L`impact de la qualité des institutions sur les crises de changes

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L’IMPACT DE LA QUALITE DES
INSTITUTIONS SUR LES CRISES DE
CHANGE
(version préliminaire)
Gérard DUCHENE*
(Erudite Paris 12 et CES Paris 1)
Samir ZOUARI**
(Erudite Paris 12)
Abstract
This paper contributes to the study of the determinants of macroeconomic and financial
instability of 43 emerging countries of Asia, Latin America and Eastern Europe in the period
1995-2004. An index of instability is built on the basis of the monthly variability of exchange
rates and currency reserves. Both macroeconomic and institutional factors are proposed as
explanatory variables of that index in a two-stage panel econometric analysis. In a first stage,
the index of instability is regressed on macroeconomic variables drawn from classical crises
models. In a second step, country-fixed effects are regressed on institutional variables, drawn
mainly from Heritage Foundation and Kaufmann databases. The results show that the quality
of institutions plays a positive role on the stability of the countries under review: the quality
of the financial system, the freedom of international economic relations, the quality of public
governance, social consensus and low corruption levels are all shown to enhance economic
stability.
Classification JEL: F310, F330, N100, O170
Mots-clés : instabilité, crise, institutions, données de panel, pays émergents
*
Les auteurs remercient Pierre Blanchard, Philippe Adair, Pierre-Henri Faure, Horst Brezinski et Belaïd
Ghermani pour leur aide et leurs suggestions. Ils restent évidemment responsables des éventuelles erreurs
contenues dans le texte. Ils remercient également les participants au séminaire de doctorants de l’ERUDITE pour
leurs remarques sur une version préliminaire de ce texte.
*
E-mails : [email protected], [email protected], [email protected] . Laboratoire ERUDITE,
61, Avenue du Général De Gaulle, 94010 CRETEIL CEDEX, France. Tél : (00 33) 01 41 78 46 61.
1
1) Introduction
La vision classique de l’instabilité économique et financière des pays émergents repose sur
l’analyse des crises de change. On synthétise en général l’abondante littérature sur ce sujet en
mettant en exergue trois générations de modèles qui se sont succédé depuis le début des
années 80. Chacune de ces générations de modèles repose sur un mécanisme privilégié
d’explication des crises, et rend compte de divers épisodes qui se sont succédés
historiquement. Ainsi, la première génération, qui est représentée par le modèle désormais
classique de Krugman [1979] et Flood et Garber [1984], correspond-elle aux crises des années
1970-80 (crises mexicaine de 1973 – 82 et argentine de 1978 – 1981). La seconde génération,
représentée par Obstfeld [1994] tente pour sa part une explication des crises du début des
années 90 et notamment la crise du mécanisme de change européen de 1992 - 93. Quant à la
troisième génération, qui est développée à partir des travaux de Krugman [1998] et Radelet et
Sachs [1998, 1999], elle s’attache aux crises de 1994-95 et de 1997-98 dont la crise de l’Asie
du Sud Est est l’archétype.
Ces diverses générations de modèles de crise mettent en évidence deux choses : d’une part,
le rôle central de la spéculation sur le taux de change et l’épuisement des réserves de devises
dans les mécanismes de la crise. Ces deux variables-clés sont intégrées dans les différentes
générations de modèles et en constituent en quelque sorte le coeur. D’autre part, il y a de
façon évidente des différences entre chacun des épisodes historiques auxquels chaque
génération de modèles s’est attachée, les mécanismes générateurs et propagateurs diffèrent.
Comme pour les virus de la grippe, il y a une souche commune mais des modalités
spécifiques à chaque épisode, qui rendent nécessaire la recherche d’un vaccin particulier à
chaque fois. On peut alors se demander quelle sera la spécificité du prochain épisode de crise,
sachant que les explications qui ont été successivement proposées par chaque génération de
modèle rendent aussi compte (rétrospectivement) des épisodes précédents.
Récemment, les institutions sont apparues comme une variable économique significative
qui avait été largement négligée dans le passé. Selon le mot célèbre de Douglass North,
« institutions matter ». Leur rôle a été souligné surtout pour expliquer les différentiels de
croissance entre pays, mais il a été élargi à l’impact sur le commerce et plus généralement sur
l’ouverture économique, par exemple sur les investissements directs étrangers par Méon et
Sekkat [2004]. La garantie d’un système de droits de propriété bien établi, l’existence d’un
droit des contrats ou des sociétés et surtout de procédures d’application de ces droits
(tribunaux fonctionnant de façon efficace), la présence d’un système bancaire bien établi,
l’absence ou tout au moins le caractère limité de la corruption, etc, apparaissent de plus en
plus comme une infrastructure juridique ou institutionnelle indispensable pour garantir la
durabilité du développement.
Paradoxalement cependant, l’instabilité de la croissance n’a pas fait partie des thèmes que
les économistes ont cherchés à expliquer par les institutions. Ce n’est que très récemment
qu’une « quatrième génération » de modèles de crise, mettant en avant le rôle des institutions
comme mécanisme générateur de déséquilibre, est apparue, avec par exemple Apoteker et
Barthélémy [2005]. Encore les travaux sont-ils très embryonnaires dans cette direction.
L’objectif de la présente contribution est d’explorer cette voie de recherche en contribuant
à développer un modèle de crise de quatrième génération, qui pourrait rendre compte à la fois
des épisodes de crises des années 80 et 90, et d’anticiper ce que pourrait être la manifestation
2
du prochain épisode (les crises à venir des années 2000). Nous proposons pour cela
d’observer un échantillon de 43 pays émergents pour la plupart répartis entre les trois
continents d’Europe Centrale et Orientale, d’Asie du Sud et de l’Est et d’Amérique Latine.
Le papier est organisé de la façon suivante : la section 2 présente des données descriptives
sur l’instabilité des pays émergents en mettant en relation les déséquilibres réels (instabilité de
la croissance) et les déséquilibres financiers internationaux (crises de change, de balance des
paiements etc) ; elle construit sur cette base un indicateur d’instabilité financière synthétisant
la situation critique d’une économie émergente et son évolution au cours du temps. La section
3 propose un cadre conceptuel expliquant comment les institutions peuvent agir sur (ou
interagir avec) l’instabilité macroéconomique ou macro-financière. La section 4 présente les
données disponibles et la méthodologie que nous nous proposons d’utiliser (il s’agit
principalement de l’économétrie des données de panel, utilisée pour tester des équations
expliquant l’instabilité par la (mauvaise) qualité des institutions). La section 5 présente les
résultats des régressions et discute leur validité et leur robustesse. La section 6 conclut.
2) L’instabilité économique et financière des pays émergents en perspective
Cette section passe en revue successivement les indicateurs d’instabilité réelle et les
indicateurs d’instabilité financière internationale. Elle propose sur cette base de construire un
indicateur synthétique d’instabilité financière qui représente l’évolution dans le temps de la
fragilité d’une économie, de façon comparable entre pays.
a) Croissance et instabilité dans les pays émergents
Les performances des pays émergents sont caractérisées par une croissance moyenne plus
forte que dans les pays développés, mais par une instabilité également plus forte.
La croissance peut être estimée classiquement par le taux de croissance annuel moyen sur
une période assez longue, de 1984 à 2004 par exemple. Un problème spécifique est posé par
les pays émergents européens, qui sont habituellement désignés sous le terme « économies en
transition ». Ces pays ont traversé une crise spécifique à leur sortie du système communiste, et
la période d’analyse de leur croissance doit être limitée à 1995-20041.
L’instabilité de la croissance peut être mesurée par deux indicateurs, l’un direct et l’autre
indirect. L’indicateur direct consiste à observer la variance des taux de croissance sur les
périodes mentionnées ci-dessus. L’indicateur indirect d’instabilité le plus simple repose pour
sa part sur le taux d’inflation (taux de croissance de l’indice des prix à la consommation, non
représenté dans la présente version) : l’hypothèse implicite est ici que l’inflation est la
variable d’ajustement aux déséquilibres macroéconomique la plus fréquemment utilisée par
les pays émergents.
Les pays émergents que nous observons se répartissent principalement en trois régions (la
classification s’inspire des grandes régions du monde établies par la Banque Mondiale) : 13
pays d’Amérique Latine et Caraïbes, 13 pays d’Asie du Sud et de l’Est et Pacifique
(regroupement de deux régions de la Banque Mondiale), 14 pays de l’Europe et de l’Asie
Centrale (la liste des pays observés est fournie en Annexe 1). Nous pouvons observer les
1
En fait, les pays d’Europe Centrale et Orientale ont surmonté la récession transitionnelle à partir de 1994, et les
pays de l’ex-URSS à partir de 1996 seulement, mais pour simplifier, nous unifions la période d’analyse
spécifique à tous ces pays à 1995-2004).
3
variables de croissance et d’instabilité en parallèle pour les régions entières de la Banque
Mondiale et pour les sous-échantillons de pays émergents que nous observons. Trois pays
« hors régions » s’ajoutent à l’observation (Turquie, Israel, Afrique du Sud) à titre de
comparaison. Les pays Mena (Middle East North Africa) ont été sortis de la base. Les pays à
haut revenu de l’OCDE sont présentés à titre de référence.
Pour chacune des cinq régions mentionnées, nous présentons dans le diagramme ci-dessous
deux des trois indicateurs mentionnés : le taux de croissance moyen sur la période 1984-2004
(1995-2004 pour les pays en transition) et la moyenne des variances des taux de croissance
sur la même période.
Croissance et instabilité dans le monde 1985-2004
Données Banque Mondiale par régions
8
taux de croissance annuel: moyenne et variance
7
taux de croissance moyen
variance du taux de croissance
6
5
4
3
2
1
0
ASIE (Sud et Est)
EUROPE (Est et Asie centrale,
1995-2004)
AMERIQUE LATINE
OCDE
Croissance et instabilité dans les pays de l'échantillon
1984-2004, Données Banque Mondiale
16
taux de croissance annuels: moyenne et variance
14
moyenne des taux de croissance
variance des taux de croissance
12
10
8
6
4
2
0
ASIE (Sud et Est)
EUROPE (Est et Asie Centrale
1995-2004)
AMERIQUE LATINE
4
AUTRES
Comme on le constate, il n’y a pas de relation univoque entre croissance et instabilité. On
observe par exemple que, contrairement à ce qu’on pourrait attendre, une croissance
supérieure s’accompagne d’une plus grande stabilité dans le cas de la région Asie.
b) Hétérogénéité de l’échantillon
Dans les graphiques précédents, les régions choisies présentent une assez forte
hétérogénéité. Cette dernière est encore plus forte si l’on considère l’ensemble des 43 pays
initialement choisis. Peut-on par exemple mettre sur le même plan des pays aussi différents
que la Slovénie, qui compte 1,5 millions d’habitants et qui a un niveau de développement
relativement élevé, et le Bangladesh ? Il est donc légitime de se demander si les pays qui
composent cette population sont comparables et à cet effet, nous avons procédé à une analyse
de données portant sur tous les pays et tous les indicateurs retenus dans l’analyse (voir
annexe).
Analyse de l’hétérogénéité de l’échantillon
Deux groupes de pays-années outliers apparaissent assez nettement, le long de chacun des
deux axes principaux : sur l’axe horizontal, qui représente le niveau de développement
économique, financier et des institutions, on trouve un groupe composé de Singapour et Hong
Kong ; sur l’axe vertical, que l’on peut interpréter comme représentant la croissance
économique, on trouve la Chine. Les deux autres groupes de pays-années (composés
principalement des classes 1 et 3, contenant tous les autres pays de l’échantillon) peuvent être
considérés comme relativement homogènes.
Afin de tenir compte de cette hétérogénéité des pays initialement choisis, nous proposons
dans la suite du travail de procéder à un double traitement des données, en raisonnant d’abord
5
sur la totalité des pays puis sur l’échantillon réduit, et de comparer les résultats obtenus dans
les deux procédures.
c) Crises économiques et crises de change
Les analyses des crises de change ou des crises de balance des paiements se distinguent de
l’approche précédente de deux façons : d’abord, elles font en général référence à deux
indicateurs privilégiés qui sont le taux de change d’une part, et les réserves en devises d’autre
part ; ensuite, elles traitent des données de court terme, telles que des données mensuelles (ou
même des données hebdomadaires ou quotidiennes). Le recours simultané à ces deux
indicateurs se justifie par le fait qu’un pays émergent qui subit une crise peut être soit en
change fixe, soit en changes flottants : dans le premier cas, la crise sera signalée par une
diminution des réserves, le taux de change restant stable (au moins pendant un temps), alors
que dans le second cas, la crise sera signalée par une dépréciation du taux de change, les
réserves restant stables ; un pays en changes fixes qui dévalue se retrouve de fait dans cette
seconde situation ; enfin, dans le cas maintenant fréquent des pays en flottement administré, la
crise de change sera signalée par une variation combinée des deux indicateurs : dépréciation
et/ou baisse des réserves. La plupart des modèles de crises de change cherchent alors à
analyser le déclenchement et la propagation de ces crises en expliquant l’une ou l’autre de ces
deux variables (ou une combinaison de ces deux variables) par un ensemble de variables
macroéconomiques contemporaines ou retardées supposées exogènes.
Dans notre perspective, qui est l’analyse de l’instabilité économique et financière à partir
de l’observation d’un groupe de pays émergents, nous pouvons chercher à caractériser cette
instabilité en faisant référence aux deux indicateurs précédents. Nous proposons de construire
pour chaque pays de notre groupe un indicateur annuel d’instabilité en combinant la
variabilité du taux de change et la variabilité des réserves. La variabilité du taux de change ne
pose pas de problème particulier et peut être appréhendée par le coefficient de variation
(rapport de l’écart type à la moyenne) du taux de change nominal2. Ce coefficient de variation
a été calculé pour chaque année sur la base des douze données mensuelles, conduisant ainsi à
attribuer à chaque pays-année une valeur particulière dans une gamme d’évaluation
comparable. Les réserves de change posent pour leur part quelques difficultés, et adopter la
même méthode du coefficient de variation n’est pas possible. En effet, les réserves peuvent
dans certains pays pour certaines années augmenter constamment (par exemple en Chine), ce
qui est un signe de relative bonne santé économique, mais cela conduirait à un coefficient de
variation élevé indiquant une fragilité économique ; nous avons donc préféré utiliser pour
apprécier la détérioration de la position en réserves d’un pays un autre indicateur. L’idée est
ici de ne tenir compte que des baisses de réserves, l’augmentation des réserves étant
considérée comme normale ; l’indicateur d’instabilité des réserves est alors calculé comme la
moyenne des baisses mensuelles de réserves pendant une année, rapportée à la moyenne des
réserves pendant cette année. Cet indicateur est lui aussi comparable entre pays et entre
années. Enfin, les deux indicateurs (instabilité du taux de change et instabilité des réserves)
sont combinés linéairement pour obtenir l’indicateur d’instabilité financière globale3.
2
Ce faisant, nous devons distinguer entre les pays qui se réfèrent au dollar et ceux qui ont ancré leur monnaie sur
l’euro. Dans la suite de ce papier, nous avons considéré que les pays émergents européens (sauf la Russie,
l’Ukraine et le Kazakhstan) se référaient à l’euro, et les pays des autres régions (Amérique Latine, Asie et « hors
région ») se référaient au dollar. Dans le premier cas, le calcul du coefficient de variation du taux de change a
donc été calculé sur la base des taux de change par rapport à l’euro ; dans tous les autres cas, c’est le taux de
change par rapport au dollar qui a été utilisé.
3
Le coefficient de pondération est de 0,7 pour les réserves et de 0,3 pour le taux de change, cette pondération
correspondant à la moyenne de chacun des deux indicateurs d’instabilité pour l’ensemble des pays considérés (la
6
Le graphique ci dessous montre un des problèmes que pose l’indicateur proposé : la
méthode de calcul de l’indicateur d’instabilité peut être répétée en faisant glisser les variables
de mois en mois ; on obtient alors un indicateur mensuel de l’instabilité annuelle : pour un
mois donné, l’indicateur se réfère aux douze mois passés, et pour chaque mois de décembre, il
se réfère aux douze mois de l’année correspondante. On constate alors que l’indicateur retenu
pour les mois de décembre ne reflète pas forcément l’évolution de l’indicateur au cours de
l’année : ainsi, le graphique représente les évolutions mensuelles pour le Brésil et la
Thaïlande, ainsi que la valeur des indicateurs annuels ; on constate que les valeurs annuelles
retenues aux mois de décembre de chaque année sont assez arbitraires et ne reflètent pas
toujours l’ampleur relative de la crise (pour le Brésil par exemple, la crise de 1999 s’intercale
entre les valeurs de décembre 1998 et de décembre 1999 et disparaît ainsi quasiment du
repérage annuel). Néanmoins, du fait de l’indisponibilité des données institutionnelles, nous
sommes contraints de conserver notre méthode de mesure faute de mieux4.
Indicateur d'instabilité en mesure mensuelle et en mesure annuelle
Cas de la Thailande et du Brésil
14
BRA
BRA annuel
12
THA
THA annuel
10
8
6
4
2
0
janv-95
janv-96
janv-97
janv-98
janv-99
janv-00
janv-01
janv-02
janv-03
janv-04
janv-05
Le graphique suivant montre l’évolution de l’indicateur annuel d’instabilité pour quelques
pays typiques ayant successivement traversé des crises à la fin des années 90 et au début des
années 2000 : Indonésie, Corée, Russie, Brésil, Turquie, Argentine. On remarque que seule, la
crise Brésilienne de 1999 n’apparaît pas sur le graphique ; dans l’ensemble cependant,
l’indicateur d’instabilité reflète assez bien l’ordre d’apparition des crises et leur ampleur
relative.
moyenne de l’indicateur d’instabilité du taux de change est 4,0 alors que celle de l’indicateur d’instabilité des
réserves est de 1,8).
4
Une solution à ce problème consisterait à traiter directement les variables au niveau mensuel. De nouvelles
analyses utilisant cette possibilité seront délivrées ultérieurement par les auteurs.
7
Indicateurs d'instabilité financière
pour quelques pays
12
25
ARG
INDO
KOR
TUR
BRA
RUS
20
8
15
6
10
4
indicateur d'instabilité (Russie)
Indicateur d'instabilité
10
5
2
0
0
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
L’indicateur d’instabilité présente une capacité de discrimination qui peut être caractérisée
de la façon suivante : sur 430 années-pays de notre échantillon, 55 présentent un indicateur
supérieur à 4 ; à titre de comparaison, il y a 56 années-pays qui ont un taux de croissance du
PIB négatif. Cependant, il n’y a pas de correspondance forte entre instabilité financière et
croissance négative : seules 22 années-pays soit 5% de nos observations ont la double
caractéristique d’avoir un indicateur d’instabilité supérieur à 4 et un taux de croissance
négatif. Ceci signifie que, comme en atteste la littérature, les dépressions économiques ne sont
pas toujours liées aux crises de change et inversement qu’une crise de change ne se traduit pas
toujours par une baisse de croissance.
3) Cadre conceptuel
Les études sur les crises de change consistent à expliquer une variable indicatrice de la
crise, telle que celle que nous venons de présenter, au moyen de plusieurs variables
macroéconomiques contemporaines ou retardées. Parmi les variables habituellement retenues,
on trouve celles qui correspondent aux diverses théories rappelées précédemment, à côté de
variables de contrôle qui expriment la situation générale des économies considérées. Nous
passerons successivement en revue ces deux types de variables macroéconomiques. A côté de
ces variables, nous proposons de recourir à un second type de variables qui sont des variables
institutionnelles, qui posent des problèmes spécifiques.
Conceptuellement, nous avons donc une variable à expliquer qui est l’indicateur
d’instabilité présenté au paragraphe précédent pour chaque pays i et chaque année t (CRISit),
et trois séries de variables explicatives : des variables macroéconomiques tirées de la
littérature classique (MACit), des variables macroéconomiques de contrôle (CONTit) et des
variables institutionnelles (INSTit), avec i l’indice correspondant aux pays et t l’indice
correspondant aux années. Si les variables institutionnelles, les variables macroéconomiques
et les variables de contrôle avaient les mêmes caractéristiques, nous serions donc amenés à
procéder à une régression en panel du type :
8
CRISit = αi + Σj (βjit * MACjit) + Σk (γkit * CONTkit) + Σh (λhit * INSThit) + µit
(1)
où les indices j, k et h désignent le nombre de variables de chaque catégorie incorporées dans
la régression, et αi est le vecteur d’effets fixes-pays. Cependant, comme les variables utilisées
n’ont pas toutes la même fréquence ni le même degré de variabilité, nous serons amené à
adopter des spécifications légèrement différentes. Auparavant, nous détaillons les trois types
de variables qui seront utilisées et la logique du choix de ces variables.
a) Les variables macroéconomiques tirées des modèles de crise classiques
1) Les modèles de crises de change de première génération s’inspirent des articles
fondateurs de Krugman [1979] et de Flood et Garber [1984]. Dans ce contexte, la crise est
indissociable de l’apparition de déséquilibres persistants dans les domaines monétaire ou
budgétaire, qui entrent en conflit avec la contrainte d’un stock limité de réserves de change.
Dans un régime de changes fixes, la monétisation d’un déficit budgétaire engendre de
l’inflation qui à son tour entraîne une dégradation de la compétitivité prix et un déficit
commercial qui engendre une pression sur le taux de change qu’il va falloir nécessairement
soutenir. De ce fait, la Banque Centrale puise dans les réserves de change qui vont
progressivement s’épuiser. Dans ce cas, l’attaque spéculative est motivée par la conviction
des opérateurs que les autorités monétaires ne vont pas pouvoir poursuivre leur politique
inflationniste sans abandonner le régime de change. L’attaque se produit dès que le taux qui
prévaudrait si la devise flottait (shadow exchange rate) dépasse la parité fixée. Cette première
génération de modèles explique convenablement les crises mexicaines de1973 – 1982 et
argentine de 1978 – 1981. Il n’est bien entendu pas exclu que de telles crises réapparaissent,
comme par exemple dans le cas de certains pays en transition à la fin des années 90.
Typiquement, ces crises ont été précédées par des politiques domestiques excessivement
expansives.
Le test de cette première génération de modèles de crise peut être mené en mettant en
relation d’une part un indicateur de crise de change (l’indicateur d’instabilité présenté
précédemment) et d’autre part des indicateurs de monétisation des déficits budgétaires et de
déficit extérieur ; nous aurons recours dans le premier cas au ratio des créances sur le
gouvernement par rapport à M2, et dans le second cas au ratio de balance courante par rapport
au PIB (données Banque Mondiale).
2) Les modèles de crise de change de la deuxième génération, ou modèles « à clause de
sortie », sont développés dans les années 1990 sous l’impulsion d’Obstfeld [1991, 1994, 1996
et 1997]. La crise peut se déclencher sans pour autant qu’il y ait ex ante une dégradation des
fondamentaux. Ces modèles se basent essentiellement sur l’existence d’équilibres multiples et
mettent en avant la notion de crise auto-réalisatrice : à partir du moment où un doute
s’instaure concernant l’engagement du gouvernement sur le maintien du taux de change,
compte tenu des coûts du soutien en termes de taux d’intérêt anormalement élevés, l’attaque
spéculative intervient en prévision d’une renonciation de la Banque Centrale. Celle-ci est
alors contrainte à renoncer et la crise s’analyse en termes de prophétie auto–réalisatrice.
Autrement dit, il suffit que les agents anticipent un changement de politique et donc une
dévaluation pour que cette dévaluation ait effectivement lieu. Ainsi, la parité annoncée par les
autorités des économies émergentes doit apparaître crédible aux yeux des spéculateurs
internationaux. Cependant, la crédibilité et la capacité du gouvernement à défendre la parité
9
fixe de sa monnaie nationale est réduite du fait de la gêne que représente la hausse des taux
d’intérêt sur le chômage, la dette publique et la croissance économique.
Prenant l’exemple de la crise monétaire du SME en 1992 – 93, Obstfeld [1994] considère
que ces crises ne peuvent pas être expliquées par la première génération de modèles : les pays
de l’UE appartenant à l’ERM n’ont jamais manqué de réserves dans la mesure où ils
empruntent amplement sur le marché ou auprès de leurs voisins. De ce fait, même un régime
de change soutenable et compatible avec les autres politiques du gouvernement peut être
attaqué et modifié. L’indicateur d’instabilité que nous avons construit, et qui juxtapose à côté
des réserves la variation du taux de change nominal, répond donc bien à cette logique des
modèles de deuxième génération ; la variable explicative de la crise de change au plan
opératoire peut alors être vue comme le différentiel de taux d’intérêt du pays considéré, ou
alternativement l’évolution du taux de change réel. Par ailleurs, la nature du régime de change
adopté par les pays (variable dummy) est aussi un facteur explicatif de ces crises de change
auto-réalisatrices.
3) Les modèles de crise de change de troisième génération sont apparus après la crise
asiatique de 1997 – 98 (Pesenti et Tille [2000]). Du fait qu’ils combinent les mécanismes des
modèles de première et de deuxième générations, ils sont parfois qualifiés de modèles inter générations (Flood et Marion [1998]). Ces modèles privilégient l’imperfection de
l’information sur les marchés financiers et la fragilité des systèmes bancaires, plutôt que les
distorsions macroéconomiques. De ce fait, une multitude de séquences de crises sont
spécifiées sans pour autant disposer d’un modèle canonique de caractère synthétique. Pour
expliquer les crises de type asiatique, deux approches peuvent être retenues ainsi que
l’explique Zouari[2005a, 2005b].
La première approche est soutenue par Krugman [1998a, 1998b, 1998c] qui reste fidèle à
sa logique et défend la thèse de politiques insoutenables et de fondamentaux dégradés. Il
pense qu’avant la crise, les fondamentaux asiatiques étaient dégradés et que des crazy policies
(politiques inadaptées), telles que les garanties, les soutiens et la socialisation ou
l’indemnisation des dettes et les décisions des autorités monétaires, sont responsables de la
crise. On a finalement un mécanisme de risque moral : les agents prennent des risques
excessifs car ils savent qu’en cas de pertes, celles ci incombent aux autorités monétaires et
diminuent le bien être collectif beaucoup plus que le leur.
La seconde approche est soutenue par Radelet et Sachs [1998a, 1998b, 1999]. Ces auteurs
défendent la thèse de la crise de liquidité nationale et internationale, c’est à dire d’une panique
financière pure (modèles de run bancaire à la Diamond et Dybvig [1983]). La crise asiatique
s’apparente alors à une panique financière qui n’est pas liée à une aggravation subite des
déséquilibres macro-économiques mais qui doit être perçue comme une crise d’illiquidité
causée par un assèchement imprévu des entrées de capitaux internationaux.
Ces deux approches s’accordent sur l’implication des secteurs bancaires et financiers dans
les pays asiatiques. Les auteurs des modèles de troisième génération vont retenir des facteurs
de déclenchement des crises très divers : endettement externe excessif (Krugman [1998],
Corsetti et alii [1999]) ; substitution aux déposants domestiques des créanciers internationaux
(Chang et Velasco [2000a, 2000b]) ; dégradation des bilans bancaires ou des bilans des
entreprises (Krugman [1998a, 1998b], Mishkin [1998, 1999, 2000]) ; bulles sur les prix
d’actifs et des crises de bilan (Schneider et Tornell [2000]). Nous proposons pour notre part
de résumer ces variables explicatives par le recours à une batterie d’indicateurs : le ratio de
10
l’endettement bancaire en devises rapporté aux réserves de la Banque Centrale ; les crédits
bancaires au secteur privé (rapportés à M2) ; enfin, une variable dummy indiquant si un pays a
subi des faillites bancaires ou non.
4) Nous proposons, dans une perspective inter-générations, de juxtaposer les diverses
variables explicatives recensées précédemment. Au total, nous avons sept variables
macroéconomiques (j = 1…7) composant le groupe MACjit : les créances sur le
gouvernement, le taux de change réel, la présence d’un régime de changes fixes,
l’endettement des banques en devises, les crédits bancaires au secteur privé, la capitalisation
boursière, et les faillites bancaires. Parmi ces variables, deux sont des dummy : le régime de
changes fixes et les faillites bancaires. A l’exception de cette dernière, toutes sont tirées des
indicateurs annuels de la Banque Mondiale.
b) Les variables macroéconomiques de contrôle
Le second groupe de variables macroéconomiques est constitué de variables de contrôle
qui représentent les caractéristiques globales des pays (ou des années) considérés. Il est en
effet nécessaire de tenir compte du fait que les pays considérés sont très différents, ainsi
d’ailleurs que les années observées. Par exemple, les pays de l’échantillon peuvent avoir une
dimension plus ou moins grande ou un niveau de développement plus ou moins élevé et il est
possible a priori que cette différenciation ait un impact sur les mécanismes de déclenchement
ou de propagation des crises de change. De même, certaines années (par exemple les années
1997 et 1998) peuvent avoir des caractéristiques particulières par rapport aux autres5. En se
basant sur la plupart des travaux sur les facteurs de crise, nous retenons quatre variables de
contrôle à intégrer dans les régressions : le PIB total du pays (en milliards de dollars de 2000)
considéré comme un indicateur de la taille de l’économie considérée, le degré d’ouverture de
l’économie (ratio du commerce au PIB), le taux d’investissement (ratio de la formation brute
de capital au PIB), et le degré de monétisation de l’économie (ratio de M2 au PIB). Ces quatre
variables, tirées également des indicateurs annuels de la Banque Mondiale, constituent le
groupe CONTkit avec k = 1…4.
Une particularité de ces variables est qu’elles ne varient pas au même rythme que les
variables macroéconomiques explicatives. Dans certains cas (PIB), elles peuvent même être
considérées comme quasi-fixes, la dimension économique d’un pays ne variant pas
significativement (par rapport aux autres variables) même en période de crise. C’est ce qui
justifie d’ailleurs leur caractère de variables de contrôle. En ce sens, les variables CONTkit ont
donc un statut voisin de celui des variables institutionnelles que nous allons détailler plus bas.
Nous sommes donc amenés à leur conférer un traitement spécifique en les considérant comme
des variables fixes dans le temps : elles prennent donc la forme CONTki des moyennes des
CONTkit sur toutes les périodes de 1995 à 2004. Ces variables seront exploitées dans une
analyse en termes de coupe transversale (cross section).
c) Les variables institutionnelles
L’idée qui préside à l’introduction de variables institutionnelles dans l’explication du
commerce ou de la croissance est que les pays qui présentent une organisation plus libérale de
leur économie favorisent un ajustement plus souple et plus rapide de leurs ressources aux
changements des conditions extérieures, et de ce fait bénéficient à la fois d’une croissance
5
Après vérification, ces effets-années ne se révèlent pas pertinents.
11
plus rapide et d’une ouverture au commerce plus forte (les deux effets se combinant d’ailleurs
pour se renforcer). C’est ainsi que Anderson et Marcouiller [2002], Dollar et Kraay [2002], se
basant sur le fait que de mauvaises institutions accroissent le coût et les risques du commerce
extérieur, observent une relation positive entre la qualité des institutions et le commerce
international. Sekkat et Méon [2004] montrent de façon similaire que la bonne qualité des
institutions (principalement la lutte contre la corruption, l’efficacité du gouvernement et l’état
de droit) favorise les exportations de produits manufacturés et les IDE. D’autres études
mettent en évidence une relation positive entre institutions et performances économiques
globales (taux de croissance).
Un tel raisonnement, qui suppose d’une certaine manière que la liberté économique et le
respect de l’état de droit sont, sinon des moteurs, du moins des conditions permissives de la
croissance et du développement économique, s’applique-t-il dans le cas de l’instabilité
économique ? Y a-t-il un mécanisme par lequel les conditions d’accomplissement des libertés
économiques (ainsi que les institutions démocratiques qui sont supposées les garantir) se
traduisent par un effet de stabilisation de la croissance et des équilibres macroéconomiques ?
A priori, on pourrait le supposer. Prenons le cas d’un pays dans lequel il n’y a pas moyen de
faire appliquer les contrats (pas de recours possible aux tribunaux en cas de différend) ni de
créer facilement une entreprise, dans lequel la liberté de commercer internationalement ou de
déplacer ses capitaux à l’étranger est entravée, dans lequel l’intervention de l’administration
est systématique et les réglementations gênantes pour l’activité économique (jusqu’à laisser se
développer une corruption généralisée), ou dans lequel l’accès au financement est limité du
fait d’un système bancaire mal organisé ou trop protégé. Un tel pays se trouve alourdi dans
ses réactions aux chocs exogènes, ses agents ne peuvent redéployer facilement leurs activités
et les conséquences du choc risquent donc de se propager durablement et profondément, ce
qui va aggraver l’instabilité économique.
Pourtant, un autre mécanisme, totalement inverse, est envisageable : le pays décrit
précédemment peut être considéré, du fait du poids de l’état et de son intervention, du fait de
la lenteur des réactions de ses agents, du fait de son relatif isolement par rapport aux marchés
internationaux, et du fait de la limitation des conditions de financement, comme placé dans
des conditions qui « protègent » en quelque sorte sa stabilité (probablement au prix d’une
croissance à long terme plus faible). Convenons donc que, contrairement à la relation
institutions – croissance, ces deux scénarios sont plausibles dans le cas de la relation
institutions – instabilité. Notre objectif est de tester le sens de cette relation sur les données
réelles des crises qu’ont traversé les pays émergents de notre échantillon ces dix dernières
années.
4) Données institutionnelles et méthodologie
Souvent, la « mauvaise qualité institutionnelle » qui transparaît dans le domaine
économique est liée à de mauvaises institutions politiques, c'est-à-dire à un système dans
lequel les organes de représentation de la société se montrent incapables d’adopter les
réformes qui permettraient aux mécanismes de marché de fonctionner de façon efficace. Les
institutions politiques et économiques font l’objet depuis plusieurs années de diverses mesures
par des institutions spécialisées. Les variables institutionnelles que nous utiliserons dans cette
contribution sont présentées en Annexe 2. La mesure des institutions a considérablement
progressé depuis une dizaine d’années sous l’influence des réformes qui ont été adoptées dans
les pays en transition. Dans les pays anciennement communistes en effet, les transformations
institutionnelles qui ont été entreprises pour rapprocher ces pays des normes de
12
fonctionnement des pays démocratiques à économie de marché ont fait l’objet de mesures
systématiques destinées à comparer les situations des divers pays et à mesurer l’impact des
réformes sur les performances économiques (EBRD Transition Reports, années 1994 à 2005).
Un des indicateurs institutionnels les plus fréquemment utilisés est une mesure de la
corruption, et des organisations telles que la Banque Mondiale ou Transparency International
présentent des indicateurs correspondants.
1) Les institutions économiques font l’objet de mesures par diverses organisations
spécialisées, les plus connues et celles qui présentent annuellement leurs estimations depuis le
plus longtemps sont Heritage Foundation et Fraser Institute. Les indicateurs présentés par ces
deux organismes différent légèrement mais ont un contenu assez similaire. On trouvera en
annexe la composition précise des indicateurs de Heritage qui seront utilisés dans les analyses
qui suivent. Pour résumer l’ensemble, on peut présenter les cinq groupes de variables
suivants : (i) un premier groupe qui définit la structure juridique du pays considéré et le degré
auquel les droits de propriété y sont garantis ; (ii) un second groupe qui se réfère au degré
d’intervention de l’état, y compris le fardeau fiscal, le montant des dépenses publiques, le
degré de redistribution des revenus entretenu par la puissance publique ; (iii) un troisième
groupe reflétant l’étendue des réglementations et de l’intervention administrative sur les
marchés du travail, des biens ou du crédit ; (iv) un quatrième groupe qui concerne la liberté de
commercer internationalement, d’implanter des investissements directs étrangers, d’acheter,
de vendre et de posséder librement des devises étrangères ; (v) et enfin un cinquième groupe
qui concerne la capacité d’accéder au crédit et au financement en général, la présence d’un
système bancaire et d’un marché des titres organisé.
Le graphique suivant représente pour chaque grande région la valeur moyenne des
indicateurs institutionnels pour l’année 2004. Ces indicateurs, qui ont l’avantage d’être
disponibles annuellement, peuvent varier de 1 à 5, où 1 dénote une plus grande liberté
économique et 5 une plus grande répression des activités économiques. On constate par
exemple que l’Amérique Latine est moins ouverte internationalement que l’Asie de l’Est et du
Sud qui est elle-même moins ouverte que l’Europe et l’Asie Centrale.
Variables Institutionnelles dans le domaine économique
(Données Heritage 2004,
moyennes par régions pour les pays de l'échantillon)
Plus l'indicateur est élevé, plus on s'éloigne du libéralisme
4,0
3,5
3,0
2,5
Droits de propriété
Intervention de l'Etat
Réglementations
Ouverture Internationale
Accès au crédit
2,0
1,5
1,0
0,5
0,0
Amerique Latine
Asie Est et Sud
Europe et Asie Centrale
13
Autres
Une observation plus précise des variables d’institutions économiques conduit à remarquer
que certaines d’entre elles sont fortement corrélées. A côté de tests sur les variables prises
individuellement, nous serons donc amenés à traiter trois regroupements de variables
institutionnelles tirées de la base Heritage. Ces regroupements sont dénommés dans la suite
« Herit1 », qui est une moyenne des indicateurs « property rights », « regulation » et
« informal market » ; la variable composite « Herit2 » est une moyenne des indicateurs
« monetary policy » et « banking » ; enfin la variable composite « Herit 3 » est formée sur la
base des indicateurs « trade » et « foreign investments ». Rappelons que les variables
Heritage sont d’autant plus grandes que l’intervention de l’Etat dans l’économie est forte. En
quelque sorte, la variable « Herit 1 » représente le non-respect des droits économiques
fondamentaux (ou l’excès de réglementation, souvent accompagné de corruption) ; la variable
« Herit 2 » représente la mauvaise qualité du système monétaire et financier ; et la variable
« Herit 3 » représente les obstacles aux relations économiques internationales.
2) Quant aux institutions politiques, elles ont fait l’objet d’un travail de classification
considérable de la part de D. Kaufmann et de la Banque Mondiale depuis plusieurs années : le
programme « Governance matters » fixe ainsi six indicateurs institutionnels dans le domaine
politique, que l’on peut regrouper en trois grandes catégories. La première est le processus par
lequel les gouvernements sont choisis, contrôlés et remplacés (indicateur de transparence et
responsabilité démocratique et indicateur de stabilité politique et absence de violence) ; la
deuxième est la capacité du gouvernement à formuler et mette en œuvre des politiques saines
(indicateurs d’efficacité du gouvernement et de qualité de la réglementation) ; et la troisième
est le respect des citoyens et de l’Etat envers les institutions qui gouvernent les relations
économiques e t sociales (indicateurs d’état de droit et de contrôle de la corruption).
Variables institutionnelles dans le domaine politique
(Données Kaufmann 2004,
moyennes par régions pour les pays de l'échantillon)
plus l'indicateur est élevé, plus on se rapproche de la démocratie
3,5
3,0
2,5
2,0
Sélection du gouvernement
Efficacité du gouvernement
Resepct des institutions
1,5
1,0
0,5
0,0
Amerique Latine
Asie Est et Sud
Europe et Asie Centrale
Autres
Les mesures vont ici en sens inverse des variables économiques : un score plus proche de 5
dénote une plus grande proximité d’un fonctionnement proche de la démocratie ; par exemple,
pour l’efficacité du gouvernement, l’Amérique Latine a un score moins bon que l’Asie du Sud
et de l’Est qui elle-même a un score inférieur à l’Europe et l’Asie Centrale. Une autre
différence avec les variables économiques est que les variables de la base Kaufmann ne sont
disponibles qu’avec une périodicité de deux ans, soit pour 1996, 1998, 2000, 2002 et 2004.
14
Nous serons donc amenés, pour tester l’influence des variables institutionnelles politiques sur
l’indicateur de crise, à réduire le nombre d’observations dans notre échantillon.
Il existe potentiellement un recouvrement partiel des indicateurs institutionnels
économiques et politiques, en particulier dans le domaine de l’état de droit, du contrôle de la
corruption et de la structure juridique. Cependant, un test de corrélation sur les années et les
pays de notre échantillon montre que les indicateurs concernés ne sont que faiblement
corrélés. Comme nous n’avons pas d’idée a priori sur la façon dont les institutions influent sur
l’instabilité économique (au cas où elles auraient une influence), nous avons dans un premier
temps testé individuellement chacune des variables institutionnelles et nous avons sélectionné
celles qui présentaient un impact significatif, que cet impact soit positif ou négatif.
Par contre, il y a une forte corrélation entre certains indicateurs d’institutions politiques.
Deux groupes apparaissent ainsi : d’une part, un groupe que nous dénommerons « Kauf 1 »
qui incorpore les variables « government effectiveness », « quality of regulation », « rule of
law » et « control of corruption » ; et une seconde variable « Kauf 2 » qui est la moyenne des
indicateurs « voice and accountability » et « political stability ». D’une certaine manière, la
variable « Kauf 1 » représente ce que l’on peut désigner par « la bonne gouvernance
politique » : qualité de l’action du gouvernement et de l’administration, règne de l’état de
droit et (bon) contrôle de la corruption. Quant à la variable « Kauf 2 », elle représente plutôt
un indicateur de consensus social.
Cependant, les variables institutionnelles – ainsi que, comme on l’a déjà mentionné en
section 2, les variables de contrôle – se distinguent des variables macroéconomiques
explicatives par leur relative stabilité ; d’ailleurs, certaines de ces variables ne sont pas
mesurées pour chaque année, mais seulement de façon discontinue. Le groupe de variables
INSTit est donc plutôt de la forme INSTi et relève donc de la catégorie des effets fixes-pays
qui apparaissent dans l’équation (1). Nous proposons donc de modifier cette équation et
d’introduire un traitement en deux étapes pour tenir compte de cette spécificité.
Dans un premier temps, nous procédons à une régression en panel de note indicateur global
d’instabilité sur les variables macroéconomiques, de la façon suivante :
CRISit = EFi + Σj (βjit * MACjit) + νit
(2)
où EFi représente un nouveau vecteur d’effets fixes incorporant l’effet des variables
(institutionnelles ou de contrôle) stables ou quasi-stables. Un test de Hausman est appliqué
pour vérifier la pertinence des effets fixes. Ces effets fixes peuvent alors être récupérés et
servir de variable expliquée dans une nouvelle régression en cross section où les variables
explicatives sont les variables de contrôle et les variables institutionnelles ; la seconde étape
prend donc la forme suivante :
EFi = δi + Σk (γki * CONTki) + Σh (λhi * INSThi) + ξi
(3)
Cette procédure en deux étapes peut être appliquée de deux façons, afin de tenir compte de
l’hétérogénéité des pays analysée à la section 2 : dans un premier temps, nous raisonnerons
sur l’ensemble des 43 pays, et dans un second temps sur l’échantillon réduit de 40 pays (en
éliminant la Chine, Hong Kong et Singapour). Cette méthode nous permettra d’évaluer la
robustesse de notre modèle en appréciant l’effet de l’inclusion de ces trois pays atypiques.
15
5) Résultats empiriques
La procédure en deux étapes décrite précédemment est appliquée successivement aux deux
populations et conduit aux résultats suivants.
a) Etape 1 : l’analyse de déterminants macroéconomiques de l’instabilité
Cette étape consiste à régresser l’indicateur de crise sur les sept variables explicatives
macroéconomiques présentées à la section 3. Les résultats sont présentés dans le tableau 1 cidessous. Les deux premières colonnes (RE et FE pour Random Effects et Fixed Effects)
permettent d’appliquer le test de Hausman qui a pour objectif de vérifier la pertinence des
effets fixes ou des effets aléatoires pour la spécification proposée. La troisième colonne
(OLS) procède à un test des moindres carrés ordinaires destiné à contrôler pour la
multicolinéarité et l’hétéroscédasticité. La quatrième et la cinquième colonnes (FE ROBUST)
présentent les résultats de la régression éliminant l’hétéroscédasticité selon deux
spécifications différentes : la première (colonne 4) inclut les sept variables initiales et la
seconde (colonne 5) ne retient que les variables significatives.
Tableau 1
1ère étape : Régression de l’indicateur d’instabilité sur les
variables macroéconomiques (43 pays)
(1)RE
(2)FE
(3)OLS
(4)FE
(5)FE
ROBUST
ROBUST
.VARIABLES
CRIS
CRIS
CRIS
CRIS
CRIS
Claims on government
0.036
0.032
0.041
0.032
0.031
(7.22)***
(6.35)*** (7.79)*** (4.54)*** (4.49)***
Bank foreign liabil.
0.012
0.015
0.008
0.015
0.015
(9.35)*** (10.24)*** (7.20)*** (7.57)*** (7.48)***
REER
0.049
0.055
0.039
0.055
0.057
(11.76)*** (12.73)*** (9.32)*** (7.62)*** (7.73)***
Current account Bal.
-0.072
-0.097
-0.043
-0.097
-0.104
(3.52)***
(3.64)*** (2.71)*** (2.32)**
(2.53)**
Claims on priv sector
0.014
0.007
0.024
0.007
(2.53)**
(1.22)
(4.05)***
(1.12)
Banking crises
0.766
0.619
0.979
0.619
0.588
(3.08)***
(2.41)**
(3.91)***
(1.77)*
(1.67)*
Fixed Exchange Regime
-0.576
-0.172
-0.762
-0.172
(1.78)*
(0.44)
(2.91)***
(0.35)
Constant
-3.775
-4.551
-2.656
-4.551
-4.679
(8.43)*** (10.22)*** (6.30)*** (5.79)*** (6.02)***
Observations
392
392
392
392
392
Number of countries
43
43
43
43
43
0.50
0.63
0.52
0.71
0.71
R-squared
Absolute value of t statistics in parentheses, * significant at 10%;
** significant at 5%; *** significant at 1%
Les deux premières colonnes RE et FE permettent d’effectuer le test de Hausman qui
révèle la validité du modèle à effets fixes (χ2 (7) = 17,37 ; Prob> χ2 = 0,0152). La colonne 3
(OLS) nous permet de procéder à un test de Breusch-Pagan pour vérifier l’hétéroscédasticité ;
l’hypothèse nulle d’homoscédasticité est rejetée puisqu’on obtient χ2 (1) = 285,24 ; Prob> χ2 =
0,000. De ce fait, il convient de garder le modèle à effets fixes en corrigeant
l’hétéroscédasticité : les résultats sont présentés en colonne 4. Nous constatons cependant que
certaines variables deviennent non significatives et nous présentons en colonne 5 le modèle
final comportant seulement les variables significatives.
16
L’observation des résultats montre que cinq variables sur les sept initiales sont
significatives à 1%, 5% ou 10%. On constate que les crédits au gouvernement sont fortement
significatifs avec un coefficient positif, ce qui implique, comme on pouvait s’y attendre, que
plus le gouvernement s’endette, plus l’économie est instable. Il en va de même pour
l’endettement du secteur bancaire en devises, conformément aux conclusions des modèles de
troisième génération. Le taux de change réel est fortement significatif, la positivité du
coefficient indiquant que plus la monnaie se déprécie en termes réels (plus le TCR augmente),
plus l’économie est instable. Quant à la variable dummy représentant les faillites bancaires,
elle est positive, conformément aux attentes de la littérature. Par contre, les crédits bancaires
au secteur privé, ainsi que la variable dummy représentant les changes fixes devient nonsignificative, ce qui implique qu’un tel régime n’engendre pas forcément d’instabilité. Au
total, les variables macroéconomiques seules expliquent environ 71% de la variance de
l’indicateur d’instabilité.
Cependant, jusqu’à présent, nous avons raisonné sur les 43 pays de notre liste initiale. Il est
maintenant nécessaire, conformément à l’analyse de l’hétérogénéité des pays présentée à la
section 2, d’effectuer la même procédure sur l’échantillon réduit des 40 pays homogènes et de
comparer les résultats obtenus. Le tableau 2 ci-dessous présente les résultats pour
l’échantillon réduit.
Tableau 2
Régression de l’indicateur d’instabilité sur les variables
macroéconomiques (échantillon réduit de 40 pays)
(1)RE
(2)FE
(3)OLS
(4)FE
ROBUST
CRIS
0.031
(4.50)***
0.016
(6.93)***
0.055
(7.54)***
-0.104
(2.38)**
0.006
(1.01)
0.730
(1.97)**
-0.324
(0.58)
-4.481
(5.57)***
369
(5)FE
ROBUST
CRIS
0.031
(4.48)***
0.016
(6.87)***
0.057
(7.71)***
-0.111
(2.57)**
CRIS
CRIS
CRIS
0.036
0.031
0.040
(6.98)*** (6.04)*** (7.59)***
Bank foreign liabilities
0.014
0.016
0.010
(9.76)*** (10.25)*** (7.99)***
REER
0.048
0.055
0.039
(11.48)*** (12.30)*** (9.34)***
Current account balance
-0.062
-0.104
-0.024
(2.73)*** (3.73)***
(1.29)
Claims on priv. sector
0.013
0.006
0.022
(2.34)**
(1.08)
(3.65)***
Banking crisis
0.823
0.730
0.944
0.683
(3.15)*** (2.68)*** (3.62)***
(1.83)*
Fixed Exchange regime
-0.411
-0.324
-0.427
(1.19)
(0.76)
(1.51)
Constant
-3.718
-4.481
-2.673
-4.658
(8.18)*** (9.71)*** (6.26)***
(5.86)***
Observations
369
369
369
369
Number of countries
40
40
0.64
0.53
0.70
0.70
R-squared
Absolute value of t statistics in parentheses, * significant at 10%;
** significant at 5%; *** significant at 1%
Claims on government
Les mêmes tests que précédemment (Hausman, Breusch-Pagan, multiciolinéarité) ont été
effectués et donnent des résultats identiques (modèle à effets fixes avec hétéroscédasticité).
La comparaison des colonnes 4 et 5 (FE ROBUST) des tableaux 1 et 2 montre de façon
patente que les coefficients obtenus sont extrêmement proches. Ce résultat est important car il
17
montre que la spécification adoptée est robuste et permet de traiter de façon identique des
pays ayant des caractéristiques très diverses. Du fait que l’introduction des trois pays
atypiques du tableau 1 n’altère en rien les résultats obtenus, nous choisissons de poursuivre
l’analyse sur la totalité des 43 pays de la liste initiale.
Nous sommes maintenant en mesure de déduire de l’analyse précédente les effets fixespays qu’il s’agira d’expliquer au moyen des variables de contrôle et des variables
institutionnelles au cours de la seconde étape de la procédure.
b) Etape 2 : régression des effets fixes-pays sur les variables institutionnelles et les
variables de contrôle
Cette étape consiste à régresser les effets fixes-pays sur les variables de contrôle et les
variables institutionnelles. Du fait de l’indisponibilité de certaines données, nous disposons
seulement d’un vecteur d’effets fixes comportant 41 observations et, comme nous l’avons
mentionné à la section 3, il existe de nombreuses variables institutionnelles : 10 variables
« Heritage », 6 variables « Kaufmann », auxquelles il faut ajouter une variable de corruption
tirée de « Transparency International ». A ces 17 variables s’ajoutent 5 variables de contrôle,
ce qui porte à 22 le nombre de variables susceptibles d’expliquer les effets-fixes pays. Il est
bien évident qu’une simplification s’impose, d’autant que ces variables présentent une forte
auto-corrélation. Nous regroupons donc les variables institutionnelles – ainsi que nous l’avons
suggéré à la section 4 – ce qui permet d’éliminer l’auto-corrélation entre certaines variables.
Nous parvenons ainsi aux résultats présentés dans le tableau 3 ci-dessous6.
Parmi les variables de contrôle, quatre indicateurs apparaissent significatifs dans presque
toutes les spécifications. L’indicateur de dimension (GDP) apparaît fortement significatif avec
un coefficient négatif. Ceci reflète le fait que plus un pays est grand (économiquement), plus
il est à l’abri de l’instabilité. Le taux d’ouverture (Trade/GDP) est une deuxième variable de
contrôle significative et négative : plus une économie est ouverte, plus elle apparaît à l’abri de
l’instabilité ; cette relation pourrait correspondre à l’idée selon laquelle l’ouverture au
commerce international a un impact positif sur le développement (Frankel et Romer [1999]) et
renforce ainsi la stabilité du pays considéré ; néanmoins, la confirmation de cette hypothèse
nécessiterait des recherches supplémentaires. Le taux de monétisation (M2/GDP) est
significatif à 1% et négatif dans la spécification 8 : alors que l’on aurait pu penser que l’excès
de liquidité, souvent incriminé entre autres dans la crise asiatique, pourrait être un facteur
déstabilisant, notre analyse révèle que cet indicateur reflète plutôt la profondeur financière du
pays et constitue un facteur de stabilité. Enfin, le taux d’investissement apparaît aussi
significatif dans la plupart des spécifications, mais avec un signe positif ; ceci implique que
plus un pays a un taux d’investissement élevé, plus il a tendance à l’instabilité, un résultat qui
semble a priori contre-intuitif ; bien que des analyses plus fines soient nécessaires, on peut
suggérer un effet de surinvestissement de certains pays émergents dans des domaines
improductifs.
Quand on passe aux variables institutionnelles, on constate que seules cinq variables
restent significatives en présence des variables de contrôle : il s’agit de « Kauf 1 » (la bonne
qualité de la gouvernance publique), « Kauf 2 » (le consensus social), « Herit 2 » (la mauvaise
qualité du système monétaire et financier), « Herit 3 » (des obstacles aux relations
économiques internationales), et « Score CPI » (indicateur de perception de la corruption
6
Seules les spécifications comportant des variables significatives ont été retenues.
18
élaboré par Transparency International : plus l’indicateur est bas, plus il y a de corruption).
Ces variables institutionnelles, qui rappelons-le sont des variables composites qui incorporent
la quasi-totalité des variables institutionnelles de départ, ont toutes le signe attendu selon la
littérature standard : meilleure est la gouvernance publique et meilleur est le consensus social,
moins il y a d’instabilité économique ; pire est la qualité du système financier et pires sont les
obstacles aux relations internationales, plus il y a d’instabilité économique ; enfin, plus il y a
de corruption, plus il y a d’instabilité économique. En outre, nous pouvons noter l’absence de
la variable « Herit 1 » qui représente le non-respect des droits économiques fondamentaux et
l’excès de réglementation. Cette absence signifie que l’intervention de l’Etat n’est pas
forcément génératrice d’instabilité, ni d’ailleurs de stabilité.
6) Conclusion
Dans l’ensemble, la qualité institutionnelle a un impact significatif et positif sur la stabilité
financière. L’instabilité financière a été mesurée par un indicateur de crise que nous avons
construit sur la base des variations mensuelles de taux de change et des réserves de change
pour 41 pays émergents, sur une période de dix ans de 1995 à 2004. Cet indicateur de crise ou
d’instabilité économique a été régressé sur trois types de variables : des variables
macroéconomiques suggérées par la littérature sur les modèles de crise de première, deuxième
et troisième générations ; des variables de contrôle reflétant les caractéristiques générales des
pays (dimension, niveau de développement, taux d’ouverture etc.) ; enfin, et c’est l’originalité
de la présente contribution, l’indicateur a été régressé sur des variables institutionnelles, ellesmêmes de deux types : qualité des institutions politiques et qualité des institutions
économiques, auxquelles on a ajouté un indicateur de corruption. Deux procédures ont été
appliquées pour traiter les variables de contrôle : celles-ci ont été dans un premier temps
considérées comme stables et dans un second temps comme variables dans le temps. Dans les
deux cas, une première étape a consisté à régresser l’indicateur de crise sur les variables
macroéconomiques et (selon les procédures) sur les variables de contrôle ; une seconde étape
a procédé au calcul des effets fixes-pays résultant de cette première régression ; enfin une
troisième étape a permis de régresser ces effets fixes sur les variables institutionnelles et
(selon les procédures) sur les variables de contrôle.
Dans toutes les spécifications envisagées, les variables institutionnelles politiques ou
économiques (ainsi que l’indicateur de corruption) ont bien un impact sur l’instabilité, et cet
impact correspond à la philosophie des travaux déjà réalisés sur l’impact des institutions sur la
croissance : de même qu’une meilleure qualité institutionnelle engendre plus de croissance,
elle engendre aussi plus de stabilité. Pour résumer, un pays plus consensuel, ayant une
meilleure gouvernance publique, faiblement corrompu, plus ouvert internationalement et
ayant des institutions financières développées, sera, toutes choses égales d’ailleurs, un pays
relativement à l’abri des crises financières ou de change. Ce résultat permet d’enrichir la
littérature naissante sur les modèles de crise « de quatrième génération », et de construire sur
cette base des pronostics de déclenchement des crises futures. La question de politique
économique que l’on peut se poser est celle de savoir quelles institutions devraient être
aménagées pour favoriser la stabilité financière des pays émergents. La méthodologie adoptée
dans cette contribution ne permet pas de chiffrer l’influence de chacune des variables
institutionnelles sur l’indicateur d’instabilité, et de passer ainsi à une analyse factorielle de
l’instabilité. Nous proposerons dans une version ultérieure de cette contribution un traitement
spécifique de cette question.
19
Tableau 3
2ème étape : Régressions des effets fixes
sur les variables de contrôle et les variables institutionnelles
(1)
(2)
(3)
EF
EF
EF
-0.012
-0.011
-0.013
(2.48)** (2.31)** (2.69)**
-4.51
-4.14
-4.88
(3.74)*** (3.56)*** (3.81)***
0.135
0.137
0.109
(2.58)** (2.62)**
(2.00)*
(5)
(6)
(7)
EF
EF
EF
-0.013
-0.014
-0.012
(2.64)** (2.71)** (2.47)**
-2.26
-4.11
-4.11
-3.97
(2.16)** (3.36)*** (3.29)*** (3.37)***
0.123
0.109
0.137
(2.23)**
(1.96)*
(2.56)**
Herit2
0.920
(2.47)**
1.004
(2.85)***
Herit3
0.620
0.959
(1.99)*
(3.21)***
CPI
Kaufmann
Heritage
Variables
de
contrôle
Trade/GDP
GDP7
Invest rate
(4)
EF
M2/GDP
1.082
(3.13)***
Kauf1
Kauf2
-2.42
(2.10)**
0.107
(2.01)*
-0.022
(3.21)***
0.866
(2.02)*
-1.082
-0.595
(3.24)***
(1.48)
-0.650
-0.649
-0.891
(1.93)*
(1.81)*
(2.56)**
Score CPI
-0.410
(2.95)***
Constant
-6.129
-3.357
-3.506
-1.069
1.621
(3.48)*** (1.69)*
(2.34)**
(0.63)
(1.38)
Observations
41
41
41
41
41
R-squared
0.49
0.49
0.40
0.36
0.40
Absolute value of t statistics in parentheses, * significant at 10%;
** significant at 5%;*** significant at 1%
7
(8)
EF
La variable GDP est exprimée en millions de dollars constants de 2000.
20
0.746
(0.67)
41
0.38
-2.752
(1.13)
41
0.47
1.173
(0.92)
41
0.40
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22
ANNEXES 1
LISTE DES 43 PAYS, CLASSES PAR REGIONS
Groupe des Pays de
la région Amérique
Latine
Groupe des pays de
la région Asie du
Sud et de l’Est
Groupe des pays de
la région Europe et
Asie Centrale
ARGENTINE
BANGLADESH
BULGARIE
ISRAEL
BRESIL
CHINE
CROATIE
AFRIQUE DU SUD
CHILI
HONG KONG
TCHEQUIE
TURQUIE
COLOMBIE
INDE
ESTONIE
COSTA RICA
INDONESIE
HONGRIE
EQUATEUR
COREE DU SUD
KAZAKHSTAN
GUATEMALA
MALAISIE
LITUANIE
HONDURAS
PAKISTAN
MACEDOINE
MEXIQUE
PHILIPPINES
POLOGNE
NICARAGUA
SINGAPOUR
ROUMANIE
PEROU
SRI LANKA
RUSSIE
URUGUAY
THAILANDE
SLOVAQUIE
VENEZUELA
VIETNAM
SLOVENIE
UKRAINE
23
Hors régions
ANNEXE 2
LISTE DES VARIABLES INSTITUTIONNELLES
Institutions politiques (KAUFMANN)
VA : « Voice and Accountability » (expression et responsabilité démocratiques)
PS : « Political Stability » (stabilité politique)
GE : « Government effectiveness » (efficacité de la gouvernance publique)
RQ : « Quality of Regulation » (qualité de la réglementation administrative)
RL : « Rule of Law » (Etat de droit)
CC: « Control of Corruption » (contrôle de la corruption)
Chaque pays reçoit une note de 0 à 5 (meilleure qualité institutionnelle = 5). Données
disponibles pour 1996, 1998, 2000, 2002 et 2004. Ces données variant peu, une moyenne a
été établie pour les 5 observations disponibles.
Kaufmann 1 (Kauf1) : (GE + QR + RL + CC) / 4
Kaufmann 2 (Kauf2) : (VA + PS) / 2
Institutions économiques (HERITAGE)
Trade : « Trade Policy » (obstacles tarifaires ou non au commerce international)
Fiscal : « Fiscal burden of government » (poids des impôts et taxes)
Intervention: « Government intervention in the economy » (poids de la dépense publique)
Monetary_policy: « Monetary Policy » (inflation sur les dix dernières années)
Foreign_investment: « Capital flows and foreign investments » (degré de restrictions sur les
flux de capitaux internationaux
Banking: « Banking and Finance » (degré de contrôle du gouvernement sur le crédit, les
marchés financiers et les banques)
Wages_prices : « Wages and Prices » (degré de contrôle du gouvernement sur les marchés du
travail et des biens)
Property_rights : « Property Rights » (influence du gouvernement sur la justice, non-respect
du droit de propriété, expropriations, corruption etc)
Regulation : « Regulation » (lourdeur des réglementations diverses, bureaucratie etc)
Informal_market : « Informal market » (degré d’extension de divers marchés informels)
Chaque pays reçoit chaque année une note de 1 à 5 (meilleure qualité institutionnelle = 1).
Données disponibles depuis 1970. Les données variant peu, une moyenne a été établie pour
les 10 années observées.
Heritage 1 (Herit1) : (Property_rights + Regulation + Informal_markets) / 3
Heritage 2 (Herit2): (monetary_policy + banking) / 2
Heritage 3 (Herit3): (trade + foreign_investment) / 2
Indice de perception de la corruption (TRANSPARENCY INTERNATIONAL)
Score_CPI : « Corruption Perception Index » (Indice de perception de la corruption)
Chaque pays reçoit une note de 0 à 10 (forte corruption = 0, haut niveau de probité = 10). Les
notes font référence à la perception du degré de corruption tel qu’il est ressenti par les milieux
d’affaires, les universitaires et les analystes du risque-pays. Les notes sont attribuées au
moyen de 17 enquêtes réalisées par 13 organismes indépendants. Données disponibles
annuellement mais relativement stables, une moyenne a été établie sur 1995-2004.
24
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