et la société, tandis que la crise du logement n’a pas rendu tout à fait féérique l’accès à la consommation. Et les bébés n’arrivent pas toujours au moment souhaité alors que ne sont pas abolies les lois de 1920 et 1923. Des analyses critiques Des textes fondateurs paraissent qui vont marquer l’émergence d’un nouveau féminisme quelques années plus tard : ces critiques, pour le moment intellectuelles, de la situation des femmes préparent le terrain. Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir (1949) est une véritable somme des faits historiques, des mythes et de l’expérience vécue (sans exclure la sexualité) qui conditionnent et déterminent la vie des femmes. « On ne naît pas femme, on le devient… » Il suscite un scandale sans égal et une très violente polémique qui mobilise des intellectuels renommés dont beaucoup, aussi bien de la droite traditionnelle que du parti communiste se montrent extrêmement agressifs vis-à-vis de l’auteure. Le livre pose le débat sur la définition du politique. D’autres parutions, presque simultanées, renforcent la réflexion : Une chambre à soi de Virginia Woolf traduit en 1951 par Clara Malraux, des ouvrages de sociologues (Andrée Michel, Evelyne Sullerot)… Les interrogations sur la créativité féminine, le rôle de la presse, le travail, la « condition des femmes » sont ouvertes. Il tombe alors un brulôt, venu des Etats-Unis (1963) et immédiatement traduit (par Yvette Roudy, en 1964) : La femme mystifiée (Betty Friedan) le livre sur les femmes le plus vendu dans le monde, qui entre en résonance avec l’expérience quotidienne des lectrices, mystifiées par une technologie qui entraîne et asservit à une surenchère de tâches ménagères. Déjà est commencée une action qui va relancer le féminisme, avec un nouvel objectif, l’autonomie individuelle des femmes : le combat pour le contrôle des naissances. Le tournant des années 1960 ouvre sur des changements sans précédent pour les femmes en Occident. Les jeunes générations prennent difficilement conscience des enjeux, étant un peu submergées par le foisonnement d’opinions, de faits et de mouvements de l’histoire proche aussi éloignée pour eux que la IIIe République. Ce qui leur a été donné fait partie de l’évidence. On ne peut se contenter de fournir quelques dates repères : indispensables, celles-ci n’accordent aucune épaisseur aux mutations s’il n’y a pas réflexion sur la simultanéité des changements intervenus dans le rapport à la reproduction et à la sexualité, dans le travail et la vie économique, dans les capacités juridiques, dans le combat politique. En tout état de cause, la principale révolution culturelle et sociale du XXe siècle est l’émancipation des femmes, qu’on ne peut expliquer par la seule « modernité » : les luttes de la deuxième vague féministe n’y sont pas étrangères. Et, par ailleurs, on ne peut faire l’économie d’une prise de conscience de l’incomplétude, de la fragilité des acquis et des régressions qui font partie de toute évolution. La maîtrise de la reproduction Pour les femmes, maîtriser les naissances, disposer de son corps (« Notre corps, nous-mêmes ») permet de ne plus subir un destin mais de décider de leurs enfants et de leur famille, de dissocier sexualité et reproduction. Il y a un « avant » et un « après les années » 1960-70. Avant ? Les vies amoureuses les plus légitimes et les plus conjugales possibles sont hantées par la crainte de la grossesse non voulue, scandées par les avortements clandestins et dramatiques avec la menace du tribunal comme toile de fond ; le contrôle des parents, des voisins sur les jeunes filles porteuses de « l’honneur » de la famille. La France catholique est toujours sous le coup de la loi de 1920 punissant l’évocation même de la contraception. En quelques années, tout cela disparaît, s’efface en laissant si peu de traces que la mémoire ne s’en est pas transmise aux nouvelles générations. Beaucoup de pays subi, les pressions psychologiques et économiques, la force des médias et de la publicité qui se conjuguent pour exalter le foyer, imposer une image féminine réductrice, fermée à tout ce qui n'est pas la maison ou la séduction. Elle estime qu'il y a régression par rapport au dynamisme manifesté par les femmes américaines dans la période antérieure (XXe siècle, jusqu'en 1945). La ménagère est la reine dérisoire d'un foyer où la consommation est un devoir, mais où l'équipement ne diminue pas les tâches domestiques, au contraire. Il faut, en effet, justifier son temps et sa fonction... L'auteure dénonce le rôle répressif de la psychanalyse et de certaines sciences sociales qui ne s'interrogent que sur les moyens d'adapter à une fonction mais ne mettent pas celle-ci en question. La «mystique féminine» est un piège redoutable qui semble n'offrir aux femmes que deux possibilités : être une ménagère frustrée ou une femme active sans vie de famille ni de couple. Le livre de Betty Friedan, «The feminine mystique» paraît en 1963 ; il est traduit en français par Yvette Roudy en 1964, sous le titre «La femme mystifiée». On peut le considérer, après «Une chambre à soi» de Virginia Woolf et le «Deuxième sexe» de Simone de Beauvoir comme un des textes fondateurs et fondamentaux du féminisme. Moins littéraire que le premier, moins philosophique et référencé que le second, il a su toucher un très large public dans les pays occidentaux, (c'est le livre sur les femmes le plus vendu dans le monde), par la mise en forme d'un grand nombre de cas et le récit vivant d'une expérience générale. Son succès est immédiat en France : malgré le décalage chronologique en matière d'équipement ménager, l'effet de guerre avait été le même... Et les femmes françaises n'ont pas plus été libérées par Moulinex, dont le slogan est apparu en 1962, que les femmes américaines. Betty Friedan invite les femmes à manifester un égoïsme sain et à s'accomplir par un travail qui leur donne une identité propre. Elle fait remarquer que, quand elle a d'autres centres d'intérêt, une femme peut faire en une heure ce qu'une femme au foyer fait en six heures. Quelques slogans féministes des années 70 Il y a plus inconnu que le soldat inconnu : sa femme Un homme sur deux est une femme. L'homme est le passé des femmes. Travailleurs de tous les pays, qui lave vos chaussettes ? Le personnel est politique. Un enfant, si je veux, quand je veux, comme 160 occidentaux disposaient déjà de centres d’informations sur les moyens contraceptifs. En 1956, un groupe de médecins et de journalistes commence à parler en France du drame des grossesses non désirées (350 000 avortements par an ?). « Maternité Heureuse » (dont le nom même frôle le sacrilège, laissant apercevoir qu’elle peut ne pas l’être…), fondée cette année-là, devient le « Mouvement français pour le planning familial » en 1960. Il joue un rôle d’information et facilite l’entrée illégale de produits contraceptifs en provenance de l’étranger. En 1967, la discussion de la loi Neuwirth destinée à permettre la prescription de la pilule (inventée par Pincus et commercialisée aux États-Unis dès 1960) donne lieu à ces mémorables débats que savent toujours tenir des députés français quand il s’agit des droits des femmes. « Les hommes perdront la fière conscience de leur virilité et les femmes ne seront plus qu’un objet de volupté stérile » (le député Coumaros). Finalement adoptée grâce à la gauche, (les décrets d’application seront pris en 1972…), elle est suivie d’une vigoureuse et spectaculaire campagne pour la liberté de l’avortement impulsée par une association plus radicale, le « Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception » (MLAC) qui pratique ouvertement des IVG et assure des « voyages à l’étranger ». Il a l’appui d’intellectuelles et d’artistes. Le procès de Bobigny (Gisèle Halimi) et le manifeste des 343 (femmes connues qui déclarent avoir avorté) en sont les épisodes les plus connus. En 1975, Simone Veil obtient du Parlement une loi provisoire autorisant dans certaines conditions, l’interruption volontaire de grossesse. La loi est confirmée en 1979. A la fin des années 1980, une Française sur deux en âge de procréer utilise la pilule ou le stérilet. L’information n’est pas assez diffusée, quelques craintes ou réticences se formulent (en dehors des interdits catholiques) sur la nocivité éventuelle ou la contrainte quotidienne, les oublis existent et expliquent l’attachement au droit à l’IVG qui a suscité un long débat public qui n’est pas encore éteint : les relations de couple sont néanmoins radicalement changées. La courbe de nuptialité baisse à partir des années 1970, la cohabitation juvénile s’étend rapidement. Une nouvelle forme de couple cherche ses repères, plus exigeant et souvent plus précaire. La loi libéralisant le divorce accompagne cette évolution en 1975. La « faute » n’est plus nécessaire, le consentement mutuel est possible. je veux SIMONE VEIL : DISCOURS DE 1974 Projet de loi autorisant dans certaines conditions l'interruption volontaire de grossesse (26 novembre 1974). L’intégration massive au marché du travail De 1945 à 1960, l’État poursuit une politique qui privilégie la natalité par rapport à l’activité. Les débats sociaux portent sur la protection spécifique de la travailleuse et peu nombreux sont ceux qui soulignent les limites au-delà desquelles l’embauche sera découragée par tant de spécificité. L’intégration croissante des femmes au marché du travail marque les années 1960 (facilitée par la prospérité des Trente Glorieuses) et les décennies suivantes. Leur taux d’activité ne cesse d’augmenter depuis ce tournant. La technologie ménagère qui peut mystifier les femmes (en les culpabilisant de ne jamais assez bien faire) peut aussi permettre de rendre envisageable la double journée qui permettra l’équipement du ménage, la consommation… et l’autonomie financière. C’est un moyen d’échapper à l’étouffement domestique. Au départ, le développement rapide de la production et des services a rendu nécessaire cet appel à la réserve que constituent les femmes : elles deviennent surtout salariées du tertiaire. Entre 1968 et 1973, le tertiaire assure 83% des créations d’emplois et ceux-ci sont occupés à 60% par des femmes. Un quart de siècle de crise de l’emploi ne parvient pas à arrêter la montée inéluctable de l’activité féminine, véritable vague de fond qui submerge le barrage des nostalgies traditionalistes. Elles sont environ 12 millions, à la fin du siècle, 46% de la population active. Le travail à l’extérieur est devenu la quasi norme, les femmes au foyer presque exceptionnelles, même si elles sont un peu plus nombreuses dans les classes supérieures et dans les milieux les plus défavorisés. En 1960, plus de 60% des femmes de 20 à 59 ans vivant en couple étaient « inactives » ; elles sont moins de 30% en 1999. De 1965 à 1983, la revendication d’égalité est au premier plan et des ajustements dans ce sens se font ; en 1965, les femmes obtiennent le droit de travailler sans l’autorisation de leur mari et celui de gérer leurs biens. En 1983, Y. Roudy fait passer une loi sur l’égalité professionnelle interdisant toute discrimination (embauche, qualification, classification, promotion…). Mais l’application laisse souvent à désirer. Mais, à partir de 1983, la crise fait adopter des mesures qui fragilisent les femmes sur le marché de l’emploi peu qualifié et les marginalise. L’encouragement au 161 temps partiel, en pointillé, vise les femmes, au nom de la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle : 85% de ces emplois sont occupés par des femmes qui, pour la plupart, souhaitent un temps complet. Les emplois précaires, les horaires atypiques, le surchômage (chez les jeunes notamment) sont des problèmes encore plus marqués au féminin. Les écarts de salaires se maintiennent (25% en moyenne ?). 80% des travailleurs pauvres (moins du SMIC) sont des femmes. L’allocation parentale d’éducation, alternative à un faible salaire, les écarte durablement d’un marché difficile où il est presque impossible de rentrer après interruption À d’autres niveaux, on peut noter que 66% des postes de cadres sont occupés par des hommes, et que les écarts de salaires entre dirigeants d’entreprises et dirigeantes est de 30%… La légitimation du travail féminin n’est pas encore consolidée, les inégalités reconstituées restent importantes malgré deux lois en vingt ans (Roudy en 1983, Génisson en 2001). La prise de certains bastions masculins Au sommet de l’échelle sociale, en revanche, les femmes sont devenues visibles dans la vie publique et économique. Dès 1965, elles sont aussi nombreuses que les garçons à passer le baccalauréat et elles entrent nombreuses à l’Université. Les principales formations d’excellence s’ouvrent au début des années 1970 (1972 : Polytechnique) et, à doses infinitésimales, les carrières prestigieuses et les grandes institutions (ambassades, préfectures, Inspection des Finances, Collège de France et enfin l’Académie Française en 1980). Les exceptions sont-elles suffisantes pour amorcer un changement de la règle ? La fin de la loi du père Depuis 1965, les femmes n’étaient plus considérées comme mineures. A partir de 1970, une batterie de lois établit la coresponsabilité parentale et l’égalité dans la famille : ainsi s’efface, en principe, la notion de chef de famille. Toute référence au sexe des conjoints disparaît dans les dispositions en faveur des familles. Femmes, politique et féminismes Aucune des transformations énumérées n’est la conséquence automatique des progrès économiques, scientifiques, ou techniques. Elles résultent aussi d’une constante pression individuelle ou collective des femmes et des féminismes. Pluriels, foisonnants d’associations, de publications, d’initiatives… et de divergences. Le féminisme de la première vague, essoufflé, se prolonge dans les partis, les assemblées, l’administration. Sous l’égide de l’État et de l’Europe, un féminisme institutionnel recherche un ajustement des droits entre les sexes. En France, depuis 1974, il existe un secrétariat d’État ou un ministère (dont l’intitulé est passé de « Condition féminine » à « Droits des femmes ») chargé de ces questions. Mais la recherche d’égalité (juridique, économique…) est contrée par les nostalgies traditionalistes coïncidant avec la recherche de solutions miracles contre le chômage (cf. ci-dessus). Une seconde vague apparaît dans les années 1960-1980 (« les années Mouvement » de la libération des femmes ). Elle « s’attache bien davantage à l’autonomie du sujet-femme, dans ses choix existentiels de tous ordres, professionnels et amoureux, dans un contexte scientifique renouvelé, notamment quant à la reproduction humaine. Temps de « révolution sexuelle » au double sens du terme : relations entre les sexes et pratique de la sexualité. […] On peut enfin envisager de dissoudre la hiérarchie du masculin et du féminin qui organisait l’ordre symbolique du monde. » (Michelle Perrot) Le mouvement de libération des femmes a occupé le devant de la scène dans les années 70. Apparu à la fin des années 60, il procède des mouvements étudiants de Mai 1968, et fait partie du séisme de société de cette période. Il résulte, en partie, de ruptures survenues dans les mouvements gauchistes. Les étudiantes, devenues aussi nombreuses que les garçons en 1965, font leur première expérience des discriminations en subissant la division sexuelle du travail militant. Les mouvements d’extrême gauche étant, par ailleurs, aveuglés par la perception des revendications féministes comme « bourgeoises ». Cet aveuglement a, on le sait, une longue histoire. Le sigle même de MLF veut, par ailleurs, faire référence aux mouvements de libération nationale. Ces nouveaux groupes ne revendiquent aucune affiliation, ils affichent leur rupture avec les associations antérieures, ils se veulent anti-autoritaires, inventifs, capables d’humour et d’autodérision. Les 162 premières manifestations ont lieu à partir de 1970 (dépôt de gerbe à la femme du soldat inconnu). Elles tournent en dérision les invectives injurieuses reçues y compris de la part des militants de gauche et leurs inventions ludiques et exubérantes, autour des grandes questions de liberté des femmes mobilisent tout un capital de sympathie. C’est la libre disposition du corps qui est au centre du mouvement « Un enfant si je veux, quand je veux, comme je veux ». C’est alors que se multiplient les revues, les journaux, éditions, films… et certaines divergences (égalité/différence). Il est plus important de noter la forte perméabilité de nombreuses femmes à beaucoup de ces idées qui pénètrent (un peu) les partis et, (avec difficulté), les syndicats. Les magazines féminins sont eux-mêmes obligés de s’interroger, et, pour certains, de faire quelque place aux débats mis dans la rue avec tant de verve : l’audience potentielle ne pouvait être négligée… L’orientation majoritaire du féminisme français qui s’est voulu autonome par rapport aux partis explique en partie peut-être que les partis et le pouvoir politique restent un domaine viril. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Rappeler que leur participation à la Résistance justifie l’obtention du droit de vote en 1945. Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 163