Si_No 7_Mise en page 1

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No 7 I Janvier_Février_ 2010
Publication commune du THÉÂTRE FORUM MEYRIN
et du THÉÂTRE DE CAROUGE – ATELIER DE GENÈVE
Pp. 124 – 129
La ménagerie de verre
Pp. 132 – 133
Irrégulière
Pp. 146 – 151
Philoctète
SOMMAIRE
107
108–109
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Édito. Par Jean Liermier et Mathieu Menghini
Saison 2010-2011 de Meyrin. Anne Brüschweiler aux commandes du vaisseau Forum Meyrin. Par Coré Cathoud
(A)pollonia. Par Julie Decarroux-Dougoud
(A)pollonia. Livret. Par Eva Cousido
(A)pollonia. Une passion polonaise déferle sur Genève. Par Anne Bisang
Théma Secrets et mensonges. Par Mathieu Menghini
Antonio Saura, contes et mensonges. Par Laurence Carducci
Platonov. Par Delphine de Stoutz
Platonov. La sainte, la mère et la putain. Parole donnée à Catherine Gaillard
Rashõmon. Par Camille Dubois
La ménagerie de verre. Par Sylvain De Marco
La ménagerie de verre. L’écran inattendu. Par Jacques Nichet
La ménagerie de verre. Un rendez-vous manqué ? Par Delphine de Stoutz
Pinocchio. Par Rita Freda
Irrégulière. Par Ludivine Oberholzer
Vous n’imaginez pas tout ce que la pub sait faire pour vous! Entretien avec Benoît Lecat. Par Sylvain De Marco
Turba. Par Julie Decarroux-Dougoud
L’art du mensonge politique. Par Mathieu Menghini
Les aventures de Pinocchio. Par Vincent Adatte
Jules et Marcel. Entretien avec Philippe Caubère. Par Mathieu Menghini
Madame de Sade. Par Ludivine Oberholzer
Philoctète. Entretien avec Christian Schiaretti. Par Christine-Laure Hirsig
Philoctète. Variation et palimpseste. Par Delphine de Stoutz
Pacamambo. Entretien avec François Marin. Par Ushanga Elébé
Le Théâtre à la rencontre du musée.
Ou comment lier Racine à Saint-Ours. Par Murielle Brunschwig et Isabelle Burkhalter
Théâtre et musique.
Le Théâtre de Carouge et le Chat Noir confirment leurs fiançailles ! Par Roland Le Blévennec
É… mois passés
Bar du théâtre de Carouge. Franck Leclerc derrière le comptoir. Par Coré Cathoud
Impressum. Partenaires
Agenda. Renseignements pratiques
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ÉDITO
VRAI… MENT ?
Dialogue où il est question du vraisemblable, de la fiction et du rapport de l’écart à la vérité
Mathieu Menghini : Jean, tes mises en scène prennent-elles en compte
l’impératif classique de la vraisemblance ?
Jean Liermier : Je suis comme saint Thomas, je crois à ce que je vois. Le premier mouvement du travail en répétitions est d’essayer de faire en sorte
qu’on croie les personnages. Lors d’un deuxième mouvement on sculpte.
Suivant les situations, les intentions ne sont peut-être plus si définitives,
la partition de l’acteur se nuance, les indications s’additionnent, forment
des strates. En fait, je ne me soucie que de la vraisemblance des rapports
entre les personnages. Car la magie du théâtre, contrairement au cinéma,
c’est que tu peux prendre une chaussure et faire croire que c’est un téléphone… Il y a une convention tacite avec le spectateur qui est prêt à recevoir de l’invraisemblance. Qui en redemande même parfois.
À propos, je voulais te faire part d’une histoire : il y a quelque temps est
paru un livre «coup de poing » : le récit documentaire d’un homme qui,
enfant, avait été déporté dans un camp de concentration en Allemagne.
Son témoignage bouleverse, il se voit couvert de prix, honoré de toutes
parts. Jusqu’au jour où quelqu’un qui avait vécu à cette même période
dans ce même camp relève plusieurs incohérences dans les faits. Et l’on
découvre que le présumé auteur déporté n’a, en réalité, jamais été dans
un camp ! Il avait tout inventé. Du « coup de poing » au « coup de tonnerre» : on lui retire tous ses prix et on l’attaque de toutes parts. Il avait
trahi, en vendant de la fiction pour un témoignage. Il avait menti sur la
nature du récit et les lecteurs lui en voulaient, car ils avaient été émus
pour « rien », puisque c’était faux. Malgré l’émotion initiale suscitée par le
texte, la vraisemblance ne suffisait pas…
MM : Ah oui, j’avais vu cette affaire. Restons dans l’appropriation d’identité : partages-tu les idées de Stanislavski sur la préparation du comédien, appelé à s’imaginer les moteurs conscients et inconscients de son
personnage, à agir comme s’il incarnait – au sens fort – un autre être ?
JL : Il y a presque autant de méthodes que d’acteurs. Chacun développe la
sienne, qui correspond aux rencontres, aux expériences menées. L’acteur
n’est jamais dupe du fait qu’il joue, à moins qu’il ne franchisse les barrières
de la folie, où il n’y a plus de limites. La psychologie, les moteurs conscients
ou inconscients du personnage sont des outils qui servent à se frayer un
chemin pour l’acteur. Ils sont utiles, comme une lampe de poche dans la
nuit, mais en aucun cas ils n’ont valeur de jeu.
Je me souviens d’un travail avec André Engel sur une version française du
livret de l’opéra Don Giovanni de Mozart. Je devais jouer le rôle titre, le
séducteur… Inutile de te dire que j’étais maladroit, coincé et inhibé. Après
une semaine, le metteur en scène nous annonce que nous allons continuer le travail, mais en italien… Passé le cap de la surprise (je ne parle pas
un mot d’italien), tout s’est décoincé chez moi. La langue devenait un
masque qui me révélait : je pensais en français le texte que j’avais appris
par cœur et je le disais dans une langue étrangère. L’espace entre l’instant
de la pensée et celui de la profération, le moment où j’adressais mes
répliques, était un espace de liberté : l’espace du jeu. Alors là , oui, j’incarnais un personnage. Et je n’ai jamais été autant moi, justement parce que
ce n’était plus tout à fait moi…
Jean Liermier : Et toi, Mathieu, que penses-tu de la formule qui dit que
l’acteur «ment vrai» quand il joue ?
Mathieu Menghini : Par-delà la séduction de tout oxymore, je n’aime pas
trop cette expression. Elle me paraît prétentieuse. D’ailleurs, l’illusion du
réel n’est pas, n’est plus – en elle-même – un critère esthétique.
À mon tour de te raconter une anecdote, fameuse : une dame qui visitait
son atelier reprocha à Matisse «le bras beaucoup trop long » d’une femme
peinte ; l’artiste répondit : «Ceci n’est pas une femme, madame, c’est un
tableau.»
Mais par-delà l’art, existe-t-il effectivement une vérité de nature ? Dans
bien des cas, le vrai paraît affaire de perspectives (les thémas du Théâtre
Forum Meyrin ne disent pas autre chose). Notre perception n’est pas
immédiate : bien des conventions, des préconceptions la cadrent et
l’orientent. Nous regardons par l’esprit autant que par les yeux. Peut-être
l’appréhension directe, crue, de la pâte informe du monde, l’immersion
dans l’infini grouillement des choses provoqueraient-elles en nous une
insoutenable nausée.
En art et au théâtre, c’est l’écart qui me ravit ; non la coïncidence. L’écart
qui permet à l’imaginaire et à la lucidité de s’épanouir. Le biais, la parole
figurée, le geste stylisé proposent un accès parfois plus direct, plus « efficace» à la réalité ineffable que l’on vise. En un mot, suggérer est plus fort,
moins vain que reproduire, et implique un spectacteur, pour parler… en
bon carougeois !
JL : Cette septième édition du magazine Si accorde une large place aux
questions de la traduction et de l’adaptation (lire pages 118-119, 128-129
et 150-151). Prenons la traduction : à quel niveau se situerait l’éventuelle
trahison du traducteur ?
MM : Traduttore, traditore («traduire, c’est trahir» : littéralement, «traducteur, traître»), dit l’expression italienne bien connue. Elle nous ramène à
la notion d’écart. Il y a maints écarts possibles entre un texte original et
sa traduction : les référents du lieu, de l’époque, la sonorité des mots, le
rythme de la syntaxe, le souffle, le «sens» sont parfois problématiques.
Un seul exemple : le théâtre étant œuvre physique, Benno Besson accordait
une grande importance au rendu des respirations dans ses traductions.
Plus largement, toute réception est «trahison». Est-il possible que je perçoive telle parole avec les mêmes dénotations et, surtout, connotations
que le poète a «voulu» y instiller ? C’est déjà miracle qu’il y ait si souvent
vibration ; mais que cette vibration soit, en tout point, fidèle, qui peut le
croire ?
La littéralité est une passion triste. L’intérêt du dialogue des altérités
tient sans doute à cette asymétrie : d’elle vient l’élan qui nous pousse hors
de nous-mêmes.
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SAISON 2010-11 DE MEYRIN
ANNE BRÜSCHWEILER AUX COMMANDES
DU VAISSEAU FORUM MEYRIN
Compte rendu de la conférence de presse du 17 novembre 2009
Anne Brüschweiler, directrice artistique du
Théâtre Forum Meyrin à partir de la saison 20102011, dessine sa ligne artistique d’une plume
trempée dans l’encrier de la poésie. Accompagnée par Laurent Gisler, codirecteur en charge
de l’administration, et les membres de l’équipe
actuelle, elle favorisera le rapprochement entre
l’art et la Cité en proposant chaque année une
résidence d’artiste. Les nouvelles saisons feront
davantage de place aux spectacles de chanson
et de cirque contemporain. Les collaborations
actuelles sont étendues et renforcées.
La future directrice du Théâtre Forum Meyrin
estime que, dans une société qui privilégie les
chiffres et la feuille Excel, une institution théâtrale doit servir à redonner du poids aux mots,
participer à la création de nouvelles formes, se
ressourcer, «aller vers ce que l’on ignore encore»,
rester vivant. Il est également souhaitable que le
spectateur puisse éprouver du plaisir, de l’émotion, et sortir du théâtre avec un désir de changement – pour lui-même ou pour le monde.
Il s’agit aussi d’être attentif à la langue. Une
langue qu’Anne Brüschweiler souhaite inventive,
en phase avec les propos défendus sur scène,
une langue qui retrouverait l’impact qu’elle tend
à perdre, «notamment dans l’espace politique».
C’est pourquoi la poésie règne au cœur de son
projet, sous toutes les formes que metteurs en
scène, auteurs, musiciens, chanteurs, danseurs
et artistes de cirque sont prêts à lui donner. La
pluridisciplinarité restera donc la marque distinctive du Théâtre Forum Meyrin, dont la programmation compte plus de trente spectacles
par année. Qu’on la décline à travers l’écriture, la
mise en scène, le mouvement, la lumière, la voix,
la musique, le décor, les costumes ou le jeu, la
poésie traverse toutes les formes artistiques et
peut se parer de toutes les nuances. Grave,
intense, légère ou candide, Anne Brüschweiler
souhaite explorer ses multiples facettes pourvu
qu’elles nous entraînent vers des élans toujours
nouveaux.
En lien avec la Cité
Entamées par le premier directeur du TFM, JeanPierre Aebersold, les collaborations avec le Teatro
Malandro d’Omar Porras et la compagnie Alias de
Guilherme Botelho, résidentes à Meyrin, seront
maintenues. Ce qui n’empêche pas la nouvelle
directrice d’indiquer qu’elle restera attentive à la
création locale. Parmi les nouveautés de cette
ligne artistique, la volonté d’élargir l’offre de
spectacles de chanson, «la poésie en musique»,
en privilégiant des récitals originaux. En outre, le
domaine du cirque contemporain, « l’un des
pôles les plus dynamiques du spectacle vivant
aujourd’hui », sera plus présent que précédemment, avec de nouvelles propositions destinées
au jeune public et aux familles – mais pas uniquement. Anne Brüschweiler prévoit encore de
multiplier les liens entre le Forum et ses alentours – la commune de Meyrin, en priorité, mais
aussi la Cité au sens large. C’est la raison pour
laquelle elle prévoit d’initier chaque année un
projet de résidence artistique. L’objectif consistera à faire travailler des artistes sur des thématiques proches des citoyens, afin que résonnent
au Forum les échos de la Cité. Les modalités de
la résidence (durée, forme, aboutissement, etc.)
seront définies en fonction du profil des artistes
— 108 —
invités. Par ailleurs, des ateliers (destinés aux
enfants et aux adultes), des expositions et des
parcours artistiques poursuivront le travail de
démocratisation des arts entrepris par les précédents directeurs.
Des partenariats étendus
Le partenariat entre le Théâtre Forum Meyrin et
le Théâtre de Carouge, initié par Mathieu Menghini et Jean Liermier en 2008, subsiste et s’élargit en franchissant les frontières grâce à l’arrivée d’une troisième institution, la scène du
Châtelard dirigée par Hervé Loichemol à FerneyVoltaire. Le projet de rendre visible un espace
artistique commun, avec des préoccupations
semblables, sera, par conséquent, proposé à un
public plus large. Mais le trio s’engage également à contribuer, par des ateliers d’écriture, de
théâtre, des laboratoires de mise en scène, à
favoriser l’émergence de jeunes talents. L’axe
périphérique sera renforcé, les spectateurs de
Genève et de France voisine pourront profiter
d’un abonnement commun et d’un journal qui
mettra en valeur la programmation des trois
institutions.
Soucieuse d’éveiller l’imagination du spectateur et de l’ouvrir à la réflexion, Anne Brüschweiler
est persuadée que ce travail s’opère sur scène et
hors scène. Elle n’ignore pas qu’il faudra, pour
faire mouche, inventer à chaque fois un nouvel
espace de dialogue avec les artistes et avec le
public, définir pour chaque élément du programme une approche spécifique, construire sa
pertinence.
Coré Cathoud
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(A)POLLONIA
Théâtre
Du mardi 12 au vendredi 15 janvier
à 19h00
D’Euripide, Eschyle, Hanna Krall, etc.
Mise en scène Krzysztof Warlikowski (Pologne)
Adaptation Krzysztof Warlikowski / Piotr Gruszczynski / Jacek Poniedzialek Dramaturgie Piotr Gruszczynski
Décor et costumes Malgorzata Szczesniak Musique Pawel Mykietyn / Renate Jett / Piotr Maslanka / Pawel Stankiewicz
Lumières Felice Ross Vidéo Pawel lozinski Chansons, textes et voix Renate Jett
Interprétation Andrzej Chyra / Magdalena Cielecka / Ewa Dalkowska / Malgorzata Hajewska-Krzysztofik /
Danuta Stenka / Wojciech Kalarus / Marek Kalita / Zygmunt Malanowicz / Adam Nawojczyk / Maja Ostaszewska /
Jolanta Fraszynska / Magdalena Poplawska / Jacek Poniedzialek / Anna Radwan-Gancarczyk / Monika Niemczyk /
Maciej Stuhr / Tomasz Tyndyk Musiciens Pawel Bomert / Piotr Maslanka / Pawel Stankiewicz / Fabian Wlodarek
Direction technique Pawel Kamionka Son Lukasz Falinski Régie lumières Dariusz Adamski
Assistanat à la mise en scène et projections vidéo Katarzyna Luszczyk Assistanat au décor Magdalena Hueckel
Assistanat aux costumes Aleksandra Merczynska Assistanat à la direction technique Marcin Chlanda
Régie plateau et cadrage Lukasz Józków Production Adam Sienkiewicz Maquillages Gonia Wielocha
Coiffures Robert Kupisz
Mêlant textes de la Grèce antique et textes
contemporains, Warlikowski fait entendre la
voix des bourreaux et des victimes des grandes
tragédies meurtrières – mythiques ou réelles –
qui ont ensanglanté notre Histoire.
Une mise en résonance pour questionner sans
manichéisme la part d’ombre et de lumière qui
réside en chacun de nous.
Krall et Euripide, sacrifices originels
Deux récits servent de base à (A)pollonia. Le premier est une nouvelle d’Hanna Krall, dans
laquelle l’auteur raconte l’histoire vraie d’une
Polonaise, Apolonia, qui, pendant la Seconde
Guerre mondiale, a caché chez elle vingt-cinq
Juifs. Mère de trois enfants, enceinte du quatrième, elle se fait dénoncer, se sauve chez son
père. Lors de l’interrogatoire des Allemands, elle
reconnait avoir elle-même caché les Juifs, son
père refusant le sacrifice qui consisterait à se
dénoncer à sa place. Après avoir réussi à sauver
encore une petite fille juive, elle est exécutée.
Survivent des enfants, sauvés ou biologiques,
comme le fils d’Apolonia, qui laissera entendre
qu’à choisir, il aurait préféré que sa mère ne
risque pas sa vie. Voilà le thème central du travail de Warlikowski avec (A)pollonia : «Cet héritage terrible qui pèse sur les descendants de
ces héros ou de ces bourreaux.»
Cette nouvelle entre en résonance avec une tragédie d’Euripide, Alceste. Admète, roi de Phères
et fils de Phérès, doit mourir. Apollon lui propose de garder la vie sauve à condition que
quelqu’un se sacrifie pour lui. Admète pense
d’abord à ses parents – vieux et qui souhaitent
que la mort vienne – mais le père comme la
mère refusent. Sa femme, Alceste, accepte le
sacrifice. Elle abandonnera, par amour pour son
mari, ses deux enfants et la vie. Elle fait promettre à Admète de lui rester fidèle par-delà la mort,
ce qu’il accepte. Thanatos vient donc la prendre
pour l’amener à Hadès. Alors que tout le palais
est en deuil, arrive Héraclès, ami d’Admète. Ce
dernier le reçoit malgré le deuil et lui offre l’hospitalité, en lui cachant le décès de sa femme.
Héraclès l’apprendra par un serviteur, et ira
combattre Thanatos pour ramener Alceste dans
le monde des vivants, afin de saluer le respect
de justice de son ami qui, même dans le deuil,
lui a offert l’hospitalité. Lorsqu’il revient avec
une femme auprès d’Admète, celui-ci la refuse,
ayant promis fidélité à sa défunte épouse. Héraclès insiste, Admète se voit donc contraint d’accepter cette nouvelle femme, qui n’est autre
qu’Alceste.
Rhizome
À partir de cette base, Warlikowski est allé puiser dans d’autres textes antiques et contemporains. Les principaux personnages sont ceux de
la tragédie grecque : on croisera Agamemnon,
époux de Clytemnestre, père d’Iphigénie et
d’Oreste ; Iphigénie, que son père sacrifia pour
pouvoir partir à la guerre ; Clytemnestre, qui
assassina son mari ; Oreste qui, pour venger son
père, tua sa mère ; Admète, promis à une mort
certaine, mais qu’Apollon – dieu de la mort et de
— 110 —
Au Bâtiment
des Forces Motrices (BFM), Genève
Durée environ 4h entracte compris
Plein tarif : Fr. 46.– / Fr. 38.–
Tarif réduit : Fr. 37.– / Fr. 30.–
Tarif étudiant, chômeur : Fr. 22.– / Fr. 17.–
Spectacle en polonais surtitré
Accueil réalisé en collaboration
avec La Comédie de Genève, coproductrice
du spectacle.
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la sagesse – sauvera de son funeste destin ; Phérès, père d’Admète, qui refuse de mourir pour
lui ; Alceste, son épouse, qui, elle, acceptera le
sacrifice ; Thanatos, personnification de la mort,
et enfin Héraclès, qui arracha Alceste des mains
de Thanatos pour la rendre à Admète. Aux côtés
de ces personnages, celui d’Apolonia.
Autant de héros et de bourreaux qui portent
leur histoire, celle des grandes tragédies grecques
(L’Orestie d’Eschyle ; Iphigénie à Aulis ; Alceste ;
La folie d’Héraclès d’Euripide) mais dont les discours sont aussi parfois empruntés à des textes
contemporains : extraits des Bienveillantes de
Jonathan Littell (exposé de Maximilien Aue sur
l’arithmétique guerrière de la mort, prononcé
par Agamemnon), ou encore d’Elizabeth Costello
de J. M. Coetzee (extrait d’une conférence sur la
faute et la peine, dans laquelle la situation des
Juifs exterminés à Treblinka est comparée à un
holocauste d’animaux jamais interrompu).
D’autres sources encore, qui toutes visent une
cohérence implacable, guidée par les figures
des tragédies, à travers lesquelles résonne le
monde d’aujourd’hui.
Julie Decarroux-Dougoud
(A)POLLONIA
LIVRET
Vengeance, sacrifice et renaissance
«Au théâtre, il faut chercher ce qui est commun, ce qui touche
tout le monde, aussi bien ceux qui se révoltent que ceux qui n’arrivent
même pas à concevoir une révolte.»
Krzysztof Warlikowski
PARTIE I
Prologue Chez Amal, le héros de la pièce de
Rabindranath Tagore, Le bureau de poste. Le
jeune Amal est atteint d’une maladie incurable.
Il rêve de voyager dans le monde. Sa tante l’en
dissuade. Pendant la Seconde Guerre mondiale,
le Polonais Janusz Korczak – pédagogue et fervent antifasciste – avait monté cette pièce avec
les enfants de l’orphelinat du ghetto de Varsovie, dont il s’occupait. Quelques jours plus tard,
ils furent déportés au camp de Treblinka.
Scène 1 Le sacrifice d’Iphigénie. Elle sera immolée pour assurer la victoire de son père Agamemnon, dans la guerre de Troie. Scène 2 Le retour de
guerre d’Agamemnon. Son épouse Clytemnestre
l’accueille en héros de la nation. Agamemnon
prononce un discours tiré des Bienveillantes de
Jonathan Littell : un exposé sur l’arithmétique
guerrière. Il soutient que chacun peut devenir un
guerrier et que personne ne peut prétendre à
l’innocence. Scène 3 La vengeance de Clytemnestre. Clytemnestre raconte comment elle a tué
Agamemnon pour se venger de l’outrage qu’il lui
a fait subir (son infidélité avec Cassandre dans sa
propre maison, qui n’est pas mentionnée ici).
Scène 4 Avant la noce d’Alceste et d’Admète. Projection du film d’un entretien avec les futurs
époux. Parmi les questions posées, celle-ci :
« Donneriez-vous votre vie l’un pour l’autre ? »
Scène 5 Chez Clytemnestre. Oreste arrive chez sa
mère, en se faisant passer pour un employé du
service de soutien psychologique aux familles. Il
lui annonce la mort d’Oreste. Clytemnestre lit un
fragment du conte d’Andersen La mère, prétendument retrouvé sur Oreste. Oreste tente de tuer
sa mère. Scène 6 Chez Alceste et Admète. Apollon,
employé comme domestique, se livre à ses activités. Pour protéger son hôte Admète, il lui assure
le don de ne pas mourir, si un autre donne sa vie
pour lui. Ses parents refusent de lui sacrifier leur
vie. Seule sa femme Alceste accepte. Apollon
retourne chez les dieux. Scène 7 Rencontre avec
Thanatos. Apollon l’informe du marché qu’il
vient de conclure avec Admète : c’est Alceste qui
mourra à sa place. Il annonce qu’un homme
ramènera Alceste du monde des morts. Scène 8
Chez Alceste et Admète. Alceste se prépare à
mourir. Elle raconte un documentaire animalier
vu la veille à la télévision. Tension. Admète tente
de briser le pacte conclu avec Apollon et déclare
son amour à Alceste. Alceste meurt. Scène 9 Chez
Admète. Héraclès arrive et s’étonne du silence
qui règne dans la maison. Il apprend la mort d’Alceste. Scène 10 Chez Oreste. Oreste discute sur
Skype avec sa mère qui le hante. Athéna intervient et disculpe Oreste qui prétend avoir tué sur
l’ordre de Dieu. Arrive Héraclès. Oreste lui rappelle qu’il a tué sa femme et ses enfants. Scène
11 Chez Admète. Admète n’ose pas avouer la
mort d’Alceste à Héraclès. Scène 12 Discussion
entre Admète et son père Phérès. Phérès abandonne son fils à son sort et soutient qu’il ne pouvait pas exiger le sacrifice d’une autre vie pour
sauver la sienne. Scène 13 Le retour d’Alceste.
Héraclès ramène Alceste à la vie et la rend à
Admète. Scène 14 Interrogatoire d’Apolonia
Machczynska par un officier S.S. Apolonia a
caché des Juifs chez elle. L’officier veut savoir si
elle est seule responsable de cet acte. Il fait une
proposition au père d’Apolonia : s’il prend la responsabilité sur lui, sa fille vivra. Silence du père.
— 111 —
PARTIE II
Scène 1 Conférence d’Elizabeth Costello. Elle
relève les expressions qui comparaient le traitement des Juifs à celui des animaux. Elle évoque
la disparition de l’empathie et l’impunité avec
laquelle les hommes commettent des horreurs.
Héraclès l’interrompt. Scène 2 Discours d’Héraclès. Il annonce un événement magique et inimaginable. Scène 3 Rencontre avec Ryfka Goldfinger, une Juive sauvée par Apolonia. Héraclès
rappelle les mots du Talmud : «Qui sauve une vie
sauve le monde.» Il demande à Ryfka de témoigner des actes d’Apolonia. Scène 4 Remise de la
médaille de Juste parmi les Nations à Apolonia,
à titre posthume. Son fils Slawek reçoit la médaille. Il lit le poème d’Andrzej Czajkowski, compositeur et pianiste juif polonais qui a perdu sa
mère dans un camp de concentration. Cette
mère a préféré suivre son compagnon et mourir
avec lui plutôt que de rester auprès de son fils.
Épilogue La renaissance des crapauds. Elizabeth Costello raconte comment les crapauds
s’enterrent en période sèche et renaissent à
la saison des pluies avec leurs «joyeux coassements».
Eva Cousido, collaboratrice artistique
de La Comédie de Genève
(A)POLLONIA
UNE PASSION POLONAISE DÉFERLE
SUR GENÈVE
Coproductrice de sa dernière création, Anne Bisang nous parle de Warlikowski
«Mon esprit s’emballe devant tant de nourritures fabuleuses.»
Anne Bisang
Celui qui considère Shakespeare comme un
frère – mauvais garçon exprimant mieux qu’aucun autre ses tourments et ses révoltes – fait
escale à Genève avec une troublante épopée
sur l’ambivalence de l’héroïsme. Pour lui aussi,
le théâtre est le meilleur endroit où questionner le monde et peut-être le seul qui peut
apporter des réponses.
Au fil des spectacles, ce provocateur surdoué
n’a de cesse de mettre en jeu ses propres contradictions, auscultant à travers ses obsessions la
conscience collective de son pays et de sa génération. Le théâtre n’a de sens que pour traiter le
poids de l’Histoire, pour dénoncer les silences
et les amnésies, pour débusquer les mensonges,
appuyer sur les blessures recouvertes d’une
silencieuse culpabilité.
La nécessité du théâtre
Ce credo venu d’un Polonais contrarié par son
identité apporte au théâtre européen – et en
particulier francophone – devenu frileux dans
ses ambitions philosophiques et politiques, une
vivifiante fraîcheur sur la nécessité du théâtre.
Il était urgent que Genève découvre cet artiste
hors norme, formidable emblème d’une œuvre
qui puise sa force dans le face à face avec l’Histoire, avec l’ardent désir d’agir sur le présent.
Avec son dernier opus, (A)pollonia, le metteur en
scène démultiplie l’action théâtrale : il place le
spectateur au cœur du questionnement en le
rapprochant des sources mythologiques antiques et contemporaines.
En convoquant Euripide, Eschyle, Rabindranath
Tagore, Hanna Krall, Jonathan Littell et d’autres
encore dans le fleuve de son récit épique, Warlikowski ne se contente pas d’un collage talentueux. Il compose une œuvre unique que seul le
théâtre peut inventer et transmettre.
Je me réjouis que l’association Théâtre Forum
Meyrin– Comédie de Genève, Centre dramatique
permette au plus large public de s’approprier
l’œuvre d’un immense artiste qui élève le théâtre
au rang d’un bien commun des plus précieux,
patrimoine vivant de l’humanité.
Y retourner !
Le 16 juillet dernier, dans la cour d’honneur du
palais des Papes du festival d’Avignon, mon
esprit s’emballe devant tant de nourritures
fabuleuses. De récits en récits, soufflée par les
héros qui déboulent sans crier gare dans des
vêtements contemporains, ici Iphigénie transie
de peur avant le sacrifice, là Apollon désinvolte,
je me déplace à travers les siècles dans de vertigineux allers-retours. Je suis au cœur de l’Histoire : la Pologne en 1942, l’Antiquité jeunesse
de l’humanité, le temps présent dans cette cour
qui réunit plus d’un millier de contemporains.
L’admirateur de David Lynch n’a pas à lui envier
sa capacité à nous mettre en état d’hypnose. La
musique, les images s’enchaînent dans un ordre
que le mystère ne rend pas moins évident. Cette
plongée en apnée ne nous retire cependant pas
une once de liberté. La surprise est totale et permanente mais la raison s’allume à chaque surgissement. Ainsi après ces heures riches et denses,
une seule envie : y retourner !
Parce que ce plateau-là nous parle directement,
nous convoque au cœur de la condition humaine.
Parce que l’éblouissante maîtrise du récit, des
images et du jeu impliquent une générosité rare
et un infini respect du spectateur. Très loin du
racolage trop fréquent des spectacles préfabriqués pour ne rien déranger.
Anne Bisang, directrice générale
de La Comédie de Genève
— 112 —
Qui était Apolonia ?
Apolonia Machczynska-Swiatek a réellement
existé en Pologne. Pendant la Seconde
Guerre mondiale, elle a caché des Juifs.
Dénoncée, elle a été fusillée par les Allemands. Ceux-ci ont proposé à son père d’endosser la responsabilité de la « faute » d’Apolonia. Il ne l’a pas fait. En 1997, Apolonia a
reçu le titre posthume de « Juste parmi les
Nations ». L’auteur polonaise Hanna Krall
transcrit cette histoire dans sa nouvelle Pola.
Eva Cousido
THÉMA
SECRETS ET MENSONGES
Festival pluridisciplinaire du Théâtre Forum Meyrin, du 12 janvier au 20 février 2010
Énoncé délibéré d’un fait contraire à la vérité, le
mensonge paraît un incontestable vice. Et si
nous nous piquions, deux mois durant, de le
réhabiliter ou, moins audacieusement, d’en sonder les soubassements ? Au fond, toute vérité
est-elle bonne à dire ? Gare à nos certitudes !
Signée toujours par Saura et accrochée dans
notre seconde galerie, la série Songe et mensonge nous fera basculer dans la satire politique. Tenues secrètes du fait de la dictature
franquiste, ces œuvres participent de ce que
Saura appelle un « art du contre », un art dont
l’artiste ne s’exagérait pas l’efficacité.
Bien sûr, on peinera à soutenir ces mensonges
dont l’objectif consiste strictement à nuire à
autrui. Mais qu’en est-il du mensonge «blanc» –
celui qui vise à ne pas heurter un proche ?
Condamnera-t-on avec la même énergie ces dissimulations, ces omissions que motive l’affection ?
Plus profondément, que serait une vie sociale
sans mensonges ? Résisterait-elle à la nudité
des opinions, à l’exhibition de nos forfaits ? Le
mensonge n’huile-t-il pas efficacement nos relations humaines ? Et la transparence ne constitue-t-elle pas a contrario leur plus sûr acide ?
L’angle de la vie publique orientera aussi notre
rencontre avec l’historien et ancien secrétaire
d’État de la République française, Jean-Noël
Jeanneney. Avec une question iconoclaste: fautil tromper le peuple pour son bien ? et un aiguillon: le pamphlet de l’Écossais John Arbuthnot
– L’art du mensonge en politique – pour ne rien
dire des analyses des Platon, Machiavel, Baltasar Gracián, Hannah Arendt et autres George
Orwell.
Devenir un homme
Trêve de sophismes, trêve de généralités ! D’enfants, d’adultes, privés, politiques, autant de
mensonges sur lesquels notre théma proposera
des éclairages singuliers. En commençant par
Pinocchio – figure tutélaire de notre cheminement, triplement représentée qui plus est : dans
le film de Luigi Comencini d’abord, qui nous
montre le héros brûlant de vitalité mais en
butte à une société répressive ; dans la pièce de
Joël Pommerat ensuite, sous forme d’un texte
qui dépasse le moralisme étriqué de Carlo Collodi, et dans les illustrations de l’Espagnol Antonio Saura enfin – illustrations révélant les difficultés à devenir un être humain.
Complexité du vrai
De la manipulation du réel sourd parfois la
rumeur ; et de la rumeur, le fantasme. Or, rumeurs
et fantasmes n’ont pas peu contribué à la
légende du marquis de Sade ; mais qui peut dire
la vérité du «monstre» de l’asile de Charenton ?
Dans une œuvre d’une irrésistible finesse, portée élégamment à la scène par Jacques Vincey,
le Japonais Yukio Mishima nous dit la «vérité»
de l’homme tel que perçu par les femmes qui
l’entourèrent. À demi-mot, par leur attitude
compréhensive ou révoltée, par l’expression de
leur outrage ou celle de leur loyauté pérenne,
naît insensiblement le portrait de l’absent.
C’est de la multiplication des perspectives pour
approcher le vrai que se sert également un
autre grand Japonais : le cinéaste Akira Kuro— 114 —
sawa. Notre salle audiovisuelle projettera Rashõmon, le long métrage qui le fit connaître en
Occident. Nous sommes, avec ce film, au cœur
du Japon médiéval, dans une atmosphère de
désolation. Un samouraï a été assassiné et son
épouse, déshonorée ; mais différentes versions
des faits s’affrontent : qui dit vrai ? Qui ment ? Y
a-t-il bien eu viol ? Le rôle de l’épouse serait-il
plus trouble qu’il n’y paraît ? Son mari se seraitil suicidé ? Se complétant autant qu’ils se contredisent, quatre témoignages (dont celui… du
défunt !) sèment la confusion ; chacun semblant
révéler celui qui l’énonce bien plus que les faits
dont il est censé rendre compte.
La concurrence des vérités est aussi le lot de la
publicité, un domaine que vous questionnerez,
invités par notre modérateur Emmanuel Gripon. Pour vous répondre nous rejoindront des
représentants-du-monde-académique-genevois-allergiques-à-la-langue-de-bois.
Alimentant chacune de ces pistes, en ajoutant
d’autres, mentionnons également nos voisins
assidus de la Bibliothèque Forum Meyrin et leur
recension bibliographique. Terminons toutefois en évoquant l’intériorité de Laura – l’inoubliable héroïne de La ménagerie de verre, créée
par Tennessee Williams. L’auteur nous rappelle
la fragilité de l’être peinant à se déployer dans un
monde vulgaire et brutal, la difficulté d’advenir,
de se dire, et, par-delà le vrai et le faux, il témoigne
de l’ineffable.
Mathieu Menghini
La ménagerie de verre, mise en scène de Jacques Nichet
Spectacles _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _
Une conviction analogue nous conduit non seulement à appeler théoriquement au dialogue
des savoirs, mais à considérer pratiquement le
Théâtre Forum Meyrin comme une agora artistique embrassant des problématiques intimes
et citoyennes par l’entremise non seulement
des lettres mais du faisceau large des disciplines artistiques susceptibles d’être accueillies
dans nos murs : théâtre, danse, musique, art
plastique, cinéma, débats, etc.
Alors peut-être le singulier émanera-t-il du giron
de l’universel, l’ineffable des marges du sens
commun.
La ménagerie de verre > 20 et 21 janvier
De Tennessee Williams
Mise en scène Jacques Nichet
Pinocchio > 26 au 29 janvier
Texte et mise en scène Joël Pommerat.
Madame de Sade > 17 et 18 février
De Yukio Mishima
Mise en scène Jacques Vincey
Films _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _
Rashõmon > 20 et 21 janvier,
8, 17 et 18 février
De Akira Kurosawa
Les aventures de Pinocchio > 9 février
De Luigi Comencini
Exposition _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _
Antonio Saura, contes et mensonges >
13 janvier au 20 février
Dessins et peintures sur papier
Rencontre _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _
L’art du mensonge politique > 8 février
Rencontre avec Jean-Noël Jeanneney
MM
— 115 —
Café des sciences _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _
Vous n’imaginez pas tout ce que la pub
sait faire pour vous ! > 4 février
Avec Benoît Lecat et Brigitte Müller
Modérateur : Emmanuel Gripon, journaliste
Bibliothèque Forum Meyrin _ _ _ _ _ _ _ _ _
La bibliothèque municipale de Meyrin
proposera une vitrine bibliographique et
un dépliant sur le sujet de cette théma.
........................................................................................
«J’ai envie de rapprocher les sciences humaines
non de la physique mais de la littérature (…). Une
pensée passe par la littérature, et cette connaissance du monde humain qu’elle exprime n’a
rien à envier à la sociologie (…). Dans La vie commune, je rappelle la fameuse scène de la Recherche où la fille de Vinteuil et son amie sont épiées
par le narrateur, pour montrer que Proust dispose d’une conception de la personne bien plus
riche que n’importe quel psychologue. » Ainsi
s’exprime notre invité de novembre dernier,
l’humaniste Tzvetan Todorov, au cœur de sa
conversation avec Catherine Portevin intitulée
Devoirs et délices.
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Le programme
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Objectif des thémas
ANTONIO SAURA,
CONTES ET MENSONGES
Exposition
Tout public dès 8 ans (salle «Pinocchio»)
Du mercredi 13 janvier
au samedi 20 février
Vernissage le mercredi 13 janvier à 18h30
Dessins et peintures sur papier
En collaboration avec la fondation Archives Antonio Saura
www.antoniosaura.org
Au Théâtre Forum Meyrin
Galeries du Levant et du Couchant
Cette exposition intègre la théma Secrets et mensonges du Théâtre Forum Meyrin,
présentée en pages 114-115.
À noter la programmation à Meyrin de deux autres adaptations de Pinocchio,
par Joël Pommerat (lire pages 130-131) et Luigi Comencini (lire pages 140-141).
Ouverture publique : du mercredi au samedi
de 14h00 à 18h00, ainsi qu’une heure avant
les représentations. Également sur rendez-vous.
Visites scolaires sur réservation
au 022 989 34 00.
Entrée libre
____________________________
Humaniste d’une grande culture et d’une
grande sensibilité, Antonio Saura s’est constamment impliqué dans la vie de son temps.
L’acuité de son regard se portait volontiers sur
les cruautés, les faux-semblants et les absurdités qui foisonnent toujours dans l’actualité.
Don Quichotte à sa manière, il a pourfendu le
mensonge à la pointe du pinceau et du crayon.
Durant la guerre civile espagnole et surtout
sous la dictature de Franco, son pays lui a inspiré une série de quarante et un dessins et peintures, intitulée Songe et mensonge. La détresse
et la puissance expressive qu’ils dégagent s’expriment aussi par les titres : Le printemps refleurira, désir souillé d’été ou Champs de solitude,
coteaux flétris (gouache et encre de Chine sur
papier) figurant dans le volume Antonio Saura
par lui-même édité par Olivier Weber-Caflisch
avec la collaboration de Marina Saura, la fille de
l’artiste. Le Théâtre Forum Meyrin a le privilège
de présenter une partie de ces peintures, très
rarement exposées.
Cette puissance de réaction face à l’horreur
caractérise la personnalité de Saura. Par exemple, durant une année, comme un défi à relever,
il s’est astreint à exercer son talent et la fulgurance de ses transcriptions plastiques d’après
les faits divers les plus fous découverts dans
la presse. Un ouvrage, Nulla dies sine linea,
témoigne de cette expérience.
L’initiation de Pinocchio
D’inspiration moins tragique que Songe et mensonge, le Pinocchio créé par Saura pointe son
nez pour illustrer le récit condensé des aventures du célèbre pantin, repris notamment par
Christine Nöstlinger, prix Nobel de littérature
pour enfants. Dans cette nouvelle interprétation riche en surprises, le thème du mensonge
est secondaire et le propos, tout différent. Le
contenu moralisateur de Collodi, considéré
comme très ennuyeux par les auteurs, a été
laissé délibérément de côté pour mettre Pinocchio face à son initiation de futur adulte : le nez
qui s’allonge peut évoquer bien autre chose…
La fondation Archives Antonio Saura
Antonio Saura, décédé en 1998 à 68 ans d’une
leucémie foudroyante, a laissé une partie de
son œuvre disséminée en divers lieux. Ses héritiers ont eu à cœur de rassembler ses peintures,
ses écrits et sa considérable bibliothèque en
un seul endroit. On y trouve par exemple des
ouvrages sources, annotés de sa main, ainsi que
ses propres écrits. La fondation de droit suisse
chargée de préserver l’intégralité des archives
de l’artiste est installée à Meinier depuis 2006,
par la volonté de sa veuve, Mercedes Beldarraín
Saura, et de sa fille, Marina Saura. Sa gestion a
été confiée à Olivier Weber-Caflisch.
Ici, l’artiste met en œuvre son pouvoir de déceler immédiatement la cocasserie, les dérives et
basculements du destin du personnage. Il s’agit
pour la marionnette d’affronter son destin et
de prendre chair. Comment se confronter à sa
vulnérabilité humaine ? Comment exister dans
l’emprise du temps ? Cette situation concerne
aussi bien les adultes que les enfants.
Un travail considérable de compilation informatique a déjà été réalisé et des catalogues raisonnés sont en cours de création. Plus de 6000
images s’y trouvent déjà. Un petit groupe y travaille en permanence, pour récolter et mettre à
jour toutes les informations concernant l’artiste. Le fonctionnement de la fondation est
assuré en partie par la vente d’estampes de
Saura. Les chercheurs en histoire de l’art, les
commissaires d’exposition et les journalistes y
sont reçus et peuvent découvrir notamment les
émouvantes esquisses des premières apparitions de Pinocchio et les dessins préparatoires
pour la réalisation de la marionnette en trois
dimensions. Le processus de création du peintre
se lit également dans ses grandes toiles inachevées, récemment restaurées.
La recherche de ce nouveau Pinocchio – qui ne
doit plus rien à personne – a pris deux ans à
Saura. Il a réussi à maintenir la vivacité et la
spontanéité du premier trait sans l’éteindre par
la concision et la réflexion qui donnent finalement une âme à la silhouette. Prochainement
publiée en traduction française et espagnole
ainsi qu’en allemand et en anglais, la nouvelle
édition de cet ouvrage présentera une illustration plus proche des originaux qui seront exposés à l’exposition de Meyrin.
— 116 —
Laurence Carducci
«Comment se confronter à sa vulnérabilité humaine ? Comment exister
dans l’emprise du temps ?»
— 117 —
PLATONOV
D’Anton Tchekhov / Mise en scène de Valentin Rossier
Interprétation Maurice Aufair (Glagolaïev père) / Claude-Inga Barbey (Petrovna) / Julia Batinova (Sacha) /
Vincent Bonillo (Sergueï) / Élodie Bordas (Sofia) / Marie Druc (Grekova) / Armen Godel (Abram) /
Christian Gregori (Ivan Triletzki) / Roberto Molo (Ossip) / Guillaume Prin (Glagolaïev fils) / Valentin Rossier (Platonov)
Mise en scène Valentin Rossier Assistanat à la mise en scène Hinde Kaddour / Elidan Arzoni
Scénographie Jean-Marc Humm Costumes Nathalie Matriciani Lumières Jonas Bühler Son Jean Faravel
Vidéo Robert Nortik
Production Théâtre de Carouge-Atelier de Genève Coproduction Helvetic Shakespeare Company
Lire Si n° 6, pages 92-93, et dans ce numéro, pages 128-129 et 150-151.
Souvent considéré comme langue « difficile à
traduire », le russe pose d’autant plus problème
quand il s’agit de traduire une pièce de théâtre.
Mais qui connaît-on comme dramaturge russe
à part Tchekhov ? Quasiment personne. C’est
donc surtout à cet auteur que s’adresse cette
formule. Le nombre de traductions de Platonov
depuis sa création par Jean Vilar ne semble pas
contredire l’idée reçue que Tchekhov est difficilement traduisible, voire intraduisible. Qu’en
est-il dans la pratique ?
Contrairement à celle du roman, la traduction
théâtrale met l’accent sur la lettre et l’oralité.
Ainsi, le traducteur ne nous fait pas seulement
passer une histoire et un style, il doit également
rendre compte du souffle du texte : ne jamais
fermer le sens, ne jamais l’expliquer, laisser la
porte ouverte à l’interprétation du metteur en
scène, du comédien et du public, tout en faisant
vœu de fidélité absolue à l’œuvre d’origine. Un
sacerdoce qui conduit à penser que cette discipline est peut-être celle qui nous permet le mieux
de toucher à la plénitude d’un texte.
Quand il s’agit du russe, la vraie difficulté réside
dans les nombreux non-dits obligeant le traducteur à interpréter les mots en fonction de la
situation ou de l’état d’esprit du locuteur. Or,
l’interprétation introduit une marge d’incertitude dans laquelle va se glisser la polémique. Et
les traducteurs s’en donnent à cœur joie dans
les différentes préfaces des éditions françaises
de cette pièce. Traduire Tchekhov revient à se
positionner sur la méthode employée, et donc
sur le rôle et les libertés du traducteur vis-à-vis
de l’auteur et du public.
Les belles infidèles
Prenons deux exemples parmi les nombreux
traducteurs de Tchekhov.
Tout d’abord Elsa Triolet, compagne de Louis
Aragon et traductrice de la version mise en
scène en 1987 par Patrice Chéreau. Elle reproche
à la pièce d’être mal écrite. Platonov se caractérise en effet par un style familier. Composée
alors que Tchekhov a tout juste 18 ans, la pièce
possède en germe de nombreux thèmes et personnages qui seront par la suite utilisés par le
dramaturge russe, mais son style littéraire n’en
reste pas moins déroutant. Aussi Elsa Triolet
fait-elle le choix de « re-littérariser » le texte.
Mais est-ce un problème de « mauvaise écriture » ou d’incompatibilité stylistique avec la
langue française ?
La traduction d’Elsa Triolet s’apparente à la tradition des « belles infidèles », c’est-à-dire des
«traductions qui pour plaire et se conformer au
goût et aux bienséances de l’époque, sont des
versions revues et corrigées par des traducteurs
conscients (trop, sans doute) de la supériorité
de leur langue et de leur jugement» 1. Ce type de
traductions fut longtemps usité en France, et
continue de l’être sous le couvert juridique de
l’adaptation. Restant fidèle au sens, cette traduction occulte l’incongruité même, en russe,
de la langue de Tchekhov, pour produire une
œuvre littéraire « apparemment » mieux écrite
afin d’en faire ressentir le sensible. Aussi ces
versions plutôt falsifiées des originaux sontelles des textes qui font preuve d’une admirable
poésie qui rapproche l’auteur étranger de l’auditeur français, ou tout au moins de son oreille.
— 118 —
Théâtre
Du vendredi 15 janvier
au dimanche 7 février
(ma, je et sa à 19h00 / me et ve à 20h00 /
di à 17h00 ; relâche le lundi)
Au Théâtre de Carouge-Atelier de Genève
Salle François-Simon
Durée [spectacle en création]
Plein tarif : Fr. 35.– / 23 euros
Etudiant, apprenti : Fr. 15.– / 10 euros
Chômeur, AVS, AI : Fr. 25.– / 17 euros
Groupe : Fr. 30.– / 20 euros
Un texte à dire
André Markowicz et Françoise Morvan se sont
quant à eux attelés ces vingt dernières années
à la tâche difficile de traduire l’ensemble de
l’œuvre théâtrale de Tchekhov. Ils s’apparentent
au mouvement que Philippe Ivernel appelle «la
transécriture», c’est-à-dire aux traducteurs qui
restent fidèles au sens et aux particularités d’un
texte à dire. Texte à dire : nous revoilà plongés
dans le paradoxe auquel se confronte tout traducteur de théâtre : l’oralité.
Ils ont pour objectif de «restituer l’intonation
et la situation d’élocution en respectant la rapidité, la légèreté du texte de Tchekhov » 2. Cela
passe par un souci constant de la ponctuation,
considérée comme étant une partition musicale autant productrice de sens que les mots,
mais aussi par « traduire faux, pour traduire
juste », expression empruntée à André Markowicz à propos des deux premières répliques de
Platonov. Traduire faux, c’est se risquer à prendre d’autres options que la traduction littérale
d’un mot ou d’une phrase, en fonction de la
vision globale de l’œuvre, afin de restituer ce
que veut dire l’auteur étranger avec nos mots et
notre culture. S’éloigner pour être au plus près
de l’œuvre d’origine.
Et afin de mieux cerner cette œuvre, ce sont les
premiers à être revenus aux premières versions
des pièces car « Stanislavski, en metteur en
scène émérite, donnait des conseils à Tchekhov
et Tchekhov, extrêmement modeste, changeait
selon ses indications, avec, d’ailleurs, une facilité déconcertante. Comme il pensait que, de
Scénographie de Platonov, par Jean-Marc Humm
toute façon, son œuvre serait oubliée dix ans
après, il faisait ce qu’on lui demandait et les versions publiées de ses pièces sont donc profondément différentes des versions originales,
déposées à la censure.» 3 Dans le cas de Platonov,
ce sont deux heures qui ont été ajoutées par
rapport aux versions précédentes. Grâce à ces
premières versions, Morvan et Markowicz ont
pu trouver l’originalité de l’œuvre de cet auteur
russe, spécificité qu’ils s’attachent à nous faire
passer.
Traduction ou adaptation ?
En effet, contrairement à ce que Bernard Favre
d’Arcier, ancien directeur du festival d’Avignon,
a pu dire, un traducteur n’est pas d’emblée indissociablement un adaptateur. Celui-ci conduit le
sujet à plus d’adéquation avec notre culture,
tandis que le traducteur translate une œuvre
d’une langue à une autre et ne se subordonne
jamais à l’auteur. Tâche ingrate car condamnée
à l’obscurité, une traduction n’est réussie que
quand, tout en faisant preuve de la plus grande
fidélité à l’œuvre d’origine, elle arrive à faire
oublier que le texte n’est pas français ou qu’il a
été écrit il y a plusieurs centaines d’années. En
cela, le travail du traducteur se rapproche de
celui du dramaturge et du metteur en scène qui
creusent au cœur du texte afin de le rendre
sensible à notre perception contemporaine. Et
André Markowicz de dire : «Pour moi, une nouvelle traduction est bien une œuvre contemporaine, une façon de travailler sur la langue et de
la traduire en rapport avec notre époque. Si je
traduis de cette façon, c’est bien parce que je vis
aujourd’hui.»
Fait intéressant, sur les quinze mises en scène
de Platonov depuis sa création par Jean Vilar,
seules quatre d’entre elles ont l’appellation de
« traductions ». Les autres sont des « versions
françaises », « adaptations » ou encore « libres
adaptations ». C’est cela le vrai paradoxe de la
traduction théâtrale : une traduction ne se fait
jamais sans l’épreuve du dire des comédiens. Un
texte n’est achevé que lorsqu’il a subi des centaines de changements minimes (ponctuation,
ordre des mots, lexique) provoqués par la relation intime du comédien à son personnage et
par la mise en bouche des répliques de l’auteur.
Ces modifications infimes et pourtant ô combien nécessaires redonnent au texte littéraire
sa vocation première qui est d’être dit sur une
scène. Mais loin de le modifier ou de l’adapter,
cette épreuve donne tout son sens au travail de
traducteur théâtral. Alors pourquoi tromper le
spectateur sur les termes ? Pour des questions
juridiques de propriété intellectuelle mais aussi
parce que ces textes sont trop longs ou trop
coûteux pour être montés dans leur intégralité.
Alors, on coupe, on « adapte » au profit d’une
mise en scène, mais toujours aux dépens du
traducteur et de son œuvre.
Delphine de Stoutz
1 Paul Horguelin, Anthologie de la manière
de traduire : Domaine français, éd. Linguatech,
Montréal, 1981.
2 « Traduire La Cerisaie» : Rencontre avec
André Markowicz et Françoise Morvan (ENS-lsh,
15/12/2008).
3 Ibid.
— 119 —
PLATONOV
LA SAINTE, LA MÈRE ET LA PUTAIN
Parole donnée à Catherine Gaillard
«Il faut être libre pour rencontrer des hommes libres.»
Catherine Gaillard
Le Théâtre de Carouge poursuit ses tribunes
en donnant la parole cette fois-ci à Catherine
Gaillard, conteuse, femme engagée dans la cité.
J’ai lu que toute l’œuvre de Tchekhov témoigne
d’un affranchissement des femmes, sans qu’elles
tombent dans le piège du féminisme, mais
qu’elles se libèrent par l’amour. Cela me terrifie !
Effectivement, les femmes chez Tchekhov ne
sont pas féministes ; mais ce qui est terrible,
c’est qu’elles sont enfermées dans un modèle,
quel qu’il soit. Elles n’ont pas d’autre recours
pour se libérer que l’amour des hommes, d’un
homme, en l’occurrence Platonov. Ce personnage est intéressant: c’est l’agent perturbateur
de cette bonne société. Il ressemble à une sorte
d’anarchiste qui ne respecte rien ni personne,
dit ce que les autres attendent sous couvert de
vérité. On dirait une toile vide sur laquelle les
autres projettent leurs peurs, leurs fantasmes,
leurs désirs. On dit notamment que Platonov
préfigure la Révolution russe : je n’en suis pas
sûre, et heureusement, car celui qui est censé
incarner le renouveau n’incarne pas grandchose d’autre que son propre vide, qui d’ailleurs
semble le rendre malheureux. La pièce est désespérante à cause de cela.
La sainte, la mère et la putain
Les femmes qui essaient de se libérer sont aussi
désespérantes : elles n’essaient pas d’exister par
elles-mêmes, mais cherchent l’homme qui va les
libérer. L’épouse de Platonov correspond au
modèle de la sainte ou plutôt de la mère. Ce
n’est pas un couple adulte, égalitaire, c’est une
étrange relation maman-fiston. Elle, de son
côté, semble une vision de la femme parfaite : il
peut se confier à elle qui comprend tout, elle le
console, pardonne toutes ses frasques, jusqu’au
jour où il brise un autre mariage : on pardonne
les écarts de son petit garçon, mais non que soit
brisée l’union sacrée de la famille. Je pense
qu’avant la rupture, elle sublime sa relation ; la
société lui permet de le faire, puisque son cas
est érigé en modèle absolu. Ce qui est valable
pour le XIX e siècle l’est encore aujourd’hui : la
femme éternellement compréhensive et douce,
qui élève les enfants – sans que ce soit pour
autant une idiote. D’ailleurs, Tchekhov ne
tombe pas dans ce piège : ces femmes ne sont
pas des imbéciles. C’est pour cela que c’est désespérant : la pièce n’aurait aucune valeur dans
le cas contraire ! Ces femmes sont capables de
raisonner et comprennent très bien les hommes
et le monde dans lequel elles vivent. Elles les
comprennent très bien, mais elles ne les changent pas ! Elles essaient de faire des hommes
des êtres aboutis qui transformeront le monde,
ce qui les sauvera, au lieu de dire : nous allons
d’abord nous changer nous-mêmes, puis changer le monde autour. Non ! Elles se conçoivent
comme des saintes et martyres, des infirmières
du genre humain et des hommes, des sacrifiées,
et c’est le cas chez Tchekhov comme ailleurs,
depuis des milliers d’années… Ces femmes se
satisfont de ce modèle car la société le glorifie.
Quant à Sofia, elle est mariée à un imbécile et
s’ennuie probablement à mourir, tourne dans sa
vie comme une lionne en cage et attend d’être
libérée. Quand on est dépendante économiquement et que la société tolère seulement qu’on
soit la fille de son père ou l’épouse de son mari,
— 120 —
cette situation est difficile. Alors que fait-elle ?
Elle tombe sur Platonov et veut absolument
qu’il lui promette un grand amour aventureux
du type romantique. Et Platonov ne la contrarie
pas, car il ne contrarie personne : on veut qu’il
soit perturbateur, il est perturbateur ; on veut
qu’il soit amoureux et courageux, il dit oui, mais
n’a rien à faire de cette femme, comme il n’a rien
à faire de rien. Il promet tout à cette femme ;
elle, parce qu’elle a besoin d’un homme pour se
libérer – première erreur – se saisit de l’occasion. Elle est déçue, se rend compte que Platonov est une planche pourrie, mais rompt son
mariage et ne veut pas de retour en arrière, bien
que son époux accepte qu’elle revienne : c’est
très intéressant. Elle veut absolument croire à
son amour déçu et part dans une tragédie slave,
destructrice, en assassinant son amant. Elle
aurait encore une occasion de réfléchir et de
partir vers autre chose, mais elle s’enferme à
nouveau dans un rôle : le rôle romantique de la
femme trahie, malheureuse. Ça aussi, c’est désespérant. Il n’y a aucune libération par le meurtre : elle le tue lui, mais elle-même finit en prison
et ruine sa vie. La liberté lui fait si peur qu’elle
s’arrange pour finir dans une prison !
Reste le troisième personnage, Anna Petrovna,
a priori le plus intéressant puisqu’il a la place
idéale dans la société : elle est veuve, jeune et
riche. Elle a la vie devant elle et fait tout ce
qu’elle veut : recevoir, faire la fête, boire beaucoup… Elle aussi se rend compte que c’est vide.
Elle cherche donc quelque chose qui la fasse
vibrer – et là encore c’est Platonov. Ce qui est
intéressant, c’est qu’elle projette sur lui son
rêve d’égalité. Elle lui dit : « Tu es libre, icono-
claste, provocateur, anarchiste : voilà ce que j’ai
envie d’être ; j’ai les moyens de l’être mais je ne
le suis pas vraiment. Mon genre de vie ne mène
nulle part. » Il lui dit oui car il est incapable de
dire non, mais il pense évidemment le contraire.
Elle est passionnée mais il refuse de répondre à
ses avances : il la respecte. C’est peut-être un
acte inspiré de sa part, libérateur. Il ne la laisse
pas alimenter sa frustration, l’engage à ne pas
compter sur lui. Peut-être, se dit-il, en la privant
de cette relation dont il sait qu’elle sera médiocre, elle pourrait être libre, elle en a les moyens,
elle sait raisonner… En n’allant pas vers elle, il la
libère ; mais pour l’instant, elle se trompe. Il faut
être libre pour rencontrer des hommes libres.
Une pièce contemporaine
Une universitaire, Marie-Joseph Bertini, professeure à l’Université de Nice, a fait des recherches
avec ses étudiants sur l’image de la femme dans
les médias. Il y a sept images : la pute, la sainte,
la mère, mais aussi l’égérie, la pasionaria – on le
dit surtout pour les femmes de pouvoir, les
femmes politiques. Pasionaria, c’est la passion.
Or, la politique, c’est pouvoir penser pour tous,
c’est-à-dire le contraire de la passion, qui enflamme et fait déraisonner. Quand on traite les
femmes politiques de pasionarias, on implique
qu’elles sont incapables de gouverner, qu’elles
ne sont pas des personnes de tête, qui réfléchissent ; elles ne sont que passion. Les femmes
dans Platonov sont soumises à ces rôles-là, et
les hommes aussi, totalement.
On ne peut pas attendre de la société qu’elle
libère les femmes. Elles doivent se libérer ellesmêmes. Elles l’ont fait dans les années septante:
ça change, mais ça ne peut venir que d’ellesmêmes. Dans Platonov, elles ont toutes envie
que quelque chose change, mais elles ne l’attendent pas d’elles-mêmes, elles ne parlent pas
entre elles. Il suffirait qu’elles parlent ensemble
de ce Platonov pour se rendre compte qu’il est
creux, qu’elles ne peuvent rien en attendre et
qu’elles pourraient, elles, s’organiser autrement,
s’entraider et sortir de cette condition.
Cette pièce est tout à fait contemporaine. Mais
aujourd’hui, les modèles proposés aux femmes
sont plus nombreux, et leurs modèles de non
libération ne sont pas les mêmes. Les femmes
n’attendent pas la même chose des hommes,
car elles peuvent conquérir leur indépendance
économique. Aujourd’hui, il y a l’illusion de
l’égalité.
Propos recueillis par Coré Cathoud
Samedi Coup de Cœur
«Ce soir je vous aime
plus que les autres jours»
Une nuit à Moscou
Samedi 23 janvier 2010
En partenariat avec le Chat Noir
Réservation : +41 (0)22 343 43 43
[email protected]
Dès 18h apéritif de bienvenue offert.
Présentation du spectacle par André
Steiger et Richard Vachoux, concert au
bar du théâtre et dès 22h au Chat Noir.
— 121 —
Catherine Gaillard
RASHÕMON
D’Akira Kurosawa (1950 / Japon)
Scénario Shinobu Hashimoto / Akira Kurosawa, d’après deux nouvelles d’Akutagawa Ryunosuke
Interprétation Fumiko Honma / Daisuke Kato / Machiko Kyo / Toshiro Mifune / Masayuki Mori / Takashi Shimura
Musique Fumio Hayasaka Photographie Kazuo Miyagawa Montage Akira Kurosawa Décors So Matsuyama
Production Daiei Motion Picture Company / Jingo Minura
Lion d’or au festival de Venise 1951 / Oscar du meilleur film étranger 1952
Film
Mercredi 20 et jeudi 21 janvier à 18h00
suivi à 20h30 de La ménagerie de verre
Lundi 8 février à 18h00 suivi à 20h30
de la conférence de Jean-Noël Jeanneney
Mercredi 17 et jeudi 18 février à 18h00
suivi à 20h30 de Madame de Sade
Au Théâtre Forum Meyrin
Durée 1h30
Entrée : Fr. 5.–
Ce film intègre la théma Secrets et mensonges
du Théâtre Forum Meyrin, présentée
en pages 114-115.
____________________________
Lion d’or à la Mostra de Venise en 1951, Rashõmon est à l’origine de la vague d’intérêt de l’Occident pour le cinéma japonais. Douzième film
d’Akira Kurosawa, il est tiré d’une nouvelle de
Ryũnosuke Akutagawa, Dans le fourré, récit –
par différents personnages – du meurtre d’un
samouraï.
L’intrigue de Rashõmon prend place au Japon
durant la période de Heian, entre le VIIIe et le
XIIe siècle. Abrités d’une pluie torrentielle sous
le porche d’un temple abandonné (la porte
Rashõ à Kyoto), un bûcheron, un bonze et un
passant évoquent un fait divers jugé récemment. Il a pour objet le meurtre d’un samouraï
et le viol de son épouse par un bandit.
Le fait divers est relaté successivement par quatre personnages : le bûcheron, seul témoin du
crime, le bandit, l’épouse et le samouraï assassiné,
s’exprimant par l’intermédiaire d’une sorcière.
Rashõmon est un film novateur et original. Le
jeu des comédiens inspiré de l’art dramatique
japonais traditionnel contraste avec le modernisme du montage – qui compte bien plus de
plans que les films de l’époque – et de certains
plans (notamment les longs travellings).
Rashõmon se révèle également riche, développant de multiples réflexions à partir de son
thème central : le mensonge.
Le mensonge dans Rashõmon
Les quatre versions du fait divers se complètent
mais divergent, se contredisent. Ainsi, devant le
tribunal, le bandit reconnaît le meurtre du
samouraï et réfute l’idée de viol. L’épouse était
consentante. Cette dernière affirme le contraire.
Elle s’est évanouie après que son mari a condamné moralement son acte. Le samouraï confirme le viol et révèle également son suicide,
motivé par l’attirance de sa femme pour le bandit. Le bûcheron donne au tribunal une première version sur laquelle il reviendra par la
suite. Au final, il dit avoir vu le bandit et le
samouraï s’affronter, à la demande de la femme.
Le duel s’est soldé par la mort du samouraï.
Même si chacun des protagonistes donne une
valeur de vérité à sa version, en appuyant par
exemple son témoignage sur des indices matériels, le spectateur ne sait qui croire puisque
tous les témoignages diffèrent. Ils ne sont que
des interprétations valorisantes et privilégiées
du même fait. Par ailleurs, le bûcheron, seul
témoin supposé objectif, a livré deux versions
différentes et a donc pour le moins menti dans
l’un des cas.
À travers la narration de Rashõmon, Kurosawa
porte un regard critique et pessimiste sur la
nature humaine : l’Homme n’est pas honnête et
transforme la réalité à travers ses mensonges
pour la tourner à son avantage.
Les procédés filmiques ajoutent d’autres critiques. Les subtils jeux d’ombres et de lumières
sur les personnages dévoilent la dualité de leur
nature. Les nombreux plans larges intégrant
des décors imposants (le temple noyé sous le
déluge, la forêt) écrasent les protagonistes et
mettent à jour leur vulnérabilité et leur faiblesse.
Le film s’achève sans donner de réponse à l’énigme du drame mais en apportant une conclusion
— 122 —
tout de même encourageante : la séquence
finale montre le bûcheron recueillant un bébé
abandonné. L’être humain semble capable d’altruisme.
Une mise en œuvre du perspectivisme
Kurosawa établit un autre constat : tout témoignage est d’abord révélateur de celui qui
témoigne et de l’utilisation qu’il compte faire de
son récit. Celui-ci perd nécessairement sa factualité brute. L’objectivité est par ailleurs illusoire.
En remettant ainsi en question la notion d’objectivité et en éclatant les récits portant sur le
même fait, Rashõmon peut être analysé comme
une mise en œuvre du perspectivisme. Théorie
de Nietzsche, le perspectivisme avance l’idée
que la notion d’objectivité doit être remplacée
par la multiplicité des points de vue possibles
sur la réalité. Il n’existe en effet pas une, mais
des interprétations infinies de la réalité, dont il
faut tenir compte (le narcissisme spontané de
tout individu le conduit à ne considérer l’existence que de son point de vue privilégié). Partant de ce constat, la vérité – en supposant qu’il
y en ait une – n’existe alors que dans cette multitude d’interprétations.
La théorie du perspectivisme amène le spectateur de Rashõmon à dépasser son point de vue
et à reconsidérer les quatre versions du fait
divers ; il n’existe pas une seule interprétation
vraie de ce drame. Elle apporte une dimension
supplémentaire au film de Kurosawa, plus profonde et plus intéressante encore.
Camille Dubois
«L’Homme est incapable d’être
honnête avec lui-même. Il est
incapable de parler de lui-même
sans embellir le tableau.
Rashõmon parle de gens comme
ça, ce genre d’individus qui ne
peuvent vivre sans mentir pour
se montrer meilleurs qu’ils ne le
sont vraiment. (…) L’égoïsme est
un péché que l’être humain porte
en lui depuis la naissance et c’est
le plus difficile à combattre.»
Akira Kurosawa, Comme une autobiographie,
Cahiers du cinéma, 1997
— 123 —
LA MÉNAGERIE DE VERRE
Théâtre
Mercredi 20 et jeudi 21 janvier à 20h30
De Tennessee Williams / Mise en scène Jacques Nichet (France)
Au Théâtre Forum Meyrin
Durée 2h environ
Texte français Jean-Michel Déprats Mise en scène Jacques Nichet Assisté d’Aurélia Guillet
Interprétation Michaël Abiteboul / Stéphane Facco / Agathe Molière / Luce Mouchel / un musicien
Composition musicale Malik Richeux Scénographie Philippe Marioge Lumières Dominique Fortin Son Bernard Valléry
Images Christian Guillon / Mathilde Germi Costumes Catherine Cosme
Production Théâtre de la Commune – Centre dramatique national d’Aubervilliers / Compagnie L’inattendu.
La compagnie L’inattendu est aidée par le ministère de la Culture et de la Communication/ DMDTS.
The Glass Menagerie is presented through special arrangement with the University of the South, Sewanee, Tennessee.
L’Auteur est représenté dans les pays de langue française par l’Agence MCR, Marie-Cécile Renauld (Paris) en accord
avec Casarotto Ramsay Ltd (Londres).
Plein tarif : Fr. 39.– / Fr. 32.–
Tarif réduit : Fr. 30.– / Fr. 25.–
Tarif étudiant, chômeur : Fr. 18.– / Fr. 15.–
Ce spectacle intègre la théma
Secrets et mensonges du Théâtre Forum Meyrin,
présentée en pages 114-115.
____________________________
Tableau d’une famille américaine se déchirant et
se débattant dans les remous de la crise de 1929,
La ménagerie de verre, premier succès de Tennessee Williams, présente Tom Wingfield, un
narrateur double de l’auteur, qui se souvient du
petit appartement de Saint-Louis, sept ans plus
tôt. Son récit anime les fantômes de sa mère et
d’une sœur si fragile, la jeune fille en verre.
Dans l’espace clos de la mémoire, le passé
retrouve l’éclat du présent, avec son lot d’omissions, d’exagérations, de poésie. Les personnages, serrés les uns contre les autres, manquent d’air et d’avenir. Tom est retenu dans sa
famille par une forme d’obligation morale. Il est
l’homme de la maison, celui dont les épaules
supportent le poids écrasant de l’absence du
père. Mais il passe ses soirées à aller au cinéma
et ne pense qu’à prendre le large. Il souhaite
devenir écrivain. Sa sœur Laura, boiteuse et
neurasthénique, repliée sur elle-même, chérit
comme unique trésor une ménagerie d’animaux miniatures en verre. Amanda, leur mère,
qui ne pense qu’à marier sa fille, exaspère Tom.
Elle le pousse à inviter un collègue de travail
dans l’espoir que celui-ci tombe amoureux de
Laura. Ce sera Jim O’Connor, un jeune homme
ordinaire…
Parmi les animaux de verre, Laura accorde sa
préférence à une licorne : un être onirique, captif du monde de l’enfance. Hors des rêves, on ne
rencontre guère que des licornes de bois, sur
des manèges: prisonnières – comme Laura entre
les délires nostalgiques de sa mère et les démis-
sions de son frère – condamnées à une ronde
répétitive. Sans cette corne au milieu du front,
les licornes ne seraient en rien différentes des
autres chevaux. Cette excroissance et cette raideur inopportune, Laura les porte à la jambe.
Mais la jeune fille a tant grossi l’image de son
infirmité que tout se passe comme si elle la portait au milieu de la figure.
Dans cette comédie dramatique cruelle, une
profonde solitude renvoie chacun à lui-même,
perdu dans la jungle d’une ville industrielle ellemême en perdition.
Le premier succès
Né dans le Mississippi, de son vrai nom Thomas
Lanier, Tennessee Williams passe son enfance à
Memphis dans la maison de son grand-père,
un ancien pasteur. Il écrit sa première pièce,
Bataille d’anges, en 1940. Après avoir exercé
divers métiers, dont celui de scénariste à Hollywood, il s’impose à Broadway avec La ménagerie
de verre. Dès lors, Tennessee Williams poursuit
une carrière dramatique, brillante et féconde.
Ses récits sont souvent situés dans son sud natal.
Il met en scène des personnages psychologiquement fragiles qui tentent désespérément de
rompre leur solitude dans un monde cruel où les
hommes sont les victimes impuissantes d’un système social impitoyable et périmé. Incompréhension, frustration, culpabilité, homosexualité
et névroses forment la trame de son univers. La
chatte sur un toit brûlant (1955), comme grand
nombre d’œuvres de Williams, doit sa renommée au cinéma plus encore qu’au théâtre,
notamment grâce à la qualité de ses interprètes
(Elizabeth Taylor et Paul Newman). Dans Un
— 124 —
tramway nommé désir, ce sont Marlon Brando
et Vivien Leigh qui, à l’écran, donnent vie aux
personnages principaux.
Quelque chose en Tom de Tennessee
La ménagerie de verre est la pièce la plus autobiographique de Tennessee Williams. Elle émane
d’un scénario initialement écrit pour la MGM.
Les principaux ingrédients de ce scénario sont
eux-mêmes issus d’une nouvelle de Williams. La
première de la pièce eut lieu à Chicago, en 1944,
où elle fut acclamée par la critique. En 1945,
elle remporta le New York Drama Critics Circle
Award. La performance de Laurette Taylor, incarnant Amanda – la mère trop aimante – sera qualifiée de moment incomparable dans l’histoire
de l’art dramatique américain. Le documentaire
Broadway : l’âge d’or par les légendes qui y étaient
paru en 2004, lui rend un vibrant hommage.
Les similitudes entre la pièce et la vie de l’auteur
sont nombreuses. On a souvent vu en Tom le
double de Tennessee Williams (rappelons que
son vrai prénom était Thomas) ; en Amanda, la
propre mère de l’auteur ; et en Laura (dont le
surnom dans le texte original est Blue Roses, surnom hérité d’une attaque de pleurésie – pleurosis en anglais) la sœur de l’auteur, Rose, dont on
suppose qu’elle a souffert d’une maladie mentale avant d’avoir subi une lobotomie. On a soutenu aussi que le personnage de Laura serait inspiré de l’auteur lui-même, se référant à sa nature
introvertie et à son obsession du passé.
Sylvain De Marco
LA MÉNAGERIE DE VERRE
L’ÉCRAN INATTENDU
Comment ouvrir le sens d’une œuvre
«La narration de la fable est entrecoupée de projections qui
ne surgissent pas pour verrouiller le sens mais au contraire pour
le laisser grand ouvert.»
Jacques Nichet
Au cours de la didascalie qui introduit la pièce,
le poète annonce déjà la couleur : « La pièce se
passe dans la mémoire. La mémoire se permet
beaucoup de licences poétiques. Elle omet
certains détails ; d’autres sont exagérés, selon
la valeur émotionnelle des souvenirs, car la
mémoire a son siège essentiellement dans le
cœur. L’intérieur de l’appartement est donc
plutôt obscur et poétique. »
«Seul ce qui est animé par l’affection demeure
dans la mémoire», avait déjà écrit Emerson. La
pièce se construit sur les souvenirs d’une
«famille au bord de la crise de nerfs» appauvrie
par la violence de la crise économique : la mère,
la fille et le fils s’entassent dans un appartement trop étroit d’un quartier surpeuplé de
Saint-Louis. Ils surnagent dans la tourmente des
années trente.
Le mur des légendes
Aux souvenirs de Saint-Louis s’ajoutent ceux
d’Hollywood : la réécriture de la nouvelle, le
refus des producteurs, le regret d’un film qui ne
sera jamais tourné me semblent hanter l’œuvre.
Ainsi, au détour d’une didascalie au cours de la
première scène, nous sommes stupéfaits de
découvrir un écran que rien n’annonce, que rien
n’explique. Tennessee a pourtant déjà longuement précisé son dispositif scénique, expliqué
ses effets de transparence à travers deux rideaux
successifs : le regard du spectateur entre ainsi
progressivement à l’intérieur de l’appartement
des Wingfield. Mais l’auteur oublie d’indiquer
où se trouve son énigmatique écran. Chacun est
renvoyé à son imagination.
Pour ma part, je le vois se confondre avec le mur
du fond de l’appartement. Les personnages se
retrouvent dos au mur, un mur d’images et de
légendes bien plus grandes qu’eux. Cet écran
tombé du ciel écrase toute tentation ou tentative naturaliste. Ce signe géant rappelle tout au
long de la représentation que la pièce, loin d’être
réaliste, «se passe dans la mémoire». Cet objet
insolite dans un appartement s’apparente aux
« licences poétiques » que « la mémoire se permet». Il rend l’appartement «poétique».
Pied de nez au naturalisme
La projection de «légendes» crée un double jeu
avec la parole des acteurs. Tandis qu’ils interprètent leur rôle, une légende peut, avec une
certaine pointe d’ironie, n’être que la reprise
d’une expression ou d’une phrase entière du
texte : elle attire l’attention de toute la salle sur
ce qui vient d’être dit. Dans la scène 6, par exemple, Amanda habille sa fille, le galant approche,
c’est le grand soir ! Amanda : « Toutes les jolies
filles sont des pièges, de jolis pièges, et c’est
ce que les hommes attendent d’elles ! » Légende
à l’écran : « DE JOLIS PIÈGES ». La projection se
saisit de l’expression et la placarde avec d’immenses lettres ! Amanda est prise au piège : elle
n’endimanche Laura que pour mieux piéger Jim,
qui sera nécessairement… consentant ! L’écran
souligne la cruauté comique de la situation.
Voici un autre exemple, extrait de la même
page, quelques lignes plus loin : «Laura tourne
— 126 —
lentement sur elle-même, l’air perplexe.» Légende
à l’écran : « JE VOUS PRÉSENTE MA SŒUR : QUE
LES VIOLONS CHANTENT SA GLOIRE ! » Musique.
Amanda profite de cette musique pour réussir
une entrée spectaculaire, habillée d’une robe
fanée et démodée, sa robe de jeune fille « ressuscitée» d’une malle ! Soudain, elle détourne la
légende à son avantage: aussi jeune que sa fille,
elle mérite la même gloire qu’elle. La mère par
son costume est instituée en sœur aînée, rivale
de sa cadette.
Parfois il suffit d’un mot pour changer brutalement le sens d’une légende. Sur l’écran, par
exemple, se projette le titre d’une musique de
danse : « ALL THE WORLD IS WAITING FOR THE
SUNRISE». Paradoxalement, sur cet air qui appelle
la lumière et l’espoir, Tom évoque l’inéluctable
approche de la guerre et termine par un brutal
rappel du titre, «légèrement» modifié : «Le monde
entier attendait les bombardements».
Ces légendes servent également de titres qui
annoncent un changement de séquence ou qui
soulignent un instant du texte. Ces projections
contribuent ainsi à fragmenter le récit, à orienter l’attention du public ou à commenter ironiquement ce qui se joue au pied de l’écran. Ces
«interstices merveilleux», pied de nez au naturalisme, délivrent le théâtre de son illusionnisme ! La narration de la fable est entrecoupée
de projections qui ne surgissent pas pour verrouiller le sens mais au contraire pour le laisser
grand ouvert !
Jacques Nichet
Propos retranscrits par Sylvain De Marco,
tirés de la revue Alternatives théâtrales, n° 101.
LA MÉNAGERIE DE VERRE
UN RENDEZ-VOUS MANQUÉ ?
Des conséquences de la traduction dans la réception
du théâtre étranger
«Le traducteur fait passer, il passe. Il faudra repasser.»
Jean-Loup Rivière
Tennessee Williams – auteur prolifique, adulé
aux États-Unis mais aussi un peu partout dans le
monde – fut et est encore souvent boudé par la
critique. Pour l’opinion publique, il n’est l’auteur
que de pièces rendues pour la plupart célèbres
grâce au cinéma et à ses interprètes : Marlon
Brando, Vivien Leigh, Paul Newman, Anna Magnani ou encore Elizabeth Taylor. Pour les gens
de la profession, c’est un auteur naturaliste écrivant des drames psychologiques à sensation.
Tandis qu’aux États-Unis, pas moins de trois
périodiques et deux festivals 1 sont entièrement
dédiés à cet auteur, la France ne commence
qu’à peine à s’intéresser à son œuvre qui compte
plus de septante pièces, des scripts, nouvelles,
romans et poèmes, un livret d’opéra et une autobiographie. En France, une seule pièce de Tennessee Williams fut montée dans le théâtre institutionnel, La nuit de l’iguane, en 1991, dans
une mise en scène de Brigitte Jaques à l’intention de la Comédie-Française.
La ménagerie de verre fut portée à la scène pour
la première fois en France à Paris en 1947, au
théâtre du Vieux-Colombier, dans une mise en
scène de Claude Maritz (Compagnie de Genève).
La pièce traduite et adaptée par Marcel Duhamel
est la version publiée encore aujourd’hui par les
éditions Robert Laffont. Cette création arrive à
un moment où, suite au grand nombre de pièces
américaines souvent médiocres représentées
depuis l’après-guerre, on parle d’« invasion » du
théâtre américain en France. Parallèlement, à
New York, a lieu la première d’Un tramway nommé
désir mis en scène par Elia Kazan avec un Marlon
Brando encore inconnu dans le rôle de Stanley
Kowalski. C’est un raz-de-marée, non seulement
aux États-Unis, mais aussi un peu partout en
Europe : à Londres, Sir Laurence Olivier s’empare
immédiatement des droits, tout comme Visconti
à Rome, ou Bergman à Stockholm. La France va
réagir différemment.
Un théâtre essoufflé
Tandis que certains journalistes dépités s’exclament : « Encore une pièce américaine ! », d’autres, comme Roger Dornès dans Le spectateur,
vont plus loin en écrivant : «Non, je ne suis pas
xénophobe. Je ne m’élève pas a priori contre
l’envahissement de nos scènes par le théâtre
étranger, à condition que celui-ci rende un son
neuf, nous apporte une forme nouvelle de la
pensée ou de l’expression dramatique. (…) Mais
si d’outre-Atlantique nous vient, comme le dernier cri de la nouveauté, un théâtre en retard
sur le nôtre de cinquante ans – et c’est le cas
pour La ménagerie de verre – alors, là, nous ne
sommes pas d’accord.» 2
On reproche alors principalement à cette pièce
d’être fragmentée à la manière d’un film documentaire, d’employer un récitant, et son manque
d’action dramatique. La plupart des critiques
trouvent le résultat désuet et ennuyeux. En
revanche, l’adaptation de Marcel Duhamel n’est
jamais remise en cause et se voit, au contraire,
saluée par de nombreux journalistes. Pourtant,
c’est bien dans les transformations importantes
qu’il a fait subir au texte et dans la langue qu’il
emploie que l’on peut trouver des éléments de
réponse à cette mauvaise réception.
— 128 —
Certes, cette pièce semble avoir la même structure dramatique qu’une autre pièce américaine
montée l’année précédente par le même metteur en scène, Notre petite ville de Thornton
Wilder. Mais contrairement à cet auteur, Tennessee Williams dépare une écriture purement
naturaliste pour faire coïncider l’expressionnisme, le réalisme et le symbolisme dans une
forme qu’il nomme le plastic theatre. Niant
toute idée de progrès dans la marche de l’histoire, il ne montre dans ses pièces aucune action
dramatique, mais décrit un mouvement, le mouvement de vie, par essence fragmenté, dans
lequel les éléments naturalistes ne servent pas
à « faire vrai » mais sont nécessaires car retranscrits par le souvenir, ils prennent une valeur
symbolique.
Traduire et franciser
Dans l’adaptation de Duhamel, toutes les références historiques, géographiques et culturelles
sont omises même quand elles ont trait à l’histoire européenne relativement récente. La pièce
peu à peu ressemble à un pays de nulle part,
dénué de tout contexte politique, social et géographique. Les noms propres sont par ailleurs
systématiquement transformés et, il faut bien
le souligner, de manière tout à fait arbitraire
comme lorsque Greta Garbo devient Marlene
Dietrich ou Clark Gable, Gary Cooper.
Non seulement le contexte est édulcoré au
point de n’être plus rien nulle part, mais la
langue et ses nuances sociales et régionales
subissent un traitement similaire. Le texte de
Duhamel est «francisé» (transformant le «mal»
écrit en «bien» écrit) et homogénéisé. Cela passe
Le 4 juillet, plage de Santa Monica, Ralph Crane, 1950
par l’élimination pure et simple des répétitions
propres à la langue anglaise, mais impropres au
français, par la transformation du sens des
chansons, par le nivellement de la langue et par
l’élimination de tout langage trop argotique,
populaire ou vulgaire.
Or, une des particularités du théâtre de Tennessee Williams réside dans l’attachement de l’auteur à transcrire les niveaux de langue et les
régionalismes et à jouer de leur confrontation,
celle-ci étant parfois plus porteuse de sens et de
conséquences que ce qui se dit entre les personnages. Comment mieux comprendre le désœuvrement des Wingfield (nommés « les Gordon »
dans la version de Duhamel) qu’en entendant
Amanda s’adresser dans un très bon anglais à un
Jim ne s’exprimant qu’en argot du milieu ouvrier
du Midwest?
Cette adaptation est symptomatique d’une
époque qui voit le renouveau de la traduction
théâtrale. Le devoir de fidélité quasi académique
au texte source a montré son inadéquation
avec la scène, et l’on ne peut plus alors parler
d’hégémonie du théâtre français. Grâce à Jean
Vilar et au Cartel, un grand nombre d’auteurs
étrangers sont joués sur la scène française –
impliquant des traductions non plus vouées à la
seule lecture mais également à l’incarnation.
Les pièces sont alors traduites plus ou moins
fidèlement et surtout « adaptées » à l’époque
contemporaine et au «bon goût français».
cependant elle souffre d’un nivellement symbolique et stylistique qui rend caduc le projet poétique de Tennessee Williams. Il n’est alors pas
étonnant que l’on n’ait pas compris les raisons
de son succès outre-Atlantique, et que la pièce
ait été reléguée au rang d’œuvre mineure ou
encore de pièce de boulevard.
1 Il s’agit, pour les revues, du Tennessee Williams
Annual Review, du Mississippi Quarterly
(automne 95) et du Louisiana Literature
(automne 97), et pour les festivals,
de The Clarksdale Tennessee Williams Festival
et de The New Orleans Tennessee Williams
Festival.
La ménagerie de verre est à ce jour la pièce de
Tennessee Williams la plus jouée en France. On
n’en dénombre pas moins de cinq traductions
ou plutôt «adaptations», car seule la dernière,
celle de Jean-Michel Déprats, se revendique
comme traduction. Jusqu’en 2000, la traduction
officielle fut celle de Marcel Duhamel. Si l’on
pouvait en 1947 comprendre que le manque de
recul vis-à-vis de l’auteur américain était en partie responsable du mauvais accueil de l’adaptation de Duhamel, force est de constater que le
rendez-vous avec ce théâtre a été manqué et
qu’il est aujourd’hui peut-être trop tard – en partie à cause du formidable succès cinématographique de cet auteur – pour faire changer cet
état d’esprit. La traduction théâtrale est un
métier à haut risque, et pour reprendre la phrase
célèbre de Jean-Loup Rivière, le traducteur «fait
passer, il passe. Il faudra repasser.» 3
3 Jean-Loup Rivière, «Discrétion et fraternité»,
2 Roger Dornès, «La ménagerie de verre au
Vieux-Colombier», Le spectateur, 6 avril 1947.
Delphine de Stoutz
Lire aussi pages 118-119 et 150-151.
L’adaptation de Marcel Duhamel est relativement fidèle (il n’y a pas d’altération explicite des
motivations, de l’intrigue ni des personnages) ;
— 129 —
in Traduire le théâtre, Paris, Les Cahiers de
la Comédie-Française, n° 2, hiver 1992, p. 81.
PINOCCHIO
Théâtre / Tout public dès 7 ans
Du mardi 26 au vendredi 29 janvier à 19h00
Au Théâtre Forum Meyrin
Durée 1h15
Texte et mise en scène Joël Pommerat (France)
Interprétation Hervé Blanc / Jean-Pierre Costanziello / Daniel Dubois / Anne Rotger / Maya Vignando
Collaboration artistique Philippe Carbonneaux Scénographie Éric Soyer Lumières Éric Soyer
Assisté de Renaud Fouquet Mannequins Fabienne Killy Assistée de Laurence Fourmond
Costumière Marie-Hélène Bouvet Assistée de Élisabeth Cerqueira Réalisation du costume de la fée Jean-Michel Angays
Construction du décor Atelier de construction du CDN de Caen et Ateliers Berthier Musique Antonin Leymarie
Enregistrée par Shan Lefrant Soubassophone, tuba Brice Pichard Trompette Adrien Amey Sax Gabriel Levasseur
Accordéon Fidel Fourneyron Trombone Scaba Palotai Guitare Rémi Sciuto Vents Scies musicales Mathieu Ha
Voix, compositions musicales Antonin Leymarie Création son François et Grégoire Leymarie / Yann Priest
Production Compagnie Louis Brouillard Coproduction L’Espace Malraux de Chambéry / Le Centre dramatique de Tours /
Théâtre de Villefranche / La Ferme de Bel Ébat à Guyancourt / Théâtre de Brétigny / Le Gallia – Théâtre de Saintes /
Théâtre national de Bordeaux / Les Salins de Martigues / Théâtre du Gymnase – Marseille / CNCDC – Châteauvallon /
Grenoble – Maison de la culture Mc2 / Scène nationale de Cavaillon / Automne en Normandie /
Centre dramatique national de Normandie / Comédie de Caen
Qu’il travaille pour les enfants ou pour les adultes
avec sa compagnie Louis Brouillard, c’est toujours avec la même exigence que Joël Pommerat se lance dans la création de ses spectacles.
Son Pinocchio fascine et trouble. Sur scène, des
comédiens à la forte présence, des mannequins,
des masques, des personnages d’échelles différentes, des voilages, des jeux d’ombres et de
lumières, des sons et des musiques font la part
belle au familier, à l’étrange, à l’imaginaire.
Autour des aventures du célèbre pantin de
bois sculpté dans un tronc d’arbre par un vieil
homme pauvre et généreux, Pommerat invite
chacun à s’interroger sur la complexité de la
nature humaine.
Le théâtre politique de l’enfance
Après avoir écrit et mis en scène sa propre version du Petit chaperon rouge, Joël Pommerat a
eu le désir de se lancer dans la création d’un
nouveau spectacle destiné aux enfants. Pour en
choisir le sujet, il est parti des préalables suivants: «travailler sur une histoire très connue,
que les enfants se sont déjà appropriée, travailler sur des personnages très identifiés, très présents dans l’imaginaire de chacun. » Pourquoi
Les aventures de Pinocchio de Carlo Collodi se
sont-elles finalement imposées à lui ? « Parce
que dans mon enfance, j’avais été très touché
par l’histoire de cette marionnette. Parce qu’au
seuil de mon adolescence aussi, j’avais été très
marqué par le film réalisé par Comencini à partir de l’œuvre de Collodi, une vraie réussite tant
sur le plan poétique que sur le plan de la peinture sociale. » L’un des enjeux pour l’auteur et
metteur en scène était de pouvoir à son tour
«combiner le fantastique et le réalisme social»,
«proposer un théâtre politique pour les enfants».
«Qu’est-ce qu’un être humain ?
C’est du biologique et de la
légende. C’est de la chair et de
l’imaginaire. »
Joël Pommerat, Joël Pommerat, troubles,
Actes Sud, 2009
Au fil des répétitions, Pommerat réalise que des
résonances plus intimes existent entre sa propre histoire et celle de Pinocchio. Il raconte :
«Vers l’âge de quatre ou cinq ans, avec un ami
de mon âge, j’ai quitté le périmètre de jeu autorisé pour suivre les artistes d’un cirque qui
venaient de faire une parade en annonçant par
haut-parleur les représentations à venir dans
l’un des coins de la cité. Fascinés, nous sommes
partis assez loin. Je savais alors que je faisais là
quelque chose de non ordinaire. Ma mère s’est
mortellement inquiétée. J’ai le souvenir de la
grande colère qui était la sienne lorsqu’elle m’a
retrouvé. J’ai le souvenir aussi d’un vrai traumatisme pour l’enfant que j’étais et qui ne savait
pas comment il avait pu perdre notion et
conscience. Je me souviens de m’être dit que
j’avais perdu la confiance de ma mère, son
— 130 —
Plein tarif : Fr. 20.– / Tarif réduit : Fr. 17.–
Tarif étudiant, chômeur, enfant : Fr. 10.–
Ce spectacle intègre l’abonnement commun
(lire aussi Si no 5, pages 4-5).
Ce spectacle intègre la théma Secrets et
mensonges du Théâtre Forum Meyrin, présentée
en pages 114-115.
Accueil réalisé en collaboration
avec l’Association des Habitants de
la Ville de Meyrin (AHVM)
affection, et de m’être demandé ce qu’il allait
falloir que je fasse pour être digne de les retrouver à nouveau. Je m’étais posé des questions sur
la sagesse, sur la désobéissance, sur le cadre et
ses limites, sur la liberté tout à la fois attrayante
et inquiétante. » L’anecdote, riche des sensations de l’enfance, permet de mettre en exergue
certains des thèmes qui, dans l’histoire de
Pinocchio, ont retenu l’attention de l’auteur et
metteur en scène : elle dit «la fascination pour
la fantaisie, pour le spectacle, pour le cirque».
La dramatisation du mensonge
Comment définir le personnage de Pinocchio ?
Comment le représenter ? En se lançant dans la
réécriture pour la scène des aventures du pantin de bois, Pommerat dit avoir eu envie de «travailler théâtralement sur la bêtise du personnage » : « [t]el qu’il a été écrit d’une part par
Collodi et tel qu’il a été dessiné d’autre part par
les premiers illustrateurs, Pinocchio est insupportablement bête, arrogant, méprisant, antipathique et moche. C’est pourquoi on rit lorsqu’il
se fait avoir. Cet aspect-là est totalement faussé
et défiguré dans la version de Walt Disney :
Pinocchio est très gentil, présente un côté poupin si bien qu’on s’attendrit sur lui.» Dans le film
de Comencini, Pinocchio devient rapidement
un petit garçon, mais à chaque fois qu’il ment, il
se transforme en marionnette. «La thématique
du mensonge est ainsi dramatisée par ce changement de statut », fait remarquer Pommerat.
Chez Collodi, Pinocchio demeure un pantin
jusqu’à la fin de l’histoire. Au milieu de ses aventures, il se voit offrir par la fée la possibilité de
devenir un vrai petit garçon. Mais préférant
finalement suivre l’un de ses amis, il part pour le
pays de l’Amusement, retardant ainsi «son accession à l’humanité».
Pommerat a longuement réfléchi sur les options
qui s’offraient à lui pour figurer Pinocchio autrement que par une marionnette : «Confier l’interprétation de Pinocchio à une comédienne plutôt qu’à un comédien n’est pas déterminant,
mais me permettait d’aller davantage vers l’enfance tout en accomplissant un travail sur le
corps, le costume, la voix, la présence. Dans le
but de sortir des clichés ou des lieux communs,
j’ai été inspiré par l’usage populaire que l’on
peut faire aujourd’hui du mot « pantin ». En
France, les adolescents, notamment, traitent de
« pantin », de « bouffon » ou de « clown » toute
personne qu’ils ne prennent pas au sérieux ou
qu’ils considèrent comme un sous-être. C’est
dans cette direction que j’ai orienté la recherche.
J’ai travaillé de manière très sophistiquée sur le
plan du maquillage afin que Pinocchio soit
perçu comme étant ridicule, risible ou comique
malgré lui sur le plan de la norme sociale. Sur
scène, quelque chose de la marionnette, du personnage de fiction est suggéré. Et une nette
rupture est ménagée lors de la transformation
finale du pantin de bois en vrai petit garçon.»
Fiction et vérité
Pommerat écrit une version personnelle de
Pinocchio dans laquelle il entremêle mode
épique et mode dramatique, récit et dialogue.
L’un des personnages de la pièce est le Présentateur, substitut théâtral de la voix du narrateur. C’est lui qui introduit, raconte et com-
mente les aventures du pantin de bois naïf et
cruel. Sur scène, énoncée par un homme qui
semble tenir aussi bien du bateleur que du brigand, cette adresse inaugurale au public résonne
comme un paradoxal éloge de la vérité et des
pouvoirs de la fiction. Ne qualifie-t-il pas Les
aventures de Pinocchio d’« histoire extraordinaire et véridique à la fois » ? N’affirme-t-il pas
que « [r]ien n’est plus important que de vivre
dans la vérité » ? Pommerat éclaire ainsi ce
début : «Faire l’éloge de la fiction tout en garantissant le principe de la vérité est une vraie
gageure. Pour moi, mettre un tel discours dans
la bouche d’un personnage peu rassurant, c’est
une façon de demander tout simplement au
spectateur d’avoir une vigilance particulière sur
des notions telles que la vérité ou la réalité.»
Pinocchio peut-il être considéré comme un récit
initiatique invitant chacun à prendre sa place
dans le monde? Pour répondre à cette question,
Pommerat commente la structure de l’œuvre
originale et précise la position qui est la sienne :
«C’est une histoire avec des péripéties, un chemin de croix, une série d’aventures qui modifient profondément le personnage, qui le font
aller en avant, revenir en arrière pour finalement se transformer. Le pantin devient un être
humain, au sens premier du terme, mais aussi
au sens figuré du terme. Qu’est-ce que grandir ?
devenir adulte ? être un citoyen, peut-être
aussi ? Telles sont les amorces de questions que
posent Les aventures de Pinocchio. J’essaie d’être
à l’écoute de ces interrogations, de la façon dont
elles sont mises en jeu dans les situations créées
par Collodi, et de voir comment je peux les faire
— 131 —
résonner. Mais je ne suis pas moi-même un
moraliste. Je suis quelqu’un qui écoute ce que
les situations génèrent comme autres questions et j’essaie de faire entendre ces questions
au mieux.»
Propos recueillis par Rita Freda
À noter la programmation à Meyrin
de deux autres adaptations de Pinocchio,
par Antonio Saura (lire pages 116-117)
et Luigi Comencini (lire pages 140-141).
IRRÉGULIÈRE
Spectacle musical
Mardi 2 février à 20h30
De Norah Krief et Frédéric Fresson (France)
D’après les Sonnets et Élégies de Louise Labé
Au Théâtre Forum Meyrin
Durée 1h05
Chant et interprétation Norah Krief Clavier Frédéric Fresson Percussion, basse Daniel Largent
Violon, saxophone, guitare Mathias Lévy Textes Louise Labé / Pascal Collin Composition musicale Frédéric Fresson
Arrangements Daniel Largent / Mathias Lévy Mise en scène Michel Didym / Pascal Collin
Assistante à la création Arzela Prunennec Lumière Paul Baureilles / Johan Olivier Son Olivier Gascoin
Production Maison de la culture de Bourges – Scène nationale Coproduction L’Allan – Scène nationale de Montbéliard
Avec le soutien de la Mousson d’été – Lorraine / les Bains-Douches de Lignières pour la résidence de création /
la Région Centre Accueil en coréalisation avec les Bains-Douches de Lignières
«Je l’imagine Elle a les yeux noisette / Je les aurais
pour moi bleus préférés / Mais ses cheveux sont
roux comme vous êtes / Ô mes cheveux adorés et
dorés », écrit Louis Aragon dans un poème que lui
inspirèrent les amours avec Olivier de Magny de
la légendaire et mystérieuse Louise Labé. C’est
à cette poétesse lyonnaise – féministe avant
l’heure et précurseur de la femme moderne et
libérée –, à ces mots empreints de passion et
d’amour que Norah Krief prête sa voix, son souffle et sa sensualité dans Irrégulière.
Fille et femme de riches cordiers, Louise Labé,
«la belle cordière», a bénéficié d’une éducation
moderne inspirée par les idées italiennes.
Femme de lettres, surtout poétesse, ravissante
joueuse de luth, elle sait le latin, l’italien, l’espagnol ; excellente cavalière, elle s’est initiée aux
métiers des armes et participe à des tournois.
En 1555, elle publie son œuvre – très mince en
volume (662 vers): un Débat de folie et d’amour
en prose, trois élégies et vingt-quatre sonnets –
lesquels expriment les tourments féminins de
la passion, le tout précédé d’une épître dédicatoire aux accents féministes. Elle est l’une des
premières à revendiquer le droit des femmes à
la création littéraire et à l’exercice intellectuel :
«Ayant passé une partie de ma jeunesse à l’exercice de la musique, (…) et ne pouvant de moimême satisfaire au bon vouloir que je porte à
notre sexe, de le voir non en beauté seulement
mais en science et vertu passer ou égaler les
hommes, je ne puis faire autre chose que prier
les vertueuses Dames d’élever un peu leurs
esprits par-dessus leurs quenouilles et fuseaux.
(…) Outre la réputation que notre sexe en recevra, nous aurons valu au public que les hommes
mettront plus de peine et d’étude aux sciences
vertueuses, de peur qu’ils n’aient honte de voir
les précéder celles desquelles ils ont prétendu
être toujours supérieurs quasi en tout.» (Lettre
à Clémence de Bourges)
Avec Maurice Scève, Louise Labé appartient au
groupe dit de «l’école lyonnaise», bien que ces
poètes n’aient jamais constitué une école au
sens où la Pléiade en était une. La lecture de ses
œuvres confirme qu’elle a collaboré avec ses
contemporains, notamment Olivier de Magny
et Jacques Pelletier du Mans, autour de l’atelier
de l’imprimeur Jean de Tournes. Dans la lignée
de Marie de France, de Christine de Pisan, avec
Marguerite de Navarre et Pernette Du Guillet,
Louise Labé donne le point de vue féminin sur
l’amour.
De Louise à Norah, d’hier à aujourd’hui
Elle, Norah Krief, fut une Cordélia bouleversante tout autant qu’un fou irrésistible et facétieux dans la mise en scène du Roi Lear de JeanFrançois Sivadier, jouée dans la cour d’honneur
d’Avignon en 2007 et présentée au Bâtiment des
Forces Motrices, dans le cadre de la saison 20082009 du Théâtre Forum Meyrin. Toute la critique
a salué le génie de cette comédienne, déjà
récompensée par un Molière en 2005, pour son
rôle d’Hedda Gabler dans la mise en scène d’Éric
Lacascade. C’est aujourd’hui en chanteuse envoû— 132 —
Plein tarif : Fr. 35.– / Fr. 28.–
Tarif réduit : Fr. 25.– / Fr. 22.–
Tarif étudiant, chômeur : Fr. 15.–
Ce spectacle intègre l’abonnement commun
(lire aussi Si no 5, pages 4-5).
____________________________
tante qu’elle vient à la rencontre du public meyrinois. Elle propose avec le musicien et compositeur Frédéric Fresson, sous la plume de Pascal
Collin et le regard du metteur en scène Michel
Didym, un spectacle un peu inclassable qui fait
se rencontrer la poésie et le chant.
C’est du théâtre. C’est de la chanson. C’est surtout de l’amour : celui inscrit dans la langue de
Louise Labé dont l’audace, dans l’expression du
désir, est encore un scandale. Norah Krief plonge,
se laisse emporter par cette œuvre miraculeuse
d’originalité, de sensualité et de sincérité.
Œuvre dans laquelle l’âme amoureuse oscille
de l’enchantement d’un amour parfait à l’impossibilité de son existence. Norah ne joue pas
Louise, elle est cette femme amoureuse aux
multiples facettes, à la fois tendre, séductrice et
comblée jusqu’à l’orgasme. Cette voix, ce chant,
ce souffle initient alors une parole inédite : une
autre manière d’affirmer, contre toute bienséance, le désir affranchi d’une femme d’aujourd’hui. Dans les sonnets comme dans les élégies se livre le journal intime d’une femme qui
veut vivre pleinement, s’accomplir, s’épanouir
et jouir. Sa voix, cette volonté, se transmettent
ici par le chant, d’hier à aujourd’hui, de Louise à
Norah…
Ludivine Oberholzer
VOUS N’IMAGINEZ PAS
TOUT CE QUE LA PUB SAIT
FAIRE POUR VOUS !
Café des sciences
Jeudi 4 février de 18h30 à 20h00
Au Théâtre Forum Meyrin
Dans les foyers / Entrée libre
Conception et réalisation Association Euroscience-Léman
Avec le concours et le soutien de La Passerelle de l’UNIGE
En collaboration avec le Théâtre Forum Meyrin
____________________________
Intervenants Benoît Lecat, Faculté des sciences économiques et sociales, UNIGE ;
Brigitte Müller, École des Hautes Études Commerciales, UNIL
Modérateur Emmanuel Gripon, journaliste
C’est dans le cadre de la théma Secrets et mensonges du Théâtre Forum Meyrin qu’interviendra ce moment d’échanges libres conçu en collaboration avec l’association Euroscience- Léman
et La Passerelle de l’UNIGE. Invité aux côtés de
Brigitte Müller, Benoît Lecat défriche, pour nous,
le sujet.
Situons d’abord notre interlocuteur ! Docteur ès
sciences de gestion de l’Université Robert Schuman de Strasbourg et des Fucam (à Mons, en
Belgique), Benoît Lecat est maître-assistant à
l’Université de Genève. Il est, en outre, actuellement directeur du Master of Science in Business Administration and Induction Program.
Ses recherches et publications portent sur le
marketing territorial, bancaire, celui des produits de luxe, des nouvelles technologies, ainsi
que sur la publicité et la distribution.
Entretien
Sylvain De Marco : Monsieur Lecat, le public
meyrinois sera bientôt votre hôte à l’occasion
d’un café des sciences au titre évocateur. Quel
est votre premier souvenir de publicité ?
Benoît Lecat : C’était dans les années 1980, la
publicité d’un grand groupe pour la lessive
Robijn – avec un nounours comme lien émotif
évocateur de la douceur des lessives.
SDM : Comme Cajoline ou Minidou…
BL : Oui, ces produits portent plusieurs noms
selon les pays ou les langues.
Ce Café des sciences intègre la théma
Secrets et mensonges du Théâtre Forum Meyrin,
présentée en pages 114-115.
____________________________
SDM : Quel âge aviez-vous ?
BL : Cinq ou six ans. Vous m’avez demandé mon
premier souvenir !
SDM : Avez-vous eu vent de la polémique autour
de la très récente campagne d’affichage qui a
heurté les groupements de personnes handicapées au Tessin1 ?
BL : Non, pas du tout. Il faut avouer que je suis
davantage l’actualité française. Or, en France,
en ce moment, le sujet polémique, c’est ce père
qui a mis en ligne les images de sa fille très handicapée. Elle est filmée par une webcam vingtquatre heures sur vingt-quatre. Tout le monde
se demande si c’est bien ou pas.
SDM : Et c’est bien ?
BL : C’est très personnel : il y a les gens pour et les
gens contre.
SDM : Et vous, très personnellement ?
BL : Je suis contre.
SDM : Quand la publicité va-t-elle trop loin, selon
vous ?
BL : Elle va trop loin quand quelqu’un est heurté.
Pas de bonne pub sans bon produit
SDM : Votre intervention s’inscrit dans une
théma consacrée au mensonge : dès lors, les
participants pourraient légitimement s’attendre à ce que vous évoquiez les aspects négatifs
de la publicité, ses dérives, la manipulation qui
la sous-tend parfois…
BL : Je crois qu’il existe toujours une confusion
— 134 —
concernant le marketing. Le marketing, ce n’est
pas vendre n’importe quoi à n’importe qui. Si le
produit ne répond pas à un besoin, il est impossible de le vendre. Il faut que tel produit soit plus
utile et meilleur que ses concurrents. S’il fut une
époque où il n’y avait pas une grande concurrence, aujourd’hui, les marchés sont saturés.
Aussi les fabricants doivent-ils se distinguer plus
que jamais : notamment en étant plus compétents que leurs concurrents en matière d’innovation, et en travaillant à la notoriété de leur
marque. Par ailleurs, il convient de distinguer le
travail des marketeurs de celui des publicistes. (…)
SDM : N’avez-vous pas le sentiment que chez les
grands distributeurs, on rencontre une infinité
de produits portant la mention nouveau, alors
qu’il semble que la nouveauté se réduise à l’emballage ?
BL : Ce sont alors les associations de consommateurs qui devraient réagir. Plus fondamentalement, je vais probablement expliquer aux participants qu’en matière de publicité pour les
produits, il faut distinguer les produits de masse
– comme par exemple la lessive – et les produits
à forte implication.
SDM : Qu’entendez-vous par forte implication ?
BL : Ce sont les produits qui demandent une
forte implication du consommateur, c’est-à-dire
un gros investissement financier. Pour ces produits, je vous assure que les gens ne sont pas
dupes : ils étudient les propositions des concurrents avant de faire leur choix. Nous allons sans
doute évoquer aussi les notions de notoriété
spontanée et de notoriété assistée, de stimula-
tion consciente – ce que fait, par exemple, la
marque Rolex – et du positionnement des produits dans les rayonnages. Nous parlerons de la
communication des marques de luxe et des
quatre P.
SDM : Les «quatre P» ?
BL : Ce sont quatre outils du marketing : le prix,
le produit, la place et la promotion. C’est dans ce
quatrième P que se situe la publicité. Nous pourrions ainsi donner une autre définition du marketing : c’est le processus par lequel je vais créer
un produit à destination des clients en vue de
créer une relation avec eux. Une relation qui va
me permettre, en créant de la valeur, de leur
prendre un peu d’argent.
SDM : Vous avez évoqué les produits de luxe…
BL : Ce sont des produits pour lesquels certaines
notions de communication sont inversées : la
reconnaissance n’est pas uniquement établie
par la publicité ; la distribution est exclusive plutôt qu’expansive. (…) Et puis il n’y a pas que du
marketing pour des produits ; il y en a aussi pour
des services. On promeut des ONG, des organisations politiques, sans parler du marketing public :
prenez les campagnes anti-tabac, en Angleterre.
On peut marketer tout ce qu’on veut !
SDM : Vous voyez, on peut me pousser à consommer n’importe quoi…
BL : Non, on ne le peut pas. Bien sûr, il y a des
phénomènes affectifs, et vous avez des gens qui
achètent telle marque parce que leurs grandsparents le faisaient déjà. Mais au départ, il faut
un bon produit, ou un «bon autre chose».
Marquer ne suffit pas…
SDM : Depuis plusieurs années, je refuse catégoriquement d’acheter un chocolat au nom
d’insecte (lépidoptère) parce que je trouve les
publicités télévisuelles pour ce produit affligeantes. Suis-je un cas isolé ?
BL : Il y a des publicités ratées qui ne donnent
pas envie d’acheter le produit. Prenez par exemple la campagne pour la lessive Omo Micro. Tout
le monde se rappelle la publicité avec les singes,
mais les ventes n’ont pas augmenté. Les gens se
sont dit : «Le singe, c’est moi !» A contrario, il y a
des annonceurs qui se disent que le plus important, c’est qu’on parle d’eux.
SDM : Qu’est-ce qui fait une bonne publicité ?
BL : Il faut une idée créative et un bon scénario.
Un bon scénario se fonde sur des supports émotionnels, comme le sexe, la musique, la crainte
ou l’humour ; ou alors, il vise la raison – comme
lorsqu’on montre un poumon encrassé aux
fumeurs. Mais dans ce cas précis, le fumeur va
mettre en œuvre une stratégie d’évitement.
SDM : Et l’éthique dans tout ça ?
BL : On en vient à la notion de segment, à la cible
– l’acheteur potentiel – qu’il faut bien connaître.
Quand le référentiel n’est pas le même, la
notion de provocation n’est pas la même. Prenez, par exemple, Dior Addict. Aux États-Unis,
pour illustrer la dépendance évoquée par le nom
du parfum, on a utilisé une personne se droguant.
Résultat : une campagne jugée choquante, donc
interdite, et des sommes colossales investies
pour rien.
— 135 —
SDM : Bref, il n’y a pas de dérives absolues en
publicité, mais seulement des erreurs relatives
à la cible, et vous n’allez nullement mettre en
garde le public meyrinois…
BL : Au contraire : nous allons prendre le contrepied des préjugés avant d’avoir un débat, car il
nous faut d’abord définir ce que sont la publicité et le marketing. Et ensuite, on verra !
Propos recueillis par Sylvain De Marco
1 Elle émanait d’un office fédéral qui souhaitait
précisément sensibiliser le public aux problèmes
rencontrés au quotidien par les personnes
handicapées.
____________________________
Transport gratuit pour les abonnés
du Théâtre Forum Meyrin, sur réservation au
022 989 34 34. Départ à 19h15. Rendez-vous
devant la billetterie du Théâtre Forum Meyrin.
Attention, nombre de places limité.
____________________________
TURBA
Danse
Samedi 6 février à 20h30
Par la compagnie Maguy Marin (France)
À Château Rouge, Annemasse
Durée 1h10
Conception et réalisation Maguy Marin / Denis Mariotte En étroite collaboration avec Ulises Alvarez /
Yoann Bourgeois / Jordi Galí / Peggy Grelat-Dupont / Sandra Iché / Matthieu Perpoint / Cathy Polo / Agustina Sario /
Jeanne Vallauri / Vania Vaneau / Vincent Weber / Yasmine Youcef Musiques Franz Schubert / Denis Mariotte
Textes extraits de Lucrèce, De rerum natura Lumières Judicaël Montrobert Costumes et mannequins Montserrat
Casanova Assistée de Martin Peronard / Claudia Verdejo Son Antoine Garry Éléments de décor Louise et Michel Gros
Direction technique de la production Alexandre Béneteaud Régie plateau Michel Rousseau
Coproduction Festival de danse de Cannes / Biennale de la danse de Lyon 2008 / Théâtre de la Ville de Paris /
Centre chorégraphique national de Rillieux-la-Pape – Cie Maguy Marin
Le Centre chorégraphique national de Rillieux-la-Pape – Cie Maguy Marin est subventionné par le ministère
de la Culture et de la Communication – DRAC Rhône-Alpes / la Région Rhône-Alpes / le département du Rhône /
la ville de Rillieux-la-Pape. Il bénéficie du soutien financier de CULTURESFRANCE pour ses tournées internationales.
Plein tarif : Fr. 35.– / Fr. 28.–
Tarif réduit : Fr. 25.– / Fr. 22.–
Tarif étudiant, chômeur : Fr. 15.–
____________________________
Ce spectacle intègre
la saison du Passedanse.
Retrouvez le programme
complet sur
www.passedanse.net
____________________________
Maguy Marin froisse. Les nerfs de certains, qui
n’ont pas trouvé ce qu’ils pensaient être venus
chercher. Les cœurs des autres, qui ne savaient
pas ce qu’ils allaient trouver et sortent bouleversés. Avec Turba, les frontières entre la danse
et le théâtre n’ont jamais été aussi poreuses.
S’appuyant sur des extraits du De rerum natura
du poète latin Lucrèce, Maguy Marin transpose
sur scène un grand carnaval, celui qui maquille
la réalité à outrance pour exploser les limites et
filer une sainte frousse à la mort, créant à nouveau un «travail [qui] questionne l’espace où il
se crée en résonance avec le monde dans lequel
on vit dans un incessant va-et-vient qui contamine l’un ou l’autre» (Maguy Marin).
La tranquillité de l’âme
Avec De rerum natura, Lucrèce n’a d’autre ambition que de transmettre le système épicurien. Un
poème qui vise à révéler au lecteur la nature du
monde et des phénomènes naturels, afin de permettre à l’homme de se libérer du fardeau des
superstitions. Selon Lucrèce, la nature possède
une forme éternellement changeante : les spectacles qu’elle offre nous sont livrés sous une
forme toujours renouvelée, que seule l’habitude
nous empêche d’appréhender dans leur éternelle nouveauté. La nature se dévoile au poète,
qui a pour fonction presque divine de la révéler à
son tour aux hommes.
Une transmission dont se charge ici la scène.
Maguy Marin explique que « dans le processus
de création, des textes sont lus et servent de support à une mise en jeu possible. Le texte de
Lucrèce, par sa nature poétique, a provoqué le
désir de s’y consacrer ; l’effet joyeux que ce texte
a produit sur nous a suscité notre désir de le faire
entendre sur le plateau.»
La joie. Voilà ce qu’on ressent en entrant dans la
salle. Sur scène, les interprètes sont présents,
assis au lointain, faisant face au gradin. Entre
eux, des étoffes lumineuses donnent une
impression de multitude. S’ajoutant aux êtres,
on confondrait presque l’inertie des personnes
avec celle des objets : le fond de scène est peuplé.
À l’avant, de l’eau coule, mille filets qui bruissent
en continu. Mouvement naturel, perpétuel, qui
nous conforte dans une certaine sérénité. Tandis
que le regard est happé par la luminosité des
couleurs qui éclate du fond, l’être s’installe,
bercé par l’eau. On atteindrait presque une
petite tranquillité de l’âme. Au centre, des rangées bien ordonnées et alignées de praticables
noirs, aux angles cassés : un labyrinthe.
Une progression inexorable
Alors, les danseurs – en habits de ville – s’approchent du fond de scène. Ils se mettent en costume (pagne de tragédienne, robe de Cendrillon,
couronne de roi, tenue de religieuse, etc.) et se
griment ; deviennent des simulacres – n’ayant
que l’apparence de ce qu’ils prétendent être,
déclamant des extraits du poème de Lucrèce en
français, allemand, espagnol, latin et en d’autres
langues encore, nous plongeant dans « des fic— 136 —
tions possibles et nombreuses, des hypothèses
multiples» (Maguy Marin). Ils avancent, portant
des boules de tissus, des gerbes de fleurs qui
transforment les praticables en stèles. Les onze
interprètes de Turba n’ont de cesse de se rencontrer, de se croiser, de se transmettre quelque
chose – un objet, une pièce de costume, un geste
maladroit – même un mouvement. Maguy Marin
ressent le mouvement « comme action de la
pensée ». L’écoute entre les danseurs est ici
incroyable, lorsque, par exemple, ils s’avancent
au devant du plateau d’un mouvement choral ;
c’est à partir de celui-ci que pourra être prononcé le texte. Pour la chorégraphe, «ce travail
d’écoute est fondamental. [Il résulte de] beaucoup de temps et d’énergie [passés] à essayer de
capter autrement que par les yeux des exercices
mettant en jeu l’individu au sein d’un groupe.»
Puis, soudain, le chaos, le tumulte. Car c’est bien
la signification du mot turba. Ce terme apparaît
chez Lucrèce pour signifier une foule en désordre, la confusion qui en ressort. Éric Vautrin,
dans un article paru dans la revue Mouvement à
propos du spectacle de Maguy Marin, soulignait :
« dans l’imaginaire romain, cette foule turbulente est celle qui préside aux bouleversements
(…). C’est la foule qui assassine les rois avant de
retrouver l’unité : d’ensembles distincts et séparés, le collectif devient turba, foule turbulente,
puis peuple, à nouveau, fondateur d’un nouvel
équilibre. Par son tumulte, la turba annonce de
grands changements : elle apparaît lorsqu’un
système déborde, ne peut plus canaliser la violence qu’il génère lui-même. Elle est la grande
violence qui résulte du refus de la violence.»
De gros ventilateurs balayent le plateau de leur
bruit et de leur air. Maintenant, la mort. Sereine,
comme ces vers de Lucrèce, interprétés avec
ferveur : «Pourquoi ne t’en vas-tu pas du repas
de la vie en convive repu, et pourquoi donc,
idiot, ne prends-tu pas serein ce repos assuré?
Mais si tu as laissé filer en pure perte tout ce
que tu as eu en fait de jouissances, si tu es
mécontent de la vie, pourquoi donc es-tu là à
quêter encore un supplément qui, une fois de
plus, se terminerait mal et prendrait fin sans
que tu aies joui de rien ?»
Propos recueillis par Julie Decarroux-Dougoud
Repères biographiques
Maguy Marin, née à Toulouse, est fille de
l’immigration espagnole provoquée par la
Seconde Guerre mondiale. Elle travaille
avec Maurice Béjart et Alfons Goris avant de
créer son propre groupe de travail à la fin
des années 1970. La rencontre avec l’œuvre
de Beckett est décisive : elle donnera lieu à
la création de May B en 1981. Un succès
retentissant qui fera le tour de la planète.
Plus tard, Cendrillon, dont elle propose une
relecture impossible. Accompagnée depuis
1987 par le compositeur et musicien Denis
Mariotte (avec qui elle crée, entre autres,
Turba), elle prend les rênes à la fin des années 1990 du nouveau Centre dramatique
national de Rillieux-la-Pape, dans la banlieue de Lyon. À ce jour, Maguy Marin a créé
une quarantaine de pièces, dont la dernière,
Description d’un combat, a été présentée
cet été au festival d’Avignon.
Maguy Marin, la danse cachée > Film de Marie-Hélène Rebois, réalisé en 2009 / Durée : 1h30
Projeté dans le cadre de la programmation du Passedanse
Lundi 25 janvier à 19h30 au CAC Voltaire, Genève
Mardi 26 janvier à 18h30 au Ciné Actuel, Annemasse
En présence de Gallia Valette-Pilenko, journaliste
Marie-Hélène Rebois, réalisatrice spécialiste de la danse, cherche à comprendre à travers le
parcours de la chorégraphe d’une pièce à l’autre, comment elle renouvelle les formes chorégraphiques, remettant tout en jeu à chaque fois. À travers ses cinq dernières pièces,
Umwelt ; Ha ! Ha ! ; Ça, quand même ; Turba et Grosse fugue, Maguy Marin avance et résiste,
traversée par ce qui l’entoure, portée par la nécessité de s’inscrire dans l’espace social.
— 137 —
L’ART DU MENSONGE
POLITIQUE
Rencontre
Lundi 8 février à 20h30
Rencontre avec Jean-Noël Jeanneney (France)
Avec la participation de Claude Thébert
Entrée : Fr. 5.–
Au Théâtre Forum Meyrin
Durée 1h45
Cette rencontre intègre la théma Secrets
et mensonges du Théâtre Forum Meyrin,
présentée en pages 114-115.
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Faut-il tromper le peuple pour son bien ? Telle
est en substance la question que pose, sur un
mode satirique et en plein siècle des Lumières
(en 1733, précisément), un pamphlet – L’art du
mensonge en politique – attribué à Jonathan
Swift mais probablement rédigé par son complice John Arbuthnot. La politique consistet-elle à « faire accroire au peuple des faussetés
salutaires, et cela pour quelque bonne fin » ?
Dans le cadre de sa théma de janvier-février
(lire pages 114-115), le Théâtre Forum Meyrin
cherchera à en avoir le cœur net en accueillant
un hôte prestigieux et savant connaisseur de la
vie publique française : Jean-Noël Jeanneney.
Un parcours républicain
Fils (Jean-Marcel) et petit-fils (Jules) d’imposantes
figures de la politique hexagonale, professeur à
Sciences-po, Jean-Noël Jeanneney enseigne l’histoire politique et l’histoire des médias, sujets
sur lesquels il a publié de nombreux ouvrages.
Son Histoire des médias des origines à nos jours
témoigne, en particulier, de sa connaissance
intime de l’évolution de la presse écrite, de la
radio et de la télévision.
Proche du Parti socialiste, il consacre par ailleurs plusieurs publications à la gauche : Leçon
d’Histoire pour une gauche au pouvoir : la faillite du Cartel (1924-1926) et L’avenir vient de loin.
Reprenant une problématique voisine de celle
de sa thèse doctorale, il signe L’argent caché:
milieux d’affaires et pouvoirs politiques dans la
France du XXe siècle.
Rappelons aussi que Jean-Noël Jeanneney a
exercé et exerce encore nombre d’activités
publiques : président de Radio France et de Radio
France Internationale de 1982 à 1986, président
de la Mission du Bicentenaire de la Révolution
française (1988-1989), secrétaire d’État au commerce extérieur (1991-1992, gouvernement
d’Édith Cresson) et à la communication (19921993, gouvernement de Pierre Bérégovoy),
enfin, président de la Bibliothèque nationale de
France de 2002 à 2007.
Il produit l’émission hebdomadaire Concordance des temps sur France Culture et préside
notamment l’association Europartenaires ainsi
que le conseil scientifique de l’Institut FrançoisMitterrand.
Politique et mensonge : un couple inévitable ?
D’après le philosophe Alain (in Définitions), «le
mensonge consiste à tromper, sur ce qu’on sait
être vrai, une personne à qui on doit cette
vérité-là». Dès lors, il convient de préciser l’enjeu propre de la dissimulation des « princes » :
doit-on la vérité (le mot est large) à son peuple ?
Un bon gouvernement peut-il en faire l’économie ? Désabusé par l’Histoire, l’observateur commun considère rarement la politique comme
une éthique ou comme la mise en pratique de
convictions ; au mieux, bien souvent lui associet-il le mot «art», au pire tout le vocabulaire de la
volonté de puissance et de la corruption.
Les écrits de Jonathan Swift et John Arbuthnot,
tous deux conservateurs, partent du réel tel
qu’il est et non de sa représentation éthérée ; ils
recensent les recettes de la contrefaçon politique, les règles subtiles du « mentir vrai », ses
— 138 —
codes et ses lois – par exemple, la nécessité de
soustraire prudemment les mensonges à toute
vérification possible ou encore celle de ne
jamais outrepasser les bornes du vraisemblable.
Il n’est pas sans intérêt de noter qu’Arbuthnot et
Swift s’emparent de ce sujet au moment où le
régime parlementaire anglais se trouve confronté aux problématiques de la démocratie.
Que conclure ? La démocratie favorise-t-elle le
glissement de la politique vers la dissimulation ? L’art de gouverner l’opinion se résume-t-il
alors à une «pseudologie» ? Est-on secret, menton dans les plus hautes sphères de l’État, pour
le bien des administrés ? La transparence estelle un idéal intenable ?
Nuançons ! Dans les faits, le désir de durer en
politique invite plus fréquemment à choisir les
sujets que l’on enregistre et que l’on médiatise
plutôt qu’à les tronquer crûment : parlera-t-on
également de mensonge lorsqu’il y a omission ?
Enfin, le régime démocratique possède a priori
certains outils devant idéalement permettre de
repérer et dénoncer les mensonges des gouvernants. Peut-être sont-ils insuffisants ou trop
souvent défaillants…
Historien et politologue ayant pénétré les
arcanes de la République française, Jean-Noël
Jeanneney fera la lumière sur ces questions qui
n’ont pas manqué d’agiter les grands auteurs :
des historiens de l’Antiquité à Machiavel, de
Platon à Hannah Arendt, de Baltasar Gracián à
George Orwell – et tant d’autres.
Mathieu Menghini
Georges de La Tour, Le tricheur à l’as de carreau, vers 1635
«Le mensonge consiste à tromper, sur ce qu’on sait être vrai,
une personne à qui on doit cette vérité-là.»
Alain (in Définitions)
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LES AVENTURES DE
PINOCCHIO
Film / Tout public dès 7 ans
Mardi 9 février à 19h00
De Luigi Comencini (1972 / Italie)
Version en français / Collation «merveilleuse» offerte à l’entracte !
Plein tarif : Fr. 20.–
Tarif réduit : Fr. 17.–
Tarif étudiant, chômeur, enfant : Fr. 10.–
Scénario Luigi Comencini / Suso Cecchi d’Amico D’après l’œuvre de Carlo Collodi
Interprétation Andrea Balestri / Franco Franchi / Ciccio Ingrassia / Nino Manfredi / Gina Lollobrigida / Lionel Stander
Photographie Armando Nannuzzi Musique Fiorenzo Carpi Montage Nino Baragli Producteur Attilio Monge
Ce film intègre la théma Secrets et mensonges
du Théâtre Forum Meyrin, présentée
en pages 114-115.
Au Théâtre Forum Meyrin
Durée 2h45 entracte compris
À noter la programmation à Meyrin
de deux autres adaptations de Pinocchio,
par Antonio Saura (lire pages 116-117)
et Joël Pommerat (lire pages 130-131).
En collaboration avec
l’Association des Habitants de la Ville de Meyrin (AHVM)
____________________________
Chef-d’œuvre du cinéma pour enfants que les
adultes consommeront sans modération, Les
aventures de Pinocchio de Luigi Comencini met
à jour tous les tenants et aboutissants du célèbre roman de Collodi. Écrit en collaboration
avec la scénariste Suso Cecchi d’Amico, c’est un
grand film politique où imaginaire et réalisme
font la paire pour sauver l’enfance en péril.
La disparition du réalisateur italien Luigi Comencini (1916-2007) n’a pas fait la une de nos quotidiens, tant s’en faut ! Discret, éclectique, inégal,
ce diplômé en architecture est pourtant l’un des
rares cinéastes à avoir su restituer l’état d’enfance dans sa vérité la plus intime, au point de
réussir, en partie, l’adaptation impossible de
Heidi (1952) ! Pour cette raison, des films comme
Tu es mon fils (1956), L’incompris (1966), Casanova, Un adolescent à Venise (1969), Eugenio
(1980) et Un enfant de Calabre comptent parmi
les meilleurs de son œuvre riche de trente-trois
longs métrages.
Dans la filmographie de Comencini, Les aventures de Pinocchio (1972) occupe une place à
part, pour la simple et bonne raison qu’il s’agit
en réalité d’un feuilleton en six épisodes de cinquante-cinq minutes chacun, tourné pour la RAI
en coproduction avec la France et l’Allemagne.
Enthousiaste du résultat, l’ex-ORTF a persuadé
son auteur de procéder au montage d’une version « courte » susceptible de sortir en salles.
Ramenée à une durée de deux heures quinze,
cette version digest reste toujours aussi sidérante d’intelligence, même si l’on doit regretter
qu’elle ait été la seule retenue pour l’édition
française du DVD, au détriment du feuilleton
passé aux oubliettes.
Une adaptation exemplaire
Sans exagérer, l’adaptation du roman de Collodi
par Comencini reste exemplaire, dans le sens où
le cinéaste parvient à rester fidèle à l’esprit de
l’œuvre originale, tout en procédant à une relecture cinématographique qui révèle au grand
jour la dimension subversive du roman, que
l’écrivain avait tenté de dissimuler in extremis
par une morale ayant tout du postiche ! À mille
lieues de la mièvrerie de Walt Disney qui, en
1940, avait pris la leçon au premier degré,
Comencini démontre combien est peu enviable
le sort du pantin qui peut accéder à l’incarnation à la seule condition de renoncer à son
appétit de vivre, tout ça pour devenir un petit
garçon modèle, soumis à l’autorité. Pour arriver
à ses fins, le cinéaste a opéré un changement
d’importance qui dévoile la cruauté consubstantielle à la fable de Collodi… Pour mémoire,
dans le livre et les adaptations cinématographiques contre nature qui en ont été tirées (Disney, Barron, Benigni), Pinocchio demeure à
l’état de burattino jusqu’à la fin de l’histoire.
Dans la version de Comencini, la fée aux cheveux turquoise (jouée par Gina Lollobrigida)
accorde très vite son enveloppe charnelle à
Pinocchio (dès lors interprété par Andrea Balestri), mais elle prévient l’enfant qu’elle le retransformera en pantin à la première bêtise !
— 140 —
Exhorté à justifier cette infidélité, le réalisateur
d’Un vrai crime d’amour (1974) a invoqué avec
malice la contrainte du feuilleton télévisé : à
l’entendre, jamais les téléspectateurs n’auraient
accepté d’endurer le spectacle monotone d’une
marionnette s’agitant sur cinq épisodes, pour
une durée totale de plus de cinq heures ! Oui,
certes, mais cet impératif cathodique a aussi eu
pour don de mettre au grand jour l’attitude
répressive et manipulatrice de la bonne fée qui,
en outre, n’hésite pas à se faire passer pour
morte afin de culpabiliser le gamin. C’est donc à
raison que Gepetto (Nino Manfredi) la qualifie
de « sorcière » à la fin du film ! Auparavant, le
pauvre Pinocchio aura subi quatre métamorphoses punitives qu’il ressent comme autant de
régressions, notamment après avoir écrasé le
grillon moralisateur et vendu son abécédaire.
De façon significative, Comencini n’a accordé
que peu d’importance à la notion du mensonge
(figuré par le nez qui s’allonge) dont ont abusé
ses pairs adaptateurs. De même, le cinéaste a
beaucoup fait évoluer la relation entre Gepetto
et Pinocchio, se permettant au final une inversion fondamentale pour le sens du film, qui voit
littéralement le fils donner à son père l’occasion
d’une seconde naissance, en le persuadant de
sortir du ventre confortable d’un monstre marin.
Les réalisateurs roués du Monde de Nemo (2003)
ont su s’en souvenir !
Vincent Adatte
JULES ET MARCEL
Théâtre / Divertissement
Du jeudi 11 au samedi 13 février à 20h30
D’après la correspondance de Jules Raimu et Marcel Pagnol (France)
Au Théâtre Forum Meyrin
Durée 1h10
Interprétation Philippe Caubère / Michel Galabru / Jean-Pierre Bernard en alternance avec Emmanuelle Galabru
Adaptation Pierre Tré-Hardy Mise en espace Jean-Pierre Bernard Production Pascal Legros Productions
Plein tarif : Fr. 46.– / Fr. 38.–
Tarif réduit : Fr. 37.– / Fr. 30.–
Tarif étudiant, chômeur : Fr. 22.– / Fr. 17.–
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Accueil réalisé en collaboration
avec le Service culturel Migros Genève
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« Mon cher Jules, il faut que tu sois bougrement
fâché avec moi pour ne pas répondre à une
lettre injurieuse qui n’avait d’autre but que de
commencer une dispute… » : tel est le ton des
relations entre l’auteur Marcel Pagnol et l’acteur Jules Raimu – le « plus grand du monde »
selon Orson Welles ! Fâcheries épiques et admiration réciproque, clairvoyance et mauvaise
foi, souvenirs et secrets, humour et émois parsèment cette amitié qui courut de 1929 à la
mort de Raimu, en 1946.
Sur un plateau quasi nu, ces deux monstres
nous proposent la lecture jouée d’une sélection
de conversations, de lettres échangées (souvent inédites) entre Pagnol et son ami et acteur
fétiche – sélection opérée, avec goût et cohérence, par Pierre Tré-Hardy.
Le thème central est le septième art, mais aussi
le théâtre, leurs spécificités respectives, l’argent, l’amour-propre, l’amitié, le Sud et bien
d’autres sujets encore. Philippe Caubère nous
en dit davantage.
L’incarnation de la correspondance de ces deux
Provençaux est une aubaine pour qui veut partager la complicité truculente et volontiers profonde d’artistes majuscules. Vivre l’improbable
rencontre entre Michel Galabru et Philippe Caubère en est une autre – non moindre.
Entretien
On sait l’attachement du Théâtre Forum Meyrin
à la trajectoire solitaire du second nommé, à
son épopée de L’homme qui danse – une page
sans doute unique du théâtre d’art européen.
Quant à Michel Galabru, c’est sur d’autres territoires qu’il a promené son opulent génie ; sur
des territoires populaires. D’où la morgue des
cuistres, leur circonspection creuse, leur incapacité à mesurer le talent véritable de ce Falstaff méridional, l’expressivité fine de ses traits,
celle de ces sourcils par exemple tandis qu’il
roule des yeux, ou encore la tessiture riche du
bonhomme – capable « dans un bâillement
[d’avaler] le monde » ; un seul de ses grognements enferme plus de nuances qu’un feuillage
d’automne.
Mathieu Menghini : Il s’agit d’une lecture, mais
l’intonation pleine de relief de l’un et l’autre des
interprètes mêle intimement distance et incarnation. Comment définir la théâtralité de cette
proposition ?
Philippe Caubère : Les textes que nous lisons
sont en eux-mêmes de tels morceaux d’anthologie qu’il s’agit déjà d’une action dramatique à
laquelle on assiste, plus qu’à tout autre chose.
Et puis, avec le temps – nous avons joué ce spectacle plus de quatre mois à Paris – cette pseudo
«lecture» est devenue joute, combat de coqs et
concours d’improvisations ; tout cela dans le respect du texte bien sûr, et des caractères de
Pagnol et Raimu, ces deux personnages hors du
commun.
MM : Y a-t-il du Raimu chez le madré Galabru ?
PC : Évidemment. C’est un des attraits principaux
du spectacle : on croit vraiment avoir devant
nous le comédien légendaire. On l’entend, on le
— 142 —
voit parler, gueuler, s’exclamer, vitupérer comme
si on y était. Je crois aussi – et j’espère ! – qu’on a
l’impression d’entendre et de voir Pagnol à côté
de lui. Il y a en tout cas une symbiose et une ressemblance troublantes et, je pense, réjouissantes, entre les deux interprètes que nous
sommes et ces deux grandes «figures» que nous
interprétons.
MM : Le Sud pourrait inspirer l’une de vos créations à venir. Or, il inspire déjà le dialogue de
Jules et Marcel. Vous retrouvez-vous dans «leur»
Sud ?
PC : Le dialogue que nous interprétons me semble plus « parler » de théâtre et de cinéma, de
notre art et de notre métier, que du Sud à proprement parler. N’empêche : il est écrit et tenu par
deux «acteurs» (au sens large) du Sud, qui l’incarnent tout à fait. Il n’y a pas deux « Sud », vous
savez, le faux et le vrai ; celui qu’on montrerait et
celui qui serait ; celui que les Parisiens ou autres
«estrangers» (au sens étroit cette fois : «estrangers» de France !) s’imagineraient et celui qu’on
vivrait ; celui aussi – c’est le même – que beaucoup de Marseillais vendent parce que c’est celui
qu’on attend et qu’on réclame d’eux, et le premier, l’original. Non, de Sud, il n’y en a qu’un: celui
qui nous a faits. Qui n’est pas que le foot, mais
qui l’est aussi. Marcel Pagnol, Albert Cohen, Antonin Artaud, André Suarès, Serge Valetti, Robert
Guédiguian, Paul Carpita, Raimu, Andrex, Montand, Galabru, mais aussi Bosso, Cantona… et
moi ! Encore ne cité-je là que des poètes, des
cinéastes, des acteurs et des Marseillais…
Propos recueillis par Mathieu Menghini
MADAME DE SADE
Théâtre
Mercredi 17 et jeudi 18 février à 20h30
De Yukio Mishima / Mise en scène Jacques Vincey (France)
Au Théâtre Forum Meyrin
Durée 2h20
Adaptation française André Pieyre de Mandiargues Interprétation Hélène Alexandridis / Alain Catillaz / Marilú Marini /
Isabelle Mazin / Myrto Procopiou / Julia Vidit Travail vocal et assistanat à la mise en scène Emmanuelle Zoll
Scénographie Sallahdyn Khatir Lumières Marie-Christine Soma Musique, son Frédéric Minière / Alexandre Meyer
Costumes Claire Risterucci Maquillages, perruques Cécile Kretschmar Contribution artistique Paillette
Carcassiers Alicia Maistre / Sioux Régie générale Serge Richard
Direction de production, diffusion Emmanuel Magis Administration de tournée Agnès Courtay / Amélie Delcros
Relations presse L’autre bureau – Claire Amchin Production Compagnie Sirènes – Paris
Coproduction Centre dramatique national Thionville – Lorraine / Comédie de Picardie / Théâtre Vidy – Lausanne /
Théâtre de la Ville – Paris / Scène nationale d’Aubusson / Théâtre du Beauvaisis Avec le soutien de la DRAC Île-de-France –
Ministère de la Culture et de la Communication / du Nouveau Théâtre de Montreuil – Centre dramatique national /
du Studio-Théâtre de Vitry Et l’aide à la reprise de La Coursive – Scène nationale de La Rochelle.
La compagnie Sirènes / Jacques Vincey est artiste associé à la Scène nationale d’Aubusson
Molière 2009 du Créateur costumes à Claire Risterucci (Lire Si n° 5, page 16)
Plein tarif : Fr. 39.– / Fr. 32.–
Tarif réduit : Fr. 30.– / Fr. 25.–
Tarif étudiant, chômeur : Fr. 18.– / Fr. 15.–
Accueil réalisé en collaboration
avec les Fondations
Edmond & Benjamin de Rothschild
Ce spectacle intègre la théma Secrets
et mensonges du Théâtre Forum Meyrin,
présentée en pages 114-115.
____________________________
Reconnu à la fois en Orient et en Occident, Yukio
Mishima est l’un des rares écrivains à avoir
décrit la société japonaise dans son ensemble.
C’est en 1965, cinq ans avant son seppuku –
suicide rituel par éventration – que l’auteur
d’Amours interdites écrit Madame de Sade. Ce
portrait du divin marquis «bénéficie de l’étrange
fascination que produit tout roman ou tout
drame centré autour de l’absent» 1.
La pièce réunit six femmes qui, toutes, ont un
lien avec l’auteur de La philosophie dans le boudoir. Souvent jouées par des hommes, que cela
soit du vivant de l’auteur ou plus récemment
dans la mise en scène d’Alfredo Arias au Théâtre
national de Chaillot, elles sont ici, dans la mise
en scène de Jacques Vincey, interprétées par
des actrices, à l’exception de la femme de
chambre – probablement un clin d’œil à l’historique de la pièce.
C’est en lisant La vie du marquis de Sade de Tatsuhiko Shibusawa que Mishima s’est demandé
ce qui avait poussé la marquise de Sade – qui
avait montré une fidélité totale à son mari pendant ses longues années d’emprisonnement – à
le quitter juste au moment où il était enfin
libéré : «Telle énigme a servi de point de départ à
ma pièce, en laquelle on peut voir une tentative
de fournir au problème une solution logique. J’ai
eu l’impression que quelque chose de fort vrai en
même temps que de fort peu intelligent paraissait derrière l’énigme, et j’ai voulu considérer
Sade dans ce système de référence. » 2
Étrange jeu de dames
La construction de la pièce est singulière. Elle se
déroule sur dix-huit ans, à Paris, chez Madame de
Montreuil, dans un salon. Trois actes. Automne
1772. Fin de l’été 1778. Printemps 1790. Trois
périodes d’emprisonnement du marquis. Trois
périodes d’attente. On n’y voit jamais le débauché, mais on ne parle que de lui : « La pièce pourrait être intitulée Sade vu à travers le regard des
femmes.» 3
À l’intérieur de ce salon, six femmes se débattent avec l’ombre d’un homme : Madame de
Sade (Hélène Alexandridis), l’épouse aimante,
évanescente, symbole de la fidélité conjugale ;
la belle-mère, Madame de Montreuil (Marilú
Marini), représentante de l’ordre moral et social,
« conventionnellement bouleversée par les
débordements de son gendre» 4 ; Anne, la sœur
de Madame de Sade (Myrto Procopiou), sans
principes, devenue la maîtresse du marquis ;
Madame de Saint-Fond (Julia Vidt), une libertine,
cynique, en quelque sorte le double féminin du
marquis; la baronne de Simiane (Isabelle Mazin),
une pieuse amie d’enfance de Donatien, et la
discrète servante (Alain Catillaz), témoin de cet
étrange jeu de dames dans le gynécée. Ou ne
devrait-on pas dire, jeu d’échecs, puisqu’il s’agit
ici de tactique, de forces, de faiblesses, de tensions, d’affrontements et d’éliminations ?
Dans cette intelligente mise en scène, soutenue
par une scénographie épurée – aucune reconstitution historique, aucun meuble, mais une
scène recouverte d’un plateau quadrillé qui rappelle un échiquier, bordé de paravents de gaze,
permettant des jeux de lumières et de transparences – les protagonistes sont, selon Jacques
— 144 —
Vincey, des femmes «plus grandes que nature».
Comme des insectes autour d’une lampe, elles
tournoient, virevoltent fiévreusement autour
d’une flamme invisible : l’absence du marquis de
Sade exalte sa présence virtuelle.
Il est un « fantôme » vivant qui les oblige à se
hisser jusqu’à un monde intermédiaire qui est
celui des esprits, des rêves, des fantasmes.
Engoncées dans des corsets, dans des jupes
à crinoline munies de roulettes, véritables
« machines de guerre » à la fois carapaces et
cages imaginées par Claire Risterucci (Molière
2009 pour ces costumes) et qui leur servent tour
à tour de refuge ou de tribune, elles ressemblent à s’y méprendre à des poupées de fer, à
des danseuses automates, uniquement là pour
porter les mots de l’auteur. Car il ne s’agit pas
d’action, mais de mots. De mots qui sont ici les
seules armes de ces femmes prisonnières de
l’absent, mots qui ne résolvent pas l’énigme et
qui nous laissent, comme souvent chez Mishima,
face à nos questionnements.
Ludivine Oberholzer
1 Marguerite Yourcenar,
Mishima ou La vision du vide, Gallimard, 1981.
2 Postface de Madame de Sade, Yukio Mishima,
Gallimard, 1976.
3 Ibid.
4 Marguerite Yourcenar,
Mishima ou La vision du vide, Gallimard, 1981.
Christian Schiaretti
PHILOCTÈTE
De Jean-Pierre Siméon, variation à partir de Sophocle
Mise en scène Christian Schiaretti
Théâtre
Du jeudi 18 février
au dimanche 7 mars
(ma, je et sa à 19h00 / me et ve à 20h00 /
di à 17h00 ; relâche le lundi)
Au Théâtre de Carouge-Atelier de Genève
Salle François-Simon
Durée 1h45 sans entracte
Interprétation Laurent Terzieff (Philoctète) / Johan Leysen (Ulysse) / David Mambouch* (Néoptolème) /
Christian Ruché (le Marchand) / Julien Tiphaine* (Héraclès) / Olivier Borle*, Damien Gouy*, Clément Morinière*,
Julien Tiphaine* (le chœur) *comédiens de la troupe du TNP
Scénographie, accessoires Fanny Gamet Costumes Thibaut Welchlin Lumières Julia Grand Son Pierre-Alain Vernette
Coiffures, maquillage Claire Cohen Création effets spéciaux Kuno Schlegelmilch
Création cuirasse et casques Daniel Cendron Directeur des combats Didier Laval Répétitrice Maria Saltiri
Conseiller littéraire Gérald Garutti Conseiller pour le son Pierre-Jean Horville Régisseur général Nicolas Julliand
Assistantes à la mise en scène Laure Charvin-Gautherot, Julie Duchènes Assistant à la scénographie Samuel Poncet
Assistante aux lumières Mathilde Foltier-Gueydan Stagiaires à la dramaturgie Jane Dziwinska, Ève Mascarau
Plein tarif : Fr. 35.– / 23 euros
Etudiant, apprenti : Fr. 15.– / 10 euros
Chômeur, AVS, AI : Fr. 25.– / 17 euros
Groupe : Fr. 30.– / 20 euros
Coproduction Théâtre National Populaire – Villeurbanne et Compagnie Laurent Terzieff
Avec la participation artistique de l’ENSATT et du Jeune Théâtre National et l’aide de la Région Rhône-Alpes
pour l’insertion des jeunes professionnels Avec le soutien du Département du Rhône
____________________________
Le regard perçant de Christian Schiaretti est à
l’image de son approche théâtrale sensible et
visionnaire. L’artiste, qui, avec son Coriolan,
rafle en 2009 trois Molières dont celui du metteur en scène et celui du théâtre public, nous
parle de Philoctète, variation inspirée par le
texte de Sophocle à Jean-Pierre Siméon, avec
Laurent Terzieff dans le rôle titre. Rencontre au
TNP de Villeurbanne avec cet amoureux et fervent défenseur d’un théâtre poétique.
Entretien
Christine-Laure Hirsig: Un rideau de fer monumental obstrue la scène, masquant le territoire
de Philoctète. L’arrivée de l’armée grecque par la
salle crée une complicité tacite et palpable avec
le spectateur. Plusieurs éléments du prologue
conditionnent discrètement l’immersion dans
l’intrigue, comme un sas anxiogène. Dans quel
état souhaitez-vous plonger le public qui accoste sur Lemnos en même temps qu’Ulysse et
ses acolytes ?
Christian Schiaretti : L’un des ressorts de la tragédie grecque, dont use particulièrement Sophocle, est le suspense. En nous plongeant immédia-
tement dans l’action et en retardant l’arrivée du
rôle éponyme, Philoctète capte l’attention en
créant une tension. Le début, qui fonctionne
comme un prologue avec l’arrivée d’Ulysse, de
Néoptolème et le déploiement du chœur, permet
de planter le décor, mais Philoctète n’arrivera
pas tant que la crainte qu’il inspire et la stratégie
de sa capture ne seront pas exposées au public
par les autres protagonistes. On crée ainsi la
défiance du spectateur à l’égard d’un être supposé dangereux. Il faut attraper l’animal Philoctète avec un filet de mensonges. Le public complice et témoin du guet-apens assiste à une sorte
de thriller théâtral dont le scénario pourrait s’intituler Le choix des armes. Prend-on le glaive ou
la parole ? On prend la parole et on se débarrasse
du glaive pour aller conquérir l’arc. On attend un
Philoctète terrifiant, on tremble presque, il
arrive et… n’est même pas armé. Tout le propos
repose sur le mensonge et le fantasme qu’il
engendre. Après tout, mentir c’est jouer avec la
capacité de projection de l’autre. On peut succomber à un mensonge, uniquement pour sa
beauté. Le jeune Néoptolème, mandaté pour
tromper Philoctète, est une sirène qui ment
farouchement bien. Il puise dans sa quincaillerie
de menteur des ustensiles qui ont parfois une
telle résonance de vérité qu’ils mettent sa propre conscience à l’épreuve. Le rideau de fer barre
la cage de scène et réfléchit la lumière. Il s’agit
d’une tragédie du mensonge exposé. On ment en
plein soleil. Dans le même élan, cette lumière
métallique inonde la salle et renvoie à une opération profonde de la tragédie : l’écoute. Le spectateur est conditionné à rester actif. Le spectacle,
on le fait ensemble.
— 146 —
CLH : Abandonné à son absolue solitude depuis
presque dix ans sur une île déserte, Philoctète
surgit de l’envers du décor, du ventre de sa
grotte. Il renaît au monde sous l’effet d’une double rupture, celle de l’obscurité et du silence.
Vous dites qu’on «met en scène avec les oreilles» :
la voix importe autant, voire plus que l’image ?
CS : Philoctète vient de la cage de scène, de ce
noir profond dont l’énigme doit rester entière. Il
hait les Grecs mais s’extrait de l’obscurité car il
entend sa langue, ou, plus précisément, il entend
le son de sa patrie. Il revient parmi les hommes
non par le sens mais par le son pur. La poésie
voyage dans une langue qui se souvient qu’elle a
été son. Dès que le sens intervient, naît le mensonge. En s’organisant, la langue devient un véhicule de manipulation et de perversité. Ce que
j’aime, lorsque je travaille sur un poème dramatique, c’est que le sens dérape. Philoctète est une
œuvre de fin de vie, de fin de civilisation et de fin
de genre. Écrite à la fin de la guerre du Péloponnèse, elle arrive au bout du processus d’épanouissement de la tragédie dont elle dit toute la
caducité et réfléchit par ailleurs sur l’art militaire
comme écho et fondement d’une civilisation. Il
faut s’imaginer que la guerre du Péloponnèse a,
sur la civilisation athénienne, des effets équivalents à la guerre de 14-18 sur les Européens. Rien
ne sera plus jamais comme avant. À cette tragédie historique s’ajoute la tragédie du langage.
Tant qu’il est perçu comme un chant et que le
son se déploie, le langage est le lieu du ravissement. Dès qu’il agit, il devient opérationnel et
perd sa grâce poétique. Enfin, il s’agit d’une
tragédie de fin de vie pour un Sophocle vieillissant. Il a plus de quatre-vingts ans quand il écrit
Philoctète. La qualité de perception intime du
drame de la vieillesse et du drame générationnel
est aiguë.
tout en n’étant pas terroristes, c’est toute la problématique de la forme, qui est juste quand elle
ne se voit pas.
CLH : Espace de rédemption, d’exclusion ou paradis du misanthrope, l’île est le cadre idéal pour se
reclure, pour laisser l’amertume de l’eau gagner
l’âme. Le plateau est-il une sorte d’île pour vous ?
Jouez-vous sur la métaphore théâtrale ?
CS : Le décor épuré reproduit le modèle de la scénographie grecque. On arrive par l’orchestra, on
aborde le proskènion. La skènè figure la grotte
du vieil ermite. Le théâtre tout entier est une île
et nous, acteurs et spectateurs, avons mis pied
à terre dans une crique. Philoctète est l’une des
premières « îles » de la littérature. Prison ou
royaume, l’île est ambiguë et celui qui y vit porte
cette même ambivalence. L’homme sauvage
peut être perçu comme un sage prototype rousseauiste qui, grâce à sa proximité avec une
nature exempte de perversité, gagne en pureté.
L’homme sauvage peut, a contrario, inspirer le
danger, la bestialité, la violence. Philoctète joue
sur cette ambiguïté, oscillant entre le fou hargneux et le sage, en passant par le martyr. Le vertige d’une solitude revendiquée et le désir
affirmé de ne pas retourner chez les hommes
l’obsèdent. Il dit d’ailleurs : «Je n’ai plus de patrie
chez les hommes». Si l’on extrapole, la question
de conscience que pose Philoctète est : comment
vivre avec ses bourreaux?
Tout spectacle est une métaphore de la transmission, celui-ci s’adresse effectivement aussi aux
gens de théâtre, mais avec discrétion, élégance
et sans complaisance. Nous avons beaucoup travaillé sur la prosodie, la scansion. Tenir le vers
CLH : La pièce met en scène un trio de héros/antihéros adeptes du mensonge : Philoctète, Ulysse
et Néoptolème dont le rapport d’âge suggère la
relation père-fils.
CS : On assiste au massacre du fils, Néoptolème,
auquel on rattache trois figures paternelles. Son
père naturel, Achille, mort, Philoctète, l’exilé,
Ulysse, l’efficace. Ulysse, premier père de substitution. Ulysse aux mille tours, symbolisant l’ingéniosité fondamentale de l’homme qui élucide
avec ruse des situations complexes ; homme de
guerre d’une guerre sans fin, homme d’action
installé dans un pragmatisme qui ne peut envisager aucune utopie. Enfin, Philoctète, deuxième
figure paternelle possible, qui n’a pas, contrairement à Ulysse, marqué la mémoire collective. Sa
rigueur morale exclut toute société. Même à
Lemnos, où je suis allé récemment, on ne sait pas
qui est Philoctète. On ne vend pas de petits arcs
souvenirs dans les boutiques de l’île. La question
de la faute initiale, de la première trahison, reste
sous-jacente. Au lieu de la porter comme un fardeau culpabilisant, Philoctète s’en débarrasse. Il
ne considère pas sa faute comme une charge à
porter mais comme une injustice, évacuant ainsi
le problème. Dans cette pièce, on ne parle pas
athéisme mais impiété. La différence tient au
simple fait que Philoctète ne nie pas l’existence
des dieux, mais dit que les dieux sont mauvais.
Dans la tragédie, les hommes négocient avec la
malédiction divine, convaincus qu’il y a rédemption possible. Pour Philoctète, l’humain aussi est
— 147 —
mauvais, il n’y a donc pas d’autre solution que
de renoncer à la société des hommes et des
dieux. Les liens pères-fils incluent des rapports
de manipulation. Ulysse manipule Néoptolème,
Philoctète aussi, et réciproquement. Ulysse promet une victoire aussi fulgurante qu’éclatante
à Néoptolème. La formation éphébique reçue
lui servira un jour seulement et, on le sait, fera
de lui l’un des fameux assassins de la guerre de
Troie. S’enfermer dans un cheval de bois, assiéger une cité de nuit, massacrer un vieillard,
Priam, une vierge, Polyxène et un enfant, Astyanax, comme hauts faits de guerre, on fait mieux.
De l’autre côté, Philoctète s’appuie sur des principes moraux mais se fossilise dans un argument où domine le ressentiment. « Économise
ta vie, j’ai vécu pour toi, ce n’est plus la peine» :
voilà le message du vieil homme à l’adolescent.
CLH : Après la constellation Ulysse, Néoptolème,
Philoctète, peut-on parler du trio Schiaretti,
Siméon, Terzieff ?
CS : Ce n’est pas un travail ni une convocation
mais un rendez-vous. Ensemble, nous avons
cherché le juste équilibre pour servir ce texte qui
nous rassemble. Un jour, j’ai dit à Jean-Pierre
Siméon que ce serait bien qu’il fasse son propre
Philoctète, ou plutôt sa variation poétique
d’après, dans l’exercice même de la langue et
non comme un exercice dramatique. Siméon
répond à l’impulsion. Terzieff lit et accepte de
dire le texte. Ce qui nous réunit par ailleurs, c’est
que nous sommes trois hommes davantage
ancrés dans le non que dans le oui. Il y a très clairement des choses que nous ne voulons pas.
Siméon a de vrais partis pris, Terzieff a tracé sa
«Je défends la troupe qui n’est pas simplement
un fonctionnement intégriste qui ferait de moi un fossile
de la décentralisation ou un désespéré des causes perdues.
La troupe permet de s’entraîner, tout simplement.»
Christian Schiaretti
route avec intégrité, dans le refus d’un certain
système théâtral et avec une foi irréductible en
la poésie. Moi, je défends mon parcours au sein
du théâtre public. Nous sommes résolus et travaillons dans le respect de chacun avec une
grande qualité d’écoute. Notre principe est de
partir de ce qui est dit et de faire en sorte que ce
qui est dit soit entendu. Sur scène, on ne parle
pas normalement, on est dans le respect du
poème, en quête d’une absolue probité prosodique. Aucun déplacement, aucune agitation
n’est fortuite, tout est construit, tout est su et
au service de la réception de la langue.
CLH : Comment cela s’est-il passé entre Laurent
Terzieff et les autres acteurs ?
CS : Naturellement et dans un rapport d’observation réciproque. L’investissement de Terzieff
dans le travail de texte doit faire école. En réalité,
notre problème fondamental était de commencer avec Terzieff et de finir avec Laurent.
CLH : Qu’est-ce qui appelle votre désir de metteur
en scène vers un texte ?
CS : Le vecteur fondamental est la langue. Je
défends le théâtre public comme le lieu où l’on
réunit une communauté d’individus, de perspectives sociales, culturelles et intellectuelles
différentes, pour vivre l’expérience du silence
dans lequel s’inscrit une parole entendue collectivement. La qualité de ce silence est évidemment influencée par la qualité du plein, c’est-àdire de la langue. Plus le texte est porté
poétiquement, plus cela m’intéresse car il reste
l’endroit d’un mystère et donc d’une jouissance.
Peu importe qu’il s’agisse d’un texte du XVe, du
XVIe ou du XXI e siècle, cela reste un texte
contemporain parce que ce sont d’abord et
avant tout les oreilles qui sont contemporaines.
Un second critère est que j’aime l’acteur interprète et le metteur en scène interprète. Le metteur en scène n’est pas à mes yeux un créateur
mais un interprète. Je ne mets pas en scène Shakespeare comme je mets en scène Sophocle,
Vinaver ou Jarry. Si j’étais chef d’orchestre, je ne
dirigerais pas Rossini comme Mahler. J’essaie
d’être un interprète et ai donc besoin de faire
mes gammes, comme un pianiste. C’est pour
cela que je défends la troupe qui n’est pas simplement un fonctionnement intégriste qui
ferait de moi un fossile de la décentralisation
ou un désespéré des causes perdues. La troupe
permet de s’entraîner, tout simplement. Tout
répertoire m’intéresse tant que je suis capable
d’en trouver la solution mais trois registres
m’interpellent plus particulièrement : la farce,
notamment les premières comédies de Molière
pour leur dimension dionysiaque, le théâtre
épique et enfin le théâtre religieux que j’ai beaucoup monté avec Claudel ou Péguy par exemple.
CLH : Pourquoi cet intérêt pour le théâtre religieux ?
CS : Parce que la foi a comme point commun
avec la poésie «l’intuition de la dimension insaisissable du verbe», comme le dit un de vos compatriotes, Philippe Jaccottet. Le mystique et le
poète partagent cette même intuition.
Propos recueillis par Christine-Laure Hirsig
— 148 —
PHILOCTÈTE
VARIATION ET PALIMPSESTE
Du devoir de se réapproprier le passé
«Quand les discothèques seront abandonnées et les académies
désertées, le silence du théâtre, qui est le fondement de son langage,
sera de nouveau entendu.»
Heiner Müller
Tandis que Christian Schiaretti met en scène à
l’Odéon (Paris) et au TNP (Villeurbanne) une
«variation» à partir du Philoctète de Sophocle
composée par Jean-Pierre Siméon, quasi simultanément, le Théâtre de la Ville (Paris) présente
Philoctète d’Heiner Müller dans une traduction
nouvelle de Jean Jourdheuil. Traduction, variation et palimpseste, Philoctète n’a jamais été
autant joué. Comment et pourquoi se réapproprier cette tragédie antique ?
« Elle (l’écriture dramatique) a toujours été au
fond le résumé ou la somme d’une époque, et
par là même, peut-être l’ébauche d’une nouvelle, mais toujours basée sur la somme d’une
ancienne. Il s’ensuit forcément qu’on se sert de
tout ce qui existe d’ancien, et qu’on reforme le
déjà formé.» 1 Cette citation d’Heiner Müller s’applique on ne peut mieux à son Philoctète, mais
également à la «variation à partir de Sophocle»
de Jean-Pierre Siméon présentée au mois de
février au Théâtre de Carouge. Une pièce source
qui est elle-même une adaptation des mythes
anciens, qui appelle à être réécrite au présent
par des auteurs d’aujourd’hui.
Adapter ou réécrire ?
En quoi ces textes diffèrent-ils d’une adaptation,
petit mot que l’on voit fréquemment apposé au
nom de l’auteur dans les programmes ? Selon la
définition de Jean Jourdheuil, une adaptation
est «la reprise d’un sujet, d’un matériau, éventuellement dans une autre langue, reprise effec-
tuée de telle manière que s’y manifeste
l’époque contemporaine » 2 . Il faut aussi savoir
que dans le cadre d’une traduction, c’est encore
le terme juridique d’« adaptation » qui fait loi.
Dans le cas de Philoctète, il s’agirait de couper
certains passages du texte, d’adapter au goût
du jour certains archétypes tels que le chœur
ou encore le deus ex machina de la fin de la
pièce. À cela, Jean-Pierre Siméon répond : « À
quoi du reste adapterait-on Sophocle ? Au goût
du jour ? Pouah ! Au contexte socio-historique
actuel ? Billevesées ! À notre oreille ? Soignonsnous plutôt l’oreille… » 3
Cet auteur entreprend alors un travail de réécriture qui est «ré-appropriation de l’objet originel
dans une langue autre : ce qui signifie ici non
pas du grec au français, mais d’une poésie à
une autre» 4 . Dans cette œuvre nouvelle, peu ou
pas de changements structurels : on y trouve le
chœur, les dieux, et une fin positive. En revanche, le langage poétique se fait autre. Philoctète
est une tragédie de la parole où l’homme abandonné sur son île, expulsé de l’humanité, rejoint
la frontière entre l’homme et l’animal, dans un
univers sans parole. Avec l’arrivée de Néoptolème, ce monde bascule. L’enjeu du travail d’écriture de l’auteur contemporain dans le cas de
Philoctète est double : écrire un poème lyrique
qui soit lui-même sujet de tragédie. Trouver «cet
arrachement dans la langue, qui fait que tout
d’un coup la prise de parole est, au sens propre,
inouïe» 5 .
Plutôt qu’une « variation », Heiner Müller opte
pour le palimpseste qui « efface et recouvre
l’œuvre première, et la laisse transparaître
par instants sur le mode de la radiographie » 6 ,
— 150 —
précise Jean Jourdheuil. Sa pièce se différencie
en cela de l’Antigone de Brecht qui « adapte »
l’œuvre grecque au procédé dramaturgique du
metteur en scène. La démarche de Müller, elle,
est plus complexe car elle fait appel aux sensations, images et idées. C’est la poésie et son exigence en la matière qui le guident. C’est peutêtre Peter Hacks, son rival, qui parle le mieux de
la spécificité du vers müllerien : «Il y a ici un art
de la langue que je ne peux louer comme il le
mérite, car je devrais le louer plus qu’il n’est
convenable. Personne aussi souverainement
que Müller ne manie le vers comme événement
limite. Le vers de La déplacée, c’était la plus
extrême violence que l’on puisse faire à un vers
sans qu’il cesse d’être un vers. Le vers de Philoctète, c’est le degré le plus extrême de tension
intérieure dont un vers puisse donner l’impression sans perdre sa qualité de pureté raffinée.
La littérature classique reflète la tangible barbarie du monde dans ses sujets et sa possible
beauté dans la forme ; Philoctète satisfait apparemment à cette maxime. Pourtant j’hésite à
dire que cette pièce est classique. La beauté de
ces vers a quelque chose de la couleur de leur
objet. Elle est utopique mais aussi archaïque,
gracieuse et sombre, ungeheuer aux deux sens
du mot : extra-ordinaire et monstrueuse. Le vers
de Philoctète dans sa beauté plus qu’humaine
ne serait-il pas en fin de compte barbare ?» 7
Des concepts et de la poésie
Je me pose une autre question. Pourquoi aujourd’hui, et quasi simultanément, Jean Jourdheuil parvient-il à traduire et à mettre en scène
ce chef-d’œuvre postmoderne, et Jean-Pierre
Jean-Pierre Siméon
Siméon, à signer cette puissante œuvre poétique ?
Notons tout d’abord que Jean Jourdheuil, traducteur et ayant droit d’Heiner Müller, connaît
cette œuvre depuis 1966. Malgré des tentatives
avortées de traduction au début et à la fin des
années 70, ce n’est que douze ans après la mort
de cet auteur qu’il parvient à terminer la traduction de la pièce. Il dira lui-même : « La mort de
Heiner Müller, le fait qu’il ait désormais rejoint
Brecht, Beckett et Genet dans ce ciel de la littérature que nous foulons sous nos pieds, a rendu
possible une approche, une lecture différente.»
Quant à Jean-Pierre Siméon, il répond à une
commande de Schiaretti qui avait déjà dans le
passé monté l’œuvre de Sophocle et désirait réitérer l’aventure mais cette fois à travers la voix
de cet auteur contemporain et compagnon
artistique de longue date.
Un élément de réponse à la question posée se
trouve peut-être justement dans la spécificité
de cette tragédie de l’humanité qui est tragédie
du langage. Pour reprendre Nietzsche dans
Vérité et mensonge au sens extra-moral, «cette
charpente et ce plancher gigantesque des
concepts, auxquels l’homme nécessiteux se
cramponne durant sa vie et ainsi se sauve, n’est
plus pour l’intellect libéré qu’un échafaudage et
qu’un jouet pour ses œuvres d’art les plus audacieuses ; et lorsqu’il le casse, le met en pièces et
le reconstruit en assemblant ironiquement les
pièces les plus disparates et en séparant les
pièces qui s’imbriquent le mieux, il révèle qu’il
se passe fort bien de cet expédient qu’est l’indigence, et qu’il n’est plus désormais guidé par
des concepts, mais par des intuitions». Le philosophe allemand développe un argument repris
Heiner Müller par Gilles Aillaud
par Heiner Müller en 1983, en conclusion d’un
texte consacré à une représentation de son Philoctète, quand il dit que «quand les discothèques
seront abandonnées et les académies désertées,
le silence du théâtre, qui est le fondement de son
langage, sera de nouveau entendu». À l’heure de
la société du spectacle et du spectaculaire, alors
que le lien fondamental entre l’émetteur et le
récepteur est rompu, Siméon comme Müller à
travers Jourdheuil revendiquent le partage de la
poésie au sein de la communauté, c’est-à-dire du
langage dans sa forme la plus libre, qu’il soit pour
l’un «barbare» ou pour l’autre épuré au point de
devenir l’expression même de la souffrance.
Delphine de Stoutz
Lire aussi pages 118-119 et 128-129
1 Heiner Müller, « Le Dramaturg », in Dramaturgie :
Théâtre/Public n° 67, janvier 1986.
2 Jean Jourdheuil, VIe Assises de la traduction
littéraire, Arles 1989, Arles, Actes Sud, 1990.
3 Jean-Pierre Siméon, Philoctète,
Les Solitaires intempestifs, Paris, mai 2009.
4 Ibid.
5 Jean-Pierre Siméon, « Trois questions au poète,
à l’acteur, au metteur en scène », in dossier
de presse de l’Odéon – Philoctète, 2009.
6 Jean Jourdheuil, Philoctète,
préface, Les Éditions de Minuit, Paris, 2009.
7 Peter Hacks, «Inquiétude face à une œuvre d’art»
(1966), in Theater Heute, traduction Jean-Louis
Besson et Jean Jourdheuil, 1968.
— 151 —
Samedi Coup de Cœur
«Il est temps de prendre la mer»
Une nuit à Salonique
Samedi 27 février 2010
En partenariat avec le Chat Noir
Réservation : +41 (0)22 343 43 43
[email protected]
Dès 18h apéritif de bienvenue offert.
Présentation du spectacle par André
Steiger et Richard Vachoux, concert au
bar du théâtre et dès 22h au Chat Noir.
François Marin
PACAMAMBO
Théâtre
Mardi 2 et mercredi 3 mars à 19h00
De Wajdi Mouawad
Mise en scène François Marin (Suisse)
Au Théâtre Forum Meyrin
Durée (spectacle en création)
Interprétation Caroline Althaus / Caroline Gasser / Frédéric Lugon / Geneviève Pasquier / Nicolas Rossier
Voix Barbara Tobola
Plein tarif : Fr. 20.–
Tarif réduit : Fr. 17.–
Tarif étudiant, chômeur, enfants : Fr. 10.–
Ce spectacle intègre la théma
Avec le temps ou la force du grand âge
du Théâtre Forum Meyrin (lire Si n° 8,
pages 164-165 ainsi que 166).
____________________________
Quand la langue subtile et l’imagination fertile
de Wajdi Mouawad rencontrent une fillette
confrontée à la mort de sa grand-mère adorée,
cela donne Pacamambo. Une fable magique qui
trace le douloureux chemin de la petite Julie à
travers les différentes étapes du deuil. Qui nous
raconte son parcours : de la révolte à l’acceptation de la perte, du chagrin à l’espoir, et ses premiers pas vers l’âge adulte. François Marin,
metteur en scène, également directeur du Théâtre de Valère à Sion, a choisi de porter sur les
planches la poétique envolée de Pacamambo.
Entretien
Ushanga Elébé : François Marin, depuis la création de votre compagnie, la Cie Marin, en 1994,
vous avez exclusivement monté des auteurs
contemporains, à l’exception de Dostoïevski.
Pensez-vous que pour parler aux gens d’aujourd’hui, il faille utiliser des textes produits
aujourd’hui ?
François Marin : Non, il ne faut pas d’exclusive.
Le public a besoin qu’on lui raconte des histoires. Certains textes centenaires ont gardé
leur puissance évocatrice et poétique. Je suis
toujours étreint par le destin de Titus et Bérénice, la malice de Scapin me fait toujours rire et
l’intelligence du neveu de Rameau me fascine
sans cesse. Il est nécessaire cependant de faire
entendre les voix d’aujourd’hui et les formes de
narration contemporaines. Elles sont multiples,
parfois discordantes, mais elles rendent compte
d’un état du monde.
UE : Vous mettez en scène une pièce de Wajdi
Mouawad. Quelle place tient cet auteur dans
votre bibliothèque ?
FM : Je possède depuis longtemps l’ensemble
des pièces de Wajdi Mouawad. En 1997, j’ai
assisté à une représentation de Littoral. L’énergie et l’humour qui se dégageaient de cette
représentation m’ont vraiment donné envie de
suivre cette écriture. J’ai donc lu par la suite
toutes ses pièces dès leur parution. Enfin, j’ai
aussi suivi son trajet de metteur en scène grâce
aux invitations qui lui ont été faites par Mathieu
Menghini au Théâtre du Crochetan puis au
Théâtre Forum Meyrin. Je me souviens d’une
épopée sous la neige pour découvrir Incendies à
Monthey en 2005…
UE : Vous renouez aujourd’hui avec le jeune
public avec une pièce au titre étonnant : Pacamambo. Est-il important à vos yeux de toucher
ces spectateurs-là ?
FM : Tout d’abord, je ne choisis pas une pièce en
fonction d’un public en particulier. Je suis touché par une écriture, par une thématique et j’ai
envie de la porter à la scène. Ce fut le cas pour
Pacamambo. Du reste, le travail avec l’équipe
artistique et avec les comédiens n’est pas différent de celui réalisé pour un texte pour adultes.
Il est fait de plaisir, de jeu et d’exigences. Mais il
est important aussi pour moi que ce texte soit
entendu par des jeunes et leurs parents. Il est
important que les mots de Julie, l’héroïne de la
— 152 —
pièce, pénètrent les esprits et les cœurs des
enfants. En abordant ces thèmes délicats dès
l’enfance avec joie et plaisir, avec jeu, il y a l’espoir aussi de faire évoluer les mentalités et de
faire changer le monde… Et aussi de rendre ce
jeune public sensible à la magie du théâtre, à la
puissance poétique et évocatrice de la parole.
UE : Comment s’est faite la découverte de ce
texte ?
FM : J’ai lu Pacamambo à sa sortie, il y a dix ans.
J’avais été touché par ce texte, mais il n’avait pas
encore créé de résonances intimes dans ma vie
d’homme. L’année 2008 a été une année lourde
et forte en émotions, marquée par la naissance
d’un enfant, mais aussi par la maladie de ce
petit enfant et par la potentialité de sa perte.
Durant l’été 2008, sa mère et moi avons arpenté
les couloirs du CHUV, nous y avons rencontré
des enfants cardiopathes ou leucémiques à la
vitalité débordante. Cependant, pour les parents
et soignants, le spectre de la perte, de la mort, est
toujours présent en arrière-fond. Nous sommes
proches d’une famille qui a perdu un petit enfant,
Basile, et c’est aussi en pensant à lui, à ses frères
et à sa sœur, à ses parents, que le désir de monter
Pacamambo est venu : comment parler de la mort,
de la douleur de la perte, de l’aspect scandaleux
et insupportable de la mort, à des enfants ?
UE : Pacamambo aborde, de manière puissante et
poétique, un sujet douloureux. Au-delà de thématique, est-ce également la langue particulière de
l’auteur qui vous a subjugué ?
FM : J’aime particulièrement le souffle de l’écriture de Wajdi Mouawad. Du texte se dégage une
Wajdi Mouawad
énergie, une puissance qui exigent beaucoup
des comédiens. C’est une parole à «poumonner»
comme dirait Novarina. Pacamambo est un conte
initiatique qui aide à conjurer la peur et à donner surtout encore davantage envie de vivre et
d’être heureux.
UE : C’est un conte sur le mystère de la mort. Ce
sujet ne risque-t-il pas de faire fuir ?
FM : J’ai hélas constaté que, pour certains, évoquer la mort est terrible, surtout lorsqu’il s’agit
de le faire devant des enfants. C’est pourquoi
certains contes de fées ont été réécrits et leurs
allusions à la mort, édulcorées. Je pense au
contraire que c’est en affrontant ces peurs, ces
faiblesses, que l’on forme des hommes et des
femmes qui se tiennent debout et qui sont prêts
à affronter la vie. De plus, Pacamambo aborde le
thème de la mort en adoptant le point de vue
d’une enfant. Julie est révoltée qu’on lui arrache
sa grand-mère et décide d’attendre la mort pour
lui casser la gueule… La mort vient à sa rencontre, elle est plutôt affable. La mort fait partie de
la nature. Nous sommes tous conviés à la rencontrer. Le souvenir de ceux qui sont partis et
l’amour qu’on leur a porté demeurent… Résonnent aussi dans ma mémoire ces mots de saint
Paul : « Mort, où est ta victoire ? ». Pacamambo
apprivoise la mort pour nous rendre plus attentifs à la vie et à l’amour.
UE : En portant ce texte à la scène, qu’est-ce qui
a orienté votre travail ?
FM : J’ai envie de donner à entendre la force de
l’écriture de Wajdi Mouawad, de transmettre au
public le goût du merveilleux et de l’onirisme et
surtout de partager dans le plaisir du jeu une
envie de vivre et de dévorer le monde !
UE : Comme vous le soulignez, la pièce Pacamambo est traversée d’onirisme. Comment
allez-vous traduire cela ?
FM : J’ai la chance depuis plusieurs années de
travailler avec une équipe artistique formidable :
la scénographe Elissa Bier a imaginé un double
espace qui permet de jouer autant avec le
monde du rêve qu’avec celui de la réalité, et avec
des accessoires très poétiques ; les costumes de
Scilla Illardo seront doux et colorés ; enfin,
l’éclairagiste William Lambert – avec qui je collabore depuis 13 ans – va créer des univers que
je souhaite magiques et sensuels. Dans cet
écrin, nous allons privilégier un théâtre d’effigie, un théâtre de parole qui sera porté par des
comédiens fort sensibles. Je suis très heureux
d’avoir pu rassembler une distribution de comédiens et de comédiennes au talent rare et dotés
d’une belle humanité.
UE : « J’ai tenté, à travers Pacamambo, d’écrire
une tragédie pour enfants. Une tragédie, c’està-dire une fête où les questions douloureuses
sont abordées avec le plus grand ludisme possible tout en faisant confiance à l’intelligence et
à l’imagination. » Comment réagissez-vous à
ces mots de Mouawad ?
FM : Je partage complètement ces mots : Wajdi
Mouawad prend les enfants au sérieux, il n’élude
pas les vraies douleurs, les questionnements
profonds que peuvent éprouver les enfants. Il n’y
a pas de petites douleurs ou des drames moins
importants que d’autres. « Il faut danser sur le
— 153 —
malheur », dit Jean-Louis Hourdin. J’aime qu’on
puisse réfléchir, rire et pleurer au cours d’une
même soirée de théâtre. Si j’ai un souhait à
exprimer, c’est que chaque enfant qui assiste à
Pacamambo puisse parler avec ses parents de la
perte ou de la mort.
Propos recueillis par Ushanga Elébé
LE THÉÂTRE À LA RENCONTRE DU MUSÉE
OU COMMENT LIER RACINE À SAINT-OURS
Inconnu, École française
Portrait de la duchesse du Maine en Cléopâtre
et portrait présumé de Mademoiselle de Nantes
Vers 1705, huile sur toile
Nous vous l’annoncions précédemment (lire Si
n° 5, page 37), le Théâtre de Carouge inaugure
cette année une nouvelle collaboration : dans
le cadre des parcours pédagogiques du Théâtre, des élèves peuvent suivre des visites thématiques au Musée d’art et d’histoire. Les premières
visites ont eu lieu en lien avec Bérénice (lire
page 157).
Lorsque Racine rédige Bérénice au XVIIe siècle, à
la cour de Louis XIV, il choisit un modèle antique
à proposer à son public. Titus et Bérénice au
cœur de la tourmente, la raison du cœur face à
la raison d’État…
Or Racine, janséniste nourri de sources latines
et grecques, n’est ni le premier ni le dernier à se
servir de la matière antique pour son œuvre.
L’histoire antique, tout comme la mythologie,
servent de vaste réservoir à sujets et à caractères
tout au long de l’histoire. Un parcours parmi les
œuvres exposées au Musée d’art et d’histoire,
proposé aux classes venant au théâtre admirer
Bérénice, permet de s’en convaincre.
Point de portrait de Titus ou de sa belle dans les
collections d’antiquités romaines. Celles-ci, en
pleins travaux de réaménagement, ne sont d’ailleurs plus visibles aujourd’hui et rouvriront en
grande pompe le 1er décembre 2010.
Il faut donc faire un saut chronologique pour
découvrir une tapisserie de 1480, réalisée à
Tournai, présentant la prise de Jérusalem par
Titus 1 . Cette tapisserie, dont le carton s’inspire
d’une pièce de théâtre d’Eustache Marcadé, Mystère de la Vengeance de Notre-Seigneur, datant
du début du XVe siècle, fait partie d’un ensemble plus vaste de tentures présentant les autres
épisodes de ce mystère. On y découvre une Jérusalem faite de toits à tuiles colorées, très bourguignons ; des soldats vêtus en armures à la
mode XVe siècle faites de plaques, cottes de
mailles et autres casques ; tout cela dans une
ambiance relativement éloignée de l’époque
romaine !
Avec la Renaissance, l’Antiquité revient à l’honneur. Les héros et les valeurs antiques sont
redécouverts. Les décors et costumes « à l’antique » réapparaissent. L’huile sur toile représentant Sabina Poppaea, portrait imaginaire
de l’impératrice Poppée, seconde femme de
Néron, la figure portant une étoffe de gaze «à
la romaine» légère et fluide, qui évoque les descriptions qu’en fait l’auteur romain Tacite dans
ses Annales. Une dame de la cour de François Ier
ou d’Henri II servit de modèle à l’artiste de
l’école de Fontainebleau, peut-être la fameuse
Diane de Poitiers. Ici, la référence antique permet de déshabiller le gracieux modèle tout en
préservant sa pudeur !
Le portrait d’Alexandre le Grand qui lui fait face
dans la salle, peint par Giulio Romano vers 15371538, permet à son commanditaire, Frédéric II de
Gonzague, duc de Mantoue, de s’associer avec
une figure héroïque. Une démarche que Lebrun
reprendra à Versailles, où un cycle décoratif assimile le Roi-Soleil au conquérant macédonien.
On retrouve la cour de Louis XIV avec le Portrait
de la duchesse du Maine en Cléopâtre et de Mlle
de Nantes. Ces deux dames de sa cour, vêtues à
la mode du début du XVIIIe siècle, sont représentées dans un décor imaginaire à l’antique. La
duchesse du Maine tient une perle dans une
main et une coupe en or dans l’autre. Ces attri— 154 —
buts l’assimilent à la reine d’Égypte qui fit son
festin d’une perle dissoute dans du vinaigre
pour remporter un pari avec Marc-Antoine.
L’épisode est narré dans les Histoires naturelles
de Pline l’Ancien. Le clin d’œil à l’histoire antique
renforce ici le faste de la cour louis-quatorzienne.
Le parcours s’achève sur l’âge néoclassique et
la peinture d’histoire de Vaucher ou Saint-Ours.
Ce sont ainsi la mort de Lucrèce ou celle de
Socrate, le choix des enfants de Sparte ou le personnage de Curius Dentatus refusant les présents des Samnites qui sont choisis. Des
hommes et des femmes se sacrifiant pour sauver leur honneur et pour le bien commun sont
les modèles qui font recette à la Révolution et
sous l’Empire. Le souci de réalisme historique
est lisible dans cette vision du monde antique,
des sandales de cuir aux colonnades des bâtiments, du drapé des manteaux au rendu des
armes romaines. Les personnages, hauts en couleur, se détachent sur un fond sombre et sobre ;
leurs visages sont expressifs et leurs gestes théâtraux, faisant de ces tableaux, souvent de grand
format, de véritables mises en scène.
Ce parcours dans les collections du Musée d’art
et d’histoire permet de se replonger dans des
épisodes historiques antiques, mais il est surtout révélateur du goût, des préoccupations et
des valeurs de chacune des époques qui en propose la relecture iconographique.
Murielle Brunschwig, Isabelle Burkhalter
Musées d’art et d’histoire
1 Voir une photo d’un détail de cette tapisserie
dans le Si n° 5, page 37.
THÉÂTRE ET MUSIQUE
LE THÉÂTRE DE CAROUGE ET LE CHAT NOIR
CONFIRMENT LEURS FIANÇAILLES !
«Déjà, les comédiens viennent chanter au Chat Noir
et les musiciens font vibrer les sièges du Théâtre.»
Le Théâtre de Carouge a proposé pour la saison
2008-2009 des pistes de partenariat avec le Chat
Noir en observant la pertinence territoriale et
les sensibilités qui relient ces deux structures.
Le Chat Noir a été très honoré et particulièrement motivé par cette invitation. L’expérience
ayant remporté un écho positif, il ne fut pas difficile de s’accorder à la réitérer pour la saison
2009-2010.
Au-delà d’une rencontre amicale, ce projet d’interaction ouvre des pistes de vitalité artistique
entre les programmations, en posant de vrais
sujets de réflexion. Il naît alors un esprit créateur qui propulse les protagonistes à trouver
des vecteurs communs entre leurs publics. On
constate très vite que le public ne fait qu’un et
qu’une ouverture de l’offre culturelle invite au
respect de chacun en levant des barrières
d’idées préconçues.
Ce partenariat est source de rendez-vous réguliers où les informations se croisent, où les gens
s’apprivoisent et finissent par tisser des liens
profonds. Cet état d’esprit permet aux uns et
aux autres le partage des expériences et n’est
pas loin de faire penser à la rencontre de deux
familles préparant un mariage… Déjà, les comédiens viennent chanter au Chat Noir et les musiciens font vibrer les sièges du Théâtre.
La dynamique des musiques actuelles, par la
richesse des pratiques musicales, offre un
champ d’expérimentation et d’innovation pour
une approche nouvelle de la vision culturelle.
Ainsi, il n’est pas saugrenu d’imaginer une soirée
de théâtre qui puisse se poursuivre par un concert
de pop rock et pourquoi pas, se terminer sur un
dancefloor !
Chacun s’y retrouve sur des thèmes séduisants
tels qu’une nuit à Londres ou à Rome, permettant à l’imaginaire de voyager en se déplaçant
de quelques pas. On s’aperçoit alors que dans
les rues de Carouge, certains soirs, les passants
parlent anglais ou italien, et si votre regard se
pose sur la devanture d’un fish & chips ou d’une
pizzeria, pincez-vous !
Roland Le Blévennec, directeur de l’ASMV
(Association de Soutien à la Musique Vivante)
— 155 —
É… MOIS PASSÉS
DE CAROUGE ET MEYRIN
…et plutôt d’ailleurs, d’ailleurs !
Brisures
Danse plus, cellule de médiation
Une après-midi, quatre créations en devenir
que nous découvrons : Cendrillon de Kelemenis,
Zelda Zonk de Maud Liardon, Roll Over de Louise
Hanmer, Brisures de Yann Marussich. Quatre
lieux, aussi : le Grand Théâtre, les studios de
l’adc, le Théâtre de l’Usine, l’adc. Premier rendezvous, Cendrillon, pour une répétition… franchement pas prometteuse. Direction ensuite le Grü,
dans un des studios de l’adc où l’on rencontre
Maud Liardon. Intimité, fragilité, elle tâtonne
encore, seule avec son canapé et ses talons.
Nous sortons émus (en tout cas moi). Plus loin,
Louise Hanmer nous fait partager ses tensions
et hésitations, toute proche qu’elle est de sa
première. Enfin, Yann Marussich dans son caisson… Et, pendant nos déambulations, çà et là,
nous glanons de petites infos sur les chorégraphes, les pièces, etc. Une chouette après-midi, à
refaire. Et très vite.
maintenant, imperceptiblement, sur une jetée
abstraite qui poignarde l’horizon. La perspective d’un navire approchant du quai débride son
imaginaire. S’embarquer, perdre pied en prenant
la mer, larguer les amarres comme on se jette
dans le vide, et rompre le silence au moment du
départ. Possédé, l’acteur magistral prend la
parole comme si c’était la première fois, comme
stupéfait d’entendre sa propre musique, une
voix venue d’ailleurs aux tessitures aussi mouvantes que des courants contraires, aux accents
étranges et lancinants. Son corps vacille. L’amplitude discrète du balancement fascine. Un
doigt, pointé vers le sol, semble l’unique point
d’ancrage, précieuse balise pour traverser les
tourments du texte de Pessoa, Ode maritime. On
doit cette vision hypnotique au metteur en scène
Claude Régy, dont l’univers vibratoire et sensationniste sublime la langue du poète portugais. La
puissance et la singularité de l’interprète JeanQuentin Châtelain portent l’amertume d’une ode
maritime dont le sel écorche la langue et trouble
l’âme. Le narrateur quitte la terre ferme pour lui
préférer les remous humides. Il déverse dans
l’océan infini la folie, l’obscurité et la barbarie
d’une communauté humaine en perdition. La
bouche béante, parfois muette, comme un
gouffre insondable, hurle soudain l’inavouable.
Déchirant l’immensité devant lui, son cri, soliOde maritime
Julie Decarroux-Dougoud
Vague à l’âme
Jean-Quentin Châtelain n’entre pas en scène, il y
apparaît, bestial. Surgi de la pénombre, lourd et
lent. Quittant la vague d’acier monumentale et
concave qui habille le fond de scène, il avance
— 156 —
taire et désespéré, plisse en cercles concentriques la surface de l’eau. La poitrine du spectateur, caisse de résonance, se soulève sous
l’onde de choc. Témoin de l’indicible, le public se
laisse aspirer par le tourbillon des mots. On ne
quitte pas la salle indemne, on continue à tanguer une fois le seuil franchi. Peu à peu, on
retrouve l’équilibre, ému d’avoir sondé une
zone sans doute voisine de l’inconscient. Par la
« déstructuration de l’espace perceptif ordinaire », Claude Régy opère de telle sorte que
« l’infini s’installe entre les choses ». Une expérience de l’intime, à vivre en suspension, dans
cet interstice hallucinatoire.
Christine-Laure Hirsig
2010 > tournée en France de janvier à mai
Quand les murs ont des yeux…
Troublant. Les frissons qui viennent rapidement. Une partition de musique construite
d’images qui suscitent l’envie et le désir d’en
voir davantage. Une émotion provoquée par
des regards d’une intensité rare. Le saisissement furtif et presque volé d’instants indélébiles dans l’aventure de la création, mais déjà
invisibles pour le spectateur. Des expressions
éphémères immobilisées sur du papier glacé, la
naissance immortalisée d’un récit. Un état de
grâce avant même d’avoir fait un pas dans la
salle de spectacle !
Les photos de répétitions de Marc Vanappelghem
pour La nuit des rois au Théâtre de Carouge.
Coré Cathoud
Paradoxe des plaisirs
À propos du tournage du Jeu de l’amour
et du hasard
Je suis assistant réalisateur et parfois je me surprends à penser qu’il est finalement assez
étrange d’exercer ce métier. Mais un tel aveu
mérite bien une petite explication. En effet,
lorsqu’il est dans le champ (je sais, il n’est pas
censé l’être mais passons outre), l’assistant fait
preuve de ponctualité, de sens pratique, de
patience, de gentillesse et d’un dévouement
absolu. Mais lorsqu’il est hors champ (c’est-àdire dans le secret de sa tête… croit-il), l’assistant
est souvent à la bourre, illogique, impatient,
mauvaise langue et complètement égocentrique.
Mais trêve de balivernes : ce métier, aussi étrange
et ambivalent soit-il, m’a surtout permis de faire
de belles rencontres. Dans le cadre du tournage
du Jeu de l’amour et du hasard, j’ai eu le plaisir
de faire la connaissance de Jean Liermier. J’ai été
marqué par l’honnêteté et la précision de sa
direction d’acteurs. Je me souviens de l’extrême
attention avec laquelle il écoutait les comédiens ; casque aux oreilles, les yeux fermés, totalement concentré sur la justesse du ton. Quel
plaisir aussi de retravailler avec Elena Hazanov,
que j’appelle affectueusement «la locomotive» !
Son énergie, le foisonnement de ses idées et son
audace sont de réelles motivations pour celles
et ceux qui travaillent avec elle. Voilà quelqu’un
avec qui il est passionnant de collaborer et, paradoxe de l’assistant oblige, à la place de qui il est
aussi passionnant de s’imaginer... Quand le cinéma et le théâtre croisent le fer, le hasard n’est pas
toujours chanceux, l’amour rarement idyllique,
mais le jeu en vaut largement la chandelle !
Serge Musy
Un élève au Musée d’art et d’histoire
(lire aussi page 154)
Ainsi, l’Antiquité serait une époque malléable,
mère de grands héros que s’approprient les
époques suivantes ? Que ce soit dans le théâtre
ou la peinture, on voit ces figures (historiques
ou non) arrachées à leur époque et placées en
des temps qui leur sont inconnus. Pourquoi ? Il
La nuit des rois par Marc Vanappelghem
faut les rapprocher de nous, faire croire à la réalité de ces illustres personnes pour que le mythe
devienne accessible au commun, pour que ces
êtres de vertu ne soient pas de simples rêves
mais des modèles à égaler.
Aussi, on saccage, on vole à l’Antiquité ceux qui
ont fait sa grandeur pour tenter de faire briller
le présent.
Le Musée d’art et d’histoire de Genève est plein
de ces exemples : Titus, habillé en croisé, prend
d’assaut une Jérusalem fortifiée comme les
villes européennes sur une grande tapisserie
datant du Moyen Âge, boucliers et armures portent les figures de héros romains, des tableaux
présentent des dames du XVIIIe siècle jouant le
— 157 —
rôle de grandes reines comme Cléopâtre. Racine,
dans sa pièce Bérénice, ne déroge pas à la règle
et la rareté des didascalies permet tous les
écarts : la preuve en est du nombre et de la diversité des mises en scène.
Ce que m’a apporté le parcours pédagogique
autour de Bérénice ? La compréhension qu’il
n’est pas obligatoire de coller avec une certaine
réalité historique, que les belles histoires sont
souvent intemporelles.
Simon Pichelin, collège Voltaire, 2e année,
classe de français de Mme Alexandra Steiner
BAR DU THÉÂTRE DE CAROUGE
FRANCK LECLERC DERRIÈRE LE COMPTOIR
«La gastronomie
doit être accessible à tous.»
Ancien élève de Paul Bocuse et maître cuisinier
de France, Franck Leclerc a récemment déposé
ses armes au bar du Théâtre de Carouge, nouvellement nommé L’Épilogue. Depuis le début de la
saison, avec son second Sébastien Boussedid, il
propose une nouvelle formule de petite restauration pour les équipes internes du théâtre lors
des répétitions, et pour le public lors des représentations. Après plusieurs stages dans des lieux
extrêmement variés (restaurant de collectivité,
restaurant traditionnel, restaurant semi-gastronomique ou encore relais-château), Franck
Leclerc a décidé de se lancer dans l’aventure
théâtrale par l’intermédiaire des saveurs du
palais. Rencontre gourmande.
Entretien
Coré Cathoud : Quel est votre désir en cuisine ?
Franck Leclerc : De tout essayer afin de ne jamais
cesser de me remettre à niveau et, surtout, en
question. Mon objectif est de surprendre les
papilles de mes clients en leur proposant une
cuisine élaborée et réfléchie ; une cuisine trop
minimaliste ne m’attire pas ! Mais je veux également surprendre mes employés : en leur montrant l’exemple, en sachant devancer ou répondre à toutes leurs interrogations et en suscitant
leur envie d'apprendre. J’ai passé mon bac pro
dans le restaurant La Pyramide de Fernand Point
à Vienne, lieu où il y avait de la minutie à l’extrême, de la discipline, de la rigueur et un vrai
respect du produit. Et ce sont des notions qui
dirigent mon travail, aujourd’hui encore.
CC : Metteur en scène de rigueur ; quel attrait ?
FL : Si l’on me sollicite, c’est justement pour ma
rigueur. Un chef de cuisine doit être un chef
d’orchestre. D’autant plus dans un théâtre avec
un service au bar où les durées de restauration
sont courtes. Il faut anticiper sur l’envoi de mets
frais. Et, par conséquent, il y a un grand travail
de réflexion sur l’organisation et la mise en
place à avoir, étant donné que le client doit être
servi en trois minutes.
CC : Après un tel parcours, pourquoi travailler
dans un bar de théâtre ?
FL : C’est un challenge terriblement excitant ! La
gastronomie française a atteint un niveau mondial de reconnaissance et, aujourd’hui, l’important pour moi est de faire reconnaître ce statut
à travers différents secteurs. Ce qui m’intéresse
particulièrement, c'est de préparer, un soir, un
repas composé de homard et de foie gras à un
ambassadeur et, le lendemain, de proposer à un
client du théâtre un sandwich dont les ingrédients auront été tout autant réfléchis – assaisonnement du beurre, agrément entre la tomate
et la pousse d’oignon, mie de pain salée, etc. – et
ce, à un prix abordable. Ainsi, je prouve qu’il ne
faut pas donner une image démesurément onéreuse à la gastronomie. Au contraire, on peut
l’adapter à tous les porte-monnaie et elle doit
être accessible à tous.
CC : Quelle est l’influence du théâtre sur votre
cuisine ?
FL : Après deux mois ici, je constate que les
pièces de théâtre ont une énorme influence sur
mes mets, alors que je ne m’y attendais pas du
— 158 —
tout ! La preuve en est que dernièrement, après
avoir assisté à une générale, j’ai décidé de modifier la majorité des plats pour le buffet de la première ! J’apprends donc à m’adapter au texte, à
la mise en scène choisie, à l’époque, etc. Et j’avoue
que cette expérience modifiera inévitablement
mon parcours professionnel.
CC : La cuisine : un art vivant ?
FL : C’est obligatoire ! Si j’étais éteint, ma cuisine
serait triste. Les plats reflètent la personnalité
du cuisinier. Il en va de même avec les émotions ; on dit bien que si c’est trop salé, c’est que
le chef est amoureux ! De plus, la remise en
question est quotidienne depuis que j’ai touché
mon premier couteau en cuisine. En restaurant,
elle doit se faire quatre fois par an à cause des
saisons ; au théâtre, elle se fera donc à chaque
nouvelle pièce. Mais c’est également un art
vivant puisque je doute tous les jours de mes
réalisations et que je ne suis jamais sûr de ce
que je fais. Cela dépend énormément de mes
émotions, de mon état d’esprit, de mon état de
fatigue. Je ne sentirai jamais la même saveur
deux fois. Et la gastronomie et le théâtre ont
cela de commun : les goûts varient autant vis-àvis d’un plat que d’une pièce de théâtre.
Propos recueillis par Coré Cathoud
L’Épilogue, bar du Théâtre de Carouge,
est ouvert 1h avant et après la représentation.
Petite restauration.
Réservations au 022 308 47 31.
Responsables de la publication :
Delphine de Stoutz (Carouge) / Mathieu Menghini (Meyrin)
Comité de rédaction:
Anne Brüschweiler (M) / Laurence Carducci (M) / Coré Cathoud (C) /
Francis Cossu (C) / Julie Decarroux-Dougoud (M) / Camille Dubois (M) /
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Secrétariat de rédaction : Florent Lézat (C)
Correctrice : Gaëlle Rousset (M)
Graphisme : Spirale Communication visuelle / Alain Florey
Impression : Sro-kundig / Tirage : 10 000 exemplaires
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Impressum
Crédits photos
P. 105 Anonyme, Le cyclone Carroll / P. 106 Brigitte Enguérand / Elizabeth Carecchio /
Marc Vanappelghem / P. 109 Francis Traunig / Pp. 110-113 Stefan Okolowicz /
P. 115 Brigitte Enguérand / Pp. 116-117 Succession Antonio Saura – www.antoniosaura.org – 2009, ProLitteris, Zurich / P. 118 D.R. / P. 119 Jean-Marc Humm /
P. 121 Marc Vanappelghem / Pp. 122-123 D.R. / Pp. 124-127 Brigitte Enguérand /
P. 129 Ralph Crane – Getty Images / Pp. 130-133 Elizabeth Carecchio /
Pp. 134-135 D.R. / Pp. 136-137 Didier Grappe / P. 138 D.R. / P. 139 D.R. - Georges de
La Tour / Pp. 140-141 D.R. / Pp. 142-143 Michèle Laurent / Pp. 144-145 Anne Gayan /
P. 146 Christian Ganet / P. 147 Marc Vanappelghem / P. 149 D.R. /
P. 151 Franck Beloncle – Les Solitaires Intempestifs / Gilles Aillaud /
152 Mercédès Riedy / P. 153 Jean-Louis Fernandez / P. 154 Musée d’art et d’histoire,
Ville de Genève, inv. n° 1947-21, Inconnu, École française, d’après un modèle
de François de Troy (Toulouse, 1645-Paris, 1730), Portrait de la duchesse du Maine
(Louise-Bénédicte de Bourbon) en Cléopâtre et portrait présumé de Mademoiselle
de Nantes (Louise-Françoise de Bourbon), photo Nathalie Sabato / P. 155 Chat Noir /
P. 156 Sandra Piretti / Mario Del Curto / P. 157 Marc Vanappelghem /
P. 158 Marc Vanappelghem / P. 160 D.R. / Succession Antonio Saura – www.antoniosaura.org – 2009, ProLitteris, Zurich
Le Théâtre de Carouge-Atelier de Genève est subventionné par
la République et Canton de Genève et la Ville de Carouge.
Il est soutenu par la banque Wegelin & Co., la Fondation Leenaards, la Ville de Genève, la Ernst Göhner Stiftung et le Club des 50.
Le Club des 50 : Art Ménager Carouge, Atelier Jeca, Domaine des Abeilles d’or, Groupe André Chevalley SA, Hôtel d’Angleterre,
Info PC SA, Imagic, JT International SA, La maison Mauler, La Semeuse, Lumière Spectacles LSB SA, MPM facility services SA, SIG,
Vom Fass Carouge, Communes de Plan-les-Ouates, Troinex et Veyrier.
Il collabore avec Unireso, TPG-Transports publics genevois, le service culturel Migros-Genève.
Il a comme partenaires le Musée d’art et d’histoire, le Chat Noir et Teo Jakob.
Partenaires du Théâtre Forum Meyrin. Le Théâtre Forum Meyrin est un service de la commune de Meyrin.
— 159 —
AGENDA
________________________________________________________________________________________
Juliette et Roméo
William Shakespeare / Bergamote
Du vendredi 20 novembre au dimanche
10 janvier. Supplémentaires du mardi 25
au dimanche 30 mai (Carouge)
(A)pollonia
Krzysztof Warlikowski
Du mardi 12 au vendredi 15 janvier (Meyrin)
Platonov
Anton Tchekhov / Valentin Rossier
Du vendredi 15 janvier au dimanche 7 février
(Carouge)
La ménagerie de verre
Tennessee Williams / Jacques Nichet
Mercredi 20 et jeudi 21 janvier (Meyrin)
Pinocchio
Joël Pommerat
Du mardi 26 au vendredi 29 janvier (Meyrin)
Irrégulière
Louise Labé / Norah Krief et Frédéric Fresson
Mardi 2 février (Meyrin)
Turba
Compagnie Maguy Marin
Samedi 6 février (Meyrin)
Jules et Marcel
D’après Jules Raimu et Marcel Pagnol
Du jeudi 11 au samedi 13 février (Meyrin)
Madame de Sade
Yukio Mishima / Jacques Vincey
Mercredi 17 et jeudi 18 février (Meyrin)
Exposition
__________________________________________________________________________________________________________
Spectacles
Antonio Saura, contes et mensonges
Dessins et peintures sur papier
Du mercredi 13 janvier
au samedi 20 février (Meyrin)
Films
Rashõmon
Akira Kurosawa
Mercredi 20 et jeudi 21 janvier, lundi 8,
mercredi 17 et jeudi 18 février (Meyrin)
Les aventures de Pinocchio
Luigi Comencini
Mardi 9 février (Meyrin)
Café des sciences
Atelier d’expression théâtrale
Dès 10 ans
Du 14 septembre 2009 à juin 2010 (Meyrin)
Pacamambo
Wajdi Mouawad/ François Marin
Mardi 2 et mercredi 3 mars (Meyrin)
Location
Achat sur place et au +41 (0)22 989 34 34,
du lundi au vendredi de 14h00 à 18h00
Achat en ligne : www.forum-meyrin.ch /
[email protected]
Autres points de vente : Service culturel Migros,
Rue du Prince 7 / Genève / Tél. +41 (0)22 319 61 11
Stand Info Balexert / Migros Nyon-La Combe
Administration
Théâtre Forum Meyrin
1, place des Cinq-Continents / Cp 250 /
1217 Meyrin 1 / Genève / Suisse
Tél. administration : +41 (0)22 989 34 00
Fax : +41 (0)22 989 34 05
[email protected] / www.forum-meyrin.ch
L’art du mensonge politique
Jean-Noël Jeanneney
Lundi 8 février (Meyrin)
Ateliers
Philoctète
Jean-Pierre Siméon, variation
à partir de Sophocle / Christian Schiaretti
Du jeudi 18 février au dimanche 7 mars
(Carouge)
Accès
En voiture : direction Aéroport-Meyrin ;
sur la route de Meyrin, après l’aéroport,
prendre à droite avenue de Mategnin, ensuite
avenue de Feuillasse direction Forum Meyrin,
puis suivre parking Centre commercial.
Deux grands parkings gratuits à disposition.
En bus : N° 57 – Arrêt Forumeyrin.
En Tram : N° 14 ou 16 – Arrêt Forumeyrin.
Rencontre
Vous n’imaginez pas tout ce que la pub
sait faire pour vous !
Jeudi 25 février (Meyrin)
Philoctète
Renseignements pratiques
Parcours artistique
De 4 à 15 ans
De septembre 2009 à juin 2010 (Meyrin)
Événements joints
«Ce soir je vous aime plus
que les autres jours.»
Samedi Coup de cœur / Une nuit à Moscou
Samedi 23 janvier (Carouge)
«Il est temps de prendre la mer.»
Samedi Coup de cœur / Une nuit à Salonique
Samedi 27 février (Carouge)
Accès
En voiture : sortie autoroute
de contournement A1 : Carouge Centre.
Sur la route de Saint-Julien, tout droit
jusqu’à la place du Rondeau (ne pas s’engager
à droite dans le tunnel – route du Val d’Arve).
Deux grands parkings à disposition.
En bus : N° 11 / 21 – Arrêts Armes ou Marché.
En tram : N° 12 / 13 / 14 – Arrêt Ancienne.
Location
Achat sur place et au +41 (0)22 343 43 43,
du lundi au vendredi de 10h00 à 17h00
le samedi de 10h00 à 14h00
Achat en ligne :
www.theatredecarouge-geneve.ch
Autres points de vente : Service culturel Migros,
Rue du Prince 7 / Genève / Tél. +41 (0)22 319 61 11
Stand Info Balexert / Migros Nyon-La Combe
Administration
Théâtre de Carouge – Atelier de Genève
Rue Ancienne 57 / Cp 2031 / 1227 Carouge / Suisse
Tél. administration : +41 (0)22 343 25 55
Fax : +41 (0)22 342 87 95 / [email protected]
www.theatredecarouge-geneve.ch
________________________________________________________________________________________
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