polonaise et l’ombre de son Messie juif esquisse une étoile, tandis que le ton
verdâtre général suggère un uniforme militaire de sinistre mémoire... J’écris
prudemment « esquisse » et « suggère » car il me semble bien que la première
leçon de cette oeuvre , ce qu’elle incarne, magnifie, manifeste avec véhémence,
est :
Le Christ, le vrai, n’est pas un message mais un visage.
Or c’est le papier qui porte le slogan, le discours, le « message ». Et le
« message » déporte le visage de chair et de sang dans le barbelé des concepts,
dans l’espace mortifère des abstractions, là où les mots, parce qu’ils refusent de
s’originer dans le Verbe de Vie, deviennent des maux. Or ce visage, celui du
Verbe Incarné, résiste aux féroces « explications », de « ex-plicare », mise à plat
en latin.
A quel espace nous confronte Siudmak ? Quelle est cette platitude d’un
bleu vague qui n’est pas l’eau ; d’un vert qui n’est pas végétation ? Les épines
semblent fuir en perspective mais où est l’horizon ? Si le clou tient l’image et si
celle-ci pend, selon la loi de gravité, et puisque les gouttes de sang s’inclinent
vers le bas, il est sûr que le sol n’est pas un sol mais une paroi verticale,
autrement dit que l’image ne doit pas être vue à plat mais redressée.
Mais pendant que notre oeil chavire, voilà qu’un détail accroche notre
regard : le bord de la pointe d’ombre, à la gauche du Christ, présente une fine
frange de lumière. Et l’ambivalence de la figuration nous joue un tour : car si
nous supposons l’ombre arrêtée par un bord, c’est que l’ombre est moins une
ombre qu’une trouée ! La face du Messie doit alors être pensée comme se
détachant sur une déchirure. Les clous tiennent donc sur du vide ? Qu’est-ce que
cette peau verdâtre sinon les apparences du monde, l’emballage du néant. En
s’arrachant sur cette béance noire, le visage du Sauveur la révèle et la conjure à
la fois. Car cette effigie clouée entre les ténèbres et la lumière, empêche l’oeil de
plonger dans la nuit. Ainsi se révèle l’inconsistance du monde mais aussi sa
dignité puisque ce bleu-vert indéfinissable est le support, la chair de cette sainte
Face, et que cette monotonie colorée parvient à saigner rouge.
Regardons enfin, au coeur du tableau, cet homme qui ne nous regarde pas,
ce Verbe Incarné qui se tait et qui, les yeux clos, se donne à voir. Il n’a pas les
traits flasques ou pétrifiés des morts, la face est souffrante mais nullement
crispée. Pas de cri ni de grimace ; il est concentré plutôt que tendu. Un visage,
conscient des déchirements qui le cernent, mais qui se veut ni accusateur ni
apitoyant. Nul mépris, nulle indifférence, mais il regarde ailleurs. Et ce qu’il
contemple lui donne cette paix qui transparaît à travers l’épreuve. Ce visage se
repose, se renouvelle, se vivifie en permanence dans un tête à tête intérieur avec
un autre. Un autre que nous ne pouvons pas voir mais seulement pressentir,
puisqu’il resplendit dans la patience de la sainte Face. Et cet autre, de qui
descend un don si parfait, qui est-il sinon le « Père des lumières, chez qui
n’existe aucun changement ni l’ombre d’une variation » (Jc 1-17) ?
Une quatrième dimension, subtile, discrète, divine, s’ouvre à nous. Où