paraissent les plus faibles sont nécessaires
[verset 22].
Pour lui, nul ne peut prétendre à un exclusivisme au dé-
triment d’un autre. Ce qui fait l’Église, dans cette perspec-
tive, ce n’est ni un rang hiérarchique, ni une pratique cul-
tuelle, c’est l’unité nouée pour vivre ce que la Tête impulse.
S’il en vient à disposer des distinctions apôtres… pro-
phètes… chargés d’enseignement…, etc., c’est pour
mettre en évidence que ces tâches sont des dons reçus de
Dieu pour le service de tous et pour travailler ensemble à la
gloire de Dieu. Dès lors, il est possible de saisir pourquoi le
concile Vatican II dans la constitution dogmatique Lumen
gentium [cf. n. 6] a insisté pour rappeler que l’Eglise est un
peuple rassemblé pour servir sous un seul Chef, le Christ,
que l’Eglise est un troupeau qu’un unique pasteur, le Christ,
guide…
Dans cette perspective, nous sommes invités à retrouver
l’origine de l’Église. Le mot Église vient d’un mot grec qui
porte en lui le verbe appeler. L’Ekklesia était le lieu où le
peuple se rassemblait, convoqué qu’il était, pour se mettre à
l’écoute d’un message qui le constituait en tant que tel.
L’Église est donc la peuple convoqué par Dieu pour en-
tendre un unique message, celui de la Bonne Nouvelle
qu’est Jésus Christ. L’Église est ainsi la manifestation de la
continuation de l’œuvre christique. Il y a Église, quand des
hommes/des femmes se rassemblent pour mettre en œuvre
le message du Christ, pour donner à voir ce qu’il est venu
vivre au milieu de nous pour que nous le suivions [il appelle
à venir à sa suite… et non pas à le précéder] : l’amour même
qu’est Dieu. Cet amour dont l’Église est porteuse à la suite
du Christ veut le bonheur et la grandeur de tous, même des
plus faibles et des plus petits, des plus éloignés comme des
moins considérés. C’est en cela, que l’Église, même si elle
ne se confond pas avec le Royaume [dont nous ignorons les
contours ; Jésus n’en parle qu’en paraboles, et à chaque fois en
disant : Le Royaume, c’est comme…], est un chemin vers le
Royaume, une re-présentation du Royaume. L’Église n’est
pas enclose dans une quelconque institution, ni dans des
rassemblements cultuels institutionnels,… Elle est beau-
coup plus vaste.
On voit bien que l’Église ainsi définie est une continua-
tion de l’incarnation du Christ [dont aucun sondage ne peut
rendre compte]. Son programme d’action ne peut être autre
que celui proclamé et vécu par le Christ. Elle doit donc
travailler à l’émergence de l’homme tel que Dieu le veut,
elle doit promouvoir l’humanité pour que celle-ci manifeste
la divinité qui lui donne sens. Aussi, si les sacrements [les 7
habituels] sont importants pour le vécu et l’édification de
l’Église, le huitième, le sacrement du frère est essentiel. J’ose
même dire que s’il n’est pas pris en compte, les 7 autres
sont des rites qui perdent leur force. Ils naissent de lui et ils
y conduisent. Juste pour mémoire ce que Jean-Paul II disait
à propos de l’eucharistie : Il y a encore un point sur lequel je
voudrais attirer l’attention parce que sur lui se joue d’une manière
notable l’authenticité de la participation à l’Eucharistie, célébrée
dans la communauté : c’est l’élan qui s’en dégage en vue d’un
engagement effectif dans l’édification d’une société plus équitable
et plus fraternelle
.
L’Église qui était l’arrière-fond sur lequel s’appuyaient
les charismes fondateurs de l’héritage à recevoir au-
Jean-Paul II, Mane nobiscum, Domine, n. 28
jourd’hui, était une Église au service des hommes et en
témoignage de l’Amour qu’est Dieu. Il ne s’agissait pas en
premier lieu de faire des conversions, il s’agissait de per-
mettre à des hommes/des femmes de se retrouver leur di-
gnité, au cœur de laquelle Dieu serait perçu. Pour exprimer
cela avec les mots de quelqu’un qu’on ne peut accuser
d’angélisme, ni de récupération, je me permets de citer
Marcel Gauchet : À partir du moment où les chrétiens…n’ont
plus la prétention de détenir le dernier mot sur l’ordre de la vie
collective, une carrière considérable leur est ouverte dans la
manifestation des valeurs et des options qui leur paraissent
bonnes pour la vie dans la cité. La religion… trouve dans ce
paysage une légitimité considérable, y compris aux yeux de ceux
qui ne croient pas
.
2. Oser risquer
Hier, nous avons lu, à deux reprises, un texte extrait de
l’évangile selon Matthieu… la parabole des talents [Mat-
thieu 25, 14-30]. Nous avons vu qu’elle éclairait d’une lu-
mière évangélique et neuve les questions qui nous rassem-
blent. Je ne vous relis pas la parabole, car je pense que vous
l’avez encore en tête.
Nous sommes dans la situation décrite : tout ce qui est
précieux est confié à des serviteurs, c’est-à-dire à ceux
qui vivent dans l’intimité et la proximité de la congrégation.
Il n’est pas demandé à tous la même chose, mais à chacun
selon ses capacités. D’où l’importance de ne pas croire
que chacun maîtrise le tout, il n’est détenteur que d’une
part, et donc il est nécessaire de se rencontrer, d’échanger,
de partager, de s’entraider,… autour de ce qui est accueilli
pour en déceler toute la richesse et toute la valeur. A cha-
cun selon ses capacités laisse entendre aussi qu’il n’est
pas question d’uniformiser, mais de permettre à chacun de
valoriser ce qu’il reçoit à partir de ce qu’il est, de son his-
toire, de son cheminement spirituel, de ses questionne-
ments, … Pas d’uniformisation, mais favoriser la recherche
de l’unité. Non à l’uniformisation ; oui à l’unification !
Ensuite, il partit… Il ne reste pas là à surveiller, à don-
ner conseils et remontrances… Nous retrouvons là un des
fondements de la révélation [ce qui amènent certain à parler
d’absence de Dieu] et de l’enseignement social de l’Église : le
principe de subsidiarité. Recevoir ce qui est remis n’engage
pas dans une liberté surveillée, mais devient une invitation
à rendre chacun responsable, non seulement de la part qui
est sienne, mais aussi du tout, en respectant l’originalité et
la singularité des autres. Autrement dit, les maîtres-mots
pour vivre dans cette dynamique du donner et recevoir
sont : responsabilité et liberté se vivant dans un environne-
ment de confiance. D’où une incidence : la nécessité d’un
rendre compte. Celui-ci sera le lieu du dialogue entre vous
et les sœurs pour viser à la mise en valeur la meilleure de
l’héritage commun, car d’une certaine façon les sœurs aussi
sont des héritières, héritières de celles qui les ont précédées
et ont forgé ce qu’elles peuvent aujourd’hui transmettre.
Ensuite, nous rencontrons deux attitudes différentes qu’il
ne faut ni opposer abruptement, ni nier, ni durcir. Les deux
premiers serviteurs, comme dit le texte, aussitôt [cet ad-
verbe signifie dans les évangiles que lorsqu’on a reçu il n’est pas
possible d’attendre, cela urge] se mirent à faire fructifier les
La Croix, janvier 2008