De l`aventurier au Prince. Le retour de Napoléon pendant les cent

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Université de Lyon
Université lumière Lyon 2
Institut d'Études Politiques de Lyon
De l'aventurier au Prince.
Le retour de Napoléon pendant les centjours : le Vol de l'Aigle de Grenoble à Lyon
7-13 mars 1815
Jordan Girardin
Mémoire de Séminaire
Histoire politique du XIXème et XXème siècle
Sous la direction de : Bruno Benoit
(Soutenu le : 21 juin 2012)
Membres du jury: Gilles Vergnon
Table des matières
Remerciements . .
Liste des
abréviations
utilisées dans ce mémoire . .
Note sur l’ancienne orthographe française . .
Introduction . .
Partie I : Défaire le pouvoir . .
Chapitre 1 Perceptions parisiennes d'une reconquête provinciale . .
Chapitre 2 de Grenoble à Lyon, une semaine pour défaire la Monarchie . .
Partie II : Regagner le soutien de la France . .
Chapitre 3 Deux villes, deux ovations . .
Chapitre 4 L'indispensable appui de l'Armée . .
Partie III : Napoléon repolitisé, Bonaparte réimpérialisé . .
Chapitre 5 : Attitudes politiques d'un Empereur en (re)devenir . .
Chapitre 6 Arriver à Grenoble vagabond, repartir de Lyon Empereur : atous et faiblesses
de Napoléon au 13 mars 1815 . .
Conclusion . .
Annexes . .
Annexe 1 : Chronologie des Évènements . .
Annexe 2 : Carte du « Vol de l’Aigle » . .
Annexe 3 : Plaque à Grenoble indiquant l’entrée de Napoléon dans la ville . .
Annexe 4 : Extraits de paroles de chansons célébrant le retour de Napoléon . .
Annexe 5 : « Les Neuf Décrets de Lyon », publiés à Lyon le 13 mars 1815 . .
Annexe 6 : Programme du Cent-cinquantième anniversaire du Retour de l’île d’Elbe
Par la Faculté des Lettres de Grenoble 3 – 4 avril 1965 . .
Bibliographie . .
Ouvrages généraux d’Histoire européenne, française et/ou napoléonienne . .
Ouvrages spécialisés sur la période des Cent-Jours, le Rhône et/ou l’Isère . .
Sources . .
Fonds d’Archives . .
Archives Nationales . .
Archives Départementales de l’Isère . .
Archives Départementales du Rhône . .
Archives municipales de Grenoble . .
Archives municipales de Lyon . .
Presse . .
Ouvrages ayant servi de sources . .
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De l'aventurier au Prince.
Remerciements
De nombreuses personnes ont contribué personnellement et avec qualité à la réalisation de ce
mémoire. Parmi elles, je pense tout d’abord à Monsieur Bruno Benoit, Professeur des Universités
en Histoire contemporaine à Sciences Po Lyon, qui depuis ma première année dans l’Institut a
toujours su me transmettre cette passion pour une période de plus en plus lointaine et étrangère, et
qui cette année m’a brillamment guidé à travers mes recherches et la rédaction de ce travail.
Mes remerciements vont ensuite à Monsieur Gilles Vergnon, Maître de Conférences en
Histoire contemporaine à Sciences Po Lyon, membre du jury, qui a été d’une précieuse aide à
chaque fois que j’en avais besoin, et qui a témoigné un intérêt tout particulier à mon sujet lors des
séances de séminaire.
Je ne peux que remercier vivement les personnels du Centre d’Accueil et de Recherche des
Archives Nationales à Paris, des Archives départementales du Rhône et de l’Isère, des Archives
municipales de Lyon, de Grenoble et de Bourgoin-Jallieu, de la Bibliothèque nationale de France
et des Bibliothèques municipales de Lyon et Grenoble, qui ont tous grandement facilité mes
recherches en me guidant directement vers les sources nécessaires grâce à leur connaissance
parfaite des fonds de leurs institutions.
Au-delà de ces centres publics de documentation et de recherche, c’est à la Fondation
Napoléon et à sa bibliothécaire, Madame Chantal Prévot, que j’adresse mes vifs remerciements.
Je reste à ce jour impressionné par la richesse de la collection dont dispose la Fondation dans ses
locaux du Boulevard Haussmann ; je tiens à leur témoigner mon plus sincère soutien et mon souhait
de collaborer à l’enrichissement futur de leurs fonds.
Ensuite, je pense chaleureusement à Monsieur Paul-Napoléon Calland, ami doctorant qui
comme moi voue une grande passion à l’histoire de la dynastie Bonaparte ; m’ayant dirigé vers
certains travaux au début de mes recherches, il m’a témoigné un sincère soutien tout au long de
l’écriture de ce mémoire et je l’en remercie.
Mes remerciements tout particuliers vont à un professeur de lettres et de langues anciennes
habitant en région lyonnaise, qui par un heureux hasard m’a très aimablement offert sa collection
d’ouvrages traitant de l’Empire, et bien d’autres œuvres d’histoire religieuse et de littérature
gaullienne.
Enfin, c’est à mes amis et à ma famille que se destinent mes ultimes remerciements, en
particulier à celles et ceux qui ont manifesté à tous les instants un intérêt et un soutien sans failles à
ce mémoire, fruit d’une longue passion et déclencheur d’une ambition académique qui me mènera
à d’autres projets. J.G.
4
Liste des abréviations utilisées dans ce mémoire
Liste des
abréviations
utilisées dans ce mémoire
Arch. Nat. Archives Nationales
Il s’agit de documents consultés sur le site de Paris dans le Quartier du Marais, au premier
semestre 2012. Ces fonds sont susceptibles d’être déplacés lors de l’ouverture future du nouveau
site de Pierrefitte-sur-Seine en Seine-Saint-Denis.
Arch. dép.Archives départementales Le département concerné sera écrit en toutes lettres.
(par exemple : Arch. dép. Rhône)
Arch. mun.Archives municipales La commune concernée sera écrite en toutes lettres. (par
exemple : Arch. mun. Lyon)
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De l'aventurier au Prince.
Note sur l’ancienne orthographe française
Les textes cités de manière explicite (soit par des guillemets, soit dans un paragraphe entier tiré
d’une source, d’un article ou d’un ouvrage) seront retranscrits dans leur orthographe d’origine :
plusieurs règles qui s’appliquaient en 1815 mais plus aujourd’hui seront donc conservées. Il sera
ainsi attendu de lire par exemple « habitans » et non « habitants », « étoient » et non « étaient »,
et cetera.
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Introduction
Introduction
« Exilé sur le sol au milieu des huées, Ses ailes de géant l’empêchent de
1
marcher. » Charles Baudelaire « L’Albatros »
En avril 1814, c’est un Prince déchu et humilié qui se dirige vers la Méditerranée. En
er
effet, l’Empereur Napoléon I a vu à Fontainebleau, à quelques foulées des Tuileries
et de la Capitale, son Empire choir devant lui : ce territoire comme jamais la France
n’en avait possédé est récupéré par un Bourbon, ambassadeur d’un Ancien Régime
obsolète, frère d’un souverain dont le peuple osa trancher la tête. Napoléon n’est plus,
Bonaparte disparait, ne laissant que Buonaparte, petit capitaine corse désavoué vingt ans
auparavant par Paoli et les siens. Ce n’est pas sur son île que les alliés envoient l’ancien
empereur. C’est un territoire bien plus petit, aux conditions climatiques clémentes mais
à la taille humiliante, que le Traité de Fontainebleau lui accorde : l’île d’Elbe. Napoléon
en devient toutefois l’Empereur souverain, comme une ultime moquerie que l’Europe des
Monarchies adresse à son bourreau. Quand il traverse Lyon, il est encore acclamé par la
foule ; mais une fois engouffré dans la Vallée du Rhône profondément convaincue par les
Bourbons, c’est le spectacle horrifiant des foules enragées scandant « Vive le Roi ! » que
2
Bonaparte doit se résigner à regarder . Descendant d’une Révolution qu’il voulut conclure
en fondant un Empire républicain, c’est sur l’île d’Elbe qu’il continue ses réformes, tentant
de moderniser Isola d’Elba en construisant routes, systèmes d’irrigation et en optimisant la
3
culture méditerranéenne qui habite l’île .
Mais naturellement, Napoléon s’ennuie : en contemplant son nouveau Royaume, il
4
s’exclame : « Ah ! Que mon île est petite ! » . Il tient à être informé en permanence
des actualités du Continent, et au début 1815 lui parviennent les mécontentements d’une
France qui subit la Restauration et qui n’a toujours pas fait le deuil de l’Empire. Cette
France connait la montée du chômage avec la fin du blocus continental et la compétitivité
5
accrue des produits britanniques . Le Congrès de Vienne, qui se charge alors en un
texte de redécouper des années de conquêtes napoléoniennes, veut définitivement exclure
6
Napoléon de l’équilibre européen des pouvoirs qu’il avait jusque-là bouleversé ; des
rumeurs d’une déportation plus lointaine – probablement l’île de Sainte-Lucie dans les
7
Caraïbes – lui parviennent . C’est dans cet amoncellement de circonstances douteuses
1
. Ce poème publié dans le recueil Les Fleurs du Mal (1859) désigne par sa métaphore filée de l’albatros les poètes,
mais a été volontairement choisi ici car jugé judicieusement applicable à la période qui sera étudiée et à la situation de
Napoléon Bonaparte avant le retour de l’île d’Elbe.
2
3
. Dominique de Villepin, Les Cent-Jours ou l’esprit de sacrifice, Paris, Perrin, 2001, p. 25.
. André Castelot, Napoléon, Paris, Perrin, 1968, p. 666.
4
5
6
. André Castelot, op. cit., p. 679.
. Jean Tulard, Napoléon ou le mythe du sauveur, Fayard, 1977, p. 427.
. Edward Vose Gulick, « Congress of Vienna: The Coalition Begins the Settlement » (Traduction par mes soins : « Congrès de
Vienne : la Coalition esquisse le nouveau système ») in Europe’s Classical Balance of Power, New York, Norton, 1955, pp. 184 – 218.
7
. Jean Tulard, op. cit., p. 427.
7
De l'aventurier au Prince.
qu’il décide de s’envoler de ce nid auquel on l’avait assigné : il embarque alors à bord
de L’Inconstant le 26 février, accompagné d’un millier de soldats, dans une entreprise
8
paraissant encore aujourd’hui vaine et suicidaire . Il sera impératif que Paris et Vienne
s’en rendent compte le plus tard possible : gardant en mémoire le souvenir des foules
provençales abandonnées à la cause monarchiste, Napoléon sait qu’il faudra éviter la Vallée
du Rhône qui l’aurait pourtant mené rapidement jusqu’à Lyon. C’est à Golfe-Juan, sur le
littoral cannois, qu’il pose de nouveau le pied sur le continent et qu’il dit avec espoir à
ses fidèles troupes : « l'Aigle, avec les couleurs nationales, volera de clocher en clocher
9
jusqu'aux tours de Notre-Dame » .
Aventurier loin d’être assuré d’un retour aux affaires, Napoléon se faufile dans les
10
Alpes en ce début de mars 1815. C’est dans le département des Basses-Alpes qu’il
11
rencontre les premières foules enthousiastes . Mais rien ne peut alors l’assurer que ces
sentiments chaleureux le mèneront jusqu’à Paris. Seule une semaine au cours de ce voyage
aura une telle portée symbolique : l’entrée en Isère de l’aventurier Buonaparte marque le
commencement d’une période-clé, certes minuscule dans sa temporalité mais essentielle
dans le retour au pouvoir de l’Empereur. Jusqu’au 13 mars – et le départ de Lyon de
Napoléon et de ses hommes – une succession d’évènements et de situations favorables à
l’Empire alimentent un processus de « relégitimation » de Bonaparte en tant qu’Empereur
et le replace dans une situation qui pourrait le mener jusqu’à Paris. Le 7 mars dans l’aprèsmidi, c’est sur la plaine de Laffrey en Isère que les premières troupes royalistes jettent les
armes et reconnaissent leur Empereur. Le soir-même, la population grenobloise l’accueille
triomphalement dans la Capitale du Dauphiné. De Grenoble, il publie de premiers décrets
visant à préparer déjà son arrivée à Paris. Il quitte la ville le 9 mars, salué encore dans
les villages dauphinois qu’il traverse ; il reste la journée du 10 à Bourgoin d’où il entend
préparer son arrivée à Lyon qui s’annonce délicate. En effet, depuis le 8 mars le Comte
d’Artois a réuni à Lyon de nombreux bataillons et compte à la fois sur son Armée et sur la
population lyonnaise pour ne pas accorder à Bonaparte la légitimité qu’il cherche à retrouver.
La défense de la ville s’organise autour du blocage impératif du Pont de la Guillotière, seul
moyen de franchir le Rhône et d’arriver dans la Capitale des Gaules. C’est pourtant ce même
pont que Napoléon parvient à franchir le soir du 10 mars, encore une fois acclamé par la
foule qui a contraint les personnes encore loyales à Louis XVIII à fuir. En quittant Lyon trois
jours plus tard, de nombreux indices laissent espérer qu’une ovation attendra Napoléon à
12
Paris, ce qu’il n’aurait jamais pu concevoir une semaine auparavant .
Ce rôle singulier conféré au passage en Isère et dans le Rhône n’est pas nouveau dans
les pensées historiennes : dans sa préface accordée en 1965 à l’œuvre de Sophie et
Anthelme Troussier, le Prince Napoléon, héritier de la Maison Bonaparte, écrivait déjà :
« C’est à Grenoble que ce retour, qui restera fameux dans l’histoire, a trouvé son moment
13
décisif avant l’embellie des Cent-Jours » . Les faits, eux aussi, sont connus et ont été
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11
12
. Dominique de Villepin, op. cit., p.113.
. Déclaration de Napoléon Bonaparte à ses soldats à Golfe-Juan, 1er mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1825.
. Le département des Basses-Alpes correspond à l’actuel département des Alpes-de-Haute-Provence (04).
. Dominique de Villepin, op. cit., pp. 128 – 129.
. Une chronologie récapitulative des évènements du 7 au 13 mars se situe en annexe 1 afin d’assurer à tous une connaissance
temporelle des faits qui dans ce mémoire seront analysés de manière non-chronologique.
13
. Sophie et Anthelme Troussier de l’Académie delphinale, Napoléon, la Chevauchée Héroïque du retour de l'île d'Elbe,
Grenoble, Allier, 1965.
8
Introduction
contés dans des formats historiques ou plus romancés : des histoires des Cent-Jours ont
déjà été formulées par des centaines d’historiens ou d’érudits, et le passage de Napoléon
dans le Sud-Est a également suscité l’intérêt d’historiens locaux – dans le cas présent, dans
les départements de l’Isère et du Rhône. Mais un chaînon manque encore : celui de tisser
une causalité entre des faits locaux vraisemblablement passionnants et une trame générale
acceptée par tous qui correspond au retour au pouvoir de Napoléon : telle sera l’ambition
de ce mémoire. Ce travail aura ainsi pour objectif de questionner les mécanismes en euxmêmes de cette semaine d’évènements : comment construisent-ils une légitimité retrouvée
à Napoléon ? Quelles conditions conjoncturelles favorisent le retour de Bonaparte ? Quel
rôle le pouvoir restauré a-t-il dans sa propre déchéance ? La démarche proposée est
celle d’une analyse locale, attentive à des flux et à des dynamiques aux échelles spatiotemporelles limitées, menant à une compréhension globale du retour de Napoléon de l’île
d’Elbe à Paris. En effet, l’insoupçonnable importance d’une période si temporellement et
géographiquement courte, placée dans une dynamique bien plus large, sera à la base de
notre diagnostic.
Le terme bien connu des « Cent-Jours » aurait pu apparaître dès les premières lignes
de ce travail. Il semble pourtant trompeur de l’utiliser à outrance : Michel Mourre identifie
les Cent-Jours comme la période officielle du second règne de Napoléon, du 20 mars au 28
14
15
juin 1815 . D’autres écrits internationaux en font de même . Si cette période est en effet
longue d’une centaine de jours, celle qui sépare Golfe-Juan de Waterloo l’est également.
Il conviendra naturellement d’utiliser ce terme au long de notre travail, mais nous pourrons
être amenés à lui préférer « Vol de l’Aigle », expression plus imagée à l’intonation subjective,
mais couramment utilisée dans des écrits académiques pour désigner le retour à Paris de
16
Bonaparte .
Ce travail de recherche n’aurait pu s’ancrer dans une progression chronologique : en
effet, la temporalité des évènements est bien trop courte, et bien que ce « Vol de l’Aigle »
puisse aux yeux de certains constituer un monolithe historique, son découpage est délicat.
Ses composantes sont presque atomiques : ce mémoire tentera alors de les regrouper
et de leur donner du sens. Il ne proposera pas un récit progressif des évènements qui
se déroulent du 7 au 13 mars entre Grenoble et Lyon, mais les exposera à une analyse
d’histoire politique basée autour de plusieurs grands axes jugés essentiels. L’idée adjacente
à ce choix est que plusieurs enchaînements et dynamiques – aux progressions parallèles,
sans ordre chronologique – ont dû être nécessairement assemblés pour délivrer le résultat
que nous connaissons.
Ainsi, dans une première partie, nous mettrons en lumière le rapport que ces
évènements ont avec le pouvoir en place : comment celui-ci réagit-il face à l’arrivée
17
de Buonaparte sur le continent, comment l’Empire réussit-il à défaire à distance la
Restauration Bourbon confortablement réinstallée à Paris.
14
15
. Michel Mourre, Le Petit Mourre, Dictionnaire de l’Histoire, Paris, Bordas, 1991, p. 134.
. C’est le cas de Norman Rich, Great Power Diplomacy, 1814 – 1815, Boston, McGraw-Hill, 1992, p. 23, dans lequel il écrit :
« On March 20 he arrived in Paris (…) and took over the leadership of the French government. Thus began the famous Hundred
Days ». (Traduction par mes soins : « Le 20 mars, il arrive à Paris (…) et reprend le pouvoir. Ici commencent les fameux Cent-Jours. »)
16
17
. André Castelot dans son colossal Napoléon sépare en deux chapitres distincts le « Vol de l’Aigle » et les « Cent-Jours ».
. Comme nous le verrons, la version italienne du nom de Bonaparte est utilisée par le pouvoir afin de le désigner comme
étranger, voire de le réduire à son identité de naissance lorsqu’il n’était encore rien aux yeux de la France. Ce mémoire utilisera le
terme Buonaparte dans des situations similaires, quand nous voudrons le présenter de cette même manière.
9
De l'aventurier au Prince.
Ensuite, nous nous efforcerons de mettre en exergue le rôle des soutiens dans le
succès que rencontre Napoléon sur le chemin qui le mène à Paris. En premier lieu, il s’agit
du soutien du peuple ; ce thème est essentiel car cher à Bonaparte : les diagnostics de
la plupart des évènements dans la vie publique de Napoléon peuvent trouver l’explication
de leur réussite dans l’approbation du peuple, et réciproquement dans l’intérêt porté par
l’Empereur envers ses concitoyens. Cette vision récurrente d’un bonapartisme populaire –
voire populiste – ne doit cependant pas tomber dans la caricature : le lien le plus essentiel
au système napoléonien n’est pas nécessairement celui des liesses populaires et de l’appui
des masses, mais notamment celui entretenu avec les notables de France qui constituent
18
un fort atout économique, social et administratif dans l’Empire . Ce mémoire en prendra
naturellement compte en restant attentif à la volonté que Bonaparte a de renouer ce lien
avec les bourgeoisies locales. Dans un second temps, l’appui de l’Armée sera dévoilé
comme essentiel : non seulement comme un atout militaire, logistique et technique qui paraît
évident, mais également comme l’avantage d’obtenir d’un groupe bien particulier un soutien
utile et indispensable pour assurer la progression de Bonaparte à travers les territoires.
Enfin, nous nous attarderons sur le retour de l’exercice du pouvoir napoléonien. Encore
une fois, celui-ci est propre à l’Empereur, et la période que nous étudierons voit une évolution
naturelle dans son attitude politique et politicienne. Nous garderons en tête tout au long de
ce travail les mots que Bonaparte écrira plus tard depuis Sainte-Hélène, « Avant Grenoble
j’étais aventurier. À Grenoble j’étais Prince », qui illustre l’idée selon laquelle Napoléon
débarque dans le Sud-Est incertain de son avenir et du pouvoir qu’il pourrait peut-être ne
plus jamais exercer, et en ressort particulièrement fort et déterminé à parvenir à ses fins.
Nous introduirons des nouveaux termes-clés tels que « repolitisation », « relégitimation »
ou « réimpérialisation », destinés à mettre en exergue le retour de Napoléon dans la sphère
du pouvoir légitime.
Nonobstant le fait que cette analyse tentera d’expliquer les facteurs du retour victorieux
de Napoléon, elle aura l’exigence de mettre de côté les exagérations et embellies qui
entourent la légende des Cent-Jours, et de manière plus générale les récits autour du
personnage de Bonaparte. En effet, ce retour au pouvoir de l’Aigle, célébré ou répugné
par beaucoup, est le fruit de circonstances délicates, de risques plus ou moins calculés et
d’évènements parfois imprévus. Et même dans des situations victorieuses, celles-ci sont à
prendre avec minutie car le « Vol de l’Aigle » possède ses propres codes, bien particuliers,
où le retour de l’Empire peut être accepté dans un village mais vivement repoussé à
quelques kilomètres de là. La « température politique », comme l’écrit François Furet, est
à l’époque essentielle et repose avant tout sur une tension croissante entre deux clans
français, loin des utopies plébiscitaires que les légendes bonapartistes voudraient imposer
19
dans les souvenirs collectifs . Le défi de ce travail de recherche est donc d’accepter que
malgré le fait qu’il s’agisse d’un épisode passionnant et surprenant de l’Histoire de France,
celui-ci est le résultat, comme chaque fait historique, d’une configuration singulière, précise
et délicate.
Ainsi l’ambition de ce mémoire de recherche est grande : il est peu récurrent d’organiser
d’une manière nouvelle des faits déjà connus, embellis ou entachés de passions politiques
18
. Jean Tulard consacre un chapitre entier de son ouvrage Napoléon ou le Mythe du Sauveur à mettre en lumière « Le règne
des notables » dans l’Empire (pp. 241 – 260).
19
. Dans son grand ouvrage La Révolution française (Paris, Gallimard, 2007 pour l’édition ici consultée), François Furet écrit :
« Non que le retour de l’Empereur soit triomphal, comme l’a voulu la légende bonapartiste. Mais il est accepté. La vraie température
politique de la France est un attentisme général, fait de lassitude des luttes civiles et de la guerre, et nuancé aux deux extrémités par
les partisans de la légitimité retrouvée et les humiliés de la Restauration » (p. 512).
10
Introduction
et littéraires. Stendhal écrivait déjà en son temps que « d’ici à cinquante ans, il faudra
refaire l’histoire de Napoléon tous les ans, à mesure que paraîtront les mémoires de Fouché,
20
Lucien, Réal, Regnault, Caulaincourt, Sieyès, Le Brun, etc.» . Aujourd’hui ce sont des
nouvelles mécaniques, inspirées par une Histoire en constant renouvellement, qui viennent
apporter un nouvel éclairage à des problématiques que l’on croyait arrêtées. En 1965, la
Faculté des lettres de Grenoble interrogeait les Cent-Jours dans des perspectives encore
jamais expérimentées, mais toujours soucieuses de l’exactitude historique et du refus des
21
anachronismes idéologiques . Cette année 2012 a vu une effervescence de nouveaux
questionnements autour de la Campagne de Russie à l’occasion de son bicentenaire.
Les moyens de ce mémoire sont ceux d’une formation universitaire en histoire, mais ils
cherchent déjà à dresser un état des lieux politique qui permettra de comprendre au mieux,
à l’approche de leur deux-centième anniversaire, comment les Cent-Jours se sont forgé et
ont constitué un épisode inédit dans l’exercice du pouvoir napoléonien.
20
21
. Stendhal, Vie de Napoléon, texte établi par Henri Martineau, Le livre du Divan, 1930, p. 2.
. Faculté des lettres de Grenoble, 150e anniversaire du Retour de l’île d’Elbe, Colloque, 3 – 4 avril 1965. Ce programme
est disponible en annexe 6.
11
De l'aventurier au Prince.
Partie I : Défaire le pouvoir
Le « Vol de l’Aigle » est, comme beaucoup aiment à le rappeler, l’Histoire d’un Homme
provocant son propre nouveau rendez-vous avec la France. Chacun en connait l’issue –
momentanément – victorieuse. Or, il serait faux de considérer cette épopée comme un
enchaînement d’accueils triomphaux à travers villes et villages, qui seuls permettent à
Buonaparte de redevenir Napoléon. Le pouvoir monarchique des Bourbons, restauré depuis
les évènements de Fontainebleau en 1814, joue un rôle unique dans sa propre défaite.
Son assurance, sa confiance en la population française qui avait accueilli positivement la
Restauration un an auparavant, sa volonté de minimiser le débarquement de l’ « usurpateur
corse » auprès des populations parisiennes, le soutien dont il dispose à Vienne auprès
des Monarchies d’Europe et en lequel il a une forte confiance, sont autant de facteurs qui
contribuent en quelques jours à l’effondrement du Château sur ses propres fondations.
Cette partie s’attardera ainsi sur la réaction du pouvoir parisien face au débarquement
de Golfe-Juan, dans un premier temps, avant d’analyser les étapes progressives qui mènent
à la défaite annoncée de la Monarchie restaurée.
Chapitre 1 Perceptions parisiennes d'une reconquête
provinciale
« Il s’expose à mourir de la mort des héros : Dieu permettra qu’il meure de la
mort des traîtres. » Le Journal des Débats Édition du 8 mars 1815 à propos du
débarquement de Bonaparte
Mentionner des « perceptions parisiennes » renvoie principalement à deux éléments. Le
premier tend tout naturellement vers une réaction du pouvoir en lui-même, qui depuis les
Tuileries ne peut qu’attendre des nouvelles de la progression de Bonaparte et espérer que
celui-ci avance difficilement à travers les territoires du Sud-Est. Ces actions et réactions du
pouvoir parisien peuvent également être divisées entre l’attitude dans la capitale et celle
dans les territoires à travers les préfets et autres représentants de la Monarchie. La seconde
perception est bien plus délicate : elle désigne la retranscription dans la presse – parisienne
essentiellement – du voyage de Napoléon en direction de Paris. En quoi est-elle délicate ?
La liberté de la presse n’étant encore qu’à ses prémices, celle-ci fait l’objet d’un lien singulier
avec le pouvoir. Ainsi analyserons-nous de deux manières distinctes ces deux perceptions,
tout en gardant en considération que la première se traduit publiquement au moyen de la
seconde.
Réactions du pouvoir monarchique face au retour de Bonaparte
Ce n’est que le 5 mars 1815 que la Cour reçoit la dépêche envoyée de Lyon annonçant
22
le débarquement de Bonaparte sur le sol français . André Castelot décrit une réaction
étrange et singulière, à mi-chemin entre la sérénité ultime et l’état d’urgence : Louis XVIII
22
12
. André Castelot, op. cit., p. 728.
Partie I : Défaire le pouvoir
ne prévient pas immédiatement son frère le Comte d’Artois, et la nouvelle du retour de
Napoléon parcourt les ministères sans qu’aucune décision ferme ne soit prise. Cette journée
du 5 mars, par son indécision et son manque de cohérence, marque une première faiblesse
du pouvoir qui n’a su anticiper un tel évènement tout en feignant de conserver un calme
institutionnel, alors que Napoléon et ses troupes ont déjà commencé leur remontée sur la
route de Grenoble à travers les Basses et Hautes Alpes.
La fin de journée amorce ce qui s’apparente à la reconnaissance d’une situation de
23
crise. Le Conseil des Ministres est convoqué , et le soir-même le Comte d’Artois est envoyé
24
à Lyon, suivi quelques heures plus tard par le duc d’Orléans . La publicisation de cette
réaction dans les décisions de la Cour, quant à elle, s’organise en plusieurs étapes. La
première réaction est de condamner le retour de Napoléon via une ordonnance royale en
date du 7 mars, en rendant l’ancien Empereur et ses compagnons hors-la-loi :
er
Article 1 . Napoléon Bonaparte est déclaré traître et rebelle pour s'être introduit
à main armée dans le département du Var. Il est enjoint à tous les gouverneurs,
commandants de la force armée, gardes nationales, autorités civiles et mêmes
aux simples citoyens, de lui courir sus, de l'arrêter et de le traduire incontinent
devant un conseil de guerre qui, après avoir reconnu l'identité, provoquera contre
25
lui l'application des peines prononcées par la loi.
Cette décision de condamner un tel évènement est certes nécessaire pour un pouvoir en
place mais ne constitue pas une réelle décision en elle-même, sinon celle d’exprimer le
refus d’un tel évènement. Il faut attendre le 9 mars – alors que Napoléon est déjà sur le point
de quitter Grenoble – pour retrouver dans les ordonnances du Roi une concrète réaction :
Louis XVIII introduit son texte en écrivant « l’Ennemi a pénétré dans l’intérieur » avant de
26
développer sur plus de quatre pages le plan de redéploiement de la Garde nationale .
Comment peut-on expliquer une activité si peu ambitieuse ? Bien évidemment, il est
impensable de concevoir une quelconque négligence de la part de la Cour. De nombreux
facteurs – ceux qui aujourd’hui composent ce travail de recherche – pouvaient déjà au
moment des nouvelles du débarquement être pris en compte. L’envoi du Comte d’Artois
à Lyon est un élément essentiel qui est à considérer ; cet évènement semble néanmoins
devoir être compris comme le seul moyen d’action possible imaginé par les Bourbons. Ainsi,
malgré la tension régnant à Paris, c’est vers la Province que la suite des incertitudes et des
décisions semblent se déplacer : Lyon devient le rempart de Paris.
C’est précisément dans le Sud-Est de la France que la plus grande interaction entre le
pouvoir Bourbon et, non pas Bonaparte, mais le spectre de sa probable progression vers
Paris, se met en place, du fait de la forte proximité géographique qui anime les évènements.
Depuis le 2 mars, le Préfet du Var avait informé le Préfet du Rhône de la remontée de
Napoléon qui, selon les informations données par quelques soldats, cherchait à rejoindre
23
24
. Thierry Lentz, Nouvelle Histoire du Premier Empire ; Tome 4, Les Cent-Jours, Paris, Fayard, 2010, p. 296.
. On peut remarquer – certes de manière anachronique – que les trois actuels et futurs protagonistes principaux de la
Restauration (Louis XVIII ainsi que les futurs Charles X et Louis-Philippe Ier) sont directement réactifs et concernés par l’arrivée de
Bonaparte et jouent ainsi un rôle-clé dans cet épisode.
25
. Ordonnance royale du 7 mars 1815, consultée en ligne le 21 mai 2012 < http://theses.univ-lyon3.fr/documents/
getpart.php?id=lyon3.2009.arbey_p&part=268430 >
26
. Ordonnance du Roi, 9 mars 1815, Arch. Nat., cote F1a 95 2.
13
De l'aventurier au Prince.
27
Lyon . Au-delà de remaniements militaires visant à ralentir la progression de l’Armée
reconstituée par Napoléon, c’est une intrigante toile de déclarations, bien plus denses et
bien plus explicites que les hésitations provenant des Tuileries, qui se met en place afin
d’assurer la loyauté du pouvoir déconcentré envers son autorité souveraine à Paris. En
Isère, le Préfet Joseph Fourier publie dès le 5 mars son avertissement à la population :
Nous invitons tous les Citoyens, au nom du gouvernement du Roi, et pour
l’intérêt évident de notre Patrie, à donner aujourd’hui de nouveaux témoignage
des sentimens qu’ils ont fait éclater dans des circonstances beaucoup plus
difficiles : si quelqu’un pouvait oublier que son premier devoir est d’obéir aux
Autorités, comme le nôtre est de maintenir le respect dû au gouvernement de
Sa Majesté, et de veiller à la sûreté des propriétés, il sera arrêté sur-le-champ et
puni sévèrement, conformément aux lois constitutionnelles. Tout ce qui pourrait
tendre à fomenter la guerre civile et à violer la Charte constitutionnelle de l’État,
28
doit exciter une indignation générale.
Deux jours plus tard, le 7 mars, alors que Napoléon s’apprête à entrer dans Grenoble, c’est
le Préfet du Rhône qui publie son propre message aux Rhodaniens :
Une résette déclaration, le Préfet du Rhône annonce également aux Lyonnais
le rassemblement de troupes « sous [leurs] murs » dans les jours qui viennent,
en référence à l’arrivée du Comte d’Artois dans la Capitale des Gaules afin de
préparer une contre-offensive contre Napoléon et son armée.
Plusieurs éléments sont à retenir de ces déclarations émanant des représentants du pouvoir
déconcentré. Le premier est la défense de la Monarchie à travers le respect de l’ordre,
mais surtout l’attachement aux Lois constitutionnelles et à la Charte. En d’autres termes,
il convient de souligner l’apaisement que les Français ont retrouvé avec Louis XVIII,
apaisement menacé par le trouble-fête Buonaparte. C’est justement ce bilan d’instabilité
internationale – puis nationale quand les Armées d’Europe sont prêtes à marcher sur Paris
– pendant le règne de l’Empereur que les préfets tiennent à mettre en exergue. L’objectif
est donc de refuser toute légitimité à Napoléon et de réaffirmer la confiance que le peuple
doit continuer d’accorder au pouvoir des Bourbons.
Le Congrès de Vienne lui aussi réagit à sa manière aux évènements. Quand bien même
Napoléon résidait encore avec langueur sur l’île d’Elbe, la Gazette d’Augsbourg écrivait
déjà qu’il fallait « éloigner le plus tôt possible un homme qui, sur le rocher de l’île d’Elbe,
tenait entre ses mains les fils de ces trames ourdies par son or, et qui, aussi longtemps qu’il
resterait à proximité des côtes d’Italie, ne laisserait pas les souverains de ces pays jouir
29
30
tranquillement de leurs possessions » . Il faut attendre le 13 mars pour qu’une déclaration
soit communément publiée par les Monarques réunis à Vienne :
En rompant ainsi la convention qui l’avoit établi à l’île d’Elbe, Bonaparte détruit
le seul titre légal auquel son existence se trouvoit attachée. En reparaissant en
27
. Lettre du Préfet du Var au Préfet du Rhône (copie envoyée au Maire de Lyon), 2 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 1225
WP 017.
28
. Proclamation du Préfet du Département de l’Isère, 5 mars 1815, source photocopiée et publiée dans Sophie et
Anthelme Troussier, op. cit..
29
30
. Traduit et cité dans Félix Fleury, L’Enjambée Impériale, Grenoble, 1868, p. 3.
. Là encore, la vitesse de la remontée de Bonaparte échappe totalement au pouvoir : Napoléon repart déjà triomphant de
Lyon quand cette déclaration est publiée. Cette publication tardive sera analysée en Chapitre 6.
14
Partie I : Défaire le pouvoir
France avec des projets de trouble et de bouleversement, il s’est privé lui-même
de la protection des lois, et a manifesté à la face de l’univers qu’il ne sauroit y
avoir ni paix ni trêve avec lui. Les puissances déclarent en conséquence que
Napoléon Bonaparte s’est placé hors des relations civiles et sociales, et que,
comme ennemi et perturbateur du repos du monde, il s’est livré à la vindicte
31
publique.
L’Europe est ainsi claire avec Bonaparte : bien plus précis que le Trône de France, le
Congrès de Vienne ne tient pas à négocier avec Bonaparte, même si celui-ci parvenait à
se hisser de nouveau au sommet du pouvoir français, ce qui, quand cette déclaration est
publiée, n’est plus une stupide supposition.
Information et désinformation dans la Presse
La réaction de la Presse au débarquement de Bonaparte est un phénomène particulier
qu’il convient d’analyser et de comprendre. Comme nous l’avons présupposé, l’influence
du pouvoir sur la diffusion de l’information est une hypothèse très probable, bien que
l’évolution de l’attitude des journaux leur soit propre. Il est évident d’accepter l’idée selon
laquelle plusieurs courants composent déjà en 1815 les médias écrits. Ceci étant, une trame
commune aux médias favorables à la Monarchie – qui représentent une très forte majorité
– peut être remarquée et découpée en trois étapes communicationnelles bien distinctes.
Tout d’abord, l’annonce du débarquement de Bonaparte est relayée d’une manière
très alarmiste, malgré une réactivité semblable à celle des Tuileries, dans un registre
sensationnel ponctué d’un avertissement politique fort. En effet, le Journal des Débats écrit
le 8 mars en tête de son article : « Buonaparte s’est évadé de l’île d’Elbe » tout en continuant
quelques lignes plus tard :
Cet homme, qui en abdiquant le pouvoir n’a jamais abdiqué son ambition et ses
fureurs ; cet homme, tout couvert de sang des générations, vient, au bout d’un an
écoulé en apparence dans l’apathie, essayer de disputer, au nom de l’usurpation
32
et des massacres, la légitimité et douce autorité du Roi de France.
C’est un article identique dans le ton aux diverses proclamations présentées précédemment
qui continue sur une colonne et demie et qui dresse une analyse politique biaisée de la
situation, dans laquelle Bonaparte ne peut compter sur personne, « sur cette même terre
où il fut reçu, il y a quinze ans en libérateur par un peuple abusé, et détrompé depuis par
douze ans de tyrannie ».
Le même jour, La Quotidienne présente les évènements comme un acte vain duquel
Napoléon ne peut rien espérer :
On a les plus fortes raisons de croire que le débarquement de Buonaparte sur le
territoire français n’est qu’un acte de désespoir. Il paraît certain que le Congrès
avait la résolution de fixer une autre résidence à Napoléon, dont, suivant toutes
33
les apparences, les intrigues contribuaient à l’agitation de l’Italie . C’est pour
31
. Déclaration du Congrès de Vienne (copie conforme remise aux Préfets du Bas-Rhin et du Doubs), 13 mars 1815, Arch.
dép. Isère, cote 52 M 6.
32
. Le Journal des Débats, 8 mars 1815, p. 1.
33
. « L’agitation de l’Italie » mentionnée renvoie au lynchage du ministre des Finances Giuseppe Prina survenu le 20 avril
1814 à Milan, parallèlement à l’abdication de Bonaparte, que Le Journal d’Augsburg précédemment cité met également en
exergue.
15
De l'aventurier au Prince.
prévenir les effets de cette détermination qu’il s’est décidé à faire une entreprise
de flibustier contre quelques petites villes de la Provence, dépourvues de troupes
34
et d’artillerie.
Ainsi, dans la presse parisienne, il n’y a à première vue rien à espérer ni à craindre de ce
débarquement de quelques soldats et d’un homme aux ambitions illusoires.
Or, rapidement s’installe un second climat dans la presse, le jour-même de la publication
de l’ordonnance royale du 9 mars. Le monde parisien semble alors se plonger dans un jeu
de fabulations et de désinformations qui perdure pendant la quasi-totalité de la semaine
que nous étudions. Le 9, le Journal des Débats consacre deux des quatre pages de son
édition à accumuler des faits, récits et analyses autour du retour de Bonaparte. Certaines
proclamations de préfets ou de militaires sont rapportées. Le Journal se justifie alors de la
lenteur de la diffusion de l’information de la manière suivante :
Nous avons retardé jusqu’à ce jour à donner des nouvelles du débarquement de
Bonaparte sur les côtes de la Provence, parce que les dépêches télégraphiques
35
qui l’ont d’abord fait connoître, ne donnoient encore aucuns détails.
Pourtant, dans ce flot apparent d’informations non-détaillées, c’est une stricte
désinformation qui tend alors à s’institutionnaliser. Dans la fin de la même édition, il est
indiqué :
Les dernières nouvelles de Buonaparte sont d’hier 7 de Lyon. A cette date,
Buonaparte étoit toujours aux environs de Digne, dont on lui avoit refusé les
36
portes. Personne ne s’étoit réuni à lui.
Le 7 mars, Bonaparte est en réalité déjà en Dauphiné : son arrivée remarquée dans la ville
de Grenoble survient le soir-même. Quelques jours auparavant, il avait traversé Digne sans
37
que personne ne lui ferme les portes de la ville . De telles fabulations continuent pendant
plusieurs jours. Le 10 mars, Le Journal Général publie dans ses colonnes : « Paris, 9 mars,
11 heures du soir. Le bruit court que Buonaparte a été enveloppé et fait prisonnier. Puisse
38
cette nouvelle se confirmer dès demain ! » .
Enfin, aux alentours du 12 et 13 mars, alors que Napoléon est installé victorieusement
dans la ville de Lyon, les Journaux tendent à renouer avec de véritables informations quant
à sa progression, tout en entourant ces données de nuances approximatives. Par exemple,
La Quotidienne du 14 mars rend publique la dépêche suivante :
Paris, 13 mars. Une personne très-digne de foi, partie de Lyon le 11 au soir,
annonce que Buonaparte était encore ce jour-là dans cette ville ; que la
population était consternée et que l’échappé de l’île d’Elbe n’avait qu’un nombre
39
considérable de soldats harassés de fatigue. Dans le même registre, Le Journal
des Débats du 13 mars concède que les troupes du Général Macdonald ont dû
34
. La Quotidienne, 8 mars 1815, p. 1. Article cité dans Jacques Berriat Saint-Prix, Napoléon Ier à Grenoble : Histoire du 7
mars 1815, Grenoble, Maisonville et Fils et Jourdan, 1861.
35
. Le Journal des Débats, 9 mars 1815, p. 2.
36
. Ibid., p. 4.
37
38
39
16
. Dominique de Villepin, op. cit.,p.125.
. Le Journal Général, 10 mars 1815, p. 2.
. La Quotidienne, 14 mars 1815, p. 1. Cité dans J. Berriat Saint-Prix, op. cit.
Partie I : Défaire le pouvoir
quitter Lyon, mais que « [t]out fait espérer que la délivrance de Lyon n’est pas
40
éloignée » .
En parallèle de ce traitement particulier et imprécis de l’information, les journaux se livrent
à un matraquage intellectuel visant à conserver chez le lecteur une sympathie intacte pour
le Monarque Bourbon. En effet, en prenant l’exemple du Journal des Débats, de nombreux
récits quotidiens sont publiés afin d’attester du soutien constant de la France envers son
Souverain. Le 7 mars, avant l’annonce du débarquement de Bonaparte – que ce journal
rapporte le lendemain – une page est consacrée au récit du Siège de Saragosse de 1808
qui avait donné lieu à une victoire espagnole contre les troupes impériales. L’article explique
la défaite de l’Empire français par la force et la volonté du peuple saragossien :
Ce qui caractérise d’une manière bien singulière le siège de Saragosse, ce qui le
distingue de tous les autres faits d’armes du même genre, c’est la part active qu’y
prit le peuple. (…) [C]e fut le peuple de Saragosse qui fit tout, non pour le service
militaire proprement dit, les bourgeois n’y étant employés qu’auxiliairement, mais
pour la direction et l’opiniâtreté de la défense. C’est le peuple qui, au premier
siège, alla enlever de force le général Palafox dans une maison de plaisance ;
c’est lui qu’il nomma capitaine-général, et sans lui, se mit en état de défense ;
41
c’est lui qui, à l’époque du second siège , le contraignit à s’enfermer dans la
place avec son armée, au lieu de tenir la campagne. C’est Saragosse, enfin, qui
42
défendit Saragosse.
Cet extrait tient à souligner deux éléments : le premier est simplement une preuve des limites
de l’invulnérabilité présumée de Napoléon durant son règne ; le second met en lumière la
force du peuple, qui ne saurait être négligeable, face à une armée. On peut penser que
le Journal, déjà averti de l’arrivée de Bonaparte, prépare l’opinion via ce récit avant de
dévoiler les nouvelles de Golfe-Juan le lendemain. L’indignation, mais aussi le sentiment
d’être plus fort que des troupes militaires, doivent emplir le peuple qui lit ces journaux. Le
11 mars, le récit de la visite du Duc d’Angoulême à Bordeaux devient un véritable conte
épique dans une ville où « [l]es discours des magistrats, les acclamations des citoyens,
portoient également cette empreinte de sincérité, que depuis si long-temps on ne retrouvoit
43
plus en France » . Le lendemain, le même journal revient avec surprise et de manière
anachronique sur la progression de Bonaparte une semaine auparavant (le 5 mars). Des
évènements sans grande exactitude ni utilité dans le traitement quotidien de l’information
rapportent que « l’esprit des Marseillais est toujours le même pour les Bourbons : il est
44
même meilleur que jamais » .
Le pluralisme des opinions au sein de la Presse étant officiellement légal, certains
journaux s’adonnent à accorder un certain regard sérieux, sinon de la sympathie, envers
l’éventualité du retour au pouvoir de Napoléon. C’est le cas du Censeur qui dans son édition
du 5 mars, remet en question la légitimité de Louis XVIII via l’attitude de la Royauté envers
le Royaume de Naples :
40
. Le Journal des Débats, 13 mars 1815, p. 1.
41
. Le « second siège » dont il est question survient en 1809, un an après le premier. Les Français parviennent à prendre
la ville dans un combat souvent considéré comme l’un des plus brutaux de l’Histoire napoléonienne.
42
43
44
. Le Journal des Débats, 7 mars 1815, p. 3.
. Le Journal des Débats, 11 mars 1815, p. 2.
. Le Journal des Débats, 12 mars 1815, p. 2.
17
De l'aventurier au Prince.
On sait que notre Almanach Royal ne reconnoît point la légitimité du Roi actuel
de Naples, et que pour désigner le chef légitime de cet état, il renvoie le lecteur
au royaume des Deux-Siciles. Cette impertinence de notre Almanach Royal nous
a attirés, dit-on, de la part de celui de Naples, la mortification la plus humiliante.
On assure que ce dernier, usant de représailles, et ne comptant pour rien, comme
le nôtre, les sentimens et le vœu des peuples, a refusé de reconnoître Louis XVIII
pour notre légitime Roi ; et que, pour désigner notre chef véritable, il renvoie le
lecteur à l’île d’Elbe. Il nous semble qu’aucun bon Français ne doit pardonner à
45
notre Almanach Royal de nous avoir exposés à une pareille injure.
Cet extrait est repris dans le Journal des Débats du 10 mars qui condamne vivement les
propos du Censeur. S’ensuit un long réquisitoire qui déplore les dérives de la liberté de la
presse, qui est pourtant « une des lois fondamentales de l’État » :
Jamais nous n’aurions pu croire que sous l’autorisation des lois on pût
impunément manifester par écrit des opinions aussi scandaleuses, des
provocations aussi criminelles contre l’autorité légitime, que celle qu’on lit
46
depuis quelque temps dans le Censeur, et même dans le Nain Jaune , quoique
47
ce dernier Journal paroisse sous l’approbation spéciale de la censure.
Il peut être ainsi facilement remarqué qu’une pression est faite auprès de ceux qui
tenteraient de discuter des effets positifs de l’éventuel retour au pouvoir de Napoléon. La
presse parisienne est ainsi absolument aux côtés du pouvoir en place pour dénoncer et
railler le débarquement de Bonaparte et de ses troupes.
48
Enfin, Le Moniteur Universel
joue un rôle décisif dans les relations entre presse
et pouvoir. Organe de la Monarchie créé pendant le règne de Napoléon, celui-ci sert de
référence aux autres journaux parisiens et est directement cité. C’est lui qui relaye les
ordonnances royales qui dénoncent et mettent hors la loi le « bandit corse ». Pourtant, le
Moniteur est aussi frappé par l’approximation et la désinformation. Il indique par exemple le
11 mars : « Aucune dépêche télégraphe et aucune lettre ne font connoître que Grenoble lui
49
ait ouvert les portes » alors que le triomphe de Bonaparte en Dauphiné a été parfaitement
rapporté à Paris.
C’est ainsi une situation délicate que le pouvoir Bourbon a mis en place dans l’urgence
de l’annonce du débarquement de Bonaparte. Panique qui n’en est pas une, avertissement à
la population travesti en négligence d’un petit capitaine corse isolé dans le Sud de la France,
le pouvoir ne parvient pas à créer une cohésion nationale qui aurait pu empêcher le « Vol
de l’Aigle » que nous connaissons aujourd’hui. Dans une configuration ainsi défavorable,
ou en tout cas qui n’a pas été optimisée, il ne reste à Napoléon qu’à pousser une carte pour
que le Château s’effondre.
45
. Le Censeur, 5 mars 1815.
46
. Les positions du Nain Jaune sont ici tolérées car il s’agit d’un journal ouvertement satirique. Fondé par Cauchois-
Lemaire, il profite pourtant de son second degré pour laisser sous-entendre son soutien au retour de Bonaparte.
47
. Le Journal des Débats, 10 mars 1815, p. 1.
48
49
18
. Le Moniteur Universel est à l’époque l’équivalent de notre actuel Journal Officiel.
. Cité dans Le Journal des Débats, 11 mars 1815, p. 2.
Partie I : Défaire le pouvoir
Chapitre 2 de Grenoble à Lyon, une semaine pour
défaire la Monarchie
« L’enthousiasme qu’a fait éclater votre présence chez vos fidèles sujets
de Bourgoin n’est que le prélude des acclamations universelles du Peuple
50
français. » Adresse des habitants de Bourgoin à Napoléon le 10 mars 1815
Comme nous venons de le démontrer, ce n’est pas tant la faiblesse qui caractérise le pouvoir
de la Monarchie aux alentours du 7 mars. Il s’agit avant tout d’une opportunité manquée
d’organiser le pays en menant une campagne de vive opposition à Napoléon. Si la presse,
comme nous l’avons analysée, ne soutient en aucun cas l’arrivée de Bonaparte, personne
ne parvient à préparer la population ni même l’armée à lui faire face. Ainsi, la semaine du
7 au 13 mars, que ce mémoire de recherche tend à mettre en lumière comme la semaine
décisive dans le retour de l’Empereur, ne s’annonce pas positive pour les Bourbons. L’envoi
du Comte d’Artois et du Duc d’Orléans à Lyon apparaît comme une solution forte pour se
préparer à la remontée des troupes impériales. Hélas pour eux, deux éléments ne jouent
pas en leur faveur et mènent à la défaite rapide du pouvoir dans ce combat pour la légitimité.
D’une part, les représentants de la Monarchie dans les régions – en premier lieu les préfets
– ne parviennent pas à maîtriser l’évolution du tempérament de leur communauté et à
insuffler un esprit monarchiste face aux percées bonapartistes. D’autre part, l’expédition
du Comte d’Artois et du Duc d’Orléans à Lyon est un échec absolu résultant d’une trop
grande confiance en un peuple lyonnais qui, nous le verrons, reçoit la nouvelle du retour de
Bonaparte avec entrain et satisfaction.
Les soutiens volatiles des préfets et des maires
Malgré les proclamations des différents préfets des départements du Sud-Est, ceuxci ne parviennent pas à résister à la progression de Napoléon ; les maires de Grenoble et
Lyon ne seront pas plus victorieux dans cette entreprise.
51
À Grenoble, le préfet Joseph Fourier apparaît comme un premier personnage
nébuleux dont il convient de comprendre la situation. Géomètre de profession, compagnon
de Bonaparte durant la Campagne d’Égypte, il avait été nommé préfet de l’Isère dès son
52
retour en France en 1802 . Pourtant, il reçoit la Restauration avec beaucoup de loyauté
envers le Nouvel Ancien Régime. Son nom circule au sein de la Monarchie (l’indignation
de Fourier et de son département face au débarquement de Golfe-Juan est relayée dans
le Journal des Débats du 9 mars 1815) et il se retrouve dans ses échanges à formuler
53
ses vœux de prospérité au pouvoir en place . Son attitude face à l’arrivée de Napoléon
est, comme nous le savons, alarmiste et horrifiée. Après sa déclaration du 5 mars – citée
dans le précédent chapitre – il s’en remet à l’armée et au Général Marchand qui se charge
de l’organisation d’un conseil de guerre et de l’organisation de Grenoble pour interdire
l’accès à la ville des troupes de l’Empire. Le 7 mars, alors que l’arrivée de Bonaparte à
50
. Citée dans Sophie et Anthelme Troussier, op. cit., p. 103.
51
52
53
. On retrouve aussi dans certaines sources et certains ouvrages l’orthographe « Fourrier ».
. Jacques-Joseph Champollion-Figeac, Fourier et Napoléon : l’Égypte et les Cent-Jours, Paris, Firmin-Didot Frères, 1844.
. « Je regarderai, monsieur le Conseiller d’État, comme les circonstances les plus agréables de mon administration, celles
où je pourrai seconder vos vues, pour la prospérité des communes et l’accomplissement des vues bienfaisantes du Roi. » Lettre
au Conseiller d’État Directeur Général de l’Administration des Communes quant à sa nomination par le Roi, 12 février 1815, Arch.
Nat., cote F1a 415.
19
De l'aventurier au Prince.
54
Grenoble est annoncée comme imminente, Fourier s’enfuit de la capitale dauphinoise.
Ce geste malheureux est un triple affront. Tout d’abord un affront vis-à-vis du pouvoir en
place, le Préfet étant le correspondant légitime et légal du pouvoir central dans chaque
département : c’est un abandon exprimé au régime qu’il avait pourtant accepté d’épouser
un an auparavant. Ensuite, c’est un affront à la population dont il est censé représenter
l’intermédiaire avec la Monarchie à Paris et qu’il abandonne à l’Empire. Enfin, c’est un
affront à Bonaparte, en organisant une résistance à sa venue tout en fuyant la confrontation.
Quelques jours durant lesquels nul ne sait vraiment où il se trouve, il prend cependant
contact avec Guillaume Sappey, sous-préfet de la-Tour-du-Pin afin de rester informé de la
progression de l’Empire : il sait alors que Napoléon a finalement été reçu en héros dans
Grenoble, et que l’Isère, département dont il est encore le préfet, représente un premier
bastion résolument bonapartiste. C’est le 10 mars vers onze heures du matin que Fourier
se présente à l’Hôtel du Parc de Bourgoin, où Napoléon a passé la nuit. De représentant
de la Monarchie, Fourier est redevenu en quelques jours un citoyen capable de faire des
choix libres de toute affiliation et d’allégeance. C’est rapidement qu’il retrouve des fonctions
politiques, informé par courrier le 12 mars : il est nommé Préfet du Rhône par Bonaparte. Il
avait été suspendu de ses fonctions de Préfet de l’Isère le 9 mars par un décret signé par
55
Napoléon . Le 15, c’est le Roi qui le renvoie de la Préfecture grenobloise, même si cette
56
décision n’a déjà plus aucune valeur .
La municipalité de Grenoble fait elle aussi l’objet de fluctuations dans son
comportement politique. Sa réaction aux évènements de l’île d’Elbe et à l’arrivée
programmée de Bonaparte met en avant les exigences relatives à l’ordre public sans
dénoncer solennellement le retour de l’Aigle. Le 7 mars, alors que Napoléon est attendu
en fin d’après-midi aux portes de la cité, le Maire appelle des Gardes nationaux
supplémentaires pour assurer l’ordre en ville :
Les circonstances nécessitent que quelques postes soient occupés par la Garde
nationale. Le maintien de l’ordre et de la tranquillité publique exige ce service
57
extraordinaire.
Le Conseil municipal, rassemblé en conseil extraordinaire, ne fait également mention que
de maintien de l’ordre sans aucune opposition solennelle à Bonaparte :
[L]e Devoir de tous les membres du Conseil Municipal doit de se trouver à l’hôtel
de ville en séance permanente pour délibérer sur les moyens qu’il y aurait à
prendre afin de maintenir l’ordre et la tranquilité, faire respecter les personnes et
58
les propriétés, qu’ils doivent même aider M. le Maire dans ses opérations.
Cette attitude laisse comprendre que l’opposition à l’arrivée de Napoléon à Grenoble
n’émane pas du pouvoir local. L’alchimie qui mène au succès de Bonaparte à Grenoble
devra ainsi reposer, comme nous le verrons dans notre deuxième partie, sur d’autres
54
. Gustave Vellein, Retour de l'île d'Elbe, de Grenoble à Lyon : Séjour de Napoléon Ier à Bourgoin le 10 mars 1815, Bourgoin,
Paillet, 1925, p. 23.
55
56
. Décret Impérial donné à Grenoble le 9 mars 1815, Arch. dép. Isère, cote 52 M 6.
. Ordonnance du Roi, nomination de Joseph de St Chamond en tant que Préfet de l’Isère, 15 mars 1815, Arch. Nat., cote
F1a 95 2.
57
. Arrêté du Maire de Grenoble, 7 mars 1815, Arch. mun. Grenoble, cote 2D1.
58
. Délibération du Conseil municipal de Grenoble, 7 mars 1815, Arch. mun. Grenoble, cote 1D3.
20
Partie I : Défaire le pouvoir
facteurs tels que l’opposition plus ou moins vivace de l’armée ou encore le soutien du peuple
grenoblois.
*
Dans le département du Rhône, la Restauration semblait avoir été reçue avec un
enthousiasme certain. En 1814, les communes du Rhône déclaraient d’une seule voix :
Le fléau de la guerre a cessé. La France n’est plus sous le joug d’un homme qui
avait fait lever contre lui toutes les nations de l’Europe qu’il avait spoliée, et tous
59
les souverains qu’il avait insultés.
À Lyon, une poignée de notables avait signé une déclaration en mai 1814 dans laquelle ils
exprimaient leur soulagement :
Heureux enfin de trouver, sous la protection du Gouvernement légitime, la liberté
de manifester leurs sentimens, et de laver le nom Français de la honte dont
il demeureroit entaché, si des coupables, encore souillés du sang de la plus
auguste victime, pouvoient paraître autorisés à prendre part aux affaires de
60
l’État.
Le Comte Chabrol, Préfet du Rhône début mars 1815, ne semble pas présent sur la scène
politique que la ville de Lyon est devenue pendant ces quelques jours. On peut l’expliquer
par l’arrivée du frère et du cousin du Roi à Lyon – que nous allons analyser – qui seuls
suffisent à remplacer l’autorité du Préfet. Le pouvoir déconcentré n’a plus lieu d’être : il est
venu de Paris en personne pour siéger à Lyon.
Ceci étant, le Comte de Fargues, Maire de Lyon, tient absolument à faire preuve
d’autorité face à l’arrivée de Bonaparte. Résolument monarchiste, ses allocutions
témoignent d’un souhait motivé de favoriser la victoire des troupes royales. Il publie deux
déclarations les 7 et 8 mars visant à organiser le logement des militaires chez les habitants
61
lyonnais . Mais deux déclarations, en date du 10 et 11 mars, doivent retenir notre attention
comme elles ont retenu celles de leurs contemporains. Le 10 mars, alors que la rumeur de
l’arrivée de Napoléon se répand dans toute la ville, le Comte de Fargues publie la déclaration
suivante :
Habitans de la Ville de Lyon, En acceptant les fonctions de Magistrat de la Cité,
nous avons contracté l’engagement de nous dévouer, pour assurer le calme et
entretenir l’ordre et la tranquillité parmi ses Habitans. Qu’ils se reposent sur
nous de ce soin paternel ; notre devoir est de le remplir, y réussir sera notre
récompense. Habitans de Lyon ! restez calmes dans vos foyers ; surveillez
vos établissemens, vos ateliers, vos maisons, le reste est du ressort de vos
62
Magistrats.
En réaffirmant ses prérogatives et compétences de Maire, le Comte de Fargues compte
asseoir son autorité, essentielle pour permettre la défaite de Bonaparte. La peur de voir le
peuple s’emparer de l’évènement dans une direction opposée – c’est ce que nous allons
59
. Ralliement des communes du Rhône à la Monarchie, avril 1814, Arch. dép. Rhône, cote 1M111.
60
. Adresse à son Altesse Royale Monsieur Lieutenant-Général du Royaume, Paris, 24 mai 1814, Arch. mun. Lyon, cote
I214.
61
62
. Déclarations relatives aux « Logemens militaires », 7 et 8 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cotes 936 WP 1822-1823.
. Déclaration du Maire de Lyon, 10 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1842.
21
De l'aventurier au Prince.
voir dans le prochain chapitre – habite également le Comte de Fargues. Face à la défaite
le lendemain, il publie une deuxième déclaration commençant de la manière suivante :
Habitans de Lyon, Napoléon revient dans cette Cité dont il effaça les ruines,
dont il releva les édifices, dont il protégea le commerce et les arts : il y retrouve,
à chaque pas, des monumens de sa munificence : sur les champs de bataille,
comme dans ses palais, toujours il veilla sur vos intérêts les plus chers : toujours
63
vos Manufactures obtinrent des marques de sa généreuse sollicitude.
Ce surprenant tournant dans l’attitude du maire de Lyon, à l’instar des autres personnalités
que nous avons examinées, peut être expliqué par la volonté d’embrasser un nouveau
pouvoir dont il savait qu’il parviendrait à ses fins une fois à Paris. Cela ne pouvant être
prouvé à travers des sources, on ne peut qu’émettre des suppositions en plaçant ces
comportements dans une dynamique d’abandon de la Royauté face à une victoire patente
de l’Empire. Cela n’empêche pas les afficheurs lyonnais de rire du « retournement de
veste » du Comte de Fargues : au lieu de recouvrir l’ancienne déclaration de la nouvelle, les
voilà qu’ils les juxtaposent pour rappeler aux Lyonnais que leurs représentants, même s’ils
64
laissent la victoire bonapartiste se répandre, n’ont pas toujours témoigné la même loyauté .
L’échec de la visite du Comte d’Artois à Lyon
En amont du triomphe de Napoléon à Lyon, un évènement se présente comme
moment-charnière dans cette semaine décisive. La venue du Comte d’Artois à Lyon doit
pouvoir organiser les troupes présentes sur place et celles appelées à se réunir dans la
Capitale des Gaules. Arrivé le 8 mars, il espère trouver ici un soutien infaillible à la fois
dans les troupes et dans la population. Tout semble leur indiquer que le peuple lyonnais est
acquis à la cause monarchiste. On rappelle dès que nécessaire les évènements tragiques
de 1793, quand Lyon « la Blanche » refusa les ordres de la Convention et dont la destruction
fut annoncée.
Cet évènement fait avant tout l’objet d’une opposition constante entre l’entrain fragile
des Lyonnais vis-à-vis de la Monarchie et l’image rassurante, comparable à la « méthode
Coué », que le pouvoir vise à diffuser au sein de la ville.
Tout d’abord, les différentes déclarations relatives à l’organisation de la venue du Comte
d’Artois et de l’arrivée de troupes militaires supplémentaires mentionnent l’hébergement
obligatoire des soldats chez les habitants du Nord de la ville (dans les quartiers de SaintClair et des Terreaux) en faisant toutefois passer cette obligation comme un acte de
volontariat enthousiaste de la part des riverains :
Nous sommes persuadés de l’empressement avec lequel ces braves seront reçus
par les Lyonnais, qui se feront un plaisir de les accueillir dans leurs propres
habitations et de ne recourir aux logements étrangers, qu’autant qu’il leur serait
65
impossible de mieux faire.
Le même jour, le Maire publie une déclaration annonçant le passage en revue de la Garde
66
nationale sur la Place Louis-le-Grand :
63
64
65
66
. Déclaration du Maire de Lyon, 11 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1843.
. « Napoléon Ier » dans Bruno Benoit, Patrice Béghain et alii., Dictionnaire historique de Lyon, Lyon, Stéphane Bachès, 2009, p. 896.
. Déclaration du Maire de Lyon, « Logemens militaires », 8 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1822.
. La Place Louis-le-Grand correspond à l’actuelle Place Bellecour, au centre de la Presqu’île de Lyon. Elle avait été nommée Place
Bonaparte puis Place Napoléon durant le Consulat et le Premier Empire.
22
Partie I : Défaire le pouvoir
Son Altesse Royale monsieur, Frère du ROI, passera la revue de la Garde
67
nationale, aujourd’hui Mercredi à midi, sur la Place de Louis-le-Grand.
Cette déclaration peut être interprétée comme une invitation à un rassemblement autour
de la place visant à consolider le soutien de la population lyonnaise à la Monarchie. Ce
premier évènement peut constituer pour le pouvoir une première mesure de la température
politique qui habite la ville de Lyon. Or, l’accueil réservé par les troupes et les Lyonnais sur la
68
Place Louis-le-Grand est très froid et réservé . Le colonel de Montal, échappé de Grenoble,
rapporte au Comte d’Artois les évènements de Laffrey et de Grenoble survenus la veille.
Fort de ce constat, le frère du Roi tente le lendemain d’inverser la tendance en adressant
deux messages. La première déclaration s’adresse aux habitants de Lyon. Plutôt longue,
elle comprend les mentions suivantes :
Aujourd’hui un ennemi audacieux, l’homme de l’île d’Elbe, s’avance, agitant les
brandons de la guerre civile, enhardi peut-être par quelques premiers succès
que la Providence n’a permis que pour le conduire plus sûrement à sa ruine,
en l’aveuglant sur la faiblesse de ses moyens. J’accours pour partager vos
dangers ! Le Frère du Roi se confie à sa Ville fidèle. N’est-ce pas ici qu’ont
toujours été les véritables appuis du Trône ? Les Lyonnais de 1793 sont là, ou
revivent dans leurs enfans. Ce sont eux que j’ai revus dans cette brave Garde
nationale, la force et l’honneur de votre Cité. Vous serez vaillamment secondés
par l’Armée qui se rassemble ; des secours nombreux arrivent de toutes parts,
et c’est sous vos murs, Lyonnais, si on ose les approcher, qu’échouera cette
69
entreprise impie. Vous serez les Sauveurs de la France !
Cette adresse au peuple de Lyon laisse entrevoir de nombreux objectifs voulus par le Comte
d’Artois. Le premier est naturellement de convaincre les Lyonnais que leur fidélité à la
Royauté, seul organe légitime face à « l’homme de l’île d’Elbe » est essentielle car les
évènements à Lyon auront un aspect décisif dans la progression de Buonaparte – il est
d’ailleurs remarquable que les contemporains de cette période mesurent déjà l’enjeu de ces
quelques jours à une échelle bien plus large. Il est intéressant de noter le lien établi avec
l’Armée, censée former une complémentarité avec le peuple nécessaire au succès d’un
camp ou de l’autre. C’est ainsi que la seconde déclaration, adressée aux soldats, reprend
le même registre persuasif :
B onaparte a débarqué sur nos côtes ! … Il conduit avec lui une poignée
d’hommes associés à sa mauvaise fortune, et c’est avec ces faibles qu’il prétend
imposer de nouveau son joug à une grande Nation qu’il a lui-même abandonnée,
après l’avoir conduite sur le penchant de sa ruine. Soldats, il vous calomnie !
(…) Partout où vous verrez mon panache blanc, suivez-le, c’est le chemin de
70
l’honneur.
La presse aussi, comme nous avons déjà commencé de l’évoquer, contribue à créer
un artificiel climat favorable au pouvoir en place. Les feuilles parisiennes rapportent que
67
68
. Déclaration du Maire de Lyon, 8 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1824.
. Gustave Vellein, op. cit., p. 16.
69
. Message de Charles-Philippe de France « Aux Lyonnais », 9 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1834.
70
. Message de Charles-Philippe de France « Aux Soldats », 9 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1835.
23
De l'aventurier au Prince.
le Comte d’Artois « a trouvé les troupes et les habitants réunis dans un sentiment de
71
dévouement et de fidélité, dont elle a reçu les témoignages les plus éclatants » .
L’arrivée du Duc d’Orléans et du Général Macdonald le 9 mars doivent pouvoir apporter
une autorité supplémentaire visant à conserver – sinon reconquérir – le soutien du peuple
et de l’armée. La revue du lendemain est ainsi très attendue. Le Comte d’Artois et le Duc
d’Orléans se rendent alors dans les faubourgs de l’Est lyonnais en essayant de glaner
des informations quant à la progression de Bonaparte, tandis que la presse parisienne
annonce déjà que « Monseigneur le duc d’Orléans, à la tête de vingt mille hommes,
72
avait repoussé Buonaparte au-delà de Bourgoin » . Ils peuvent alors compter sur certains
militaires encore fidèles au Roi, échappés de l’Isère pour rejoindre des troupes royalistes,
qui sont les meilleurs témoins pour informer leur camp beaucoup trop sensible aux rumeurs
et mensonges. Dans la nuit du 8 au 9 mars, l’aide de camp du Comte d’Artois, Jules de
Polignac, se rend à l’Hôtel du Parc de Bourgoin – où Bonaparte logera la nuit suivante –
afin de vérifier si des voyageurs en provenance de Grenoble ont dormi récemment dans
l’établissement. Il y trouve Rostaing, Inspecteur des Revues, royaliste échappé de Grenoble
73
qui conte alors l’accueil réservé par les Dauphinois à Bonaparte la veille . Ces nouvelles
ne font que renforcer la détermination du Comte d’Artois, du Duc d’Orléans et du Général
Macdonald de protéger Lyon. Le 10 mars, ils passent en revue une nouvelle fois les troupes
sur la Place Louis-le-Grand, mais à quelques pas de la place, les Lyonnais attendent déjà
Bonaparte devant le Pont de la Guillotière. Les garnisons ne manifestent qu’une loyauté
hésitante à la Monarchie. Quelques centaines de soldats continuent de suivre les ordres du
74
Général Macdonald mais d’autres se mutinent déjà. Le Moniteur du 22 mars rapporte la
conversation entre un vieux soldat membre d’un des Régiments des Dragons et le Prince :
Allons, camarade, lui dit le prince, crie donc : Vive le Roi ! – Non, Monsieur,
répond ce brave, aucun soldat ne combattra contre son père. Je ne puis vous
75
répondre qu’en criant : vive l’Empereur !
C’est à ce moment-là que les représentants de Louis XVIII comprennent qu’il sera difficile
d’empêcher l’entrée dans la ville des troupes impériales. Malgré la fidélité de quelques
centaines de soldats, ils sont contraints de fuir sur la route de Moulins. Le général
Macdonald, resté à Lyon, n’a plus d’autorité sur les soldats. Le champ est ainsi libre pour
l’Empire arrivant sur le Pont de la Guillotière. Lyon devait être la vitrine du pouvoir, la
personnification du soutien à la Monarchie ; la Capitale des Gaules voit finalement l’Empire
et l’Empereur entrer avec triomphe dans son enceinte. Le vendredi 10 mars 1815, au
milieu des sept jours que nous tentons de comprendre dans ce travail de recherche, la
confrontation directe avec la Monarchie n’est plus d’actualité pour Bonaparte et les siens.
Il peut alors, dans une ville aussi grande et riche en ressources et en soutiens que Lyon,
commencer à réorganiser les troupes dont il dispose et préparer le reste de son voyage
vers Paris.
71
. Cité dans Gustave Vellein, op. cit., p. 27.
72
73
74
. Cité dans Gustave Vellein, op. cit., p. 27.
. Gustave Vellein, op. cit., p. 17.
. Napoléon étant officiellement de retour au pouvoir le 21 mars, il faut comprendre que ce numéro du Moniteur est déjà
sous l’influence et le contrôle directs de l’Empire. Le choix et la retranscription de la citation dans le Moniteur peut avoir fait l’objet
d’une certaine exagération.
75
24
. Cité dans Gustave Vellein, op. cit., p. 30.
Partie II : Regagner le soutien de la France
Partie II : Regagner le soutien de la
France
Il a été décidé au début de ce travail de décomposer le retour au pouvoir de Bonaparte
en trois dynamiques distinctes. Si la monarchie a été défaite car elle ne disposait pas en
son sein de structures suffisamment solides et de représentants assez fidèles, elle doit
également faire face à un peuple tenté par de nouveaux horizons impériaux. Ce peuple doit
pouvoir conférer à Bonaparte une nouvelle légitimité qui lui permettra de pouvoir se reposer
sur une base populaire forte.
L’Armée elle aussi est indispensable à Napoléon. Outil de ses plus grands triomphes
durant son règne, elle doit être en mesure de constituer un « laissez-passer » pour l’Empire
sur sa route vers Paris. Des oppositions fortes entre pro- et antibonapartistes prennent place
durant cette semaine et déterminent in fine le sort du « Vol de l’Aigle » dans leur soutien à
l’Empire, au-delà même de leur seule valeur militaire.
Chapitre 3 Deux villes, deux ovations
On peut dire de manière certes banale que le temps court joue en la faveur de Napoléon.
Comme nous le savons, les informations à Paris se répandent lentement. Pendant ce temps,
Napoléon a pu enfin quitter le Sud et éviter la Vallée du Rhône qui ne lui aurait présenté que
des bastions monarchistes déterminés à le faire tomber. Le plébiscite, on le sait, est une
thématique chère au bonapartisme et à son représentant. Celui-ci sait qu’il doit retrouver
cette providence dans l’accueil que la population lui réserve, sans quoi il ne peut avec
confiance espérer rejoindre Paris. Il se doit donc d’être au bon endroit au bon moment.
Durant sa traversée des Basses et Hautes-Alpes, Napoléon voit les premières foules
saluer son retour. Dans ces premiers moments de joie et de satisfaction, il quitte Gap le
6 mars en laissant aux habitants des deux départements une déclaration dans laquelle
il exprime son émotion de trouver un sincère soutien populaire : « Vous avez raison de
76
m’appeler Votre Père ; je ne vis que pour l’honneur et le bonheur de la France » . Le 7
mars s’offre à lui le Dauphiné, début de cette semaine durant laquelle il retrouve sa pleine
légitimité auprès du peuple. Il sait qu’il sera amené en quelques jours à traverser Grenoble et
Lyon, deux villes sur lesquelles il est en mesure d’obtenir un vif soutien. Mais ces deux cités,
sœurs dans le Vol de l’Aigle, présentent des caractéristiques particulièrement différentes
qui s’avèrent complémentaires dans le parcours de Napoléon.
« Avant Grenoble j’étais aventurier. À Grenoble j’étais Prince. »
Le Dauphiné est connu pour ne pas accueillir la Restauration avec le plus grand entrain.
Cette ancienne province médiévale doit faire l’objet d’une distinction, comme beaucoup
76
. Message de Napoléon « aux Habitans des Départemens des Hautes et Basses-Alpes », 6 mars 1815, Arch. mun. Lyon,
cote 936 WP 1826.
25
De l'aventurier au Prince.
de régions françaises, entre sa capitale d’une part, où l’influence des notables bourgeois
est forte après la Révolution, et le monde rural hors de Grenoble d’autre part, qui de
77
Napoléon garde le souvenir d’un héros et garant des vertus de la terre . Mais la capitale du
Dauphiné n’est pas pourtant plus enthousiaste quant à la Monarchie restaurée : son surnom
« Grelibre » utilisé depuis 1793 est utilisé par Louis XVIII et souligne la méfiance que le
78
pouvoir a envers Grenoble .
L’accueil dans les premiers villages du Dauphiné au matin du 7 mars est positif et est
resté ancré dans les symboliques collectives comme l’image d’un généreux sauveur du
79
peuple . Mais c’est la fin de cette journée qui constitue un enjeu majeur pour Bonaparte. En
effet, la rencontre de Laffrey – que nous examinerons dans le chapitre suivant – constitue
un obstacle de masse dans sa progression, mais celle-ci concerne l’armée et non le peuple.
Entrer dans Grenoble est essentiel pour mesurer la température de la capitale dauphinoise.
L’entrée dans la ville par la Porte de Bonne en début de soirée, facilitée par l’Armée et par
les évènements de Laffrey quelques heures auparavant, est triomphale : les portes fermées
par les ordres politiques et militaires sont détruites à « coups de hache par dehors, et aussi
80
par dedans » . De nombreuses gravures représentent Napoléon sur son cheval au milieu
d’une foule en liesse.
La dualité du Dauphiné se retrouve dans l’arrivée de Napoléon à Grenoble. D’une part,
deux notables grenoblois facilitent grandement le triomphe de Bonaparte en Isère. Jean
Dumoulin, descendant d’une riche famille de gantiers, est bouleversé par l’exil de l’Empereur
81
sur l’île d’Elbe en 1814 . Le deuxième, également âgé de vingt-huit ans, est Joseph Emery,
chirurgien qui est admis dans les maigres troupes que le Traité de Fontainebleau accorde
à Bonaparte. Ce sont ces deux concitoyens qui conseillent à Bonaparte de passer par
Grenoble lors de sa remontée à travers les Alpes, où il pourra trouver un soutien de la part
de la population. À son arrivée le soir du 7 mars, Napoléon est accueilli à l’Auberge des
82
Trois Dauphins tenue par un ancien soldat de la Campagne d’Égypte nommé Labarre .
D’autre part, les paysans dauphinois assurent un soutien sans faille à Bonaparte. En 1836,
ils se confient à Stendhal et évoquent trois raisons de soutenir le retour de l’Empereur : « le
souvenir des exploits militaires de Napoléon, le désir d’une revanche après l’humiliation de
83
la première invasion, la volonté paysanne de garder les biens nationaux » . La littérature
locale retient la description par le Général de la Houssaye des « milliers de torches » portées
84
par les paysans du Dauphiné accompagnant Napoléon dans son arrivée à Grenoble .
Procédé surprenant, les Grenoblois adressent à Napoléon un message public dans
lequel ils expriment leur fierté d’accueillir l’Empereur retrouvé. Cette adresse commence de
la manière suivante :
77
78
79
. Jacques Berriat Saint-Prix, op. cit., p. 6.
. Paul Dreyfus, Histoire du Dauphiné, Paris, Que Sais-Je ?, Presses Universitaires de France, 1972.
. Gilbert Bouchard, L’Histoire de l’Isère en BD (Grenoble, Glénat, 2004) présente dans son Tome 5 Napoléon entouré d’une
liesse populaire jetant des bourses aux maires des villages en leur adressant un court « Pour votre hôpital ! ». Si l’accueil positif des
Isérois n’est plus à prouver, cette image d’Épinal est à prendre évidemment avec précaution.
80
81
82
83
84
26
. Stendhal cité par Louis Comby, Histoire des Dauphinois : des origines à nos jours, Paris, Nathan, 1978, p. 102.
. Sophie et Anthelme Troussier, op. cit., p. 41.
. Auguste Prudhomme, Histoire de Grenoble, Grenoble, Gratier, 1888, p. 666.
. Stendhal cité dans Louis Comby, op. cit., p. 102.
. Cité dans Emmanuel de Waresquiel, op. cit., p. 89.
Partie II : Regagner le soutien de la France
Sire, Les Habitans de Grenoble, fiers de posséder dans leurs murs le
triomphateur de l’Europe, le Prince au nom duquel sont attachés tant de
souvenirs glorieux, viennent déposer aux pieds de Votre Majesté le tribut de leur
respect et de leur amour. Associés à votre gloire et celle de l’armée, ils ont gémi,
avec les braves, sur les évènements funestes qui ont, quelques instans, voilé vos
85
Aigles.
Au-delà du soutien indispensable des citoyens, Napoléon doit leur restaurer leurs symboles
piétinés et laissés à Fontainebleau. C’est pourquoi dès son arrivée à Grenoble la Cocarde
86
tricolore est rétablie et devient alors le signe de l’approbation populaire de l’Empereur .
Napoléon quitte Grenoble le 9 mars au matin et laisse aux habitants du Dauphiné un
message dans lequel il adresse ses remerciements pour leur accueil chaleureux :
[J]e débarquai sur le sol de la Patrie, et je n’eus en vue que d’arriver avec la
rapidité de l’aigle dans cette bonne ville de Grenoble, dont le patriotisme et
l’attachement à ma personne m’étaient particulièrement connus. Dauphinois !
Vous avez rempli mon attente. (…) Dauphinois, (…) j’ai senti le besoin de vous
exprimer toute l’estime que m’ont inspirée vos sentimens élevés. Mon cœur est
tout plein des émotions que vous y avez fait naître ; j’en conserverai toujours le
87
souvenir.
La suite de son périple à travers l’Isère est en tout point comparable à l’accueil que Napoléon
a reçu auparavant. Dans la soirée du 9 mars, les communes de Voreppe, Moirans, Rives
88
célèbrent le passage nocturne de leur Empereur . L’arrivée à Bourgoin dans la nuit du 9
au 10 mars suscite de nombreuses célébrations dans la ville et d’agitation autour de l’Hôtel
du Parc où Napoléon loge pour une nuit et prépare son arrivée à Lyon.
« Lyonnais, je vous aime »
Dans son message aux habitants de Grenoble le 9 mars, Napoléon précise que le
89
chemin doit le mener maintenant « dans [s]a bonne ville de Lyon » . La relation que
Bonaparte entretient avec la Capitale des Gaules est particulière et a souvent éveillé la
curiosité des Historiens. Installé à l’Hôtel du Parc de Bourgoin pendant la journée du 10
mars, il prépare son entrée à Lyon, et doit pouvoir être certain d’obtenir des Lyonnais
qu’ils s’opposent aux troupes du Général Macdonald qui tentent de détruire le pont de la
Guillotière, seul accès sur le Rhône à l’époque vers centre de Lyon.
Le peuple lyonnais fait l’objet de bien des convoitises. Comme nous l’avons vu, la
Monarchie voit en lui un peuple traumatisé par 1793 et qui n’a jamais pu épouser les idées
de la Révolution. Napoléon lui, reconnait dans Lyon une population profondément modérée,
à la fois catholique et sociale, bourgeoise et industrielle, dernière cité qui l’avait acclamé
85
. « Adresse des Habitans de la Ville de Grenoble, À sa Majesté l’Empereur des Français », Arch. mun. Lyon, cote 936
WP 1831.
86
. « Arborer la Cocarde » devient alors le symbole de la Chute des derniers bastions monarchiques. Par exemple, une dépêche
télégraphique en date du 27 mars, alors que Napoléon est déjà de retour aux Tuileries, indique qu’à Nantes, Rennes et Brest, « La
Cocarde Nationale a été arborée par tous aux cris de Vive l’Empereur ! ». Dépêche télégraphique du Ministre de la Guerre, copie
au Préfet de l’Isère, 27 mars 1815, Arch. dép. Isère, cote 52 M 6.
87
88
. « Napoléon aux Habitants du Département de l’Isère », 9 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1832.
. Gustave Vellein, op. cit., pp. 6 – 10.
89
. « Napoléon aux Habitants du Département de l’Isère », 9 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1832.
27
De l'aventurier au Prince.
au moment de son départ pour l’île d’Elbe avant l’humiliation de la Vallée du Rhône. À ce
90
moment-là, le maire de la Guillotière avait été rappelé à l’ordre par le Préfet du Rhône :
Monsieur, J’apprends que, dans le moment où la Nation entière abandonne
Napoléon Bonaparte, et le déclare déchu d’un trône d’où il vient de descendre
lui-même, vous manifestez de l’attachement aux choses qui rappellent le règne
funeste de ce monarque. Comme il se pourrait que cette manifestation devînt
dans votre commune une occasion de trouble et de désordre, je vous rends
responsable de tout évènement fâcheux qui en proviendrait, et je vous invite à
m’informer sans délai des faits qui peuvent avoir donné lieu au rapport que l’on
91
vient de me faire à votre égard.
Au-delà des querelles politiques, les Lyonnais font preuve dans leur attitude d’une
indépendance qui effraie le pouvoir. Quelques semaines avant l’annonce du retour de
Napoléon, dans une affaire bien différente, le Préfet avait demandé que les crieurs de
journaux ne scandent que les titres des publications et non le contenu des articles, et ce afin
92
d’éviter toute éventuelle émotion populaire . Le 9 mars, alors que l’arrivée de Bonaparte se
fait imminente, tout rassemblement dans les rues, sur les Quais ou dans les Ports est interdit
93
par le Maire . Le lendemain, il demande aux Lyonnais « qu’ils se reposent sur nous de ce
94
soin paternel » de veiller à leur sécurité. De manière évidente, les Lyonnais dérangent.
Leur soutien latent aux « bandits de l’île d’Elbe » ne cherche qu’à être exprimé. C’est ce qui
arrive finalement dans la journée du 10 mars : les troupes de Macdonald doivent se replier
à l’Ouest alors que la population attend déjà sur le Pont de la Guillotière Napoléon.
À l’instar des paysans du Dauphiné à Grenoble, les Canuts lyonnais forment un groupe
populaire cohérent et supérieur numériquement qui apporte son total soutien au retour de
Napoléon. L’intérêt que l’Empereur portait aux industries de la Soie en région lyonnaise
ainsi que la détérioration de l’économie sous la Restauration peuvent l’expliquer. Les
canuts tentent alors de démonter les barricades afin de faciliter le passage des troupes
95
napoléoniennes qui réussissent en fin de journée du 10 mars à entrer dans la ville une
heure avant leur Empereur retrouvé.
Déjà expliqué précédemment, le soudain inversement d’attitude du Maire le Comte de
Fargues fait naître les déclarations les plus enthousiastes de sa part à l’idée d’accueillir
Bonaparte. Outre sa première déclaration, il publie le 11 mars une invitation publique à la
fête dans les rues de Lyon :
Pour célébrer le retour de Sa Majesté l’Empereur dans sa bonne ville de Lyon,
tous les édifices publics et particuliers seront illuminés ce soir. Nous n’avons
96
pas besoin d’inviter nos concitoyens à se conformer à cette disposition.
90
. Aujourd’hui quartier intégré au 7e arrondissement de Lyon, la Guillotière constituait à l’époque un faubourg populaire
important de l’autre côté du Rhône.
91
92
93
94
. Lettre du Préfet du Rhône au Maire de la Guillotière, 11 avril 1814, Arch. dép. Rhône, cote 4 WP 057.
. Lettre du Préfet du Rhône au Ministre de l’Intérieur, 4 mars 1815, Arch. dép. Rhône, cote 4 M 149.
. Arrêté du Maire de Lyon, 9 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1836.
. Déclaration du Maire de Lyon, 10 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1842.
95
96
28
. Emmanuel de Waresquiel, Cent-Jours, la tentation de l’impossible, Paris, Fayard , 2008, p. 90.
. Avis du Maire de Lyon, 11 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1844.
Partie II : Regagner le soutien de la France
Le séjour de l’Empereur à Lyon durant trois jours se transforme en bal permanent de
soutiens populaires et de notables. « Plus de 20,000 âmes stationnent sous ses fenêtres »
97
écrit Félix Fleury cinquante ans plus tard . La culture populaire retranscrit cette liesse,
98
notamment à travers la musique .
Napoléon quitte Lyon le 13 mars, après quatre jours de visites dans la ville et de
passage en revue des troupes. De ce départ reste gravée une déclaration que l’Empereur
fait afficher partout dans la ville :
Lyonnais, Au moment de quitter votre Ville pour me rendre dans ma Capitale,
j’éprouve le besoin de vous faire connaître les sentimens que vous m’avez
inspirés. Vous avez toujours été au premier rang dans mon affectation. Sur
le Trône, ou dans l’exil, vous m’avez toujours montré les mêmes sentimens.
Ce caractère élevé, qui vous distingue spécialement, vous a mérité toute mon
estime. Dans des momens plus tranquilles, je reviendrai pour m’occuper de vos
besoins, et de la prospérité de vos Manufactures et de votre Ville. Lyonnais, je
99
vous aime.
Ces mots restent encore à ce jour le parangon de la relation entre l’Empereur et Lyon,
au même titre que la reconstruction de la Place Bellecour en 1800, de l’organisation de la
Consulta italienne en 1802 au Collège de la Trinité ou encore du projet de Palais Impérial
dans le quartier de Perrache en 1804. Ce lien est appelé à rester fort et le retour de Napoléon
à Lyon dans les années qui suivent est attendu et espéré par les Lyonnais.
*
Le peuple a apporté, en Isère comme dans le Rhône, dans les villes comme à la
campagne, un soutien indéfectible au retour de Napoléon qui a contribué – comme nous
l’avons vu – au rejet de la Monarchie et qui prépare simultanément – nous le verrons dans
la dernière partie – un retour officiel au pouvoir de Bonaparte en tant qu’Empereur.
Chapitre 4 L'indispensable appui de l'Armée
« On ne peut arrêter l’eau de la mer avec ses mains » Maréchal Ney
100
en référence à la progression de Napoléon, le 14 mars 1815
L’histoire militaire occupe un rôle prééminent durant tout le règne – voire la vie – de
Napoléon Bonaparte. Ancien élève de l’École de Brienne, reconnu comme fin stratège par
ses contemporains, père de nombreuses légendes militaires à la suite de ses victoires en
Égypte, à Austerlitz ou encore à Iéna, on peut discuter longuement de la corrélation entre
ses conquêtes militaires, la gestion de son Empire et son constant besoin d’étendre ce
dernier. Or, il n’est pas question ici de dresser une histoire militaire du « Vol de l’Aigle » ;
au contraire, l’enjeu est de retranscrire un soutien militaire en atout politique. En effet,
les troupes doivent assurer non seulement une sécurité pour Bonaparte mais aussi une
97
98
99
100
. Félix Fleury, op. cit., p. 8.
. Les paroles de plusieurs chants se trouvent en annexe 4.
. Déclaration de Napoléon aux Lyonnais, 13 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1859.
. Cité dans Arthur Conte, Soldats de France : Les grandes heures de notre histoire, Plon, 2001, p. 268.
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De l'aventurier au Prince.
capacité de progression dans les terres et de conviction envers les citoyens et autres troupes
militaires encore hostiles au retour de l’Empereur. De très minces effectifs sont accordés à
Buonaparte par le Traité de Fontainebleau ; c’est avec ce millier de soldats que Napoléon
quitte l’île d’Elbe fin février. Déjà lors du débarquement à Golfe-Juan, il souligne l’importance
d’attendre de ses soldats un soutien sans failles :
Soldats ! Venez vous ranger sous les drapeaux de votre chef ; son existence
ne se compose que de la vôtre ; ses droits ne sont que ceux du peuple et les
vôtres ; son intérêt, son honneur, sa gloire, ne sont autres que votre intérêt, votre
honneur et votre gloire. La victoire marchera au pas de charge : l’Aigle, avec
les couleurs nationales, volera de clocher en clocher, jusqu’aux tours de NotreDame ; alors vous pourrez montrer avec honneur vos cicatrices ; alors vous
pourrez vous vanter de ce que vous aurez fait ; vous serez les libérateurs de la
101
Patrie.
Comme toute histoire napoléonienne, celle du soutien de l’Armée pendant le « Vol de
l’Aigle » a son évènement-phare, embelli par la légende bonapartiste : la rencontre de
Laffrey, le 7 mars 1815, quelques heures avant l’arrivée à Grenoble. Ce jour-ci, sur la plaine
de Laffrey, au bord d’un lac entouré par les Alpes, les troupes de l’Empire rencontrent
celles de la Monarchie qui, dans un extrême dilemme entre jeter les Armes et tirer sur
Bonaparte, se rallient à l’Empereur. En dépouillant cette scène de ses enluminures, elle
conserve toutefois une portée historique forte : elle marque le début des ralliements de
bataillons à la cause impériale. Ceux-ci sont vitaux car tout en apportant un nouveau soutien
à Napoléon ils abandonnent celui qu’ils ont envers la Royauté. Nous analyserons les actes
de ce registre qui surviennent de Grenoble à Lyon et qui constituent un appui décisif sur
le chemin vers Paris.
« Je suis votre Empereur, reconnaissez-moi ! » : la rencontre de Laffrey
À Grenoble, le Général Marchand prépare depuis le 5 mars la défense de la ville afin
e
d’immobiliser complètement la progression de Bonaparte. La 5 de ligne du Commandant
Delessart est postée aux environs de la Mure, à trois heures au sud de Grenoble, et
constitue le premier obstacle aux troupes napoléoniennes. La légende ne conserve que la
rencontre du 7 mars entre les deux régiments, prêts à mener la première bataille depuis
le débarquement de Golfe-Juan. Alors que les officiers royalistes ordonnent à leurs soldats
e
paralysés de peur d’ouvrir le feu, Bonaparte s’avance et s’exclame : « Soldats du 5 , je suis
votre Empereur. Reconnaissez-moi ! ». Et de poursuivre : « S’il est parmi vous un soldat
qui veuille tuer son empereur, me voilà ! ». S’ensuit une scène de joie et de réconciliation
entre cocardes blanches et tricolores.
Cet évènement reste l’une des pierres angulaires de la légende napoléonienne des
ème
Cent-Jours. Gabriel Faure écrit à la fin du XIX
siècle :
Tandis qu’à Grenoble, j’étais dans l’hôtel même où logea Napoléon ; on me
montra la chambre que garnissait encore le mobilier de l’époque ; je déjeunais
dans la salle où il prit ses repas, en des circonstances mémorables, il y avait
quatre-vingts ans, le soir même de la rencontre de Laffrey : cela, c’était de
102
l’histoire.
101
. Message de Napoléon « à l’Armée » depuis Golfe-Juan, 1er mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1871.
102
. Gabriel Faure, Pèlerinages dauphinois, Grenoble, J. Rey, 1925, p. 94.
30
Partie II : Regagner le soutien de la France
Ceci étant, l’Histoire dans sa signification scientifique est bien plus complexe. Cet
évènement ne résulte pas seulement d’une rencontre fortuite et du courage d’un Homme
convaincu de la fidélité d’une garnison entière, mais a été en vérité orchestré afin qu’il ne
reste qu’une place infime laissée à l’arbitraire. La rencontre dans la nuit du 6 au 7 mars
103
entre les adjudants-majors des deux camps ayant pour but de « faire le logement » –
c’est-à-dire de préparer la bataille – se transforme alors en mise en scène de l’évènement.
« L’Empereur va marcher vers vous. Si vous faites feu, le premier coup de fusil sera pour
104
lui. Vous en répondrez devant la France » dit Laborde à son homologue royaliste . Sans
bien sûr que ce dernier ne se range immédiatement derrière le drapeau tricolore, les soldats
royalistes étaient autour des deux hommes et ont tout entendu. Le Commandant Delessart
aurait alors dit : « Comment engager le combat avec des hommes qui tremblent de tous
105
leurs membres et qui sont pâles comme la mort ? » . Ainsi peut être introduite, conclue et
résumée la Rencontre de Laffrey : en mesurant le potentiel choix qui était le leur, les soldats
n’ont osé tirer sur leur ancien Empereur malgré les instructions du capitaine Randon, neveu
du Général Marchand. Il ne s’agit pourtant pas d’un soulèvement d’une armée contre ses
dirigeants, ni d’une apparition miraculeuse en la personne de Bonaparte. L’évènement est
un subtil concours de circonstances au sein duquel a pu se produire le dénouement que
nous connaissons.
Au-delà de l’évènement per se, remarquable pour ceux qui scientifiquement
construisent l’histoire de l’Empire tout autant que pour ceux qui en admirent les symboles,
ses conséquences sont certainement encore plus notables car nombreuses et décisives.
L’opportunité du ralliement, illustrée par ces quelques mots prononcés à Laffrey, « Je suis
votre Empereur, reconnaissez-moi ! », va ainsi s’offrir à de nombreuses garnisons durant le
voyage de Napoléon vers Paris. Avant même l’arrivée à Grenoble le soir du 7 mars, c’est
ème
la 7
de ligne menée par Charles de la Bédoyère qui se rallie à Bonaparte dans une
euphorie générale accompagnée de plusieurs chants : « Vive l’Empereur ! », mais aussi
106
« Bon ! Bon ! Napoléon va rentrer dans sa maison ! » .
La suite du succès militaire à Grenoble et Lyon
Ainsi les troupes de Napoléon se sont-elles agrandies avant même l’arrivée de
l’Empereur à Grenoble. La Capitale du Dauphiné constitue une ressource logistique
et humaine de premier ordre, et dans le cas de notre analyse un soutien militaire
potentiellement colossal. Le Général Marchand avait depuis plus de deux jours organisé la
défense de la ville mais avait inclus dans son plan de défense l’appui indispensable des
deux régiments postés à La Mure (près de Laffrey) et à Vizille. Or, comme nous l’avons
vu, ces troupes ont manifesté leur ralliement à l’Empire et mettent ainsi en péril le plan
107
de Marchand, contraint de prendre la fuite par le nord de la ville . L’accès à Grenoble
permet alors de réorganiser dans un lieu clos et sûr les équipements qui sont désormais à
la disposition de l’Armée impériale, soit « un parc de 200 pièces d’artillerie, (…) 60 000 fusils
108
et (…) une immense quantité de munitions » . Le lien tissé avec l’Armée est également
103
104
105
. Du côté de l’Empire, l’adjudant-major s’appelle Laborde.
. Cité dans André Castelot, op. cit., p. 731.
. Ibid, p. 732.
106
107
108
. Ibid, p. 734.
. Sophie et Anthelme Troussier, op. cit., pp. 58 – 59.
. Auguste Prudhomme, op. cit.
31
De l'aventurier au Prince.
symboliquement marqué par le séjour de Bonaparte à l’Auberge des Trois Dauphins tenue
par Labarre, ancien soldat de la campagne d’Égypte. L’entrée dans la capitale iséroise est
perçue par de nombreux auteurs comme une grande étape franchie sur la route de Paris,
à l’image de Gustave Vellein qui en 1925 écrit :
Les cinq régimes qui avaient embrassé sa cause et s’étaient joints aux vétérans
de l’Ile d’Elbe, constituaient déjà une troupe capable de braver les forces que la
royauté prétendait lui opposer ; mais à voir l’enthousiasme avec lequel l’armée se
rangeait sous l’étendard aux trois couleurs, il devenait de plus en plus probable
que l’aigle continuerait, sans obstacle, son vol, de clocher en clocher, jusqu’aux
109
tours de Notre-Dame.
Alors que le Comte d’Artois passe en revue ses troupes à Lyon, Napoléon peut se targuer de
pouvoir faire de même à Grenoble. Les régiments qui ont rejoint l’Empire vont constituer un
atout majeur pour la suite des évènements car ceux-ci entreprennent une action à l’impact
capital : plusieurs régiments rédigent des lettres à l’attention de leurs frères d’armes encore
fidèles au Roi, dans lesquelles ils les invitent à rejoindre Napoléon :
Depuis le cinq Mars, les Aigles Impériales nous étaient annoncées, et leur vol
rapide nous présageant très-prochainement l’heureux jour où nous verrions
l’auguste Souverain qui nous a conduits constamment à la victoire, et qui eut
toujours pour devise : Amour de la Patrie, honneur et gloire ; nos cœurs étaient
disposés d’avance à accueillir Sa Majesté comme tous les bons Français doivent
le faire. (…) Suivez notre exemple, camarades ! L’Empereur ne veut que la gloire
et l’honneur de la France, et à ces rimes quiconque ne se rallierait point à lui,
serait l’ennemi de sa Patrie. Vous avez été habitués à estimer vos compagnons
d’armes sur le champ de bataille ; ils ne peuvent donc vous tromper. Que
110
Napoléon soit notre mot de ralliement !
À leur Empereur aussi, les Soldats s’adressent pour leur déclarer officiellement leur
confiance et leur foi en son retour :
e
Les Officiers, Sous-Officiers et Soldats de votre 11 régiment d’infanterie de
ligne, ont éprouvé des peines bien cruelles, lorsque, par la lâcheté et la perfidie
de ceux que Votre Majesté avait daigné combler de bienfaits, nous avons vu un
moment l’Aigle française arrêter son vol rapide, elle qui naguère faisait trembler
toute l’Europe et lui dictait des lois ; nous n’avons jamais été séparés de Vous ;
nos cœurs et nos vœux vous ont suivi, nous n’aspirons qu’au bonheur de vous
prouver notre dévoûment, notre fidélité et notre attachement à votre Personne
sacrée. Nous jurons, Sire, de mourir pour votre service et pour le maintien de
111
vos droits.
Ainsi, il semble que les régiments mesurent à Grenoble la portée de leur ralliement à l’Empire
durant ce vol de « l’Aigle française », comme ils aiment à le citer. Les faits survenus à
109
. Gustave Vellein, op. cit., p. 5.
110
. « Les Officiers, Sous-Officiers et Soldats du 4ème Régiment du Corps Impérial de l’Artillerie, À leurs Camarades », 8
mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1828.
111
. « Les Officiers, Sous-Officiers et Soldats du 11ème Régiment d’infanterie de ligne, À Sa Majesté l’Empereur des
Français », Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1840.
32
Partie II : Regagner le soutien de la France
Grenoble ne constituent pas un évènement fini, et les risques qui les attendent à Lyon leur
sont bien sûr connus. Mais la première réelle victoire et ovation dans une grande ville –
Grenoble est peuplée de plus de 30 000 habitants en 1815 – confère un réel sentiment de
« retour » de Bonaparte, que les Soldats et la population peuvent ainsi saluer.
*
Prendre la ville de Lyon exprime à son paroxysme le dualisme qu’il existe dans cette
situation entre l’histoire militaire en elle-même et celle du soutien militaire que nous dressons
dans ce chapitre : le rassemblement de nombreuses garnisons à Lyon sous l’autorité du
frère du Roi constituerait, si les troupes de Bonaparte parvenaient à prendre la ville, un
potentiel fort pour l’Empire en termes de force de dissuasion afin de marcher sans violences
jusqu’à Paris, mais aussi un soutien massif afin d’insuffler au sein de l’Armée une réelle
légitimité en la personne de Napoléon.
Lors du passage à Lyon en 1814 de l’escorte impériale qui menait Bonaparte à l’île
d’Elbe, la population avait célébré la fameuse garde impériale sous le regard rétif des
112
monarchistes et des soldats de la Sixième Coalition . Peu enthousiastes lors du passage
en revue du Comte d’Artois, les troupes postées à Lyon en mars 1815 sont alors dirigées
113
dès le 9 mars par le Général Macdonald, descendant d’une famille de Lords écossais .
Comme nous l’avons évoqué, ce soutien s’effrite fortement, influencé par une population
qui a déserté la place Louis-le-Grand pour attendre devant le Pont de la Guillotière l’Armée
impériale. Des lettres de soldats publiées par Arthur Chuquet dans son ouvrage Lettres
de 1815 décrivent le chaos et l’abandon des régiments vis-à-vis de leur Monarque, qui lui
préfèrent Bonaparte :
J’ai quitté, ou plutôt je me suis échappé de Lyon à deux heures et demie de
l’après-midi, après avoir été témoin, sur le pont de la Guillotière, de la défection
e
e
e
des 20 , 24 régiment de ligne et 13 de dragons qui, à l’apparition de l’avantgarde de Napoléon, ont passé sous ses drapeaux aux cris de Vive l’Empereur,
cris répétés du faubourg de la Guillotière aux quais du Rhône, remplis d’une
114
multitude sur les deux rives.
L’entrée victorieuse dans Lyon constitue une nouvelle étape militaire pour Napoléon qui
peut ainsi compter sur le nouveau soutien des mutins royalistes du 10 mars. Les journées
suivantes font l’objet de nombreux passages en revue et de réapprovisionnement des
troupes. À Paris, la Presse continue de sous-estimer les effectifs du corps armé impérial.
Le Moniteur du 14 mars décrit les évènements de Lyon de la manière suivante :
L’ennemi est cerné de toutes parts, il ne peut échapper à son juste châtiment,
et c’est parce qu’il ne se dissimule plus sa perte irrévocable, c’est parce qu’il ne
peut plus marcher en avant, ni rétrograder, que ce grand capitaine, jadis si actif,
mais dont les facultés ont baissé, s’amuse à Lyon à passer la revue de sa petite
troupe.
C’est cette « petite troupe » qui, au départ de Napoléon, adresse à son Empereur le même
type de déclaration que celui publié à Grenoble :
112
113
114
. G. Lenotre, Napoléon : Croquis de l’Épopée, Bernard Grasset, 1932, p. 181.
. Arthur Conte, op. cit., p. 237.
. Cité dans Gustave Vellein, op. cit., p. 38.
33
De l'aventurier au Prince.
Comme au retour de l’Égypte, comme après ces époques signalées dans nos
annales, lorsque la Patrie vous redemandait à grands cris ; seul… avec l’intérêt
de la cause commune, les pressentimens du courage, et guidé par le génie de
Marengo, d’Austerlitz, d’Iéna, de Montmirail ; Votre Arrivée fut une victoire pour
vos enfans ; vos paroles, des bienfaits ; votre marche, une pompe triomphale…
Nous avions reconnu l’homme de la Nation. (…) Sire ! Vous avez dit, nous
sommes maîtres chez nous ; oui, nous le serons. Que les peuples nous laissent
oublier que nous l’avons été chez eux, et qu’ils se rappellent ce que peuvent des
Français électrisés par l’enthousiasme, sollicités par des souvenirs, et conduits
115
par Napoléon.
Ainsi retrouvons-nous le même type d’interaction que celui qui était entretenu entre
Napoléon et le peuple. Bien entendu, toutes les garnisons n’accompagnent pas Bonaparte
jusqu’à Paris : un maillage militaire des territoires est en pleine reconstitution, et c’est
sur ce réseau que l’Empereur doit pouvoir compter, au même titre que l’appui de la
population. En 1815, Fleury de Chaboulon s’entretient à Vienne avec Werner et lui explique
la complémentarité du soutien du peuple et de l’armée dans le succès du retour de
Napoléon :
S’il n’avait eu pour lui que le suffrage de quelques régimens insubordonnés,
aurait-il traversé la France sans obstacle ? Aurait-il recueilli sur son passage
le témoignage unanime de dévouement et d’amour que firent éclater à l’envi la
116
population entière du Dauphiné, du Lyonnais et de la Bourgogne ?
Ainsi avons-nous, au cours des deux chapitres de cette deuxième partie, insisté sur
la complexe combinaison de circonstances et de soutiens sur lesquels Napoléon peut
compter : d’une part un soutien fixe des populations locales au fur et à mesure du voyage
de Bonaparte et des siens ; d’autre part un appui mobile de la part des troupes militaires
qui viennent progressivement rejoindre les rangs de moins en moins maigres de l’Empire
et qui sont réorganisées pour à la fois éviter une reconquête et royaliste mais surtout
préparer l’avenir des Cent-Jours qui apparemment – et notre œil contemporain peut le
confirmer – placeront de nouveau l’Armée au centre des projets de l’Empereur. Cette Armée,
dans les semaines qui suivent, continuent de communiquer entre les régiments fidèles
et ceux encore hostiles au retour de Bonaparte. Par exemple, malgré le fort soutien des
populations des Alpes, les militaires basés dans le département du Mont-Blanc sont appelés
au rassemblement et à l’obéissance :
Comme Général, comme votre compatriote, je compte sur vous et vous attends
tous à Chambéry. Présentez-vous à vos Maires, qui vous délivreront des feuilles
e
de route : ceux d’entre vous non encore inscrits au 7 de ligne, seront dirigés
sur les corps qu’ils choisiront. Qu’un mouvement spontané vous rallie autour
du faisceau national, contre lequel échouera toute tentative étrangère. Par
cette conduite, tout retard, toute désobéissance passés seront oubliés, et vous
115
. Lettre de la 19ème division militaire à Napoléon, 14 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP.
116
. Fleury de Chaboulon, Les Cent-Jours : Mémoires pour servir à l'histoire de la vie privée, du retour et du règne de
Napoléon en 1815, Londres, Roworth, 1820, p. 18.
34
Partie II : Regagner le soutien de la France
resterez et serez toujours dignes de notre département, de notre Empereur et de
117
la Patrie.
De plus, l’annonce des ralliements de certaines troupes est rendue publique afin d’accélérer
le mouvement des autres garnisons encore réticentes. Début avril, certaines troupes de la
Vallée du Rhône n’ont toujours pas arboré la cocarde tricolore : le ralliement d’Avignon est
donc largement publicisé afin de créer un mouvement global :
Les troupes des Divisions du Midi apprendront avec plaisir que le 10, les
Habitans d’Avignon et la Garnison ont arboré la Cocarde tricolore. Le 10, le
Maréchal Masséna, à Toulon, a fait prendre la Cocarde tricolore et arboré sur
la Flotte et les Forts le Drapeau national ; il a fait tirer cent coups de canon, et
fait publier une Proclamation dans laquelle il exprime les sentimens de tout bon
118
Français pour l’Empereur et la Patrie.
Cette partie a voulu expliquer par des faits et des mouvements ce qui a souvent été résumé
en une légende, celle d’un Aigle volant de clocher en clocher de la Côte d’Azur à Paris.
Mais la vérité met en lumière les difficultés de progresser tout en faisant le nécessaire pour
garder hors de portée de nuire les opposants et en s’assurant du ralliement de toujours plus
d’habitants et de garnisons. L’image du « clocher », quant à elle, semble particulièrement
erronée car l’Église n’est pas la clé de voûte de ce retour de l’Aigle. Est-ce un premier
indice du tournant libéral que veut opérer Bonaparte ? Son attitude politique et son ambition
impériale semblent en effet être altérées durant ce voyage, et il convient de prendre le temps
de l’analyser.
117
. Proclamation du Chevalier Songeon, 7e division militaire, département du Mont-Blanc, 26 mars 1815, Arch. mun.
Lyon, cote 936 WP 1871.
118
. « Ordre du jour » à Lyon le 13 avril 1815, version publiée par le Préfet de l’Isère dans le département le 14 avril 1815,
Arch. dép. Isère, cote 52 M 7.
35
De l'aventurier au Prince.
Partie III : Napoléon repolitisé,
Bonaparte réimpérialisé
Trois néologismes semblent définir le résultat des deux dynamiques que nous avons
expliquées précédemment.
Le premier terme, la « relégitimation » traduit la reconnaissance de Bonaparte par ses
soldats – dans un premier temps lors de la rencontre de Laffrey puis dans les villes de
Grenoble et Lyon – et par la population des territoires traversés.
Le deuxième substantif, la « repolitisation », peut être illustré par la citation de Napoléon
dans ses mémoires de Sainte Hélène : « Avant Grenoble j’étais aventurier. À Grenoble
j’étais Prince ». C’est dans l’attitude même de Bonaparte que les habitudes, les déclarations
et les choix retrouvent un ton politique et une ambition dignes d’une personne publique.
Enfin, il s’agit d’une réelle « réimpérialisation » pour celui qui jusqu’alors n’était encore
plus que le souverain de l’île d’Elbe. Au-delà du retour dans la sphère politique, c’est un
Aigle que l’on voit revenir sur son trône petit à petit, alors que Paris parait encore éloignée.
Cette troisième et dernière partie est le fruit des deux précédentes : elle mènera une
analyse de l’évolution de l’attitude politicienne de Bonaparte durant cette semaine décisive
puis dressera un état des lieux des enjeux restants pour Napoléon au moment de quitter
Lyon le 13 mars.
Chapitre 5 : Attitudes politiques d'un Empereur en
(re)devenir
« À présent, la partie purement « aventureuse » de son épopée tirait à sa fin. »
119
Thierry Lentz à propos de l’arrivée à Lyon de Napoléon
En l’espace de sept jours, du 7 au 13 mars 1815, la certitude pour Bonaparte d’être en
mesure d’accéder de nouveau au trône se confirme, motivée par l’accueil que lui réservent
les villes qu’il traverse et le ralliement de nombreux régiments militaires. Fort de cette
dynamique, Napoléon retrouve alors une confiance politique que l’exil sur l’île d’Elbe lui
avait confisquée. À l’image des autres grandes mutations de son périple, c’est en particulier
durant cette semaine que l’évolution de son envergure politique se fait la plus patente.
L’hésitation d’un Homme lancé dans une aventure incertaine retrouve dans sa progression
à travers les Alpes une confiance qui lui confère à nouveau une verve impériale. Nonobstant
le fait que cette progression suive bien sûr un enchaînement chronologique, il nous faut pour
la comprendre au mieux la découper en thèmes et en éléments qui peuvent nous éclaircir
sur les caractéristiques de cette mutation.
Un discours qui retrouve progressivement une tonalité impériale
119
36
. Thierry Lentz, op. cit., p. 302.
Partie III : Napoléon repolitisé, Bonaparte réimpérialisé
Si un concept semble illustrer au mieux cet effort incroyable du « Vol de l’Aigle », c’est
bien la légitimité. Comme l’écrit Emmanuel de Waresquiel, « en mars 1815, la question
de la légalité passe au second plan – puisqu’elle préexiste au retour de l’île d’Elbe – pour
120
laisser toute sa place à celle de la légitimité » . Si celle du peuple – comme la deuxième
partie de ce mémoire l’a expliqué – semble acquise au cours du périple, Napoléon doit en
retour agir comme un personnage légitime et légitimé. Ainsi, ses déclarations retranscrivent
progressivement ce retour à la reconnaissance.
En quittant Gap le 6 mars, il est épris d’un premier sentiment de représenter à nouveau
une population enthousiaste. « Vous avez raison de m’appeler Votre Père », dit-il aux
habitants des Hautes-Alpes. La rencontre de Laffrey le lendemain, que nous avons déjà
identifiée comme un moment-clé qui assure le commencement du soutien de l’Armée, est un
premier test à grandeur nature puisque Napoléon compte sur le bon sens de ses anciennes
troupes pour le reconnaître – pas seulement physiquement, mais hiérarchiquement et
symboliquement – comme leur Empereur. Si les récits conservent majoritairement de cet
évènement une forme de bravoure, la réalité politique est probablement plus proche de
l’exercice et de la tentative, car à ce stade rien n’est certain pour celui qui aspire à redevenir
Empereur.
C’est Grenoble et l’accueil triomphal réservé par les Dauphinois qui insufflent auprès de
Bonaparte l’assurance nécessaire pour retrouver son intact lexique impérial. Sa déclaration
aux habitants de l’Isère résonne comme le message d’un Père de la Nation à son peuple.
121
En leur adressant « Dauphinois ! Vous avez rempli mon attente ! » , il ne se présente
plus comme un fugitif demandant la modeste aide d’une population, comme il l’avait fait
dans les Hautes-Alpes. À ce moment-là, il avait adressé aux habitants de Gap un message
plus empreint d’émotion que de réel esprit de gouvernance : « J’ai été vivement touché de
tous les sentimens que vous m’avez montrés ; vos vœux seront exaucés. La cause de la
122
Nation triomphera encore !!! » . À Grenoble s’exprime un dirigeant qui envers les villes
qu’il traverse a des exigences et des attentes, nécessaires à la réussite de son périple.
Ce sentiment n’est qu’amplifié par les évènements de Lyon. L’Empereur ne fera que
peu de déclarations durant son séjour à Lyon, malgré la dense actualité des journées
qu’il traverse. Son discours d’adieu aux Lyonnais s’affiche en parangon de ce que nous
cherchons à démontrer : en plus d’exprimer une sérieuse reconnaissance envers la ville
de Lyon, Napoléon prend un nouveau rendez-vous avec son peuple en leur adressant :
« Dans des momens plus tranquilles, je reviendrai pour m’occuper de vos besoins, et de
la prospérité de vos Manufactures et de votre Ville ». Cette pénultième phrase précédant
le fameux « Lyonnais je vous aime » est révélatrice de l’attitude de l’Empereur : il se
projette dans un futur prospère dans lequel les conflits sont vraisemblablement terminés,
laissant à Napoléon le temps de porter une attention particulière à la ville de Lyon. Cette
attention est mise en exergue par la volonté de revenir à Lyon pour y améliorer la ville et
ses manufactures. Non seulement protecteur, Bonaparte se veut être acteur et dirigeant :
ce qui deviendra les Cent-Jours est à l’époque le projet d’une refonte de l’Empire, d’une
amélioration de la France.
Ainsi, il convient avant tout de comprendre que les discours de Napoléon durant cette
semaine, peu nombreux, sont en mesure de traduire une confiance, un sentiment à l’égard
120
121
122
. Emmanuel de Waresquiel, op. cit., p. 96.
. Napoléon « aux Habitans du Département de l’Isère », 9 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP.
. Message de Napoléon « aux Habitans des Départemens des Hautes et Basses-Alpes », 6 mars 1815, Arch. mun. Lyon,
cote 936 WP 1826.
37
De l'aventurier au Prince.
d’une situation dans laquelle rien ne lui est acquis. Mais ces discours ne peuvent être les
seuls indices d’un tempérament plus complexe. Les actes de Bonaparte sont un enjeu
essentiel, aussi bien que les stratégies adoptées pour afficher de nouveau l’autorité que la
Restauration lui a arrachée.
Être reçu comme un Empereur et agir de la sorte
L’accueil triomphal réservé à Bonaparte s’accompagne de nombreux protocoles qui
rapidement rappellent la position d’Empereur qui est celle de Napoléon. Le passage en
revue des troupes en est le volet militaire, mais de multiples actions d’une même envergure
sont entreprises sur le champ politique. Rencontrer les décideurs locaux – maires, préfets,
sous-préfets, membres des conseils généraux et municipaux – devient une norme à
partir de Grenoble. Et c’est sans naïveté politique que Napoléon réalise ces visites. Le 9
mars, le Maire de Rives Jean Accoyer vient saluer l’Empereur traversant le village, mais
celui-ci l’interrompt immédiatement : en effet, le Maire avait adressé en octobre 1814 un
123
long message de remerciement au Comte d’Artois pour avoir « chassé l’usurpateur » .
Napoléon veut alors retisser à travers le territoire la toile impériale que la Restauration avait
démontée.
Souvent oubliée, étouffée entre les mastodontes historiques que sont les évènements
de Grenoble et de Lyon, la journée passée à Bourgoin à l’Hôtel du Parc révèle de nombreux
indices quant à la « réimpérialisation » de Bonaparte. Arrivé tardivement dans la nuit du 9
au 10 mars, Napoléon est attendu par la population de Bourgoin et par les propriétaires de
124
l’Hôtel du Parc, grands admirateurs de l’Empereur . Son accueil est, comme de coutume
durant cette semaine, triomphal et chaleureux. Dès son installation dans l’auberge, des
émissaires en provenance de Lyon viennent apporter à Napoléon toutes les informations
à propos de l’évolution de la situation dans la Capitale des Gaules. L’Hôtel du Parc se
transforme alors en véritable Quartier Général dont le Chef est bien entendu Bonaparte. Le
lendemain matin, c’est l’ensemble des personnages officiels des environs qui se présentent
à lui, confirmant encore le statut d’Homme d’État qu’il est en train de regagner, à l’exception
du Maire de Bourgoin, Pamphile de Rozières, qui avait été décoré de la Légion d’Honneur
125
par le Comte d’Artois lors de son passage à Bourgoin en octobre 1814 . Ainsi, le personnel
politique tend petit à petit à se recentrer autour des éternels et réels fidèles de Bonaparte
tout en essayant de mettre à l’écart d’éventuels opportunistes. L’Hôtel du Parc était quartier
général durant la nuit, il est pendant la journée du 10 mars devenu la résidence officielle de
l’Empereur, les Tuileries de l’Isère, une Malmaison entre Grenoble et Lyon.
Les séjours de Napoléon à Grenoble et Lyon sont ainsi dignes de grandes visites
officielles. À Lyon, Napoléon occupe les appartements que le Comte d’Artois venait de fuir
et concrétise ainsi dans les symboles le progressif renversement de la Royauté. On joue au
Théâtres des Célestins une pièce pour l’Empereur. Cet esprit présent dans les villes est resté
dans les mémoires et histoires collectives au même titre que les précédents évènements
dans l’Histoire – par exemple les visites de Napoléon à Lyon au début des années 1800. À
126
Grenoble, une plaque célèbre l’entrée de Napoléon dans la ville le 7 mars 1815. Il en est
de même à Bourgoin qui note le soutien des habitants de la ville : « Arrivé à 3 heures du
matin, il quitta Bourgoin à 3 heures de l’après-midi escorté par des Bergusiens jusqu’à la
123
124
125
126
38
. Gustave Vellein, op. cit., pp. 7 – 8.
. Ibid, p. 19. Le propriétaire de l’hôtel avait appelé son fils Napoléon.
. Gustave Vellein, op. cit., p. 22.
. Cf. Annexe 3.
Partie III : Napoléon repolitisé, Bonaparte réimpérialisé
127
Grive » . Reconnu comme Empereur, Napoléon est de nouveau souverain et son action
va dans ce sens à partir du 7 mars.
Des suppositions aux décisions : les projets politiques de l’Empereur
Un élément illustre parfaitement le tournant politique dans l’attitude de Bonaparte. Celuici est une réelle et intacte utilisation du système politique en lui-même : il s’agit de la
publication de décrets à Grenoble le 9 mars puis à Lyon les 12 et 13 mars. Cette quinzaine
de décrets est une preuve évidente de l’ambition de Bonaparte et de son assurance quant
au succès qu’il rencontrera jusqu’à Paris.
Les premiers décrets qu’il prépare à Grenoble et qu’il publie en quittant la ville le
9 mars visent ouvertement à mettre en place les conditions nécessaires à ses futures
actions législatives. Ainsi, il se charge tout d’abord de destituer les principaux représentants
de la Monarchie dans les départements qu’il a traversés. Ce mouvement est essentiel
car jusque-là, seul le soutien de la population constituait une base légitime pour affirmer
que le département était « acquis ». Napoléon cherche à transformer cette légitimité,
si chère à Emmanuel de Waresquiel et si vitale dans ce périple, en légalité. Le Préfet
du département des Hautes-Alpes est ainsi destitué et celui de l’Isère, Joseph Fourier,
128
suspendu de ses fonctions . En parallèle de cette décomposition du pouvoir Bourbon dans
les départements alpins du Sud-Est, Bonaparte prévoit aussi le retour affirmé de l’Empire.
Le même jour, il décrète la restauration de la cocarde aux trois couleurs et annonce que
« [l]e Pavillon tricolore sera arboré à la Maison Commune des villes et sur les clochers des
129
campagnes » . Et l’Empereur d’ajouter dans un décret supplémentaire que seul l’Empire
sera légitime et légal dans ces départements :
La Justice sera rendue en notre nom dans les départements de l’Isère, des
Hautes et Basses-Alpes, du Mont-Blanc et de la Drôme, à dater du 13 mars. Tous
les actes de notaires et autres judiciaires, de quelque nature qu’ils soient, seront
130
en notre nom, à dater de la même époque.
Enfin, Napoléon réorganise au moyen de deux décrets la Garde nationale dans ces
ème
départements et confirme tous les fonctionnaires militaires et employés de la 7
division
militaire. Il est ainsi question à Grenoble de forger une base institutionnelle à l’Empire
retrouvé. Il n’est pas question de « grandes décisions » mais celles-ci sont tactiques et
nécessaires pour créer une véritable consistance dans la foulée de l’accueil triomphal
réservé à l’Empereur.
Les décrets de Lyon sont d’une toute autre envergure. Thierry Lentz met en avant le
tournant opéré dans la Capitale des Gaules et qui met un terme définitif à « l’aventure »
des Alpes :
Pendant les trois jours qu’il passa à Lyon, Napoléon se sentit à nouveau
empereur. Il avait certes déjà pris nombre de décisions à Grenoble, mais elles
concernaient les départements qu’il avait traversés depuis son débarquement :
127
128
129
. Roger Martin, Alain Chappet et alii, Répertoire mondial des souvenirs napoléoniens, Paris, SPM, 1993.
. Décrets impériaux de Grenoble, 9 mars 1815, Arch. dép. Isère, cote 52 M 6.
. Ce décret est présent dans les fonds d’archives en deux versions, l’une signée à Grenoble le 9 mars et l’autre à Lyon le
13. Il semblerait qu’elle trouve sa résonnance dans le Rhône mais il est judicieux de montrer que cette décision est déjà mûrement
réfléchie dans la capitale dauphinoise.
130
. Décrets impériaux de Grenoble, 9 mars 1815, Arch. dép. Isère, cote 52 M 6.
39
De l'aventurier au Prince.
organisation des gardes nationales, nominations, confirmations ou révocations
de fonctionnaires, mesures fiscales et judiciaires. À présent, la partie purement
131
« aventureuse » de son équipée tirait à sa fin.
Les neuf décrets publiés à Lyon ont pour projet de défaire complètement toute autorité
instituée depuis le retour des Bourbons en 1814. L’un d’eux est très général et peut être
présenté comme une nouvelle déclaration du 4 août. Son article premier stipule que « [l]a
Noblesse est abolie, et les Lois de l’Assemblée constituante seront mises en vigueur »
avant d’ajouter dans l’article suivant : « Les titres féodaux sont supprimés, les Lois de
nos Assemblées nationales seront mises en vigueur ». Sophie et Anthelme Troussier
commentent cette nécessaire réaffirmation de l’abolition des privilèges : « il aura fallu
l’invasion de la France, les Prussiens à Paris, Fontainebleau, l’exil, le retour de l’île
d’Elbe pour restaurer et consacrer les droits reconnus par la Révolution à l’Homme et
132
au Citoyen ! » . En effet, Napoléon désire annoncer son retour comme une seconde
révolution, puisque l’on avait laissé le frère de Louis XVI restaurer l’Ancien Régime. À ce
titre, le pillage des biens de la Cour est de nouveau décrété le même jour : « Le séquestre
sera apposé sur tous les biens qui forment les apanages des Princes de la maison des
Bourbons, et sur ceux qu’ils possèdent, à quelque titre que ce soit ».
Les autres décrets sont de véritables mesures d’épuration des corps administratifs et
militaires : les nominations et décisions prises sous la Première Restauration sont ainsi
annulées. L’exemple de la Garde impériale peut être repris : « Aucun corps étrangers ne
sera admis à la garde du Souverain. La Garde impériale est rétablie dans ses fonctions.
Elle ne pourra être recrutée que parmi les hommes qui ont douze ans de service dans
nos armées ». Les émigrés sont la première cible de Napoléon : dans un autre décret
de Lyon, les Généraux et Officiers de terre et de mer immigrés sont destitués sur-lechamp. Les nominations de la Légion d’Honneur, distinction fondée par Bonaparte en
personne en 1802, opérées sous le règne de Louis XVIII sont elles aussi annulées. Au-delà
d’une épuration simple des rangs administratifs et militaires, Napoléon souhaite fortement
consolider l’Empire fragile qui est à sa disposition : il cherche ainsi à combattre l’arbitraire
et les mutineries encore fortement actives dans des régions comme la Provence.
Enfin, au-delà des décisions visant à mettre un terme à la Monarchie Bourbon, un
dernier décret consacre le besoin de renouer avec des institutions fortes, à l’image de
l’œuvre de Bonaparte durant ses années de règne en tant que consul puis Empereur. Après
avoir dissout la Chambre des Pairs et la Chambre des Communes, il convoque pour le
mois de mai 1815 une « Assemblée extraordinaire du Champ de Mai » dont le but sera
de « prendre les mesures convenables pour corriger et modifier nos Constitutions, selon
l’intérêt et la volonté de la Nation, en même temps pour assister au couronnement de
l’Impératrice notre très-chère et bien aimée Épouse, et à celui de notre cher et bien aimé
Fils ». Ce décret est le point d’orgue de la frénésie qui constitue l’attitude impériale retrouvée
de Bonaparte durant la semaine du 7 au 13 mars. Confiant dans son voyage car Grenoble
et Lyon lui ont accordé leur concours, Bonaparte redevenu Napoléon peut projeter dans
l’avenir sa vision de l’Empire qu’il désire refonder.
Ceci étant, ces décrets sont juridiquement caducs car les Bourbons sont encore au
pouvoir à Paris et ne reconnaissent évidemment aucun des textes proclamés par Bonaparte.
En même temps que la publication des décrets de Grenoble et de Lyon, des ordonnances
royales continuent d’être promulguées à Paris. Celles-ci se chargent de gérer les affaires
131
132
40
. Thierry Lentz, op. cit., p. 302.
. Sophie et Anthelme Troussier, op. cit., p. 110.
Partie III : Napoléon repolitisé, Bonaparte réimpérialisé
courantes – par exemple « l’organisation de la louveterie » décidée le 20 août 1814 et
133
appliquée le 16 mars 1815 – et seule une parmi elles nommant un nouveau préfet en Isère
– en remplacement de Joseph Fourier qui, comme nous l’avons vu, a rejoint le camp de
son ancien Empereur – semble contrer ce qui se trame dans le Sud-Est. Des ordonnances
royales sont publiées jusqu’au 16 mars 1815.
En résumé, Napoléon a réussi à regagner en une semaine la posture politique que la
Restauration avait réduite aux limites de l’île d’Elbe. Cela s’est réalisé à travers plusieurs
étapes et préparations, et il faut encore attendre l’arrivée à Paris pour officialiser les réformes
qu’il compte entreprendre pour pouvoir faire revivre son Empire.
Chapitre 6 Arriver à Grenoble vagabond, repartir de
Lyon Empereur : atous et faiblesses de Napoléon au
13 mars 1815
« Mon bon frère, il est inutile de m’envoyer encore des soldats. J’en ai assez. »
134
Napoléon à Louis XVIII
L’unique but de ce mémoire a été de mettre en lumière le rôle primordial d’une seule semaine
au sein d’une épopée bien plus longue. Depuis son arrivée en Isère sept jours auparavant,
Bonaparte a réussi à convaincre populations et régiments que son retour était légitime,
avant de le rendre légal par les décrets qu’il publie. Il a fait face à un pouvoir impuissant,
constamment en repli et qui tente de conserver les soutiens qu’il continue d’avoir dans
d’autres régions de France. En exerçant de nouveau une autorité affirmée, en publiant de
nouveaux décrets à Grenoble et Lyon alors qu’il n’est toujours pas assuré d’arriver à Paris,
Bonaparte veut déjà redevenir Napoléon et semble réussir dans cette entreprise. En quittant
Lyon le 13 mars, il a moult raisons de se sentir confiant mais de nombreuses problématiques
susceptibles de ralentir sa progression ne sont encore pas encore résolues.
Une situation favorable à l’Empereur
Comme nous l’avons déjà expliqué, Napoléon a acquis en sept jours de nombreux
atouts indispensables pour parvenir à Paris. Ces atouts sont bien entendu techniques,
logistiques et stratégiques : comme cité précédemment, la maigre garnison de l’île d’Elbe
a été rejointe par de nombreux régiments, de Laffrey à Lyon en passant par Grenoble.
Le réseau politique et administratif nécessaire au retour à l’équilibre et à l’ordre public
se constitue lui aussi via le changement de préfets. Le soutien du peuple, lui, connait un
mouvement inédit. Jusqu’à présent, le drapeau tricolore remplaçait celui de la Monarchie
là où Bonaparte était de passage. À Lyon, les nouvelles du triomphe de Napoléon – et
la certitude petit à petit retrouvée que celui-ci sera en mesure de gagner la capitale –
sont diffusées bien plus rapidement vers de nouvelles provinces qui avant-même l’arrivée
de l’Empereur se mettent déjà à chasser la Monarchie restaurée. Ainsi le département
de Saône-et-Loire, prochaine étape du périple de la procession impériale, est déjà prêt à
accueillir son souverain retrouvé. Les villes de Tournus et Mâcon arborent depuis le 12 mars
133
134
. Actes royaux et décrets impériaux, Arch. Nat., cote F 1a 643.
. Ce message de Bonaparte à Louis XVIII est repris par Dominique de Villepin (op. cit.) qui indique que l’on le retrouve
sur un placard manuscrit affiché dans la capitale.
41
De l'aventurier au Prince.
135
la cocarde tricolore . Le Préfet du département publie un message à ses administrés en
leur annonçant le retour de l’Aigle et l’acclamation qui doit être la leur :
La gloire nationale, un moment éclipsée, va briller d'un éclat nouveau. Devant
le Héros qui la fit respecter, la France reprend l'attitude qui lui convient : l'esprit
public renait à l'apparition du Génie qui nous donna des institutions viriles. La
rapidité d'un mouvement généreux, l'accord unanime de toutes les actions (...)
136
décèlent l'irrésistible nécessité qui conduit ces grands événemens.
L’on remarque une tonalité différente dans cette déclaration, qui ne souligne pas seulement
le patriotisme et l’amour de la France, mais qui met aussi en lumière la notion d’esprit public
à travers les institutions fondées par Napoléon durant son règne : le message du préfet fait
appel à un esprit de citoyen. L’Empereur n’est pas seulement présenté comme le sauveur
de la France, mais comme celui qui sera capable d’apporter de nouveau un esprit civique
à la société française, quelqu’un qui pourra mener la Nation vers de meilleurs horizons
politiques. Tel est le soutien qui attend Bonaparte en quittant Lyon. L’entreprise folle menée
137
par ceux que la Monarchie appelait encore avant le 7 mars les « rebelles de Provence »
ne semble à présent plus être un projet saugrenu.
Des défis à surmonter avant d’arriver à Paris
Si nous avons montré avec exactitude que les évolutions nécessaires au retour de
Napoléon prennent place entre Grenoble et Lyon, il est évident que le 13 mars ne peut être
considéré comme le début du nouveau règne de l’Empereur. De multiples résistances se
montent contre Napoléon émergent à ce moment du périple où sa victoire est de plus en
plus possible.
À une échelle internationale, la déclaration du Congrès de Vienne que nous avons déjà
évoquée est rendue publique le 13 mars. On peut l’interpréter de deux manières différentes :
la première signification est tout simplement la condamnation du débarquement de
Napoléon, comme la Monarchie Bourbon l’a fait à partir du 7 mars. De cette manière, les
puissances d’Europe expriment leur souhait de voir la progression de Buonaparte ralentie et
celui-ci mis hors d’état de nuire. Mais un paragraphe de cette déclaration doit être regardé
attentivement afin de comprendre le texte de manière plus profonde :
[Les puissances] déclarent en même temps que, fermement résolues
de maintenir intact le traité de Paris, du 30 mai 1814, et les dispositions
sanctionnées par le traité et toutes celles qu’elles ont arrêtées ou qu’elles
arrêteront encore pour le compléter et le consolider, elles employeront tous leurs
moyens et réuniront tous leurs efforts pour que la paix générale, objet de tous
les vœux de l’Europe, et le but constant de leurs travaux, ne soit pas troublée
de nouveau, et pour la garantir de tout attentat qui menaceroit de replonger les
138
peuples dans les désordres et les malheurs des révolutions.
135
136
. Sophie et Anthelme Troussier, op. cit., p. 115.
. Département de Saône-et-Loire, « Le Préfet à ses administrés », publié le 14 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936
WP 1860.
137
138
. Correspondance entre le Préfet de l’Isère et la Secrétairerie royale, mars 1815, Arch. dép. Isère, cote 52 M 7.
. Déclaration du Congrès de Vienne (copie conforme remise aux Préfets du Bas-Rhin et du Doubs), 13 mars 1815,
Arch. dép. Isère, cote 52 M 6.
42
Partie III : Napoléon repolitisé, Bonaparte réimpérialisé
En publiant cette déclaration avec un retard certain, alors que le Congrès a été averti en
même temps que les Tuileries, on peut supposer que les souverains d’Europe prennent
en compte l’éventualité du retour de Bonaparte. Le problème n’est pas de l’empêcher de
revenir à Paris mais de l’empêcher de mener à bien les conquêtes qu’il recommencerait une
fois au pouvoir. Et dans ce cas-ci, ils emploieraient « tous leurs moyens et réuniront tous
leurs efforts » pour combattre l’Empereur. Cette déclaration ne doit donc pas être méprisée
par le caractère très tardif de l’annonce mais doit pouvoir rendre compte d’intentions futures
qui sont celles des Monarchies européennes vis-à-vis de l’Empire français.
En France, l’opposition a pris une tournure toute particulière. Le Maréchal Ney, ancien
fidèle lieutenant de Bonaparte qui a joué un rôle décisif de la bataille de la Moskova, s’est
montré férocement décidé à ramener son ancien Empereur à Paris dans une cage de
139
fer : « Je fais mon affaire de Bonaparte. (…) Nous allons attaquer la bête fauve » . Il
réunit plusieurs régiments en Franche-Comté et prévoit d’intercepter Napoléon après Lyon.
Malgré cette détermination, le pouvoir de Paris est déjà effrité. Le Comte d’Artois, censé
être l’homme-clé dans la capture de Buonaparte à Lyon, est rentré à Paris le 12 mars et
140
fuit déjà vers l’Angleterre . Ce pouvoir incertain mais toutefois encore présent ne laisse
pas une carte blanche à Napoléon qui doit redoubler de précaution au fur et à mesure de
son approche de la capitale.
Enfin, malgré l’évolution très marquée du personnage politique qu’est Bonaparte,
comme le précédent chapitre a tendu à le démontrer, certains aspects de son action ne sont
pas encore développés quand il quitte Lyon. Son projet pour la France n’est pas clair : la
refonte de l’Empire est affirmée, mais son tempérament est incertain : l’homme ambitieux qui
a dû s’incliner à Fontainebleau désire-t-il reconquérir l’Europe ? Veut-il simplement organiser
en France un régime impérial pacifique et équilibré ? Sa « politique », à l’échelle des grands
projets et des visions globales, n’est pas encore claire. Sa vision libérale, censée fédérer
les bourgeoisies urbaines et moderniser la doctrine impériale napoléonienne, n’est toujours
pas retranscrite dans de réels actes : l’ « Empire libéral » comme l’écrit Jean Tulard se fait
141
attendre .
Ainsi, une nouvelle page blanche s’offre à Napoléon en quittant Lyon. Ce que
ce chapitre a voulu brièvement mettre en lumière consiste à expliquer que rien n’est
évidemment acquis le 13 mars, malgré les nombreuses progressions acquises depuis sept
jours. Il n’est pas question de réécrire l’Histoire, mais les indices apportés dans cette
réflexion mettent en évidence le fait que le clivage est encore fortement marqué à ce moment
du « Vol de l’Aigle », et que la Monarchie Bourbon, en organisant une meilleure riposte, aurait
pu être en mesure de contenir la progression qu’elle avait jusqu’alors échoué à ralentir.
139
140
141
. Cité dans Dominique de Villepin, op. cit., p. 161.
. Gustave Vellein, op. cit., p. 31.
. Jean Tulard, op. cit., p. 431.
43
De l'aventurier au Prince.
Conclusion
« Depuis Grenoble, le Prince a chassé l’Aventurier et l’Empereur retrouvé ses
142
prérogatives » Dominique de Villepin
À la fin de son ouvrage dont les limites spatio-temporelles sont celles de ce mémoire,
Gustave Vellein propose une conclusion concise et qui résume ce qui constitue la « suite
de l’histoire » dans l’Histoire de l’Empire et de Napoléon :
Nous ne suivrons pas l’Empereur sur la route de Paris, les évènements de
Grenoble et de Lyon l’ont rétabli sur le trône que Louis XVIII se dispose à lui
abandonner, il n’a plus qu’à se présenter. Dans le trajet qui lui reste à parcourir
nous n’aurions qu’à signaler de nouvelles ovations dans toutes les villes
traversées, et à noter les régiments qui abandonnent successivement la cause
royale pour venir se ranger sous les plis du drapeau tricolore. Aucun obstacle
ne ralentira ses pas, les Bourbons ne tentent plus de s’opposer à son avance, et
lorsqu’il rentrera aux Tuileries, le 20 mars, porté par une foule en délire, l’armée
aura reconnu le vainqueur d’Austerlitz et d’Iéna pour son chef, et la France l’aura
de nouveau pour souverain durant les Cent jours. Période néfaste qui aboutit au
désastre de Waterloo, déchaîna la seconde invasion, conduisit Napoléon en exil,
143
et ceignit son front de l’auréole du martyre, sur le rocher de Sainte-Hélène.
Comme nous le savons, nonobstant les défis encore présents le 13 mars, que nous avons
énoncés précédemment, la suite du « Vol de l’Aigle » est une succession de bonnes
nouvelles et d’heureux évènements pour l’Empire qui mènent au retour au pouvoir de
Napoléon le 20 mars, acclamé aux Tuileries. Le 18 mars, malgré la ferme intention du
Maréchal Ney d’en finir avec la « napoléonade », celui-ci reconnait son Empereur à Auxerre
et redevient le « Brave des Braves ». Cela n’a plus aucune importance pour le pouvoir
Bourbon qui a cessé de prendre des décisions le 16 mars et qui a pris la fuite. Ce scénario
de fin imminente n’avait pas été aussi fort durant la semaine que nous avons analysée dans
ce mémoire. Mais il est certain que, comme ce travail avait l’intention de le démontrer, elle
a été absolument décisive à travers les axes que nous avons analysés.
Jamais la Monarchie restaurée n’aurait pu espérer conserver le pouvoir aux Tuileries en
agissant de la sorte. En effet, aveugle à Paris et cachant la vérité à travers la Presse, il aurait
été nécessaire pour les Bourbons de répondre fermement et de lancer une réelle offensive,
pas seulement une succession de déclarations. L’Europe des Monarchies, arrivée trop tard
pendant le « Vol de l’Aigle » prend toutefois rendez-vous avec Napoléon : la Septième
Coalition se forme à ce moment-là et se confrontera à l’Empire de Bonaparte en France et
en Belgique durant les terribles campagnes que nous connaissons.
Le peuple a joué son rôle attendu dans sa dimension massive et populaire : si elle ne
fut pas unie à travers tous les territoires, Bonaparte a traversé les provinces nécessaires
pour recueillir les acclamations forgeant sa nouvelle légitimité, bien plus importante dans un
tel périple que la simple idée de légalité. On parle encore après le 13 mars des évènements
142
. Dominique de Villepin, op. cit., p. 199.
143
. Gustave Vellein, op. cit., p. 46.
44
Conclusion
de Grenoble et Lyon. Par exemple, l’accueil positif que les habitants de l’Yonne réservent à
Napoléon sont rapportés de la manière suivante : « les dispositions des Habitans et de tous
les corps militaires sont par-tout les mêmes que celles qui ont éclaté à Grenoble, à Lyon, à
144
Châlons, et dans toutes les autres Villes et Communes que Sa Majesté a traversées » . Les
habitants eux-mêmes sont conscients de leur rôle dans la victoire de l’Empereur. Stendhal
écrit dans Mémoires d’un touriste : « Quinze jours après le séjour de l'Empereur à Grenoble,
cent Grenoblois au moins étaient à Paris, sollicitant et répétant partout que c'étaient eux qui
avaient mis l'Empereur sur le trône ». Cet appui sera rappelé dans les mois suivants quand il
faudra mobiliser davantage de troupes : l’Empire s’adresse à la population lyonnaise comme
celle des évènements du 10 mars sur qui Napoléon peut une nouvelle fois compter.
L’Armée elle aussi a été décisive : elle a montré de Laffrey à Lyon puis une nouvelle
fois à Auxerre autour du Maréchal Ney à quel point son appui était indispensable
et constituait une grande victoire et l’assurance d’une progression plus rapide. Les
correspondances entre régiments et entre soldats s’accélèrent après cette semaine,
chacun tentant d’argumenter les raisons de son soutien. Comme nous le savons, cette
accélération est nécessaire car l’Armée sera rapidement mobilisée physiquement. Mais
certains régiments, notamment au Sud, sont encore hostiles à Bonaparte, même après
le 21 mars. Il sera intéressant à l’avenir de traiter de l’impact de ces oppositions et de la
non-homogénéité du soutien militaire dans la défaite de juin 1815. Notre analyse relative
à l’Armée a en tout cas ouvert une nouvelle envergure à l’Histoire militaire : celle qui ne
comprend aucune violence mais dont les conséquences sont tout aussi décisives.
Nos deux premières parties ont ainsi expliqué notre troisième : Napoléon a pu dans
cette situation jouir d’une nouvelle légitimité et a pu recommencer à agir en Prince. Ses
déclarations, les Décrets qu’il publie de nouveau sont autant d’attitudes et d’actes qu’il
n’aurait pu avoir à Golfe-Juan, et que les circonstances dans lesquelles il a progressé du 7
au 13 mars ont rendu possibles. Il voit ainsi un avenir clair pour l’Empire qu’il désire refonder,
réorienter afin d’éviter un deuxième désastre. Malheureusement, il n’a pu annoncer avec
clarté, durant la semaine que nous avons étudiée, de quoi serait composé ce nouvel
Empire. Il faudra attendre qu’il soit aux Tuileries pour comprendre l’étendue de ses réformes,
notamment avec les Actes additionnels fin mars.
On peut remarquer que certains acteurs ont avec surprise été absents de ce périple.
L’Église n’a joué aucun rôle dans cette progression, ni néfaste, ni positif : quelques « À bas
les prêtres » sont scandés quand le Comte d’Artois fuit Lyon, mais aucun caractère religieux
n’accompagne le « Vol de l’Aigle », même si Napoléon devait à l’origine « voler de clochers
en clochers » jusqu’à Notre-Dame. Il semblerait que les Mairies et Places publiques eurent
bien plus d’importance et de pouvoir symbolique. La bourgeoisie, que l’on croyait chère et
attachée à Napoléon, n’est pas encore fédérée et plusieurs groupes ne manifestent aucun
soutien particulier à Bonaparte lors de ses passages à Grenoble et Lyon. Ainsi le caractère
non holiste de la victoire se rend visible, et déjà la légende de la victoire totale est estompée.
Les Cent-Jours, c’est-à-dire la suite de cette aventure unique de l’Histoire de France
et d’Europe, ne peuvent être abordés dans ce travail car ils représentent de nombreuses
caractéristiques que la semaine en Isère et dans le Rhône ignore. Passionnants, singuliers,
ils sauront à l’approche de leur bicentenaire susciter de nombreuses nouvelles analyses
de la part des historiens de Bonaparte. Le mémoire qui s’achève à l’instant a eu pour
seule priorité de rappeler la multiplicité des circonstances qui composent ces évènements
jugés « mémorables ». Ils mettent en lumière la singularité inattendue de certaines périodes
et rappellent aux artisans de l’Histoire que le Temps n’est rien s’il n’est pas accompagné
144
. Bulletin officiel, 19 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1863.
45
De l'aventurier au Prince.
d’autres explications, structurelles et conjoncturelles, locales et globales, politiques et
sociétales ; que les légendes, passionnantes d’un point de vue personnel, cachent souvent
des réalités bien plus complexes, des origines apparemment anodines mais terriblement
profondes. Et il appartient à ces Grands Hommes, comme ce mémoire l’a montré et appelle
à continuer à le démontrer, d’en mesurer le poids et d’en prédire les conséquences.
Chaque personne qui lira ces dernières lignes aura sa vision de la « fin » de Bonaparte.
Certains choisiront Waterloo comme défaite dramatique et comme dernier évènement non
seulement des Cent-Jours mais de toute la première ère Bonaparte ; d’autres jugeront
que Sainte-Hélène apporta une fin paisible et romantique à l’ancien Empereur. Certains
oseront encore penser que c’est au milieu de l’Océan Atlantique que la victoire se forgea,
à travers les Mémoires d’un Homme qui perdure et la création d’une légende qui continue,
malgré les moult polémiques qui l’entourent, à provoquer auprès de multiples générations
l’attachement politique et l’intérêt historique.
46
Annexes
Annexes
Annexe 1 : Chronologie des Évènements
∙
∙
∙
∙
∙
∙
∙
∙
∙
∙
∙
∙
∙
26 février 1815 Napoléon et son millier de soldats quittent l’île d’Elbe.
er
1 mars 1815 À 5 heures du matin, ils débarquent à Golfe-Juan (actuelle Côte
d’Azur).
5 mars 1815 Le pouvoir Bourbon reçoit à Paris la nouvelle du débarquement de
Bonaparte et envoie le Comte d’Artois à Lyon pour arrêter la progression des troupes
impériales. À Grenoble, le Préfet de l’Isère Joseph Fourier publie une déclaration
condamnant les évènements de Golfe-Juan.
6 mars 1815 À Gap, Napoléon salue l’accueil réservé par les habitants des Basses et
Hautes-Alpes.
Mardi 7 mars Les Lyonnais et Rhodaniens sont avertis de l'arrivée de Napoléon en
France. Ils doivent rester fidèles au Roi.
En Isère, rencontre de Laffrey puis ralliement de troupes militaires. Arrivée triomphale
dans la ville de Grenoble en soirée.
Mercredi 8 mars Arrivée de troupes royales à Lyon. Elles y resteront jusqu'à nouvel
ordre et logeront chez l'habitant. Le Comte du Roi passe en revue la Garde Nationale
place Louis-le-Grand (actuelle Place Bellecour) dans une ambiance peu enthousiaste.
Le peuple grenoblois acclame Napoléon.
Jeudi 9 mars Déclaration de Charles-Philippe (Comte d’Artois) aux Lyonnais et aux
soldats. Mesures strictes prises par le Maire de Lyon, le Comte de Fargues.
Napoléon quitte Grenoble après avoir signé de premiers décrets. Traverse Voreppe,
Moirans, Rives où il mange le soir. Arrive dans la nuit à Bourgoin et loge à l’Hôtel du
Parc.
Vendredi 10 mars Arrivée du Général Macdonald. Nouveau passage en revue mais
la population attend déjà l’Empereur aux abords du Pont de la Guillotière. Mutinerie
progressive de plusieurs régiments. À Bourgoin, Bonaparte rencontre de nombreuses
personnalités locales. Quitte Bourgoin à trois heures de l’après-midi. Entre à Lyon
triomphalement en début de soirée : les troupes royalistes et leurs dirigeants ont fui la
ville.
Samedi 11 mars Napoléon est acclamé dans les rues de Lyon. Messages
étonnamment enthousiastes de la part du Maire le Comte de Fargues. La ville est
illuminée. Passages en revue et réorganisation des troupes par l’Empereur.
Dimanche 12 mars Préparation de nouveaux décrets. Le Comte d’Artois arrive à
Paris et se prépare à fuir pour l’Angleterre.
Lundi 13 mars Napoléon publie neuf décrets et quitte Lyon en laissant une
déclaration publique dans laquelle il remercie chaleureusement la population de
Lyon avant de conclure par : « Lyonnais, je vous aime ». Il arrive à Mâcon en fin
de journée : le département de la Saône-et-Loire est déjà majoritairement acquis à
47
De l'aventurier au Prince.
la cause de l’Empire. Condamnation ferme du Congrès de Vienne par déclaration
officielle.
∙
18 mars 1815 Napoléon et Ney se rencontrent à Auxerre et fraternisent. Les
Bourbons sont déjà en fuite.
∙
20/21 mars 1815 Napoléon entre avec triomphe dans Paris et revient officiellement et
légalement à la tête de la France en refondant l’Empire.
Annexe 2 : Carte du « Vol de l’Aigle »
Dans André Castelot, Napoléon, p. 723.
48
Annexes
Annexe 3 : Plaque à Grenoble indiquant l’entrée de
Napoléon dans la ville
Annexe 4 : Extraits de paroles de chansons célébrant
le retour de Napoléon
2
Arch. mun. Lyon, cote I 14
Bon ! bon ! bon ! Napoléon
Est de retour en France ;
Bon ! bon ! bon ! Napoléon
49
De l'aventurier au Prince.
Rentre dans sa maison.
O ma chère patrie !
Tu revois pour jamais
Cette aigle si chérie,
L’honneur du nom Français
Bon ! bon ! bon ! etc.
Tous ses soldats fidèles
Le voient de très grand cœur,
Ils témoignent leur zèle
A ce Grand Empereur,
Bon ! bon ! bon ! etc.
Héros, dont la présence
Nous fut interceptée,
Viens rendre à notre France
Sa chère liberté.
Bon ! bon ! bon ! etc.
Voyant ta vieille garde,
Jouissons du bonheur
De porter la cocarde,
Si chère à notre cœur.
Bon ! bon ! bon ! etc.
Le printemps nous ramène
L’abeille avec les fleurs,
Le lis flétrit sans peine
Devant les trois couleurs,
Bon ! bon ! bon ! etc.
O ma patrie !
Relève ton front abattu !
Tu ne seras plus asservie,
Napoléon nous est rendu,
O ma patrie !
Sur sa patrie
Tout digne Français gémissait ;
L’espérance n’est plus ravie,
Le Héros enfin reparaît
Dans sa patrie.
50
Annexes
Pour la patrie
Désormais nous serons unis ;
Nous reverrons l’aigle chérie
Foudroyer tous les ennemis
De la patrie.
Monsieur d’Artois, comme un Lion
Vole de Paris à Lyon,
Mais l’Aigle troublant ses esprits,
Il court de Lyon à Paris.
Monsieur d’Artois, dans les dangers,
Est un Achille… aux pieds légers.
(Dans Dominique de Villepin, Les Cent-Jours ou l’esprit de sacrifice, Paris, Perrin, 2001,
p. 157)
Annexe 5 : « Les Neuf Décrets de Lyon », publiés à
Lyon le 13 mars 1815
Décret Impérial
A Lyon, le 13 mars 1815
Napoléon, par la grâce de Dieu et les Constitutions de l’Empire,
Français, etc. etc. etc.
Empereur des
Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
Article Premier
Le séquestre sera apposé sur tous les biens qui forment les apanages des Princes de
la maison des Bourbons, et sur ceux qu’ils possèdent, à quelque titre que ce soit.
Art. II.
Tous les biens des Émigrés qui appartiennent à la Légion d’Honneur, aux Hospices, aux
Communes, à la Caisse d’amortissement, ou enfin qui faisaient partie du Domaine, sous
er
quelque dénomination que ce soit, et qui auraient été rendus, depuis le 1 avril 1814, au
détriment de l’intérêt national, seront sur le champ mis sous le séquestre.
Les Préfets et Officiers de l’Enregistrement tiendront la main à l’exécution du présent
Décret, aussitôt qu’ils en auront la connaissance. Faute pour eux de le faire, ils seront
responsables des dommages qui pourraient en résulter pour la Nation.
Art. III.
Notre grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée, est
chargé de l’exécution du présent Décret.
Signé, Napoléon
51
De l'aventurier au Prince.
Par l’Empereur :
Le grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée.
Signé, Bertrand.
Décret Impérial
A Lyon, le 13 mars 1815
Napoléon, par la grâce de Dieu et les Constitutions de l’Empire,
Français, etc. etc. etc.
Empereur des
Considérant que la Chambre des Pairs est composée en partie de personnes qui ont
porté les armes contre la France, et qui ont intérêt au rétablissement des droits féodaux ;
à la destruction de l’égalité entre les différentes classes ; à l’annullation des ventes des
Domaines nationaux, et enfin, à priver le Peuple des droits qu’il a acquis par vingt-cinq ans
de combats contre les ennemis de la gloire nationale.
Considérant que les pouvoirs des Députés du Corps législatif étaient expirés, et que
dès-lors la Chambre des Communes n’a plus aucun caractère national. Qu’une partie de
cette Chambre s’est rendue indigne de la Nation, en adhérant au rétablissement de la
noblesse féodale abolie par les Constitutions acceptées par le Peuple ; en faisant payer par
la France des dettes contractées à l’étranger pour tramer des coalitions et soudoyer des
armées contre le Peuple Français ; en donnant aux Bourbons le titre du Roi légitime, ce qui
était déclarer rebelles le Peuple Français et ses Armées ; proclamer seuls bons Français
les émigrés qui ont déchiré pendant vingt-cinq ans le sein de la Patrie ; et violer tous les
droits du Peuple, en consacrant le principe que la Nation était faite pour le Trône, et non
le Trône pour la Nation.
Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
Article Premier
La Chambre des Pairs est dissoute.
Art. II.
La Chambre des Communes est dissoute. Il est ordonné à chacun des Membres
convoqués et arrivés à Paris depuis le 7 mars dernier, de retourner sans délai dans son
domicile.
Art. III.
Les Collèges électoraux des départemens de l’Empire seront réunis à Paris, dans le
courant du mois de Mai prochain en assemblée extraordinaire du Champ de Mai, afin de
prendre les mesures convenables pour corriger et modifier nos Constitutions, selon l’intérêt
et la volonté de la Nation, et en même temps pour assister au couronnement de l’Impératrice
notre très-chère et bien aimée Épouse, et à celui de notre cher et bien aimé Fils.
Art. IV.
Notre grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée, est
chargé de prendre les mesures nécessaires pour la publication du présent Décret.
Signé, Napoléon
Par l’Empereur :
Le grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée.
Signé, Comte Bertrand.
52
Annexes
Décret Impérial
A Lyon, le 13 mars 1815
Napoléon, par la grâce de Dieu et les Constitutions de l’Empire,
Français, etc. etc. etc.
Empereur des
Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
Article Premier
Tous les Émigrés qui n’ont point été rayés, amnistiés, ou éliminés par Nous, ou par les
er
Gouverneurs qui nous ont précédé, et qui sont rentrés en France depuis le 1 janvier 1814,
sortiront sur-le-champ du territoire de l’Empire.
Art. II.
Les Émigrés, qui après la publication du présent Décret, se trouveraient sur le territoire
de l’Empire, seront arrêtés et jugés conformément aux Lois décrétées par nos Assemblées
nationales, à moins toutefois qu’il ne soit constaté qu’ils n’ont pas eu connaissance du
présent Décret, auquel cas ils seront simplement arrêtés et conduits par la Gendarmerie
hors du territoire.
Art. III.
Le séquestre sera mis sur tous leurs biens, meubles et immeubles. Les Préfets et
Officiers de l’Enregistrement feront exécuter le présent Décret aussitôt qu’ils en auront
connaissance, et faute par eux de le faire, ils seront responsables des dommages qui
pourraient en résulter pour notre Trésor national.
Art. IV.
Notre grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée, est
chargé de prendre les mesures nécessaires pour la publication du présent Décret.
Signé, Napoléon
Par l’Empereur :
Le grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée.
Signé, Comte Bertrand.
Décret Impérial
A Lyon, le 13 mars 1815
Napoléon, par la grâce de Dieu et les Constitutions de l’Empire,
Français, etc. etc. etc.
Empereur des
Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
Article Premier
Toutes les promotions faites dans la Légion d’Honneur par tout autre Grand-Maître
que Nous, et tous Brevets signés par d’autres personnes que le Comte Lacépède, grand
Chancelier inamovible de la Légion, sont nuls et non avenus.
Art. II.
Les changements faits dans la décoration de la Légion d’honneur, non conformes aux
statuts de l’Ordre, sont nuls et non avenus. Chacun des Membres de la Légion reprendra
er
la décoration telle qu’elle était au I avril 1814.
53
De l'aventurier au Prince.
Art. III.
Néanmoins, comme un grand nombre de promotions, quoique faites illégalement, l’ont
été en faveur de personnes qui ont rendu des services réels à la Patrie, leurs titres seront
envoyés à la grande Chancellerie, afin que le rapport nous en soit fait dans le courant d’Avril,
et qu’il soit statué à cet égard avant le 15 mai.
Art. IV.
Les droits politiques dont jouissent les Membres de la Légion d’honneur en vertu
des statuts de création, sont rétablis. En conséquence, tous les Membres de la Légion
er
qui faisaient partie au I
avril 1814, des Collèges électoraux de Département et
d’Arrondissement, et qui ont été injustement privés de ce droit, sont rétablis dans leurs
fonctions. Tous ceux qui n’étaient point encore Membres d’un Collège électoral, enverront
leurs demandes au grand Chancelier de la Légion d’honneur, en faisant connaître le Collège
auquel ils désirent être attachés. Le grand Chancelier prendra nos ordres dans le courant
d’Avril, et fera expédier les Brevets sans délai, afin que ceux qui les auront obtenus puissent
assister aux Assemblées du Champ de Mai.
Art. V.
Tous les biens qui avaient été affectés à l’ordre de St-Louis, sur la caisse des Invalides,
seront réunis au domaine de la Légion d’honneur.
Art. VI.
Notre grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée, est
chargé de prendre les mesures nécessaires pour la publication du présent Décret.
Signé, Napoléon
Par l’Empereur :
Le grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée.
Signé, Comte Bertrand.
Décret Impérial
A Lyon, le 13 mars 1815
Napoléon, par la grâce de Dieu et les Constitutions de l’Empire,
Français, etc. etc. etc.
Empereur des
Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
Article Premier
Aucun corps étrangers ne sera admis à la garde du Souverain. La Garde impériale
est rétablie dans ses fonctions. Elle ne pourra être recrutée que parmi les hommes qui ont
douze ans de service de nos Armées.
Art. II.
Les Cent Suisses, les Gardes de la Porte, les Gardes Suisses, sous quelque
dénomination que ce soit, sont supprimés. Ils seront renvoyés, à dater de la publication du
présent Décret, à vingt lieues de la Capitale, et à vingt lieues de tous nos Palais Impériaux,
jusqu’à ce qu’ils soient légalement licenciés, et que le sort des Soldats soit assuré.
Art. III.
54
Annexes
La Maison Militaire du Roi, telle que les Gardes du corps, les Mousquetaires,
les Chevau-légers, etc. est supprimée. Les chevaux, armes, effets d’habillement et
d’équipement, seront mis seront mis sous la responsabilité personnelle des chefs de corps.
Art. IV.
Notre grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée, est
chargé de prendre les mesures pour la publication du présent Décret.
Signé, Napoléon
Par l’Empereur :
Le grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée.
Signé, Comte Bertrand.
Décret Impérial
A Lyon, le 13 mars 1815
Napoléon, par la grâce de Dieu et les Constitutions de l’Empire,
Français, etc. etc. etc.
Empereur des
Instruit que des hommes armés, se disant Gardes Nationales de Marseille, animés du
même esprit de désordre et de violence qui porta, en 1792, des individus de cette Commune
à violer le territoire des Départemens voisins, sont arrivés sur les confins du Dauphiné.
Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
Article Premier
Il est ordonné à tous les individus armés, se disant Gardes Nationales de Marseille, qui
sont entrés dans le Département des Hautes-Alpes, et ont violé les confins du Dauphiné,
d’en sortir sur-le-champ, et de rentrer dans le sein de leurs Communes.
Art. II.
e
A défaut de se conformer au présent Ordre, il est enjoint aux Commandans des 7 et
e
8 divisions militaires de les y contraindre par la force, et à nos Procureurs impériaux de
poursuivre les Commandans et Officiers desdits attroupemens encore fauteurs de guerre
civile.
Art. III.
Notre grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée, est
chargé de prendre les mesures nécessaires pour la publication du présent Décret.
Signé, Napoléon
Par l’Empereur :
Le grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée.
Signé, Comte Bertrand.
Décret Impérial
A Lyon, le 13 mars 1815
Napoléon, par la grâce de Dieu et les Constitutions de l’Empire,
Français, etc. etc. etc.
Empereur des
Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
55
De l'aventurier au Prince.
Article Premier
Tous les Généraux et Officiers de terre et de mer, dans quelque grade que ce soit,
er
qui ont été introduits dans nos armées depuis le 1 avril 1814, qui étaient émigrés, ou
qui n’ayant pas émigré ont quitté le service au moment de la première coalition, quand la
patrie avait le plus grand besoin de leurs services, cesseront sur le champ leurs fonctions,
quitteront les marques de leurs grades, et se rendront au lieu de leurs domiciles.
Art. II.
Défenses sont faites au Ministre de la Guerre, aux Inspecteurs aux revues, aux Officiers
de la Trésorerie et autres comptables, de rien payer pour la solde de ces Officiers, sous
quelque prétexte que ce soit, à dater de la publication du présent Décret.
Art. III.
Notre grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée, est
chargé de prendre les mesures nécessaires pour la publication du présent Décret.
Signé, Napoléon
Par l’Empereur :
Le grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée.
Signé, Bertrand.
Décret Impérial
A Lyon, le 13 mars 1815
Napoléon, par la grâce de Dieu et les Constitutions de l’Empire,
Français, etc. etc. etc.
Empereur des
Considérant que nos Constitutions les Membres de l’Ordre judiciaire sont inamovibles.
Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
Article Premier
Tous les changemens arbitraires opérés dans nos Cours et Tribunaux inférieurs, sont
nuls et non avenus.
Art. II.
Les Présidens, le Procureur général et les Membres de la Cour de cassation qui ont
été injustement, et, par esprit de réaction, renvoyés de ladite Cour, sont rétablis dans leurs
fonctions.
Art. III.
Les individus qui les ont remplacés sont tenus de cesser sur le champ leurs fonctions.
Art. IV.
Notre grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée, est
chargé d’assurer la publication du présent Décret.
Signé, Napoléon
Par l’Empereur :
Le grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée.
Signé, Comte Bertrand.
56
Annexes
Décret Impérial
A Lyon, le 13 mars 1815
Napoléon, par la grâce de Dieu et les Constitutions de l’Empire,
Français, etc. etc. etc.
Empereur des
Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
Article Premier
La Noblesse est abolie, et les Lois de l’Assemblée constituante seront mises en vigueur.
Art. II.
Les titres féodaux sont supprimés, les Lois de nos Assemblées nationales seront mises
en vigueur.
Art. III.
Les individus qui ont obtenu de Nous des titres nationaux, comme récompenses
nationales, et dont les Lettres-patentes ont été vérifiées au Conseil du sceau des titres,
continueront à les porter.
Art. IV.
Nous nous réservons de donner des titres aux descendans des hommes qui ont illustré
le nom Français dans les différens siècles, soit dans le commandement des Armées de terre
et de mer, dans les Conseils du Souverain, dans les Administrations civiles et judiciaires,
soit enfin dans les Sciences et Arts et dans le Commerce, conformément à la Loi qui sera
promulguée sur cette matière.
Art. V.
Notre grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée, est
chargé de prendre les mesures pour la publication du présent Décret.
Signé, Napoléon
Par l’Empereur :
Le grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée.
Signé, Comte Bertrand.
Annexe 6 : Programme du Cent-cinquantième
anniversaire du Retour de l’île d’Elbe Par la Faculté
des Lettres de Grenoble 3 – 4 avril 1965
Bibliothèque d’étude et d’information de Grenoble, cote Vh.6149
Samedi 3 avril
Conférences
Anthelme TROUSSIER : lettre autographe en date du 8 mars 1815
Robert AVEZOU (directeur des Arch. dép. Isère) : l’esprit public dans le département
de l’Isère pendant les Cent-Jours
57
De l'aventurier au Prince.
Fernand RUDE : le réveil de l’esprit révolutionnaire en 1815 dans la région grenobloise
et lyonnaise
Jean TULARD : l’administration de Paris pendant les Cent-Jours
PELLEGRINI : le retour de l’île d’Elbe et la littérature italienne
BOYER : la reprise des œuvres d’art enlevées à l’étranger
GHISALBERTI : le droit public italien pendant la période napoléonienne
Jacques GODECHOT : « Napoléon libéral ? »
Dimanche 4 avril
Matin : itinéraire commenté de Napoléon à travers Grenoble. Après-midi : visite des
environs de Laffrey
58
Bibliographie
Bibliographie
Ouvrages généraux d’Histoire européenne, française
et/ou napoléonienne
BARTLETT, Christopher J. Peace, War and the European Powers, 1814 – 1914,
Londres, Macmillan, 1996, 202 pages.
BELL, David A. The First Total War: Napoleon’s Europe and the Birth of Warfare As We
Know It, Boston, Houghton Mifflin, 2007, 317 pages.
CASTELOT, André. Napoléon, Paris, Perrin, 1968, 979 pages.
CONTE, Arthur. Soldats de France : Les grandes heures de notre Histoire, Plon, 2001,
490 pages.
FURET, François. La Révolution française, Paris, Gallimard, 2007, 1054 pages.
GULICK, Edward Vose. Europe’s Classical Balance of Power, New York, Norton, 1955,
325 pages.
MARTIN, Roger. CHAPPET, Alain, et al. Répertoire mondial des souvenirs
napoléoniens, Paris, SPM, 1993, 862 pages.
RICH, Norman. Great Power Diplomacy, 1814 – 1914, Boston, McGraw-Hill, 1992, 502
pages.
TULARD, Jean. Napoléon, ou le Mythe du Sauveur, Fayard, 1977, 457 pages.
Ouvrages spécialisés sur la période des Cent-Jours,
le Rhône et/ou l’Isère
BAYARD, François. Histoire de Lyon : Tome 2, du XVIème siècle à nos jours, Roanne,
Horvath, 1990.
BENOIT, Bruno, BÉGHAIN, Patrice, et al. Dictionnaire historique de Lyon, Lyon,
Stéphane Bachès, 2009.
BERRIAT SAINT-PRIX, Jacques. Napoléon Ier à Grenoble : Histoire du 7 mars 1815,
Grenoble, Maisonville et Fils et Jourdan, 1861.
BOUCHARD, Gilbert. Histoire de l’Isère en BD, Tome 5 : De la Révolution à nos jours,
Grenoble, Glénat, 2004, 48 pages.
59
De l'aventurier au Prince.
COMBY, Louis. Histoire des Dauphinois : des origines à nos jours, Paris, Nathan, 1978,
176 pages.
DREYFUS, Paul. Histoire du Dauphiné, Paris, Que Sais-Je ?, Presses Universitaires de
France, 1972, 127 pages.
FAURE, Gabriel. Pèlerinages dauphinois, Grenoble, J. Rey, 1925.
FLEURY, Félix. L’Enjambée Impériale, Grenoble, 1868.
G. LENOTRE, Napoléon : Croquis de l’Épopée, Bernard Grasset, 1932, 254 pages.
LENTZ, Thierry. Nouvelle Histoire du Premier Empire ; Tome 4, Les Cent-Jours, Paris,
Fayard, 2010, 599 pages.
PELLETIER, Jean, DELFANTE, Charles. Atlas historique du Grand Lyon : Formes
Urbaines et Paysage au fil du temps, Saint-Étienne, Seyssinet-Pariset, 2004.
TROUSSIER, Sophie et Anthelme, de l’Académie delphinale, Napoléon, la Chevauchée
Héroïque du retour de l'île d'Elbe, Grenoble, Allier, 1965.
VELLEIN, Gustave. Retour de l'île d'Elbe, de Grenoble à Lyon : Séjour de Napoléon Ier
à Bourgoin le 10 mars 1815,Bourgoin, Paillet, 1925, 45 pages.
De VILLEPIN, Dominique. Les Cent-Jours ou l’esprit de sacrifice, Paris, Perrin, 2001,
604 pages.
De WARESQUIEL, Emmanuel. Cent Jours : la tentation de l'impossible, mars-juillet
1815, Paris, Fayard, 2008, 687 pages.
60
Sources
Sources
Fonds d’Archives
Archives Nationales
V
AF 4-5Secrétairerie d’État, Secrétairerie des Conseils (Première Restauration)
V
AF 6-7Adhésions au Gouvernement (1814)
a 2
F 1 95 Ordonnances et décrets, Ministère de l'Intérieur (février – 23 mars 1815)
a 3
F 1 95 Ordonnances et décrets, Ministère de l'Intérieur (21 mars – 7 juillet 1815)
a
F 1 415 Documents concernant l’administration départementale et communale (Indreet-Loire, Isère, 1789 – 1827)
a
F 1 * 643Enregistrement des Actes Royaux et Impériaux (1815)
Archives Départementales de l’Isère
51 M 21 Évènements notables : Les Cent-Jours
52 M 6-7-8Correspondances du préfet (1815)
3 Z 2-5-15 Sous-Préfecture de La-Tour-du-Pin
4 Z 3-11 Sous-Préfecture de Vienne
2 RGarde Nationale et autres corps spéciaux
Archives Départementales du Rhône
1 M 111-112-120Administration générale du département : Évènements politiques (an
IX – 1850)
4 M 149 Police, affaires générales, arrêtés de maires du département
4 M 155-156 Police, affaires générales.
61
De l'aventurier au Prince.
4 M 173 Police judiciaire
4 M 237 Police politique
Archives municipales de Grenoble
1 D 3 Délibérations du Conseil Municipal
2 D 1 Arrêtés du maire de Grenoble
Archives municipales de Lyon
2
I 015 Police politique (1815)
3 WP 125 Archives de la Croix-Rousse (1814 – 1815)
4 WP 057 Archives de la Guillotière (1814 – 1815)
936 WPAffiches
1225 WP Faits de guerre : invasion de 1814-1815, proclamation de l'état de siège,
rapports sur les événements politiques et militaires, travaux défensifs, organisation
des troupes, hébergement et approvisionnement en vivres et équipement, dépenses
de guerre, levée de contributions extraordinaires (1814-1815).
Presse
Le Journal des Débats, 6 – 14 mars 1815
Le Moniteur Universel,5 – 22 mars 1815
La Quotidienne*
Le Journal Général*
Le Journal de Paris*
*cités dans Jacques Berriat Saint-Prix, Napoléon Ier à Grenoble : Histoire du 7 mars 1815,
Grenoble, Maisonville et Fils et Jourdan, 1861.
Ouvrages ayant servi de sources
62
Sources
CHAMPOLLION-FIGEAC, Jacques-Joseph. Fourier et Napoléon : l’Égypte et les CentJours, Paris, Firmin-Didot Frères, 1844, 364 pages.
FLEURY DE CHABOULON, Pierre Alexandre Édouard. Les Cent-Jours : Mémoires
pour servir à l'histoire de la vie privée, du retour et du règne de Napoléon en 1815,
Londres, Roworth, 1820.
63
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