Discours du 1er août 2015 par Pierre Alain Tschudi.odt

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Discours du 1er août 2015 par Pierre-Alain Tschudi, Maire de Meyrin
Chères Meyrinoises, chers Meyrinois,
chèr-e-s ami-e-s venu-e-s des communes voisines suisses ou françaises,
chèr-e-s ami-e-s venu-e-s de plus loin encore,
Au nom des autorités meyrinoises, je vous souhaite un excellent premier août et vous
remercie du fond du cœur d'être venus ici sur la campagne Charnaux en dépit du temps
maussade et pluvieux. Votre présence témoigne de votre attachement à Meyrin et à notre
pays, à la communauté que nous formons au-delà de nos différences. Je pense d'ailleurs
que ce qui nous réunit ce soir, c'est en premier lieu notre appartenance à Meyrin. J'en
veux pour preuve que certains d'entre vous cherchaient hier à se procurer des drapeaux
meyrinois pour fêter notre fête nationale, que vous auriez très bien pu choisir de suivre les
émissions consacrées au 1er août devant votre téléviseur, mais que vous êtes là ce soir,
et qu'enfin plusieurs d'entre vous, nos «expats» en quelque sorte, nos Meyrinois de
« l'étranger », reviennent chaque année à Meyrin pour participer à cette belle fête qui jouit
d'une excellente réputation au-delà des frontières communales.
De toute évidence, qu'il fasse beau ou mauvais, nous ressentons toutes et tous ici
présents, l'envie ou le besoin de nous retrouver, d'exprimer notre appartenance à une
grande famille, la famille Meyrin qui habite au 22ème étage de la maison suisse qui ellemême se trouve, un peu à l'écart, de la petite commune d'Europe située quelque part sur
une planète habitable appelée la Terre. Les habitants de cette maison suisse, dont la
famille Meyrin, organise chaque année une fête des voisins pour souligner qu'ils sont
heureux de vivre ensemble dans une même maison. La famille Meyrin s'est agrandie au fil
du temps en adoptant des enfants d'un peu partout, des autres étages d'abord, mais aussi
de la commune d'Europe, puis de toute la planète habitable. Comme cela faisait beaucoup
de monde, toutes et tous ont dû mettre la main à la pâte, s'entraider, s'organiser, et ça a
marché. Tous les nouveaux membres de la famille ont appris la même langue pour mieux
se comprendre, ils se sont engagés et ont créé des associations. Grâce à sa diversité et
son dynamisme, la famille Meyrin est une famille unie qui va plutôt bien. Et comme les
Meyrin ont appris depuis tout petits à être généreux et accueillants, à compter les uns sur
les autres, à se serrer les coudes et à être solidaires, ils ont tout naturellement intégré
dans leurs activités et leurs sociétés des non-membres de la famille, des amis qui habitent
soit au même étage, soit à d'autres étages, soit la commune d'Europe. Et c'est cela qui fait
que notre premier août ici à Meyrin est une très grande fête de famille, certes encore plus
magnifique quand le temps est splendide, mais tout de même belle parce que l'esprit de
Meyrin illumine la campagne Charnaux, quel que soit le temps.
J'aimerais remercier toutes celles et ceux qui, année après année, en plein milieu d'une
période de vacances, mettent tout en œuvre pour assurer la réussite de notre fête
nationale, à savoir les employés communaux des services de l'environnement, de la
culture et de la sécurité, la Police municipale, la compagnie des sapeurs-pompiers
volontaires de Meyrin, les Samaritains de Meyrin qui fêtent cette année leur 50ème
anniversaire, ainsi que toutes les autres sociétés qui, sous l'égide du cartel, animent ce
soir la Campagne Charnaux. Un grand merci également aux musiciens qui tout au long de
la soirée nous apportent de la chaleur et vont égayer la fête.
Le premier août ce n'est bien évidemment pas qu'une fête meyrinoise, pas qu'une fête de
famille, c'est aussi le moment privilégié de nous pencher sur notre histoire, les valeurs qui
fondent notre pays, ainsi que sur le rôle que la Suisse doit jouer dans le concert des
Nations ou, en d'autres mots, sur la contribution que la Suisse peut et doit apporter pour
aider l'humanité à relever les défis auxquels elle est confrontée.
Cette année, nous pourrions parler pendant des heures d'histoire, puisque 2015 est
l'année de toutes les commémorations, il y a les 700 ans de Morgarten, les 500 ans de
Marignan, les 200 ans du congrès de Vienne et j'ajouterais pour Meyrin les 200 ans de la
bataille de Waterloo.
Si les historiens tentent, par une approche scientifique et une étude des sources
historiques à reconstituer les faits et à en comprendre les causes et les effets, les discours
politiques, notamment ceux du 1er août, partent des récits historiques et les interprètent
pour illustrer des préoccupations ou des convictions actuelles, partagées ou non.
La bataille de Morgarten et le traité de Brunnen qui remplace en 1315 le pacte, que vient
de nous lire le président du Conseil municipal, démontre que les trois cantons Uri, Schwyz
et Unterwalden ont reconnu, il y a 700 ans, une fois de plus la nécessité de s'unir, de
s'assister mutuellement et de définir une politique commune dans la défense de leurs
intérêts. Les conflits violents, telle la bataille de Morgarten, étaient dus à leur implication
dans les luttes de pouvoir au sein du saint Empire romain germanique et non à une remise
en question du pouvoir féodal ou à des velléités d'indépendance, telle que cela a été
interprété plus tard. Bien sûr, cette implication dans la politique de l'empire était motivée
par des intérêts qui leur étaient propres. On peut dès lors en déduire que, de tout temps,
les événements qui touchent les Suisses dépendent fortement du contexte international.
La bataille de Marignan en 1515, il y a 500 ans, ne se prête pas vraiment à un discours
patriotique. Cette bataille met d'abord en lumière de grandes divergences entre
Confédérés eux-mêmes. Les Confédérés fribourgeois, soleurois et bernois, plutôt
francophiles, signèrent un accord avec la France qui leur offrait des avantages
économiques et se retirèrent avant l'affrontement. D'autres Confédérés de l'ancienne
alliance suisse, bien qu'affaiblis, se laissèrent en revanche entraîner dans une bataille
dont ils pensaient encore pouvoir tirer profit. Près de 10'000 Confédérés et 4'000 Français
y perdirent la vie. L'année suivante, les Confédérés signaient un accord avec la France, le
même qu'ils avaient refusé un an plus tôt. Il est bien difficile de tirer de ce terrible
événement une autre leçon que celle de l'absurdité de la guerre. A partir de Marignan, les
Suisses continuent à être présents sur les champs de bataille européens, mais désormais
en tant que mercenaires. A chaque qu'ils se mettent à disposition d'une puissance
étrangère, les Suisses prennent parti. Il est impossible dès lors de faire remonter la
neutralité suisse à 1515.
En 1815, il y a 200 ans, lors du congrès de Vienne, ce ne sont pas non plus les Suisses
qui choisissent d'être neutres, mais bien les puissances européennes qui les
«neutralisent». A noter, que lors de ce congrès, Meyrin, n'est pas intégrée à Genève et à
la Suisse. Il s'en est d'ailleurs fallu de très peu que Meyrin continue à faire partie du pays
de Gex. Sans la défaite de Napoléon à Waterloo en juin 1815, il est quasi certain qu'il n'y
aurait pas eu de second Traité de Paris en novembre de la même année, lors duquel la
France, la Grande-Bretagne, l'Autriche, la Prusse et la Russie décidèrent que Meyrin ferait
désormais partie de la Suisse. Ce rattachement fut décidé par les puissances étrangères
sans la moindre consultation des populations concernées. Si l'on avait demandé en 1815
l'avis des Meyrinois, des Gessiens et des Genevois, nous fêterions probablement notre
fête nationale le 14 juillet avec nos voisins français. C'est pourquoi, lorsque nous
célébrerons, l'an prochain, le bicentenaire de notre adhésion à la Suisse, nous y
associerons, si elles le veulent bien, les communes françaises voisines, car peu s'en est
fallu qu'elles deviennent suisses aussi.
J'aimerais clore cette énumération historique par un événement plus récent qui s'est
déroulé, il y a quarante ans, jour pour jour. Le 1er août 1975, 35 Etats dont la Suisse
signaient dans le cadre de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe, les
accords d'Helsinki. D'abord très réticente, à s'engager dans les travaux de cette
Conférence internationale, la Suisse y participa très activement dès 1972. C'est une étape
décisive de la Suisse dans l'ouverture de sa politique étrangère. En pleine guerre froide,
elle y joua un rôle important dans le cadre des pays neutres et non-alignés, pour instaurer
un dialogue et finalement trouver un accord entre pays du bloc de l'est et du bloc de
l'ouest. Certes, cet accord ne fut jamais vraiment respecté, mais il renforça une politique
de détente en Europe et favorisa l'émergence d'oppositions démocratiques dans les pays
d'Europe de l'Est. En décembre 1994, la Conférence se transforma en Organisation sur la
Sécurité et la Coopération en Europe. La Suisse en assuma à deux reprises la présidence,
en 1996 et en 2014. L'an dernier, la Suisse déclara être résolue à utiliser son année
présidentielle pour jeter des ponts et trouver des solutions communes aux défis communs.
Joignant des actes à ces belles paroles, le président Didier Burkhalter n'a pas ménagé ses
efforts pour créer des conditions de paix dans le conflit ukrainien. «La paix exige un
engagement constant», a-t-il encore rappelé hier soir lors de son allocution du 1er août.
Et il a raison. Si nous voulons continuer à vivre en paix, si nous voulons assurer un avenir
à nos enfants, si nous voulons préserver le beau pays que nous fêtons ce soir, la Suisse
doit s'engager résolument dans l'arène internationale pour y promouvoir une politique de
paix et de justice et ceci dans toutes les instances dans lesquelles elle est présente. Elle
peut promouvoir la paix en usant par exemple de tout son poids au Fonds Monétaire
International pour réduire la dette que la Grèce n'arrivera jamais à rembourser, mais qui
prétérite aujourd'hui lourdement son avenir et plonge son peuple dans la misère. Elle peut
promouvoir la paix en s'engageant résolument dans une politique qui permette à notre
planète d'éviter une catastrophe climatique, consciente que le changement climatique est
LE défi mondial du XXIème siècle. Il est la cause de crises alimentaires et sanitaires
croissantes, de la migration de populations entières, de nombreux conflits armés,
d'injustice et d'inégalités dramatiques.
On peut encore agir, on doit agir. La Suisse ne sauvera pas le monde, mais elle peut et
doit y contribuer en prenant des mesures adéquates chez nous et en s'investissant dans
l'arène internationale, notamment en décembre prochain à Paris lors de la 21ème
conférence des Nations Unies sur le climat.
Elle doit pouvoir le faire avec l'appui d'une population consciente de la réalité, unie et
résolue à relever les défis et à sortir du déni. Nous avons un besoin de changement,
comme le répète également inlassablement le pape François. Ce changement ne doit pas
nous faire peur. Le remède ce n'est pas l'austérité que certains nantis veulent appliquer
aux plus vulnérables, mais c'est un investissement de tous dans un mode de vie différent
qui ne met pas en péril l'avenir d'une partie de la planète aujourd'hui et de nos enfants et
petits-enfants demain. La petite planète habitable Terre est notre patrimoine commun qui
se dégrade si nous n'y mettons pas le holà, tous ensembles. Et même si notre
gouvernement fédéral, à travers son ministre des affaires étrangères, manifeste une
volonté réjouissante de promouvoir la paix, ce n'est pas suffisant. L'avenir est notre affaire
à toutes et à tous. Nous pouvons chacune et chacun y apporter notre contribution. Les
ancêtres que nous honorons les soirs de premier août, même si nous peinons parfois à les
comprendre, nous ont transmis des valeurs fondamentales de solidarité et d'entraide,
mais aussi de responsabilité et d'engagement. Les Suisses ont toujours aimé leur pays et
sont toujours partis dans le monde. Le premier médecin étranger à se rendre à Hiroshima
après l'explosion de la bombe atomique, il y a 70 ans, était genevois. Il s'appelait Marcel
Junod. Depuis bientôt 30 ans, un homme construit en Amérique Latine et en Asie des
centaines de ponts avec la population locale, on l'appelle Toni el Suizo, il est originaire
des Grisons. De nombreuses Suissesses et Suisses s'engagent aujourd'hui pour rendre
notre monde meilleur ou venir en aide à des populations frappées par des guerres ou des
catastrophes. Elles et ils nous transmettent aussi les valeurs fondamentales de notre pays.
Elles et ils méritent aussi qu'on les honore ce soir.
Notre fête du premier août est donc bien plus qu'une belle fête de famille, c'est aussi un
rassemblement solennel lors duquel nous nous interrogeons sur l'avenir et les
responsabilités de notre pays et sur nos propres responsabilités de citoyennes et de
citoyens. Nous y renouvelons un contrat, un pacte, un traité, un accord, tacite certes, mais
non moins réel, celui de vivre en harmonie avec les autres et avec la nature, à l'image de
notre fête du premier août que je vous souhaite belle et joyeuse. Car l'engagement de
chacune et chacun, que j'appelle de mes vœux, surgit entre autres des liens d'amitié que
nous tissons lors de fêtes comme celle de soir.
Vive Meyrin, vive la Suisse, vive notre planète !
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