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taires cellulaires. Cette situation s’accompagne d’un risque très
augmenté de l’ordre de 20 fois de développer des carcinomes
hépatocellulaires.2 On estime que ce risque est dû à un méca-
nisme complexe et indirect de carcinogenèse lié à : a) la proli-
fération hépatocellulaire induite par et visant à compenser la
cytolyse ; b) l’action mutagène de dérivés actifs de l’oxygène
produit par les cellules inflammatoires ; c) concernant le VHB,
des mutations suite à l’intégration de fragments du génome
du virus dans le génome de l’hôte et d) l’effet activateur de la
transcription de proto-oncogènes (gènes affectant positivement
la division cellulaire) et inhibant l’apoptose de la protéine X de
VHB, et concernant le VHC un effet antiapoptotique de cer-
taines protéines virales (en particulier NS5A souvent exprimée
dans les cellules tumorales). Ce mécanisme se déroule proba-
blement par étapes sur des décennies.3
On estime au niveau mondial qu’environ 400 et 170 millions
d’individus souffrent d’hépatite chronique due respectivement
à une infection chronique par le VHB et le VHC. L’implémen-
tation de programmes de vaccination du vaccin contre l’hépa-
tite B, disponible dès 1981, et dont l’efficacité chez les indivi-
dus en bonne santé est > 95 %, a la capacité, démontrée déjà il
y a une vingtaine d’année, de réduire la prévalence de l’hépa-
tite B chronique et l’incidence de carcinome hépatocellulaire
chez les enfants taïwanais vaccinés à la naissance.4 On peut
s’imaginer que la prévention de l’hépatite B par la vaccination,
couplée à la réduction du risque de progression et de carcino-
genèse par les traitements antiviraux chez les patients déjà in-
fectés,5 puisse conduire à terme à prévenir le rôle du VHB
dans la pathogenèse de ce cancer.
En l’absence de vaccins actifs sur le VHC, la révolution en cours
liée à l’apparition des antiviraux directs actifs sur le VHC laisse
entrevoir un contrôle de l’épidémie et de ses complications,
inclus cirrhose et carcinome hépatocellulaire, à un horizon se
situant bien avant la moitié du siècle présent, dans la plupart
des pays.6 On voit donc que les moyens d’éradiquer les carci-
nomes hépatocellulaires d’origine virale existent.
PAPILLOMAVIRUS GÉNITAUX
Les papillomavirus humains ont la capacité d’infecter les cel-
lules épithéliales basales de la peau et des muqueuses, aux-
quelles ils ont accès lors de (micro)traumatismes. Ces virus
présentent un couplage du contrôle de leur réplication avec la
différenciation des cellules pavimenteuses : les particules virales
sont ainsi produites par les cellules plus proches de la surface
cutanée ou muqueuse, assurant ainsi la dissémination à de
nouveaux hôtes. Il peut arriver, par un accident génétique
rare, qu’une partie du génome du virus, normalement une
molécule circulaire d’ADN, s’intègre dans le génome de la cel-
lule hôte. Si cette intégration respecte les cadres de lecture
des protéines virales E6 et E7, alors ces dernières peuvent être
exprimées et respectivement inactiver les protéines cellulai res
Rb et p53 impliquées dans les points de contrôle du cycle cel-
lulaire, permettant à la prolifération cellulaire de continuer
malgré un ADN endommagé, sans que soit déclenchée la mort
programmée de la cellule (apoptose) (figure 2). La lente pro-
gression des anomalies génétiques sous-jacentes à la transfor-
mation maligne progressive (carcinogenèse) est récapitulée du
point de vue pathologique par des lésions de dysplasie crois-
sante jusqu’au cancer invasif. Il existe plus d’une centaine de
génotypes différents de papillomavirus humains, dont certains
causent préférentiellement des lésions (verrues) bénignes (par
exemple, HPV-6 et -11), tandis que d’autres sont préférentiel-
lement associés à des lésions de haut grade (par exemple,
HPV-16 et -18).
Ces derniers jouent un rôle étiologique majeur dans la carci-
nogenèse des cancers du col de l’utérus dans l’immense majo-
rité des cas, ainsi que dans une fraction substantielle des can-
cers ano-génitaux d’autres localisations,2 mais aussi, résultant
sans soute de changements de la prévalence de pratiques
sexuelles, d’une proportion croissante des cancers ORL !8
La disponibilité de vaccins dirigés contre un nombre crois-
sant de génotypes (2, 4 et 9 génotypes) a permis de vérifier
(D’après réf.1).
Virus Génomes Cancers notables Année de
description
Virus d’Epstein–Barr (EBV ; aussi connu
comme human herpesvirus 4 (HHV4))
Herpesvirus à ADN à double brin La plupart des lymphomes de Burkitt et des carcinomes
nasopharyngés, des maladies lymphoprolifératives chez
l’immunosupprimé, certaines maladies de Hodgkin, et certains
lymphomes non hodgkiniens et gastro-intestinaux
1964
Virus de l’hépatite B (VHB) Hepadnavirus à ADN à simple et
double brin
Carcinomes hépatocellulaires 1965
Human T-lymphotropic virus-I (HTLV-I) Rétrovirus à ARN simple brin de
polarité positive
Leucémie à cellules T de l’adulte 1980
Papillomavirus humains à haut risque (HPV)
16 et HPV 18 (certains autres a-HPV types
sont aussi carcinogènes)
Papillomavirus à ADN double brin La plupart des cancers du col utérin et du pénis, certains
autres cancers ano-génitaux, ainsi qu’une proportion croissante
des cancers ORL
1983-1984
Virus de l’hépatite C (VHC) Flavivirus à ARN simple brin de
polarité positive
Certains carcinomes hépatocellulaires et certains lymphomes 1989
Herpesvirus du sarcome de Kaposi (KSHV ;
aussi connu comme human herpesvirus 8
(HHV-8))
Herpesvirus à ADN à double brin Sarcome de Kaposi, lymphome primitif des séreuses
et certaines maladies de Castelman multicentriques
1994
Polyomavirus associé au carcinome des
cellules de Merkel (MCV)
Polyomavirus à ADN à double brin La plupart des carcinomes à cellules de Merkel 2008
Tableau 1 Virus connus pour jouer un rôle dans la pathogenèse de cancers humains
par ordre chronologique de découverte
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