Des idées en actions : Recomposition des modes d’action publique autour des acteurs de l’Insertion par l’Activité Économique Le cas des entreprises d’insertion du bassin d’emploi rennais Tifenn Le Brazidec Mémoire de 4e année Institut d’Études Politiques de Rennes Séminaire : Action Publique Locale Sous la direction de : Philippe 2015-2016 Leroy Remerciements « Pour créer une entreprise d’insertion, ou faire fonctionner une SIAE, il faut avoir une bonne dose d’inconscience ! On a des soucis comme une entreprise normale, et on s’en rajoute ! » Je tiens à adresser mes remerciements à tous les professionnels qui contribuent à faire de l’insertion par l’activité économique une réalité, et qui ont accepté de me recevoir pour partager leurs expériences. Leur enthousiasme et grande disponibilité ont été d’une aide précieuse pour la réalisation de ce travail de recherche. Je remercie également Philippe Leroy, mon directeur de mémoire, pour ses précieux conseils et encouragements, ainsi que Marc Rouzeau et Romain Pasquier qui ont enrichi toute l’année le séminaire d’action publique locale de leurs contributions. Enfin, je salue chaleureusement mes proches pour leur soutien depuis le début, et leur relecture bienveillante et attentive de ce texte. Avertissement Ce travail s’inscrit dans le cadre d’un apprentissage de la recherche. Il est donc nécessairement inabouti et présente des imperfections et insuffisances. Par ailleurs, l’IEP n’entend donner aucune approbation aux informations et aux analyses contenues dans ce mémoire. Elles doivent être considérées comme de la seule responsabilité de l’auteur. Liste des sigles et des abréviations Principales IAE : Insertion par l’Activité Economique SIAE : Structure d’Insertion par l’Activité Economique - ACI : Ateliers et Chantiers d’Insertion - AI : Association Intermédiaire - EI : Entreprise d’insertion - ETTI : Entreprise de Travail Temporaire d’Insertion Secondaires CDD : Contrat à Durée Déterminée CDDI : Contrat à Durée Déterminée d’Insertion CDI : Contrat à Durée Indéterminée CDIAE : Conseil Départemental d’Insertion par l’Activité Economique CHRS : Centres d’Hébergement et de Réadaptation Sociale CNIAE : Conseil National d’Insertion par l’Activité Economique CTA : Comité Technique d’Animation DGAS : Direction générale de l’action sociale DGEFP : Direction Générale de l’Emploi et de la Formation Professionnelle DIRECCTE : Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi EPCI : Etablissement Public de Coopération Intercommunale ESAT : Établissements et services d’aide par le travail ESS : Economie Sociale et Solidaire ETP : Equivalent Temps Plein GEIQ : Groupement d’Employeurs pour l’Insertion et la Qualification PLIE : Plan Local pour l’Insertion et l’Emploi RMI : Revenu Minimum d’Insertion RQ : Régie de Quartier RSA : Revenu de Solidarité Active SMIC : Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance Sommaire SOMMAIRE ............................................................................................................................. 4 INTRODUCTION ............................................................................................................................ 6 A. Présentation du thème de recherche .............................................................................. 6 B. Précisions autour de l’objet de recherche .................................................................... 9 C. Problématisation .......................................................................................................... 14 D. Terrain et méthodologie de recherche ......................................................................... 17 PARTIE I - LE MODELE D’ENTREPRISE D’INSERTION : AU CŒUR D’UNE GOUVERNANCE PARTENARIALE ET TERRITORIALISEE .................................... 21 CHAPITRE 1. INSTITUTIONNALISATION DES STRUCTURES D’INSERTION PAR L’ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE ......................................................................................................................... 22 A. Naissance d’initiatives locales (1960-1970) ................................................................ 22 B. Acquisition de statuts juridiques (1980-1990) ............................................................. 25 C. L’IAE : vers un instrument d’action publique reconnu dans les années 2000-2010 ... 31 CHAPITRE 2. CONSTITUTION D’UN RÉSEAU D’ACTION PUBLIQUE DANS LE CHAMP DE L’IAE . 34 A. Un maillage d’acteurs très dense................................................................................. 35 B. De l’instauration du dialogue à des relations partenariales ....................................... 38 C. L’interconnaissance comme enjeu majeur.................................................................. 41 CHAPITRE 3. PROFESSIONNALISATION DES ENTREPRISES D’INSERTION .................................. 45 A. Adaptation inévitable aux nouvelles réalités économiques ...................................... 46 B. Des formes renouvelées de gouvernance interne : l’exemple de Ressources T ....... 50 C. Introduction de clauses sociales dans les marchés publics...................................... 53 PARTIE II - LE PARCOURS DES PERSONNES EN INSERTION : DES PRINCIPES D’ACTION OSCILLANT ENTRE IDEAL ET REALITE................................................ 58 CHAPITRE 1. LE RECRUTEMENT ............................................................................................. 60 A. Quels publics éligibles à l’IAE ? .............................................................................. 60 B. Attentes des entreprises d’insertion et cohérence du projet social .......................... 64 C. Fonctionnement du recrutement en réseau « fermé » : une voie souvent privilégiée 67 CHAPITRE 2. L’ACCOMPAGNEMENT....................................................................................... 71 A. La « globalité » de la personne mise en exergue ..................................................... 71 B. L’idée de construction d’un parcours en insertion compromise .............................. 75 CHAPITRE 3. L’EFFICACITÉ DES DISPOSITIFS D’IAE............................................................... 79 A. Un financement annexé aux résultats de sortie vers l’emploi .................................. 79 B. Des résultats à leur négociation ............................................................................... 83 C. De la négociation à l’efficacité relative de l’IAE ..................................................... 85 CONCLUSION ....................................................................................................................... 89 TABLE DES MATIERES ..................................................................................................... 93 BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................. 96 OUVRAGES GÉNÉRAUX .......................................................................................................... 96 RESSOURCES UNIVERSITAIRES ............................................................................................... 97 OUVRAGES ET ARTICLES SPÉCIFIQUES À L’INSERTION ........................................................... 97 RAPPORTS ET STATISTIQUES .................................................................................................. 98 CORPUS JURIDIQUE ................................................................................................................ 99 ANNEXES ............................................................................................................................. 101 LISTE DES ENTRETIENS RÉALISÉS......................................................................................... 101 DIFFÉRENCES MAJEURES ENTRE LES STRUCTURES D’IAE .................................................... 102 DONNÉES CHIFFRÉES COMPLÉMENTAIRES ........................................................................... 103 Introduction A. PRÉSENTATION DU THÈME DE RECHERCHE 1. Actualité du sujet « L’emploi, c’est la priorité de mon gouvernement », réaffirmait Manuel Valls le 22 février 20161 dans la continuité de l’objectif tant clamé du quinquennat de François Hollande : inverser la courbe du chômage. L’apparition de ce problème public n’est pas récente. Sa mise à l’agenda politique est régulière2 et indubitable, afin de répondre à ce qui constitue la préoccupation première des français3. En moyenne au 4e trimestre 2015, le taux de chômage en France était de 10,3 % de la population active, portant le nombre de chômeurs à environ 2,9 millions de personnes4. Au-delà de ces données factuelles, des travaux de recherche5 s’attachent à comprendre par quels modes d’actions et représentations les politiques publiques tentent de remédier au problème du chômage. Avec la fin d’un modèle keynésien de plein emploi pendant longtemps dominant, les frontières entre emploi, inactivité et chômage apparaissent de plus en plus indéterminées6. Le phénomène occasionne la création de statuts intermédiaires et une multiplication des catégories de publics prioritaires. L’action publique de lutte contre le chômage est finalement qualifiée de « bricolage institutionnalisé » par Philippe Garraud, qui met en exergue la fragmentation institutionnelle ou encore la multiplicité des dispositifs. D’après les insuffisances supposées du traitement de la question du chômage selon ces modes d’action publique, naissent dans les années 1970 d’autres dispositifs annexes d’après des initiatives privées éparses : ce sont les débuts de l’Insertion par l’Activité Économique (IAE). 1 Toute l’actualité du gouvernement, 2016, [consulté le 30/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1Twso96 MULLER Pierre, SUREL Yves, L’Analyse des politiques publiques, Paris, Montchrestien, Collection Clefs, 1998, p.68 3 Selon une enquête Harris Interactive pour RTL, le chômage demeure la préoccupation première des français (77%), devant le terrorisme (75%) et l’insécurité (62%). Le chômage reste la première préoccupation des Français pour 2016, Le Point.fr, 2016, [consulté le 30/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1OhbNkm 4 Résultats de l'enquête Emploi au quatrième trimestre 2015, INSEE, 2016, [consulté le 30/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/19qYUFM 5 Par exemple, GARRAUD Philippe, Le chômage et l’action publique. Le « bricolage institutionnalisé », Paris, L’Harmattan, 2000, 241p. 6 GARRAUD Philippe, op.cit., pp.59-63 2 6 L’action publique se recompose autour de ces nouveaux acteurs issus du travail social, qui promeuvent une autre perception des personnes éloignées de l’emploi. La personne est vue dans sa globalité et valorisée dans son autonomie par une mise en situation de travail concrète ; et non plus seulement par le prisme d’une catégorie d’action publique. 2. Un regard personnel en aparté sur le thème Ce qui a attiré mon attention au départ, n’est pas l’hétérogénéité remarquable parmi les personnes en situation de chômage ; mais c’est plutôt la place originale que leur accorde l’insertion par l’activité économique, en les propulsant au rang d’acteurs de leur propre parcours. Le dispositif interroge sur les capacités d’action d’un individu, sur la volonté plus ou moins manifeste de « se prendre en main », et sur la place du travail dans le processus de (re)socialisation. Cela m’a permis d’engager une réflexion plus élargie sur l’altérité et le processus de construction de l’identité personnelle. Des mutations contemporaines ont été observées, selon lesquelles on accorderait une primauté à la liberté de la personne humaine, illustrées par une émancipation des institutions1. Mais dans le même temps, que devient la capacité d’action d’une personne en situation d’exclusion, situation qui provoque une certaine perte de repères et de réseaux ? L’accompagnement vers l’emploi et le travail social prennent tout leur sens : le travail étant vecteur de reconnaissance sociale et d’une part de l’identité personnelle. L’insertion par l’activité économique s’avère alors être tout-à-fait pertinente. Elle permet à des personnes éloignées de l’emploi de renouer un contact avec le monde du travail, et d’accéder plus facilement à tous ses attributs en termes de socialisation. 3. Première mise en perspective historique Le terme d’insertion a été utilisé dans le langage commun et des textes législatifs depuis les années 1970 seulement, dans son acception actuelle de « devoir d’insérer » dans la société en essayant de trouver un travail2. Deux grandes ruptures historiques, explique Claude Dubar, ont constitué la question de l’insertion sur le marché du travail en « problème social ». Tout d’abord s’est opérée une dissociation entre l’espace de formation et l’espace de travail, séparant ainsi la vie privée de la 1 DUBET François, Le Déclin de l’Institution, Paris, Seuil, 2002, p.15 DUBAR Claude, « La construction sociale de l'insertion professionnelle », Education et Sociétés [en ligne], 2001, n°7, p. 23-36, [consulté le 2/12/2015], disponible sur : http://bit.ly/24CgdvA 2 7 vie professionnelle et la « jeunesse » de « l’âge adulte ». La seconde rupture réside dans l’allongement récent du temps de transition entre la sortie des études et l’entrée sur le marché du travail. Ce passage se réalise beaucoup moins systématiquement que par le passé. L’agrandissement de ces espaces de transition a créé un besoin d’insertion et d’accompagnement, dans un contexte de montée de l’exclusion économique et sociale. Pour autant, de multiples expériences d’insertion par l’activité furent observées bien avant la crise économique et sociale des années 1970. Dès le XVIIIe siècle, des initiatives se développent par l’intervention du pouvoir royal, visant à occuper tous les mendiants, vagabonds et indigents exclus de l’emploi, en leur proposant des opportunités de travaux publics : sont créés les ateliers de charité, ateliers de secours, ou encore les dépôts de charité1. A cette époque, les dispositifs étaient contraints et obligeaient les pauvres valides à travailler. Aujourd’hui, l’exercice d’une activité professionnelle n’a pas – ou plus – une force obligatoire. Travailler revêt tout-de-même plusieurs attributs et promesses : une insertion économique par l’obtention d’un revenu supérieur aux minimas sociaux, et une insertion sociale par une plus grande confiance en soi et de nouvelles formes de sociabilité. Au-delà de ces possibles vertus du travail, un courant de réflexion se développe dans les années 1960-1970 dans les milieux du travail social. Certains intellectuels tels que Michel Foucault s’opposent aux idées d’enfermement, de marquage social ou de stigmatisation2. Finalement, l’idée promue par ces courants de pensée et qui deviendra le leitmotiv de l’IAE, est celle de favoriser l’autonomisation de l’individu plutôt que l’assistanat. Il s’agit de permettre aux « exclus » de redevenir des « acteurs sociaux » ou autrement dit des « acteurs de leur vie », comme me l’indiquait Delphine Le Bayon3. Concrètement, les premières structures de « mise au travail » de personnes éloignées de l’emploi sont conçues au sein de centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). Ce sont des ateliers occupationnels de « réentrainement au travail et à l’effort »4. D’autres formes d’insertion par l’économique vont se multiplier sur le terrain et dépasser le cadre des CHRS, à l’initiative d’une grande diversité d’acteurs : majoritairement des travailleurs sociaux, mais 1 CASTEL Robert, Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat. Paris, Fayard, 1990, pp. 136-140. 2 BAUDET-CAILLE Véronique, L’insertion par l’activité économique. Les outils en faveur de l’insertion, Actualités sociales hebdomadaires (ASH), Paris, Wolters Kluwer, 2015, 116 p. 3 Chargée d’accompagnement et de recrutement, entreprise d’insertion Tribord 4 BREGEON Philippe, « Histoire du réseau de l’insertion par l’activité économique ». In A quoi servent les professionnels de l’insertion ?, Paris, L’Harmattan, 2008, 272 p, [consulté le 2/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1q4gfwT 8 aussi des militants issus de la société civile, des syndicalistes, parfois des élus politiques locaux… L’IAE est d’abord caractérisée dans son avènement par une démarche, des valeurs et un engagement en faveur d’une reconnexion des pratiques dominantes dans les professions sociales avec le monde du travail. Ces expérimentations de terrain éparses nécessitent de s’organiser en réseau, de se coordonner, et d’être reconnues par de véritables statuts juridiques. L’insertion par l’économique est reconnue pour la première fois par la circulaire du 24 avril 19851 qui institue les entreprises intermédiaires, qui deviendront par la suite des entreprises d’insertion. L’entreprise intermédiaire est dans cette circulaire présentée comme « une véritable entreprise créant des emplois durables et produisant biens et services aux conditions du marché, mais [qui] assurent en même dans le même temps […] une fonction d’insertion des jeunes qui occupent des emplois […] en tant que salariés remplissant des contrats à durée déterminée ». C’est le début de l’institutionnalisation des SIAE, dont un cadre fut précisé ensuite par la loi de lutte contre les exclusions en 19982. B. PRÉCISIONS AUTOUR DE L’OBJET DE RECHERCHE 1. Définitions et affinement du sujet Les personnes éloignées de l’emploi Les dispositifs d’insertion accompagnent des personnes qui ne sont pas simplement en situation de chômage ponctuel, mais sont davantage éloignées de l’emploi : leurs probabilités de retrouver rapidement un emploi sont considérées comme faibles. La principale caractéristique de ce public est son hétérogénéité : Bien que catégorie cible de l’action publique, la notion de « personnes éloignées de l’emploi » n’est pas précisément définie. Beaucoup de politiques ou dispositifs s’adressent à des groupes de population précis tels que les jeunes, les seniors, les bénéficiaires de minima sociaux, etc., qui ne recoupent que partiellement l’ensemble des personnes éloignées de l’emploi3. 1 Circulaire du 24 avril 1985 relative au programme expérimental de soutien aux entreprises intermédiaires Loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions 3 Rapport « L’éloignement durable du marché du travail », Conseil d’Orientation pour l’Emploi, 2014, disponible sur : http://bit.ly/1Wf1YM6 2 9 La question de l’éloignement est donc au cœur de ce travail, qui vise à comprendre comment chacun le définit et agit dans le champ de l’insertion en fonction de ses représentations. L’ambigüité de la notion d’insertion Pour enrayer l’éloignement de l’emploi, des actions d’insertion sont menées en direction des publics identifiés. L’usage courant du terme d’insertion est initié par le rapport Schwartz en 19811, puis étendu par l’instauration du Revenu Minimum d’Insertion (RMI) en 1988. L’on tend alors à coupler la notion d’insertion avec celle d’exclusion : « Ces deux termes, dans leur usage courant, semblent donc adossés à une représentation de la société comme clivée, traversée par une fracture séparant les in et les out, ces derniers caractérisés par leur non insertion sur le marché du travail et une position de marginalité par rapport à la vie socioéconomique2 » Mais la notion d’insertion crée une certaine ambigüité, explique Denis Castra. Elle désigne : - à la fois un état final : lesdits in ou insérés dans la vie « normale » de la cité ; - mais également un état de transition : le processus de passage d’un état à un autre, de l’exclusion à l’insertion, qui crée des statuts intermédiaires plus ou moins durables… La part croissante de la population qui se trouve dans un « état durable » d’insertion semble révéler l’échec relatif, ou l’insuffisance, des politiques d’insertion menées. Robert Castel le suggère en soulignant la hausse constante des bénéficiaires du RMI. Toute situation de « transition durable » semble déjà d’apparence contradictoire dans ses termes… Robert Castel s’étonne de cet oxymore : « L’insertion comme état représente une bien curieuse modalité d’existence sociale3 » ! Des personnes furent convaincues que d’autres dispositifs d’insertion vers l’emploi complémentaires étaient possibles. C’est le cas des entreprises d’insertion et plus généralement de l’IAE, estimée comme prenant part à l’économie sociale et solidaire. En effet, les initiatives d’IAE furent empreintes à leur création d’une forme de militantisme, portant une vision renouvelée de l’action sociale et de la lutte contre les exclusions. Par des 1 SCHWARTZ Bertrand, « L’insertion professionnelle et sociale des jeunes », rapport au premier ministre, Paris, La Documentation Française, 1981, 146 p. 2 CASTRA Denis, L’insertion professionnelle des publics précaires, Paris, Presses Universitaires de France, « Le Travail humain », 2003, p. 7-17. 3 CASTEL Robert, op.cit., p.432. 10 solutions innovantes, l’IAE entend replacer l’homme au centre dans une idée d’activité et d’autonomisation1. L’insertion par l’activité économique Définie à l’article L. 5132-1 du Code du travail, l’IAE a pour objet de permettre à des personnes sans emploi, rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières, de bénéficier de contrats de travail en vue de faciliter leur insertion professionnelle. Elle met en œuvre des modalités spécifiques d'accueil et d'accompagnement. L'IAE, notamment par la création d'activités économiques, contribue également au développement des territoires. L’accompagnement procuré permet de construire un projet professionnel et d’évoluer ensuite plus facilement vers l’emploi dit « classique ». L’objectif est que l’expérience en structure d’IAE agisse comme un réel tremplin. Pour cela, le parcours est dynamique et le salarié en insertion en est acteur : « Au-delà de l’assistance indispensable aux plus démunis, il est nécessaire de donner leur place dans la société, leur chance et leur dignité aux femmes et aux hommes qui ne se résignent pas à une vie d’assistés2. » Différentes structures d’insertion par l’activité économique (SIAE) existent3 : les entreprises d’insertion (EI), les entreprises de travail temporaire d’insertion (ETTI), les ateliers et chantiers d’insertion (ACI) et les associations intermédiaires (AI). Elles ont une organisation du travail différente et accueillent différents types de publics. Leur point commun est leur caractère hybride avec un double objectif économique et social : « Elles sont mixtes par nature. Economiques en proposant biens ou services sur le marché, nécessairement attentives à la satisfaction de la clientèle par un bon rapport qualité/prix et veillant à leur compte d’exploitation. 1 Il faut souligner le contraste des visions au sein même des personnes à l’initiative de l’IAE. L’inscription dans l’économie sociale et/ou solidaire ne semble pas avoir les mêmes significations pour tous, comme l’explique de manière plus approfondie Philippe Bregeon : « L'histoire en question apparaît plus complexe : entre l'utopie de l'alternative au système libéral pour la création d'un tiers secteur, la régulation par le travail des populations en situation de marginalité, la recherche de pratiques alternatives dans l’intervention sociale, la mise en situation professionnelle de jeunes pour les former, le développement des services ; et des tentatives de réponse à la précarité des quartiers, nous sommes, à l'évidence, en présence de logiques hétérogènes et parfois contradictoires. ». BREGEON Philippe, op.cit. 2 FRANCE, Conseil national de l’insertion par l’activité économique, « Lever les obstacles aux promesses de l’insertion par l’activité économique », présentation du rapport, Ministère de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement, 2007, [consulté le 2/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1Ohfmak 3 Reconnues à l’article L. 5132-4 du Code du travail 11 Sociales, en s’appliquant non seulement à fournir un accès au travail salarié à des personnes en difficulté, mais en accompagnant leur parcours d’insertion. Mixtes, parce que sans but lucratif par vocation, elles n’en sont pas moins soucieuses d’une rentabilité qui est gage de leur développement1. » En 2013 selon la Dares, il y avait environ 3800 structures d’IAE conventionnées par l’Etat en France qui accueillaient en moyenne 127600 salariés en insertion par mois2. Parmi les différentes formes d’IAE, j’ai choisi d’étudier de manière plus approfondie le fonctionnement de ces entreprises d’insertion. En Bretagne, 31 étaient en activité au 31 décembre 20143. Cela représente un quart des structures d’IAE présentes sur le territoire. Les entreprises d’insertion Elles sont positionnées sur des secteurs d’activité très variés, allant des espaces verts au transport et logistique ou encore à la collecte et retraitement des déchets4. Elles emploient des salariés en contrat d’insertion pour une durée moyenne hebdomadaire comprise entre 30 et 35 heures. L'entreprise d'insertion se situe dans l'économie marchande5. Dans le département d’Ille-et-Vilaine, plus de 1000 équivalents temps plein (ETP) sont répartis entre les structures d’IAE6, ce qui comprend les salariés en insertion et certains salariés permanents chargés de l’encadrement et de l’accompagnement. Les entreprises d’insertion représentent 215 ETP dans le département. On peut donc estimer qu’elles drainent plus de 300 emplois sur le territoire. Le modèle de l’entreprise d’insertion m’a semblé tout-à-fait judicieux à observer, par sa proximité avec les entreprises dites « classiques » en termes d’exigences de performance économique et de qualité. Ces impératifs doivent être combinés avec le projet social de l’entreprise et se pose donc la question de l’éloignement plus ou moins important des publics à l’emploi : 1 ALPHANDERY Claude, Les Structures d’insertion par l’activité économique, La Documentation Française, 1990, 95 p., cité dans BAUDET-CAILLE Véronique, L’insertion par l’activité économique. Les outils en faveur de l’insertion, Actualités sociales hebdomadaires (ASH), Paris, Wolters Kluwer, 2015, 116 p. 2 Rapport « L’insertion par l’activité économique en 2013 » [en ligne], Dares, 2015, n°46, Ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, 10p, [consulté le 2/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1SSOQJT 3 Fédération des Entreprises d’Insertion, « Chiffres clés des entreprises d’insertion » [en ligne], 2015, [consulté le 2/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/22nsLH8 4 Voir en annexe : répartition par secteurs des métiers exercés par les salariés de l’IAE (graphique) 5 Voir en annexe : les différences majeures entre les structures d’IAE (tableau) 6 Données délivrées par l’Unité Territoriale 35 de la DIRECCTE, septembre 2015 12 Quelles sont les interprétations possibles de l’éloignement à l’emploi par les différents acteurs ? Comment vont s’articuler les visions et les actions des entreprises d’insertion et des pouvoirs publics, au cœur d’un secteur nécessairement multi-partenarial ? 2. Question de départ et prénotions Mon questionnement a débuté par une volonté de comprendre comment les entreprises d’insertion parviennent à trouver un équilibre entre leurs différents objectifs. Il s’avère que pour y parvenir, le concours des pouvoirs publics est inéluctable. Nous sommes également à la croisée entre politiques économiques, politiques d’emploi et politiques sociales. Dès lors, la question que je pressens être le cœur de la recherche est celle du profil des personnes qui bénéficient d’un parcours en entreprise d’insertion... L’insertion, c’est pour qui ? L’objectif est de découvrir quelles personnes sont orientées vers des entreprises d’insertion sous l’impulsion de prescripteurs publics, et quels sont les profils recherchés par les entreprises d’insertion. Des attentes qui peuvent parfois être convergentes ou sources de désaccords. Pour mener cette recherche il faut tout d’abord se garder de proposer une vision trop simplificatrice. Les idées et actions ne sont pas figées, les positionnements ne sont pas dogmatiques. Ils évoluent sans cesse, le secteur de l’IAE est dynamique et s’enrichit des interactions multiples entre acteurs. Surtout, il convient de se détacher de ses prénotions que l’on pourrait entretenir sur l’éloignement à l’emploi. Non, les entreprises d’insertion n’accueillent pas les publics les plus éloignés de l’emploi, loin s’en faut. Lors d’un entretien j’entends ces phrases qui reflètent l’idée avec justesse : « Je corrige toujours quand les gens me disent qu’on est une entreprise de « réinsertion », non, car pour être réinséré, il faut être sorti violemment du modèle. Moi, j’ai des gens qui n’ont jamais eu de problème avec la justice, ils sont juste descendus du train à un moment donné. Il n’y a pas de stigmatisation à avoir du tout. Ce sont des gens avec plein de qualités et de compétences professionnelles ; mais simplement qui n’arrivaient pas à se vendre auprès d’employeur. Ca peut-être votre voisin, votre collègue, n’importe qui… Une fois retrouvé leur confiance en eux c’est reparti1 ! » 1 Directeur, AJIEnvironnement 13 C. PROBLÉMATISATION 1. Axes de recherche L’intérêt du sujet est de comprendre l’articulation possible et réalisée entre l’action d’acteurs publics dans le champ de l’insertion, et celle des entreprises d’insertion. D’une part, ces acteurs concentrent leurs efforts vers des publics similaires : les personnes éloignées de l’emploi. D’autre part, ils travaillent sur des temporalités différentes à travers des cultures professionnelles propres, des systèmes de valeurs et des rationalités variés. L’enjeu est de parvenir à qualifier le type de gouvernance qui a été construit afin de réguler l’action publique en matière d’insertion. L’on suppose que la gouvernance est basée aujourd’hui sur une plus grande horizontalité des relations entre acteurs. Le concept de gouvernance renvoie à un processus de coordination d’acteurs, de groupes sociaux et d’institutions, en vue d’atteindre des objectifs définis et discutés collectivement1. Afin de préciser cette notion plusieurs traits caractéristiques ont été identifiés2 tels que la présence d’un polycentrisme institutionnel, une ouverture dans les processus de décision avec notamment une inclusion d’acteurs privés, un accent mis sur les formes et instruments de l’action publique plutôt que la substance des programmes publics. Finalement, la réflexion autour de la gouvernance est ancrée dans un renouvellement des formes d’action publique. Patrick Le Galès indique3 que « la notion même de gouvernance émerge face au diagnostic d’une incapacité des gouvernements à répondre à des problèmes qui leurs sont soumis et à s’ajuster à de nouvelles formes d’organisation sociale, économique et politique ». Le secteur de l’insertion par l’activité économique s’est développé en partant de ce même constat. Alors que l’Etat social ne semblait plus en mesure de gérer tous les effets du chômage, des initiatives locales d’insertion par le travail ont été expérimentées pour y pallier. La question qui est, de ce fait, au cœur du travail, est celle de la capacité des acteurs publics et privés à coopérer sur un territoire, dans le champ des politiques d’insertion. Il s’agit de comprendre la nature des relations entre ces acteurs, et de leurs interactions qui sont 1 LE GALES Patrick, « Gouvernance », In BOUSSAGUET Laurie et al., Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), « Références », 2014, 772 p. 2 BOUSSAGUET Laurie, JACQUOT Sophie, « Les nouveaux modes de gouvernance », cité dans LE GALES Patrick, « Gouvernance », In BOUSSAGUET Laurie et al., Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), « Références », 2014, 772 p. 3 LE GALES Patrick, op.cit. 14 nécessaires pour faire éclore et perdurer des dispositifs tel que l’IAE, à la croisée entre action publique et secteur privé. Pour cela, ce travail s’essaiera à qualifier la gouvernance observée sur le bassin d’emploi rennais, et d’en décrypter les fondements : Les logiques d’action des différentes parties prenantes sont-elles issues de leurs rationalités propres qui viennent s’articuler ? Ou bien ces mêmes logiques d’action ont-elles mené à l’élaboration d’un référentiel partagé qui guiderait désormais l’action publique locale en matière d’insertion des personnes éloignées de l’emploi ? 2. Hypothèses Nous partons du postulat selon lequel l’action publique se recompose aujourd’hui sous forme de « réseaux d’action publique », faisant écho dans le même temps à une évolution du rôle de l’Etat. L’action publique ne résulterait donc plus seulement d’un Etat central qui dicte la norme mais bien des interactions entre les acteurs présents sur un territoire. Cela concerne les représentants des pouvoirs publics mais pas uniquement. Cela comprend également des acteurs privés, associatifs ou issus de la société civile. C’est en ce sens que l’on peut observer une plus grande horizontalité des rapports inter-organisationnels. Chacun de ces acteurs dispose de ressources mobilisables – économiques, politiques, etc. – ainsi que d’une certaine capacité politique et d’intérêts propres. Ainsi, le concept de réseau suppose : « Les acteurs sont alors liés par des relations horizontales, sans appartenir à une seule hiérarchie organisationnelle ; ils sont en partie interdépendants mais, également, en partie autonomes ; leurs relations sont fondées sur l’échange, produisant ainsi des réseaux de politiques publiques, et combinent des éléments de conflit et de coopération1. » Dans une démarche issue de la sociologie des organisations que l’on croise avec une perspective cognitive, on s’interroge alors sur les comportements et les rationalités : qu’est-ce qui est au fondement de l’action ? L’articulation des comportements va former un type de gouvernance, dans le secteur et le territoire qui intéressent ce travail. Dans ce champ, nous souhaitons comprendre si les acteurs concernés agissent en suivant strictement la théorie du choix rationnel, ou d’après les limites de cette théorie, agissent en 1 MARIN Bernd, MAYNTZ Renate, 1991 cité dans THATCHER Mark, « Réseau (policy network) », In BOUSSAGUET Laurie et al., Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) , « Références », 2014, 772 p. 15 fonction de leur rationalité limitée. C’est-à-dire qu’ils s’oriententeraient vers la solution la plus satisfaisante selon leurs intérêts et vision interne de ce qu’est et devrait être l’insertion des personnes éloignées de l’emploi. Afin d’enrichir la réflexion, on se demandera également si les acteurs concernés ont partagé, partagent ou tendent à partager des représentations communes de ce qu’est l’insertion et l’éloignement à l’emploi. Dans ce cas, la gouvernance ne serait pas uniquement basée sur l’expression des rationalités propres, mais serait aussi guidée par une vision convergente du champ de l’insertion. D’après ces considérations, on peut émettre la première hypothèse de recherche suivante : il semblerait que le point de départ des expérimentations d’insertion par le travail repose sur des référentiels divergents entre les travailleurs sociaux initiateurs des nouveaux dispositifs, et les pouvoirs publics d’alors. En effet, ces premières expériences sont bien nées du constat de l’insuffisance des dispositifs d’action publique alors existants en matière d’accompagnement des personnes en situation de chômage. Par conséquent, cela suppose que c’est une forme de gouvernance partenariale menée par les rationalités propres des acteurs qui aurait jalonné la constitution du secteur de l’IAE. Les initiateurs des structures d’IAE ont dû petit-à-petit démontrer leur intérêt et efficacité et faire valoir leur vision de l’insertion, afin qu’ils soient progressivement reconnus politiquement et juridiquement par les pouvoirs publics. La reconnaissance et le développement conséquent des SIAE jusqu’à aujourd’hui invite à formuler une seconde hypothèse. Si la construction socio-historique du secteur de l’IAE n’a pas permis l’émergence de représentations homogènes de ce qu’est l’insertion des personnes éloignées de l’emploi, les différents acteurs concernés – SIAE, collectivités territoriales, administration déconcentrée, Pôle Emploi, prescripteurs – ont dû travailler en étroite collaboration. Notamment sur la question de l’éligibilité des personnes aux dispositifs d’IAE et donc sur la perception des publics éloignés de l’emploi : des thèmes étant devenus de réels enjeux d’action publique. Sans l’instauration d’instances de dialogue, d’interactions multiples et de coordination le secteur de l’IAE aurait pu péricliter. Or il semble s’être durablement ancré sur le territoire et développé. Nous pouvons alors penser que les acteurs du secteur convergeraient alors vers l’élaboration d’un référentiel commun concernant les publics en insertion. 16 D. TERRAIN ET MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE 1. La délimitation d’une aire géographique Après une première appréhension du thème d’un point de vue factuel et après avoir entamé une problématisation du sujet, il a fallu entériner des choix concernant la construction du matériau empirique dans le cadre de ce travail de recherche appliquée. Le terrain qui a été privilégié est celui de la zone d’emploi de Rennes1. Cela permet une plus grande cohérence lorsque l’on souhaite comparer les situations des entreprises, puisqu’elles font face à un marché du travail sur le bassin local que l’on peut imaginer moins hétérogène qu’à une plus grande échelle telle que le département ou la région. Dans les faits c’est la Métropole de Rennes qui a été la délimitation géographique plus précise du terrain de recherche, dans la mesure où toutes les entreprises d’insertion d’Ille-et-Vilaine y sont concentrées. 2. Identification des acteurs majeurs Trois séries d’acteurs peuvent être identifiés. Il s’agit bien sûr en premier lieu des entreprises d’insertion elles-mêmes. Initialement, il était envisagé de réaliser une étude sur la base d’une monographie d’entreprise afin de saisir de manière approfondie son fonctionnement et développement. Finalement j’ai choisi d’opter pour une étude comparative en interrogeant plusieurs structures de tailles différentes – de 8 à 60 postes en insertion environ2 – et positionnées sur des secteurs d’activité variés, tels que les espaces verts, la collecte et le tri de déchets, le recyclage textile, etc. Cela permet d’apporter des éléments de compréhension complémentaires, d’identifier à la fois des points communs et des différences entre les structures en interne et en externe dans leurs relations avec les pouvoirs publics. On peut ainsi prétendre à une plus grande de représentativité du secteur. Parmi l’ensemble des salariés des structures d’IAE, j’ai eu l’occasion de rencontrer des personnes chargées d’insertion et certains directeurs de structures. 1 Une zone d’emploi est définie selon l’INSEE comme un espace géographique à l'intérieur duquel la plupart des actifs résident et travaillent, et dans lequel les établissements peuvent trouver l'essentiel de la main d'œuvre nécessaire pour occuper les emplois offerts. Le découpage en zones d'emploi constitue une partition du territoire adaptée aux études locales sur le marché du travail. La zone d’emploi de Rennes contient 267 communes selon le zonage établi en 2010 par l’INSEE. Zone d’emploi, Définition [en ligne], INSEE, [consulté le 2/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1WOUyh7 2 Guide des structures d’insertion par l’activité économique [en ligne], Maison de l’Emploi, de l’Insertion et de la Formation professionnelle du bassin d’emploi de Rennes, 2015, [consulté le 27/01/2016], disponible sur : http://bit.ly/1Nm5PUw 17 Plusieurs entretiens ont également été menés auprès d’acteurs que je réunis sous l’appellation de représentants des pouvoirs publics, à différentes échelles territoriales, qui contribuent notamment au conventionnement et au financement des entreprises d’insertion. Pour la zone d’emploi de Rennes, il s’agit de : - la Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi (DIRECCTE), administration déconcentrée de l’Etat - du Conseil Général – aujourd’hui Conseil Départemental – d’Ille-et-Vilaine - de la Métropole de Rennes et Maison de l’Emploi, de l’Insertion et de la Formation Professionnelle (MEIF). Enfin, le troisième type d’acteur interrogé concerne les prescripteurs, qui sont notamment chargés d’orienter des personnes éloignées de l’emploi vers un parcours en SIAE. Nous soulignerons le rôle majeur de Pôle Emploi. Un entretien avec une personne de la Mission Locale a permis d’élargir la réflexion sur le rôle et le positionnement des prescripteurs. Afin de comprendre le positionnement de chacun sur les questions soulevées par le secteur de l’IAE et cette initiation à la recherche, un travail d’enquête sur le terrain a été mené via douze entretiens semi-directifs1. 3. Justification de l’angle de recherche adopté Ce présent travail repose sur le parti-pris d’une approche à travers des outils empruntés à la sociologie des organisations, une démarche perçue comme plus « opérationnelle » pour comprendre les enjeux du sujet. D’abord initiée aux Etats-Unis, elle fut importée en France par le travail de chercheurs dont Michel Crozier, ayant fondé le Centre de Sociologie des Organisations. L’intérêt de cette posture est qu’elle permette de mettre en lumière les interactions entre les acteurs ; en premier lieu au sein même d’une structure, comme ce fut analysé initialement aux Etats-Unis dans des établissements industriels, puis progressivement entre les organisations en intégrant les logiques de coopération et de conflit et les phénomènes de domination, de rationalité ou de pouvoir2. De nombreux travaux ont permis de décrypter ces phénomènes à l’échelle de l’action publique locale, et de révéler des mécanismes de régulation des relations entretenues sur un territoire donné. Différentes grilles de lecture du territoire et du système politico-administratif 1 2 Voir en annexe : liste des entretiens semi-directifs réalisés GARRAUD Philippe, Cours de Sociologie des organisations, IEP de Rennes, septembre-décembre 2015 18 local ont été développées, prenons l’exemple de travaux de Patrice Duran et Jean-Claude Thoenig1 qui identifient des cycles d’action publique à travers les mutations de la place de l’Etat dans la gestion publique territoriale. A l’aune de ces travaux préexistants, l’objectif de cette étude est de discerner les interactions public-privé et les relations de dépendance, d’influence, de coopération entre les acteurs agissant sur le territoire. La mobilisation de notions dérivées de la sociologie des organisations sera utile pour comprendre ces phénomènes, et notamment la formation d’un réseau d’action publique dans le secteur de l’IAE. Nous aurons justement recourt au concept de réseau ou policy network explicité entre autres par l’analyse de Patrick Le Galès et Mark Thatcher2 ; et par ailleurs à la notion de gouvernance appliquée à l’échelle de la zone d’emploi de Rennes. Cependant, les fondements de l’action ne sont pas basés sur les seuls intérêts croisés et interactions entre acteurs, déconnectés de la perception même du problème. On croisera donc l’approche organisationnelle avec une perspective cognitive. En effet, d’après Pierre Muller : « Chaque politique passe par la définition d’objectifs qui vont eux-mêmes être définis à partir d’une représentation du problème, de ses conséquences et des solutions envisageables pour le résoudre. La définition d’une politique publique repose sur une représentation de la réalité qui constitue le référentiel de cette politique3 » L’angle de recherche adopté résulte un autre parti-pris : celui de ne pas réaliser d’étude sociologique approfondie sur les profils des personnes éloignées de l’emploi suivant un parcours en IAE. La première raison de ce choix est une question de faisabilité. Cette enquête aurait en effet supposé de nombreux entretiens qualitatifs supplémentaires avec des personnes en insertion, assortis de questionnaires et d’observations ethnographiques ; avec tout l’enjeu de constituer un panel « représentatif » et d’être en capacité d’interpréter les résultats. Cette voie a donc été écartée, pour une seconde raison contenue dans l’hypothèse suivante : l’étude des représentations et comportements des acteurs publics et privés contribuant au 1 THOENIG Jean-Claude, DURAN Patrice, « L'État et la gestion publique territoriale », Revue française de science politique, 46ᵉ année, n°4, 1996. pp. 580-623. 2 LE GALES Patrick, THATCHER Mark, (dir.), Les réseaux de politiques publiques. Débat autour des policy networks, Paris, L’Harmattan, « Logiques politiques », 1995, 272 p. 3 MULLER Pierre, « Référentiel », In BOUSSAGUET Laurie et al. Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), «Références », 2014, p.555-562. 19 développement des entreprises d’insertion et la nature de leurs interactions, permettrait de comprendre les enjeux et caractéristiques des parcours des personnes en insertion. Cette explication est notamment guidée par une remarque de Robert Castel formulée dans son ouvrage Les métamorphoses de la question sociale, certes à propos d’un contexte et d’une époque différents mais qui peut faire sens ici : « le cœur de la problématique des exclus n’est pas là où on trouve les exclus »1. On peut penser que cette problématique réside dans l’étude d’un périmètre plus large d’acteurs influant sur la vision de l’action publique : « le processus par lequel une société expulse certains de ses membres oblige à s’interroger sur ce qui, en son centre, impulse cette dynamique »2. La première partie de cette recherche entend reprendre les étapes qui ont jalonnées la construction des entreprises d’insertion. Cela suggère de remettre l’IAE dans une certaine profondeur socio-historique (chapitre 1) pour comprendre les idées et valeurs qui ont portées sa création. Les idées se sont transformées en actions concrètes et en une structuration du secteur, faisant intervenir une multitude d’acteurs tant publics que privés (chapitre 2). De manière plus récente, les entreprises d’insertion ont dû se professionnaliser pour poursuivre leur développement, dans un contexte économique et institutionnel en évolution (chapitre 3). La seconde partie entend se focaliser sur les parcours des personnes en insertion et la façon dont les acteurs coopèrent et se représentent les enjeux de chaque phase : le recrutement des salariés en insertion (chapitre 1), leur accompagnement au sein de la structure (chapitre 2), et enfin l’évaluation du dispositif lors de la fin de l’expérience en structure d’IAE (chapitre 3). 1 2 CASTEL Robert, op.cit., p108. Ibid. 20 PARTIE I - Le modèle d’entreprise d’insertion : PREMIÈRE PARTIE au cœur d’une gouvernance partenariale et Le modèle d’entreprise d’insertion : au cœur d’une territorialisée gouvernance partenariale et territorialisée Les premières entreprises d’insertion par le travail sont créées « à la marge » des dispositifs « classiques » d’action publique de lutte contre le chômage. Ainsi le contexte de la naissance de l’insertion par l’activité économique indiquerait qu’il y avait une divergence des représentations sur l’insertion, ainsi que sur les moyens à mettre en œuvre afin de permettre le retour vers l’emploi pour des personnes qui en sont éloignées. En suivant notre première hypothèse, on peut supposer que les acteurs ont alors agi en fonction de leurs rationalités propres afin de satisfaire leurs idéaux et objectifs. Même si certains élus et collectivités locales ont accompagné la création de certaines structures d’IAE, à la fois par conviction et intérêt pour le territoire, ce ne serait pas dans le cadre d’une impulsion globalement partagée mais plutôt territorialisée. La gouvernance qui se noue dans le secteur de l’IAE pourrait être qualifiée de partenariale : l’interdépendance entre les acteurs majeurs du secteur est substantielle. En effet, les structures d’IAE ont besoin de l’appui des pouvoirs publics, tant dans la reconnaissance de statuts légaux que dans l’octroi de financements. Les pouvoirs publics quant à eux voient aussi un intérêt grandissant à l’égard de l’IAE, perçu progressivement comme un outil de lutte contre le chômage et les exclusions. Des relations partenariales semblent donc s’être instituées et vont constituer un réseau d’action publique. Le but est de répondre et coordonner les intérêts de chacun, sans pour autant qu’ils ne s’accordent au départ sur des référentiels communs autour de l’insertion. Plus généralement, les structures d’IAE ont dû « faire leurs preuves » en se professionnalisant, et ont ainsi été progressivement légitimées, reconnues et promues. 21 Chapitre 1. INSTITUTIONNALISATION DES STRUCTURES D’INSERTION PAR L’ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE Les structures d’IAE se sont instituées graduellement, au rythme d’interactions multiples avec les pouvoirs publics. A travers une comparaison avec les cycles d’action publique dominants identifiés par Patrice Duran et Jean-Claude Thoenig, nous pouvons supposer que le secteur de l’IAE s’est construit à la fois en résistance et avec les différents modes de régulation de l’action publique. Il s’agira donc de montrer en quoi les instruments d’action utilisés révèlent des divergences de conception de la gestion du chômage et de l’insertion. Pour cela, il nous faudra observer d’une part les motivations des acteurs à l’initiative de l’insertion par le travail, en les remettant dans une certaine profondeur historique ; et d’autre part les aboutissements de leurs actions, c’està-dire comment leurs convictions se sont transformées en structures d’IAE fonctionnelles. Pour qualifier la portée des structures d’IAE à leurs débuts, on pourrait dire qu’elles ont été – en sont d’ailleurs toujours – des vectrices d’expérimentations ancrées sur les territoires. A. NAISSANCE D’INITIATIVES LOCALES (1960-1970) 1. De nouvelles expérimentations pour dépasser les limites de l’Etat social Si aujourd’hui une pluralité d’acteurs publics comme privés prennent part à la construction de l’action publique sur un territoire, ce n’a pas toujours été le cas. Le modèle d’action publique à l’œuvre dans les années 1960 en France est celui de la régulation croisée dans les relations entre le centre et la périphérie1. L’expression de « régulation croisée » tend à insinuer que l’Etat et les collectivités locales entretiennent des relations d’influences et d’interdépendance. Mais en l’occurrence, même si une négociation est engagée avec les collectivités locales c’est l’Etat qui détient l’essentiel des capacités d’action : 1 THOENIG Jean-Claude, DURAN Patrice, art.cit., p. 583. 22 « Dans la France des années 1950-1960, le pilotage des politiques publiques se trouve dans les mains de l'État. Mais si celui-ci maîtrise centrale - ment l'agenda, et par là les modalités de définition des problèmes publics et les programmes d'action, il négocie localement la mise en œuvre de ses politiques à l'aide de deux ressources essentielles : l'allocation d'argent, et l'émission de règles juridiques liée en particulier à la montée du pouvoir réglementaire1 » Les territoires sont davantage considérés comme supports de l’action publique que lieu de conception de l’action publique. Sachant que les programmes d’action sont définis au niveau national, les politiques publiques tendent à être unificatrices et appliquées sensiblement de la même manière quelque soit l’hétérogénéité des réalités locales. Dans un contexte de plein-emploi, de croissance et de profusion de l’Etat providence, les questions des exclusions puis de l’insertion ne sont pas encore inscrites à l’agenda politique. Surtout, la régulation croisée comme mode de gestion publique territoriale voit poindre des limites. Tout d’abord cela contribue à une mise en concurrence des territoires pour l’obtention de ressources par l’Etat, plus qu’à une coopération. On peut ensuite facilement imaginer que ces types de politiques publiques puissent être inadaptés aux réalités locales : « La verticalisation des politiques et la segmentation des enjeux privilégient la réalisation d'équipements et d'infrastructures posés sur le sol au hasard des allocations décidées par l'État et mal intégrés entre eux2 » Enfin, les acteurs tiers présents sur le territoire : société civile, entreprises, associations…, contribuent peu à l’action publique. Ils sont plutôt résolus à une position de relative « passivité » dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques bien qu’ils en soient les premiers concernés. Pour dépasser ces limites, l’enjeu est de pouvoir progressivement réintroduire dans la conception de l’action publique les préoccupations des acteurs du territoire. C’est dans cette dynamique que s’inscrivent les premières expérimentations d’insertion par le travail dans les années 1960-1970, qui prennent le contre-pied du modèle d’action publique dominant et remettent en cause les modes d’intervention sociale d’alors. 1 2 Ibid. p. 584. Ibid., p.587. 23 Ainsi, sont lancés en 1965 des ateliers de travail informels puis en 1970 les premières « entreprises sociales » liées aux centres d’hébergement et de réadaptation sociale (CHRS). Ces premières initiatives ont un ancrage territorial fort et sont plus adaptées aux spécificités locales. Les entreprises intermédiaires, futures entreprises d’insertion, vont par exemple se positionner sur des activités alors à faible valeur ajoutée et encore non exploitées telles que le traitement des déchets. Ce sont par essence des activités non délocalisables. D’abord non reconnues par les pouvoirs publics, ces expérimentations naissent de manière diffuse et sous différentes formes sans être connectées ni organisées nationalement. L’insertion par le travail se créé donc à partir de visions renouvelées de ce que devrait être l’action publique autour de la gestion de l’exclusion et du chômage, tant dans ses principes que ses modes d’action. 2. De l’assistance à l’autonomie: une nouvelle vision de l’action sociale et de l’insertion Au-delà de modes d’action plus territorialisés qui prennent en compte un intérêt général « local » voire « localisé » et non plus national, c’est surtout sur la vision de l’action sociale que les expériences d’insertion par le travail sont novatrices. Elles prennent l’envers des moyens d’action « classiques » et militent en faveur d’une action sociale moderniste. Il semble y avoir un réel engagement idéologique autour de l’insertion qui s’institue, pour dépasser le caractère unificateur des politiques publiques nationales : Les développements de l'État-providence ont été caractérisés par une intense activité de production selon des normes standardisées. On a produit des routes et des logements comme on a produit des règles et des allocations. (…) Il n'est pas surprenant que les débats de l'époque se soient déroulés sur les thèmes connexes de la technocratie et de la désidéologisation1. C’est dans la perception de la personne que les représentations sont éloignées. Les personnes à l’initiative des expériences d’insertion par le travail sont réunies par la dénonciation d’une action sociale qualifiée de clivante et stigmatisante. Dans les années 1970, ils s’opposent par 1 THOENIG Jean-Claude, DURAN Patrice, art.cit., p.591. 24 exemple au concept de « handicap social » utilisé pour justifier les pratiques d’insertion, à l’instar de la circulaire 44 du 10 septembre 19791. Au contraire, les expériences d’insertion par le travail souhaitent replacer la personne dans sa globalité au cœur de l’action sociale en favorisant son autonomie, plutôt que son assistance provoquée par les modes d’action sociale dominants : L’insertion par le travail fut avant tout des manières de critiquer et de transformer le travail social, vecteur malgré lui d’assistance, mais aussi de remettre en cause l’Etat social, accusé de provoquer la passivité des citoyens2. Les personnes en difficulté qui intègrent les nouvelles entreprises sociales, participent activement à l’organisation de la structure et sont responsabilisées. Elles sont promues au rang d’acteurs de leur parcours et dans leur environnement, et non plus simples récepteurs ou bénéficiaires d’une aide publique minimale. Ces dispositifs permettent donc d’accompagner des personnes en difficulté, sans céder à la fatalité d’un certain darwinisme social, qui incube la faute à celui-même qui est dans un processus d’exclusion. Au contraire, l’insertion par le travail scande que « Nul n’est inemployable ! ». Le prochain enjeu étant d’orienter chaque personne vers forme d’IAE adaptée. C’est pour cela que diverses expériences d’IAE sont créées dans les années 1970. Elles vont progressivement se coordonner pour clarifier un secteur qui comporte des structures très diversifiées, puis vont être légalisées et reconnues dans la décennie suivante. B. ACQUISITION DE STATUTS JURIDIQUES (1980-1990) L’insertion par le travail a tout d’abord été développée de manière autonome en dehors de cadre légaux définis au préalable. On peut dire que les premières SIAE sont porteuses d’innovation sociale sur les territoires. Les pouvoirs publics se saisissent petit-à-petit de ces expérimentations, comme un outil des politiques de lutte contre les exclusions. 1 Circulaire n°44 du 10 septembre 1979 du Ministère de la santé et de la sécurité sociale relative à l’organisation du travail des handicapés sociaux. Elle distingue des « handicapés sociaux » des handicapés sensoriels, physiques ou mentaux. 2 EME Bernard, « Petite histoire de l’insertion par l’économique », in L’insertion par l’activité économique, « Alternatives économiques », poche n°44, Paris, 2010, p. 18-20. 25 Un processus de reconnaissance, de légalisation et de généralisation du modèle de l’IAE est alors en marche dans les années 1980-1990. Il est provoqué par la constitution de l’exclusion en problème public ; mais suscite de nombreux débats entre les représentants des pouvoirs publics, et les travailleurs sociaux et autres initiateurs de l’insertion par l’économique. En effet, chacun porte des représentations divergentes sur les dispositifs et les publics accueillis. En prenant garde à ne pas se réduire à une vision simplificatrice, nous pouvons émettre l’hypothèse que l’intérêt naissant des pouvoirs publics pour les dispositifs d’IAE est porté sur un aspect davantage économique lié à la création d’emplois ; pendant que l’essence de l’IAE provient de fortes convictions liées à une vision « sociale » prégnante. 1. L’exclusion constitué en problème public Les initiatives d’insertion par le travail sont nées d’après l’augmentation du nombre de personnes en voie de marginalisation. Ces phénomènes sociaux sont pointés du doigt, et contribuent ainsi à lancer une plus vaste réflexion autour de l’exclusion: « une phase de problématisation [s’engage], au cours de laquelle un certain nombre d’acteurs vont être amenés à percevoir une situation comme « anormale » et vont la qualifier d’une manière particulière, qui peut être susceptible d’appeler l’attention d’un acteur public1 » Dans la phase de genèse de l’action publique et d’identification d’un problème, Pierre Muller et Yves Surel mettent en exergue l’importance du langage et des récits élaborés par les acteurs, c’est-à-dire de leurs perceptions cognitives de la situation. Ici en l’occurrence, la notion qui est employée afin de qualifier les phénomènes de marginalisation identifiés est celle d’exclusion. Ce concept, bien que polysémique, désigne selon Jérôme Ballet2 une mise à l’écart et un enclavement dans le chômage. L’ouvrage Les Exclus : un français sur dix de René Lenoir3, au titre volontairement provocateur, déclenche en 1974 la diffusion de la notion d’exclusion sociale, et par la même occasion une prise de conscience des mécanismes qui mènent à l’ « inadaptation sociale ». Ce terme, ou celui de « handicap social », sont des appellations qui sont reprises dans les premiers textes relatifs aux initiatives d’insertion par le travail. Le terme d’exclusion semble alors refléter les publics les plus marginalisés : « les délinquants, les toxicomanes, les 1 MULLER Pierre, SUREL Yves, op.cit., p.56-57. BALLET Jérôme, op.cit., p.5. 3 LENOIR René, Les exclus : un français sur dix, Paris, Seuil, 1974, 175 p. cité dans BALLET Jérôme, op.cit. 2 26 alcooliques, les chômeurs…1 », et ce sont vers ces publics que l’insertion par le travail semble se diriger initialement. On peut d’ailleurs penser que cette rhétorique utilisée est à l’origine de certaines représentations faussées et prénotions sur ce qu’est un parcours en insertion aujourd’hui. Le public en insertion a en effet considérablement évolué depuis les premières expérimentations. Les dispositifs d’insertion ont été ouverts à une population plus large, passant du vocable de personne marginalisée à celui de chômeur de longue durée ou plus largement personne éloignée de l’emploi. Cette ouverture et généralisation des dispositifs d’IAE a été permise par l’appel lancé aux acteurs publics sur la question de l’exclusion, et d’autres facteurs l’ont érigée au rang d’enjeu majeur. Dans le contexte français des années 1980, l’importante montée du chômage de longue durée et du chômage chez les jeunes ont agi comme des indicateurs significatifs et révélateurs. Il y aurait une certaine corrélation entre cette prise de conscience et la naissance d’un volontarisme politique envers l’insertion, et plus précisément le secteur de l’IAE. En effet tant que le chômage restait relativement faible, les structures d’insertion par le travail restaient elles aussi marginales2. Cependant, au-delà d’une visibilité croissante du phénomène d’exclusion dans la société et auprès des pouvoirs publics, l’important est d’observer quelle fut la réaction des pouvoirs publics à cet enjeu grandissant. Pierre Muller et Yves Surel formulent une mise en garde : « [les] éléments déclencheurs font le plus souvent que publiciser un problème plus ou moins latent et restent dépendants de la réception et de l’usage que vont en faire les acteurs concernés, qu’ils soient publics ou privés » L’instauration du RMI en 19883 démontre d’un certain volontarisme gouvernemental en faveur de l’insertion et tend à favoriser le développement des activités d’IAE, car le RMI entre dans la même démarche de favoriser l’autonomie des personnes plutôt que la passivité. 2. Reconnaissance juridique progressive et légitimation des SIAE Petit-à-petit les pouvoirs publics ont permis un élargissement des dispositifs d’insertion, qui ne plus seulement orientés vers les jeunes ou les publics les plus marginalisés 1 BALLET Jérôme, op.cit., p.22 BALLET Jérôme, op.cit., p. 21-23. 3 Loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988 instaurant le Revenu Minimum d’Insertion (RMI) 2 27 bien au contraire. Ceci est le fruit d’un processus de reconnaissance juridique qui a contenu plusieurs phases successives. L’histoire des différentes structures d’IAE existantes aujourd’hui1 est étroitement liée. Ce présent travail étant orienté vers le fonctionnement des entreprises d’insertion, nous ne traiterons pas de manière aussi approfondie l’avènement des autres types de structures. Un développement de l’insertion par l’économique autonome Dans le courant des années 1970, les initiatives d’insertion par le travail sont encore marginales et le secteur est déjà hétérogène. Les structures s’appuient sur des interventions territoriales, certains élus locaux et collectivités territoriales étant proactifs sur la question. La circulaire de 1979 de la Direction générale de l’action sociale2 vient tout de même apporter un premier élan et soutien à ce secteur naissant en créant un cadre légal aux initiatives d’IAE. Une première tentative de distinction entre les pratiques d’insertion est émise3 : - L’on distingue alors d’une part l’insertion durable en créant un cadre de vie de substitution qui est réservé aux personnes handicapées physiques ou mentales, et se déploie aujourd’hui notamment par les Etablissement d’aide par le travail (ESAT). - D’autre part, la circulaire met en exergue l’insertion dite « de transition » vers le marché du travail, ce qui représente aujourd’hui le secteur de l’IAE, et est lui réservé à des personnes en difficulté éloignées de l’emploi. Mise en place de programmes expérimentaux en direction des jeunes Le constat est grandissant dans les années 1970 : la formation ne conduit pas forcément à l’emploi et une période de transition se créé entre les deux4. Les politiques d’emploi d’alors axées sur la promotion de stages de formation ne suffisent plus, et encore moins dans un contexte de hausse du chômage notamment chez les jeunes : Les jeunes représentent, en réalité, depuis longtemps une fraction très importante des chômeurs, mais le nombre de chômeurs âgés de moins de 25 ans franchit la barre du million en 1984. Leur part dans le chômage de longue durée tend elle vers 30%5. 1 Les SIAE étant : les Entreprises d’Insertion (EI), les Entreprises de Travail Temporaire d’Insertion (ETTI), les Associations Intermédiaires (AI), les Ateliers et Chantiers d’Insertion (ACI) 2 Circulaire n°44 du 10 septembre 1979 ; qui encourage notamment à la création de Centres d’Adaptation à la vie Active (CAVA) 3 BALLET Jérôme, op.cit., p.21-22 4 DUBAR Claude, op.cit., p. 23-36 5 BALLET Jérôme, op.cit., p.23. 28 De nouvelles expérimentations en matière d’insertion sont alors lancées, sous l’impulsion du rapport Schwartz1 qui préconise, en 1981 la création de Missions locales pour l’insertion professionnelle et sociale des jeunes. Les apports de Bertrand Schwartz contribuent ainsi à légitimer politiquement les pratiques d’insertion à l’échelle nationale. En effet, la définition des Missions Locales au sein du Code du travail2 mentionne que « Toute personne de seize à vingt-cinq ans révolus en difficulté et confrontée à un risque d’exclusion professionnelle a droit à un accompagnement ». Dans cette dynamique, les années 1980 sont le signe du développement des entreprises intermédiaires3. Plusieurs règles sont posées pour garantir le bon fonctionnement de ces entreprises et l’articulation entre sa mission économique et sociale. La durée maximale du parcours en insertion est fixée à 18 mois ; le taux de ressources propres de l’entreprise doit être au minimum de 50% dans les trois ans après la création. Si l’insertion par l’économique accède donc une certaine reconnaissance, elle semble dans une certaine mesure perdre en autonomie par cette entrée dans le giron des autorités politiques. Le gouvernement se saisit de la question de l’insertion dans la mesure où le chômage de masse se constitue en problème public. Cependant, il entretient des représentations différentes sur le traitement du chômage. En 1986, le gouvernement de Jacques Chirac stoppe le programme expérimental qui soutenait les entreprises intermédiaires4 et encourage le développement économique plutôt que l’insertion par l’économique comme dispositif de lutte contre le chômage. Le secteur de l’IAE ne reste pas immobile pour autant. Bien au contraire, plusieurs types de structures se distinguent pour s’adapter à la diversité des publics éloignés de l’emploi. Un effort de clarification est réalisé dans les années 1990. Structuration d’un secteur hétérogène au gré d’impulsions politiques C’est un tournant dans le modèle d’action publique, qui s’opère dans les années 1980-1990. Puisqu’on ne parvient pas à expliquer et gérer nationalement tous les effets du chômage de masse, la solution serait de faire appel davantage aux territoires. Ceux-ci voient leurs compétences s’élargir avec les lois de décentralisation en 1982, et deviennent des 1 SCHWARTZ Bertrand, « L’insertion professionnelle et sociale des jeunes », rapport au premier ministre, Paris, La Documentation Française, 1981, 146 p. 2 Article L. 322-4-17-1 du Code du travail 3 Encouragé par la Circulaire du 24 avril 1985 relative au programme expérimental de soutien aux entreprises intermédiaires 4 BAUDET-CAILLE Véronique, op.cit., 116p. 29 « laboratoires » de l’action publique, dans la mesure où la voie d’ouvre à de multiples expérimentations. Les territoires deviennent lieux de conception de l’action publique, et non plus seulement des lieux supports chargés de la mise en œuvre de politiques publiques. Les expériences d’IAE entrent bien dans ce cadre puisqu’elles sont ancrées territorialement. L’échelle nationale contribue à émettre un cadre juridique pour mener ces expérimentations et délivre de grandes orientations. C’est ainsi que les différentes SIAE reconnues officiellement et peuvent prendre de l’ampleur. En 1987 sont tout d’abord légalisées les associations intermédiaires1 puis vient le tour des entreprises d’insertion en 19912, héritières des entreprises intermédiaires mises en sommeil entre 1986 et 1988. La même année sont promulguées les entreprises de travail temporaire d’insertion3, qui à la différence des AI accueillent des publics déjà plus stabilisés. Avec la montée des phénomènes d’exclusion, des ateliers et chantiers d’insertion se développent à la même période afin de resocialiser les personnes les plus vulnérables que les entreprises d’insertion ne sont pas en capacité d’accompagner. La diversité de ces structures reflète la grande hétérogénéité parmi les personnes en situation de chômage ou en voie d’exclusion. L’IAE tend à être considérée comme un réel dispositif de lutte contre le chômage, tel que l’illustre la création du CNIAE4 – le Conseil National de l’Insertion par l’Activité Economique – qui renforce la démarche d’insertion par l’économique et sa reconnaissance généralisée. « Progressivement, le secteur [de l’IAE] n’a plus seulement été considéré comme un sas vers l’emploi ordinaire, mais aussi comme un instrument de cohésion sociale, de développement local, d’amélioration des conditions de vie5 » Cette reconnaissance est parachevée par la loi de lutte contre les exclusions en 1998 6 qui inscrit les SIAE dans le Code du travail1, permet un encadrement renforcé, et alloue des 1 Loi n° 87-39 du 27 janvier 1987 portant diverses mesures d’ordre social et décret du 30 avril 1987 instituant les associations intermédiaires 2 Loi n° 91-1 du 3 janvier 1991 tendant au développement de l'emploi par la formation dans les entreprises, l'aide à l'insertion sociale et professionnelle et l'aménagement du temps de travail, permettant la reconnaissance légale des entreprises d’insertion 3 Loi n° 91-1405 du 31 décembre 1991 relative à la formation professionnelle et à l’emploi, instituant les Entreprises de Travail Temporaire d’Insertion (ETTI) 4 La création du CNIAE est le résultat des conclusions d’un rapport rendu par Claude Alphandéry, « Les structures d’insertion par l’activité économique », La Documentation Française, 1990 5 ALPHANDERY Claude, [interview], in L’insertion par l’activité économique, « Alternatives économiques », poche n°44, Paris, 2010, p. 11-13. 6 Loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions 30 moyens supplémentaires au secteur. La loi institue notamment le système de conventionnement avec l’Etat, le système d’agrément délivré par l’ANPE ainsi que les Conseils Départementaux de l’Insertion par l’Activité Economique (CDIAE), ce qui renforce le pilotage local. Le secteur de l’IAE est devenu à travers ce processus de reconnaissance légale et de légitimation politique un acteur clé au sein des politiques de lutte contre le chômage. Les phénomènes de marginalisation et d’éloignement de l’emploi deviennent de plus en plus fréquents dans les années 1990. La prise en compte et l’accompagnement de ces populations devient un enjeu majeur, ce qui justifie l’ouverture vers les acteurs de l’IAE pour contribuer à la lutte contre les exclusions. C. L’IAE : VERS UN INSTRUMENT D’ACTION PUBLIQUE RECONNU DANS LES ANNÉES 2000-2010 Après un développement autonome puis une institutionnalisation progressive, l’IAE a considérablement évoluée : le fonctionnement d’une entreprise d’insertion aujourd’hui n’est en rien comparable aux premières formes d’insertion par le travail des années 1970. Même si le secteur est désormais soutenu par les pouvoirs publics, que ce soit auprès de l’Etat à travers le conventionnement ou auprès des collectivités territoriales, l’IAE a tout de même dû faire preuve de son efficacité. La collaboration entre les différents acteurs n’était pas innée. 1. Une efficacité financière de l’IAE démontrée L’ancienneté de certaines entreprises d’insertion permet d’avoir du recul sur leurs résultats. Le bilan est positif : elles sont globalement performantes sur leurs secteurs d’activité respectifs sans pour autant négliger le projet social d’insertion. La performance économique est notamment liée au choix de secteurs d’activité porteurs et qui étaient au départ non concurrentiels. Les entreprises d’insertion ont su dégager des compétences et métiers sur ces secteurs qui sont ensuite devenus attractifs et rentables. Cela a contribué à leur solidité financière. Mais les projets sociaux d’insertion et d’accompagnement peuvent subsister sans le concours des pouvoirs publics au financement des structures. L’objectif est donc de démontrer aux pouvoirs publics que l’IAE permet une « activation des dépenses passives » de l’Etat, c’est1 Le statut des Ateliers et Chantiers d’Insertion (ACI) comme SIAE ne sera reconnu qu’en 2005 avec la Loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale 31 à-dire que le dispositif est un investissement public efficace. L’ensemblier Ressources T qui regroupe les entreprises Envie sur le bassin rennais, indique avoir généré 3,4€ de recettes publiques sous forme d’impôts, taxes et charges salariales pour 1€ de subvention reçue1. Ce calcul de rentabilité au bénéfice de l’Etat est bien évidemment variable selon les entreprises, années et secteurs d’activité, mais il permet de prouver l’efficacité financière du dispositif. Pour autant, le financement de l’Etat en direction de l’IAE n’a pas connu un regain massif à l’annonce de ces conclusions. Après 18 ans de présidence du CNIAE, le Conseil National de l’Insertion par l’Activité Economique, Claude Alphandéry formule un bilan nuancé du secteur et indique que « l’IAE a réussi à prendre sa place et à être reconnue. Mais, dans le même temps, les progrès sont fragiles et on ne nous a as donné les moyens de changer d’échelle2. » Aussi, l’orientation des financements de l’Etat est difficilement prévisible dans les années à venir, et dépend de multiples facteurs. Séverine Husson3 émettait plusieurs hypothèses à ce propos lors d’un entretien. Dans le scénario d’une réelle reprise économique, l’investissement de l’Etat en faveur de l’IAE serait peut-être en baisse ; ou au contraire c’est peut-être à ce moment que l’IAE serait d’autant plus essentielle afin de mettre en adéquation les demandeurs d’emploi avec les besoins des entreprises. Dans tous les cas de figure, poursuitelle : « On a besoin de l’IAE, les entreprises d’insertion ont d’ailleurs montré tout leur intérêt dans l’innovation économique ». Les entreprises d’insertion sont porteuses d’un réel dynamisme territorial. Elles sont également perçues comme un levier potentiel de lutte contre le chômage, et instrument d’action publique. Cela nécessite l’intégration des acteurs de l’IAE dans le modèle de régulation de l’action publique. 2. Vers une « ouverture du jeu collectif4 » ? A l’aube des années 2000, l’heure n’est plus à une croissance économique telle que dans les années 1960, qui avait vu une intervention accrue de l’Etat à travers l’Etat providence. L’avènement d’un chômage de masse et l’institutionnalisation des structures d’IAE montrent qu’une intervention centralisée de l’Etat dite « top-down », régulée par une 1 BOUJARD Daniel, Plaquette de présentation de Ressources T, éditorial [en ligne], 2013, [consulté le 17/12/2015], disponible sur : http://www.ressources-t.org/ 2 ALPHANDERY Claude, [interview], art.cit., p. 11-13. 3 Responsable Service Emploi, Unité Territoriale 35 de la DIRECCTE 4 Expression utilisée par Jean-Claude Thoenig et Patrice Duran dans leur article L'État et la gestion publique territoriale, in Revue française de science politique, 46ᵉ année, n°4, 1996. p590 ; afin de décrire les mutations des modèles d’action publique et de gouvernance suite au modèle de la régulation croisée dominant dans les années 1960. 32 négociation croisée dominée par l’Etat dans les relations centre-périphérie n’est plus suffisant. Au contraire, l’innovation sociale et économique provient des territoires. Des mutations majeures dans les modes de régulations de l’action publique sont opérées : « succède progressivement [au pilotage centralisé par l’Etat] un autre mode de gouvernance et de pilotage, pluraliste, ouvert et différencié, dont l’épicentre se situe autour du traitement territorialisé des problèmes, et qui opère au moment de la définition des enjeux et de la mobilisation des acteurs nécessaires à leur appropriation1 » Ce nouveau mode de gouvernance plus territorialisé et permettant l’inclusion d’acteurs tiers – privés et associatifs – dans la définition des problèmes publics semble être le processus le plus proche du fonctionnement du secteur de l’IAE. Les contributions des collectivités locales et acteurs tiers sont recherchées et valorisées2, car il semble difficile que l’Etat puisse, de manière hégémonique et uniforme, réguler de tels dispositifs. Il peut pourtant en avoir la tentation : depuis quelques années, un troisième mode de régulation se dévoile, qui consiste en une déterritorialisation de l’action publique. Autrement dit, l’Etat tend à « piloter les territoires à distance », et donner davantage d’orientations à l’échelle nationale. Mais dans les entreprises d’insertion semblent conserver une grande latitude d’action et autonomie. Dans le recrutement de leurs salariés par exemple, elles pourraient se voir imposer un « fléchage des publics » à embaucher plus strict, de manière indirecte à travers le processus d’agrément délivré par Pôle Emploi. Or, ce n’est pas une hypothèse vérifiée. « L’entreprise d’insertion n’a aucune raison de faire une action spécifique envers un type de public, elle promeut l’égalité », m’a déclaré Benoît Cafaro3. Finalement, toute tentative de déterritorialisation de l’action publique semble limitée dans le champ de l’IAE. Les SIAE ont développé de forts tissus de relation sur ses territoires d’implantation. Les activités d’insertion ne sont pas délocalisables, et l’action publique est conçue localement, même si elle dépend évidemment du cadre énoncé nationalement. C’est pourquoi « l’ouverture du jeu collectif » semble aussi essentielle. La collaboration entre des acteurs tant publics que privés dans la construction de l’action publique invite par conséquent à la formation de réseaux d’action publique. 1 THOENIG Jean-Claude, DURAN Patrice, art.cit., p.590. Ibid., p.608 3 Responsable d’agence, entreprise d’insertion Tribord. 2 33 Chapitre 2. CONSTITUTION D’UN RÉSEAU D’ACTION PUBLIQUE DANS LE CHAMP DE L’IAE L’histoire du secteur de l’IAE montre qu’une grande interdépendance s’est structurée entre les acteurs publics et privés concernés. Entreprises d’insertion, service public de l’emploi, collectivités territoriales, prescripteurs tel que la mission locale, administration déconcentrée de l’Etat… Toutes ces parties-prenantes sont liées et interagissent fréquemment pour le bien fondé de l’insertion. Il est possible d’analyser ces interactions comme le résultat de la formation d’un réseau d’action publique, défini par Patrick Le Galès de la manière suivante : « Dans un environnement complexe, les réseaux sont le résultat de la coopération plus ou moins stable, non hiérarchique, entre des organisations qui se connaissent et se reconnaissent, négocient, échangent des ressources et peuvent partager des normes et des intérêts. Ces réseaux jouent alors un rôle déterminant dans la mise sur agenda, la décision et la mise en place de l’action publique1. » Bien qu’il s’agisse d’une notion aux contours abondamment discutés2, elle semble pertinente dans notre cas afin d’interpréter les relations entre acteurs et la gouvernance formée dans le champ de l’insertion. La profusion du concept de réseau d’action publique fait écho aux mutations d’un l’Etat qui serait devenu plus « fragmenté » dans les années 1970. L’Etat n’est plus hégémonique et les acteurs tiers et collectivités territoriales acquièrent une plus grande capacité de négociation. L’enjeu est de comprendre comment ces nouvelles marges de manœuvre sur la scène locale vont se structurer, se coordonner, s’organiser. Comment qualifier le mode de gouvernance formé ? Les acteurs concernés agissent-ils en fonction de leurs rationalités propres, ou partagent-ils un champ cognitif commun autour de ce qu’est, et devrait être les dispositifs d’insertion ? Il semble que les entreprises d’insertion et collectivités locales ont des intérêts convergents, qui expliquent la mise en place d’un réseau d’action publique relativement stable et intégré. D’où la tentation de qualifier la gouvernance de « partenariale », c’est-à-dire fonctionnelle et basée sur du pragmatisme. Cela ne signifie pas pour autant que les représentations sur l’insertion soient tout autant convergentes. 1 2 LE GALES Patrick, THATCHER Mark, op.cit., p14. Ibid. 34 A. UN MAILLAGE D’ACTEURS TRÈS DENSE 1. Un volontarisme politique dans l’accompagnement des SIAE Différentes collectivités territoriales ont joué un rôle majeur dans le soutien à la création de structures d’IAE et sont toujours des acteurs clés, tant à travers des aides financières au fonctionnement que par un volontarisme politique dans la promotion du secteur. On peut cependant émettre une première réserve et hypothèse : ce volontarisme pressenti serait davantage localisé que national, où un élan massif de soutien vers l’IAE est beaucoup moins évident. Pourquoi certaines collectivités territoriales tiennent ce rôle proactif ? A l’heure d’un fonctionnement plus décentralisé de l’action publique et de relations plus horizontales entre acteurs, les acteurs publics locaux auraient tout intérêt à nouer des relations de coordination : Pour des raisons de légitimité et donc de responsabilité, il leur faut bien répondre aux problèmes qui se posent sur leur territoire. Proches du territoire, elles sont proches des problèmes. Prises dans une logique de circuit court, elles sont immédiatement sensibles à l'interconnexion des phénomènes sociaux et donc à la nécessité de promouvoir une approche intégrée1. En effet, les collectivités locales ont obtenu progressivement des champs de compétences élargis. Le département joue notamment un rôle clé en matière d’IAE d’après sa mission de lutte contre les exclusions. Le département Ille-et-Vilaine a été territoire d’expérimentation avant la généralisation du RSA2, m’indique Jean-Yves Praud3. Il poursuit en expliquant l’intérêt des dispositifs d’IAE dans le cadre des missions allouées au Conseil Départemental : « Avec un nombre de bénéficiaires du RSA ne cessant de croître, le regard qu’on avait sur l’IAE est devenu encore plus actif. Pour nous, une des façons de remettre les demandeurs d’emploi de longue durée dans un circuit permettant de sortir de cette situation, cela correspondait bien aux vocations du département par rapport à la lutte contre les exclusions ; mais c’était aussi un effort indispensable si on voulait essayer de maîtriser l’enveloppe sans cesse croissante que le RSA représentait au niveau du département ». 1 THOENIG Jean-Claude, DURAN Patrice, art.cit., p.596-597. RSA : Revenu de Solidarité Active 3 Conseiller Général, puis Vice-président chargé de l’Economie Sociale et Solidaire et de l’insertion 2008-2015, Conseil Départemental 35 (anciennement Conseil Général) 2 35 L’IAE a donc une double vertu : elle correspond aux valeurs humaines portées par le département et répond également à un intérêt économique. C’est pourquoi le département continue d’encourager les initiatives permettant de remplir les objectifs de lutte contre les exclusions, dont les entreprises d’insertion. La région également, d’après sa compétence sur le développement économique semble avoir tout intérêt à soutenir les entreprises d’insertion, vectrices de création d’emplois et de richesses sur le territoire. Les collectivités territoriales seront donc gagnantes si elles favorisent la formation d’un réseau d’action publique locale dans le champ de l’insertion, en y incluant les entreprises d’insertion. En effet, au-delà d’être un simple outil d’action publique, de tels acteurs privés sont essentiels dans la mise en œuvre des politiques publiques : « Créer des emplois ne se décrète pas, mais dépend de la décision discrétionnaire des entreprises1. » Le dialogue entre partenaires est donc devenu plus que jamais vital, puisqu’une multitude d’acteurs est concernée par des politiques publiques devenues plus transversales. Le défi est désormais de mettre en place un réseau d’action publique structuré et nouer le dialogue. Il faut trouver des moyens de construire collectivement l’action publique. Pour cela, l’Etat donne simplement le cadre : « [La puissance publique] intervient pour l'essentiel par la formulation de politiques constitutives. (…) Elle se contente de définir des procédures qui servent de contexte d'action sans que soit présupposé pour autant le degré d'accord et d'implication des acteurs retenus2 » En matière d’insertion certaines collectivités territoriales semblent proactives, à l’instar de Rennes Métropole à travers la mise en place d’un Plan Local pour l’Insertion et l’Emploi (PLIE), grâce à la concertation entre divers acteurs dont l’Etat, les collectivités locales, les acteurs sociaux et économique. Les PLIE « sont des plateformes partenariales de proximité et des outils d’animation et de mise en œuvre des politiques d’emploi et d’insertion au profit des publics éloignés de l’emploi3. » La création de ce type d’instances d’échange et de coopération de la sorte est une autre facette du volontarisme politique affiché par les collectivités territoriales en faveur de l’IAE, qui investissent le cadre proposé par l’Etat et permettent de structurer le réseau d’action 1 THOENIG Jean-Claude, DURAN Patrice, art.cit., p.596. Ibid. p.601-602. 3 Rapport du Conseil de Rennes Métropole N°C 14.437 du 20 novembre 2014 relatif au Développement économique – Emploi – Plan Local pour l’Insertion et l’Emploi (PLIE) – Protocole d’accord 2014-2020 [en ligne], [consulté le 7/03/2016], disponible sur : http://bit.ly/1Zol7bY 2 36 publique : « L’intervention d’un PLIE participe ainsi à la mise en cohérence des interventions publiques au plan local afin de favoriser l’accès ou le retour à l’emploi de personnes en difficulté ». Une illustration encore plus précise de la constitution d’un réseau d’action publique concernant l’IAE est la remarquable coordination nécessaire dans le recrutement des personnes en insertion. 2. Une étroite coordination dans le processus de recrutement de personnes en insertion Les entreprises d’insertion perçoivent des fonds publics notamment sous la forme d’aides au poste, afin de permettre l’embauche de personnes moins qualifiées sur les postes et les accompagner et former au sein de l’entreprise. Par ce projet social, les entreprises d’insertion entretiennent des liens nécessaires avec le service public de l’emploi via Pôle Emploi ainsi qu’avec les administrations déconcentrées de l’Etat via la DIRECCTE. Le processus de recrutement fait intervenir de nombreux acteurs qui doivent nécessairement collaborer. Reprenons le chemin parcouru par une personne qui souhaite réaliser un parcours en IAE : 1. La personne doit tout d’abord savoir si elle est éligible au dispositif en faisant rédiger une fiche d’opportunité qui est un premier diagnostic d’orientation, auprès de son conseiller Pôle Emploi ou d’un autre prescripteur tel que la Mission Locale. Si cette fiche d’opportunité est réalisée par un autre prescripteur que Pôle Emploi elle doit être validée administrativement par Pôle Emploi ; 2. Il faut ensuite faire une demande d’agrément Pôle Emploi, qui ouvre une période de deux ans pendant lesquels il est possible de réaliser un parcours en structure d’IAE ; 3. Une fois l’agrément obtenu la personne peut déposer des candidatures auprès de structures d’IAE et signer un Contrat à Durée Déterminée d’Insertion (CDDI) Si on se met désormais à la place d’une entreprise d’insertion, celle-ci doit également interagir avec plusieurs acteurs publics afin de pouvoir recruter des personnes en insertion : 1. La structure doit tout d’abord être conventionnée ou obtenir son renouvellement en tant que SIAE pouvant accueillir des personnes en insertion auprès de la DIRECCTE, représentante de l’Etat. A ce titre la structure se voit allouer un certain nombre d’équivalents temps plein (ETP) qui détermine à la fois le montant de l’aide au poste 37 qu’elle va percevoir et donc le nombre de personnes en insertion qu’elle va pouvoir embaucher ; 2. Lorsque l’entreprise d’insertion dispose de postes à pourvoir elle a l’obligation morale de les déposer parmi les offres de Pôle Emploi. Elle reçoit ensuite les candidats envoyés par les prescripteurs et réalise son recrutement. En cas de refus d’un candidat, la structure formule dans l’idéal un retour aux prescripteurs afin d’améliorer les futures recommandations. 3. Enfin, l’entreprise d’insertion doit rédiger des bilans et expliquer ses résultats, notamment en termes de sortie vers l’emploi, lors du dialogue de gestion annuel mené par la DIRECCTE en présence de Pôle Emploi. On constate que le processus de recrutement est très différent et plus complexe que pour toute entreprise classique. Pour permettre le fonctionnement de l’IAE, un simple dialogue semble insuffisant. Il convient de nouer des relations partenariales avec une étroite coopération pour fluidifier le système et produire les ajustements nécessaires. B. DE L’INSTAURATION DU DIALOGUE A DES RELATIONS PARTENARIALES 1. Convergence des intérêts des acteurs concernés sur la question de l’emploi Une des difficultés soulignée par Benoît Cafaro1 est qu’il existe différents niveaux d’une politique publique qu’il convient d’articuler : le niveau d’élaboration de la stratégie d’action publique par les représentants de l’Etat via la DIRECCTE ou Pôle Emploi par exemple ; et le niveau opérationnel de la politique à l’échelle localisée, par les structures d’IAE et les prescripteurs. Or, entre ces niveaux il existe des discours et positionnements variables vis-à-vis de l’insertion. Malgré tout, tous semblent avoir des intérêts en commun autour du parcours des personnes en insertion. L’objectif convergent est d’accompagner et permettre un retour et maintien dans l’emploi de personnes qui en étaient éloignées. Même si en interne les acteurs qu’ils soient publics ou privés n’ont pas des représentations exactement similaires de l’insertion, la visée et démarche sont partagées. Ceci qui renforce le besoin d’instaurer des relations partenariales solides. Il y a un faible intérêt à de la concurrence bien au contraire : 1 Responsable d’agence, entreprise d’insertion Tribord 38 « Le besoin de coordination est fonction du degré d'interdépendance existant entre les parties d'un système inter-organisationnel. La perception que les acteurs ont de cette interdépendance devient donc cruciale. (…) Si le système n'est plus fondé sur une interdépendance essentiellement d'ordre vertical, il n'est pas non plus d'ordre horizontal stricto sensu1. » Sachant qu’il existe de fortes interdépendances de fait dans le champ de l’IAE, une coordination est nécessaire incluant les différentes parties prenantes. Ceci justifie pleinement la signature et mise en œuvre d’un accord-cadre de coopération entre l’Etat représenté par la Direction Générale à l’Emploi et à la Formation Professionnelle (DGEFP), Pôle Emploi et les SIAE, en mars 20152. En me présentant cette démarche, Zénaïde Péron3 m’indique que le récent accord est en phase d’être décliné en région. On peut imaginer qu’à travers ces accords c’est une volonté d’un meilleur pilotage, de plus de fluidité et d’interconnaissance entre les acteurs du secteur qui est mise en exergue. Dans le préambule de l’accord de 2015, on peut lire que l’accord-cadre « doit être un levier pour améliorer les processus opérationnels, sécuriser et enrichir les parcours les salariés en insertion au sein des SIAE sur le territoire. » Il est également avancé un effort à produire en termes de gouvernance, de coordination et de clarification des attentes de chacun. Le principal objectif de l’accord-cadre est d’ « optimiser la mise en œuvre opérationnelle de l’IAE et à intensifier la coopération entre les partenaires en s’appuyant sur leur complémentarité et leurs savoirs faire ». Pour réaliser cet objectif, plusieurs instances de travail et de coordination sont mises en valeur et redynamisées : - les Comités Techniques d’Animation (CTA) menés par Pôle Emploi, afin d’optimiser le suivi effectué par les structures auprès des personnes en insertion ; et - les Conseils Départementaux d’Insertion par l’Activité Economique (CDIAE) en lien avec le CNIAE4, qui détermine un plan d’action stratégique et assure à la fois une mission de pilotage et d’organe consultatif dans la gestion des conventionnements et des fonds départementaux 1 THOENIG Jean-Claude, DURAN Patrice, art.cit., p.599. Accord-cadre entre l’Etat, Pôle Emploi et les réseaux de l’IAE, mars 2015, [consulté le 16/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/24Cro7t 3 Responsable Insertion par l’activité économique, DLA et ESS, Pôle entreprises, emploi et économie – AREFP, DIRECCTE Bretagne 4 CNIAE : Conseil National de l’Insertion par l’Activité Economique 2 39 Tout ce travail de mise en relation et coordination entre les acteurs publics et en insérant dans le dialogue partenarial les représentants des SIAE, démontre un réel effort des partiesprenantes pour promouvoir davantage d’efficacité et de synergies dans les dispositifs d’IAE. Cependant, cela invite à se questionner sur l’essence même de cette démarche. Elle ne semble pas signifier qu’il existe une vision partagée par tous sur l’IAE. Ainsi que le soulignent JeanClaude Thoenig et Patrice Duran1 : « La volonté de négocier se nourrit davantage d'impératifs gestionnaires que de projets politiques. (…) Elle ne traduit pas non plus le retrait massif de l'État par rapport à la gestion publique territorialisée. Elle est un effort pour agir à travers le pilotage d'interdépendances et d'échanges avec un tissu partenariat élargi et diversifiable. » 2. Une certaine forme de concurrence subsistante ? De par leurs statuts, fonctions et objectifs propres, les entreprises d’insertion n’ont pas les mêmes représentations du public en insertion que Pôle Emploi, qui est une agence de placement, ou que la Mission Locale qui procure un accompagnement personnalisé à des jeunes de moins de 26 ans. On peut penser a priori que des situations de concurrence ou de conflit sont plausibles entre ces acteurs, notamment en ce qui concerne les prescriptions : chacun ne va pas forcément orienter les mêmes publics vers un parcours en insertion2. Sylvie Bernard-Griffiths3 me fait noter que de telles situations de conflit ont pu exister par exemple entre des prescripteurs et Pôle Emploi. Ce dernier sortait en quelques sortes de son rôle en émettant des avis de fond sur la fiche d’opportunité réalisée par la Mission Locale ou d’autres prescripteurs. Dans les textes, Pôle Emploi doit se contenter de vérifier qu’il n’y ait pas de critères administratifs dérogatoires à un parcours en insertion4. Cependant, de telles situations de désaccord sont en réalité assez rares. Tous les partenaires de l’IAE communiquent entre eux au moindre doute sur une fiche d’opportunité ou autre élément d’hésitation sur le profil d’une personne en insertion. Hamon Fichou5 me souligne ces fortes interconnexions. La mission locale travaille en étroite collaboration avec Pôle Emploi notamment, notamment dans la création des dossiers. 1 THOENIG Jean-Claude, DURAN Patrice, art.cit., p.616. Le traitement plus approfondi de cet enjeu est l’objet du chapitre 1 de la partie II 3 Référente IAE Rennes et Ille-et-Vilaine, Pôle Emploi 4 Par exemple, Pôle Emploi va vérifier si la personne n’a pas déjà réalisé un parcours d’IAE auparavant, et donc déjà utilisé ses deux ans d’agrément disponibles et non renouvelables. 5 Conseiller à la mission locale de Rennes 2 40 Plusieurs acteurs rencontrés lors d’entretiens s’accordent à dire que les relations entre entreprises d’insertion, Pôle Emploi et autres partenaires se sont améliorées. Si chacun reste dans son rôle et champ d’attributions, les risques de conflits sont minimisés, d’autant plus si le dialogue est constructif comme le mentionne Séverine Husson1 à propos du fonctionnement du Conseil Départemental de l’Insertion par l’Activité Economique (CDIAE): « Il y a besoin de discussion, mais il y a toujours des points d’entente. On a l’habitude de travailler ensemble et de s’écouter. Le CDIAE est une instance qui selon moi fonctionne très bien, avec une confiance mutuelle et réciproque, et où nous avons des débats très riches. » Finalement, malgré certaines divergences qui sont inévitables lorsque l’on se situe sur un réseau d’action publique avec autant d’acteurs différents, « c’est le bien-être de l’usager qui passe en premier » selon Hamon Fichou, tout comme pour Sylvie Bernard-Griffiths : « on essaie de faire en sorte que chacun soit dans son droit, et que les choses se fassent dans l’intérêt des salariés en IAE, dans une idée de parcours en insertion ». Parmi les acteurs concernés par le champ de l’insertion c’est donc la coopération qui semble primer sur la concurrence. Cependant, des relations de coopération sont efficaces si et seulement si chaque acteur prend connaissance et conscience des intérêts de ses partenaires dans la discussion : un défi à relever dans le secteur très hétérogène de l’IAE. C. L’INTERCONNAISSANCE COMME ENJEU MAJEUR 1. Des freins persistants « La mise en compatibilité [des diverses parties prenantes] signifie qu'au minimum chacun prend en compte l'existence des intérêts de l'autre, ce qui se traduit par la reconnaissance de la position du partenaire.2 » L’optimisation des dispositifs d’IAE suppose que les acteurs publics prennent en considération les enjeux propres aux entreprises d’insertion (et vice-versa), notamment dans leurs impératifs de rentabilité économique, alors qu’elles sont placées comme toute autre entreprise sur le champ concurrentiel. Bien que de nombreux acteurs publics soient conscients des spécificités du modèle d’entreprise d’insertion, certains freins persistent et peuvent créer des blocages ou ralentissements dans les relations partenariales public-privé. 1 2 Responsable Service Emploi, Unité Territoriale 35 DIRECCTE THOENIG Jean-Claude, DURAN Patrice, art.cit., p.600 41 L’hétérogénéité entre les structures d’IAE est un premier frein à une connaissance aboutie du modèle. Les différences sont tout d’abord conséquentes entre les types de structures d’insertion : chantiers d’insertion, associations intermédiaires, entreprises de travail temporaire d’insertion, entreprises d’insertion ne recrutent pas sur les mêmes critères, ont des contrats et temps de travail variés, des aides différentes, etc.1 Mais les disparités sont également grandes entre les entreprises d’insertion, qui connaissent des réalités très différentes selon leur secteur d’activité, le public accueilli qui peut comporter plus ou moins de jeunes, de femmes, de primo-arrivants sur le territoire français. Cela conduit à des problématiques internes à l’entreprise contrastées. Il y a donc un important coût d’entrée pour comprendre les tenants et aboutissants de l’IAE. Ensuite, même lorsque le modèle d’entreprise d’insertion est bien assimilé il demeure des obstacles à une optimalité de la coopération, lié aux modes d’action et contraintes différentes des acteurs. Par exemple, la temporalité sera variable que l’on se positionne du point de vue d’une entreprise ou d’un acteur public. Alors que celle de l’entreprise est plus basée sur le rythme annuel d’un exercice comptable, celle d’un élu peut être dépendante du calendrier électoral. De ce fait, lorsque Ressources T est en déficit de conducteurs poids lourds et propose de mettre en place une expérimentation afin de faire obtenir à des candidats la qualification Fimo nécessaire à ce poste, la négociation dure deux ans avant d’obtenir un accord, car les partenaires locaux ne disposaient pas du pouvoir de décision2. Ces quelques exemples montrent qu’il existe des incompréhensions ou freins à une connaissance optimale des préférences des acteurs, ici des entreprises d’insertion. Ceci est lié au fait que la prise de décision rationnelle n’existe pas. Celle ci elle supposerait une prise en compte de toutes les contraintes dans un univers de transparence quasi-totale3. Les acteurs disposent plutôt d’une rationalité limitée ; c’est-à-dire que l’information peut être incertaine, les préférences des acteurs fluctuantes et les décisions sont prises selon une certaine conjoncture. Il est quand même possible de réduire au maximum les incertitudes sur les préférences des acteurs. C’est pourquoi dans le champ de l’IAE de nombreux efforts tendent à produire une meilleure interconnaissance entre acteurs. 1 Voir en annexe les différences majeures entre SIAE (tableau) Entretien avec M. BLOT Ludovic, directeur général, Ressources T 3 GARRAUD Philippe, Cours de Sociologie des organisations, Chapitre 3 : outils théoriques classiques de la sociologie des organisations, des acteurs aux systèmes d’action, IEP de Rennes, septembre-décembre 2015 2 42 2. Un grand effort d’ouverture réalisé « Partager la connaissance territoriale de l’IAE pour engager des actions communes », tel est l’axe 1 de l’accord-cadre national signé en mars 2015 entre l’ensemble des partenaires de l’IAE. L’interconnaissance entre les acteurs est un élément transversal de ce texte. Il insiste sur le partage de l’analyse des besoins sur le territoire, sur le renforcement des liens entre prescripteurs et SIAE ou encore sur le déploiement d’une meilleure visibilité de l’IAE. Cela signifie bien que la communication et le partage d’expériences sont des enjeux clés du développement des dispositifs d’IAE dans les années à venir, ce qui semble essentiel dans tout fonctionnement en réseau d’action publique. La « coopération obligatoire conduit à la communication obligatoire » indiquent Jean-Claude Thoenig et Patrice Duran : « se protéger par la non-communication représente un jeu perdant. Qui ne communique pas n'est pas au courant des affaires. Se cacher fait peu de sens. La qualité des relations avec des tiers, la capacité de jouer en commun deviennent vertueuses. La négociation s'ouvre. Lorsque personne ne détient seul la clé d'un problème, l'informel se révèle légitime. Jouer le partenariat permet de mutualiser les risques, refuser l'ouverture conduit à la marginalisation1 » Dans le bassin d’emploi de Rennes plusieurs efforts d’ouverture ont donc été réalisés dans le but de promouvoir plus d’interconnaissance entre acteurs concernés par l’IAE : les prescripteurs, entreprises d’insertion, le public en insertion... Des journées portes-ouvertes des entreprises d’insertion sont organisées afin que les conseillers Pôle Emploi et autres prescripteurs comprennent mieux les réalités et enjeux de l’entreprise. Anne-Gaëlle Mangin m’informait que des campagnes de communication sont menées par Rennes Métropole2 conjointement avec la Maison de l’Emploi, de l’Insertion et de la Formation Professionnelle (MEIF). Pôle Emploi co-organise également avec la MEIF une semaine de l’IAE en septembre. « Mais c’est un chantier toujours en cours ! » déclare Sylvie Bernard-Griffiths3. Le secteur de l’IAE est constamment en évolution et s’est notamment professionnalisé au cours de ses années d’existence, ceci étant dû aux spécificités du modèle et notamment aux 1 THOENIG Jean-Claude, DURAN Patrice, op.cit. p.603 Chargée de mission IAE – P.L.I.E., Rennes Métropole / MEIF (Maison de l’Emploi, de l’Insertion professionnelle et de la Formation). 3 Référente IAE Rennes et Ille-et-Vilaine, Pôle Emploi 2 43 impératifs de rentabilité économique. Cela requiert de la part de l’ensemble des acteurs une connaissance mise à jour régulièrement de ces évolutions. Pour conclure, l’ensemble des acteurs concernés par le champ de l’IAE semble avoir formé et entretenir un réseau d’action public intégré et relativement stable, ce qui entre dans l’intérêt de tous. En effet, leurs interactions sont liées au partage d’un objectif commun : accompagner les personnes éloignées de l’emploi dans leur parcours d’insertion. Partant de ce postulat, on peut se demander qu’en est-il de la position des entreprises classiques vis-à-vis de l’insertion ? A son origine l’IAE était accusé par certains de produire une forme de concurrence déloyale à l’égard des autres entreprises classiques du fait des aides publiques perçues. C’est une vision complètement dépassée aujourd’hui. Le paysage des SIAE a considérablement évolué depuis les années 1970. Les entreprises d’insertion se sont professionnalisées, légitimant leurs activités et incitant à la coopération aussi bien avec les acteurs publics que privés afin de développer de nouveaux partenariats et secteurs d’activité, toujours au service du projet social. 44 Chapitre 3. PROFESSIONNALISATION DES ENTREPRISES D’INSERTION Les entreprises d’insertion ont connu des évolutions considérables jusqu’à aujourd’hui. Leurs besoins et impératifs en termes de rentabilité économique les ont conduites à effectuer des ajustements. L’environnement économique a en effet évolué et les secteurs d’activité sur lesquels se positionnent les entreprises d’insertion sont devenus de plus en plus concurrentiels. Elles ont donc dû s’adapter aux nouvelles réalités économiques, et faire évoluer leurs formes de gouvernance interne pour répondre plus efficacement aux enjeux de leur développement. Pour autant, cette professionnalisation ne remet pas en cause l’essence du projet social, au contraire. Mais cela met encore plus en exergue l’enjeu de l’interconnaissance précédemment soulevé afin de faire progresser l’IAE avec l’ensemble des parties prenantes. Dans la prolongation d’une idée de gouvernance partenariale, il faut de plus souligner le déploiement de nouveaux modes d’action publique. L’émergence de nouvelles opportunités pour les structures d’IAE, telles que les clauses sociales dans les marchés publics, font penser à une densification des partenariats public-privé. Ces initiatives interrogent sur les conditions d’une collaboration effective entre acteurs publics et privés et par conséquent sur la possibilité – ou non – d’émanation de référentiels communs sur l’insertion des personnes éloignées de l’emploi. 45 A. ADAPTATION INÉVITABLE AUX NOUVELLES RÉALITÉS ÉCONOMIQUES 1. Mise en concurrence des entreprises, diversification des activités et technicisation A leurs débuts, les structures d’insertion par l’activité économique se développent sur des secteurs estimés non rentables mais nécessitant de la main d’œuvre, tels que la récupération et le traitement des déchets verts ou électroniques. Par leur manque de rentabilité à l’époque, les entreprises classiques n’exploitaient pas ces secteurs. Les entreprises d’insertion ont donc investi ces « niches » propices à leur extension et en quelques sortes « montré la voie » à d’autres entreprises classiques. Cette montée en concurrence peut aussi s’expliquer par le fait que des secteurs comme la gestion des déchets soient devenus stratégiques et à fort potentiels. Les questions environnementales ont graduellement été mises à l’agenda. L’un des premiers signaux ayant été la publication du rapport Brundtland en 1987, qui énonce une définition du développement durable comme un développement permettant de « répondre aux besoins du présent sans compromettre la possibilité pour les générations à venir de satisfaire les leurs1 ». Le contexte économique et le champ concurrentiel ayant évolués, les entreprises d’insertion ont été invitées à se professionnaliser, impliquant à la fois une diversification des activités et une adaptation des process existants. Ludovic Blot2 explique cet impératif : « L’économique nous oblige à satisfaire nos clients dans un juste rapport qualité-prix. C’est pas parce qu’on fait de l’insertion qu’on sera mieux payé, ou qu’on nous demandera une qualité moindre ; voire, c’est plutôt l’inverse comme il y a parfois un a priori négatif sur l’insertion, il faut prouver qu’on est un petit peu meilleur que nos concurrents pour un prix identique, au moins au démarrage. » Les entreprises d’insertion développent bien leurs activités dans les mêmes conditions que les autres entreprises. La qualité des produits et services ainsi que la satisfaction des clients sont au cœur des enjeux cruciaux. Pour l’ensemble de ces raisons de nombreuses entreprises d’insertion ont dû réagir et s’adapter. 1 BRUNDTLAND Gro Harlem, Rapport Brundtland, « Notre avenir à tous », Éditions du fleuve. 1987, [consulté le 4/02/2016], version française disponible sur : http://bit.ly/1gE7Fkt 2 Directeur général, Ressources T 46 Cela est passé par une diversification des activités. Aujourd’hui, selon la Dares, les entreprises d’insertion sont les seules structures d’IAE à se positionner sur des secteurs d’activité aussi diversifiés que les entreprises classiques1. De nombreux métiers sont représentés que ce soit dans l’agriculture, l’industrie, la construction, le tertiaire, le transportlogistique… Quasiment une embauche sur deux en entreprise d’insertion concerne un métier dans les services à la collectivité (48 %) notamment dans la propreté et l’environnement urbain (23 %). Sur le bassin d’emploi rennais, on peut par exemple mentionner le métier de paysagiste représenté par l’entreprise d’insertion AJIEnvironnement qui obtient régulièrement des contrats auprès de collectivités territoriales. Le transport et logistique correspondent quant à eux à plus de 10 % des embauches. On peut cette fois mentionner les entreprises d’insertion Envie Transport Bretagne ou Le Relais qui emploient plusieurs personnes en insertion sur des postes de chauffeurs poids lourds. A ce large panel de métiers présents est couplée une technicisation des activités au sein des entreprises d’insertion. C’est-à-dire qu’elles vont rechercher à être plus performantes et compétitives pour être concurrentielles d’une part, répondre aux exigences des clients d’autres part ; et donc par répercussions faire perdurer le projet social. Concrètement cela passe par une instauration de normes, de certifications, d’optimisation de l’activité. De cette manière, plusieurs entreprises d’insertion telles que La Feuille d’Erable, se sont lancées dans une démarche de certification avec l’obtention de la norme ISO 90012 afin de garantir la qualité de leurs services et management ainsi que la confiance des clients et partenaires extérieurs. Le nouveau contexte économique nécessite donc une adaptation permanente de la part des entreprises d’insertion. Cela suscite une professionnalisation croissante à travers des processus de normalisation, qualification de tous les salariés et diversification des activités. Cependant, contrairement aux entreprises classiques, de multiples spécificités inhérentes au projet social de l’entreprise d’insertion se trouvent au cœur de leur enjeu de performance économique. 1 Rapport « L’insertion par l’activité économique en 2013 » [en ligne], Dares, op.cit. Entretien avec Mme DELOURME Maëlle, chargée d’insertion, La Feuille d’Erable Norme ISO 9001 délivrée par le groupe français AFNOR dans le cas de La Feuille d’Erable, ISO (International Organization for Standardization) étant une fédération mondiale composée d’organismes nationaux de normalisation. 2 47 2. Les spécificités des entreprises d’insertion dans la recherche de nouvelles activités L’exemple de la réflexion menée par les entreprises d’insertion dans la recherche de nouvelles activités, montre combien le processus est différent voire inversé par rapport à une entreprise classique. En effet, le développement économique doit entrer en résonnance avec les requis du projet social d’insertion. Les salariés en contrats d’insertion sont présents de manière temporaire et leur parcours dans la structure est censé agir comme un « tremplin » vers l’emploi durable. Les métiers pratiqués doivent donc être vecteurs d’apprentissages transférables vers d’autres secteurs d’activité ou opportunités d’emploi. Pour illustrer ce propos, Ludovic Blot, directeur général de Ressources T, m’expose les différentes étapes de la réflexion qui ont précédé le lancement d’une nouvelle activité : le démantèlement de matelas. Dans cette idée de « réfléchir à l’envers », la première phase a été d’étudier les manques en termes d’offres d’insertion sur le territoire, les perspectives de sorties vers l’emploi et de création de passerelles vers d’autres domaines: Quels sont les secteurs qui recrutent ? Sur le territoire de l’Ille-et-Vilaine, le constat est réalisé d’une forte présence du secteur de l’agroalimentaire Quels types de compétences seront recherchés ? Le respect des normes d’hygiène, la maîtrise de conduite de lignes automatisées, le port de charges, l’adaptabilité, etc. A partir de là, l’entreprise d’insertion réfléchit aux activités qu’elle peut mettre en place pour permettre aux salariés d’acquérir ces types de compétences et se voir ouvrir des opportunités à la fin du parcours en insertion. C’est ainsi qu’a été expérimenté puis lancé le démantèlement de matelas, qui nécessite de la polyvalence, qui inclue une ligne de conduite automatisée, des certifications ISO 9001, ISO 14001, ISO 18001 à respecter, etc. L’objectif étant de convaincre des directeurs des ressources humaines du secteur de l’agroalimentaire que ces compétences que sont bien transférables. Suivant ce même schéma, d’autres perspectives de diversification des activités sont en réflexion notamment dans le secteur tertiaire. La définition de nouvelles stratégies et activités est bien étroitement liée aux besoins du projet social : « plus on est dans le rapport économique, meilleur on est dans le social » indique Ludovic Blot, « L‘économique ne prévaut pas, mais on le met au même niveau, là où historiquement le social était mis au dessus de l’économique. » 48 Cette changement de perspective est rattachée à l’évolution de la figure du dirigeant d’entreprise d’insertion, depuis la création de l’IAE jusqu’à aujourd’hui. 3. Transformation de la figure du dirigeant : du travailleur social au gestionnaire d’entreprise Le projet d’insertion des personnes éloignées de l’emploi a été l’essence de la création des SIAE. L’aspect social est alors un pilier dominant dans les débats autour du développement de l’entreprise. L’IAE s’inscrit dès ses débuts dans ce qu’on appelle aujourd’hui l’économie sociale et solidaire, et donc adopte une position militante, qui replace l’homme au cœur de la problématique économique1. Comme évoqué précédemment, les premiers initiateurs de structures d’IAE sont des travailleurs sociaux, des éducateurs spécialisés, qui n’ont pas forcément de formation de gestion d’entreprise. Cependant, la solution apportée par les SIAE pour lutter contre le chômage et l’exclusion passe nécessairement par l’économique, d’où son appellation. Sans perdre l’essence du projet social initial, une autre façon de gérer les entreprises d’insertion apparaît progressivement dans les années 1990. C’est la « deuxième génération » de dirigeants. Ils sont toujours des éducateurs ou personnes issues du travail social, mais qui se forment à la gestion d’entreprise. Le pilier économique, moteur de l’activité et du projet d’insertion, prend un poids conséquent dans les débats pour venir se positionner à l’équilibre avec le pilier social d’antan dominant. Cette première transformation a pu susciter des remous au sein des entreprises d’insertion entre les initiateurs de l’IAE et les nouveaux gestionnaires. Car au départ, l’aspect économique est perçu comme un contrainte dans le projet social, il devient désormais utile. Aujourd’hui, les entreprises d’insertion connaissent un nouveau virage et on peut dire qu’une « troisième génération » de dirigeants est à l’œuvre à travers des « gestionnaires avec une fibre humaniste2 ». Les deux piliers – le social et l’économique – sont considérés de même importance. L’économique étant toujours une contrainte mais avant tout un moteur du projet d’insertion. De cette dernière mutation de la vision de l’entreprise résulte une professionnalisation inévitable de tous les salariés, qu’ils soient permanents ou en insertion. 1 2 BREGEON Philippe, « Histoire du réseau de l’insertion par l’activité économique », op.cit., p.10 Selon l’expression employée par M. BLOT Ludovic, directeur général, Ressources T 49 Pour l’illustrer cette professionnalisation, Ludovic Blot prend l’exemple du personnel encadrant les équipes de salariés en insertion au sein Ressources T. Les encadrants ne sont pas des travailleurs sociaux ou éducateurs comme cela avait pu être le cas par le passé. Ils sont désormais des professionnels de leurs métiers, par exemple dans l’électroménager des anciens salariés de Conforama, Darty ou Gitem qui sont formés à l’insertion : « On cherche à être le plus professionnels possible car nos clients et la vie économique nous l’impose, et en faire bénéficier en priorité à nos salariés en insertion ». L’activité économique est bien le support et moteur du projet social. Sans cette performance et professionnalisme, l’entreprise ne pourrait obtenir de si bons résultats en termes de taux de sortie vers l’emploi. C’est une équation propre aux réalités de l’entreprise que les partenaires du réseau d’action publique ne perçoivent pas toujours de la même façon. Afin de mettre en résonnance les choix en termes de stratégie et de ressources humaines avec les représentations et modes d’action des partenaires, les choix de gouvernance interne de l’entreprise sont importants. L’exemple de Ressources T est à ce titre intéressant dans la mesure où le groupe a procédé en 2015 à une transformation en SCIC permettant une gouvernance plus élargie, incluant notamment les collectivités territoriales dans les processus de décision. B. DES FORMES RENOUVELÉES DE GOUVERNANCE INTERNE : L’EXEMPLE DE RESSOURCES T 1. Insuffisances des formes de gouvernance précédentes Il convient tout d’abord de souligner que toutes les formes juridiques sont possibles pour une entreprise d’insertion, tel que l’indique l’article R. 5132-1 du Code du Travail. Il est possible de se constituer tant en société anonyme (SA), en société coopérative ouvrière de production (SCOP), ou en association régie par la loi du 1er juillet 1901… Les choix réalisés dépendent de plusieurs facteurs tels que la taille ou de l’histoire de l’entreprise, et sont justifiés selon ses besoins. C’est ainsi que le groupe Ressources T, qui regroupe aujourd’hui les entreprises d’insertion Envie 35, Envie 2E Recyclage Bretagne, et Envie Transport Bretagne, est passé d’un statut associatif à un statut de Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC) fin 2015. Les anciennes formes de gouvernances montraient en effet des limites. Jusqu’en 2011, quatre associations existaient sur le bassin d’emploi de Rennes, un héritage de l’histoire du concept 50 d’entreprise Envie, qui s’est constitué depuis 19841 en réseau national d’associations à but non lucratif2. Chaque structure d’Envie préservant son indépendance, l’évolution de la gouvernance interne est bien évidemment possible. C’est pourquoi en 2011 est créé l’ensemblier d’insertion Ressources T. En effet, l’existence de quatre associations créait des risques en termes de ressources humaines car cela signifiait la coordination entre quatre conseils d’administration, quatre présidents et parfois jusqu’à trois ou quatre contrats pour les salariés permanents positionnés sur des postes transversaux aux structures3. Le regroupement en un ensemblier d’insertion a permis une grande simplification : meilleure lisibilité et communication interne et externe, mutualisation des services et création de synergies, le soutien économique possible entre les structures. Le Conseil d’Administration restait cependant incombé de grandes responsabilités avec des dossiers techniques se complexifiant, notamment du fait de la professionnalisation de l’entreprise qui implique par exemple des processus de certifications, de respect de normes. De plus, les parties prenantes à l’entreprise dont les salariés ou les partenaires publics n’étaient pas associées à la prise de décision sur les orientations majeures. Ces acteurs pourraient pourtant contribuer efficacement au projet d’entreprise. C’est pourquoi une grande réflexion a été relancée en 2013 sur la transformation possible vers une nouvelle forme de gouvernance. 2. Le statut de SCIC : vers une inclusion de l’ensemble des parties prenantes dans la prise de décision4 La démarche de transformation de la gouvernance a abouti au passage de Ressources T au statut de SCIC actée depuis le 23 novembre 2015. L’objectif premier du groupe reste inchangé : il s’agit de permettre et consolider l’insertion par le travail pour des personnes éloignées de l’emploi via une activité économique pérenne et en association avec les différents partenaires publics et privés ancrés sur le territoire. Ce sont les moyens pour atteindre cette finalité qui changent sous le nouveau statut de SCIC. 1 Fédération Envie, site internet, [consulté le 14/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1WdMd7N Envie 35, site internet, [consulté le 14/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1q4sgSR 3 Entretien avec M. BLOT Ludovic, directeur général, Ressources T 4 Entretiens réalisées avec M. BLOT Ludovic, directeur général, Ressources T et M. MORLET François, membre du Conseil d’Administration, Ressources T 2 51 La démarche promue est celle de « d’entreprendre ensemble », c’est-à-dire en rapprochant les multiples partenaires concernés et en créant des lieux d’échanges et d’expérimentations car on estime que chacun peut apporter des contributions mutuelles enrichissantes. Si chacun comprend mieux la complexité des dispositifs d’IAE ainsi que leur intérêt et portée, alors les prescriptions seront plus adaptées, et les projets pourront êtes développés au plus proche des besoins identifiés sur le territoire... C’est pourquoi Ressources T souhaite associer la myriade d’acteurs à l’échange et la prise de décision. Cela a mené à la création de six collèges disposant chacun d’un pouvoir de vote pondéré selon une répartition qui soit la plus pertinente possible. Salariés de Ressources T (20%) Salariés des entreprises Envie Disposant d’un pouvoir de décision de 40%, la part des salariés dépasse le caractère seulement symbolique, et leur attribue une réelle implication et responsabilisation ; sans pour autant leur incomber le poids entier des orientations stratégiques de l’entreprise. (20%) La situation de l’entreprise ayant beaucoup évoluée en quelques Personnes qualifiées années, les décisions stratégiques se sont complexifiées. La nouvelle (bénévoles, fondateurs) gouvernance permet de ne pas reposer toutes les responsabilités sur les (30%) bénévoles du Conseil d’Administration. Ils restent bien présents, afin de délivrer leur regard expérimenté et garantir l’essence du projet social L’objectif est notamment d’inviter Rennes Métropole à intégrer ce collège, afin de collaborer concrètement sur les politiques d’emploi et d’insertion, tout en ayant une réelle vision politique. Pourraient s’y Collectivités publiques (10%) joindre aussi le Conseil Régional et le Conseil Départemental. L’intérêt est d’optimiser les réseaux de relations existants et faciliter la prise de décision, de consolider les partenariats, d’avancer plus rapidement en montrant que les entreprises d’insertion sont des acteurs proactifs d’expérimentation sur les territoires. Les problématiques peuvent être croisées, tel que le thème de l’accueil des primo-arrivants sur le territoire français par exemple. Partenaires privés De la même manière, l’objectif d’associer des potentiels employeurs employeurs (10%) ainsi que des partenaires de l’ESS (d’autres entreprises d’insertion par Partenaires privés exemple) est de faciliter la compréhension mutuelle des enjeux et de de l’ESS (10%) créer des rapprochements, par exemple entre l’insertion et le handicap. 52 Cette démarche vise donc à constituer un réseau d’action publique encore plus intégré que ce que nous avons pu observer à travers la constitution historique du secteur de l’IAE. Dans cette transformation, l’association de partenaires publics directement au cœur du projet d’entreprise est un élément majeur de changement. L’interconnaissance est un processus toujours en cours d’approfondissement. De multiples modes d’actions permettent de dévoiler le potentiel des structures d’IAE. La transformation de Ressources T en SCIC en est un exemple et une possibilité. L’introduction des clauses sociales dans les marchés publics en est une autre. C. INTRODUCTION DE CLAUSES SOCIALES DANS LES MARCHÉS PUBLICS L’action publique en matière de retour à l’emploi et d’insertion passe en partie par une démarche partenariale avec des acteurs privés tels que les SIAE. Ceci est perçue comme nécessaire d’après des évolutions des modes d’action publique : Si l'on reconnaît aujourd'hui les mérites d'une gestion publique partenariale par une sorte de glissement d'un État-tuteur vers un Etatpartenaire, une telle évolution n'est pas tant dictée par une volonté d'approfondissement de la démocratie que par les nécessités mêmes de politiques publiques dont le succès passe de plus en plus souvent par la participation des acteurs privés1. Le processus d’interconnaissance en cours mène à une meilleure compréhension des SIAE, et la professionnalisation des structures permet de les considérer comme de réels outils d’action publique. Désormais, les acteurs publics sont en mesure de donner une réelle impulsion à l’IAE et contribuer à la mission d’intérêt général d’insertion des personnes éloignées de l’emploi, en permettant l’instauration de « clauses sociales » dans les marchés publics. 1. Intérêts du dispositif : un levier considérable pour l’IAE L’article 5 du Code des marchés publics impose à tout acheteur public de prendre en compte dans la définition des besoins les objectifs du développement durable, lesquels incluent le développement écologiquement soutenable, le développement économique, la protection de 1 THOENIG Jean-Claude, DURAN Patrice, art.cit., p 614-615. 53 l’environnement et le progrès social1. L’insertion professionnelle des personnes éloignées de l’emploi relève de ces objectifs. Au sein de ces contrats, les donneurs d’ordres publics – l’Etat, les collectivités territoriales, les intercommunalités, les bailleurs sociaux – peuvent donc faire le choix d’insérer des clauses sociales dans leurs appels d’offre et donc contraindre les entreprises à y répondre. Deux dispositions majeures sont utilisées. Soit il s’agit d’une clause sociale d’exécution2, c’est-à-dire que l’entreprise qui répond à l’appel d’offre doit consacrer un volume horaire de travail à la réalisation d’une action d’insertion professionnelle pour les publics éloignés de l’emploi. Soit l’insertion est un critère de choix de l’entreprise3 dans l’attribution du marché au même titre que le prix ou les délais d’exécution. Le potentiel de ces dispositions est considérable : l’ensemble des marchés publics représente un total de 96 514 contrats en 2013, pour un montant de 71,5 millions d’euros4. Les SIAE sont des acteurs clés dans les politiques d’emploi et d’insertion, mais elles deviennent aussi à travers ces clauses sociales des partenaires économiques pour les entreprises et acteurs publics. Elles peuvent être choisies pour accomplir les heures ou la mission d’insertion prévues par la clause. Néanmoins, pour que les clauses sociales deviennent de réels leviers d’insertion plusieurs conditions doivent être exaucées. L’intermédiation et la coopération entre tous les partenaires engagés semble fondamentales, ce qui fait écho à l’existence d’un réseau d’action publique intégré et stable. Pour ce faire il existe sur chaque territoire des facilitateurs des clauses sociales, notamment au sein des PLIE5 et Maisons de l’Emploi6. 1 Article 5 du Code des marchés publics ; réformé par l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, qui reste cependant dans la continuité et confirme la nécessaire prise en compte des objectifs de développement durable dans les marchés publics. 2 Article 38 de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics : « Les conditions d’exécution d’un marché public peuvent prendre en compte des considérations relatives à l’économie, à l’innovation, à l’environnement, au domaine social ou à l’emploi, à condition qu’elles soient liées à l’objet du marché public » ; disposition anciennement régie par l’article 14 du Code des marchés publics : « Les conditions d'exécution d'un marché ou d'un accord-cadre peuvent comporter des éléments à caractère social ou environnemental qui prennent en compte les objectifs de développement durable en conciliant développement économique, protection et mise en valeur de l'environnement et progrès social. » 3 Article 52 de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics ; disposition anciennement régie par l’article 53 du Code des marchés publics 4 Recensement de l’achat public exercice 2013 [en ligne], Observatoire économique de l’achat public, Ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique, [consulté le 20/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1XdMDuq 5 PLIE : Plan Local pour l’Insertion et l’Emploi 6 Entretien avec Mme MANGIN Anne-Gaëlle, Chargée de mission IAE – P.L.I.E., Rennes Métropole / MEIF (Maison de l’Emploi, de l’Insertion professionnelle et de la Formation) 54 2. Mise en œuvre : une utilisation sous-optimale des clauses Malgré une montée en puissance du recours aux clauses sociales dans les marchés publics depuis leur introduction, ce levier d’insertion semble encore faiblement exploité par rapport au potentiel que cela pourrait atteindre… Seuls 6,1 % des marchés publics supérieurs ou égaux à 90 000 euros HT possèdent une clause sociale1. Le dispositif semble pourtant prometteur, tant pour les publics en insertion qui voient de nouvelles opportunités se créer que pour les entreprises dont les SIAE qui accroissent leur potentiel de développement ou que pour les acteurs publics qui remplissent une mission d’intérêt général. Seulement, la mise en œuvre suppose des clauses sociales suppose un fort volontarisme politique. Les maîtres d’ouvrages les plus actifs pour le moment et qui montrent une grande implication sont les communes (28 % des contrats), les bailleurs sociaux (24 %) et les EPCI (12 %)2, et vont parfois au-delà des minimas indiqués en termes d’heure d’insertion. L’entreprise d’insertion AJIEnvironnement collabore beaucoup avec ces collectivités locales sur les espaces verts : « Il y a des communes et communautés de communes qui ont du courage, et qui vont jusqu’à où la législation le permet, c’est du bonheur », indique Frank Lepeinteur3. Mais selon lui de manière plus générale les donneurs d’ordre publics ne vont pas assez loin dans leur intention de faire de l’insertion : « Ils ont des leviers qui pourraient générer de la richesse sur le territoire, qui sont sous-utilisés. On pourrait faire des pas de géant, et on fait des sauts de puce ». Les entreprises d’insertion sont des structures déterminantes sur le bassin d’emploi rennais. Les clauses sociales leur permettraient une certaine garantie de chiffre d’affaire et ainsi des possibilités d’investissements et une vision prospective de plus long terme. Mais pour l’instant les clauses sociales représentent une faible part de l’activité des entreprises d’insertion. Ceci est également lié aux décisions prises par les entreprises attributaires du marché public. Dans le cadre de l’exécution d’une clause d’insertion, ces dernières peuvent embaucher directement des salariés en parcours d’insertion, un choix réalisé dans 28% des cas. Elles 1 Données de 2013, le taux était de 4,3% en 2012 selon le Recensement de l’achat public exercice 2013 [en ligne], Observatoire économique de l’achat public, Ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique, [consulté le 20/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1XdMDuq. 2 EPCI : Etablissement Public de Coopération Intercommunale Rapport « Consolidation Nationale des résultats de la clause sociale d’insertion et de promotion de l’emploi » [en ligne], Alliance Villes Emploi, 2014, [consulté le 20/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/24AeR8d 3 Directeur, AJIEnvironnement 55 peuvent opter pour la mise à disposition de salariés en insertion en ayant recours à des associations intermédiaires, des entreprises de travail temporaire d’insertion ou entreprises adaptées (55 %). Travailler avec une entreprise d’insertion requiert de passer par une soustraitance ou co-traitance, ce qui est réalisé dans 2% des cas seulement1. On peut émettre l’hypothèse que la procédure est plus complexe, et que les entreprises d’insertion recherchent peut être davantage l’obtention de marchés propres, dans le cadre de l’article 53 du Code des marchés publics. Les clauses sociales dans les marchés publics pourraient propulser l’IAE vers un « changement d’échelle ». Quelques freins persistent cependant et rendent ces dispositifs sous exploités, notamment pour les entreprises d’insertion. Le développement croissant de l’utilisation des clauses sociales est toutefois notable et démontre un intérêt croissant des pouvoirs publics à contracter auprès de partenaires privés afin de contribuer activement aux politiques d’insertion des personnes éloignées de l’emploi. 1 Observatoire des entreprises d’insertion 2014 [en ligne], fédération des entreprises d’insertion, [consulté le 10/03/2016], disponible sur : http://bit.ly/1SYSgaA Voir en annexe : article 14 : les modalités d’exécution de la clause (graphique) 56 CONCLUSION PARTIELLE Analyser la réalité au prisme de la sociologie des organisations permet de décrypter le fondement des interactions entre acteurs. Nous avons tenté de répondre à cette question : quels sont les intérêts des acteurs du champ de l’insertion à interagir, à coordonner leurs actions, voire à coopérer en formant un réseau d’action publique intégré ? Nous avons pu déceler de fortes interdépendances entre acteurs publics et SIAE, faisant écho aux mutations récentes des modes d’action publique. Ces liens mettent en lumière l’importance des relations horizontales sur le territoire et non plus seulement le monopole de l’Etat central sur la décision, ainsi que les relations SIAE et entreprises privées dans l’exécution des clauses sociales par exemple. La gouvernance qui résulte de ces interactions a été qualifiée de territorialisée et partenariale dans le sens où la gouvernance est guidée par la poursuite des intérêts propre de chacun, dont la combinaison forme une réelle valeur ajoutée en termes d’insertion car les acteurs partagent une visée commune : l’insertion des personnes éloignées de l’emploi. Il existe cependant des limites à cette analyse organisationnelle. Tout d’abord, elle tend à percevoir chaque type d’action comme un tout homogène « les entreprises d’insertion », « le service public de l’emploi », « les collectivités territoriales »… Alors qu’au sein de chaque groupe il existe des différenciations dans l’appréciation de la réalité. De plus, le regard est porté davantage sur l’action elle-même et l’effort de coordination entre acteurs que sur le fondement cognitif de ces actions. Or, le poids des idées est essentiel à prendre en compte si l’on considère comme Berger et Luckmann1 « l’importance des dynamiques de construction sociale de la réalité dans la détermination des cadres et des pratiques socialement légitimes à un instant précis ». C’est pourquoi la seconde partie s’attache à comprendre si l’observation des comportements des acteurs et leurs discours à chaque étape du parcours des personnes en insertion – recrutement, accompagnement, sortie vers l’emploi – permet ou non de révéler des représentations communes de la réalité. 1 BERGER Peter L., LUCKMANN Thomas, La construction sociale de la réalité, Paris, Méridiens-Klincksieck, 1986 cité dans MULLER Pierre, SUREL Yves, L’Analyse des politiques publiques, Paris, Montchrestien, Collection Clefs, 1998, p.47. 57 PARTIE II - Le parcours des personnes en insertion : des DEUXIÈME PARTIE principes d’action oscillant entre idéal et réalité Le parcours des personnes en insertion : des principes d’action oscillant entre idéal et réalité Afin d’assurer la pérennité du secteur de l’IAE, les acteurs présents sur le territoire ont dû entretenir de nombreuses interactions et mettre en place des instances de dialogue. La particularité des SIAE fait qu’elles soient ni totalement dépendantes, ni totalement autonomes des pouvoirs publics : une coordination des actions est nécessaire pour le bon fonctionnement du modèle. Pour aller au-delà du simple constat de cette nécessaire coordination, il semble fondamental de comprendre quelle sont les visions de l’insertion entretenues par chacun. Comment est interprétée la réalité de la situation des personnes éloignées de l’emploi ? Comment cette interprétation se décline en principes d’action, et en traduction concrète dans l’action publique ? L’enjeu est de comprendre si les acteurs partagent une « matrice cognitive et normative1 » similaire autour de laquelle « les acteurs vont organiser leur perception du système, confronter leurs solutions et définir des propositions d’action2 ». Car les acteurs peuvent avoir une vision de l’insertion différenciée, ce qui va plus ou moins faciliter la coordination selon le degré de divergence. On s’intéresse donc aux « principes d’actions » défendus par les acteurs selon leurs représentations et qui guident leurs actions concrètes. En l’occurrence, un enjeu central dans le fonctionnement des SIAE est la définition de l’éligibilité au dispositif ou autrement dit répondre à la question suivante : qu’est-ce qu’une personne éloignée de l’emploi ; pour qui un parcours en insertion serait un réel tremplin ? 1 Notion définie par Yves Surel de la manière suivante : « Par matrices cognitives et normatives, expression générique qui intègre les paradigmes (Hall), les systèmes de croyance (Sabatier) et les référentiels (Jobert, Muller), on entendra ainsi des systèmes cohérents d’éléments normatifs et cognitifs qui définissent un champ donné des « visions du monde », des mécanismes identitaires, des principes d’action, ainsi que des prescriptions méthodologiques et pratiques pour les acteurs partageant une même matrice » in SUREL Yves, « Idées, intérêts, institutions dans l’analyse des politiques publiques », Pouvoirs, n°87, 1998, p.162. 2 MULLER Pierre, op.cit., p.43 58 A travers l’étude des modes d’action des acteurs nous allons tenter de déceler selon quelle structure cognitive ou représentations ils agissent et comment vont-ils pouvoir articuler leurs principes d’actions à ceux de leurs partenaires. Or d’après l’interdépendance existante entre entreprises d’insertion et pouvoirs publics, telle que nous l’a montrée l’étude de la gouvernance sur le bassin d’emploi rennais, l’enjeu est de réussir à s’accorder sur une vision ou représentation commune de l’insertion et du public éligible. Nous faisons l’hypothèse que c’est ce vers quoi les différents acteurs concernés semblent converger. En effet s’il y a toujours certains conflits ou désaccords dans l’interprétation des textes ou dispositifs, ceux-ci semblent être assez marginaux en comparaison à l’intensité de la coordination et la compréhension mutuelle entre les acteurs du secteur sur le bassin d’emploi de rennais. Selon cette hypothèse les acteurs s’accorderaient donc sur les « principes d’action » à déployer. Dans la vision idéale relativement partagée le secteur de l’IAE fonctionnerait sous la forme de « parcours » pour les personnes qui en bénéficient, c’est-à-dire qu’elles passeraient progressivement d’une structure d’IAE à une autre (d’abord par un chantier, puis une entreprise d’insertion par exemple) jusqu’à évoluer de manière « durable » vers une entreprise classique. Cette idée est plutôt un idéal vers lequel tendre, une direction, plutôt qu’une réalité. Car de nombreux obstacles, tels que la situation du marché du travail, la durée de l’agrément, limitent la possibilité de réaliser des parcours au sein de SIAE. Tout le travail des acteurs est d’échanger puis s’accorder sur une vision acceptable et fonctionnelle de l’IAE, permettant à la fois la cohérence du projet social et l’activité économique des entreprises. 59 Chapitre 1. LE RECRUTEMENT Si les entreprises d’insertion, le service public de l’emploi et autres prescripteurs partagent un objectif commun : celui d’accompagner et permettre à des personnes éloignées de l’emploi d’en retrouver un, cet objectif majeur peut être concurrencé par d’autres objectifs internes. Le chemin est périlleux pour aboutir au partage de représentations communes sur l’insertion, sans se limiter à la définition d’objectifs et principes, mais aussi à convenir de modes d’action. Le réseau d’acteurs sur le bassin rennais est très dense et travaille en étroite collaboration, mais quelques résistances ou limites suggèrent que les acteurs privés et publics n’ont pas exactement la même vision de l’insertion. Si les principes d’action généraux semblent partagés, c’est donc dans la mise en œuvre des dispositifs d’IAE que des divergences restent présentes et offrent des voies d’évolution pour les années à venir. L’objectif unanime de favoriser l’insertion des personnes éloignées de l’emploi donne un cadre au sein duquel les débats peuvent se dérouler. D’après ces considérations on peut se demander : dans quelle mesure les exigences et attentes des entreprises d’insertion et prescripteurs sont-elles convergentes ? A. QUELS PUBLICS ÉLIGIBLES À L’IAE ? 1. D’une clarté théorique apparente des publics éligibles… L’article L. 5132-1 du Code du travail indique que « l’insertion par l’activité économique a pour objet de permettre à des personnes sans emploi, rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières, de bénéficier de contrats de travail en vue de faciliter leur insertion professionnelle. » Les personnes en insertion sont des publics qui n’ont pas ou plus les compétences indispensables pour la tenue d’un poste de travail1, dans une entreprise dite classique. L’entreprise d’insertion va donc embaucher ces personnes « connaissant des échecs répétés et se trouvant en situation précaire2 ». 1 BAUDET-CAILLE Véronique, op.cit., 116p. Circulaire de la Direction Générale de l’Emploi et de la Formation Professionnelle (DGEFP) n°99-17 du 26 mars 1999 relative à la réforme de l’IAE 2 60 Pour pouvoir entamer un parcours en SIAE ces personnes éloignées de l’emploi doivent nécessairement obtenir un agrément délivré par Pôle Emploi. Les personnes embauchées en insertion signent ensuite un Contrat à Durée Déterminée d’Insertion (CDDI) en application de l’article L. 1242-3 du code du travail. Le contrat ne peut avoir une durée inférieure à quatre mois et peut être renouvelé dans la limite totale de 24 mois, sauf exceptions. Le cadre d’éligibilité des publics à orienter vers l’IAE bénéficie d’une certaine clarté législative, bien que les textes ouvrent de larges possibilités de catégories éligibles laissées libres à l’appréciation de Pôle Emploi. On retrouve majoritairement des demandeurs d’emploi de longue durée, des bénéficiaires des minimas sociaux, des jeunes… Une étude de la Dares1 met en exergue les principales caractéristiques des salariés nouvellement embauchés. Ainsi, 59% des personnes en CDDI dans des entreprises d’insertion en 2013 étaient chômeurs de longue durée, 34 % étaient bénéficiaires du RSA, 23 % avaient moins de 26 ans et quasiment 80 % avait un niveau scolaire V ou VI (CAP-BEP ou inférieur)2. Pour orienter une personne vers l’IAE, il convient de juger de la pertinence d’un parcours en insertion pour la personne accompagnée en réalisant un diagnostic. Il faut l’IAE permette à la personne de résoudre ou dépasser des problèmes périphériques qui bloquaient son accès à l’emploi dans les conditions du marché ordinaire. Afin de réaliser ces diagnostics Pôle Emploi est aidé par d’autres intervenants sociaux prescripteurs, tels que la Mission Locale ou Cap Emploi. Ils rédigent des fiches d’opportunité qui évaluent les problèmes périphériques, et émettent un avis d’orientation vers un type de SIAE correspondant au profil. Mais tous les prescripteurs n’émettent pas les mêmes diagnostics. Le cœur du débat entre les acteurs se trouve alors autour de la question de l’éloignement à l’emploi : faut-il privilégier les personnes les plus éloignées de l’emploi ? A partir de quel moment une personne est-elle estimée comme « trop proche » de l’emploi pour pouvoir bénéficier d’un agrément permettant un parcours en SIAE ? Ces questions mettent en valeur tout l’enjeu de dégager des principes d’action partagés par les acteurs et d’interagir de manière partenariale, pour pouvoir s’accorder sur les catégories éligibles au sein du cadre légal : 1 2 Rapport de la DARES, « L’insertion par l’activité économique en 2013 », art.cit. Voir en annexe : Les caractéristiques des salariés nouvellement embauchés dans les SIAE en 2013 (tableau) 61 « Cela souligne l'importance des mécanismes cognitifs quand il s'agit de construire de la coopération. S'impose ainsi un apprentissage collectif de la «conceptualisation conjointe». L'activité de coordination passe par la création de cadres de référence communs entre les intérêts concernés sans lesquels des efforts ultérieurs n'aboutiront pas1 » Le cadre légal disponible laisse apparaître une assez grande marge d’interprétation quant aux publics prioritaires à orienter vers les dispositifs d’IAE. 2. … à une grande marge d’interprétation en réalité De nombreux facteurs expliquent que d’un prescripteur à l’autre les diagnostics réalisés ne soient pas identiques. A quoi correspondent les « difficultés sociales et professionnelles » qui conditionnent l’obtention de l’agrément Pôle Emploi ? La prescription vers un parcours d’IAE est avant tout une appréciation subjective du conseiller : un pari pris en quelques sortes. « On a chacun nos propres critères, et on n’échange pas forcément entre nous, on fait aussi en fonction de l’impression ressentie avec le jeune, indique Hamon Fichou2, la notion de difficulté n’est pas la même entre tous les conseillers, et n’a jamais vraiment été mise à plat, différentes interprétations existent ». Les écarts entre les diagnostics peuvent aussi être issus d’un manque de formation ou de connaissance des conseillers sur les dispositifs d’IAE. Nombreux nouveaux conseillers arrivent à Pôle Emploi et n’acquièrent pas tous les connaissances sur les dispositifs d’emploi au même rythme : « tout le monde n’a pas le même niveau de finesse »3. Il se peut qu’ils ne maîtrisent pas entièrement les différences entre les SIAE par exemple. Des facteurs extérieurs au champ de l’IAE peuvent aussi influer sur les prescriptions émises et notamment les effets d’annonce du gouvernement en termes de lutte contre le chômage. « On a des injonctions de l’Etat auxquelles on doit répondre. La place de l’IAE reste évolutive, en fonction des injonctions autres que l’on peut avoir4 ». Par exemple cette année, l’objectif commandé par l’Etat est d’envoyer 500 000 demandeurs d’emploi en formation. Les conseillers Pôle Emploi seront donc mobilisés davantage sur cet objectif peut-être au détriment de l’IAE. Philippe Garraud soulignait déjà ce caractère multidimensionnel des missions de Pôle Emploi : 1 THOENIG Jean-Claude, DURAN Patrice, art.cit., p.603. Conseiller à la mission locale, Rennes 3 Selon Mme BERNARD-GRIFFITHS Sylvie, référente IAE Rennes et Ille-et-Vilaine, Pôle Emploi. 4 Ibid. 2 62 « Au fil des années, les missions de l’ANPE se sont élargies et transformées de manière plus contradictoire et conjoncturelle que cohérente, au gré des différentes « priorités » ou injonctions politiques du moment : logique de placement initiale, comptabilité statistique du chômage, accueil et orientation des demandeurs d’emploi, collecte des offres d’emploi des entreprises, organisation, mise en œuvre et gestion des stages de formation, etc.1 » Malgré toutes ces possibles interprétations divergentes dans le diagnostic, en réalité, les prescripteurs et entreprises d’insertion parviennent à s’accorder sur les profils pertinents à orienter vers un parcours en IAE. On aurait pourtant pu penser a priori d’après une vision assez caricaturale que Pôle Emploi aurait tendance à orienter vers l’IAE des publics spécifiques ou très éloignés de l’emploi, au gré des indications en termes de taux de placement. On pourrait également penser que les entreprises d’insertion recruteraient plus facilement des personnes les moins éloignées de l’emploi, pour une question d’efficacité économique et de réponse aux taux de sortie imposés par le conventionnement. Il n’en est rien. Certes, des désaccords peuvent être occasionnés sur les diagnostics. Sylvie Bernard-Griffiths2 me donne l’exemple du cas d’une entreprise d’insertion qui souhaitait recruter une personne en insertion disposant d’un bac+3. Pôle Emploi a refusé de lui délivrer un agrément en estimant que d’autres personnes aux profils plus en difficulté pourraient tout-à-fait répondre aux exigences du poste. Ces situations de désaccord restent néanmoins très marginales. C’est avant tout l’intérêt de la personne en insertion qui est mise en avant me rappelle Hamon Fichou3, ainsi que la compréhension mutuelle des attentes entre acteurs plutôt que l’intérêt propre qu’ils pourraient privilégier. C’est donc que les acteurs qu’ils soient publics ou privés tendent à converger vers une vision commune de l’insertion. 1 GARRAUD Philippe, Le chômage et l’action publique. Le « bricolage institutionnalisé », Paris, L’Harmattan, 2000, p.109. ANPE : Agence Nationale pour l’Emploi, devenue aujourd’hui Pôle Emploi 2 Référente IAE Rennes et Ille-et-Vilaine, Pôle Emploi 3 Conseiller Mission locale, Rennes 63 B. ATTENTES DES ENTREPRISES D’INSERTION ET COHÉRENCE DU PROJET SOCIAL Afin d’éviter les situations de désaccords avec les prescripteurs, il est dans l’intérêt des entreprises d’insertion de leur faire connaître leurs attentes en termes de recrutement. Les actions de communication et de dialogue menées y contribuent et permettent l’élaboration d’un cadre commun de référence. Quelles sont donc ces attentes dans le recrutement ? 1. Des personnes motivées en capacité de travailler Après avoir réalisé plusieurs entretiens auprès de conseillers en insertion professionnelle (CIP), salariés d’entreprises d’insertion qui sont en charge de l’accompagnement des personnes en insertion, deux éléments se démarquent dans le recrutement. La motivation est un premier critère essentiel dans le recrutement. Il faut que la personne accompagné soit mobilisée et « intéressée par le métier de paysagiste, indique Frank Lepeinteur1, ayant fait la preuve de son intérêt », et surtout que le parcours en insertion ait un intérêt dans son parcours : « Nous entreprises d’insertion, ce sont les personnes du dessus qu’il nous faut. Si on nous donne la catégorie encore mobilisée vers l’emploi, pour laquelle une durée d’emploi de 6-8 mois sera bénéfique parce que ça va donner du boost au projet, là on est dans notre rôle. Si on nous envoie seulement des personnes déstabilisées par rapport à l’emploi, sous-qualifiées, pour lesquelles l’employabilité est complexe, je ne vais pas y arriver2 ». Surtout, le second critère fondamental dans le recrutement est que la personne soit « en capacité de travailler ». Cela signifie qu’elle n’ait pas de problèmes de condition physique, car les postes sont exigeants. Il peut y avoir des ports de charges lourdes, des gestes répétitifs, et le temps de travail peut aller jusqu’à 35h pour certains CDDI en entreprise d’insertion, il faut donc pouvoir s’organiser, explicite Williams Cohuet3. Beaucoup d’entreprises d’insertion requièrent également de maîtriser de français pour des questions de sécurité : 1 Directeur, AJIEnvironnement Ibid. 3 Chargé d’insertion et de recrutement, Le Relais Bretagne 2 64 « Le critère principal est la capacité à intégrer des consignes. Il n’y a pas de critère de niveau de qualification préalable, si ce n’est parler français, car il a y des risques d’accidents sur la voie publique en cas de non compréhension des consignes, par exemple si un équipier de collecte ne comprend pas que le conducteur du camion va faire une marche arrière… » Certains critères sont ensuite spécifiques aux fiches de postes. Pour le poste d’agent d’accueil en déchetterie chez Tribord, poursuit Benoit Cafaro1, il faut savoir lire et écrire car il y a des activités de reporting. Il faut aussi n’avoir aucun antécédent avec l’alcool. Une question que je pose à plusieurs reprises est celle de l’éloignement à l’emploi des personnes recrutées : l’entreprise d’insertion a-t-elle tendance à recruter des profils plutôt proches de l’emploi selon l’impératif de rentabilité économique, ou plutôt très éloignés de l’emploi ? Delphine Le Bayon me répond que l’enjeu pour les entreprises dans le recrutement est de trouver un équilibre entre projet économique et social car « aux deux extrêmes cela pose problème2 » : D’un côté, en embauchant des personnes trop éloignées de l’emploi l’entreprise d’insertion perd la confiance de ses clients et partenaires, ne renouvelle donc pas ses marchés. Et si le projet économique s’effondre, alors il emporte le projet social avec lui. De plus, pour une personne qui n’a pas travaillé depuis très longtemps et qui accumule de nombreux problèmes sociaux périphériques, le parcours en entreprise d’insertion peut devenir une difficulté supplémentaire : « parfois, le travail c’est la solution, mais parfois le travail c’est juste un problème en plus3 ». Il faut plutôt envisager une orientation vers un chantier d’insertion avec un temps de travail plus réduit ou des remises à niveau préalables. D’un autre côté, recruter des personnes trop proches de l’emploi pose également problème car la question des valeurs, de l’éthique, la cohérence du projet social de l’entreprise se pose. La personne « trop proche » de l’emploi n’a plus besoin d’accompagnement si elle est déjà qualifiée, ayant de la confiance en soi, et cherche simplement une nouvelle expérience de travail. 1 Responsable d’agence, Tribord Chargée de recrutement et d’accompagnement professionnel, Tribord 3 Entretien avec M. CAFARO Benoit, responsable d’agence, Tribord 2 65 2. Des équipes fonctionnelles aux profils diversifiés Au-delà du profil personnel, les entreprises d’insertion prennent aussi en considération la composition de leurs équipes de travail dans le recrutement. La plupart des structures essaient d’avoir une grande mixité dans leurs équipes qui se décline de différentes manières. Tout d’abord de nouveau sur le thème de l’éloignement à l’emploi, il semble que l’entreprise d’insertion n’a pas intérêt à recruter que des personnes éloignées de l’emploi. Car dans ce cas l’effet d’entraînement vers le haut est faible. Il n’y a pas de leader dans l’équipe incitant au dynamisme. De la même manière, l’entreprise d’insertion ne peut avoir que des personnes en début de parcours ou en fin de parcours. La diversité de l’origine des personnes est aussi importante pour garantir une mixité sociale et la cohésion des groupes de travail, et non un repli en communauté pouvant créer des tensions avec des dynamiques de conflits ou d’exclusion : « Je ne veux pas 50% de primo arrivants sur le territoire français… J’ai une personne d’origine syrienne, deux de Mayotte, mais déjà trop car ils commencent à parler dans leur langue au travail, je dois leur interdire», raconte Frank Lepeinteur1. Enfin, un enjeu commun à toutes les SIAE (à l’exception des associations intermédiaires) est de promouvoir la mixité des genres. Selon les données de la Dares en 20132, 60 % des personnes en parcours en SIAE étaient des hommes et 40 % des femmes. Une différence encore plus flagrante au sein des entreprises d’insertion, qui comptaient seulement 34 % de femmes en 2013. Williams Cohuet3 souligne la volonté de l’entreprise Le Relais d’ouvrir davantage de postes aux femmes et de casser les clichés en encourageant ardemment les projets de femmes souhaitant devenir conductrices par exemple ! C’est une question de pédagogie et d’éducation, pour progressivement changer les mentalités et représentations à la fois des prescripteurs et des personnes postulantes. Cet effort est partagé par les acteurs publics. Il fait parti des objectifs du Plan Départemental pour l’Insertion par l’Activité Economique (PDIAE) m’indique Séverine Husson4. Pour résumer ses critères de recrutement, Frank Lepeinteur explique qu’il essaie d’avoir « une équipe à la fois hétérogène, aux profils extrêmement variés, et homogène, sur l’envie des personnes de faire quelque chose de leur passage dans l’entreprise ». 1 Directeur, AJIEnvironnement Rapport « L’insertion par l’activité économique en 2013 » [en ligne], Dares, art.cit. 3 Chargé d’insertion et de recrutement, Le Relais Bretagne 4 Responsable Service Emploi, Unité Territoriale 35 DIRECCTE 2 66 Il s’avère qu’il y a donc une multiplicité des contraintes à prendre en compte pour les entreprises d’insertion dans leur recrutement, et que celles-ci ne sont pas toujours bien comprises par les prescripteurs. « Ils véhiculent parfois des représentations et peuvent manquer de subtilité » selon Delphine Le Bayon1. Elle poursuit en expliquant qu’il est possible qu’un agrément soit refusé, parce que la personne n’aurait pas assez de problèmes périphériques : pas de difficulté de logement, pas de problèmes d’alcool… Il y aurait parfois une certaine idée de l’entreprise d’insertion vue comme « une sauveuse », mais au contraire, il ne faut pas attendre qu’une personne ne cumule trop de problèmes périphériques avant de l’orienter vers l’entreprise d’insertion. Il convient bien sûr de ne pas généraliser ces occurrences et produire un discours trop schématique. De son côté Sylvie Bernard-Griffiths, référente IAE à Pôle Emploi, constate que « Pôle Emploi tend à faire confiance aux recruteurs. Parfois, on aurait envie de râler, cette personne serait pas mal ! Mais les structures connaissent leurs besoins, surtout dans le cas des EI/ETTI qui sont les plus proches du secteur marchand ». Ces deux témoignages révèlent cependant les marges d’interprétations fluctuantes qui existent dans le recrutement de personnes en insertion et dans l’appréciation de l’éloignement à l’emploi. Nous pouvons penser que les différents acteurs partagent des principes d’actions communs allant dans le sens du retour, de l’accompagnement et du maintien dans l’emploi de personnes qui en étaient éloignées ; mais que des divergences s’opèrent à la marge, au niveau des instruments d’action disponibles pour atteindre les objectifs de l’IAE. Mais quelles conséquences produisent ces différences d’interprétation des situations des personnes éloignées de l’emploi ? C.FONCTIONNEMENT DU RECRUTEMENT EN RÉSEAU « FERMÉ » : UNE VOIE SOUVENT PRIVILÉGIÉE 1. Le paradoxe des postes vacants en entreprise d’insertion Pour les différentes raisons invoquées – une certaine méconnaissance des SIAE et leurs attentes, des interprétations différenciées concernant l’éligibilité des personnes aux dispositifs d’IAE, etc. – il existe des décalages entre le potentiel que pourraient atteindre des entreprises d’insertion et la réalité. 1 Chargée de recrutement et d’accompagnement professionnel, Tribord 67 C’est-à-dire qu’en dépit d’un nombre conséquent de demandeurs d’emploi qui seraient éligibles à l’IAE, certaines entreprises d’insertion ont constamment des postes vacants à pourvoir. C’est par exemple le cas de Tribord qui dispose actuellement de 8 postes vacants en agent d’accueil1 ou de Ressources T, qui peine à recruter des chauffeurs poids lourds, un poste qui requiert à minima le permis C et la formation Fimo pour exercer. Or, les entreprises d’insertion peuvent difficilement remédier à ces situations seules car elles sont tributaires dans le recrutement de la situation du marché du travail, ainsi que de l’agrément délivré par Pôle Emploi et des candidats envoyés par les prescripteurs. Mais Pôle Emploi envoie insuffisamment de candidats avec la qualification requise, déclare Ludovic Blot à propos des besoins de Ressources T. Il y a forcément des personnes que cela pourrait intéresser d’être chauffeur poids lourd, mais Pôle Emploi n’a pas les mêmes grilles de lecture et de classification que les entreprises d’insertion. Certains candidats ne sont simplement pas informés de ces possibilités. « Il faut sans cesse « prendre son bâton de pèlerin » et aller dialoguer avec les prescripteurs pour expliciter nos critères et besoins, ou quelles sont les spécificités du modèle d’entreprise d’insertion, explique Benoit Cafaro2, sans une bonne connaissance du fonctionnement de l’IAE, les demandeurs d’emploi n’en seront pas informés, alors que certains seraient éligibles ». Mais cette fois encore, Pôle Emploi dispose d’interprétations variables de la réalité et explique de manière différente la subsistance de postes vacants. Les SIAE auraient par exemple élevé leur niveau d’exigence sur leur personnel car leur environnement serait devenu plus exigent, remarque Sylvie Bernard-Griffiths, mais également Hamon Fichou3. Les fiches de poste auraient donc été revues à la hausse et seraient désormais plus proches du secteur marchand… Or, les conseillers Pôle Emploi peuvent plus facilement orienter les personnes qui correspondraient à ces exigences vers des solutions d’embauche hors IAE. A Pôle Emploi, on me souligne également que les caractéristiques du public au chômage auraient évoluées. Il y aurait aujourd’hui davantage de seniors, alors que les postes en entreprise d’insertion sont très physiques, et davantage de chômeurs de longue durée. Ces 1 Situation au 26 février 2016, date de l’entretien avec Mme LE BAYON Delphine, chargée de recrutement et d’accompagnement professionnel, Tribord 2 Responsable d’agence, Tribord 3 Conseiller mission locale, Rennes 68 évolutions composent un public plus éloignée de l’emploi qu’auparavant alors que l’entreprise d’insertion se rapproche de l’entreprise classique en termes d’attentes. Le paradoxe des postes vacants révèle les « marges de progrès » à réaliser pour le développement du secteur de l’IAE, dont le potentiel semble sous-exploité. Pour y remédier, les entreprises d’insertion réalisent des campagnes de communication et d’information afin de promouvoir les intérêts de l’IAE. Mais en attendant qu’elles portent leurs fruits, elles doivent nécessairement continuer d’assurer leurs activités et donc trouver des solutions pour recruter des personnes en insertion. 2. Partiel contournement de Pôle Emploi pour recruter Si les entreprises d’insertion ne trouvent pas suffisamment de candidats via Pôle Emploi, qui représente le vivier « ouvert » des offres car disponibles à tous, alors elles vont faire jouer le réseau « fermé » d’acteurs pour recruter. « Au-delà du seul secteur du transport, aujourd’hui, on estime qu’entre 70 et 80% des offres ne passent pas par Pôle Emploi, il ne reste plus que 20% des offres en marché ouvert1 ». Pôle Emploi ne va donc pas identifier les mêmes priorités et marchés en tension que les entreprises, puisque l’ensemble des acteurs ne dispose pas des mêmes flux d’information. Dans ce sens les entreprises d’insertion contournent partiellement Pôle Emploi. Même si elles continuent d’y poster leurs offres par obligation morale, elles n’attendent pas l’envoi de candidatures par ce biais pour recruter, comme chez AJIEnvironnement : « J’ai une annonce qui a trois semaines avec trois postes disponibles, je n’ai reçu aucun candidat de la part de Pôle Emploi. J’ai déjà recruté mes salariés, je ne les attends pas. J’ai un flux de personnes qui m’envoient leurs CV, heureusement que je les ai2. » Différents moyens sont utilisés pour parvenir à recruter : relancer les candidatures spontanées, solliciter les autres SIAE, diffuser l’information au réseau des prescripteurs avec qui l’entreprise a l’habitude de travailler et qui connaît ses attentes. Hamon Fichou fait ressortir dans son propos le fort maillage entre les acteurs du bassin d’emploi rennais, et parmi ce réseau, il souligne qu’il y a « certains partenaires avec qui vous aimez travailler, vous allez plus orienter tel type de public vers tel encadrant technique ». 1 2 Entretien avec M. BLOT Ludovic, directeur général, Ressources T Entretien avec M. LEPEINTEUR Frank, directeur, AJIEnvironnement 69 Le cas de l’entreprise d’insertion La Feuille d’Erable est très illustrant, car elle emploi ce type de méthodes de recrutement annexes à Pôle Emploi. Des informations collectives sont organisées tous les lundis matins1 et permettent ainsi de recevoir spontanément des personnes intéressées, de nouer un premier contact et de recruter sans passer par le diagnostic préalable d’un prescripteur. Cela bouleverse en quelques sortes le rapport de force entre l’entreprise et Pôle Emploi, puisqu’une fois que l’entreprise a décidé de recruter un candidat elle demande à Pôle de lui délivrer une fiche d’opportunité et un agrément d’IAE. Il y a donc bien un décalage entre la procédure de recrutement classique qui passerait plus systématiquement par Pôle Emploi, entre les principes d’action généraux partagés, et la réalité des entreprises d’insertion qui connaissent des difficultés de recrutement. Pour nuancer le propos il convient de noter que Pôle Emploi est bien conscient de ces difficultés à recruter en fonction des attentes et besoins des entreprises. C’est pourquoi il peut parfois contribuer à l’organisation d’informations collectives et refuse assez rarement de délivrer des agréments. Bien que les acteurs partagent un objectif commun envers les personnes éloignées de l’emploi, l’éloignement et l’éligibilité aux dispositifs d’IAE sont donc sujets à diverses interprétations dans la mise en œuvre des dispositifs d’insertion. Cela est observable pendant la phase de recrutement mais également d’accompagnement des salariés en contrat d’insertion au sein de l’entreprise. 1 Entretien avec Mme DELOURME Maëlle, chargée d’insertion, La Feuille d’Erable 70 Chapitre 2. L’ACCOMPAGNEMENT Les personnes recrutées qui effectuent un parcours en SIAE jouissent d’un contrat de travail et du statut de salarié dans les mêmes conditions que n’importe quel autre salarié. Mais contrairement à une entreprise classique, le salarié en insertion bénéficie d’un accompagnement au sein de l’entreprise d’insertion pendant toute la durée de son contrat, tel que spécifié à l’article L. 5132-1 du Code du travail qui mentionne que l’IAE « met en œuvre des modalités spécifiques d'accueil et d'accompagnement ». C’est ce qu’on appelle le « projet social » de l’entreprise, qui est adapté selon les besoins individuels de chaque salarié en insertion. Nous essayons de comprendre sur quelles représentations de la personne en insertion ou sur quels fondements cognitifs les entreprises d’insertion vont-elles baser leurs actions d’accompagnement, en interaction avec le cadre légal dont elles disposent et les relations partenariales avec les acteurs publics. Tout comme dans la phase de recrutement, il semble que des principes d’action généraux font écho à tous les acteurs : il s’agit de considérer la personne dans sa globalité et d’agir dans une démarche de construction d’un parcours en insertion. Cependant à cet idéal se confronte une réalité complexe dans la mise en œuvre, car le parcours de chaque personne en insertion est unique et chaque histoire comporte ses spécificités. D’où la complexité de produire des parcours en insertion linéaires. A. LA « GLOBALITÉ » DE LA PERSONNE MISE EN EXERGUE 1. Interdépendance entre insertion sociale et professionnelle Le projet social de l’entreprise se décline à travers l’accompagnement spécifique délivré aux personnes en insertion, qui prend en compte les personnes dans leur « globalité ». C’est-à-dire que sont pris en compte tant les aspects sociaux personnels que les ambitions professionnelles présentes et futures. La circulaire de la DGEFP du 26 mars 1999 repère trois étapes du projet social1, adaptées aux profils et difficultés rencontrées par les personnes en insertion ainsi qu’aux modes d’organisation du travail de l’entreprise : L’accompagnement consiste en premier lieu en un réentraînement aux rythmes de travail, au respect des horaires, au travail en équipe et au respect des consignes. Il s’agit ensuite de 1 Circulaire de la Délégation Générale à l’Emploi et à la Formation Professionnelle (DGEFP) n°99-17 du 26 mars 1999 relative à la réforme de l’IAE 71 permettre un apprentissage professionnel, complété en interne ou en externe par des formations en prise directe avec le métier et les contraintes de l’atelier. Enfin, le projet social réside aussi en un accompagnement social en interne ou avec l’appui d’organismes spécialisés : travail social à l’occasion de la mise au travail (autonomie, pédagogie de la réussite…), approche globale de la personne pour aborder d’autres facteurs de l’insertion (logement, santé, dettes, psychologie…). Selon ces modalités d’accompagnement procurées en entreprise d’insertion, la mission locale estime qu’une personne qui manque de confiance en elle, qui est timide et a des difficultés à s’intégrer dans une équipe, qui manque de rapidité ou a besoin de travailler sur la posture au travail trouvera de grands bénéfices à un parcours en SIAE1. Pour l’entreprise d’insertion il n’y a pas de priorisation entre insertion sociale et insertion professionnelle, car le salarié en insertion est embauché en ayant des problèmes sociaux périphériques persistants : La mise en situation d’emploi va être un vecteur de reprise de confiance en soi, de nouvelle socialisation et donc alimenter l’insertion sociale. De même, le suivi sur les freins périphériques qui est réalisé par les chargés d’insertion en entreprise d’insertion permettra une meilleure sortie vers l’emploi durable dans une entreprise classique. Car le salarié en insertion va par exemple être encouragé à passer son permis pendant son parcours en insertion s’il n’avait pas de mobilité. Il va donc agrandir son employabilité à la fin de son contrat d’insertion. En définitive, l’insertion sociale et l’insertion professionnelle sont deux processus qui s’inter-alimentent et sont interdépendants. C’est ce qu’à souhaité mettre en valeur Bertrand Schwartz à travers son rapport « L’insertion professionnelle et sociale des jeunes » remis au premier ministre Pierre Mauroy en 1981 2. Dans la lutte contre les exclusions, il promeut une démarche adaptée au plus près des jeunes en les rendant actifs de leur parcours. Cela nécessite des outils d’intervention de proximité, basés sur une mobilisation des acteurs locaux ; c’est ainsi que naissent peu après les missions locales. Bertrand Schwartz renverse les modes d’action publique dans le sens où il soumet « une nouvelle façon de poser le problème de la transition professionnelle3 ». Il initie l’idée 1 Entretien avec M. FICHOU Hamon, conseiller Mission locale, Rennes SCHWARTZ Bertrand, « L’insertion professionnelle et sociale des jeunes », rapport au premier ministre, Paris, La Documentation Française, 1981, 146p. 3 BREGEON Philippe, « Histoire du réseau des missions locales » [en ligne]. In A quoi servent les professionnels de l’insertion ?, Paris, Edition L’Harmattan, 2008, 272 p, [consulté le 13/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1WQ5HhH 2 72 d’une approche globale en s’attachant à repenser à la fois l’accès à la qualification et à l’emploi, mais aussi à tous les autres pans de la vie des jeunes. L’article 7 de la Charte des missions locales de 1990 préconise : « avec les jeunes, les partenaires élaborent des réponses adaptées à leur situation en matière d’accès à l’emploi, de formation, mais aussi de santé, logement, culture, sport, loisirs… (…) les jeunes élargissent ainsi leur réseau de relations sociales et développent leur autonomie1 » L’insertion professionnelle et l’insertion sociale sont pensées ensembles. On passe donc bien d’une approche sectorielle à une approche globale. Cette vision se retrouve bien dans le fonctionnement des entreprises d’insertion. Les méthodes pédagogiques s’inscrivent dans l’esprit de celles préconisées par Bertrand Schwartz, qui valorisait les apprentissages en partant des activités de terrain plutôt que des pré-requis, encourageant à la polyvalence et l’acquisition de savoir-faire et de compétences transférables par la suite. 2. Un suivi évolutif par les entreprises d’insertion: des problèmes sociaux périphériques à l’élaboration d’un projet professionnel Les objectifs poursuivis par les salariés en charge de l’accompagnement dans les entreprises d’insertion – les conseillers d’insertion, encadrants techniques, et même finalement l’ensemble des salariés permanents de l’entreprise – sont de permettre l’autonomie et la responsabilisation des personnes en insertion : « on n’écrit pas leurs lettres de motivation à leur place2 ! ». Pour cela à la différence d’une entreprise classique, les salariés en charge du recrutement sont aussi chargés de fournir un accompagnement individualisé tout au long du parcours en insertion au sein de la structure. Ils font preuve d’une grande disponibilité, écoute et conseil auprès des personnes en contrat d’insertion. Il est possible d’identifier deux grandes étapes dans ce processus3, qui peuvent s’avérer légèrement variables d’une entreprise d’insertion à une autre et qui sont évidemment adaptées au profil de chaque personne accompagnée. 1 Charte des missions locales, « Construire ensemble une place pour tous les jeunes » [en ligne], Conseil National des Missions Locales, adoptée le 12 décembre 1990, [consultée le 14/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1NmBDsm 2 Mme LE BAYON Delphine, chargée de recrutement et d’accompagnement professionnel, Tribord 3 Etapes identifiées d’après les différents entretiens réalisés auprès de chargés d’insertion et d’accompagnement dans différentes entreprises d’insertion du bassin d’emploi rennais. 73 La première étape est celle du premier contrat qui est souvent d’une durée de quatre mois, sa durée minimale légale. Il s’agit d’une phase de familiarisation avec le travail demandé et ses exigences : le respect des horaires, de la hiérarchie, une intégration dans une équipe, etc. C’est le moment de rappeler clairement le cadre et les obligations liées au contrat de travail. Pour le chargé d’insertion c’est aussi l’occasion de réaliser avec la personne un diagnostic plus approfondi des problèmes sociaux périphériques – mobilité, logement… – et de les prioriser, ainsi que d’aborder les premières idées de projets. La seconde étape débute avec le renouvellement du contrat qui peut être d’une durée de deux, trois, quatre mois, selon les points à travailler et la motivation du salarié. L’accompagnement et la prise de rendez-vous s’accélèrent, car cette période correspond au temps de discussion et de construction du projet professionnel afin de préparer la fin du parcours en SIAE et la transition vers un autre emploi ou formation. Tout en sachant que ce n’est pas une démarche d’assistance mais d’autonomisation qui est privilégiée : « La lettre, l’entretien, ce n’est pas nous, c’est la personne, avec ses tripes, avec son énergie ! » clame Delphine Le Bayon1. Le rôle du chargé d’insertion n’est pas de trouver un emploi aux personnes, tout dépend de leurs volontés personnelles, complète Williams Cohuet2. Finalement, l’idée d’imbrication entre insertion professionnelle et sociale semble être à la fois l’essence de l’IAE, et être promue par les acteurs publics. En s’appuyant sur l’analyse cognitive des politiques publiques, on peut dire qu’il existerait donc des représentations générales partagées qui reposeraient sur une vision commune de l’insertion : « De manière générale, les différents modèles proposés3 reposent tout d’abord sur la conviction qu’il existe des valeurs et principes généraux qui définissent ce que l’on pourrait appeler, faute de mieux, « une vision du monde » particulière4. » Cette vision se déclinerait ensuite en « axes d’actions souhaitables » qui se traduisent par la promotion de l’IAE par tous les acteurs. En effet, les « matrices cognitives comportent en second lieu des principes spécifiques » qui permettent « d’opérationnaliser les valeurs générales dans un domaine5 ». 1 Chargée de recrutement et d’accompagnement professionnel, Tribord Chargé d’insertion et de recrutement, Le Relais Bretagne 3 Parmi ces modèles, comprenons notamment les notions de paradigme (Peter Hall), de système de croyances (Paul Sabatier), ou de référentiel (Pierre Muller, Bruno Jobert). 4 MULLER Pierre, SUREL Yves, op.cit., p.48 5 Ibid., p.49 2 74 Dans le champ de l’insertion par l’économique il y aurait une convergence des principes d’action généraux et spécifiques. Cependant dans la réalité, nous pouvons anticiper des divergences dans les considérations pratiques et les instruments d’action utilisés, lié aux statuts des acteurs et à leurs différents impératifs organisationnels. B. L’IDÉE DE CONSTRUCTION D’UN PARCOURS EN INSERTION COMPROMISE 1. Fonctionnement idéal de l’IAE Les acteurs du champ de l’insertion ne peuvent se contenter de partager des représentations sur l’accompagnement des personnes en insertion, il convient de s’accorder également sur des instruments qui permettent de concrétiser cette vision : « L’ensemble de ces éléments cognitifs et normatifs détermine également des considérations pratiques sur les méthodes et les moyens les plus appropriés pour réaliser les valeurs et les objectifs définis1. » En l’occurrence concernant l’IAE, l’idée promue est celle d’un parcours progressif : il y aurait une cohérence entre les SIAE et ensuite avec la sortie vers les entreprises classiques. Selon ce schéma, la personne éloignée de l’emploi pourrait débuter par un contrat en chantier d’insertion, qui se déroule à temps partiel pour une première étape de familiarisation avec le monde du travail. Elle pourrait poursuivre par un contrat en entreprise d’insertion, qui suggère de passer à temps complet pour la plupart des cas, et de suivre un rythme plus soutenu. Enfin, la dernière marche serait une sortie vers l’emploi dit durable, c’est-à-dire décrocher un CDD de plus de six mois ou un CDI dans une entreprise classique. Ce fonctionnement permet de fournir des solutions adaptées à chaque personne selon sa situation et le temps dont elle a besoin pour acter un retour et maintien dans l’emploi. Chaque SIAE correspond à un niveau d’éloignement de l’emploi différent. Les structures sont donc complémentaires. Des instruments d’action ont été instaurés afin de faciliter la réalisation de tels parcours. Ainsi, l’agrément IAE est commun à toutes les SIAE, et l’imposition de taux de sortie aux structures pousse faire progresser les salariés en insertion vers l’emploi durable. Mais les différents acteurs interrogés à l’occasion de ce présent travail de recherche s’accordent à dire que l’idée de parcours en insertion avec une progression par étape reste très théorique : 1 Ibid., p.49 75 « Parler de l’entreprise d’insertion comme une dernière marche, signifie qu’on introduit la notion de parcours, chère à l’administration ; on ne peut qu’être d’accord avec la continuité entre SIAE. Mais pour moi, la continuité de parcours est un mirage1 ». Très peu de salariés réalisent des parcours de la sorte, même si cela existe. Par exemple, l’entreprise d’insertion AJIEnvironnement recrute parfois des salariés issus de chantiers d’insertion2. Mais ces types de parcours restent de l’ordre de l’exception marginale. « L’idée de parcours ? C’est le beau rêve3 ! » Même si le rêve est difficile à exaucer, certains estiment que l’idée de parcours permet de donner une direction vers laquelle se diriger, d’impulser la démarche et un élan collectif. C’est un élément favorisant l’émergence de représentations communes de l’insertion. Les blocages dans la réalisation pratique de parcours ne remettent donc pas en cause l’existence d’une matrice cognitive commune. 2. Différents facteurs compromettant la logique de parcours Durée de l’agrément limitée dans le temps La durée de l’agrément IAE limitée dans le temps à 24 mois est une première raison qui explique que la réalisation de parcours linéaires idéaux soit compromise. Il faut plusieurs mois pour intégrer et former une personne au sein d’une structure, puis construire avec elle un projet professionnel pour la faire évoluer. Prenons par exemple le cas d’une personne qui commence son parcours en chantier d’insertion. Il lui faut un temps pour s’adapter, pour apprécier sa nouvelle condition, puis pour construire un projet professionnel. Si cela lui prend 18 mois en comptant le temps de transition 4 pour trouver un nouveau poste en entreprise d’insertion, alors il ne lui reste que 6 mois pour recommencer le même processus d’adaptation et construction d’un projet. Selon les situations, l’entreprise d’insertion peut estimer que ce laps de temps restant sera insuffisant pour élaborer quelque chose d’intéressant avec la personne. 1 Entretien avec M. CAFARO Benoit, responsable d’agence, Tribord Entretien avec M. LEPEINTEUR Frank, directeur, AJIEnvironnement 3 Entretien avec M. PRAUD Jean-Yves, Conseiller Général, puis Vice-président chargé de l’Economie Sociale et Solidaire et de l’insertion 2008-2015, Conseil Départemental 35 (anciennement Conseil Général) 4 L’agrément IAE a une durée limitative de 24 mois qui s’ouvre à la date d’embauche dans une SIAE. Durant les périodes de transition entre deux contrats d’insertion, l’agrément n’est pas suspendu mais continue de s’écouler. Seuls certains cas spécifiques ouvrent le droit à une période de suspension de l’agrément, sur décision de Pôle Emploi (arrêt pour longue maladie, incarcération, congé maternité…) 2 76 Selon Benoit Cafaro1, la notion de parcours est biaisée dès lors que l’on conserve un seul agrément unique dans la vie d’une personne et entre les structures d’IAE. La durée de 24 mois est trop limitative2. Une perspective d’évolution du système d’agrément serait de le prolonger à trois ans par exemple en cas de parcours, suggère Séverine Husson3. Transférabilité des compétences entre les structures Les chantiers et les entreprises d’insertion ne sont pas forcément positionnés sur les mêmes secteurs d’activité, donc le transfert des compétences et la transition entre structures n’est pas évidente au premier abord. Par exemple dans le secteur du bâtiment et travaux publics, il n’y a pas d’entreprise d’insertion pour prendre la suite des expériences en chantiers d’insertion. D’autant plus que la répartition géographique des structures ne facilite pas les transferts : « Toutes les entreprises d’insertion sont concentrées dans le bassin d’emploi de Rennes, quelqu’un qui a fait un chantier à Redon et qui est peu mobile ne va pas venir poursuivre son parcours à Rennes4… ». Par contre dans le secteur des espaces verts le parcours peu s’avérer très intéressant, car en chantier les équipements sont plus modestes. Le passage en entreprise d’insertion offre une réelle progression dans le métier comme le montre l’exemple d’AJIEnvironnement. Taux de sorties communs à toutes les SIAE L’imposition de taux de sortie aux structures d’IAE est un instrument d’action publique qui encourage à faire progresser les salariés vers l’emploi durable. C’est aussi une contrainte imposée à toutes les SIAE qui nuit à l’idée de parcours. En effet, les chantiers ont les mêmes obligations de taux de sortie que les entreprises d’insertion5. Donc si le chantier d’insertion voit une opportunité de faire évoluer l’un de ses salariés vers un emploi durable, cette solution sera plus facilement privilégiée pour une question de résultats. Une orientation vers une autre SIAE aurait été considérée comme une sortie positive et non durable. 1 Responsable d’agence, Tribord Même s’il existe des possibilités pour prolonger le CDDI au-delà de la fin de l’agrément sous certaines conditions définies 3 Responsable Service Emploi, Unité Territoriale 35 DIRECCTE 4 Ibid. 5 Obligations soumises aux SIAE par leur conventionnement : 25% de sorties dites durables (CDI, CDD de plus de six mois), 60% de sorties dites dynamiques (comprend les sorties durables, les sorties vers un emploi de transition et les sorties positives). Voir de manière plus approfondie le chapitre 3 partie II « Efficacité des dispositifs d’IAE ». 2 77 Ceci d’autant plus que la réalisation d’un parcours n’est pas forcément un idéal pour chaque salarié. Un encadrement en chantier d’insertion peut être suffisant pour un retour et maintien dans l’emploi futur. Suivi dans le parcours entre les différents acteurs Inciter les personnes à réaliser des parcours suggère qu’il y ait une excellente coordination entre les acteurs privés et publics pour faciliter les transitions. La durée de l’accompagnement en SIAE dure seulement pendant le contrat d’insertion. A son issue, il faut ainsi pour la personne conserve une dynamique et qu’il n’y ait pas de rupture dans l’accompagnement, mais que le suivi soit repris immédiatement par les conseillers Pôle Emploi notamment. Or, ce suivi entre structures s’opère difficilement en réalité : « La continuité entre les SIAE, ça existe un peu. On fait un suivi administratif avec une extension d’agrément au moment du changement de structure, mais quand ça fonctionne, on le fait sans pouvoir réaliser de réelles statistiques des passages entre ACI et EI1… » Pour conclure, la construction de parcours d’insertion est une démarche idéale partagée mais qui comporte de nombreuses limites dans sa concrétisation. Cela reflète cependant l’existence de convergences entre les représentations des acteurs. Si à sa création, l’IAE se basait plutôt sur une résistance aux modes d’action publique dominants, il semble désormais y avoir un consensus sur la nécessité de concevoir la personne dans sa globalité. La place des missions locales en tant qu’acteurs clés dans le champ de l’insertion l’illustre parfaitement. La cohérence du projet social des entreprises d’insertion se retrouve donc dans la jonction entre insertion professionnelle et insertion sociale, et également dans un équilibre entre l’objectif de rentabilité économique et l’accompagnement des personnes en insertion. Une vision globalement partagée par l’ensemble des acteurs mais dont la mise en œuvre est délicate, comme le montrent les instruments utilisés pour évaluer l’efficacité des dispositifs : la mesure des taux de sortie après le passage en entreprise d’insertion. 1 Entretien avec Mme BERNARD-GRIFFITHS Sylvie, référente IAE Rennes et Ille-et-Vilaine, Pôle Emploi. 78 Chapitre 3. L’EFFICACITÉ DES DISPOSITIFS D’IAE Tout au long de ce présent travail de recherche a été soulevée une forte interrelation entre les acteurs concernés par le secteur de l’IAE. Ceci est observable à tous les niveaux, tant à travers la construction historique du secteur, que lors de sa reconnaissance progressive ou dans son fonctionnement actuel que ce soit dans la phase de recrutement ou d’accompagnement des personnes en insertion. Un élément structurant de ce réseau d’acteur n’a pas encore été abordé : le financement de l’IAE et plus particulièrement des entreprises d’insertion. L’IAE est un outil des politiques d’emploi et de lutte contre les exclusions. Au titre de ce service d’intérêt général rendu, les structures d’insertion sont soutenues moralement et financièrement par les pouvoirs publics, sachant que la principale source de financement public provient de l’Etat. C’est un engagement réciproque entre l’Etat et les SIAE ; qui se matérialise par le conventionnement. Or, pour qu’il perdure, les structures doivent fournir des résultats démontrant l’accomplissement de leur projet social. Cependant, mesurer l’efficacité et l’impact du projet social des entreprises d’insertion, à travers des indicateurs objectifs qu’ils soient qualitatifs ou quantitatifs, ne semble pas aisé. C’est un véritable enjeu du fonctionnement de l’IAE, que de parvenir à en mesurer l’efficacité. A nouveau, les instruments utilisés sont sujets à des interprétations variables, selon les statuts des acteurs et leurs spécificités. Il est toutefois nécessaire de viser une forme d’équilibre ou d’accord, afin qu’il soit fonctionnel. L’hétérogénéité des structures rend difficile la stabilisation du modèle, d’où l’importance du dialogue et de la négociation entre acteurs, car l’intérêt premier reste la coopération, au service des personnes en insertion. A. UN FINANCEMENT ANNEXÉ AUX RÉSULTATS DE SORTIE VERS L’EMPLOI 1. Aide au poste et taux de retour vers l’emploi Mesurer l’efficacité du projet social des entreprises d’insertion semble être à la fois essentiel, permettant de justifier l’obtention de financements publics de la part de l’Etat ; et arbitraire, par l’imposition de taux de sortie vers l’emploi similaires pour toutes les structures. 79 Le montant socle de l’aide au poste Les financements de l’Etat permettent de valoriser l’effort qui est réalisé en faveur des personnes éloignées de l’emploi. Ils permettent aux structures d’insertion de compenser des surcoûts liés à leur projet social, inexistants pour les entreprises classiques. Le projet social de l’entreprise d’insertion nécessite de mettre en place une organisation spécifique du travail. Une aide au poste est donc versée aux structures, dont le montant socle est défini par poste de travail occupé à temps plein. L’aide au poste « concourt au financement des coûts liés à la rotation des personnes embauchées, leur productivité restreinte, l’encadrement technique nécessaire à l’accomplissement des missions professionnelles qui leur sont confiées et à leur accompagnement social1 ». Le montant socle de l’aide au poste est désormais revalorisé chaque année en fonction de l’évolution du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC). En 2016, il est fixé à 10 143 € pour les entreprises d’insertion2. Le montant total versé à chaque entreprise d’insertion dépend du nombre d’équivalent temps plein (ETP) en insertion dont la structure s’est vue accréditer, un nombre qui dépend lui-même du conventionnement avec l’Etat. Le conventionnement avec l’Etat Le conventionnement est une condition préalable pour bénéficier des financements publics, à laquelle s’ajoute la condition que les personnes embauchées en insertion disposent bien d’un agrément Pôle Emploi. Le conventionnement détermine donc les conditions de versement de l’aide financière selon le projet d’insertion présenté par la structure. Des évolutions récentes ont marqué des changements dans les modalités de conventionnement. Des exigences de performance et d’efficience sont désormais incluses, tel qu’explicité par la circulaire de la DGEFP du 10 décembre 2008 : « Des objectifs opérationnels sont systématiquement négociés, sur la base d’un projet d’insertion territorialisé présenté par la structure, en lien avec les moyens mobilisés et associés à des indicateurs qui permettent d’apprécier les résultats finalement obtenus3 ». Le projet d’insertion territorialisé doit cependant s’inscrire dans des références nationales, émises par cette même circulaire. 1 Note DGEFP n°2015-04 du 13 mars 2015 portant notification des enveloppes financières régionales 2015 relatives à l’insertion par l’activité économique 2 Arrêté du 14 janvier 2016 fixant le montant de l'aide financière aux structures de l'IAE 3 Circulaire DGEFP n°2008-21 du 10 décembre 2008 relative aux nouvelles modalités de conventionnement des structures d’insertion par l’activité économique. 80 Les taux de sorties soumis aux SIAE Concrètement, pour mesurer l’efficacité des dispositifs d’insertion, il a été décidé d’instaurer des objectifs de retour à l’emploi fixés à chaque structure et évalués par des indicateurs précis. Ces objectifs sont négociés avec les services déconcentrés de l’Etat : la DIRECCTE, Pôle Emploi et la structure d’IAE, mais la réforme de 2008 impose des minimums requis : 1) Ainsi, une entreprise d’insertion doit atteindre un objectif de 25% de sorties dites durables ; c’est-à-dire qu’à l’issue de leur parcours dans l’entreprise, au moins 25% des salariés en insertion doivent avoir trouvé un CDI ou un CDD ou missions d’intérim de plus de 6 mois 2) D’autres types de sorties sont identifiées : les sorties vers un emploi de transition qui correspondent aux CDD et missions d’intérim de moins de 6 mois ou contrats aidé chez un employeur de droit commun ; 3) Ainsi que les sorties positives qui sont les formations pré-qualifiantes ou qualifiantes, les embauches dans une autre SIAE… L’ensemble de ces trois types de transitions est appelé « sorties dynamiques » et chaque SIAE doit atteindre un objectif de 60% de sorties dynamiques. D’un côté ces indicateurs semblent très intéressants pour évaluer l’efficacité du dispositif global et fournir des ajustements dans les comportements lorsque cela est nécessaire. Le dispositif d’évaluation peut servir à l’amélioration de l’IAE et à une meilleure visibilité de son action. On peut penser que cela mènera à une plus grande reconnaissance du secteur comme outil pertinent dans les politiques d’emploi, créant ainsi un cercle vertueux. Mais d’un autre point de vue, on peut considérer ces indicateurs de résultats comme arbitraires. Les mêmes taux de sortie sont imposés à chaque entreprise d’insertion bien qu’elles aient chacune leurs spécificités. Par exemple, elles n’accueillent pas toutes les mêmes types de publics. Il naît ici un paradoxe : une entreprise d’insertion qui embauche des personnes en insertion moins en difficulté aura probablement des taux de sortie meilleurs, qu’une autre structure qui accompagne des personnes plus éloignées de l’emploi. Cependant, cette dernière accomplit un projet social d’insertion tout aussi louable, voire même demandant un investissement plus conséquent. Mesurer l’efficacité de l’IAE paraît donc délicat, et pose question sur l’équilibre entre le projet social et l’impératif d’atteindre les résultats escomptés et requis. 81 2. Réforme des financements et introduction de la modulation Afin de pallier ces défaillances et donner un nouvel élan à l’IAE, une nouvelle mesure de financement a été introduite et est entrée en vigueur en 2014 : la modulation. Il s’agit d’un montant complémentaire au montant socle de l’aide au poste, qui doit permettre d’apprécier la réalité du travail de la structure au-delà de ses seuls résultats de sorties. Le montant modulé peut aller jusqu’à 10% du montant socle et est variable selon les résultats des structures d’IAE. Cette réforme permet de prendre en compte la situation des personnes au moment du recrutement, pour une plus grande efficacité dans l’accompagnement des personnes les plus éloignées de l’emploi. Trois critères sont utilisés pour le calcul de la modulation : 1) Le critère publics : part des bénéficiaires de minimas sociaux parmi les salariés en insertion 2) Le critère efforts d’insertion : nombre d’équivalents temps plein (ETP) dévolus à l’accompagnement socioprofessionnel, comparé au nombre d’ETP en insertion 3) Le critère résultat en sortie de structure : rapport entre les sorties dynamiques et les sorties totales Malgré les avancées émises par cette réforme, des limites ont déjà été formulées lors de différents entretiens auprès d’acteurs du champ de l’IAE dans le bassin d’emploi rennais. Le dispositif serait pour le moment faiblement incitatif pour les entreprises d’insertion car les montants modulés alloués seraient relativement homogènes autour de 5%. Cette remarque est à nuancer d’après la jeunesse du dispositif. Une autre limite plus importante reprend la question de l’éloignement à l’emploi. Les indicateurs peuvent être sujets à une grande polysémie. D’où toute la complexité de représenter la performance du projet social à travers des indicateurs qui se voudraient objectifs et transversaux à toutes les structures. Il est par exemple possible de remettre en perspective l’indicateur utilisé pour juger du critère « publics » : les bénéficiaires des minimas sociaux sont-ils réellement plus éloignés de l’emploi que d’autres salariés en insertion, tels que par exemple des primo-arrivants sur le territoire français avec des difficultés de maîtrise du français ? 82 Certains acteurs interrogés émettent l’hypothèse selon laquelle la multiplication des indicateurs pourrait se faire au risque d’une catégorisation supplémentaire des publics en insertion. On peut donc se demander jusqu’où la mesure des résultats des entreprises d’insertion est-elle possible, sans risquer de « nuire » à l’essence du projet social, adapté à ses propres contraintes, volontés et réalités. Finalement, les indicateurs de résultats sont tous empreints d’une grande relativité. Pour que les objectifs de résultats restent pertinents d’une structure à l’autre, le dialogue et la négociation entre les acteurs sont donc d’autant plus essentiels. Le but étant de comprendre les particularités de chaque structure en fonction des caractéristiques du public accueilli et du contexte dans lequel se situe l’entreprise. B. DES RÉSULTATS À LEUR NEGOCIATION 1. L’intérêt du dialogue de gestion Les acteurs publics et les SIAE ont un même objectif : le retour et le maintien dans l’emploi des personnes en insertion par un accompagnement social et professionnel adapté. Pour cela il est primordial de comprendre les résultats de la structure. Ceux-ci sont exposés et discutés lors du dialogue de gestion. Le dialogue de gestion est organisé annuellement par l’unité territoriale de la DIRECCTE en présence de Pôle Emploi, éventuellement d’autres financeurs, et bien sûr, de la structure d’IAE concernée. La structure y présente son bilan d’activité annuel qui précise les actions d’insertion mises en œuvre et les résultats à l’issue des parcours dans la structure1. C’est donc l’occasion d’aller au-delà des données chiffrées et autres indicateurs. Les résultats sont discutés et de nombreux thèmes abordés : la psychologie et l’évolution du public accueilli, l’accompagnement socioprofessionnel pratiqué, les difficultés de recrutement rencontrées. Chaque situation individuelle des salariés en insertion est décryptée afin de comprendre les facteurs explicatifs d’une sortie vers l’emploi, vers une formation ou le retour au chômage. Cette instance de pilotage et de dialogue permet enfin de soulever les difficultés éventuelles et d’initier des pistes de solutions, tout en permettant une meilleure transparence sur les attentes de chaque interlocuteur. 1 Instruction DGEFP n°2014-2 du 5 février 2014 relative au pilotage des dispositifs d’insertion par l’activité économique 83 Grâce au dialogue de gestion la vision de l’efficacité de la structure gagne en cohérence puisque ses résultats sont contextualisés. Il n’y a pas de caractère coercitif par des sanctions applicables en cas de non respect des objectifs de résultats fixés1, ni de rapport de force déséquilibré entre les acteurs. Si les taux de sorties soumis aux SIAE en venaient à prendre un caractère beaucoup plus contraignant, cela pourrait produire un effet considérable sur le recrutement. La sélectivité des structures pourrait être renforcée afin d’être plus sûrs d’atteindre les objectifs imposés. 2. Un difficile suivi à l’issue des parcours en SIAE Malgré des indicateurs à la fois quantitatifs et qualitatifs et l’existence d’instances de dialogue pour analyser les résultats des entreprises d’insertion, cela reste difficile d’estimer l’efficacité de l’IAE. Le secteur implique un grand d’acteurs qui coordonnent leurs actions. Il est possible de qualifier l’intensité de ces interrelations, d’évaluer les résultats d’une structure d’IAE dans son ensemble. Mais comment mesurer l’impact d’un parcours d’insertion sur chaque personne ? L’accompagnement par l’entreprise d’insertion s’arrête à la fin du contrat et la structure perd contact avec le salarié dans la grande majorité des cas. Le seul outil de mesure des sorties après un parcours en insertion est donc la situation de la personne au moment de sa sortie de l’entreprise d’insertion. Or, pour mesurer l’efficacité du dispositif de manière plus approfondie il faudrait pouvoir suivre l’évolution des parcours à un an puis deux ans après la sortie, comme me le souligne Zénaïde Péron2. Pour pallier ce manque et avoir des indications sur les situations des personnes étant passées par des parcours en SIAE, la Dares a réalisé une enquête en 2012 auprès de salariés 18 mois après leur embauche3. Concernant les entreprises d’insertion il en est ressorti que parmi les personnes interrogées ayant quitté la structure, 34% occupaient un emploi4, 7% étaient en reprise d’étude ou en formation, 54% étaient au chômage, et 5% en situation d’inactivité. En 1 Le risque majeur en cas de non respect des objectifs serait le non renouvellement du conventionnement avec l’Etat, c’est-à-dire que la structure ne serait plus SIAE et donc ne toucherait plus d’aide au poste, mais cette situation ne se produit quasiment jamais. En cas de grandes difficultés, c’est plutôt la recherche d’explications et de solutions qui prime. Le seul risque pouvant être baisse du nombre d’équivalents temps plein alloués à cette structure. 2 Responsable IAE, DLA et ESS, Pôle entreprises, emploi et économie – AREFP, DIRECCTE Bretagne 3 Rapport « L’insertion par l’activité économique en 2013 » [en ligne], Dares, art.cit. Voir en annexe : situation en 2012 des salariés entrés en parcours d’insertion fin 2010 (tableau) 4 Parmi les 34% qui occupaient un emploi, 12% disposaient d’un emploi stable (CDI, à son compte), 18% d’un emploi non stable non aidé (CDD, Césu, intérim, vacation) et 3% d’un emploi aidé. 84 reprenant les objectifs fixés aux structures d’IAE et notamment celui d’obtenir un taux de sorties dynamiques de 60%, on peut constater ici par cette enquête qu’à 18 mois après l’embauche en SIAE parmi les personnes ayant quitté la structure, seulement 41% seraient toujours en situation de sortie dynamique1. Cette comparaison doit être réalisée avec précaution, car les personnes interrogées n’avaient pas toutes passé le même temps en entreprise d’insertion et cela faisait donc plus ou moins longtemps qu’elles avaient quitté la structure. Cela révèle cependant la relativité des résultats obtenus par les indicateurs. L’enquête de la Dares propose une vision plus contrastée de l’efficacité de l’IAE, ou du moins davantage mise en perspective dans le temps. Ces remarques soulignent un nouvel écart entre l’idéal visé dans le fonctionnement de l’IAE et la réalité qui s’avère très complexe à évaluer, d’après l’hétérogénéité des contextes, des structures, des parcours personnels… L’un des enjeux clés du secteur de l’IAE est de promouvoir une cohérence du dispositif, à la fois temporelle et spatiale. Dans le temps, car il semble important de permettre un suivi des parcours des personnes en insertion dans toutes leurs transitions et virages pour éviter les décrochages. Dans l’espace, par une prise en compte des contextes économique ou du marché de l’emploi, variables d’une structure à l’autre. Cela nécessite un réel investissement de l’Etat envers les structures d’IAE. C. DE LA NÉGOCIATION À L’EFFICACITÉ RELATIVE DE L’IAE 1. L’IAE : investissement ou dépense publique ? Les entreprises d’insertion et autres structures d’IAE ont pu démontrer de leur efficacité : elles créent et redistribuent de la richesse sur les territoires par un réel dynamisme économique, au bénéfice en premier lieu des personnes en insertion. Ainsi en 2015 selon la Fédération des Entreprises d’Insertion, une entreprise d’insertion a produit en moyenne un chiffre d’affaire de 1 033 K€, sachant que les aides aux postes de l’Etat représente 167 K€ en moyenne, soit un taux moyen de 16% environ. Les entreprises d’insertion sont donc efficaces économiquement. Une grande partie du chiffre d’affaire est redistribué en masse salariale, contribuant donc à autonomiser financièrement des personnes qui étaient auparavant sans revenu salarial parfois depuis longtemps. 1 Les sorties dynamiques correspondant aux situations d’emploi durable, d’emploi non durable ou de formation. 85 Dans une perspective keynésienne, on pourrait dire que les entreprises d’insertion font naître un cercle vertueux de la croissance. L’investissement public de l’Etat à travers les aides aux postes contribuent au dynamisme des entreprises d’insertion et donc à la hausse des revenus distribués. Les salariés ont désormais une plus forte propension à consommer, ce qui contribue à une hausse de la consommation et donc de la production et enfin de l’investissement1. Sachant que l’entreprise reverse également des impôts et taxes à l’Etat, ce dernier aurait tout intérêt à soutenir massivement le modèle de l’IAE et à le percevoir comme un investissement rentable : « Les aides financières publiques sont au total plus que compensées par les recettes fiscales et sociales que les SIAE génèrent, sans omettre de prendre en compte les coûts évités par ces emplois d’insertion et leurs effets sur le développement local et la cohésion sociale2 » D’autant plus que la finalité sociale poursuivie par les entreprises d’insertion s’insère dans la visée des politiques d’emploi, en permettant à des milliers de personnes chaque année de retrouver une situation et une certaine dignité par l’emploi. Selon les données de la Dares il y avait 928 entreprises d’insertion en activité en France en 2013, qui embauchaient en moyenne chaque mois 12 500 salariés en insertion3. Pourtant, si le secteur est reconnu et soutenu financièrement, l’impulsion de l’Etat semble insuffisante pour propulser l’IAE dans une autre échelle. Par exemple, l’aide au poste délivrée aux entreprises d’insertion n’avait pas été revalorisée depuis 2001 4 jusqu’à de très récentes évolutions. Dans la présentation de son rapport « Lever les obstacles aux promesses de l’IAE », le CNIAE indiquait en 2007 : « Le rôle de l’Etat est évidemment essentiel. […] Il reste qu’au sein des dépenses globales pour l’emploi, l’Etat fait une part relativement faible à l’insertion par l’activité économique, qu’il ne cible pas suffisamment le lourd effort d’accompagnement nécessaire à l’accès des plus défavorisés et que de surcroît ses dépenses sont réparties sans véritable cohérence dans le temps et sur les territoires entre les SIAE concernées » 1 DIAZ Pablo, Cours d’économie, IEP de Rennes, année universitaire 2012-2013. FRANCE, Conseil national de l’insertion par l’activité économique, « Lever les obstacles aux promesses de l’insertion par l’activité économique » [en ligne], présentation du rapport, art.cit. 3 Rapport « L’insertion par l’activité économique en 2013 », Dares, art.cit. 4 L’aide au poste était restée constante à un montant de 9681€ par équivalent temps plein par an 2 86 Cela nous mène à penser que l’IAE serait davantage perçue et assimilée à une dépense publique qu’à un investissement porteur, et ce malgré les démonstrations de l’efficacité économique et sociale des structures d’insertion sur les territoires. Jacques Dughera indique qu’il y aurait une confusion entretenue par les pouvoirs publics, entre traitement social du chômage qui requiert des dépenses publiques, et les dispositifs d’IAE qui constituent eux une réelle politique d’investissement social dans le travail1. Si l’Etat a joué un rôle majeur dans l’institutionnalisation et la reconnaissance de l’IAE et occupe toujours une place essentielle dans l’octroi de financements, on peut émettre l’hypothèse d’un rôle croissant des collectivités territoriales, dans les perspectives de développement de l’IAE. 2. Une recomposition de la gouvernance autour des collectivités territoriales : quelles perspectives ? L’IAE est par essence ancrée sur les territoires. Il semble cohérent que lui soit associé un développement endogène. Cela permettrait d’éviter des situations de décalages potentiels entre des objectifs ou politiques fixées nationalement et les réalités du bassin d’emploi. Le risque étant de ne pas être en adéquation avec l’évolution du marché du travail et des secteurs en tension, différents d’une zone à l’autre. Une gestion territorialisée permet de s’adapter plus facilement aux forces et difficultés des territoires. A ce titre, les collectivités territoriales ont un rôle majeur à jouer dans le développement de l’IAE. Elles occupent d’ores et déjà une place croissante dans les dispositifs d’insertion. Suite au Grenelle de l’insertion en 2007, cet enjeu a été soulevé à travers un plan de modernisation de l’IAE présenté en 2008, qui visait notamment à redynamiser les conseils départementaux de l’IAE (CDIAE) afin qu’ils deviennent des instances de mobilisation et de pilotage de l’offre d’insertion sur les territoires2 : « Toutefois, pour donner ce nouvel élan, nécessaire et attendu par les acteurs eux-mêmes, à l’insertion par l’activité économique, l’Etat ne peut se contenter d’agir seul. Le développement d’une offre d’insertion de qualité, adaptée aux besoins des personnes les plus éloignées de l’emploi, suppose la mobilisation de tous les acteurs locaux autour d’une stratégie partagée » 1 DUGHERA Jacques, secrétaire général du Conseil national de l’insertion par l’activité économique (CNIAE) jusqu’en 2009, in L’insertion par l’activité économique, « Alternatives économiques », poche n°44, Paris, [éditeur], 2010, p. 151-153. 2 Instruction DGEFP du 13 août 2008 relative à la présentation du plan de modernisation du secteur de l’Insertion par l’Activité Economique 87 La mobilisation croissante des collectivités territoriales s’illustre dans la structure des financements publics perçus par les structures d’IAE. Si l’Etat reste la source de financement public majeure, les départements en représentent à eux seuls 25 %1. Compte tenu de leur compétence en matière d’insertion, ils sont engagés pour le soutien des initiatives d’IAE 2. Ils peuvent procurer une aide à l’encadrement, à l’accompagnement, financer des actions de formations ou délivrer des subventions d’investissement. Nous avons pu constater également que l’introduction de clauses sociales dans les marchés publics est une nouvelle source de financement pour les structures d’IAE, ce qui conforte l’idée d’une place prépondérante des collectivités territoriales dans le développement de l’IAE. Les collectivités territoriales sont par conséquent appelées à prendre une part croissante dans la promotion, la structuration et la gouvernance du secteur, à l’instar de la redynamisation souhaitée des CDIAE ; ainsi que dans le financement des structures d’IAE. Nous en concluons que l’étude des modalités de financement des structures d’IAE soulève plusieurs enjeux. Tout d’abord, l’octroi de financements de l’Etat étant lié à une exigence de résultats questionne sur l’équilibre entre le projet social et les objectifs attendus. Les structures semblent s’affranchir de cette question et trouver un équilibre cohérent. C’est plutôt la complexité de trouver des indicateurs homogènes pour évaluer l’efficacité de dispositifs d’IAE très protéiformes, qui doit être relevée. Finalement, poser la question de l’efficacité des initiatives d’insertion par l’économique, c’est se demander à quelle échelle territoriale l’action publique en matière d’emploi est-elle la plus cohérente ? Dans le secteur de l’IAE, il semble inévitable de promouvoir un investissement et une coordination de l’action des collectivités territoriales entre-elles, et avec les acteurs locaux dont les entreprises d’insertion, sachant que l’Etat reste un acteur clé. Cela semble être la condition pour permettre un suivi continu et individualisé de la personne dans sa globalité comme cela est souhaité, tout en restant en adéquation avec les réalités des secteurs d’activité du bassin d’emploi. En ce sens à l’heure d’une recentralisation des politiques publiques, nous pouvons dire que le secteur de l’IAE se développe à la fois avec et à contre-courant des modes d’action publique dominants. 1 Réforme des financements de l’Insertion par l’Activité Economique, présentation [en ligne], Avise, 2015, [consulté le 5/04/2016], Disponible à l’adresse : http://bit.ly/1QUK60q Voir en annexe: parts des financeurs publics directs de l’IAE (graphique) 2 Entretien avec M. PRAUD Jean-Yves, Conseiller Général, puis Vice-président chargé de l’Economie Sociale et Solidaire et de l’insertion 2008-2015, Conseil Départemental 35 (anciennement Conseil Général) 88 Conclusion Aujourd’hui ça y est, je comprends mieux les tenants et aboutissants de l’insertion par l’activité économique. Les mots qui ouvraient ce travail s’éclairent. Je prends désormais la pleine mesure de l’exclamation de Frank Lepeinteur, directeur d’AJIEnvironnement : « Pour créer une entreprise d’insertion, ou faire fonctionner une SIAE, il faut avoir une bonne dose d’inconscience ! On a des soucis comme une entreprise normale, et on s’en rajoute ! » Oui, peut-être que l’insertion des personnes éloignées de l’emploi par une mise en situation travail, était basée sur une certaine utopie… L’idéal d’un fonctionnement équilibré : une rentabilité économique, essentielle pour la conduite d’un projet social ambitieux. Ceci est d’autant plus crucial pour les entreprises d’insertion, qui se trouvent aujourd’hui mises en concurrence avec d’autres entreprises traditionnelles. Malgré tout l’idée de ce concept d’entreprise hybride était intéressante. C’est pourquoi elle fut portée à partir des années 1960, par des travailleurs sociaux enclins à s’investir pour aller audelà des formes d’action publique existantes. Lutter contre les exclusions, ce n’était pas se limiter à l’octroi de minimas sociaux, même si cela restait bien sûr important. Mais l’IAE allait plus loin et entendait inciter les personnes en voie de marginalisation à devenir plus actives, plus autonomes, plus responsabilisées. Comment y parvenir ? En créant des structures qui feraient du secteur d’activité choisi un support pour le projet d’insertion. Pour compenser le coût de l’accompagnement, les structures d’IAE percevraient des financements de la part des pouvoirs publics. Ainsi, l’idée se transformait en actions. Des expérimentations se multipliaient en France. Mais à cette époque, l’IAE faisait encore des sceptiques : les entreprises classiques dénonçaient une forme de concurrence déloyale, quand les pouvoirs publics pouvaient y voir une dépense publique supplémentaire. 89 A force de persévérance et de convictions, l’IAE a pu tout de même s’étendre et acquérir progressivement des statuts juridiques. La reconnaissance politique du secteur était croissante. Au fil des années, le modèle a pu démontrer son efficacité, tant sur le plan social qu’économique. Les entreprises d’insertion et autres structures d’IAE se sont ancrées dans le paysage, à la fois grâce à leur dynamisme économique apporté aux territoires, et également par une inscription dans au sein des politiques d’emploi. Aujourd’hui, les différents acteurs publics et privés coopèrent étroitement pour soutenir l’IAE comme dispositif de lutte contre le chômage et les exclusions. Curieusement, il semble que par cette coordination des actions, des représentations communes de l’insertion ont été révélées. En encourageant les pratiques des structures d’IAE, les politiques publiques tendent aussi à privilégier une approche globale de la personne. Le type de gouvernance aurait favorisé l’émergence d’une vision commune de l’insertion, ce qui n’était pas du tout une évidence à la création du secteur de l’IAE. Le caractère partenarial oblige les acteurs à s’accorder sur des référentiels partagés, à propos des parcours des personnes éloignées de l’emploi. L’aspect territorialisé de l’action publique en la matière, permet aussi une cohérence et une certaine homogénéité dans les perceptions des acteurs, car la réalité est davantage contextualisée. Cependant, des enjeux majeurs subsistent. L’apparente convergence des acteurs sur des représentations idéales de l’IAE masque des divergences dans l’interprétation des instruments à mettre en place. Tous les professionnels rencontrés notent des décalages existants entre les besoins et attentes des entreprises d’insertion ; et les candidats qui sont envoyés (ou non !) par les prescripteurs. L’interconnaissance est donc un axe de travail principal et transversal. Les acteurs privés comme publics y travaillent ardemment. En effet, la concertation prime quand il s’agit de concilier d’une part la mission d’intérêt général assurée par les entreprises d’insertion (voire une quasi délégation de service public) ; avec le modèle déployé étant issu de l’entrepreneuriat pur. Cela peut apparaître comme une contradiction a priori. Mais le modèle de l’IAE fonctionne avec efficience en réalité, à la croisée entre action publique et initiative privée. 90 Pour qu’elles continuent de se développer, les entreprises d’insertion doivent en revanche faire face à plusieurs défis. Le premier s’inscrit dans le prolongement de l’idée d’interconnaissance. Il s’agit de promouvoir une échelle d’action publique territorialisée, en prenant en compte les spécificités de chaque zone. L’idée est de faire valoir des intérêts localisés, tout en mettant en cohérence l’action des différents échelons (commune, intercommunalité, département, région). Le second enjeu est d’investir de nouveaux secteurs d’activité, justement en cohérence avec les potentiels de développement identifiés localement. Les entreprises d’insertion ont toujours été pionnières dans leurs champs d’activités. Elles sont vectrices d’innovation et d’expérimentations ; et sont donc en constante recherche de nouveaux marchés porteurs. Les nouvelles technologies, les circuits-courts, l’économie « verte » sont autant de voies dans lesquelles l’IAE pourrait s’engouffrer ; toujours au service du projet social d’insertion. Car un dernier défi, et pas des moindres, est de continuer à accueillir le plus de personnes éloignées de l’emploi en parcours d’insertion. C’est un enjeu de taille, à l’heure d’un chômage de masse considérable, qui concerne une part de la population fragilisée. La frénésie des diplômes et l’élévation du niveau de formation moyen, mettent encore plus en échec ceux qui sont « descendus du train en marche » à un moment de leur vie. Le besoin d’accompagnement se fait d’autant plus ressentir. C’est dans ce contexte que les structures d’IAE apparaissent comme un instrument d’action publique incontournable… mais encore une fois, seulement si les moyens leurs sont donnés de « changer d’échelle ». Pour cela, les réseaux d’IAE appellent à la multiplication des partenariats publics-privés : « Acheteurs publics, développez vos achats socialement responsables » ! C’est le titre d’une récente publication de la Fédération des entreprises d’insertion, en partenariat avec l’Alliance Villes Emploi et l’Assemblée des Communautés de France1. Les clauses sociales dans les marchés publics sont en effet des leviers considérables pour l’insertion, et pourront représenter une belle part dans l’avenir du secteur. 1 Publication « Acheteurs publics, développez vos achats socialement responsables » [en ligne], Fédération des entreprises d’insertion, [consulté le 1/05/2016], disponible sur : http://bit.ly/1XfF5ak 91 Pour terminer, si ce travail d’apprentissage de la recherche était à refaire, j’aimerais m’attarder plus longuement sur les trajectoires des personnes en insertion. Pour comprendre leurs motivations, leurs capacités d’action et de changement, ce qu’ils recherchent par un passage en entreprise d’insertion, les résultats qu’ils en retirent… Car ce sont ces points de vue singuliers qui avaient au départ éveillé mon intérêt pour l’IAE. Mais pour des questions de faisabilité et de temps, j’ai plutôt tenté de comprendre ces trajectoires individuelles sous le prisme de la sociologie des organisations. J’ai été avec enthousiasme à la rencontre d’acteurs publics et d’entreprises d’insertion, qui structurent le bassin d’emploi rennais. J’aurais aimé approfondir cette étude de discours et d’expériences, par une focale plus microsociologique : à travers des entretiens avec des salariés en insertion, et par exemple des moments d’observations ethnographiques dans les entreprises. L’initiation à la recherche a donc été l’occasion d’un simple aperçu, assez large mais modeste, sur le fonctionnement des entreprises d’insertion. Une découverte qui fut passionnante, et qui démontre combien l’articulation entre les trois piliers du développement durable est possible : le social, l’économique, et même l’environnemental. Une expérience qui fut également stimulante, dans la mesure où elle invite à poursuivre, à s’investir, à s’engager… à l’image des professionnels de l’insertion par l’activité économique. Ils se sont peut-être lancés dans l’aventure dotés d’une certaine inconscience bienveillante, mais ils travaillent, avant tout, avec passion. 92 Table des matières SOMMAIRE ...........................................................................................................................................4 INTRODUCTION .........................................................................................................................................6 A. Présentation du thème de recherche ...........................................................................................6 1. Actualité du sujet.....................................................................................................................6 2. Un regard personnel en aparté sur le thème ............................................................................7 3. Première mise en perspective historique .................................................................................7 B. Précisions autour de l’objet de recherche .................................................................................9 1. Définitions et affinement du sujet ..........................................................................................9 2. Question de départ et prénotions ...........................................................................................13 C. Problématisation.......................................................................................................................14 1. Axes de recherche .................................................................................................................14 2. Hypothèses ............................................................................................................................15 D. Terrain et méthodologie de recherche ......................................................................................17 1. La délimitation d’une aire géographique ..............................................................................17 2. Identification des acteurs majeurs .........................................................................................17 3. Justification de l’angle de recherche adopté..........................................................................18 PARTIE I - LE MODELE D’ENTREPRISE D’INSERTION : AU CŒUR D’UNE GOUVERNANCE PARTENARIALE ET TERRITORIALISEE ..................................................21 CHAPITRE 1. INSTITUTIONNALISATION DES STRUCTURES D’INSERTION PAR L’ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE .....................................................................................................................................22 A. Naissance d’initiatives locales (1960-1970) .............................................................................22 1. De nouvelles expérimentations pour dépasser les limites de l’Etat social ............................22 2. De l’assistance à l’autonomie: une nouvelle vision de l’action sociale et de l’insertion ......24 B. Acquisition de statuts juridiques (1980-1990) ..........................................................................25 1. L’exclusion constitué en problème public ............................................................................26 2. Reconnaissance juridique progressive et légitimation des SIAE ..........................................27 C. L’IAE : vers un instrument d’action publique reconnu dans les années 2000-2010 ................31 1. Une efficacité financière de l’IAE démontrée .......................................................................31 2. Vers une « ouverture du jeu collectif » ? ..............................................................................32 93 CHAPITRE 2. CONSTITUTION D’UN RÉSEAU D’ACTION PUBLIQUE DANS LE CHAMP DE L’IAE ..........34 A. Un maillage d’acteurs très dense..............................................................................................35 1. Un volontarisme politique dans l’accompagnement des SIAE .............................................35 2. Une étroite coordination dans le processus de recrutement de personnes en insertion .........37 B. De l’instauration du dialogue à des relations partenariales ....................................................38 1. Convergence des intérêts des acteurs concernés sur la question de l’emploi ........................38 2. Une certaine forme de concurrence subsistante ? .................................................................40 C. L’interconnaissance comme enjeu majeur...............................................................................41 1. Des freins persistants.............................................................................................................41 2. Un grand effort d’ouverture réalisé .......................................................................................43 CHAPITRE 3. PROFESSIONNALISATION DES ENTREPRISES D’INSERTION ...........................................45 A. Adaptation inévitable aux nouvelles réalités économiques ..................................................46 1. Mise en concurrence des entreprises, diversification des activités et technicisation ............46 2. Les spécificités des entreprises d’insertion dans la recherche de nouvelles activités ...........48 3. Transformation de la figure du dirigeant : du travailleur social au gestionnaire d’entreprise ...................................................................................................................................................49 B. Des formes renouvelées de gouvernance interne : l’exemple de Ressources T ....................50 1. Insuffisances des formes de gouvernance précédentes .........................................................50 2. Le statut de SCIC : vers une inclusion de l’ensemble des parties prenantes dans la prise de décision .....................................................................................................................................51 C. Introduction de clauses sociales dans les marchés publics ..................................................53 1. Intérêts du dispositif : un levier considérable pour l’IAE .....................................................53 2. Mise en œuvre : une utilisation sous-optimale des clauses ...................................................55 PARTIE II - LE PARCOURS DES PERSONNES EN INSERTION : DES PRINCIPES D’ACTION OSCILLANT ENTRE IDEAL ET REALITE .............................................................58 CHAPITRE 1. LE RECRUTEMENT .........................................................................................................60 A. Quels publics éligibles À l’IAE ? ..........................................................................................60 1. D’une clarté théorique apparente des publics éligibles… .....................................................60 2. … à une grande marge d’interprétation en réalité .................................................................62 B. Attentes des entreprises d’insertion et cohérence du projet social .......................................64 1. Des personnes motivées en capacité de travailler .................................................................64 2. Des équipes fonctionnelles aux profils diversifiés ................................................................66 C. Fonctionnement du recrutement en réseau « fermé » : une voie souvent privilégiée ...........67 1. Le paradoxe des postes vacants en entreprise d’insertion .....................................................67 2. Partiel contournement de Pôle Emploi pour recruter ............................................................69 94 CHAPITRE 2. L’ACCOMPAGNEMENT ..................................................................................................71 A. La « globalité » de la personne mise en exergue ..................................................................71 1. Interdépendance entre insertion sociale et professionnelle ...................................................71 2. Un suivi évolutif par les entreprises d’insertion: des problèmes sociaux périphériques à l’élaboration d’un projet professionnel .....................................................................................73 B. L’idée de construction d’un parcours en insertion compromise ..........................................75 1. Fonctionnement idéal de l’IAE .............................................................................................75 2. Différents facteurs compromettant la logique de parcours ...................................................76 CHAPITRE 3. L’EFFICACITÉ DES DISPOSITIFS D’IAE ..........................................................................79 A. Un financement annexé aux résultats de sortie vers l’emploi ..............................................79 1. Aide au poste et taux de retour vers l’emploi........................................................................79 2. Réforme des financements et introduction de la modulation ................................................82 B. Des résultats à leur négociation ...........................................................................................83 1. L’intérêt du dialogue de gestion ............................................................................................83 2. Un difficile suivi à l’issue des parcours en SIAE ..................................................................84 C. De la négociation à l’efficacité relative de l’IAE .................................................................85 1. L’IAE : investissement ou dépense publique ? .....................................................................85 2. Une recomposition de la gouvernance autour des collectivités territoriales : quelles perspectives ? ............................................................................................................................87 CONCLUSION .....................................................................................................................................89 TABLE DES MATIERES ...................................................................................................................93 BIBLIOGRAPHIE ...............................................................................................................................96 OUVRAGES GÉNÉRAUX ......................................................................................................................96 RESSOURCES UNIVERSITAIRES ...........................................................................................................97 OUVRAGES ET ARTICLES SPÉCIFIQUES À L’INSERTION ......................................................................97 RAPPORTS ET STATISTIQUES ..............................................................................................................98 CORPUS JURIDIQUE ............................................................................................................................99 ANNEXES ...........................................................................................................................................101 LISTE DES ENTRETIENS RÉALISÉS ....................................................................................................101 DIFFÉRENCES MAJEURES ENTRE LES STRUCTURES D’IAE ...............................................................102 DONNÉES CHIFFRÉES COMPLÉMENTAIRES ......................................................................................103 95 Bibliographie OUVRAGES GÉNÉRAUX BERGER Peter L., LUCKMANN Thomas, La construction sociale de la réalité, Paris, Méridiens-Klincksieck, 1986 cité dans MULLER Pierre, SUREL Yves, L’Analyse des politiques publiques, Paris, Montchrestien, Collection Clefs, 1998, p.47. BOUSSAGUET Laurie, JACQUOT Sophie, « Les nouveaux modes de gouvernance », cité dans LE GALES Patrick, « Gouvernance », In BOUSSAGUET Laurie et al., Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), « Références », 2014, 772 p. CASTEL Robert, Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat. Paris, Fayard, 1990, 490 p. DUBET François, Le Déclin de l’Institution, Paris, Seuil, 2002, 428 p. GARRAUD Philippe, Le chômage et l’action publique. Le « bricolage institutionnalisé », Paris, L’Harmattan, 2000, 241 p. LE GALES Patrick, « Gouvernance », In BOUSSAGUET Laurie et al., Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), « Références », 2014, 772 p. LE GALES Patrick, THATCHER Mark, (dir.), Les réseaux de politiques publiques. Débat autour des policy networks, Paris, L’Harmattan, « Logiques politiques », 1995, 272 p. MARIN Bernd, MAYNTZ Renate, 1991 cité dans THATCHER Mark, « Réseau (policy network) », In BOUSSAGUET Laurie et al., Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) , « Références », 2014, 772 p. MULLER Pierre, Les Politiques publiques, Paris, PUF « Que sais-je ? », 1990, 128 p. MULLER Pierre, « Référentiel », In BOUSSAGUET Laurie et al. Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), «Références », 2014, p.555-562. MULLER Pierre, SUREL Yves, L’Analyse des politiques publiques, Paris, Montchrestien, Collection Clefs, 1998, 153 p. SUREL Yves, « Idées, intérêts, institutions dans l’analyse des politiques publiques », Pouvoirs, n°87, 1998, p.161-178. THOENIG Jean-Claude, DURAN Patrice, « L'État et la gestion publique territoriale », Revue française de science politique, 46ᵉ année, n°4, 1996. pp. 580-623. 96 RESSOURCES UNIVERSITAIRES DIAZ Pablo, Cours d’économie, IEP de Rennes, année universitaire 2012-2013. GARRAUD Philippe, Cours de Sociologie des organisations, Chapitre 3 : outils théoriques classiques de la sociologie des organisations, des acteurs aux systèmes d’action, IEP de Rennes, septembre-décembre 2015 OUVRAGES ET ARTICLES SPÉCIFIQUES À L’INSERTION ALPHANDERY Claude, Les Structures d’insertion par l’activité économique, La Documentation Française, 1990, 95 p. ALPHANDERY Claude, [interview], in L’insertion par l’activité économique, « Alternatives économiques », poche n°44, Paris, 2010, p. 11-13. BALLET Jérôme, Les entreprises d’insertion, Paris, PUF, Que sais-je ?, 1997, 125 p. BAUDET-CAILLE Véronique, L’insertion par l’activité économique. Les outils en faveur de l’insertion, Actualités sociales hebdomadaires (ASH), Paris, Wolters Kluwer, 2015, 116 p. BREGEON Philippe, « Histoire du réseau de l’insertion par l’activité économique » [en ligne]. 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SCHWARTZ Bertrand, « L’insertion professionnelle et sociale des jeunes », rapport au premier ministre, Paris, La Documentation Française, 1981, 146 p. 97 RAPPORTS ET STATISTIQUES BOUJARD Daniel, Plaquette de présentation de Ressources T, éditorial [en ligne], 2013, [consulté le 17/12/2015], disponible sur : http://www.ressources-t.org/ BRUNDTLAND Gro Harlem, Rapport Brundtland, « Notre avenir à tous », Éditions du fleuve. 1987, [consulté le 4/02/2016], version française disponible sur : http://bit.ly/1gE7Fkt Charte des missions locales, « Construire ensemble une place pour tous les jeunes » [en ligne], Conseil National des Missions Locales, adoptée le 12 décembre 1990, [consultée le 14/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1NmBDsm Envie 35, site internet, [consulté le 14/04/2016], accès : www.envie-35.org Fédération des Entreprises d’Insertion, « Chiffres clés des entreprises d’insertion » [en ligne], 2015, [consulté le 2/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/22nsLH8 Fédération Envie, site internet, [consulté le 14/04/2016], accès : www.envie.org FRANCE, Conseil national de l’insertion par l’activité économique, « Lever les obstacles aux promesses de l’insertion par l’activité économique » [en ligne], présentation du rapport, Ministère de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement, 2007, [consulté le 2/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1Ohfmak Guide des structures d’insertion par l’activité économique [en ligne], Maison de l’Emploi, de l’Insertion et de la Formation professionnelle du bassin d’emploi de Rennes, 2015, [consulté le 27/01/2016], disponible sur : http://bit.ly/1Nm5PUw Le chômage reste la première préoccupation des Français pour 2016, Le Point.fr, 2016, [consulté le 30/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1OhbNkm Observatoire des entreprises d’insertion 2014 [en ligne], fédération des entreprises d’insertion, [consulté le 10/03/2016], disponible sur : http://bit.ly/1SYSgaA Publication « Acheteurs publics, développez vos achats socialement responsables » [en ligne], Fédération des entreprises d’insertion, [consulté le 1/05/2016], disponible sur : http://bit.ly/1XfF5ak Rapport « Consolidation Nationale des résultats de la clause sociale d’insertion et de promotion de l’emploi » [en ligne], Alliance Villes Emploi, 2014, [consulté le 20/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/24AeR8d Rapport « L’éloignement durable du marché du travail » [en ligne], Conseil d’Orientation pour l’Emploi, 2014, disponible sur : http://bit.ly/1Wf1YM6 98 Rapport « L’insertion par l’activité économique en 2013 » [en ligne], Dares, 2015, n°46, Ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, 10p, [consulté le 2/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1SSOQJT Rapport du Conseil de Rennes Métropole N°C 14.437 du 20 novembre 2014 relatif au Développement économique – Emploi – Plan Local pour l’Insertion et l’Emploi (PLIE) – Protocole d’accord 2014-2020 [en ligne], [consulté le 7/03/2016], disponible sur : http://bit.ly/1Zol7bY Recensement de l’achat public exercice 2013 [en ligne], Observatoire économique de l’achat public, Ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique, [consulté le 20/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1XdMDuq Réforme des financements de l’Insertion par l’Activité Economique, présentation [en ligne], Avise, 2015, [consulté le 5/04/2016], Disponible à l’adresse : http://bit.ly/1QUK60q Résultats de l'enquête Emploi au quatrième trimestre 2015 [en ligne], INSEE, 2016, [consulté le 30/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/19qYUFM Toute l’actualité du gouvernement [en ligne], 2016, [consulté le 30/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1Twso96 Zone d’emploi, Définition [en ligne], INSEE, [consulté le 2/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1WOUyh7 CORPUS JURIDIQUE Accord-cadre entre l’Etat, Pôle Emploi et les réseaux de l’IAE, mars 2015, [consulté le 16/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/24Cro7t Article 5 du Code des marchés publics ; réformé par l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics Article 38 de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics Article 52 de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics Articles L.322-4-17-1 du Code du travail Article L. 5132-4 du Code du travail Arrêté du 14 janvier 2016 fixant le montant de l'aide financière aux structures de l'IAE Circulaire n°44 du 10 septembre 1979 relative à l’organisation du travail des handicapés sociaux Circulaire du 24 avril 1985 relative au programme expérimental de soutien aux entreprises intermédiaires 99 Circulaire DGEFP n°99-17 du 26 mars 1999 relative à la réforme de l’IAE Circulaire DGEFP n°2008-21 du 10 décembre 2008 relative aux nouvelles modalités de conventionnement des structures d’insertion par l’activité économique Instruction DGEFP du 13 août 2008 relative à la présentation du plan de modernisation du secteur de l’Insertion par l’Activité Economique Instruction DGEFP n°2014-2 du 5 février 2014 relative au pilotage des dispositifs d’insertion par l’activité économique Loi n° 87-39 du 27 janvier 1987 portant diverses mesures d’ordre social Loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988 instaurant le Revenu Minimum d’Insertion (RMI) Loi n° 91-1 du 3 janvier 1991 tendant au développement de l'emploi par la formation dans les entreprises, l'aide à l'insertion sociale et professionnelle et l'aménagement du temps de travail Loi n° 91-1405 du 31 décembre 1991 relative à la formation professionnelle et à l’emploi Loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions Loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale Note DGEFP n°2015-04 du 13 mars 2015 portant notification des enveloppes financières régionales 2015 relatives à l’insertion par l’activité économique 100 Annexes LISTE DES ENTRETIENS RÉALISÉS Entreprises d’insertion o M. CAFARO Benoit, responsable d’agence, Tribord. Le 23 février 2016, 1h50. o M. COHUET Williams, chargé d’insertion et de recrutement, Le Relais Bretagne. Le 24 février 2016, 2h15. o Mme LE BAYON Delphine, chargée de recrutement et d’accompagnement professionnel, Tribord. Le 26 février 2016, 1h10. o Mme DELOURME Maëlle, chargée d’insertion, La Feuille d’Erable. Le 29 février 2016, 50min. o M. LEPEINTEUR Frank, directeur, AJIEnvironnement. Le 10 mars 2016, 1h25. o M. BLOT Ludovic, directeur général, Ressources T. Le 31 mars 2016, 1h. Prescripteurs o Mme BERNARD-GRIFFITHS Sylvie, référente IAE Rennes et Ille-et-Vilaine, Pôle Emploi. Le 3 mars 2016, 1h30. o M. FICHOU Hamon, conseiller Mission locale. Le 31 mars 2016, 1h15. Représentants des pouvoirs publics o Mme MANGIN Anne-Gaëlle, chargée de mission IAE – P.L.I.E., Rennes Métropole / MEIF (Maison de l’Emploi, de l’Insertion professionnelle et de la Formation). Le 3 mars 2016, 1h30. o Mme PERON Zénaïde, Insertion par l’activité économique, DLA et ESS, Pôle entreprises, emploi et économie – AREFP, DIRECCTE Bretagne. Le 14 mars 2016, 1h25. o Mme HUSSON Séverine, Responsable Service Emploi, Unité Territoriale 35 DIRECCTE. Le 4 avril 2016, 55 minutes. o M. PRAUD Jean-Yves, Conseiller Général, puis Vice-président chargé de l’Economie Sociale et Solidaire et de l’insertion 2008-2015, Conseil Départemental 35 (anciennement Conseil Général). Le 6 avril 2016, 1h20 Entretiens exploratoires o M. LEBAILLY Dominique, président de la Fédération de Bretagne des Entreprises d’Insertion. Entretien téléphonique le 17 novembre 2015 o M. MORLET François, membre du Conseil d’Administration, Ressources T. Le 14 décembre 2015 101 DIFFÉRENCES MAJEURES ENTRE LES STRUCTURES D’IAE Forme juridique Toute forme juridique : SCOP, SA, SARL, EURL… ENTREPRISE DE TRAVAIL TEMPORAIRE D’INSERTION Toute forme juridique : SCOP, SA, SARL, EURL… Activité Secteur marchand Secteur marchand Secteur marchand Salariés participant à la production de biens et services destinés à être commercialisés sur un marché Salariés mis à disposition auprès d’entreprises clientes, dans le cadre de missions d’intérim Salariés mis à disposition auprès de particuliers, associations, collectivités locales, entreprises, pour la réalisation de travaux occasionnels CDDI de 4 mois minimum, 24 mois au maximum de renouvellement inclus Autres contrats de droit commun : contrat de professionnalisation, CUI-CIE, emploi d’avenir Contrat de travail temporaire pour une durée de 24 mois maximum renouvellement inclus CDDI de 4 mois minimum, 24 mois au maximum de renouvellement inclus CDD d’usage CDI à temps partiel Autres contrats de droit commun : CUICIE, emploi d’avenir ENTREPRISES D’INSERTION Contrat de travail ASSOCIATION INTERMEDIAIRE Association relevant de la loi 1901 ATELIER ET CHANTIER D’INSERTION Porté par une structure listée à l’article R. 5132-27 du code du travail : association, centre communal ou intercommunal d’action sociale, commune, département… Secteur non marchand ou mixte Salariés mis en situation de travail sur des actions collectives participant essentiellement au développement des activités d’utilité sociale, répondant à des besoins collectifs non satisfaits CDDI de 4 mois minimum, 24 mois au maximum de renouvellement inclus Autres contrats de droit commun : CUICIE, emploi d’avenir Sources : BAUDET-CAILLE Véronique, L’insertion par l’activité économique. Les outils en faveur de l’insertion, Actualités sociales hebdomadaires (ASH), Paris, Wolters Kluwer, 2015, p.15 Rapport « L’insertion par l’activité économique en 2013 » [en ligne], Dares, 2015, n°46, Ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, 10p, [consulté le 2/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1SSOQJT 102 DONNÉES CHIFFRÉES COMPLÉMENTAIRES Métiers exercés par les salariés de l'IAE nouvellement embauchés en 2013 5% 7% 6% 32% 7% Services à la personne et à la collectivité Agriculture et pêche, espaces naturels et espaces verts, soin des animaux Construction, bâtiment et travaux publics Transport et logistique Installation et maintenance 10% Industrie 14% 19% Hotellerie, restauration, tourisme, loisirs et animation Autres* *Communication, média, multimédia ; santé ; spectacle (1%) ; support à l’entreprise (2%) ; art et façonnage d’ouvrage d’art (1%) ; commerce vente et grande distribution (3%) Source : ASP, traitement Dares, enquête 2013. Champ : France entière Rapport « L’insertion par l’activité économique en 2013 » [en ligne], Dares, 2015, n°46, Ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, 10p, [consulté le 2/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1SSOQJT 103 Clauses sociales dans les marchés publics Source : Observatoire des entreprises d’insertion 2014 [en ligne], fédération des entreprises d’insertion, [consulté le 10/03/2016], disponible sur : http://bit.ly/1SYSgaA 104 Les caractéristiques des salariés nouvellement embauchés dans les différentes structures de l’IAE en 2013 (%) Source : ASP traitement Dares ; champ : France entière Rapport « L’insertion par l’activité économique en 2013 » [en ligne], Dares, 2015, n°46, Ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, 10p, [consulté le 2/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1SSOQJT 105 Situation en 2012 des salariés entrés en parcours d’insertion fin 2010 Source : enquête auprès des salariés en parcours d’insertion 2012, Dares Rapport « L’insertion par l’activité économique en 2013 » [en ligne], Dares, 2015, n°46, Ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, 10p, [consulté le 2/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1SSOQJT 106 Parts des financeurs publics directs de l'IAE Intercommunalité 3% Région 4% PLIE Autre 2% 5% Commune 5% FSE 6% Etat 50% Département 25% Source : Avise, réforme des financements de l'IAE, présentation Réforme des financements de l’Insertion par l’Activité Economique, présentation [en ligne], Avise, 2015, [consulté le 5/04/2016], Disponible à l’adresse : http://bit.ly/1QUK60q 107