CABINET Forum Med Suisse No 10 5 mars 2003 240 La biopsie cutanée et la pathologie dermatologique à l’usage des cliniciens Bruno E. Paredes Pour le clinicien, la peau est abordable aussi bien macroscopiquement que sur le plan de la petite chirurgie. Entre les mains d’un professionnel expérimenté, la biopsie cutanée est en effet un outil de valeur pour le diagnostic et, avec le même geste, pour le traitement de nombreuses maladies de la peau, en particulier les néoplasies. Même si la majeure partie des biopsies cutanées est de bonne qualité, un échantillon de tissu inadéquat représente un difficile défi pour le (dermato)pathologiste. La biopsie cutanée ne consiste pas en la seule ablation mécanique de tissu. On a souvent à faire à des échantillons de peau de trop petites dimensions, trop superficiels, abîmés par une électrocoagulation, écrasés par une pincette ou même desséchés. Par ailleurs, les données cliniques et les descriptions macroscopiques des lésions sont parfois insuffisantes ou font même totalement défaut. Un autre problème à ne pas minimiser consiste dans le fait que certains cliniciens ne sont pas assez familiers avec l’interprétation d’un rapport histologique dans le contexte clinique, surtout en cas de maladie cutanée inflammatoire [1]. En dermatologie/pathologie dermatologique, la nomenclature «fleurie» et de nombreux synonymes représentent une difficulté supplémentaire qui fait que les non-dermatologues et les (dermato)pathologistes ne parlent parfois pas la même langue. Ci-dessous, nous exposons les principes et les concepts de base de la biopsie cutanée et de la pathologie dermatologique. Indications Correspondance: Dr Bruno E. Paredes FMH Dermatologie und Venerologie Institut für Pathologie Universität Bern CH-3010 Berne [email protected] La fonction principale d’une biopsie cutanée est d’atteindre une certitude diagnostique en face d’une situation clinique peu claire. En face de nombreuses lésions cutanées inclassables à l’œil mais suspectes de néoplasie, la biopsie cutanée est la meilleure technique de diagnostic et de traitement à la fois. Par ailleurs, en cas de néoplasie cutanée maligne, la biopsie permet une conclusion rudimentaire sur le pronostic (mesure de l’épaisseur de la tumeur selon Breslow pour les mélanomes malins). Pour de nombreuses maladies cutanées inflammatoi- res, l’examen histologique est très utile et même souvent diagnostique alors même que l’aspect clinique ne permet pas de poser un diagnostic spécifique. Ainsi, la biopsie cutanée permet d’affiner les diagnostics différentiels et de confirmer ou infirmer les suspicions cliniques. De plus, l’échantillon cutané prélevé peut être assigné à d’autres méthodes diagnostiques telles que l’immunofluorescence directe (IFD), la microscopie électronique, l’immunohistochimie, la culture ou la PCR (polymerase chain reaction) [2]. Il n’est pas rare non plus d’être confronté à des questions médicolégales dans le cadre desquelles le diagnostic dermatopathologique doit être documenté par un expert [3]. Parfois, chez les patients inquiets qui ont par exemple été traités sans succès sur une longue période, la biopsie cutanée est légitime et indiquée. La relation médecin–patient s’en trouvera renforcée ou rétablie. La biopsie cutanée peut encore être indiquée pour le contrôle du traitement et de l’évolution, ainsi que pour des besoins de documentation scientifique. Finalement, il faut savoir qu’en cas de persistance d’insécurité clinico-pathologique après une première biopsie, une seconde, voire une troisième biopsie cutanée ne représentent en général pas un problème de surcharge pour le patient. Données cliniques Il semble aller de soi que les données cliniques soient transmises au pathologiste. Mais ce n’est malheureusement pas toujours le cas. Dans la précipitation du quotidien, il est fréquent que des données lacunaires soient transmises. Pour les verrues planes séniles (kératoses séborrhéiques) ou un naevus mélanocytaire commun du nez, les longs rapports sont évidemment superflus. Mais pour les maladies cutanées inflammatoires ou des tumeurs cutanées inhabituelles, la situation est toute différente. En plus de l’âge et du sexe du patient ainsi que de l’endroit du prélèvement, on devrait mentionner sur le formulaire de demande d’examen la description macroscopique de la lésion, les symptômes d’accompagnement, les facteurs déclenchants, le diagnostic de suspicion/hypo- CABINET Forum Med Suisse No 10 5 mars 2003 241 Tableau 1. Où se situe l’altération cutanée? Exemples. Epiderme et derme supérieur naevus mélanocytaire lentigo solaire (lentigo sénile) verrue séborrhéique (kératose sénile) papule fibreuse du nez verrue vulgaire naevus épidermique basaliome, type superficiel mélanome (in situ) mycosis fungoïde (variante la plus fréquente d’un lymphome cutané à cellules T) kératose solaire (actinique) maladie de Paget/Paget extra-mammaire dermatite de contact (allergique, toxique-irritative) dermatite atopique, dermatite séborrhéique psoriasis vulgaire scabies lichen plan pityriasis rosé dermatoses vésiculo-bulleuses Derme supérieur et inférieur naevus mélanocytaire hémangiome kyste folliculaire cutané (kyste épidermoïde; athérome) tumeur glomique neurofibrome naevus sébacé (hamartome de l’unité folliculo-apocrino-sébacée) basaliome (nodulaire, sclérodermiforme) épithélioma pavimenteux cutané (carcinome spinocellulaire) mélanome dermatite photo-allergique/phototoxique photodermatose polymorphe («photoallergie») sclérodermie / morphée scabies nodulaire persistante vasculite leucocytoclastique lupus érythémateux cutané urticaire granulome annulaire Derme profond et tissu cellulaire sous-cutané naevus bleu lipome kyste folliculaire cutané (kyste épidermoïde, athérome) dermatofibrome histiocytome fibreux malin mélanome lymphome malin dermatofibrosarcome protubérant métastases (mélanome, cancer mammaire, etc.) panniculite (par ex. érythème noueux) sarcoïdose nodules rhumatismaux vasculite nodulaire, panartérite noueuse cutanée thrombophlébite granulome annulaire, variante sous-cutanée thèse de travail ou le diagnostic différentiel, ainsi que les traitements locaux et/ou systémiques entrepris. La description «exanthème maculo-papuleux» n’est souvent que peu utile. Dans certaines situations, il faudrait également mentionner le résultat de biopsies antérieures. Cela est particulièrement important pour les récidives/persistances de naevus mélanocytaires incomplètement excisés ou pour les néoplasies. Pour les patients atteints d’exanthème généralisé, respectivement d’érythrodermie (psoriasis vulgaire, pityriasis rubra pilaire, dermatite séborrhéique, dermatite atopique, mycosis fungoïde, etc.), il existe souvent d’anciens rapports histopathologiques. Les circonstances qui paraissent à première vue manquer de pertinence devraient aussi être signalées le cas échéant, comme par exemple un status après transplantation d’organe. Une photographie de l’efflorescence cutanée adressée au pathologiste en annexe à la demande d’examen peut être d’une aide précieuse. Une biopsie cutanée s’avère même parfois superflue après avoir demandé l’avis d’un dermatologue. Procédure de biopsie Avant d’envisager un prélèvement de peau, il faudrait être familier avec les connaissances de base de l’histologie de la peau et de la (dermato)pathologie. En particulier, on devrait bien avoir à l’esprit à quel «étage» de la peau se déroule le processus morbide (cf. tableau 1) et à quel endroit du tégument il se situe. En effet, selon la localisation, il existe des différences d’épaisseur de la couche cornée, de l’épiderme ou même du derme. C’est en particulier le cas des biopsies régulièrement trop superficielles de la paume de la main et de la plante du pied, où la couche cornée est d’une épaisseur beaucoup supérieure à celle des autres parties du corps. Les biopsies du cuir chevelu lors d’une investigation d’une alopécie posent un pro- CABINET blème semblable; il est ici important que la biopsie atteigne en profondeur le tissu graisseux sous-cutané, de sorte que l’on puisse examiner le follicule pileux dans toute sa profondeur, c’est-à-dire jusqu’au bulbe. Il s’agit de prêter également attention aux lignes de tension de la peau (les «relaxed skin tension lines»). En principe, l’axe d’incision devrait suivre ces lignes de tension, de sorte que la plaie ne présente aucune béance et que les points d’adaptation des bords puissent se faire sans tension. Le prélèvement de peau peut se faire par les méthodes suivantes: 1) excision aux ciseaux, 2) curetage (prélèvement au moyen d’une curette affûtée), 3) shave-biopsie / shaveexcision (excision à ras), 4) biopsie par carottage (poinçonnage à l’emporte-pièce, punchbiopsie), 5) biopsie au scalpel en quartier d’orange (en fuseau) – excision ou incision. Excision aux ciseaux L’excision aux ciseaux est le procédé de choix pour les lésions cutanées superficielles pédiculées telles que le molluscum pendulum (syn.: polype fibro-épithélial cutané, acrochordon). Une anesthésie locale n’est utile que dans de rares cas. La section doit se faire à la base, aussi près de la peau que possible. Curetage (prélèvement au moyen d’une curette affûtée) Le curetage correspond à un raclage au moyen d’une curette affûtée. En gynécologie, le curetage est un procédé diagnostique et thérapeutique très important au niveau de l’utérus (col utérin, endomètre). En dermatologie, le procédé est utilisé en première ligne pour l’ablation de lésions superficielles (épidermiques) telles que les kératoses séborrhéiques, les naevus épidermiques, les verrues vulgaires, les molluscum contagiosum, les kératoses solaires (actiniques) et les basaliomes superficiels. Pour des raisons techniques, ce procédé relègue la question diagnostique au deuxième plan. Cependant, de multiples petits fragments de curetage peuvent aider au diagnostic. Même si le matériel obtenu par curetage est le plus souvent incomplet, il faut l’adresser pour examen histologique dans tous les cas de néoplasie (basaliome, kératose solaire) et dans les cas avec implications médicolégales. En cas d’ablation par exemple de kératoses séborrhéiques multiples, à savoir au nombre de plus de 20, il est en règle générale superflu d’envoyer le tissu obtenu. Après cryo-anesthésie préalable (spray de chlorure d’éthyle, azote liquide) ou anesthésie locale, on procédera à l’ablation de la lésion en Forum Med Suisse No 10 5 mars 2003 242 exerçant la pression la plus faible possible, après avoir mis la peau sous tension en la maintenant écartée entre le pouce et l’index de l’autre main. En cas de pression trop forte avec la curette, on court le danger de léser les tissus en profondeur, donc le risque de cicatrice [4]. On a avantage à tenir la curette comme un éplucheur à légumes, car la technique «en pelures de pomme de terre» permet une bonne immobilisation de la lésion, une meilleure stabilité ainsi qu’une bonne flexibilité et une bonne mobilité de la main qui conduit l’instrument. Le fait de s’exercer sur une pomme de terre affine sa propre technique [5]. Les néoplasies mélanocytaires, surtout en cas de suspicion de mélanome, et les lésions au diagnostic peu clair suspectes de dégénérescence tumorale constituent une contre-indication à l’ablation par curetage. Shave-biopsie / shave-excision (excision à ras) La shave-biopsie se fait à la lame de scalpel (avec ou sans manche) ou au moyen d’une curette en forme d’anneau (curette en anneau). La lame de scalpel évolue parallèlement à la surface de la peau. On ôte la lésion par des fins mouvements de scie [6]. Les indications à cette technique sont également les lésions cutanées superficielles de l’épiderme et du derme. Cette technique permet d’obtenir de bons résultats cosmétiques surtout pour les lésions exophytiques (fibromes papuleux, verruqueux, pédiculés), les kératoses séborrhéiques, les naevus épidermiques, les verrues vulgaires, les naevus mélanocytaires, les kératoses solaires ou les basaliomes superficiels [7]. La suture de la peau est superflue. La shave-biopsie n’est pas indiquée en cas de maladie cutanée inflammatoire. A la moindre suspicion de mélanome, cette technique est également contre-indiquée. Biopsie par carottage (poinçonnage à l’emporte-pièce, punch-biopsie) A l’une de ses extrémités, le carotteur est muni d’un couteau métallique cylindrique, dont le diamètre varie entre 2 et 8 mm. On ne devrait utiliser qu’exceptionnellement les carotteurs de 2 mm de diamètre. Leur seule indication est la biopsie de lésions au visage, une localisation délicate du point de vue cosmétique. L’examen histologique de biopsies par carottage d’un diamètre de 3 mm ou inférieur est d’interprétation difficile, voire insuffisante. En règle générale, les carottes de 4 mm sont au contraire déjà suffisantes. Mais le diagnostic histologique des biopsies de petit diamètre est plus délicat, de CABINET sorte que plusieurs auteurs recommandent de prélever des carottes d’au moins 6 mm [2, 4]. Un carotteur de 6 mm est donc utilisé lorsque la préparation devra être segmentée en vue de mesures diagnostiques complémentaires telles qu’immunofluorescence ou examen microbiologique. Après anesthésie locale, on pratique la biopsie la peau étant étirée entre deux doigts, perpendiculairement aux sillons cutanés. Le prélèvement est effectué par des mouvements de rotation en pression axiale et laisse place à une plaie opératoire de surface elliptique. Le cylindre de peau prélevé devrait être retiré directement avec les ciseaux, éventuellement à l’aide de l’aiguille d’injection, afin d’éviter des artefacts par écrasement. Le cylindre de peau est légèrement soulevé à l’aide de l’aiguille. Le défect cutané peut être refermé sans problème par un point de suture, mais on peut aussi, sans suturer, simplement couvrir directement la plaie par un pansement protecteur. Biopsie au scalpel en quartier d’orange (en fuseau) – excision ou incision La principale indication à l’excision est celle de l’ablation complète de tumeurs bénignes ou malignes. Les panniculites, les alopécies, les lésions sclérosantes ou atrophiantes, les vasculites des gros vaisseaux situés en profondeur (vasculite nodulaire, panartérite noueuse, thrombophlébite) et quelques maladies ulcéreuses telles que le pyoderma gangraenosum, sont des affections où la biopsie en quartier d’orange est d’une très grande utilité diagnostique. En cas de dermatose ulcéreuse, il est très important de pouvoir comparer les peaux malade et intacte. Les lignes de tension de la peau devraient être marquées avant l’anesthésie locale par du violet de gentiane ou une mine stérile. La longueur de l’incision doit être trois fois celle de la largeur de la lésion, afin d’éviter au mieux toute tension au niveau de la suture de fermeture de la plaie. L’incision se fera toujours dans la direction des lignes de tension de la peau. On veillera à l’orientation bien perpendiculairement à la surface de la peau, de manière à assurer une bonne adaptation des bords de la plaie lors de la suture, surtout aux extrémités. En profondeur, la section doit atteindre le tissu cellulaire sous-cutané [8]. Pour les particularités d’ordre esthétique, les plasties par lambeau, les transplantations, les matériels de suture, le lecteur voudra bien se référer à la littérature correspondante. Forum Med Suisse No 10 5 mars 2003 243 Matériel biopsié Le matériel biopsié devrait être soigneusement manipulé avec la pincette ou l’aiguille à injection, de manière à éviter les artefacts par écrasement. En routine, l’échantillon prélevé est placé dans un récipient transparent contenant un fixateur sous forme d’une solution de formol à 10% (correspondant à une solution aqueuse de formaldéhyde à 4%), ce qui sert également de milieu de transport. La transparence du récipient permet de contrôler la présence du matériel prélevé conformément à la demande d’examen. Le rapport volume de formol/ volume de la biopsie devrait être de 20/1, car la fixation «utilise» le formol. En règle générale, on ne place dans un récipient qu’un seul échantillon de biopsie, afin d’éviter toute confusion. Des échantillons bien marqués (fils) de manière différenciée peuvent faire exception. Les laboratoires, instituts ou cliniques mettent à disposition des récipients de transport pré-remplis de formol, de grandeurs différentes. Il va sans dire que les récipients de transport doivent être étiquetés avec les données permettant d’identifier correctement le patient. Si l’on demande un examen par immunofluorescence directe, la pièce de tissu prélevé doit être partagée en deux. L’une des deux parties est fixée dans le formol comme indiqué ci-dessus. L’autre moitié est enroulée dans une gaze imbibée (non pas détrempée) de solution physiologique de NaCl et envoyée dans un récipient de transport par express au laboratoire d’immunofluorescence. Si le transport est susceptible de durer plus d’un jour (fin de semaine, par exemple), on recommande d’ajouter de la neige carbonique dans le récipient de transport. Le milieu de Michel (sulfate d’ammonium, N-éthylmaléimide et sulfate de magnésium dans du citrate tamponné) constitue une alternative et dans ce milieu, la pièce reste utilisable pour plus d’une semaine. Pour l’examen microbiologique, les prélèvements doivent être envoyés dans un tube stérile. Le fragment de tissu n’est pas fixé dans le formol, mais enroulé dans une gaze stérile imbibée d’une solution saline physiologique non bactériostatique. Le patient Le patient collabore en général d’autant mieux qu’il est bien informé. Avant le geste, on le renseignera donc en détails sur l’indication à la biopsie de peau, la technique de prélèvement et la guérison de la plaie. Cette information devrait inclure les risques, même s’ils sont rares, tels que saignement, infection, cicatrice disgra- CABINET cieuse ou chéloïde, dyspigmentation (leucodermie, mélanodermie). Il ne faut pas sous-évaluer le risque de déhiscence cutanée au niveau de la cicatrice aux localisations de grande mobilité mécanique. Il faut expliquer le danger de récidive inhérent à la technique de shave-biopsie, surtout en cas de néoplasie mélanocytaire. On peut en règle générale se contenter d’un consentement tacite à la biopsie. Une anamnèse allergologique permettra d’être fixé sur une éventuelle intolérance au latex, aux anesthésiques locaux, aux désinfectants, aux antibiotiques topiques ou aux pansements adhésifs; nous profitons de préciser que la plupart du temps, il s’agit là de réactions toxiques irritatives plutôt que d’allergie de contact. L’anticoagulation par voie orale, les coagulopathies, une thrombocytopénie ou une immunosuppression constituent des contre-indications relatives à la biopsie cutanée. Il convient également d’être prudent chez les diabétiques atteints d’une angiopathie avancée en raison du retard de cicatrisation des plaies qui l’accompagne. Il en est de même en face d’un patient présentant une insuffisance veineuse chronique. La proximité de structures anatomiques sensibles telles que les vaisseaux d’une certaine dimension, les nerfs ou les capsules articulaires devrait être évitée et constitue parfois une contre-indication relative [7]. La plus grande prudence est de rigueur en face de grosses lésions cutanées pulsatiles et pellucides localisées à la tête ou au tronc. De telles lésions peuvent être en continuité avec des structures profondes (gros vaisseaux ou liquide céphalo-rachidien) et nécessitent donc une investigation clinique et radiologique préalables approfondies [9]. Chez les patients à risque – valve cardiaque artificielle, endoprothèse articulaire, vice cardiaque, immunosuppression – la prophylaxie antibiotique péri-opératoire n’est pas absolument nécessaire [7]. Dans ces situations, certains auteurs recommandent au contraire une prophylaxie antibiotique pré-opératoire, c’est-à-dire l’administration d’un antibiotique adéquat deux heures avant la biopsie [10, 11]. Désinfection Dans la plupart des cas, une désinfection à l’alcool est suffisante. Elle permet de réduire la flore cutanée de 75% en moins d’une minute. L’éthanol est surtout efficace contre les germes Gram positifs. Les solutions de povidone iodée ont un spectre antibactérien aussi bien grampositif que gram-négatif. Leur entrée en action est cependant plus lente que celle de l’alcool et la povidone iodée colore la peau. La chlorhexidine est aussi efficace contre les gram-positifs et les gram-négatifs. Son action est d’entrée rapide et dure plusieurs heures. Elle est contre- Forum Med Suisse No 10 5 mars 2003 244 indiquée en application péri-oculaire en raison de ses propriétés irritantes sur la cornée. On utilise souvent des antiseptiques en combinaison, c’est-à-dire en solution alcoolique. On exclut ainsi les possibles lacunes de spectre des antiseptiques isolés. Anesthésie Pour l’anesthésie locale, on distingue les procédés suivants: anesthésie par infiltration (lidocaïne, mépivacaïne, bupivacaïne), cryo-anesthésie pour les curetages, anesthésie de surface (crème Emla®). L’adjonction d’adrénaline (1:100 000) prolonge la durée de l’effet de la lidocaïne et diminue en même temps les saignements. Moment et endroit de la biopsie? Les dermatoses inflammatoires passent par diverses phases selon une séquence typique pour la maladie. Ainsi, le moment adéquat pour la biopsie de peau se limite uniquement à l’efflorescence présente au commencement. En principe, on prélèvera l’efflorescence la plus jeune (efflorescence primaire). Dans les lésions cutanées anciennes, on trouve régulièrement des modifications qui ne contribuent que peu au diagnostic. Mais en pratique, la réalité est la plupart du temps bien différente, car en règle générale le patient ne consulte pas au bon moment et les efflorescences ont souvent déjà subi des modifications en raison d’une automédication et/ou d’ordre irritatif. Lorsqu’on suspecte une mastocytose cutanée, la friction de la lésion afin de provoquer une réaction urticarienne (signe de Darier) est plutôt contre-productive pour assurer un diagnostic histologique fin. En effet après cette manœuvre, les mastocytes dégranulés ne sont histochimiquement presque plus ou plus du tout démontrables. Dans les dermatoses bulleuses (pemphigoïde bulleux, pemphigoïde vulgaire, dermatite herpétiforme de Duhring, etc.), les lésions initiales correspondent fréquemment à une lésion urticarienne et/ou érythémateuse. Histologiquement, cette phase urticarienne se révèle le plus souvent comme une spongiose avec des éosinophiles dans l’épiderme («spongiose éosinophile») et le chorion supérieur. Cette spongiose avec éosinophiles se rencontre entre autres aussi dans l’eczéma de contact allergique, dans diverses formes d’exanthèmes médicamenteux, dans les ectoparasitoses, dans l’incontinentia pigmenti ou dans l’érythème toxique du nouveau-né (Maladie de Leiner) [12]. Dans cette dernière maladie, aussi dénommée érythrodermie desquamative du nourrisson, la biopsie cutanée est superflue du fait que l’affec- CABINET tion régresse en quelques jours. Ainsi, dans les dermatoses bulleuses, on ne peut poser un diagnostic plus spécifique que lorsque la formation de bulles est manifeste. Si le matériel de biopsie est prélevé plus tard, c’est-à-dire lorsque le tableau clinique est essentiellement conditionné par des érosions et des ulcérations, il existe d’autres composantes inflammatoires, une colonisation bactérienne et des modifications réparatrices sont déjà présentes. Il n’est pas rare que certaines maladies se présentent simultanément à divers stades de leur développement, telles la vasculite leucocytoclastique ou la rare dermatite du pityriasis lichénoïde et varioliforme aigu (Maladie de Mucha-Habermann). Dans ces situations, il est parfois nécessaire de répéter les biopsies à plusieurs reprises pour être en mesure de donner un diagnostic définitif. Les efflorescences annulaires telles que le granulome annulaire, les mycoses cutanées, le pityriasis rosé, l’érythème (chronique) migrant, l’érythème annulaire centrifuge, le lupus érythémateux cutané, les porokératoses, etc. devraient être biopsiées en périphérie de la lésion, c’est-à-dire au lieu de leur progression. Conformément à sa définition, l’érythrodermie correspond à un érythème généralisé atteignant plus de 90% de la surface cutanée. Dans les pays anglo-saxons, on utilise aussi la dénomination «dermatite exfoliative». Tant histopathologiquement que cliniquement, il est parfois très difficile de relier l’érythrodermie à une entité nosologique précise. L’établissement du diagnostic nécessite, en plus d’une bonne anamnèse – maladies de la peau connues, médicaments – un examen physique soigneux incluant la recherche d’adénopathies. Dans plus de la moitié des cas, il est possible de poser un diagnostic histologique fin grâce à une ou plusieurs biopsies cutanées. Parfois, le diagnostic définitif n’est possible que grâce à la combinaison de paramètres cliniques et pathologiques [13]. Autant que possible, il faudrait biopsier des lésions représentatives au tronc ou à la racine des membres. Les fragments tissulaires prélevés aux extrémités, surtout inférieures, montrent souvent – aussi chez les personnes jeunes – des signes de stase ou des altérations non spécifiques, de caractère peu inflammatoire. Par ailleurs, la guérison des plaies est plus lente au niveau des membres inférieurs [10, 14]. Le diagnostic de panniculite dépend fortement de la proportion de tissu graisseux obtenu par la biopsie. Deux signes distinctifs au niveau du tissu sous-cutané sont très importants pour l’appréciation histologique: d’une part la répartition de l’infiltrat inflammatoire, c’est-à-dire surtout septale ou au contraire lobulaire; et d’autre part la présence ou l’absence d’une vasculite. Les excisions en quartier d’orange au scalpel sont idéales, car elles permettent d’ob- Forum Med Suisse No 10 5 mars 2003 245 tenir avec une certaine sûreté plus de deux petits lambeaux de tissu graisseux. Si l’on n’a au contraire pratiqué qu’une biopsie par carottage, celle-ci doit si possible avoir un diamètre de plus de 6 mm. Les carottes de dimensions inférieures ne permettent fréquemment aucun diagnostic ou seulement un diagnostic hasardeux. Les dyspigmentations, en particulier les hypopigmentations post-inflammatoires ou le vitiligo, devraient si possible être biopsiées sur leur pourtour, comme les efflorescences annulaires. C’est à cet endroit en effet que l’on peut histologiquement constater un bon contraste entre peau malade et peau saine. Le diagnostic peut être affiné par des colorations spéciales (Masson-Fontana) et en immuno-histo-chimie, par la mise en évidence de la protéine S-100 ou le Melan A. Dans ces situations, il faudrait simultanément demander une coloration au PAS, afin d’exclure une mycose, en particulier un pityriasis versicolor (Malassezia furfur). Même pour les lésions déjà traitées par des antimycotiques, on recommande de pratiquer aussi une coloration au PAS, à la recherche de spores ou d’hyphes. Biopsie de tumeurs cutanées pigmentées Les lésions pigmentées de nature peu claire, surtout en cas de suspicion de mélanome, devraient faire l’objet d’une excision-biopsie d’emblée. En dépit du caractère aujourd’hui reconnu anodin de l’incision-biopsie, certains éléments du point de vue histologique parlent contre. Le diagnostic d’un mélanome repose aussi sur des critères tissulaires fins tels que l’architecture, très spécifique, et la cytologie. Concernant l’architecture, l’asymétrie et la délimitation floue sur les flancs de la lésion ont une importance significative. Si le prélèvement n’est que partiel – carottage, biopsie par incision – ces éléments diagnostiques importants font défaut. Si l’échantillon de biopsie provient accidentellement d’un endroit «pseudo-bénin», la probabilité d’un diagnostic erroné est considérable [15]. Malheureusement, il n’est pas toujours possible de suivre à la lettre la règle d’une excision complète en cas de suspicion de mélanome. Pour les néoplasies de grand diamètre, il faut parfois se contenter d’une incision-biopsie ou du prélèvement d’un échantillon pour biopsie. Mais dans ce cas, où doiton pratiquer la biopsie? On choisira les endroits surélevés avec une pigmentation foncée, c’està-dire là où la néoplasie est largement avancée, ainsi que les bords dont l’examen permettra d’examiner la zone de transition avec la peau saine [15]. En cas de suspicion de mélanome, la shave-biopsie est contre-indiquée, même si CABINET Tableau 2. Biopsie cutanée pour l’examen en immunofluorescence directe. Les lésions cutanées ne doivent pas être âgées de plus de 24 heures. Le pourtour de la lésion, surtout en présence de formation bulleuse, est diagnostique. Un tiers de la biopsie doit contenir de la peau péri-lésionnelle. En cas de séparation de l’épiderme du derme, envoyer les deux fragments séparément avec une identification distinctive. Milieu de transport: milieu de Michel ou dans une gaze imbibée de solution saline physiologique (éventuellement avec de la glace). Pas de biopsie d’ulcère ou du centre d’une bulle. quelques rares auteurs ne la désapprouvent pas complètement [15, 16]. La shave-biopsie n’est pas fiable et trop superficielle pour le diagnostic histopathologique du mélanome versus naevus de Spitz ou du basaliome pigmenté morphéiforme versus trichoblastome desmoplastique [17]. Par égard envers le patient, il faut évidemment choisir la technique de prélèvement la plus fiable du point de vue du diagnostic mais qui soit aussi la plus simple du point de vue technique. Artefacts et sources d’erreur dans les biopsies de peau Une désinfection trop vigoureuse de la peau peut entraîner la perte (par desquamation) d’informations importantes au niveau de la couche cornée. Les spores et le mycélium d’un champignon (mycose cutanée) peuvent manquer, la parakératose du psoriasis vulgaire ou les granulocytes neutrophiles et les bactéries lors d’un impetigo peuvent avoir disparu sous l’effet d’une désinfection inconsidérée. Une injection trop rapide de l’anesthésique local, même avec un dermojet, peut provoquer de petits trous dans le derme et même dans l’épiderme [18]. Une vigoureuse compression mécanique avec la pincette (artefact de pincette) au moment de retirer un fragment de biopsie produit des altérations du chorion. Selon la localisation dans le derme, les artefacts de pincette imitent histologiquement une sclérodermie localisée (morphée) ou un fibrome pendulaire (syn.: polype fibro-épithélial de la peau, acrochordon) [18]. Dans les basaliomes, surtout de type nodulaire, une pression mécanique trop prononcée par une pincette peut parfois provoquer des agrégats de cellules tumorales. De semblables altérations surviennent aussi parfois lors de curetage des basaliomes superficiels. Les espaces laissés vides peuvent parfois ressembler à des lymphangiomes en histologie fine. Lorsqu’une pression est exercée directement sur la zone de Forum Med Suisse No 10 5 mars 2003 246 jonction dermo-épidermique, c’est-à-dire dans la région de la membrane basale, il est possible qu’il se produise un décollement de l’épiderme. Histologiquement, on constate alors une bulle sub-épidermique [18]. Les artefacts d’écrasement sont souvent observés dans les biopsies de trop petites dimensions avec la question d’une panniculite. Parfois, les petits lambeaux mous de tissu adipeux restent pris dans le cylindre du carotteur. Les artefacts de coagulation surviennent lors d’ablation de lésions cutanées par électrocoagulation ou laser. En cas d’électrocoagulation, les noyaux des cellules du pourtour de la lésion, surtout ceux de l’épiderme ou d’une lésion néoplasique, sont élongués (polarisation des cellules). La déshydratation des cellules, également en rapport avec le courant électrique, produit en plus une vacuolisation du cytoplasme. Lorsque du matériel à peine fixé dans du formol à 10% est envoyé à des températures inférieures à 0°, on aura inévitablement des artéfacts de congélation. L’expansion des cristaux de glace dans le tissu entraîne au minimum une vacuolisation des cellules mais peut aller jusqu’à une perte cellulaire complète. Pour prévenir ces artefacts de congélation, il suffit de laisser les préparations se fixer à température ambiante durant la nuit, c’est-à-dire pendant 8 à 12 heures. Si on est plus «pressé» que cela, on peut empêcher la formation de ces artefacts en ajoutant à la solution de formol de l’éthanol à 75–95% dans un rapport 1:10 [18–20]. En Suisse, grâce à notre système de poste et aux courtes distances, ce problème ne se pose qu’exceptionnellement. Comme déjà indiqué, des récipients de transport remplis de formol sont mis à disposition. Malgré cela, le laboratoire d’analyse reçoit parfois des prélèvements desséchés ou peu fixés dans de curieux récipients. Ainsi, on reçoit parfois du matériel dans un récipient en plastic cassant et d’ailleurs cassé, ou bien le récipient est un godet pour lentilles de contact usagé (!). Régulièrement, deux ou même plusieurs lésions (par exemple naevus mélanocytaires) parviennent au laboratoire dans le même récipient. Cela devrait être absolument évité. En effet, lorsque parmi six (!) lésions pigmentées, une seule s’avère être un mélanome, on peut bien imaginer l’odyssée (pour toutes les personnes concernées) de la prise en charge ultérieure. Les biopsies effectuées au mauvais moment ou au mauvais endroit sont les prélèvements d’efflorescences secondaires, de bulles âgées de plus de 24 heures, de tissu nécrotique ou du fond d’un ulcère sans épiderme adjacent. CABINET Indications et endroits particuliers de la biopsie cutanée Forum Med Suisse No 10 5 mars 2003 247 l’échantillon conserve sa réactivité durant environ deux semaines [22]. Cuir chevelu Dermatoses vésiculo-bulleuses ou bien immuno-bulleuses L’examen en immunofluorescence constitue un procédé diagnostique standard pour les patients atteints de dermatose d’ordre immunologique. Font partie de ces situations la famille des pemphigoïdes (pemphigoïde bulleux, épidermolyse bulleuse acquise, herpes gestationis [pemphigoïde gestationis] et le pemphigoïde cicatriciel), la dermatite herpétiforme de Duhring, le pemphigus vulgaire et le lupus érythémateux (cutané). L’immunofluorescence directe (IFD) permet de mettre en évidence des auto-anticorps (IgG, IgA, IgM), des composants du complément et la fibrine dans le tissu examiné. Les dépôts des protéines mentionnées se font dans l’épiderme, au niveau de la jonction dermo-épidermique ou dans la couche papillaire du derme. L’IFD est aussi utilisée dans le diagnostic d’exclusion. Il est en effet possible qu’on ne puisse, ni cliniquement ni histopathologiquement, faire la différence entre un lichen plan buccal érosif ou une manifestation buccale d’un lupus érythémateux, et un pemphigoïde buccal. Le diagnostic exact ne pourra alors être posé qu’à l’aide d’une IFD complémentaire. En cas de vasculite et à l’exception d’une suspicion de vasculite de Schönlein-Henoch, l’IFD est superflue [21]. A la recherche d’IgA dans le cadre d’une suspicion de vasculite de Schönlein-Henoch, il faudrait ne prélever que des lésions âgées de moins de 24 heures [22]. Pour les dermatoses bulleuses, on recommande de biopsier les efflorescences primaires, c’està-dire les lésions fraîches sans altération secondaire. Idéalement, on prélèvera une vésicule (<5 mm) avec la peau péri-vésiculaire bordant la lésion. Les bulles formées il y a plus de 24 heures ne donnent en IFD que des résultats insatisfaisants et histologiquement on y trouve déjà des altérations de réparation [23, 24]. Où doit-on prélever l’échantillon de biopsie pour l’examen IFD? Pour les maladies bulleuses, il faudrait prélever ensemble une vésicule et le tissu péri-lésionnel. Pour l’examen IFD d’une dermatite herpétiforme, il est aussi possible de prélever de la peau normale. Pour le lupus érythémateux, on recommande de prélever une aire érythémateuse [25]. Le tissu prélevé en vue d’une IFD ne doit pas être fixé dans le formol, mais enroulé dans une gaze imprégnée de solution de NaCl physiologique, et non pas baigné dans une solution de NaCl (effet d’extraction). Un récipient de transport adéquat doit protéger l’échantillon du dessèchement. Le matériel doit être envoyé par express directement au laboratoire qui pratique l’analyse. Dans le milieu de Michel, En cas de chute de cheveux, la biopsie de scalp ne remplace pas une bonne anamnèse et un examen clinique soigneux. Elle représente cependant un bon outil diagnostique complémentaire dans les cas de chute de cheveux peu clairs tels que 1) les alopécies cicatricielles, respectivement persistantes et 2) les alopécies non cicatricielles diffuses ou localisées inclassables. Pour l’appréciation d’une alopécie, respectivement d’un effluvium, l’étendue de la chute de cheveux – diffuse ou localisée –, la fragilité de la tige du cheveu, l’inspection du cuir chevelu, ici en particulier les ostiums folliculaires, sont très importants. Le test de résistance du cheveu à l’arrachement (hair pull test) et parfois le trichogramme fournissent des renseignements complémentaires utiles. Les efflorescences pustuleuses nécessitent une préparation spécifique en vue d’un examen microbiologique, afin d’exclure une infection bactérienne et surtout une mycose. La recherche d’efflorescences au niveau d’autres structures tégumentaires, en particulier les ongles et les muqueuses, va de soi. Il n’existe pas d’examen standard de laboratoire. Le choix des tests de laboratoire est dicté par l’anamnèse et les constatations cliniques [26, 27]. En raison de l’hémostase difficile due à la vascularisation importante du cuir chevelu, on évite souvent la biopsie du scalp. La technique de biopsie est pourtant fondamentalement simple. Elle doit poursuivre le but de prélever un nombre suffisant de follicules pileux en entier, en tenant compte du fait que le bulbe du poil terminal soit situé dans le tissu cellulaire sous-cutané. Au préalable, les cheveux de l’endroit à biopsier doivent être rasés. On se sert volontiers de rubans adhésifs pour écarter et fixer les cheveux autour de la région à biopsier. L’hémostase sera facilitée par l’utilisation d’un anesthésique local avec adjonction d’adrénaline. 10 à 15 minutes après l’infiltration d’anesthésique, on pratique le prélèvement non pas perpendiculairement au cuir chevelu, mais parallèlement à la tige capillaire, respectivement au follicule pileux. Les bulbes des poils terminaux sont situés dans le tissu sous-cutané, de sorte que le matériel prélevé devrait absolument comporter une partie du tissu sous-cutané. Dans la littérature, on recommande des biopsies par carottage de 4 mm de diamètre [26, 28]. Selon mon expérience, des carottes de 4 mm sont cependant en règle générale insuffisantes, car le fragment n’est souvent pas prélevé de manière optimale et la portion de tissu sous-cutané insuffisante. On trouve également fréquemment des artefacts d’écrasement, vraisemblablement du fait que l’intervention est souvent pratiquée à la hâte en CABINET Forum Med Suisse No 10 5 mars 2003 248 Tableau 3. Biopsie d’ongle (modifié d’après [30, 32]). Lit de l’ongle Indications: tumeurs, onycholyse d’origine incertaine, hyperkératose sub-unguéale, psoriasis vulgaire non documenté ou douteux ou onychomycose, pigmentation douteuse, lit unguéal douloureux: tumeur glomique, métastase, infection, granulome pyogénique, tumeur ostéo-cartilagineuse, verrue vulgaire, abcès sous-unguéal Peau péri-unguéale (paronychie) Indications: paronychie persistante, tumeurs, masse d’origine incertaine au repli unguéal proximal avec dystrophie consécutive par pression sur la matrice, kyste mucoïde, infection Matrice unguéale Indications: néoplasie, mélanonychie longitudinale douteuse, dystrophie unguéale totale douteuse raison du saignement. Dans les alopécies cicatricielles (lupus érythémateux cutané, lichen planopilaire), on pratiquera le prélèvement sur les bords encore actifs de la lésion et le fragment prélevé ne doit pas contenir plus d’un tiers de tissu cicatriciel. Dans les cas d’alopécie cicatricielle, un examen complémentaire par immunofluorescence directe est toujours nécessaire. De ce fait, on partagera le fragment prélevé en deux, parallèlement à l’axe longitudinal du cheveu. A mon avis, les biopsies par carottage de 6 mm de diamètre ou une excision au scalpel en quartier d’orange de 1 cm de long permettent de mieux respecter les critères susmentionnés. La plupart des (dermato)pathologistes examinent le fragment de biopsie en coupe longitudinale. Les coupes transversales (horizontales) permettent certes d’affiner le diagnostic, mais elles ne sont pas absolument nécessaires. Les préparations sont coupées graduellement et colorées à l’hématoxylineéosine (HE). Les colorations à l’EVG, au bleu d’alcyan ou PAS sont d’autres procédés de coloration utiles en histochimie. Pour certaines problématiques, la coloration de Ziehl-Neelsen fait aussi partie de la palette utilisée [29]. Biopsie de l’appareil unguéal La biopsie d’ongle est indiquée lorsque le diagnostic de l’altération unguéale ne peut être posé ni cliniquement, ni radiologiquement, ni par des méthodes techniques de laboratoire. Malheureusement, les diagnostics posés à propos de l’appareil unguéal sont le plus fréquemment erronés. Les indications principales à la biopsie unguéale sont: les néoplasies bénignes et malignes, en particulier à la recherche d’un mélanome en cas de mélanonychie longitudi- Procédé: biopsie (2 à 3 mm) avec ou sans ablation de l’ongle excision en quartier d’orange – ou biopsie par incision Procédé: biopsie excision-biopsie excision en bloc d’une tumeur ou d’un kyste shave-biopsie des lésions superficielles Procédé: biopsie excision en quartier d’orange – ou incision-biopsie nale (striation pigmentée longitudinale); les dermatoses inflammatoires qui peuvent se limiter à l’appareil unguéal (lichen plan, psoriasis vulgaire); l’exclusion d’une infection (surtout mycose, rarement gale) qui ne peut pas être identifiée microbiologiquement; et l’ablation d’altérations unguéales douloureuses [30, 31]. Fondamentalement, on distingue trois types, respectivement localisations, de biopsie unguéale: la matrice, le lit de l’ongle, la peau périunguéale (cf. tableau 3) [30, 32]. En principe, l’orientation de l’axe d’excision est perpendiculaire au niveau de la matrice et parallèle à l’axe longitudinal au niveau du lit de l’ongle. Malheureusement, l’intervention la plus fréquemment pratiquée au niveau de l’appareil unguéal est aujourd’hui encore l’extraction de l’ongle. A part le fait qu’elle est trop souvent pratiquée, elle traumatise entre autres la matrice et le lit unguéal. L’indication à cette intervention doit donc être strictement posée [33]. Les interventions pratiquées sur l’appareil unguéal requièrent toujours des conditions de stérilité adéquates, une anesthésie locale et un champ exsangue. Pour obtenir un résultat optimal, il est important de maîtriser l’anatomie et la physiologie complexes de ce territoire. Certaines altérations de l’appareil unguéal (hyperkératose, dyschromie, onycholyse, ongle moucheté, doigts en baguette de tambour, etc.) devraient pouvoir être reliées aux diverses structures de l’ongle. La biopsie du lit unguéal ainsi que du repli unguéal proximal et latéral est simple et d’exécution sûre. Un bain de 10 minutes dans de l’eau savonneuse ramollit le corps de l’ongle et facilite ainsi sa biopsie [33]. A mon avis, les biopsies d’ongle dans la région de la matrice ne devraient être exécutées que par des mains CABINET expertes. Ici, il faut souligner l’importance du diagnostic précoce du mélanome sous-unguéal, qui prend justement de préférence origine au niveau de la matrice unguéale (distale). Le pronostic du mélanome de cette localisation (rare) est fréquemment mauvais. Ce mélanome est plus volontiers localisé au pouce ou au gros orteil et se présente généralement sous la forme d’une mélanonychie longitudinale. Parfois, l’ongle atteint peut aussi présenter une masse non pigmentée (amélanique), une dystrophie ou une ulcération. Dans de telles situations, pour assurer le diagnostic, il est très important de pratiquer une biopsie incluant la matrice unguéale. L’épaisseur de la tumeur selon Breslow détermine la procédure thérapeutique ultérieure et le pronostic [34]. Tableau 4. La biopsie de peau comme aide au diagnostic des troubles neurologiques (choix). Maladie de Lafora [42] corpuscules d’inclusion de Lafora dans les glandes sudoripares apocrines CADASIL [36] matériel osmiophile granuleux de densité électromicroscopique adhérant aux cellules musculaires lisses des vaisseaux Maladie des corps de polyglucosane de l’adulte [43] corps d’inclusion dans les cellules myo-épithéliales des glandes sudoripares apocrines Maladie de Unverricht-Lundborg [44] vacuoles à contenu clair attachées à la membrane dans les glandes sudoripares eccrines Neuropathies périphériques neuropathie diabétique [45] quelques rares neuropathies sensorielles [46] neuropathie sensorielle idiopathique des fibres nerveuses de petit calibre de l’enfant [47] Neuropathie infantile démyélinisante [48] Quintessence La biopsie de peau est un procédé diagnostique et thérapeutique applicable aussi bien pour certaines maladies systémiques que pour les maladies dermatologiques. Pour les dermatoses inflammatoires, le choix de l’efflorescence (primaire) à biopsier est capital; il faut prélever la lésion la plus fraîche (la plus récente). Toujours joindre à la demande d’examen une description macroscopique avec des informations cliniques le plus détaillées possibles, éventuellement avec une photographie. Choix de la méthode de biopsie la plus efficace. Manipulation soigneuse et fixation correcte de l’échantillon de tissu prélevé. En cas de résultats peu clairs, il faut rechercher le dialogue (téléphone) entre le clinicien et le dermatopathologiste. Forum Med Suisse No 10 5 mars 2003 249 La biopsie cutanée comme aide précieuse dans certaines maladies neurologiques rares En 1969, Decloux et Friederici purent montrer, chez 6 patients atteints de mucopolysaccharidose, que les altérations histopathologiques de la peau sont comparables à celles qu’on trouve dans le tissu nerveux malade [35]. L’indication à la biopsie cutanée comme mesure diagnostique complémentaire en cas de maladie neurologique se présente pourtant rarement. On recherche alors des anomalies de répartition des organelles cellulaires ou des produits métaboliques pathologiques intra- ou extracellulaires. Par exemple, la microscopie électronique permet de mettre en évidence des dépôts lysosomiaux ultrastructurels. Dans la majorité des cas, les maladies du métabolisme avec atteinte du système nerveux sont identifiées biochimiquement et génétiquement en période prénatale. Les maladies neurologiques suivantes peuvent être diagnostiquées par une biopsie cutanée (cf. également tableau 4): – La maladie de Lafora, soit une lipofuscinose responsable d’une épilepsie myoclonique progressive associée à un syndrome cérébelleux et à une démence progressive. Les dépôts pathologiques homogènes, dits corpuscules d’inclusion de Lafora, se trouvent dans le cytoplasme dans une situation paranucléaire. Les corpuscules d’inclusion correspondent à des grains de glycogène et sont présents dans les glandes sudoripares apocrines de la peau. La biopsie cutanée sera donc pratiquée en peau saine dans la région axillaire. – Dans le syndrome CADASIL (Cerebral Autosomal Dominant Arteriopathy with Subcortical Infarcts and Leukoencephalopathy), on trouve en microscopie électronique du matériel granulaire osmiophile en contact étroit avec les cellules musculaires lisses des artérioles. Les dépôts se font dans le cerveau, les nerfs et le derme [36]. – Quelques neuropathies périphériques avec atteinte des fibres sensitives de petit calibre sont aussi accessibles à la biopsie de peau [37]. Le tableau 4 donne un petit choix de maladies neurologiques pour lesquelles une biopsie cutanée peut aider au diagnostic et dans lesquelles un diagnostic avant l’apparition des symptômes est possible. Jusqu’ici, l’auteur n’a encore pu récolter aucune expérience personnelle dans ce domaine. L’expression de la dystrophine dans la musculature lisse de la peau, c’est-à-dire dans les muscles pilo-érecteurs, peut aussi aujourd’hui constituer une aide pour le diagnostic de la dystrophie musculaire de Duchenne ou de Becker. Dans ces maladies neuromusculaires, on CABINET Forum Med Suisse No 10 5 mars 2003 constate en immuno-histochimie une expression diminuée ou absente de la dystrophine dans les cellules de la musculature lisse des poils [38]. Diagnostic prénatal de maladies graves de la peau Ces dernières années, le diagnostic prénatal de maladies cutanées héréditaires a fait de grands progrès. Les biopsies cutanées sur le fœtus au cours du deuxième trimestre de grossesse, sous contrôle échographique, sont examinées immuno-histochimiquement et ultrastructurellement [39, 41]. On recherche des défauts enzymatiques ou des mutations dans les gènes kératine [41]. Les génodermatoses les plus fréquemment découvertes par le diagnostic prénatal sont l’épidermolyse bulleuse, l’albinisme oculo-cutané et l’ichthyose-arlequin. Dans les familles à haut risque avec un phénotype dramatique, le diagnostic prénatal est certainement justifié. Pour la détermination de l’ADN fœtal, l’amniocentèse et la biopsie des villosités choriales sont toutes deux pratiquées [41]. Aujourd’hui, on a réalisé de tels progrès que dans le cadre des techniques de fertilisation in vitro, il est possible de diagnostiquer les maladies héréditaires de la peau avant l’implantation de l’œuf [40]. On recherche en effet les défauts génétiques sur l’ADN d’un blastomère d’un embryon isolé au stade cellulaire 6–10. Ensuite, on procède à l’implantation d’un embryon non malade dans l’utérus. Le pas suivant serait l’examen non invasif de routine d’une seule cellule fœtale dans le sang maternel, par exemple un érythrocyte nucléé [40]. Toute séduisante du 250 point de vue scientifique qu’elle soit, cette procédure pose actuellement des questions presque insurmontables sur le plan éthique et sociopolitique. Il va sans dire que de telles interventions diagnostiques et leurs résultats nécessitent la collaboration de divers spécialistes (pédiatres, généticiens, gynécologues, dermatologues, éthiciens, etc.) avec, évidemment, les parents. Pathologie dermatologique En cas de dermatose inflammatoire, la peau ne possède qu’un nombre restreint de types de réaction morphologique. Ce fait met l’histopathologiste devant une large palette de diagnostics différentiels parmi lesquels il s’agit de s’orienter correctement. Plus la description macroscopique fournie par le clinicien est précise – configuration des lésions, type de répartition des lésions, circonstances de temps d’apparition des lésions, symptômes d’accompagnement, facteurs déclenchants, traitements entrepris –, plus l’exactitude du diagnostic histologique fin sera facilitée. Il existe aussi des dermatoses avec des différences histopathologiques minimes, qui souvent ne peuvent être distinguées (par exemple certains troubles de la pigmentation, exanthèmes médicamenteux) ou qui miment d’autres dermatoses (dermatites bulleuses, dermatite allergique de contact / eczéma nummulaire / dishydrose). Cela explique la nécessité d’une collaboration étroite entre le clinicien et le (dermato)pathologiste. Références 1 Rampen FHJ. General practitioners and skin biopsy. BMJ 1992;304: 575. 2 Spates ST. Diagnostic techniques. In: Fitzpatrick JE, Aeling JL, eds. Dermatologic secrets in color. Hanley&Belfus, Philadelphia:2001. 3 Piérard GE. 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