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Des idées en actions :
Recomposition des modes d’action publique
autour des acteurs de l’Insertion par
l’Activité Économique
Le cas des entreprises d’insertion du bassin d’emploi rennais
Tifenn Le Brazidec
Mémoire de 4e année
Institut d’Études Politiques de Rennes
Séminaire :
Action Publique Locale
Sous la direction de : Philippe
2015-2016
Leroy
Remerciements
« Pour créer une entreprise d’insertion,
ou faire fonctionner une SIAE,
il faut avoir une bonne dose d’inconscience !
On a des soucis comme une entreprise normale, et on s’en
rajoute ! »
Je tiens à adresser mes remerciements à tous les professionnels qui
contribuent à faire de l’insertion par l’activité économique une
réalité, et qui ont accepté de me recevoir pour partager leurs
expériences. Leur enthousiasme et grande disponibilité ont été d’une
aide précieuse pour la réalisation de ce travail de recherche.
Je remercie également Philippe Leroy, mon directeur de mémoire,
pour ses précieux conseils et encouragements, ainsi que Marc
Rouzeau et Romain Pasquier qui ont enrichi toute l’année le
séminaire d’action publique locale de leurs contributions.
Enfin, je salue chaleureusement mes proches pour leur soutien depuis
le début, et leur relecture bienveillante et attentive de ce texte.
Avertissement
Ce travail s’inscrit dans le cadre d’un apprentissage de la recherche. Il est donc
nécessairement inabouti et présente des imperfections et insuffisances. Par ailleurs, l’IEP
n’entend donner aucune approbation aux informations et aux analyses contenues dans ce
mémoire. Elles doivent être considérées comme de la seule responsabilité de l’auteur.
Liste des sigles et des abréviations
Principales
IAE : Insertion par l’Activité Economique
SIAE : Structure d’Insertion par l’Activité Economique
-
ACI : Ateliers et Chantiers d’Insertion
-
AI : Association Intermédiaire
-
EI : Entreprise d’insertion
-
ETTI : Entreprise de Travail Temporaire d’Insertion
Secondaires
CDD : Contrat à Durée Déterminée
CDDI : Contrat à Durée Déterminée d’Insertion
CDI : Contrat à Durée Indéterminée
CDIAE : Conseil Départemental d’Insertion par l’Activité Economique
CHRS : Centres d’Hébergement et de Réadaptation Sociale
CNIAE : Conseil National d’Insertion par l’Activité Economique
CTA : Comité Technique d’Animation
DGAS : Direction générale de l’action sociale
DGEFP : Direction Générale de l’Emploi et de la Formation Professionnelle
DIRECCTE : Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la
Consommation, du Travail et de l’Emploi
EPCI : Etablissement Public de Coopération Intercommunale
ESAT : Établissements et services d’aide par le travail
ESS : Economie Sociale et Solidaire
ETP : Equivalent Temps Plein
GEIQ : Groupement d’Employeurs pour l’Insertion et la Qualification
PLIE : Plan Local pour l’Insertion et l’Emploi
RMI : Revenu Minimum d’Insertion
RQ : Régie de Quartier
RSA : Revenu de Solidarité Active
SMIC : Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance
Sommaire
SOMMAIRE ............................................................................................................................. 4
INTRODUCTION ............................................................................................................................ 6
A. Présentation du thème de recherche .............................................................................. 6
B. Précisions autour de l’objet de recherche .................................................................... 9
C. Problématisation .......................................................................................................... 14
D. Terrain et méthodologie de recherche ......................................................................... 17
PARTIE I - LE MODELE D’ENTREPRISE D’INSERTION : AU CŒUR D’UNE
GOUVERNANCE PARTENARIALE ET TERRITORIALISEE .................................... 21
CHAPITRE 1. INSTITUTIONNALISATION DES STRUCTURES D’INSERTION PAR L’ACTIVITÉ
ÉCONOMIQUE ......................................................................................................................... 22
A. Naissance d’initiatives locales (1960-1970) ................................................................ 22
B. Acquisition de statuts juridiques (1980-1990) ............................................................. 25
C. L’IAE : vers un instrument d’action publique reconnu dans les années 2000-2010 ... 31
CHAPITRE 2. CONSTITUTION D’UN RÉSEAU D’ACTION PUBLIQUE DANS LE CHAMP DE L’IAE . 34
A. Un maillage d’acteurs très dense................................................................................. 35
B. De l’instauration du dialogue à des relations partenariales ....................................... 38
C. L’interconnaissance comme enjeu majeur.................................................................. 41
CHAPITRE 3. PROFESSIONNALISATION DES ENTREPRISES D’INSERTION .................................. 45
A.
Adaptation inévitable aux nouvelles réalités économiques ...................................... 46
B.
Des formes renouvelées de gouvernance interne : l’exemple de Ressources T ....... 50
C.
Introduction de clauses sociales dans les marchés publics...................................... 53
PARTIE II - LE PARCOURS DES PERSONNES EN INSERTION : DES PRINCIPES
D’ACTION OSCILLANT ENTRE IDEAL ET REALITE................................................ 58
CHAPITRE 1. LE RECRUTEMENT ............................................................................................. 60
A.
Quels publics éligibles à l’IAE ? .............................................................................. 60
B.
Attentes des entreprises d’insertion et cohérence du projet social .......................... 64
C.
Fonctionnement du recrutement en réseau « fermé » : une voie souvent privilégiée
67
CHAPITRE 2. L’ACCOMPAGNEMENT....................................................................................... 71
A.
La « globalité » de la personne mise en exergue ..................................................... 71
B.
L’idée de construction d’un parcours en insertion compromise .............................. 75
CHAPITRE 3. L’EFFICACITÉ DES DISPOSITIFS D’IAE............................................................... 79
A.
Un financement annexé aux résultats de sortie vers l’emploi .................................. 79
B.
Des résultats à leur négociation ............................................................................... 83
C.
De la négociation à l’efficacité relative de l’IAE ..................................................... 85
CONCLUSION ....................................................................................................................... 89
TABLE DES MATIERES ..................................................................................................... 93
BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................. 96
OUVRAGES GÉNÉRAUX .......................................................................................................... 96
RESSOURCES UNIVERSITAIRES ............................................................................................... 97
OUVRAGES ET ARTICLES SPÉCIFIQUES À L’INSERTION ........................................................... 97
RAPPORTS ET STATISTIQUES .................................................................................................. 98
CORPUS JURIDIQUE ................................................................................................................ 99
ANNEXES ............................................................................................................................. 101
LISTE DES ENTRETIENS RÉALISÉS......................................................................................... 101
DIFFÉRENCES MAJEURES ENTRE LES STRUCTURES D’IAE .................................................... 102
DONNÉES CHIFFRÉES COMPLÉMENTAIRES ........................................................................... 103
Introduction
A. PRÉSENTATION DU THÈME DE RECHERCHE
1. Actualité du sujet
« L’emploi, c’est la priorité de mon gouvernement », réaffirmait Manuel Valls le 22
février 20161 dans la continuité de l’objectif tant clamé du quinquennat de François
Hollande : inverser la courbe du chômage. L’apparition de ce problème public n’est pas
récente. Sa mise à l’agenda politique est régulière2 et indubitable, afin de répondre à ce qui
constitue la préoccupation première des français3. En moyenne au 4e trimestre 2015, le taux
de chômage en France était de 10,3 % de la population active, portant le nombre de chômeurs
à environ 2,9 millions de personnes4.
Au-delà de ces données factuelles, des travaux de recherche5 s’attachent à comprendre par
quels modes d’actions et représentations les politiques publiques tentent de remédier au
problème du chômage. Avec la fin d’un modèle keynésien de plein emploi pendant longtemps
dominant, les frontières entre emploi, inactivité et chômage apparaissent de plus en plus
indéterminées6. Le phénomène occasionne la création de statuts intermédiaires et une
multiplication des catégories de publics prioritaires. L’action publique de lutte contre le
chômage est finalement qualifiée de « bricolage institutionnalisé » par Philippe Garraud, qui
met en exergue la fragmentation institutionnelle ou encore la multiplicité des dispositifs.
D’après les insuffisances supposées du traitement de la question du chômage selon ces modes
d’action publique, naissent dans les années 1970 d’autres dispositifs annexes d’après des
initiatives privées éparses : ce sont les débuts de l’Insertion par l’Activité Économique (IAE).
1
Toute l’actualité du gouvernement, 2016, [consulté le 30/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1Twso96
MULLER Pierre, SUREL Yves, L’Analyse des politiques publiques, Paris, Montchrestien, Collection Clefs,
1998, p.68
3
Selon une enquête Harris Interactive pour RTL, le chômage demeure la préoccupation première des français
(77%), devant le terrorisme (75%) et l’insécurité (62%).
Le chômage reste la première préoccupation des Français pour 2016, Le Point.fr, 2016, [consulté le
30/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1OhbNkm
4
Résultats de l'enquête Emploi au quatrième trimestre 2015, INSEE, 2016, [consulté le 30/04/2016], disponible
sur : http://bit.ly/19qYUFM
5
Par exemple, GARRAUD Philippe, Le chômage et l’action publique. Le « bricolage institutionnalisé », Paris,
L’Harmattan, 2000, 241p.
6
GARRAUD Philippe, op.cit., pp.59-63
2
6
L’action publique se recompose autour de ces nouveaux acteurs issus du travail social, qui
promeuvent une autre perception des personnes éloignées de l’emploi. La personne est vue
dans sa globalité et valorisée dans son autonomie par une mise en situation de travail
concrète ; et non plus seulement par le prisme d’une catégorie d’action publique.
2. Un regard personnel en aparté sur le thème
Ce qui a attiré mon attention au départ, n’est pas l’hétérogénéité remarquable parmi les
personnes en situation de chômage ; mais c’est plutôt la place originale que leur accorde
l’insertion par l’activité économique, en les propulsant au rang d’acteurs de leur propre
parcours. Le dispositif interroge sur les capacités d’action d’un individu, sur la volonté plus
ou moins manifeste de « se prendre en main », et sur la place du travail dans le processus de
(re)socialisation.
Cela m’a permis d’engager une réflexion plus élargie sur l’altérité et le processus de
construction de l’identité personnelle. Des mutations contemporaines ont été observées,
selon lesquelles on accorderait une primauté à la liberté de la personne humaine, illustrées par
une émancipation des institutions1. Mais dans le même temps, que devient la capacité d’action
d’une personne en situation d’exclusion, situation qui provoque une certaine perte de repères
et de réseaux ? L’accompagnement vers l’emploi et le travail social prennent tout leur sens :
le travail étant vecteur de reconnaissance sociale et d’une part de l’identité personnelle.
L’insertion par l’activité économique s’avère alors être tout-à-fait pertinente. Elle permet à
des personnes éloignées de l’emploi de renouer un contact avec le monde du travail, et
d’accéder plus facilement à tous ses attributs en termes de socialisation.
3. Première mise en perspective historique
Le terme d’insertion a été utilisé dans le langage commun et des textes législatifs
depuis les années 1970 seulement, dans son acception actuelle de « devoir d’insérer » dans la
société en essayant de trouver un travail2.
Deux grandes ruptures historiques, explique Claude Dubar, ont constitué la question de
l’insertion sur le marché du travail en « problème social ». Tout d’abord s’est opérée une
dissociation entre l’espace de formation et l’espace de travail, séparant ainsi la vie privée de la
1
DUBET François, Le Déclin de l’Institution, Paris, Seuil, 2002, p.15
DUBAR Claude, « La construction sociale de l'insertion professionnelle », Education et Sociétés [en
ligne], 2001, n°7, p. 23-36, [consulté le 2/12/2015], disponible sur : http://bit.ly/24CgdvA
2
7
vie professionnelle et la « jeunesse » de « l’âge adulte ». La seconde rupture réside dans
l’allongement récent du temps de transition entre la sortie des études et l’entrée sur le marché
du travail. Ce passage se réalise beaucoup moins systématiquement que par le passé.
L’agrandissement de ces espaces de transition a créé un besoin d’insertion et
d’accompagnement, dans un contexte de montée de l’exclusion économique et sociale.
Pour autant, de multiples expériences d’insertion par l’activité furent observées bien avant la
crise économique et sociale des années 1970. Dès le XVIIIe siècle, des initiatives se
développent par l’intervention du pouvoir royal, visant à occuper tous les mendiants,
vagabonds et indigents exclus de l’emploi, en leur proposant des opportunités de travaux
publics : sont créés les ateliers de charité, ateliers de secours, ou encore les dépôts de charité1.
A cette époque, les dispositifs étaient contraints et obligeaient les pauvres valides à travailler.
Aujourd’hui, l’exercice d’une activité professionnelle n’a pas – ou plus – une force
obligatoire. Travailler revêt tout-de-même plusieurs attributs et promesses : une insertion
économique par l’obtention d’un revenu supérieur aux minimas sociaux, et une insertion
sociale par une plus grande confiance en soi et de nouvelles formes de sociabilité.
Au-delà de ces possibles vertus du travail, un courant de réflexion se développe dans les
années 1960-1970 dans les milieux du travail social. Certains intellectuels tels que Michel
Foucault s’opposent aux idées d’enfermement, de marquage social ou de stigmatisation2.
Finalement, l’idée promue par ces courants de pensée et qui deviendra le leitmotiv de l’IAE,
est celle de favoriser l’autonomisation de l’individu plutôt que l’assistanat. Il s’agit de
permettre aux « exclus » de redevenir des « acteurs sociaux » ou autrement dit des
« acteurs de leur vie », comme me l’indiquait Delphine Le Bayon3.
Concrètement, les premières structures de « mise au travail » de personnes éloignées de
l’emploi sont conçues au sein de centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). Ce
sont des ateliers occupationnels de « réentrainement au travail et à l’effort »4. D’autres formes
d’insertion par l’économique vont se multiplier sur le terrain et dépasser le cadre des CHRS, à
l’initiative d’une grande diversité d’acteurs : majoritairement des travailleurs sociaux, mais
1
CASTEL Robert, Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat. Paris, Fayard, 1990,
pp. 136-140.
2
BAUDET-CAILLE Véronique, L’insertion par l’activité économique. Les outils en faveur de l’insertion,
Actualités sociales hebdomadaires (ASH), Paris, Wolters Kluwer, 2015, 116 p.
3
Chargée d’accompagnement et de recrutement, entreprise d’insertion Tribord
4
BREGEON Philippe, « Histoire du réseau de l’insertion par l’activité économique ». In A quoi servent les
professionnels de l’insertion ?, Paris, L’Harmattan, 2008, 272 p, [consulté le 2/04/2016], disponible sur :
http://bit.ly/1q4gfwT
8
aussi des militants issus de la société civile, des syndicalistes, parfois des élus politiques
locaux… L’IAE est d’abord caractérisée dans son avènement par une démarche, des valeurs
et un engagement en faveur d’une reconnexion des pratiques dominantes dans les professions
sociales avec le monde du travail.
Ces expérimentations de terrain éparses nécessitent de s’organiser en réseau, de se
coordonner, et d’être reconnues par de véritables statuts juridiques. L’insertion par
l’économique est reconnue pour la première fois par la circulaire du 24 avril 19851 qui institue
les entreprises intermédiaires, qui deviendront par la suite des entreprises d’insertion.
L’entreprise intermédiaire est dans cette circulaire présentée comme « une véritable
entreprise créant des emplois durables et produisant biens et services aux conditions du
marché, mais [qui] assurent en même dans le même temps […] une fonction d’insertion des
jeunes qui occupent des emplois […] en tant que salariés remplissant des contrats à durée
déterminée ». C’est le début de l’institutionnalisation des SIAE, dont un cadre fut précisé
ensuite par la loi de lutte contre les exclusions en 19982.
B. PRÉCISIONS AUTOUR DE L’OBJET DE RECHERCHE
1. Définitions et affinement du sujet
 Les personnes éloignées de l’emploi
Les dispositifs d’insertion accompagnent des personnes qui ne sont pas simplement en
situation de chômage ponctuel, mais sont davantage éloignées de l’emploi : leurs probabilités
de retrouver rapidement un emploi sont considérées comme faibles. La principale
caractéristique de ce public est son hétérogénéité :
Bien que catégorie cible de l’action publique, la notion de « personnes
éloignées de l’emploi » n’est pas précisément définie. Beaucoup de
politiques ou dispositifs s’adressent à des groupes de population précis
tels que les jeunes, les seniors, les bénéficiaires de minima sociaux, etc.,
qui ne recoupent que partiellement l’ensemble des personnes éloignées de
l’emploi3.
1
Circulaire du 24 avril 1985 relative au programme expérimental de soutien aux entreprises intermédiaires
Loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions
3
Rapport « L’éloignement durable du marché du travail », Conseil d’Orientation pour l’Emploi, 2014,
disponible sur : http://bit.ly/1Wf1YM6
2
9
La question de l’éloignement est donc au cœur de ce travail, qui vise à comprendre comment
chacun le définit et agit dans le champ de l’insertion en fonction de ses représentations.
 L’ambigüité de la notion d’insertion
Pour enrayer l’éloignement de l’emploi, des actions d’insertion sont menées en direction des
publics identifiés. L’usage courant du terme d’insertion est initié par le rapport Schwartz en
19811, puis étendu par l’instauration du Revenu Minimum d’Insertion (RMI) en 1988. L’on
tend alors à coupler la notion d’insertion avec celle d’exclusion :
« Ces deux termes, dans leur usage courant, semblent donc adossés à une
représentation de la société comme clivée, traversée par une fracture
séparant les in et les out, ces derniers caractérisés par leur non insertion
sur le marché du travail et une position de marginalité par rapport à la vie
socioéconomique2 »
Mais la notion d’insertion crée une certaine ambigüité, explique Denis Castra. Elle désigne :
-
à la fois un état final : lesdits in ou insérés dans la vie « normale » de la cité ;
-
mais également un état de transition : le processus de passage d’un état à un autre, de
l’exclusion à l’insertion, qui crée des statuts intermédiaires plus ou moins durables…
La part croissante de la population qui se trouve dans un « état durable » d’insertion semble
révéler l’échec relatif, ou l’insuffisance, des politiques d’insertion menées. Robert Castel le
suggère en soulignant la hausse constante des bénéficiaires du RMI. Toute situation de
« transition durable » semble déjà d’apparence contradictoire dans ses termes… Robert Castel
s’étonne de cet oxymore : « L’insertion comme état représente une bien curieuse modalité
d’existence sociale3 » !
Des personnes furent convaincues que d’autres dispositifs d’insertion vers l’emploi
complémentaires étaient possibles. C’est le cas des entreprises d’insertion et plus
généralement de l’IAE, estimée comme prenant part à l’économie sociale et solidaire. En
effet, les initiatives d’IAE furent empreintes à leur création d’une forme de militantisme,
portant une vision renouvelée de l’action sociale et de la lutte contre les exclusions. Par des
1
SCHWARTZ Bertrand, « L’insertion professionnelle et sociale des jeunes », rapport au premier ministre, Paris,
La Documentation Française, 1981, 146 p.
2
CASTRA Denis, L’insertion professionnelle des publics précaires, Paris, Presses Universitaires de France,
« Le Travail humain », 2003, p. 7-17.
3
CASTEL Robert, op.cit., p.432.
10
solutions innovantes, l’IAE entend replacer l’homme au centre dans une idée d’activité et
d’autonomisation1.
 L’insertion par l’activité économique
Définie à l’article L. 5132-1 du Code du travail, l’IAE a pour objet de permettre à des
personnes sans emploi, rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières, de
bénéficier de contrats de travail en vue de faciliter leur insertion professionnelle. Elle met en
œuvre des modalités spécifiques d'accueil et d'accompagnement. L'IAE, notamment par la
création d'activités économiques, contribue également au développement des territoires.
L’accompagnement procuré permet de construire un projet professionnel et d’évoluer ensuite
plus facilement vers l’emploi dit « classique ». L’objectif est que l’expérience en structure
d’IAE agisse comme un réel tremplin. Pour cela, le parcours est dynamique et le salarié en
insertion en est acteur :
« Au-delà de l’assistance indispensable aux plus démunis, il est nécessaire
de donner leur place dans la société, leur chance et leur dignité aux
femmes et aux hommes qui ne se résignent pas à une vie d’assistés2. »
Différentes structures d’insertion par l’activité économique (SIAE) existent3 : les entreprises
d’insertion (EI), les entreprises de travail temporaire d’insertion (ETTI), les ateliers et
chantiers d’insertion (ACI) et les associations intermédiaires (AI).
Elles ont une organisation du travail différente et accueillent différents types de publics. Leur
point commun est leur caractère hybride avec un double objectif économique et social :
« Elles sont mixtes par nature. Economiques en proposant biens ou
services sur le marché, nécessairement attentives à la satisfaction de la
clientèle par un bon rapport qualité/prix et veillant à leur compte
d’exploitation.
1
Il faut souligner le contraste des visions au sein même des personnes à l’initiative de l’IAE. L’inscription dans
l’économie sociale et/ou solidaire ne semble pas avoir les mêmes significations pour tous, comme l’explique de
manière plus approfondie Philippe Bregeon :
« L'histoire en question apparaît plus complexe : entre l'utopie de l'alternative au système libéral pour la
création d'un tiers secteur, la régulation par le travail des populations en situation de marginalité, la recherche
de pratiques alternatives dans l’intervention sociale, la mise en situation professionnelle de jeunes pour les
former, le développement des services ; et des tentatives de réponse à la précarité des quartiers, nous sommes, à
l'évidence, en présence de logiques hétérogènes et parfois contradictoires. ».
BREGEON Philippe, op.cit.
2
FRANCE, Conseil national de l’insertion par l’activité économique, « Lever les obstacles aux promesses de
l’insertion par l’activité économique », présentation du rapport, Ministère de l’emploi, de la cohésion sociale et
du logement, 2007, [consulté le 2/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1Ohfmak
3
Reconnues à l’article L. 5132-4 du Code du travail
11
Sociales, en s’appliquant non seulement à fournir un accès au travail
salarié à des personnes en difficulté, mais en accompagnant leur parcours
d’insertion. Mixtes, parce que sans but lucratif par vocation, elles n’en
sont pas moins soucieuses d’une rentabilité qui est gage de leur
développement1. »
En 2013 selon la Dares, il y avait environ 3800 structures d’IAE conventionnées par l’Etat en
France qui accueillaient en moyenne 127600 salariés en insertion par mois2. Parmi les
différentes formes d’IAE, j’ai choisi d’étudier de manière plus approfondie le fonctionnement
de ces entreprises d’insertion. En Bretagne, 31 étaient en activité au 31 décembre 20143. Cela
représente un quart des structures d’IAE présentes sur le territoire.
 Les entreprises d’insertion
Elles sont positionnées sur des secteurs d’activité très variés, allant des espaces verts au
transport et logistique ou encore à la collecte et retraitement des déchets4. Elles emploient des
salariés en contrat d’insertion pour une durée moyenne hebdomadaire comprise entre 30 et 35
heures. L'entreprise d'insertion se situe dans l'économie marchande5.
Dans le département d’Ille-et-Vilaine, plus de 1000 équivalents temps plein (ETP) sont
répartis entre les structures d’IAE6, ce qui comprend les salariés en insertion et certains
salariés permanents chargés de l’encadrement et de l’accompagnement. Les entreprises
d’insertion représentent 215 ETP dans le département. On peut donc estimer qu’elles drainent
plus de 300 emplois sur le territoire.
Le modèle de l’entreprise d’insertion m’a semblé tout-à-fait judicieux à observer, par sa
proximité avec les entreprises dites « classiques » en termes d’exigences de performance
économique et de qualité. Ces impératifs doivent être combinés avec le projet social de
l’entreprise et se pose donc la question de l’éloignement plus ou moins important des publics
à l’emploi :
1
ALPHANDERY Claude, Les Structures d’insertion par l’activité économique, La Documentation Française,
1990, 95 p., cité dans BAUDET-CAILLE Véronique, L’insertion par l’activité économique. Les outils en faveur
de l’insertion, Actualités sociales hebdomadaires (ASH), Paris, Wolters Kluwer, 2015, 116 p.
2
Rapport « L’insertion par l’activité économique en 2013 » [en ligne], Dares, 2015, n°46, Ministère du travail,
de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, 10p, [consulté le 2/04/2016], disponible sur :
http://bit.ly/1SSOQJT
3
Fédération des Entreprises d’Insertion, « Chiffres clés des entreprises d’insertion » [en ligne], 2015, [consulté
le 2/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/22nsLH8
4
Voir en annexe : répartition par secteurs des métiers exercés par les salariés de l’IAE (graphique)
5
Voir en annexe : les différences majeures entre les structures d’IAE (tableau)
6
Données délivrées par l’Unité Territoriale 35 de la DIRECCTE, septembre 2015
12
Quelles sont les interprétations possibles de l’éloignement à l’emploi par les différents
acteurs ? Comment vont s’articuler les visions et les actions des entreprises d’insertion et des
pouvoirs publics, au cœur d’un secteur nécessairement multi-partenarial ?
2. Question de départ et prénotions
Mon questionnement a débuté par une volonté de comprendre comment les entreprises
d’insertion parviennent à trouver un équilibre entre leurs différents objectifs. Il s’avère que
pour y parvenir, le concours des pouvoirs publics est inéluctable. Nous sommes également à
la croisée entre politiques économiques, politiques d’emploi et politiques sociales. Dès lors, la
question que je pressens être le cœur de la recherche est celle du profil des personnes qui
bénéficient d’un parcours en entreprise d’insertion...
L’insertion, c’est pour qui ?
L’objectif est de découvrir quelles personnes sont orientées vers des entreprises d’insertion
sous l’impulsion de prescripteurs publics, et quels sont les profils recherchés par les
entreprises d’insertion. Des attentes qui peuvent parfois être convergentes ou sources de
désaccords.
Pour mener cette recherche il faut tout d’abord se garder de proposer une vision trop
simplificatrice. Les idées et actions ne sont pas figées, les positionnements ne sont pas
dogmatiques. Ils évoluent sans cesse, le secteur de l’IAE est dynamique et s’enrichit des
interactions multiples entre acteurs. Surtout, il convient de se détacher de ses prénotions que
l’on pourrait entretenir sur l’éloignement à l’emploi. Non, les entreprises d’insertion
n’accueillent pas les publics les plus éloignés de l’emploi, loin s’en faut. Lors d’un entretien
j’entends ces phrases qui reflètent l’idée avec justesse :
« Je corrige toujours quand les gens me disent qu’on est une entreprise de
« réinsertion », non, car pour être réinséré, il faut être sorti violemment du
modèle. Moi, j’ai des gens qui n’ont jamais eu de problème avec la
justice, ils sont juste descendus du train à un moment donné. Il n’y a pas
de stigmatisation à avoir du tout.
Ce sont des gens avec plein de qualités et de compétences
professionnelles ; mais simplement qui n’arrivaient pas à se vendre auprès
d’employeur. Ca peut-être votre voisin, votre collègue, n’importe qui…
Une fois retrouvé leur confiance en eux c’est reparti1 ! »
1
Directeur, AJIEnvironnement
13
C. PROBLÉMATISATION
1. Axes de recherche
L’intérêt du sujet est de comprendre l’articulation possible et réalisée entre l’action
d’acteurs publics dans le champ de l’insertion, et celle des entreprises d’insertion. D’une part,
ces acteurs concentrent leurs efforts vers des publics similaires : les personnes éloignées de
l’emploi. D’autre part, ils travaillent sur des temporalités différentes à travers des cultures
professionnelles propres, des systèmes de valeurs et des rationalités variés.
L’enjeu est de parvenir à qualifier le type de gouvernance qui a été construit afin de réguler
l’action publique en matière d’insertion. L’on suppose que la gouvernance est basée
aujourd’hui sur une plus grande horizontalité des relations entre acteurs.
Le concept de gouvernance renvoie à un processus de coordination d’acteurs, de groupes
sociaux et d’institutions, en vue d’atteindre des objectifs définis et discutés collectivement1.
Afin de préciser cette notion plusieurs traits caractéristiques ont été identifiés2 tels que la
présence d’un polycentrisme institutionnel, une ouverture dans les processus de décision avec
notamment une inclusion d’acteurs privés, un accent mis sur les formes et instruments de
l’action publique plutôt que la substance des programmes publics.
Finalement, la réflexion autour de la gouvernance est ancrée dans un renouvellement des
formes d’action publique. Patrick Le Galès indique3 que « la notion même de gouvernance
émerge face au diagnostic d’une incapacité des gouvernements à répondre à des problèmes
qui leurs sont soumis et à s’ajuster à de nouvelles formes d’organisation sociale, économique
et politique ». Le secteur de l’insertion par l’activité économique s’est développé en partant de
ce même constat. Alors que l’Etat social ne semblait plus en mesure de gérer tous les effets du
chômage, des initiatives locales d’insertion par le travail ont été expérimentées pour y pallier.
La question qui est, de ce fait, au cœur du travail, est celle de la capacité des acteurs
publics et privés à coopérer sur un territoire, dans le champ des politiques d’insertion. Il
s’agit de comprendre la nature des relations entre ces acteurs, et de leurs interactions qui sont
1
LE GALES Patrick, « Gouvernance », In BOUSSAGUET Laurie et al., Dictionnaire des politiques publiques,
Paris, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), « Références », 2014, 772 p.
2
BOUSSAGUET Laurie, JACQUOT Sophie, « Les nouveaux modes de gouvernance », cité dans LE
GALES Patrick, « Gouvernance », In BOUSSAGUET Laurie et al., Dictionnaire des politiques publiques, Paris,
Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), « Références », 2014, 772 p.
3
LE GALES Patrick, op.cit.
14
nécessaires pour faire éclore et perdurer des dispositifs tel que l’IAE, à la croisée entre action
publique et secteur privé.
Pour cela, ce travail s’essaiera à qualifier la gouvernance observée sur le bassin d’emploi
rennais, et d’en décrypter les fondements :
Les logiques d’action des différentes parties prenantes sont-elles issues de leurs rationalités
propres qui viennent s’articuler ? Ou bien ces mêmes logiques d’action ont-elles mené à
l’élaboration d’un référentiel partagé qui guiderait désormais l’action publique locale en
matière d’insertion des personnes éloignées de l’emploi ?
2. Hypothèses
Nous partons du postulat selon lequel l’action publique se recompose aujourd’hui sous
forme de « réseaux d’action publique », faisant écho dans le même temps à une évolution du
rôle de l’Etat. L’action publique ne résulterait donc plus seulement d’un Etat central qui dicte
la norme mais bien des interactions entre les acteurs présents sur un territoire.
Cela concerne les représentants des pouvoirs publics mais pas uniquement. Cela comprend
également des acteurs privés, associatifs ou issus de la société civile. C’est en ce sens que l’on
peut observer une plus grande horizontalité des rapports inter-organisationnels. Chacun de
ces acteurs dispose de ressources mobilisables – économiques, politiques, etc. – ainsi que
d’une certaine capacité politique et d’intérêts propres. Ainsi, le concept de réseau suppose :
« Les acteurs sont alors liés par des relations horizontales, sans appartenir à
une seule hiérarchie organisationnelle ; ils sont en partie interdépendants
mais, également, en partie autonomes ; leurs relations sont fondées sur
l’échange, produisant ainsi des réseaux de politiques publiques, et combinent
des éléments de conflit et de coopération1. »
Dans une démarche issue de la sociologie des organisations que l’on croise avec une
perspective cognitive, on s’interroge alors sur les comportements et les rationalités : qu’est-ce
qui est au fondement de l’action ? L’articulation des comportements va former un type de
gouvernance, dans le secteur et le territoire qui intéressent ce travail.
Dans ce champ, nous souhaitons comprendre si les acteurs concernés agissent en suivant
strictement la théorie du choix rationnel, ou d’après les limites de cette théorie, agissent en
1
MARIN Bernd, MAYNTZ Renate, 1991 cité dans THATCHER Mark, « Réseau (policy network) »,
In BOUSSAGUET Laurie et al., Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po
(P.F.N.S.P.) , « Références », 2014, 772 p.
15
fonction de leur rationalité limitée. C’est-à-dire qu’ils s’oriententeraient vers la solution la
plus satisfaisante selon leurs intérêts et vision interne de ce qu’est et devrait être l’insertion
des personnes éloignées de l’emploi.
Afin d’enrichir la réflexion, on se demandera également si les acteurs concernés ont partagé,
partagent ou tendent à partager des représentations communes de ce qu’est l’insertion et
l’éloignement à l’emploi. Dans ce cas, la gouvernance ne serait pas uniquement basée sur
l’expression des rationalités propres, mais serait aussi guidée par une vision convergente du
champ de l’insertion.
D’après ces considérations, on peut émettre la première hypothèse de recherche
suivante : il semblerait que le point de départ des expérimentations d’insertion par le travail
repose sur des référentiels divergents entre les travailleurs sociaux initiateurs des nouveaux
dispositifs, et les pouvoirs publics d’alors. En effet, ces premières expériences sont bien nées
du constat de l’insuffisance des dispositifs d’action publique alors existants en matière
d’accompagnement des personnes en situation de chômage.
Par conséquent, cela suppose que c’est une forme de gouvernance partenariale menée par
les rationalités propres des acteurs qui aurait jalonné la constitution du secteur de l’IAE. Les
initiateurs des structures d’IAE ont dû petit-à-petit démontrer leur intérêt et efficacité et faire
valoir leur vision de l’insertion, afin qu’ils soient progressivement reconnus politiquement et
juridiquement par les pouvoirs publics.
La reconnaissance et le développement conséquent des SIAE jusqu’à aujourd’hui invite à
formuler une seconde hypothèse. Si la construction socio-historique du secteur de l’IAE n’a
pas permis l’émergence de représentations homogènes de ce qu’est l’insertion des personnes
éloignées de l’emploi, les différents acteurs concernés – SIAE, collectivités territoriales,
administration déconcentrée, Pôle Emploi, prescripteurs – ont dû travailler en étroite
collaboration. Notamment sur la question de l’éligibilité des personnes aux dispositifs d’IAE
et donc sur la perception des publics éloignés de l’emploi : des thèmes étant devenus de réels
enjeux d’action publique. Sans l’instauration d’instances de dialogue, d’interactions multiples
et de coordination le secteur de l’IAE aurait pu péricliter. Or il semble s’être durablement
ancré sur le territoire et développé. Nous pouvons alors penser que les acteurs du secteur
convergeraient alors vers l’élaboration d’un référentiel commun concernant les publics en
insertion.
16
D. TERRAIN ET MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE
1. La délimitation d’une aire géographique
Après une première appréhension du thème d’un point de vue factuel et après avoir
entamé une problématisation du sujet, il a fallu entériner des choix concernant la construction
du matériau empirique dans le cadre de ce travail de recherche appliquée.
Le terrain qui a été privilégié est celui de la zone d’emploi de Rennes1. Cela permet une plus
grande cohérence lorsque l’on souhaite comparer les situations des entreprises, puisqu’elles
font face à un marché du travail sur le bassin local que l’on peut imaginer moins hétérogène
qu’à une plus grande échelle telle que le département ou la région.
Dans les faits c’est la Métropole de Rennes qui a été la délimitation géographique plus précise
du terrain de recherche, dans la mesure où toutes les entreprises d’insertion d’Ille-et-Vilaine y
sont concentrées.
2. Identification des acteurs majeurs
Trois séries d’acteurs peuvent être identifiés. Il s’agit bien sûr en premier lieu des
entreprises d’insertion elles-mêmes. Initialement, il était envisagé de réaliser une étude sur
la base d’une monographie d’entreprise afin de saisir de manière approfondie son
fonctionnement et développement. Finalement j’ai choisi d’opter pour une étude comparative
en interrogeant plusieurs structures de tailles différentes – de 8 à 60 postes en insertion
environ2 – et positionnées sur des secteurs d’activité variés, tels que les espaces verts, la
collecte et le tri de déchets, le recyclage textile, etc. Cela permet d’apporter des éléments de
compréhension complémentaires, d’identifier à la fois des points communs et des différences
entre les structures en interne et en externe dans leurs relations avec les pouvoirs publics. On
peut ainsi prétendre à une plus grande de représentativité du secteur. Parmi l’ensemble des
salariés des structures d’IAE, j’ai eu l’occasion de rencontrer des personnes chargées
d’insertion et certains directeurs de structures.
1
Une zone d’emploi est définie selon l’INSEE comme un espace géographique à l'intérieur duquel la plupart
des actifs résident et travaillent, et dans lequel les établissements peuvent trouver l'essentiel de la main d'œuvre
nécessaire pour occuper les emplois offerts. Le découpage en zones d'emploi constitue une partition du territoire
adaptée aux études locales sur le marché du travail. La zone d’emploi de Rennes contient 267 communes selon
le zonage établi en 2010 par l’INSEE.
Zone d’emploi, Définition [en ligne], INSEE, [consulté le 2/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1WOUyh7
2
Guide des structures d’insertion par l’activité économique [en ligne], Maison de l’Emploi, de l’Insertion et de
la Formation professionnelle du bassin d’emploi de Rennes, 2015, [consulté le 27/01/2016], disponible sur :
http://bit.ly/1Nm5PUw
17
Plusieurs entretiens ont également été menés auprès d’acteurs que je réunis sous l’appellation
de représentants des pouvoirs publics, à différentes échelles territoriales, qui contribuent
notamment au conventionnement et au financement des entreprises d’insertion. Pour la zone
d’emploi de Rennes, il s’agit de :
-
la Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation,
du Travail et de l’Emploi (DIRECCTE), administration déconcentrée de l’Etat
-
du Conseil Général – aujourd’hui Conseil Départemental – d’Ille-et-Vilaine
-
de la Métropole de Rennes et Maison de l’Emploi, de l’Insertion et de la Formation
Professionnelle (MEIF).
Enfin, le troisième type d’acteur interrogé concerne les prescripteurs, qui sont notamment
chargés d’orienter des personnes éloignées de l’emploi vers un parcours en SIAE. Nous
soulignerons le rôle majeur de Pôle Emploi. Un entretien avec une personne de la Mission
Locale a permis d’élargir la réflexion sur le rôle et le positionnement des prescripteurs.
Afin de comprendre le positionnement de chacun sur les questions soulevées par le secteur de
l’IAE et cette initiation à la recherche, un travail d’enquête sur le terrain a été mené via douze
entretiens semi-directifs1.
3. Justification de l’angle de recherche adopté
Ce présent travail repose sur le parti-pris d’une approche à travers des outils empruntés
à la sociologie des organisations, une démarche perçue comme plus « opérationnelle » pour
comprendre les enjeux du sujet. D’abord initiée aux Etats-Unis, elle fut importée en France
par le travail de chercheurs dont Michel Crozier, ayant fondé le Centre de Sociologie des
Organisations. L’intérêt de cette posture est qu’elle permette de mettre en lumière les
interactions entre les acteurs ; en premier lieu au sein même d’une structure, comme ce fut
analysé initialement aux Etats-Unis dans des établissements industriels, puis progressivement
entre les organisations en intégrant les logiques de coopération et de conflit et les phénomènes
de domination, de rationalité ou de pouvoir2.
De nombreux travaux ont permis de décrypter ces phénomènes à l’échelle de l’action
publique locale, et de révéler des mécanismes de régulation des relations entretenues sur un
territoire donné. Différentes grilles de lecture du territoire et du système politico-administratif
1
2
Voir en annexe : liste des entretiens semi-directifs réalisés
GARRAUD Philippe, Cours de Sociologie des organisations, IEP de Rennes, septembre-décembre 2015
18
local ont été développées, prenons l’exemple de travaux de Patrice Duran et Jean-Claude
Thoenig1 qui identifient des cycles d’action publique à travers les mutations de la place de
l’Etat dans la gestion publique territoriale.
A l’aune de ces travaux préexistants, l’objectif de cette étude est de discerner les interactions
public-privé et les relations de dépendance, d’influence, de coopération entre les acteurs
agissant sur le territoire. La mobilisation de notions dérivées de la sociologie des
organisations sera utile pour comprendre ces phénomènes, et notamment la formation d’un
réseau d’action publique dans le secteur de l’IAE. Nous aurons justement recourt au concept
de réseau ou policy network explicité entre autres par l’analyse de Patrick Le Galès et Mark
Thatcher2 ; et par ailleurs à la notion de gouvernance appliquée à l’échelle de la zone
d’emploi de Rennes.
Cependant, les fondements de l’action ne sont pas basés sur les seuls intérêts croisés et
interactions entre acteurs, déconnectés de la perception même du problème. On croisera donc
l’approche organisationnelle avec une perspective cognitive. En effet, d’après Pierre Muller :
« Chaque politique passe par la définition d’objectifs qui vont eux-mêmes
être définis à partir d’une représentation du problème, de
ses conséquences et des solutions envisageables pour le résoudre. La
définition d’une politique publique repose sur une représentation de la
réalité qui constitue le référentiel de cette politique3 »
L’angle de recherche adopté résulte un autre parti-pris : celui de ne pas réaliser d’étude
sociologique approfondie sur les profils des personnes éloignées de l’emploi suivant un
parcours en IAE. La première raison de ce choix est une question de faisabilité. Cette enquête
aurait en effet supposé de nombreux entretiens qualitatifs supplémentaires avec des personnes
en insertion, assortis de questionnaires et d’observations ethnographiques ; avec tout l’enjeu
de constituer un panel « représentatif » et d’être en capacité d’interpréter les résultats.
Cette voie a donc été écartée, pour une seconde raison contenue dans l’hypothèse suivante :
l’étude des représentations et comportements des acteurs publics et privés contribuant au
1
THOENIG Jean-Claude, DURAN Patrice, « L'État et la gestion publique territoriale », Revue française de
science politique, 46ᵉ année, n°4, 1996. pp. 580-623.
2
LE GALES Patrick, THATCHER Mark, (dir.), Les réseaux de politiques publiques. Débat autour des policy
networks, Paris, L’Harmattan, « Logiques politiques », 1995, 272 p.
3
MULLER Pierre, « Référentiel », In BOUSSAGUET Laurie et al. Dictionnaire des politiques publiques, Paris,
Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), «Références », 2014, p.555-562.
19
développement des entreprises d’insertion et la nature de leurs interactions, permettrait de
comprendre les enjeux et caractéristiques des parcours des personnes en insertion.
Cette explication est notamment guidée par une remarque de Robert Castel formulée dans son
ouvrage Les métamorphoses de la question sociale, certes à propos d’un contexte et d’une
époque différents mais qui peut faire sens ici : « le cœur de la problématique des exclus n’est
pas là où on trouve les exclus »1.
On peut penser que cette problématique réside dans l’étude d’un périmètre plus large
d’acteurs influant sur la vision de l’action publique : « le processus par lequel une société
expulse certains de ses membres oblige à s’interroger sur ce qui, en son centre, impulse cette
dynamique »2.
La première partie de cette recherche entend reprendre les étapes qui ont jalonnées la
construction des entreprises d’insertion. Cela suggère de remettre l’IAE dans une certaine
profondeur socio-historique (chapitre 1) pour comprendre les idées et valeurs qui ont portées
sa création. Les idées se sont transformées en actions concrètes et en une structuration du
secteur, faisant intervenir une multitude d’acteurs tant publics que privés (chapitre 2). De
manière plus récente, les entreprises d’insertion ont dû se professionnaliser pour poursuivre
leur développement, dans un contexte économique et institutionnel en évolution (chapitre 3).
La seconde partie entend se focaliser sur les parcours des personnes en insertion et la façon
dont les acteurs coopèrent et se représentent les enjeux de chaque phase : le recrutement des
salariés en insertion (chapitre 1), leur accompagnement au sein de la structure (chapitre 2), et
enfin l’évaluation du dispositif lors de la fin de l’expérience en structure d’IAE (chapitre 3).
1
2
CASTEL Robert, op.cit., p108.
Ibid.
20
PARTIE
I - Le modèle
d’entreprise d’insertion :
PREMIÈRE
PARTIE
au cœur d’une gouvernance partenariale et
Le modèle d’entreprise d’insertion
: au cœur d’une
territorialisée
gouvernance partenariale et territorialisée
Les premières entreprises d’insertion par le travail sont créées « à la marge » des
dispositifs « classiques » d’action publique de lutte contre le chômage. Ainsi le contexte de la
naissance de l’insertion par l’activité économique indiquerait qu’il y avait une divergence des
représentations sur l’insertion, ainsi que sur les moyens à mettre en œuvre afin de permettre le
retour vers l’emploi pour des personnes qui en sont éloignées.
En suivant notre première hypothèse, on peut supposer que les acteurs ont alors agi en
fonction de leurs rationalités propres afin de satisfaire leurs idéaux et objectifs. Même si
certains élus et collectivités locales ont accompagné la création de certaines structures d’IAE,
à la fois par conviction et intérêt pour le territoire, ce ne serait pas dans le cadre d’une
impulsion globalement partagée mais plutôt territorialisée.
La gouvernance qui se noue dans le secteur de l’IAE pourrait être qualifiée de partenariale :
l’interdépendance entre les acteurs majeurs du secteur est substantielle. En effet, les structures
d’IAE ont besoin de l’appui des pouvoirs publics, tant dans la reconnaissance de statuts
légaux que dans l’octroi de financements. Les pouvoirs publics quant à eux voient aussi un
intérêt grandissant à l’égard de l’IAE, perçu progressivement comme un outil de lutte contre
le chômage et les exclusions. Des relations partenariales semblent donc s’être instituées et
vont constituer un réseau d’action publique. Le but est de répondre et coordonner les intérêts
de chacun, sans pour autant qu’ils ne s’accordent au départ sur des référentiels communs
autour de l’insertion.
Plus généralement, les structures d’IAE ont dû « faire leurs preuves » en se
professionnalisant, et ont ainsi été progressivement légitimées, reconnues et promues.
21
Chapitre 1.
INSTITUTIONNALISATION DES STRUCTURES
D’INSERTION PAR L’ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE
Les structures d’IAE se sont instituées graduellement, au rythme d’interactions
multiples avec les pouvoirs publics. A travers une comparaison avec les cycles d’action
publique dominants identifiés par Patrice Duran et Jean-Claude Thoenig, nous pouvons
supposer que le secteur de l’IAE s’est construit à la fois en résistance et avec les différents
modes de régulation de l’action publique.
Il s’agira donc de montrer en quoi les instruments d’action utilisés révèlent des divergences de
conception de la gestion du chômage et de l’insertion. Pour cela, il nous faudra observer d’une
part les motivations des acteurs à l’initiative de l’insertion par le travail, en les remettant dans
une certaine profondeur historique ; et d’autre part les aboutissements de leurs actions, c’està-dire comment leurs convictions se sont transformées en structures d’IAE fonctionnelles.
Pour qualifier la portée des structures d’IAE à leurs débuts, on pourrait dire qu’elles ont été –
en sont d’ailleurs toujours – des vectrices d’expérimentations ancrées sur les territoires.
A. NAISSANCE D’INITIATIVES LOCALES (1960-1970)
1. De nouvelles expérimentations pour dépasser les limites de l’Etat
social
Si aujourd’hui une pluralité d’acteurs publics comme privés prennent part à la
construction de l’action publique sur un territoire, ce n’a pas toujours été le cas. Le modèle
d’action publique à l’œuvre dans les années 1960 en France est celui de la régulation croisée
dans les relations entre le centre et la périphérie1.
L’expression de « régulation croisée » tend à insinuer que l’Etat et les collectivités locales
entretiennent des relations d’influences et d’interdépendance. Mais en l’occurrence, même si
une négociation est engagée avec les collectivités locales c’est l’Etat qui détient l’essentiel des
capacités d’action :
1
THOENIG Jean-Claude, DURAN Patrice, art.cit., p. 583.
22
« Dans la France des années 1950-1960, le pilotage des politiques publiques
se trouve dans les mains de l'État. Mais si celui-ci maîtrise centrale - ment
l'agenda, et par là les modalités de définition des problèmes publics et les
programmes d'action, il négocie localement la mise en œuvre de ses
politiques à l'aide de deux ressources essentielles : l'allocation d'argent, et
l'émission de règles juridiques liée en particulier à la montée du pouvoir
réglementaire1 »
Les territoires sont davantage considérés comme supports de l’action publique que lieu de
conception de l’action publique. Sachant que les programmes d’action sont définis au niveau
national, les politiques publiques tendent à être unificatrices et appliquées sensiblement de la
même manière quelque soit l’hétérogénéité des réalités locales.
Dans un contexte de plein-emploi, de croissance et de profusion de l’Etat providence, les
questions des exclusions puis de l’insertion ne sont pas encore inscrites à l’agenda politique.
Surtout, la régulation croisée comme mode de gestion publique territoriale voit poindre des
limites. Tout d’abord cela contribue à une mise en concurrence des territoires pour l’obtention
de ressources par l’Etat, plus qu’à une coopération. On peut ensuite facilement imaginer que
ces types de politiques publiques puissent être inadaptés aux réalités locales :
« La verticalisation des politiques et la segmentation des enjeux
privilégient la réalisation d'équipements et d'infrastructures posés sur le
sol au hasard des allocations décidées par l'État et mal intégrés entre
eux2 »
Enfin, les acteurs tiers présents sur le territoire : société civile, entreprises, associations…,
contribuent peu à l’action publique. Ils sont plutôt résolus à une position de relative
« passivité » dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques bien qu’ils en
soient les premiers concernés. Pour dépasser ces limites, l’enjeu est de pouvoir
progressivement réintroduire dans la conception de l’action publique les préoccupations des
acteurs du territoire.
C’est dans cette dynamique que s’inscrivent les premières expérimentations
d’insertion par le travail dans les années 1960-1970, qui prennent le contre-pied du modèle
d’action publique dominant et remettent en cause les modes d’intervention sociale d’alors.
1
2
Ibid. p. 584.
Ibid., p.587.
23
Ainsi, sont lancés en 1965 des ateliers de travail informels puis en 1970 les premières
« entreprises sociales » liées aux centres d’hébergement et de réadaptation sociale (CHRS).
Ces premières initiatives ont un ancrage territorial fort et sont plus adaptées aux spécificités
locales. Les entreprises intermédiaires, futures entreprises d’insertion, vont par exemple se
positionner sur des activités alors à faible valeur ajoutée et encore non exploitées telles que le
traitement des déchets. Ce sont par essence des activités non délocalisables. D’abord non
reconnues par les pouvoirs publics, ces expérimentations naissent de manière diffuse et sous
différentes formes sans être connectées ni organisées nationalement.
L’insertion par le travail se créé donc à partir de visions renouvelées de ce que devrait être
l’action publique autour de la gestion de l’exclusion et du chômage, tant dans ses principes
que ses modes d’action.
2. De l’assistance à l’autonomie: une nouvelle vision de l’action
sociale et de l’insertion
Au-delà de modes d’action plus territorialisés qui prennent en compte un intérêt
général « local » voire « localisé » et non plus national, c’est surtout sur la vision de l’action
sociale que les expériences d’insertion par le travail sont novatrices. Elles prennent l’envers
des moyens d’action « classiques » et militent en faveur d’une action sociale moderniste. Il
semble y avoir un réel engagement idéologique autour de l’insertion qui s’institue, pour
dépasser le caractère unificateur des politiques publiques nationales :
Les développements de l'État-providence ont été caractérisés par une
intense activité de production selon des normes standardisées. On a
produit des routes et des logements comme on a produit des règles et des
allocations. (…) Il n'est pas surprenant que les débats de l'époque se
soient déroulés sur les thèmes connexes de la technocratie et de la
désidéologisation1.
C’est dans la perception de la personne que les représentations sont éloignées. Les personnes
à l’initiative des expériences d’insertion par le travail sont réunies par la dénonciation d’une
action sociale qualifiée de clivante et stigmatisante. Dans les années 1970, ils s’opposent par
1
THOENIG Jean-Claude, DURAN Patrice, art.cit., p.591.
24
exemple au concept de « handicap social » utilisé pour justifier les pratiques d’insertion, à
l’instar de la circulaire 44 du 10 septembre 19791.
Au contraire, les expériences d’insertion par le travail souhaitent replacer la personne dans sa
globalité au cœur de l’action sociale en favorisant son autonomie, plutôt que son assistance
provoquée par les modes d’action sociale dominants :
L’insertion par le travail fut avant tout des manières de critiquer et de
transformer le travail social, vecteur malgré lui d’assistance, mais aussi de
remettre en cause l’Etat social, accusé de provoquer la passivité des
citoyens2.
Les personnes en difficulté qui intègrent les nouvelles entreprises sociales, participent
activement à l’organisation de la structure et sont responsabilisées. Elles sont promues au rang
d’acteurs de leur parcours et dans leur environnement, et non plus simples récepteurs ou
bénéficiaires d’une aide publique minimale.
Ces dispositifs permettent donc d’accompagner des personnes en difficulté, sans céder à la
fatalité d’un certain darwinisme social, qui incube la faute à celui-même qui est dans un
processus d’exclusion. Au contraire, l’insertion par le travail scande que « Nul n’est
inemployable ! ». Le prochain enjeu étant d’orienter chaque personne vers forme d’IAE
adaptée. C’est pour cela que diverses expériences d’IAE sont créées dans les années 1970.
Elles vont progressivement se coordonner pour clarifier un secteur qui comporte des
structures très diversifiées, puis vont être légalisées et reconnues dans la décennie suivante.
B. ACQUISITION DE STATUTS JURIDIQUES (1980-1990)
L’insertion par le travail a tout d’abord été développée de manière autonome en dehors
de cadre légaux définis au préalable. On peut dire que les premières SIAE sont porteuses
d’innovation sociale sur les territoires. Les pouvoirs publics se saisissent petit-à-petit de ces
expérimentations, comme un outil des politiques de lutte contre les exclusions.
1
Circulaire n°44 du 10 septembre 1979 du Ministère de la santé et de la sécurité sociale relative à l’organisation
du travail des handicapés sociaux. Elle distingue des « handicapés sociaux » des handicapés sensoriels,
physiques ou mentaux.
2
EME Bernard, « Petite histoire de l’insertion par l’économique », in L’insertion par l’activité économique,
« Alternatives économiques », poche n°44, Paris, 2010, p. 18-20.
25
Un processus de reconnaissance, de légalisation et de généralisation du modèle de l’IAE est
alors en marche dans les années 1980-1990. Il est provoqué par la constitution de l’exclusion
en problème public ; mais suscite de nombreux débats entre les représentants des pouvoirs
publics, et les travailleurs sociaux et autres initiateurs de l’insertion par l’économique. En
effet, chacun porte des représentations divergentes sur les dispositifs et les publics accueillis.
En prenant garde à ne pas se réduire à une vision simplificatrice, nous pouvons émettre
l’hypothèse que l’intérêt naissant des pouvoirs publics pour les dispositifs d’IAE est porté sur
un aspect davantage économique lié à la création d’emplois ; pendant que l’essence de l’IAE
provient de fortes convictions liées à une vision « sociale » prégnante.
1. L’exclusion constitué en problème public
Les initiatives d’insertion par le travail sont nées d’après l’augmentation du nombre de
personnes en voie de marginalisation. Ces phénomènes sociaux sont pointés du doigt, et
contribuent ainsi à lancer une plus vaste réflexion autour de l’exclusion:
« une phase de problématisation [s’engage], au cours de laquelle un
certain nombre d’acteurs vont être amenés à percevoir une situation
comme « anormale » et vont la qualifier d’une manière particulière, qui
peut être susceptible d’appeler l’attention d’un acteur public1 »
Dans la phase de genèse de l’action publique et d’identification d’un problème, Pierre Muller
et Yves Surel mettent en exergue l’importance du langage et des récits élaborés par les
acteurs, c’est-à-dire de leurs perceptions cognitives de la situation. Ici en l’occurrence, la
notion qui est employée afin de qualifier les phénomènes de marginalisation identifiés est
celle d’exclusion. Ce concept, bien que polysémique, désigne selon Jérôme Ballet2 une mise à
l’écart et un enclavement dans le chômage.
L’ouvrage Les Exclus : un français sur dix de René Lenoir3, au titre volontairement
provocateur, déclenche en 1974 la diffusion de la notion d’exclusion sociale, et par la même
occasion une prise de conscience des mécanismes qui mènent à l’ « inadaptation sociale ». Ce
terme, ou celui de « handicap social », sont des appellations qui sont reprises dans les
premiers textes relatifs aux initiatives d’insertion par le travail. Le terme d’exclusion semble
alors refléter les publics les plus marginalisés : « les délinquants, les toxicomanes, les
1
MULLER Pierre, SUREL Yves, op.cit., p.56-57.
BALLET Jérôme, op.cit., p.5.
3
LENOIR René, Les exclus : un français sur dix, Paris, Seuil, 1974, 175 p. cité dans BALLET Jérôme, op.cit.
2
26
alcooliques, les chômeurs…1 », et ce sont vers ces publics que l’insertion par le travail semble
se diriger initialement. On peut d’ailleurs penser que cette rhétorique utilisée est à l’origine de
certaines représentations faussées et prénotions sur ce qu’est un parcours en insertion
aujourd’hui.
Le public en insertion a en effet considérablement évolué depuis les premières
expérimentations. Les dispositifs d’insertion ont été ouverts à une population plus large,
passant du vocable de personne marginalisée à celui de chômeur de longue durée ou plus
largement personne éloignée de l’emploi. Cette ouverture et généralisation des dispositifs
d’IAE a été permise par l’appel lancé aux acteurs publics sur la question de l’exclusion, et
d’autres facteurs l’ont érigée au rang d’enjeu majeur.
Dans le contexte français des années 1980, l’importante montée du chômage de longue
durée et du chômage chez les jeunes ont agi comme des indicateurs significatifs et
révélateurs. Il y aurait une certaine corrélation entre cette prise de conscience et la naissance
d’un volontarisme politique envers l’insertion, et plus précisément le secteur de l’IAE. En
effet tant que le chômage restait relativement faible, les structures d’insertion par le travail
restaient elles aussi marginales2. Cependant, au-delà d’une visibilité croissante du phénomène
d’exclusion dans la société et auprès des pouvoirs publics, l’important est d’observer quelle
fut la réaction des pouvoirs publics à cet enjeu grandissant. Pierre Muller et Yves Surel
formulent une mise en garde :
« [les] éléments déclencheurs font le plus souvent que publiciser un
problème plus ou moins latent et restent dépendants de la réception et de
l’usage que vont en faire les acteurs concernés, qu’ils soient publics ou
privés »
L’instauration du RMI en 19883 démontre d’un certain volontarisme gouvernemental en
faveur de l’insertion et tend à favoriser le développement des activités d’IAE, car le RMI
entre dans la même démarche de favoriser l’autonomie des personnes plutôt que la passivité.
2. Reconnaissance juridique progressive et légitimation des SIAE
Petit-à-petit les pouvoirs publics ont permis un élargissement des dispositifs
d’insertion, qui ne plus seulement orientés vers les jeunes ou les publics les plus marginalisés
1
BALLET Jérôme, op.cit., p.22
BALLET Jérôme, op.cit., p. 21-23.
3
Loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988 instaurant le Revenu Minimum d’Insertion (RMI)
2
27
bien au contraire. Ceci est le fruit d’un processus de reconnaissance juridique qui a contenu
plusieurs phases successives.
L’histoire des différentes structures d’IAE existantes aujourd’hui1 est étroitement liée. Ce
présent travail étant orienté vers le fonctionnement des entreprises d’insertion, nous ne
traiterons pas de manière aussi approfondie l’avènement des autres types de structures.
 Un développement de l’insertion par l’économique autonome
Dans le courant des années 1970, les initiatives d’insertion par le travail sont encore
marginales et le secteur est déjà hétérogène. Les structures s’appuient sur des interventions
territoriales, certains élus locaux et collectivités territoriales étant proactifs sur la question.
La circulaire de 1979 de la Direction générale de l’action sociale2 vient tout de même apporter
un premier élan et soutien à ce secteur naissant en créant un cadre légal aux initiatives d’IAE.
Une première tentative de distinction entre les pratiques d’insertion est émise3 :
-
L’on distingue alors d’une part l’insertion durable en créant un cadre de vie de
substitution qui est réservé aux personnes handicapées physiques ou mentales, et se
déploie aujourd’hui notamment par les Etablissement d’aide par le travail (ESAT).
-
D’autre part, la circulaire met en exergue l’insertion dite « de transition » vers le
marché du travail, ce qui représente aujourd’hui le secteur de l’IAE, et est lui réservé à
des personnes en difficulté éloignées de l’emploi.
 Mise en place de programmes expérimentaux en direction des jeunes
Le constat est grandissant dans les années 1970 : la formation ne conduit pas forcément à
l’emploi et une période de transition se créé entre les deux4. Les politiques d’emploi d’alors
axées sur la promotion de stages de formation ne suffisent plus, et encore moins dans un
contexte de hausse du chômage notamment chez les jeunes :
Les jeunes représentent, en réalité, depuis longtemps une fraction très
importante des chômeurs, mais le nombre de chômeurs âgés de moins de
25 ans franchit la barre du million en 1984. Leur part dans le chômage de
longue durée tend elle vers 30%5.
1
Les SIAE étant : les Entreprises d’Insertion (EI), les Entreprises de Travail Temporaire d’Insertion (ETTI), les
Associations Intermédiaires (AI), les Ateliers et Chantiers d’Insertion (ACI)
2
Circulaire n°44 du 10 septembre 1979 ; qui encourage notamment à la création de Centres d’Adaptation à la vie
Active (CAVA)
3
BALLET Jérôme, op.cit., p.21-22
4
DUBAR Claude, op.cit., p. 23-36
5
BALLET Jérôme, op.cit., p.23.
28
De nouvelles expérimentations en matière d’insertion sont alors lancées, sous l’impulsion du
rapport Schwartz1 qui préconise, en 1981 la création de Missions locales pour l’insertion
professionnelle et sociale des jeunes. Les apports de Bertrand Schwartz contribuent ainsi à
légitimer politiquement les pratiques d’insertion à l’échelle nationale. En effet, la définition
des Missions Locales au sein du Code du travail2 mentionne que « Toute personne de seize à
vingt-cinq ans révolus en difficulté et confrontée à un risque d’exclusion professionnelle a
droit à un accompagnement ».
Dans cette dynamique, les années 1980 sont le signe du développement des entreprises
intermédiaires3. Plusieurs règles sont posées pour garantir le bon fonctionnement de ces
entreprises et l’articulation entre sa mission économique et sociale. La durée maximale du
parcours en insertion est fixée à 18 mois ; le taux de ressources propres de l’entreprise doit
être au minimum de 50% dans les trois ans après la création.
Si l’insertion par l’économique accède donc une certaine reconnaissance, elle semble dans
une certaine mesure perdre en autonomie par cette entrée dans le giron des autorités
politiques. Le gouvernement se saisit de la question de l’insertion dans la mesure où le
chômage de masse se constitue en problème public. Cependant, il entretient des
représentations différentes sur le traitement du chômage. En 1986, le gouvernement de
Jacques Chirac stoppe le programme expérimental qui soutenait les entreprises
intermédiaires4 et encourage le développement économique plutôt que l’insertion par
l’économique comme dispositif de lutte contre le chômage.
Le secteur de l’IAE ne reste pas immobile pour autant. Bien au contraire, plusieurs types de
structures se distinguent pour s’adapter à la diversité des publics éloignés de l’emploi. Un
effort de clarification est réalisé dans les années 1990.
 Structuration d’un secteur hétérogène au gré d’impulsions politiques
C’est un tournant dans le modèle d’action publique, qui s’opère dans les années 1980-1990.
Puisqu’on ne parvient pas à expliquer et gérer nationalement tous les effets du chômage de
masse, la solution serait de faire appel davantage aux territoires. Ceux-ci voient leurs
compétences s’élargir avec les lois de décentralisation en 1982, et deviennent des
1
SCHWARTZ Bertrand, « L’insertion professionnelle et sociale des jeunes », rapport au premier ministre, Paris,
La Documentation Française, 1981, 146 p.
2
Article L. 322-4-17-1 du Code du travail
3
Encouragé par la Circulaire du 24 avril 1985 relative au programme expérimental de soutien aux entreprises
intermédiaires
4
BAUDET-CAILLE Véronique, op.cit., 116p.
29
« laboratoires » de l’action publique, dans la mesure où la voie d’ouvre à de multiples
expérimentations. Les territoires deviennent lieux de conception de l’action publique, et non
plus seulement des lieux supports chargés de la mise en œuvre de politiques publiques. Les
expériences d’IAE entrent bien dans ce cadre puisqu’elles sont ancrées territorialement.
L’échelle nationale contribue à émettre un cadre juridique pour mener ces expérimentations et
délivre de grandes orientations. C’est ainsi que les différentes SIAE reconnues officiellement
et peuvent prendre de l’ampleur.
En 1987 sont tout d’abord légalisées les associations intermédiaires1 puis vient le tour des
entreprises d’insertion en 19912, héritières des entreprises intermédiaires mises en sommeil
entre 1986 et 1988. La même année sont promulguées les entreprises de travail temporaire
d’insertion3, qui à la différence des AI accueillent des publics déjà plus stabilisés. Avec la
montée des phénomènes d’exclusion, des ateliers et chantiers d’insertion se développent à la
même période afin de resocialiser les personnes les plus vulnérables que les entreprises
d’insertion ne sont pas en capacité d’accompagner.
La diversité de ces structures reflète la grande hétérogénéité parmi les personnes en situation
de chômage ou en voie d’exclusion. L’IAE tend à être considérée comme un réel dispositif de
lutte contre le chômage, tel que l’illustre la création du CNIAE4 – le Conseil National de
l’Insertion par l’Activité Economique – qui renforce la démarche d’insertion par
l’économique et sa reconnaissance généralisée.
« Progressivement, le secteur [de l’IAE] n’a plus seulement été considéré
comme un sas vers l’emploi ordinaire, mais aussi comme un instrument
de cohésion sociale, de développement local, d’amélioration des
conditions de vie5 »
Cette reconnaissance est parachevée par la loi de lutte contre les exclusions en 1998 6 qui
inscrit les SIAE dans le Code du travail1, permet un encadrement renforcé, et alloue des
1
Loi n° 87-39 du 27 janvier 1987 portant diverses mesures d’ordre social et décret du 30 avril 1987 instituant les
associations intermédiaires
2
Loi n° 91-1 du 3 janvier 1991 tendant au développement de l'emploi par la formation dans les entreprises, l'aide
à l'insertion sociale et professionnelle et l'aménagement du temps de travail, permettant la reconnaissance légale
des entreprises d’insertion
3
Loi n° 91-1405 du 31 décembre 1991 relative à la formation professionnelle et à l’emploi, instituant les
Entreprises de Travail Temporaire d’Insertion (ETTI)
4
La création du CNIAE est le résultat des conclusions d’un rapport rendu par Claude Alphandéry, « Les
structures d’insertion par l’activité économique », La Documentation Française, 1990
5
ALPHANDERY Claude, [interview], in L’insertion par l’activité économique, « Alternatives économiques »,
poche n°44, Paris, 2010, p. 11-13.
6
Loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions
30
moyens supplémentaires au secteur. La loi institue notamment le système de
conventionnement avec l’Etat, le système d’agrément délivré par l’ANPE ainsi que les
Conseils Départementaux de l’Insertion par l’Activité Economique (CDIAE), ce qui renforce
le pilotage local.
Le secteur de l’IAE est devenu à travers ce processus de reconnaissance légale et de
légitimation politique un acteur clé au sein des politiques de lutte contre le chômage. Les
phénomènes de marginalisation et d’éloignement de l’emploi deviennent de plus en plus
fréquents dans les années 1990. La prise en compte et l’accompagnement de ces populations
devient un enjeu majeur, ce qui justifie l’ouverture vers les acteurs de l’IAE pour contribuer à
la lutte contre les exclusions.
C. L’IAE : VERS UN INSTRUMENT D’ACTION PUBLIQUE RECONNU
DANS LES ANNÉES 2000-2010
Après un développement autonome puis une institutionnalisation progressive, l’IAE a
considérablement évoluée : le fonctionnement d’une entreprise d’insertion aujourd’hui n’est
en rien comparable aux premières formes d’insertion par le travail des années 1970. Même si
le secteur est désormais soutenu par les pouvoirs publics, que ce soit auprès de l’Etat à travers
le conventionnement ou auprès des collectivités territoriales, l’IAE a tout de même dû faire
preuve de son efficacité. La collaboration entre les différents acteurs n’était pas innée.
1. Une efficacité financière de l’IAE démontrée
L’ancienneté de certaines entreprises d’insertion permet d’avoir du recul sur leurs
résultats. Le bilan est positif : elles sont globalement performantes sur leurs secteurs d’activité
respectifs sans pour autant négliger le projet social d’insertion. La performance économique
est notamment liée au choix de secteurs d’activité porteurs et qui étaient au départ non
concurrentiels. Les entreprises d’insertion ont su dégager des compétences et métiers sur ces
secteurs qui sont ensuite devenus attractifs et rentables. Cela a contribué à leur solidité
financière.
Mais les projets sociaux d’insertion et d’accompagnement peuvent subsister sans le concours
des pouvoirs publics au financement des structures. L’objectif est donc de démontrer aux
pouvoirs publics que l’IAE permet une « activation des dépenses passives » de l’Etat, c’est1
Le statut des Ateliers et Chantiers d’Insertion (ACI) comme SIAE ne sera reconnu qu’en 2005 avec la Loi n°
2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale
31
à-dire que le dispositif est un investissement public efficace. L’ensemblier Ressources T qui
regroupe les entreprises Envie sur le bassin rennais, indique avoir généré 3,4€ de recettes
publiques sous forme d’impôts, taxes et charges salariales pour 1€ de subvention reçue1. Ce
calcul de rentabilité au bénéfice de l’Etat est bien évidemment variable selon les entreprises,
années et secteurs d’activité, mais il permet de prouver l’efficacité financière du dispositif.
Pour autant, le financement de l’Etat en direction de l’IAE n’a pas connu un regain massif à
l’annonce de ces conclusions. Après 18 ans de présidence du CNIAE, le Conseil National de
l’Insertion par l’Activité Economique, Claude Alphandéry formule un bilan nuancé du secteur
et indique que « l’IAE a réussi à prendre sa place et à être reconnue. Mais, dans le même
temps, les progrès sont fragiles et on ne nous a as donné les moyens de changer d’échelle2. »
Aussi, l’orientation des financements de l’Etat est difficilement prévisible dans les années à
venir, et dépend de multiples facteurs. Séverine Husson3 émettait plusieurs hypothèses à ce
propos lors d’un entretien. Dans le scénario d’une réelle reprise économique, l’investissement
de l’Etat en faveur de l’IAE serait peut-être en baisse ; ou au contraire c’est peut-être à ce
moment que l’IAE serait d’autant plus essentielle afin de mettre en adéquation les
demandeurs d’emploi avec les besoins des entreprises. Dans tous les cas de figure, poursuitelle : « On a besoin de l’IAE, les entreprises d’insertion ont d’ailleurs montré tout leur intérêt
dans l’innovation économique ».
Les entreprises d’insertion sont porteuses d’un réel dynamisme territorial. Elles sont
également perçues comme un levier potentiel de lutte contre le chômage, et instrument
d’action publique. Cela nécessite l’intégration des acteurs de l’IAE dans le modèle de
régulation de l’action publique.
2. Vers une « ouverture du jeu collectif4 » ?
A l’aube des années 2000, l’heure n’est plus à une croissance économique telle que
dans les années 1960, qui avait vu une intervention accrue de l’Etat à travers l’Etat
providence. L’avènement d’un chômage de masse et l’institutionnalisation des structures
d’IAE montrent qu’une intervention centralisée de l’Etat dite « top-down », régulée par une
1
BOUJARD Daniel, Plaquette de présentation de Ressources T, éditorial [en ligne], 2013, [consulté le
17/12/2015], disponible sur : http://www.ressources-t.org/
2
ALPHANDERY Claude, [interview], art.cit., p. 11-13.
3
Responsable Service Emploi, Unité Territoriale 35 de la DIRECCTE
4
Expression utilisée par Jean-Claude Thoenig et Patrice Duran dans leur article L'État et la gestion publique
territoriale, in Revue française de science politique, 46ᵉ année, n°4, 1996. p590 ; afin de décrire les mutations
des modèles d’action publique et de gouvernance suite au modèle de la régulation croisée dominant dans les
années 1960.
32
négociation croisée dominée par l’Etat dans les relations centre-périphérie n’est plus suffisant.
Au contraire, l’innovation sociale et économique provient des territoires. Des mutations
majeures dans les modes de régulations de l’action publique sont opérées :
« succède progressivement [au pilotage centralisé par l’Etat] un autre
mode de gouvernance et de pilotage, pluraliste, ouvert et différencié, dont
l’épicentre se situe autour du traitement territorialisé des problèmes, et
qui opère au moment de la définition des enjeux et de la mobilisation des
acteurs nécessaires à leur appropriation1 »
Ce nouveau mode de gouvernance plus territorialisé et permettant l’inclusion d’acteurs tiers –
privés et associatifs – dans la définition des problèmes publics semble être le processus le plus
proche du fonctionnement du secteur de l’IAE.
Les contributions des collectivités locales et acteurs tiers sont recherchées et valorisées2, car il
semble difficile que l’Etat puisse, de manière hégémonique et uniforme, réguler de tels
dispositifs. Il peut pourtant en avoir la tentation : depuis quelques années, un troisième mode
de régulation se dévoile, qui consiste en une déterritorialisation de l’action publique.
Autrement dit, l’Etat tend à « piloter les territoires à distance », et donner davantage
d’orientations à l’échelle nationale.
Mais dans les entreprises d’insertion semblent conserver une grande latitude d’action et
autonomie. Dans le recrutement de leurs salariés par exemple, elles pourraient se voir imposer
un « fléchage des publics » à embaucher plus strict,
de manière indirecte à travers le
processus d’agrément délivré par Pôle Emploi. Or, ce n’est pas une hypothèse vérifiée.
« L’entreprise d’insertion n’a aucune raison de faire une action spécifique envers un type de
public, elle promeut l’égalité », m’a déclaré Benoît Cafaro3.
Finalement, toute tentative de déterritorialisation de l’action publique semble limitée dans le
champ de l’IAE. Les SIAE ont développé de forts tissus de relation sur ses territoires
d’implantation. Les activités d’insertion ne sont pas délocalisables, et l’action publique est
conçue localement, même si elle dépend évidemment du cadre énoncé nationalement. C’est
pourquoi « l’ouverture du jeu collectif » semble aussi essentielle. La collaboration entre des
acteurs tant publics que privés dans la construction de l’action publique invite par conséquent
à la formation de réseaux d’action publique.
1
THOENIG Jean-Claude, DURAN Patrice, art.cit., p.590.
Ibid., p.608
3
Responsable d’agence, entreprise d’insertion Tribord.
2
33
Chapitre 2.
CONSTITUTION D’UN RÉSEAU D’ACTION
PUBLIQUE DANS LE CHAMP DE L’IAE
L’histoire du secteur de l’IAE montre qu’une grande interdépendance s’est structurée
entre les acteurs publics et privés concernés. Entreprises d’insertion, service public de
l’emploi, collectivités territoriales, prescripteurs tel que la mission locale, administration
déconcentrée de l’Etat… Toutes ces parties-prenantes sont liées et interagissent fréquemment
pour le bien fondé de l’insertion. Il est possible d’analyser ces interactions comme le résultat
de la formation d’un réseau d’action publique, défini par Patrick Le Galès de la manière
suivante :
« Dans un environnement complexe, les réseaux sont le résultat de la
coopération plus ou moins stable, non hiérarchique, entre des
organisations qui se connaissent et se reconnaissent, négocient, échangent
des ressources et peuvent partager des normes et des intérêts. Ces réseaux
jouent alors un rôle déterminant dans la mise sur agenda, la décision et la
mise en place de l’action publique1. »
Bien qu’il s’agisse d’une notion aux contours abondamment discutés2, elle semble pertinente
dans notre cas afin d’interpréter les relations entre acteurs et la gouvernance formée dans le
champ de l’insertion. La profusion du concept de réseau d’action publique fait écho aux
mutations d’un l’Etat qui serait devenu plus « fragmenté » dans les années 1970. L’Etat
n’est plus hégémonique et les acteurs tiers et collectivités territoriales acquièrent une plus
grande capacité de négociation. L’enjeu est de comprendre comment ces nouvelles marges de
manœuvre sur la scène locale vont se structurer, se coordonner, s’organiser.
Comment qualifier le mode de gouvernance formé ? Les acteurs concernés agissent-ils en
fonction de leurs rationalités propres, ou partagent-ils un champ cognitif commun autour de
ce qu’est, et devrait être les dispositifs d’insertion ?
Il semble que les entreprises d’insertion et collectivités locales ont des intérêts convergents,
qui expliquent la mise en place d’un réseau d’action publique relativement stable et intégré.
D’où la tentation de qualifier la gouvernance de « partenariale », c’est-à-dire fonctionnelle
et basée sur du pragmatisme. Cela ne signifie pas pour autant que les représentations sur
l’insertion soient tout autant convergentes.
1
2
LE GALES Patrick, THATCHER Mark, op.cit., p14.
Ibid.
34
A. UN MAILLAGE D’ACTEURS TRÈS DENSE
1. Un volontarisme politique dans l’accompagnement des SIAE
Différentes collectivités territoriales ont joué un rôle majeur dans le soutien à la
création de structures d’IAE et sont toujours des acteurs clés, tant à travers des aides
financières au fonctionnement que par un volontarisme politique dans la promotion du
secteur. On peut cependant émettre une première réserve et hypothèse : ce volontarisme
pressenti serait davantage localisé que national, où un élan massif de soutien vers l’IAE est
beaucoup moins évident.
Pourquoi certaines collectivités territoriales tiennent ce rôle proactif ? A l’heure d’un
fonctionnement plus décentralisé de l’action publique et de relations plus horizontales entre
acteurs, les acteurs publics locaux auraient tout intérêt à nouer des relations de coordination :
Pour des raisons de légitimité et donc de responsabilité, il leur faut bien
répondre aux problèmes qui se posent sur leur territoire. Proches du
territoire, elles sont proches des problèmes. Prises dans une logique de
circuit court, elles sont immédiatement sensibles à l'interconnexion des
phénomènes sociaux et donc à la nécessité de promouvoir une approche
intégrée1.
En effet, les collectivités locales ont obtenu progressivement des champs de compétences
élargis. Le département joue notamment un rôle clé en matière d’IAE d’après sa mission de
lutte contre les exclusions. Le département Ille-et-Vilaine a été territoire d’expérimentation
avant la généralisation du RSA2, m’indique Jean-Yves Praud3. Il poursuit en expliquant
l’intérêt des dispositifs d’IAE dans le cadre des missions allouées au Conseil Départemental :
« Avec un nombre de bénéficiaires du RSA ne cessant de croître, le
regard qu’on avait sur l’IAE est devenu encore plus actif. Pour nous, une
des façons de remettre les demandeurs d’emploi de longue durée dans un
circuit permettant de sortir de cette situation, cela correspondait bien aux
vocations du département par rapport à la lutte contre les exclusions ;
mais c’était aussi un effort indispensable si on voulait essayer de maîtriser
l’enveloppe sans cesse croissante que le RSA représentait au niveau du
département ».
1
THOENIG Jean-Claude, DURAN Patrice, art.cit., p.596-597.
RSA : Revenu de Solidarité Active
3
Conseiller Général, puis Vice-président chargé de l’Economie Sociale et Solidaire et de l’insertion 2008-2015,
Conseil Départemental 35 (anciennement Conseil Général)
2
35
L’IAE a donc une double vertu : elle correspond aux valeurs humaines portées par le
département et répond également à un intérêt économique. C’est pourquoi le département
continue d’encourager les initiatives permettant de remplir les objectifs de lutte contre les
exclusions, dont les entreprises d’insertion. La région également, d’après sa compétence sur
le développement économique semble avoir tout intérêt à soutenir les entreprises d’insertion,
vectrices de création d’emplois et de richesses sur le territoire.
Les collectivités territoriales seront donc gagnantes si elles favorisent la formation d’un
réseau d’action publique locale dans le champ de l’insertion, en y incluant les entreprises
d’insertion. En effet, au-delà d’être un simple outil d’action publique, de tels acteurs privés
sont essentiels dans la mise en œuvre des politiques publiques : « Créer des emplois ne se
décrète pas, mais dépend de la décision discrétionnaire des entreprises1. »
Le dialogue entre partenaires est donc devenu plus que jamais vital, puisqu’une multitude
d’acteurs est concernée par des politiques publiques devenues plus transversales. Le défi est
désormais de mettre en place un réseau d’action publique structuré et nouer le dialogue. Il faut
trouver des moyens de construire collectivement l’action publique. Pour cela, l’Etat donne
simplement le cadre :
« [La puissance publique] intervient pour l'essentiel par la formulation de
politiques constitutives. (…) Elle se contente de définir des procédures
qui servent de contexte d'action sans que soit présupposé pour autant le
degré d'accord et d'implication des acteurs retenus2 »
En matière d’insertion certaines collectivités territoriales semblent proactives, à l’instar de
Rennes Métropole à travers la mise en place d’un Plan Local pour l’Insertion et l’Emploi
(PLIE), grâce à la concertation entre divers acteurs dont l’Etat, les collectivités locales, les
acteurs sociaux et économique. Les PLIE « sont des plateformes partenariales de proximité et
des outils d’animation et de mise en œuvre des politiques d’emploi et d’insertion au profit des
publics éloignés de l’emploi3. »
La création de ce type d’instances d’échange et de coopération de la sorte est une autre facette
du volontarisme politique affiché par les collectivités territoriales en faveur de l’IAE, qui
investissent le cadre proposé par l’Etat et permettent de structurer le réseau d’action
1
THOENIG Jean-Claude, DURAN Patrice, art.cit., p.596.
Ibid. p.601-602.
3
Rapport du Conseil de Rennes Métropole N°C 14.437 du 20 novembre 2014 relatif au Développement
économique – Emploi – Plan Local pour l’Insertion et l’Emploi (PLIE) – Protocole d’accord 2014-2020 [en
ligne], [consulté le 7/03/2016], disponible sur : http://bit.ly/1Zol7bY
2
36
publique : « L’intervention d’un PLIE participe ainsi à la mise en cohérence des interventions
publiques au plan local afin de favoriser l’accès ou le retour à l’emploi de personnes en
difficulté ».
Une illustration encore plus précise de la constitution d’un réseau d’action publique
concernant l’IAE est la remarquable coordination nécessaire dans le recrutement des
personnes en insertion.
2. Une étroite coordination dans le processus de recrutement de
personnes en insertion
Les entreprises d’insertion perçoivent des fonds publics notamment sous la forme
d’aides au poste, afin de permettre l’embauche de personnes moins qualifiées sur les postes et
les accompagner et former au sein de l’entreprise. Par ce projet social, les entreprises
d’insertion entretiennent des liens nécessaires avec le service public de l’emploi via Pôle
Emploi ainsi qu’avec les administrations déconcentrées de l’Etat via la DIRECCTE.
Le processus de recrutement fait intervenir de nombreux acteurs qui doivent nécessairement
collaborer. Reprenons le chemin parcouru par une personne qui souhaite réaliser un parcours
en IAE :
1. La personne doit tout d’abord savoir si elle est éligible au dispositif en faisant rédiger
une fiche d’opportunité qui est un premier diagnostic d’orientation, auprès de son
conseiller Pôle Emploi ou d’un autre prescripteur tel que la Mission Locale. Si cette
fiche d’opportunité est réalisée par un autre prescripteur que Pôle Emploi elle doit être
validée administrativement par Pôle Emploi ;
2. Il faut ensuite faire une demande d’agrément Pôle Emploi, qui ouvre une période de
deux ans pendant lesquels il est possible de réaliser un parcours en structure d’IAE ;
3. Une fois l’agrément obtenu la personne peut déposer des candidatures auprès de
structures d’IAE et signer un Contrat à Durée Déterminée d’Insertion (CDDI)
Si on se met désormais à la place d’une entreprise d’insertion, celle-ci doit également interagir
avec plusieurs acteurs publics afin de pouvoir recruter des personnes en insertion :
1. La structure doit tout d’abord être conventionnée ou obtenir son renouvellement en
tant que SIAE pouvant accueillir des personnes en insertion auprès de la DIRECCTE,
représentante de l’Etat. A ce titre la structure se voit allouer un certain nombre
d’équivalents temps plein (ETP) qui détermine à la fois le montant de l’aide au poste
37
qu’elle va percevoir et donc le nombre de personnes en insertion qu’elle va pouvoir
embaucher ;
2. Lorsque l’entreprise d’insertion dispose de postes à pourvoir elle a l’obligation morale
de les déposer parmi les offres de Pôle Emploi. Elle reçoit ensuite les candidats
envoyés par les prescripteurs et réalise son recrutement. En cas de refus d’un candidat,
la structure formule dans l’idéal un retour aux prescripteurs afin d’améliorer les
futures recommandations.
3. Enfin, l’entreprise d’insertion doit rédiger des bilans et expliquer ses résultats,
notamment en termes de sortie vers l’emploi, lors du dialogue de gestion annuel mené
par la DIRECCTE en présence de Pôle Emploi.
On constate que le processus de recrutement est très différent et plus complexe que pour toute
entreprise classique. Pour permettre le fonctionnement de l’IAE, un simple dialogue semble
insuffisant. Il convient de nouer des relations partenariales avec une étroite coopération
pour fluidifier le système et produire les ajustements nécessaires.
B. DE L’INSTAURATION DU DIALOGUE A DES RELATIONS PARTENARIALES
1. Convergence des intérêts des acteurs concernés sur la question de
l’emploi
Une des difficultés soulignée par Benoît Cafaro1 est qu’il existe différents niveaux
d’une politique publique qu’il convient d’articuler : le niveau d’élaboration de la stratégie
d’action publique par les représentants de l’Etat via la DIRECCTE ou Pôle Emploi par
exemple ; et le niveau opérationnel de la politique à l’échelle localisée, par les structures
d’IAE et les prescripteurs. Or, entre ces niveaux il existe des discours et positionnements
variables vis-à-vis de l’insertion.
Malgré tout, tous semblent avoir des intérêts en commun autour du parcours des personnes en
insertion. L’objectif convergent est d’accompagner et permettre un retour et maintien dans
l’emploi de personnes qui en étaient éloignées. Même si en interne les acteurs qu’ils soient
publics ou privés n’ont pas des représentations exactement similaires de l’insertion, la visée et
démarche sont partagées. Ceci qui renforce le besoin d’instaurer des relations partenariales
solides. Il y a un faible intérêt à de la concurrence bien au contraire :
1
Responsable d’agence, entreprise d’insertion Tribord
38
« Le besoin de coordination est fonction du degré d'interdépendance
existant entre les parties d'un système inter-organisationnel. La perception
que les acteurs ont de cette interdépendance devient donc cruciale. (…) Si
le système n'est plus fondé sur une interdépendance essentiellement
d'ordre vertical, il n'est pas non plus d'ordre horizontal stricto sensu1. »
Sachant qu’il existe de fortes interdépendances de fait dans le champ de l’IAE, une
coordination est nécessaire incluant les différentes parties prenantes. Ceci justifie pleinement
la signature et mise en œuvre d’un accord-cadre de coopération entre l’Etat représenté par la
Direction Générale à l’Emploi et à la Formation Professionnelle (DGEFP), Pôle Emploi et les
SIAE, en mars 20152. En me présentant cette démarche, Zénaïde Péron3 m’indique que le
récent accord est en phase d’être décliné en région.
On peut imaginer qu’à travers ces accords c’est une volonté d’un meilleur pilotage, de plus de
fluidité et d’interconnaissance entre les acteurs du secteur qui est mise en exergue. Dans le
préambule de l’accord de 2015, on peut lire que l’accord-cadre « doit être un levier pour
améliorer les processus opérationnels, sécuriser et enrichir les parcours les salariés en
insertion au sein des SIAE sur le territoire. » Il est également avancé un effort à produire en
termes de gouvernance, de coordination et de clarification des attentes de chacun. Le principal
objectif de l’accord-cadre est d’ « optimiser la mise en œuvre opérationnelle de l’IAE et à
intensifier la coopération entre les partenaires en s’appuyant sur leur complémentarité et
leurs savoirs faire ».
Pour réaliser cet objectif, plusieurs instances de travail et de coordination sont mises en valeur
et redynamisées :
-
les Comités Techniques d’Animation (CTA) menés par Pôle Emploi, afin d’optimiser
le suivi effectué par les structures auprès des personnes en insertion ; et
-
les Conseils Départementaux d’Insertion par l’Activité Economique (CDIAE) en lien
avec le CNIAE4, qui détermine un plan d’action stratégique et assure à la fois une
mission de pilotage et d’organe consultatif dans la gestion des conventionnements et
des fonds départementaux
1
THOENIG Jean-Claude, DURAN Patrice, art.cit., p.599.
Accord-cadre entre l’Etat, Pôle Emploi et les réseaux de l’IAE, mars 2015, [consulté le 16/04/2016], disponible
sur : http://bit.ly/24Cro7t
3
Responsable Insertion par l’activité économique, DLA et ESS, Pôle entreprises, emploi et économie – AREFP,
DIRECCTE Bretagne
4
CNIAE : Conseil National de l’Insertion par l’Activité Economique
2
39
Tout ce travail de mise en relation et coordination entre les acteurs publics et en insérant dans
le dialogue partenarial les représentants des SIAE, démontre un réel effort des partiesprenantes pour promouvoir davantage d’efficacité et de synergies dans les dispositifs d’IAE.
Cependant, cela invite à se questionner sur l’essence même de cette démarche. Elle ne semble
pas signifier qu’il existe une vision partagée par tous sur l’IAE. Ainsi que le soulignent JeanClaude Thoenig et Patrice Duran1 :
« La volonté de négocier se nourrit davantage d'impératifs gestionnaires
que de projets politiques. (…) Elle ne traduit pas non plus le retrait massif
de l'État par rapport à la gestion publique territorialisée. Elle est un effort
pour agir à travers le pilotage d'interdépendances et d'échanges avec un
tissu partenariat élargi et diversifiable. »
2. Une certaine forme de concurrence subsistante ?
De par leurs statuts, fonctions et objectifs propres, les entreprises d’insertion n’ont pas
les mêmes représentations du public en insertion que Pôle Emploi, qui est une agence de
placement, ou que la Mission Locale qui procure un accompagnement personnalisé à des
jeunes de moins de 26 ans. On peut penser a priori que des situations de concurrence ou de
conflit sont plausibles entre ces acteurs, notamment en ce qui concerne les prescriptions :
chacun ne va pas forcément orienter les mêmes publics vers un parcours en insertion2.
Sylvie Bernard-Griffiths3 me fait noter que de telles situations de conflit ont pu exister par
exemple entre des prescripteurs et Pôle Emploi. Ce dernier sortait en quelques sortes de son
rôle en émettant des avis de fond sur la fiche d’opportunité réalisée par la Mission Locale ou
d’autres prescripteurs. Dans les textes, Pôle Emploi doit se contenter de vérifier qu’il n’y ait
pas de critères administratifs dérogatoires à un parcours en insertion4.
Cependant, de telles situations de désaccord sont en réalité assez rares. Tous les partenaires de
l’IAE communiquent entre eux au moindre doute sur une fiche d’opportunité ou autre élément
d’hésitation sur le profil d’une personne en insertion. Hamon Fichou5 me souligne ces fortes
interconnexions. La mission locale travaille en étroite collaboration avec Pôle Emploi
notamment, notamment dans la création des dossiers.
1
THOENIG Jean-Claude, DURAN Patrice, art.cit., p.616.
Le traitement plus approfondi de cet enjeu est l’objet du chapitre 1 de la partie II
3
Référente IAE Rennes et Ille-et-Vilaine, Pôle Emploi
4
Par exemple, Pôle Emploi va vérifier si la personne n’a pas déjà réalisé un parcours d’IAE auparavant, et donc
déjà utilisé ses deux ans d’agrément disponibles et non renouvelables.
5
Conseiller à la mission locale de Rennes
2
40
Plusieurs acteurs rencontrés lors d’entretiens s’accordent à dire que les relations entre
entreprises d’insertion, Pôle Emploi et autres partenaires se sont améliorées. Si chacun reste
dans son rôle et champ d’attributions, les risques de conflits sont minimisés, d’autant plus si le
dialogue est constructif comme le mentionne Séverine Husson1 à propos du fonctionnement
du Conseil Départemental de l’Insertion par l’Activité Economique (CDIAE):
« Il y a besoin de discussion, mais il y a toujours des points d’entente. On
a l’habitude de travailler ensemble et de s’écouter. Le CDIAE est une
instance qui selon moi fonctionne très bien, avec une confiance mutuelle
et réciproque, et où nous avons des débats très riches. »
Finalement, malgré certaines divergences qui sont inévitables lorsque l’on se situe sur un
réseau d’action publique avec autant d’acteurs différents, « c’est le bien-être de l’usager qui
passe en premier » selon Hamon Fichou, tout comme pour Sylvie Bernard-Griffiths : « on
essaie de faire en sorte que chacun soit dans son droit, et que les choses se fassent dans
l’intérêt des salariés en IAE, dans une idée de parcours en insertion ».
Parmi les acteurs concernés par le champ de l’insertion c’est donc la coopération qui semble
primer sur la concurrence. Cependant, des relations de coopération sont efficaces si et
seulement si chaque acteur prend connaissance et conscience des intérêts de ses partenaires
dans la discussion : un défi à relever dans le secteur très hétérogène de l’IAE.
C. L’INTERCONNAISSANCE COMME ENJEU MAJEUR
1. Des freins persistants
« La mise en compatibilité [des diverses parties prenantes] signifie qu'au
minimum chacun prend en compte l'existence des intérêts de l'autre, ce
qui se traduit par la reconnaissance de la position du partenaire.2 »
L’optimisation des dispositifs d’IAE suppose que les acteurs publics prennent en
considération les enjeux propres aux entreprises d’insertion (et vice-versa), notamment dans
leurs impératifs de rentabilité économique, alors qu’elles sont placées comme toute autre
entreprise sur le champ concurrentiel. Bien que de nombreux acteurs publics soient conscients
des spécificités du modèle d’entreprise d’insertion, certains freins persistent et peuvent créer
des blocages ou ralentissements dans les relations partenariales public-privé.
1
2
Responsable Service Emploi, Unité Territoriale 35 DIRECCTE
THOENIG Jean-Claude, DURAN Patrice, art.cit., p.600
41
L’hétérogénéité entre les structures d’IAE est un premier frein à une connaissance aboutie
du modèle. Les différences sont tout d’abord conséquentes entre les types de structures
d’insertion : chantiers d’insertion, associations intermédiaires, entreprises de travail
temporaire d’insertion, entreprises d’insertion ne recrutent pas sur les mêmes critères, ont des
contrats et temps de travail variés, des aides différentes, etc.1 Mais les disparités sont
également grandes entre les entreprises d’insertion, qui connaissent des réalités très
différentes selon leur secteur d’activité, le public accueilli qui peut comporter plus ou moins
de jeunes, de femmes, de primo-arrivants sur le territoire français. Cela conduit à des
problématiques internes à l’entreprise contrastées. Il y a donc un important coût d’entrée pour
comprendre les tenants et aboutissants de l’IAE.
Ensuite, même lorsque le modèle d’entreprise d’insertion est bien assimilé il demeure des
obstacles à une optimalité de la coopération, lié aux modes d’action et contraintes
différentes des acteurs. Par exemple, la temporalité sera variable que l’on se positionne du
point de vue d’une entreprise ou d’un acteur public. Alors que celle de l’entreprise est plus
basée sur le rythme annuel d’un exercice comptable, celle d’un élu peut être dépendante du
calendrier électoral.
De ce fait, lorsque Ressources T est en déficit de conducteurs poids lourds et propose de
mettre en place une expérimentation afin de faire obtenir à des candidats la qualification Fimo
nécessaire à ce poste, la négociation dure deux ans avant d’obtenir un accord, car les
partenaires locaux ne disposaient pas du pouvoir de décision2.
Ces quelques exemples montrent qu’il existe des incompréhensions ou freins à une
connaissance optimale des préférences des acteurs, ici des entreprises d’insertion. Ceci est lié
au fait que la prise de décision rationnelle n’existe pas. Celle ci elle supposerait une prise en
compte de toutes les contraintes dans un univers de transparence quasi-totale3.
Les acteurs disposent plutôt d’une rationalité limitée ; c’est-à-dire que l’information peut
être incertaine, les préférences des acteurs fluctuantes et les décisions sont prises selon une
certaine conjoncture. Il est quand même possible de réduire au maximum les incertitudes sur
les préférences des acteurs. C’est pourquoi dans le champ de l’IAE de nombreux efforts
tendent à produire une meilleure interconnaissance entre acteurs.
1
Voir en annexe les différences majeures entre SIAE (tableau)
Entretien avec M. BLOT Ludovic, directeur général, Ressources T
3
GARRAUD Philippe, Cours de Sociologie des organisations, Chapitre 3 : outils théoriques classiques de la
sociologie des organisations, des acteurs aux systèmes d’action, IEP de Rennes, septembre-décembre 2015
2
42
2. Un grand effort d’ouverture réalisé
« Partager la connaissance territoriale de l’IAE pour engager des actions
communes », tel est l’axe 1 de l’accord-cadre national signé en mars 2015 entre l’ensemble
des partenaires de l’IAE. L’interconnaissance entre les acteurs est un élément transversal de
ce texte. Il insiste sur le partage de l’analyse des besoins sur le territoire, sur le renforcement
des liens entre prescripteurs et SIAE ou encore sur le déploiement d’une meilleure visibilité
de l’IAE. Cela signifie bien que la communication et le partage d’expériences sont des enjeux
clés du développement des dispositifs d’IAE dans les années à venir, ce qui semble essentiel
dans tout fonctionnement en réseau d’action publique. La « coopération obligatoire conduit à
la communication obligatoire » indiquent Jean-Claude Thoenig et Patrice Duran :
« se protéger par la non-communication représente un jeu perdant. Qui ne
communique pas n'est pas au courant des affaires. Se cacher fait peu de
sens. La qualité des relations avec des tiers, la capacité de jouer en
commun deviennent vertueuses. La négociation s'ouvre. Lorsque
personne ne détient seul la clé d'un problème, l'informel se révèle
légitime. Jouer le partenariat permet de mutualiser les risques,
refuser l'ouverture conduit à la marginalisation1 »
Dans le bassin d’emploi de Rennes plusieurs efforts d’ouverture ont donc été réalisés dans le
but de promouvoir plus d’interconnaissance entre acteurs concernés par l’IAE : les
prescripteurs, entreprises d’insertion, le public en insertion...
Des journées portes-ouvertes des entreprises d’insertion sont organisées afin que les
conseillers Pôle Emploi et autres prescripteurs comprennent mieux les réalités et enjeux de
l’entreprise. Anne-Gaëlle Mangin m’informait que des campagnes de communication sont
menées par Rennes Métropole2 conjointement avec la Maison de l’Emploi, de l’Insertion et de
la Formation Professionnelle (MEIF). Pôle Emploi co-organise également avec la MEIF une
semaine de l’IAE en septembre.
« Mais c’est un chantier toujours en cours ! » déclare Sylvie Bernard-Griffiths3. Le
secteur de l’IAE est constamment en évolution et s’est notamment professionnalisé au cours
de ses années d’existence, ceci étant dû aux spécificités du modèle et notamment aux
1
THOENIG Jean-Claude, DURAN Patrice, op.cit. p.603
Chargée de mission IAE – P.L.I.E., Rennes Métropole / MEIF (Maison de l’Emploi, de l’Insertion
professionnelle et de la Formation).
3
Référente IAE Rennes et Ille-et-Vilaine, Pôle Emploi
2
43
impératifs de rentabilité économique. Cela requiert de la part de l’ensemble des acteurs une
connaissance mise à jour régulièrement de ces évolutions.
Pour conclure, l’ensemble des acteurs concernés par le champ de l’IAE semble avoir
formé et entretenir un réseau d’action public intégré et relativement stable, ce qui entre
dans l’intérêt de tous. En effet, leurs interactions sont liées au partage d’un objectif commun :
accompagner les personnes éloignées de l’emploi dans leur parcours d’insertion.
Partant de ce postulat, on peut se demander qu’en est-il de la position des entreprises
classiques vis-à-vis de l’insertion ? A son origine l’IAE était accusé par certains de produire
une forme de concurrence déloyale à l’égard des autres entreprises classiques du fait des aides
publiques perçues.
C’est une vision complètement dépassée aujourd’hui. Le paysage des SIAE a
considérablement évolué depuis les années 1970. Les entreprises d’insertion se sont
professionnalisées, légitimant leurs activités et incitant à la coopération aussi bien avec les
acteurs publics que privés afin de développer de nouveaux partenariats et secteurs d’activité,
toujours au service du projet social.
44
Chapitre 3.
PROFESSIONNALISATION DES ENTREPRISES
D’INSERTION
Les entreprises d’insertion ont connu des évolutions considérables jusqu’à
aujourd’hui. Leurs besoins et impératifs en termes de rentabilité économique les ont conduites
à effectuer des ajustements.
L’environnement économique a en effet évolué et les secteurs d’activité sur lesquels se
positionnent les entreprises d’insertion sont devenus de plus en plus concurrentiels. Elles ont
donc dû s’adapter aux nouvelles réalités économiques, et faire évoluer leurs formes de
gouvernance interne pour répondre plus efficacement aux enjeux de leur développement.
Pour autant, cette professionnalisation ne remet pas en cause l’essence du projet social, au
contraire. Mais cela met encore plus en exergue l’enjeu de l’interconnaissance précédemment
soulevé afin de faire progresser l’IAE avec l’ensemble des parties prenantes.
Dans la prolongation d’une idée de gouvernance partenariale, il faut de plus souligner le
déploiement de nouveaux modes d’action publique. L’émergence de nouvelles opportunités
pour les structures d’IAE, telles que les clauses sociales dans les marchés publics, font penser
à une densification des partenariats public-privé.
Ces initiatives interrogent sur les conditions d’une collaboration effective entre acteurs
publics et privés et par conséquent sur la possibilité – ou non – d’émanation de référentiels
communs sur l’insertion des personnes éloignées de l’emploi.
45
A. ADAPTATION INÉVITABLE AUX NOUVELLES RÉALITÉS
ÉCONOMIQUES
1. Mise en concurrence des entreprises, diversification des activités
et technicisation
A leurs débuts, les structures d’insertion par l’activité économique se développent sur
des secteurs estimés non rentables mais nécessitant de la main d’œuvre, tels que la
récupération et le traitement des déchets verts ou électroniques. Par leur manque de rentabilité
à l’époque, les entreprises classiques n’exploitaient pas ces secteurs. Les entreprises
d’insertion ont donc investi ces « niches » propices à leur extension et en quelques sortes
« montré la voie » à d’autres entreprises classiques.
Cette montée en concurrence peut aussi s’expliquer par le fait que des secteurs comme la
gestion des déchets soient devenus stratégiques et à fort potentiels. Les questions
environnementales ont graduellement été mises à l’agenda. L’un des premiers signaux ayant
été la publication du rapport Brundtland en 1987, qui énonce une définition du développement
durable comme un développement permettant de « répondre aux besoins du présent sans
compromettre la possibilité pour les générations à venir de satisfaire les leurs1 ».
Le contexte économique et le champ concurrentiel ayant évolués, les entreprises d’insertion
ont été invitées à se professionnaliser, impliquant à la fois une diversification des activités et
une adaptation des process existants. Ludovic Blot2 explique cet impératif :
« L’économique nous oblige à satisfaire nos clients dans un juste rapport
qualité-prix. C’est pas parce qu’on fait de l’insertion qu’on sera mieux
payé, ou qu’on nous demandera une qualité moindre ; voire, c’est plutôt
l’inverse comme il y a parfois un a priori négatif sur l’insertion, il faut
prouver qu’on est un petit peu meilleur que nos concurrents pour un prix
identique, au moins au démarrage. »
Les entreprises d’insertion développent bien leurs activités dans les mêmes conditions que les
autres entreprises. La qualité des produits et services ainsi que la satisfaction des clients sont
au cœur des enjeux cruciaux. Pour l’ensemble de ces raisons de nombreuses entreprises
d’insertion ont dû réagir et s’adapter.
1
BRUNDTLAND Gro Harlem, Rapport Brundtland, « Notre avenir à tous », Éditions du fleuve. 1987, [consulté
le 4/02/2016], version française disponible sur : http://bit.ly/1gE7Fkt
2
Directeur général, Ressources T
46
Cela est passé par une diversification des activités. Aujourd’hui, selon la Dares, les
entreprises d’insertion sont les seules structures d’IAE à se positionner sur des secteurs
d’activité aussi diversifiés que les entreprises classiques1. De nombreux métiers sont
représentés que ce soit dans l’agriculture, l’industrie, la construction, le tertiaire, le transportlogistique… Quasiment une embauche sur deux en entreprise d’insertion concerne un métier
dans les services à la collectivité (48 %) notamment dans la propreté et l’environnement
urbain (23 %). Sur le bassin d’emploi rennais, on peut par exemple mentionner le métier de
paysagiste représenté par l’entreprise d’insertion AJIEnvironnement qui obtient régulièrement
des contrats auprès de collectivités territoriales. Le transport et logistique correspondent
quant à eux à plus de 10 % des embauches. On peut cette fois mentionner les entreprises
d’insertion Envie Transport Bretagne ou Le Relais qui emploient plusieurs personnes en
insertion sur des postes de chauffeurs poids lourds.
A ce large panel de métiers présents est couplée une technicisation des activités au sein des
entreprises d’insertion. C’est-à-dire qu’elles vont rechercher à être plus performantes et
compétitives pour être concurrentielles d’une part, répondre aux exigences des clients d’autres
part ; et donc par répercussions faire perdurer le projet social. Concrètement cela passe par
une instauration de normes, de certifications, d’optimisation de l’activité. De cette manière,
plusieurs entreprises d’insertion telles que La Feuille d’Erable, se sont lancées dans une
démarche de certification avec l’obtention de la norme ISO 90012 afin de garantir la qualité de
leurs services et management ainsi que la confiance des clients et partenaires extérieurs.
Le nouveau contexte économique nécessite donc une adaptation permanente de la part
des entreprises d’insertion. Cela suscite une professionnalisation croissante à travers des
processus de normalisation, qualification de tous les salariés et diversification des activités.
Cependant, contrairement aux entreprises classiques, de multiples spécificités inhérentes au
projet social de l’entreprise d’insertion se trouvent au cœur de leur enjeu de performance
économique.
1
Rapport « L’insertion par l’activité économique en 2013 » [en ligne], Dares, op.cit.
Entretien avec Mme DELOURME Maëlle, chargée d’insertion, La Feuille d’Erable
Norme ISO 9001 délivrée par le groupe français AFNOR dans le cas de La Feuille d’Erable, ISO (International
Organization for Standardization) étant une fédération mondiale composée d’organismes nationaux de
normalisation.
2
47
2. Les spécificités des entreprises d’insertion dans la recherche de
nouvelles activités
L’exemple de la réflexion menée par les entreprises d’insertion dans la recherche de
nouvelles activités, montre combien le processus est différent voire inversé par rapport à une
entreprise classique. En effet, le développement économique doit entrer en résonnance avec
les requis du projet social d’insertion. Les salariés en contrats d’insertion sont présents de
manière temporaire et leur parcours dans la structure est censé agir comme un « tremplin »
vers l’emploi durable. Les métiers pratiqués doivent donc être vecteurs d’apprentissages
transférables vers d’autres secteurs d’activité ou opportunités d’emploi.
Pour illustrer ce propos, Ludovic Blot, directeur général de Ressources T, m’expose les
différentes étapes de la réflexion qui ont précédé le lancement d’une nouvelle activité : le
démantèlement de matelas. Dans cette idée de « réfléchir à l’envers », la première phase a été
d’étudier les manques en termes d’offres d’insertion sur le territoire, les perspectives de
sorties vers l’emploi et de création de passerelles vers d’autres domaines:
 Quels sont les secteurs qui recrutent ? Sur le territoire de l’Ille-et-Vilaine, le constat
est réalisé d’une forte présence du secteur de l’agroalimentaire
 Quels types de compétences seront recherchés ? Le respect des normes d’hygiène, la
maîtrise de conduite de lignes automatisées, le port de charges, l’adaptabilité, etc.
A partir de là, l’entreprise d’insertion réfléchit aux activités qu’elle peut mettre en place pour
permettre aux salariés d’acquérir ces types de compétences et se voir ouvrir des opportunités à
la fin du parcours en insertion. C’est ainsi qu’a été expérimenté puis lancé le démantèlement
de matelas, qui nécessite de la polyvalence, qui inclue une ligne de conduite automatisée, des
certifications ISO 9001, ISO 14001, ISO 18001 à respecter, etc. L’objectif étant de convaincre
des directeurs des ressources humaines du secteur de l’agroalimentaire que ces compétences
que sont bien transférables.
Suivant ce même schéma, d’autres perspectives de diversification des activités sont en
réflexion notamment dans le secteur tertiaire. La définition de nouvelles stratégies et activités
est bien étroitement liée aux besoins du projet social : « plus on est dans le rapport
économique, meilleur on est dans le social » indique Ludovic Blot, « L‘économique ne
prévaut pas, mais on le met au même niveau, là où historiquement le social était mis au
dessus de l’économique. »
48
Cette changement de perspective est rattachée à l’évolution de la figure du dirigeant
d’entreprise d’insertion, depuis la création de l’IAE jusqu’à aujourd’hui.
3. Transformation de la figure du dirigeant : du travailleur social au
gestionnaire d’entreprise
Le projet d’insertion des personnes éloignées de l’emploi a été l’essence de la création
des SIAE. L’aspect social est alors un pilier dominant dans les débats autour du
développement de l’entreprise. L’IAE s’inscrit dès ses débuts dans ce qu’on appelle
aujourd’hui l’économie sociale et solidaire, et donc adopte une position militante, qui replace
l’homme au cœur de la problématique économique1. Comme évoqué précédemment, les
premiers initiateurs de structures d’IAE sont des travailleurs sociaux, des éducateurs
spécialisés, qui n’ont pas forcément de formation de gestion d’entreprise.
Cependant, la solution apportée par les SIAE pour lutter contre le chômage et l’exclusion
passe nécessairement par l’économique, d’où son appellation. Sans perdre l’essence du projet
social initial, une autre façon de gérer les entreprises d’insertion apparaît progressivement
dans les années 1990.
C’est la « deuxième génération » de dirigeants. Ils sont toujours des éducateurs ou personnes
issues du travail social, mais qui se forment à la gestion d’entreprise. Le pilier économique,
moteur de l’activité et du projet d’insertion, prend un poids conséquent dans les débats pour
venir se positionner à l’équilibre avec le pilier social d’antan dominant. Cette première
transformation a pu susciter des remous au sein des entreprises d’insertion entre les initiateurs
de l’IAE et les nouveaux gestionnaires. Car au départ, l’aspect économique est perçu comme
un contrainte dans le projet social, il devient désormais utile.
Aujourd’hui, les entreprises d’insertion connaissent un nouveau virage et on peut dire qu’une
« troisième génération » de dirigeants est à l’œuvre à travers des « gestionnaires avec une
fibre humaniste2 ». Les deux piliers – le social et l’économique – sont considérés de même
importance. L’économique étant toujours une contrainte mais avant tout un moteur du projet
d’insertion. De cette dernière mutation de la vision de l’entreprise résulte une
professionnalisation inévitable de tous les salariés, qu’ils soient permanents ou en insertion.
1
2
BREGEON Philippe, « Histoire du réseau de l’insertion par l’activité économique », op.cit., p.10
Selon l’expression employée par M. BLOT Ludovic, directeur général, Ressources T
49
Pour l’illustrer cette professionnalisation, Ludovic Blot prend l’exemple du personnel
encadrant les équipes de salariés en insertion au sein Ressources T. Les encadrants ne sont pas
des travailleurs sociaux ou éducateurs comme cela avait pu être le cas par le passé. Ils sont
désormais des professionnels de leurs métiers, par exemple dans l’électroménager des anciens
salariés de Conforama, Darty ou Gitem qui sont formés à l’insertion : « On cherche à être le
plus professionnels possible car nos clients et la vie économique nous l’impose, et en faire
bénéficier en priorité à nos salariés en insertion ». L’activité économique est bien le support
et moteur du projet social. Sans cette performance et professionnalisme, l’entreprise ne
pourrait obtenir de si bons résultats en termes de taux de sortie vers l’emploi.
C’est une équation propre aux réalités de l’entreprise que les partenaires du réseau d’action
publique ne perçoivent pas toujours de la même façon. Afin de mettre en résonnance les choix
en termes de stratégie et de ressources humaines avec les représentations et modes d’action
des partenaires, les choix de gouvernance interne de l’entreprise sont importants.
L’exemple de Ressources T est à ce titre intéressant dans la mesure où le groupe a procédé en
2015 à une transformation en SCIC permettant une gouvernance plus élargie, incluant
notamment les collectivités territoriales dans les processus de décision.
B. DES FORMES RENOUVELÉES DE GOUVERNANCE INTERNE :
L’EXEMPLE DE RESSOURCES T
1. Insuffisances des formes de gouvernance précédentes
Il convient tout d’abord de souligner que toutes les formes juridiques sont possibles
pour une entreprise d’insertion, tel que l’indique l’article R. 5132-1 du Code du Travail. Il est
possible de se constituer tant en société anonyme (SA), en société coopérative ouvrière de
production (SCOP), ou en association régie par la loi du 1er juillet 1901…
Les choix réalisés dépendent de plusieurs facteurs tels que la taille ou de l’histoire de
l’entreprise, et sont justifiés selon ses besoins. C’est ainsi que le groupe Ressources T, qui
regroupe aujourd’hui les entreprises d’insertion Envie 35, Envie 2E Recyclage Bretagne, et
Envie Transport Bretagne, est passé d’un statut associatif à un statut de Société Coopérative
d’Intérêt Collectif (SCIC) fin 2015.
Les anciennes formes de gouvernances montraient en effet des limites. Jusqu’en 2011, quatre
associations existaient sur le bassin d’emploi de Rennes, un héritage de l’histoire du concept
50
d’entreprise Envie, qui s’est constitué depuis 19841 en réseau national d’associations à but
non lucratif2. Chaque structure d’Envie préservant son indépendance, l’évolution de la
gouvernance interne est bien évidemment possible. C’est pourquoi en 2011 est créé
l’ensemblier d’insertion Ressources T. En effet, l’existence de quatre associations créait des
risques en termes de ressources humaines car cela signifiait la coordination entre quatre
conseils d’administration, quatre présidents et parfois jusqu’à trois ou quatre contrats pour les
salariés permanents positionnés sur des postes transversaux aux structures3.
Le regroupement en un ensemblier d’insertion a permis une grande simplification : meilleure
lisibilité et communication interne et externe, mutualisation des services et création de
synergies, le soutien économique possible entre les structures.
Le Conseil d’Administration restait cependant incombé de grandes responsabilités avec des
dossiers techniques se complexifiant, notamment du fait de la professionnalisation de
l’entreprise qui implique par exemple des processus de certifications, de respect de normes.
De plus, les parties prenantes à l’entreprise dont les salariés ou les partenaires publics
n’étaient pas associées à la prise de décision sur les orientations majeures. Ces acteurs
pourraient pourtant contribuer efficacement au projet d’entreprise. C’est pourquoi une grande
réflexion a été relancée en 2013 sur la transformation possible vers une nouvelle forme de
gouvernance.
2. Le statut de SCIC : vers une inclusion de l’ensemble des parties
prenantes dans la prise de décision4
La démarche de transformation de la gouvernance a abouti au passage de Ressources T
au statut de SCIC actée depuis le 23 novembre 2015. L’objectif premier du groupe reste
inchangé : il s’agit de permettre et consolider l’insertion par le travail pour des personnes
éloignées de l’emploi via une activité économique pérenne et en association avec les
différents partenaires publics et privés ancrés sur le territoire. Ce sont les moyens pour
atteindre cette finalité qui changent sous le nouveau statut de SCIC.
1
Fédération Envie, site internet, [consulté le 14/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1WdMd7N
Envie 35, site internet, [consulté le 14/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1q4sgSR
3
Entretien avec M. BLOT Ludovic, directeur général, Ressources T
4
Entretiens réalisées avec M. BLOT Ludovic, directeur général, Ressources T et M. MORLET François,
membre du Conseil d’Administration, Ressources T
2
51
La démarche promue est celle de « d’entreprendre ensemble », c’est-à-dire en rapprochant les
multiples partenaires concernés et en créant des lieux d’échanges et d’expérimentations car
on estime que chacun peut apporter des contributions mutuelles enrichissantes. Si chacun
comprend mieux la complexité des dispositifs d’IAE ainsi que leur intérêt et portée, alors les
prescriptions seront plus adaptées, et les projets pourront êtes développés au plus proche des
besoins identifiés sur le territoire...
C’est pourquoi Ressources T souhaite associer la myriade d’acteurs à l’échange et la prise de
décision. Cela a mené à la création de six collèges disposant chacun d’un pouvoir de vote
pondéré selon une répartition qui soit la plus pertinente possible.
Salariés de
Ressources T (20%)
Salariés des
entreprises Envie
Disposant d’un pouvoir de décision de 40%, la part des salariés dépasse
le caractère seulement symbolique, et leur attribue une réelle
implication et responsabilisation ; sans pour autant leur incomber le
poids entier des orientations stratégiques de l’entreprise.
(20%)
La situation de l’entreprise ayant beaucoup évoluée en quelques
Personnes qualifiées
années, les décisions stratégiques se sont complexifiées. La nouvelle
(bénévoles, fondateurs)
gouvernance permet de ne pas reposer toutes les responsabilités sur les
(30%)
bénévoles du Conseil d’Administration. Ils restent bien présents, afin
de délivrer leur regard expérimenté et garantir l’essence du projet social
L’objectif est notamment d’inviter Rennes Métropole à intégrer ce
collège, afin de collaborer concrètement sur les politiques d’emploi et
d’insertion, tout en ayant une réelle vision politique. Pourraient s’y
Collectivités
publiques
(10%)
joindre aussi le Conseil Régional et le Conseil Départemental.
L’intérêt est d’optimiser les réseaux de relations existants et faciliter la
prise de décision, de consolider les partenariats, d’avancer plus
rapidement en montrant que les entreprises d’insertion sont des acteurs
proactifs d’expérimentation sur les territoires. Les problématiques
peuvent être croisées, tel que le thème de l’accueil des primo-arrivants
sur le territoire français par exemple.
Partenaires privés
De la même manière, l’objectif d’associer des potentiels employeurs
employeurs (10%)
ainsi que des partenaires de l’ESS (d’autres entreprises d’insertion par
Partenaires privés
exemple) est de faciliter la compréhension mutuelle des enjeux et de
de l’ESS (10%)
créer des rapprochements, par exemple entre l’insertion et le handicap.
52
Cette démarche vise donc à constituer un réseau d’action publique encore plus intégré que ce
que nous avons pu observer à travers la constitution historique du secteur de l’IAE. Dans cette
transformation, l’association de partenaires publics directement au cœur du projet d’entreprise
est un élément majeur de changement.
L’interconnaissance est un processus toujours en cours d’approfondissement. De multiples
modes d’actions permettent de dévoiler le potentiel des structures d’IAE. La transformation
de Ressources T en SCIC en est un exemple et une possibilité. L’introduction des clauses
sociales dans les marchés publics en est une autre.
C. INTRODUCTION DE CLAUSES SOCIALES DANS LES MARCHÉS
PUBLICS
L’action publique en matière de retour à l’emploi et d’insertion passe en partie par une
démarche partenariale avec des acteurs privés tels que les SIAE. Ceci est perçue comme
nécessaire d’après des évolutions des modes d’action publique :
Si l'on reconnaît aujourd'hui les mérites d'une gestion publique
partenariale par une sorte de glissement d'un État-tuteur vers un Etatpartenaire, une telle évolution n'est pas tant dictée par une volonté
d'approfondissement de la démocratie que par les nécessités mêmes de
politiques publiques dont le succès passe de plus en plus souvent par la
participation des acteurs privés1.
Le processus d’interconnaissance en cours mène à une meilleure compréhension des SIAE, et
la professionnalisation des structures permet de les considérer comme de réels outils d’action
publique. Désormais, les acteurs publics sont en mesure de donner une réelle impulsion à
l’IAE et contribuer à la mission d’intérêt général d’insertion des personnes éloignées de
l’emploi, en permettant l’instauration de « clauses sociales » dans les marchés publics.
1. Intérêts du dispositif : un levier considérable pour l’IAE
L’article 5 du Code des marchés publics impose à tout acheteur public de prendre en compte
dans la définition des besoins les objectifs du développement durable, lesquels incluent le
développement écologiquement soutenable, le développement économique, la protection de
1
THOENIG Jean-Claude, DURAN Patrice, art.cit., p 614-615.
53
l’environnement et le progrès social1. L’insertion professionnelle des personnes éloignées de
l’emploi relève de ces objectifs.
Au sein de ces contrats, les donneurs d’ordres publics – l’Etat, les collectivités territoriales,
les intercommunalités, les bailleurs sociaux – peuvent donc faire le choix d’insérer des
clauses sociales dans leurs appels d’offre et donc contraindre les entreprises à y répondre.
Deux dispositions majeures sont utilisées. Soit il s’agit d’une clause sociale d’exécution2,
c’est-à-dire que l’entreprise qui répond à l’appel d’offre doit consacrer un volume horaire de
travail à la réalisation d’une action d’insertion professionnelle pour les publics éloignés de
l’emploi. Soit l’insertion est un critère de choix de l’entreprise3 dans l’attribution du
marché au même titre que le prix ou les délais d’exécution. Le potentiel de ces dispositions est
considérable : l’ensemble des marchés publics représente un total de 96 514 contrats en 2013,
pour un montant de 71,5 millions d’euros4.
Les SIAE sont des acteurs clés dans les politiques d’emploi et d’insertion, mais elles
deviennent aussi à travers ces clauses sociales des partenaires économiques pour les
entreprises et acteurs publics. Elles peuvent être choisies pour accomplir les heures ou la
mission d’insertion prévues par la clause.
Néanmoins, pour que les clauses sociales deviennent de réels leviers d’insertion plusieurs
conditions doivent être exaucées. L’intermédiation et la coopération entre tous les partenaires
engagés semble fondamentales, ce qui fait écho à l’existence d’un réseau d’action publique
intégré et stable. Pour ce faire il existe sur chaque territoire des facilitateurs des clauses
sociales, notamment au sein des PLIE5 et Maisons de l’Emploi6.
1
Article 5 du Code des marchés publics ; réformé par l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux
marchés publics, qui reste cependant dans la continuité et confirme la nécessaire prise en compte des objectifs de
développement durable dans les marchés publics.
2
Article 38 de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics : « Les conditions
d’exécution d’un marché public peuvent prendre en compte des considérations relatives à l’économie, à
l’innovation, à l’environnement, au domaine social ou à l’emploi, à condition qu’elles soient liées à l’objet du
marché public » ; disposition anciennement régie par l’article 14 du Code des marchés publics : « Les conditions
d'exécution d'un marché ou d'un accord-cadre peuvent comporter des éléments à caractère social ou
environnemental qui prennent en compte les objectifs de développement durable en conciliant développement
économique, protection et mise en valeur de l'environnement et progrès social. »
3
Article 52 de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics ; disposition
anciennement régie par l’article 53 du Code des marchés publics
4
Recensement de l’achat public exercice 2013 [en ligne], Observatoire économique de l’achat public, Ministère
de l’économie, de l’industrie et du numérique, [consulté le 20/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1XdMDuq
5
PLIE : Plan Local pour l’Insertion et l’Emploi
6
Entretien avec Mme MANGIN Anne-Gaëlle, Chargée de mission IAE – P.L.I.E., Rennes Métropole / MEIF
(Maison de l’Emploi, de l’Insertion professionnelle et de la Formation)
54
2. Mise en œuvre : une utilisation sous-optimale des clauses
Malgré une montée en puissance du recours aux clauses sociales dans les marchés
publics depuis leur introduction, ce levier d’insertion semble encore faiblement exploité par
rapport au potentiel que cela pourrait atteindre… Seuls 6,1 % des marchés publics supérieurs
ou égaux à 90 000 euros HT possèdent une clause sociale1. Le dispositif semble pourtant
prometteur, tant pour les publics en insertion qui voient de nouvelles opportunités se créer que
pour les entreprises dont les SIAE qui accroissent leur potentiel de développement ou que
pour les acteurs publics qui remplissent une mission d’intérêt général.
Seulement, la mise en œuvre suppose des clauses sociales suppose un fort volontarisme
politique. Les maîtres d’ouvrages les plus actifs pour le moment et qui montrent une grande
implication sont les communes (28 % des contrats), les bailleurs sociaux (24 %) et les EPCI
(12 %)2, et vont parfois au-delà des minimas indiqués en termes d’heure d’insertion.
L’entreprise d’insertion AJIEnvironnement collabore beaucoup avec ces collectivités locales
sur les espaces verts : « Il y a des communes et communautés de communes qui ont du
courage, et qui vont jusqu’à où la législation le permet, c’est du bonheur », indique Frank
Lepeinteur3. Mais selon lui de manière plus générale les donneurs d’ordre publics ne vont
pas assez loin dans leur intention de faire de l’insertion : « Ils ont des leviers qui pourraient
générer de la richesse sur le territoire, qui sont sous-utilisés. On pourrait faire des pas de
géant, et on fait des sauts de puce ».
Les entreprises d’insertion sont des structures déterminantes sur le bassin d’emploi rennais.
Les clauses sociales leur permettraient une certaine garantie de chiffre d’affaire et ainsi des
possibilités d’investissements et une vision prospective de plus long terme.
Mais pour l’instant les clauses sociales représentent une faible part de l’activité des
entreprises d’insertion. Ceci est également lié aux décisions prises par les entreprises
attributaires du marché public.
Dans le cadre de l’exécution d’une clause d’insertion, ces dernières peuvent embaucher
directement des salariés en parcours d’insertion, un choix réalisé dans 28% des cas. Elles
1
Données de 2013, le taux était de 4,3% en 2012 selon le Recensement de l’achat public exercice 2013 [en
ligne], Observatoire économique de l’achat public, Ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique,
[consulté le 20/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1XdMDuq.
2
EPCI : Etablissement Public de Coopération Intercommunale
Rapport « Consolidation Nationale des résultats de la clause sociale d’insertion et de promotion de l’emploi » [en
ligne], Alliance Villes Emploi, 2014, [consulté le 20/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/24AeR8d
3
Directeur, AJIEnvironnement
55
peuvent opter pour la mise à disposition de salariés en insertion en ayant recours à des
associations intermédiaires, des entreprises de travail temporaire d’insertion ou entreprises
adaptées (55 %). Travailler avec une entreprise d’insertion requiert de passer par une soustraitance ou co-traitance, ce qui est réalisé dans 2% des cas seulement1. On peut émettre
l’hypothèse que la procédure est plus complexe, et que les entreprises d’insertion recherchent
peut être davantage l’obtention de marchés propres, dans le cadre de l’article 53 du Code des
marchés publics.
Les clauses sociales dans les marchés publics pourraient propulser l’IAE vers un
« changement d’échelle ». Quelques freins persistent cependant et rendent ces dispositifs sous
exploités, notamment pour les entreprises d’insertion. Le développement croissant de
l’utilisation des clauses sociales est toutefois notable et démontre un intérêt croissant des
pouvoirs publics à contracter auprès de partenaires privés afin de contribuer activement aux
politiques d’insertion des personnes éloignées de l’emploi.
1
Observatoire des entreprises d’insertion 2014 [en ligne], fédération des entreprises d’insertion, [consulté le
10/03/2016], disponible sur : http://bit.ly/1SYSgaA
Voir en annexe : article 14 : les modalités d’exécution de la clause (graphique)
56
CONCLUSION PARTIELLE
Analyser la réalité au prisme de la sociologie des organisations permet de décrypter le
fondement des interactions entre acteurs. Nous avons tenté de répondre à cette question :
quels sont les intérêts des acteurs du champ de l’insertion à interagir, à coordonner leurs
actions, voire à coopérer en formant un réseau d’action publique intégré ?
Nous avons pu déceler de fortes interdépendances entre acteurs publics et SIAE, faisant écho
aux mutations récentes des modes d’action publique. Ces liens mettent en lumière
l’importance des relations horizontales sur le territoire et non plus seulement le monopole de
l’Etat central sur la décision, ainsi que les relations SIAE et entreprises privées dans
l’exécution des clauses sociales par exemple.
La gouvernance qui résulte de ces interactions a été qualifiée de territorialisée et
partenariale dans le sens où la gouvernance est guidée par la poursuite des intérêts propre de
chacun, dont la combinaison forme une réelle valeur ajoutée en termes d’insertion car les
acteurs partagent une visée commune : l’insertion des personnes éloignées de l’emploi.
Il existe cependant des limites à cette analyse organisationnelle. Tout d’abord, elle tend à
percevoir chaque type d’action comme un tout homogène « les entreprises d’insertion », « le
service public de l’emploi », « les collectivités territoriales »… Alors qu’au sein de chaque
groupe il existe des différenciations dans l’appréciation de la réalité. De plus, le regard est
porté davantage sur l’action elle-même et l’effort de coordination entre acteurs que sur le
fondement cognitif de ces actions. Or, le poids des idées est essentiel à prendre en compte si
l’on considère comme Berger et Luckmann1 « l’importance des dynamiques de construction
sociale de la réalité dans la détermination des cadres et des pratiques socialement légitimes à
un instant précis ».
C’est pourquoi la seconde partie s’attache à comprendre si l’observation des comportements
des acteurs et leurs discours à chaque étape du parcours des personnes en insertion –
recrutement, accompagnement, sortie vers l’emploi – permet ou non de révéler des
représentations communes de la réalité.
1
BERGER Peter L., LUCKMANN Thomas, La construction sociale de la réalité, Paris, Méridiens-Klincksieck,
1986 cité dans MULLER Pierre, SUREL Yves, L’Analyse des politiques publiques, Paris, Montchrestien,
Collection Clefs, 1998, p.47.
57
PARTIE II -
Le parcours des personnes en insertion : des
DEUXIÈME
PARTIE
principes d’action
oscillant entre idéal et réalité
Le parcours des personnes en insertion :
des principes d’action oscillant entre idéal et réalité
Afin d’assurer la pérennité du secteur de l’IAE, les acteurs présents sur le territoire ont
dû entretenir de nombreuses interactions et mettre en place des instances de dialogue. La
particularité des SIAE fait qu’elles soient ni totalement dépendantes, ni totalement autonomes
des pouvoirs publics : une coordination des actions est nécessaire pour le bon fonctionnement
du modèle. Pour aller au-delà du simple constat de cette nécessaire coordination, il semble
fondamental de comprendre quelle sont les visions de l’insertion entretenues par chacun.
Comment est interprétée la réalité de la situation des personnes éloignées de l’emploi ?
Comment cette interprétation se décline en principes d’action, et en traduction concrète dans
l’action publique ?
L’enjeu est de comprendre si les acteurs partagent une « matrice cognitive et normative1 »
similaire autour de laquelle « les acteurs vont organiser leur perception du système,
confronter leurs solutions et définir des propositions d’action2 ». Car les acteurs peuvent
avoir une vision de l’insertion différenciée, ce qui va plus ou moins faciliter la coordination
selon le degré de divergence. On s’intéresse donc aux « principes d’actions » défendus par les
acteurs selon leurs représentations et qui guident leurs actions concrètes.
En l’occurrence, un enjeu central dans le fonctionnement des SIAE est la définition de
l’éligibilité au dispositif ou autrement dit répondre à la question suivante : qu’est-ce qu’une
personne éloignée de l’emploi ; pour qui un parcours en insertion serait un réel tremplin ?
1
Notion définie par Yves Surel de la manière suivante : « Par matrices cognitives et normatives, expression
générique qui intègre les paradigmes (Hall), les systèmes de croyance (Sabatier) et les référentiels (Jobert,
Muller), on entendra ainsi des systèmes cohérents d’éléments normatifs et cognitifs qui définissent un champ
donné des « visions du monde », des mécanismes identitaires, des principes d’action, ainsi que des
prescriptions méthodologiques et pratiques pour les acteurs partageant une même matrice » in SUREL Yves, «
Idées, intérêts, institutions dans l’analyse des politiques publiques », Pouvoirs, n°87, 1998, p.162.
2
MULLER Pierre, op.cit., p.43
58
A travers l’étude des modes d’action des acteurs nous allons tenter de déceler selon quelle
structure cognitive ou représentations ils agissent et comment vont-ils pouvoir articuler leurs
principes d’actions à ceux de leurs partenaires.
Or d’après l’interdépendance existante entre entreprises d’insertion et pouvoirs publics, telle
que nous l’a montrée l’étude de la gouvernance sur le bassin d’emploi rennais, l’enjeu est de
réussir à s’accorder sur une vision ou représentation commune de l’insertion et du public
éligible.
Nous faisons l’hypothèse que c’est ce vers quoi les différents acteurs concernés semblent
converger. En effet s’il y a toujours certains conflits ou désaccords dans l’interprétation des
textes ou dispositifs, ceux-ci semblent être assez marginaux en comparaison à l’intensité de la
coordination et la compréhension mutuelle entre les acteurs du secteur sur le bassin d’emploi
de rennais.
Selon cette hypothèse les acteurs s’accorderaient donc sur les « principes d’action » à
déployer. Dans la vision idéale relativement partagée le secteur de l’IAE fonctionnerait sous
la forme de « parcours » pour les personnes qui en bénéficient, c’est-à-dire qu’elles
passeraient progressivement d’une structure d’IAE à une autre (d’abord par un chantier, puis
une entreprise d’insertion par exemple) jusqu’à évoluer de manière « durable » vers une
entreprise classique.
Cette idée est plutôt un idéal vers lequel tendre, une direction, plutôt qu’une réalité. Car de
nombreux obstacles, tels que la situation du marché du travail, la durée de l’agrément, limitent
la possibilité de réaliser des parcours au sein de SIAE. Tout le travail des acteurs est
d’échanger puis s’accorder sur une vision acceptable et fonctionnelle de l’IAE, permettant à la
fois la cohérence du projet social et l’activité économique des entreprises.
59
Chapitre 1. LE RECRUTEMENT
Si les entreprises d’insertion, le service public de l’emploi et autres prescripteurs
partagent un objectif commun : celui d’accompagner et permettre à des personnes éloignées
de l’emploi d’en retrouver un, cet objectif majeur peut être concurrencé par d’autres objectifs
internes.
Le chemin est périlleux pour aboutir au partage de représentations communes sur l’insertion,
sans se limiter à la définition d’objectifs et principes, mais aussi à convenir de modes
d’action. Le réseau d’acteurs sur le bassin rennais est très dense et travaille en étroite
collaboration, mais quelques résistances ou limites suggèrent que les acteurs privés et publics
n’ont pas exactement la même vision de l’insertion.
Si les principes d’action généraux semblent partagés, c’est donc dans la mise en œuvre des
dispositifs d’IAE que des divergences restent présentes et offrent des voies d’évolution pour
les années à venir. L’objectif unanime de favoriser l’insertion des personnes éloignées de
l’emploi donne un cadre au sein duquel les débats peuvent se dérouler.
D’après ces considérations on peut se demander : dans quelle mesure les exigences et attentes
des entreprises d’insertion et prescripteurs sont-elles convergentes ?
A. QUELS PUBLICS ÉLIGIBLES À L’IAE ?
1. D’une clarté théorique apparente des publics éligibles…
L’article L. 5132-1 du Code du travail indique que « l’insertion par l’activité
économique a pour objet de permettre à des personnes sans emploi, rencontrant des
difficultés sociales et professionnelles particulières, de bénéficier de contrats de travail en
vue de faciliter leur insertion professionnelle. » Les personnes en insertion sont des publics
qui n’ont pas ou plus les compétences indispensables pour la tenue d’un poste de travail1,
dans une entreprise dite classique. L’entreprise d’insertion va donc embaucher ces personnes
« connaissant des échecs répétés et se trouvant en situation précaire2 ».
1
BAUDET-CAILLE Véronique, op.cit., 116p.
Circulaire de la Direction Générale de l’Emploi et de la Formation Professionnelle (DGEFP) n°99-17 du 26
mars 1999 relative à la réforme de l’IAE
2
60
Pour pouvoir entamer un parcours en SIAE ces personnes éloignées de l’emploi doivent
nécessairement obtenir un agrément délivré par Pôle Emploi. Les personnes embauchées en
insertion signent ensuite un Contrat à Durée Déterminée d’Insertion (CDDI) en application de
l’article L. 1242-3 du code du travail. Le contrat ne peut avoir une durée inférieure à quatre
mois et peut être renouvelé dans la limite totale de 24 mois, sauf exceptions.
Le cadre d’éligibilité des publics à orienter vers l’IAE bénéficie d’une certaine clarté
législative, bien que les textes ouvrent de larges possibilités de catégories éligibles laissées
libres à l’appréciation de Pôle Emploi. On retrouve majoritairement des demandeurs d’emploi
de longue durée, des bénéficiaires des minimas sociaux, des jeunes… Une étude de la Dares1
met en exergue les principales caractéristiques des salariés nouvellement embauchés. Ainsi,
59% des personnes en CDDI dans des entreprises d’insertion en 2013 étaient chômeurs de
longue durée, 34 % étaient bénéficiaires du RSA, 23 % avaient moins de 26 ans et
quasiment 80 % avait un niveau scolaire V ou VI (CAP-BEP ou inférieur)2.
Pour orienter une personne vers l’IAE, il convient de juger de la pertinence d’un parcours en
insertion pour la personne accompagnée en réalisant un diagnostic. Il faut l’IAE permette à la
personne de résoudre ou dépasser des problèmes périphériques qui bloquaient son accès à
l’emploi dans les conditions du marché ordinaire.
Afin de réaliser ces diagnostics Pôle Emploi est aidé par d’autres intervenants sociaux
prescripteurs, tels que la Mission Locale ou Cap Emploi. Ils rédigent des fiches
d’opportunité qui évaluent les problèmes périphériques, et émettent un avis d’orientation vers
un type de SIAE correspondant au profil. Mais tous les prescripteurs n’émettent pas les
mêmes diagnostics.
Le cœur du débat entre les acteurs se trouve alors autour de la question de l’éloignement à
l’emploi : faut-il privilégier les personnes les plus éloignées de l’emploi ? A partir de quel
moment une personne est-elle estimée comme « trop proche » de l’emploi pour pouvoir
bénéficier d’un agrément permettant un parcours en SIAE ?
Ces questions mettent en valeur tout l’enjeu de dégager des principes d’action partagés par les
acteurs et d’interagir de manière partenariale, pour pouvoir s’accorder sur les catégories
éligibles au sein du cadre légal :
1
2
Rapport de la DARES, « L’insertion par l’activité économique en 2013 », art.cit.
Voir en annexe : Les caractéristiques des salariés nouvellement embauchés dans les SIAE en 2013 (tableau)
61
« Cela souligne l'importance des mécanismes cognitifs quand il s'agit de
construire de la coopération. S'impose ainsi un apprentissage collectif de
la «conceptualisation conjointe». L'activité de coordination passe par la
création de cadres de référence communs entre les intérêts concernés sans
lesquels des efforts ultérieurs n'aboutiront pas1 »
Le cadre légal disponible laisse apparaître une assez grande marge d’interprétation quant aux
publics prioritaires à orienter vers les dispositifs d’IAE.
2. … à une grande marge d’interprétation en réalité
De nombreux facteurs expliquent que d’un prescripteur à l’autre les diagnostics
réalisés ne soient pas identiques. A quoi correspondent les « difficultés sociales et
professionnelles » qui conditionnent l’obtention de l’agrément Pôle Emploi ?
La prescription vers un parcours d’IAE est avant tout une appréciation subjective du
conseiller : un pari pris en quelques sortes. « On a chacun nos propres critères, et on
n’échange pas forcément entre nous, on fait aussi en fonction de l’impression ressentie avec
le jeune, indique Hamon Fichou2, la notion de difficulté n’est pas la même entre tous les
conseillers, et n’a jamais vraiment été mise à plat, différentes interprétations existent ».
Les écarts entre les diagnostics peuvent aussi être issus d’un manque de formation ou de
connaissance des conseillers sur les dispositifs d’IAE. Nombreux nouveaux conseillers
arrivent à Pôle Emploi et n’acquièrent pas tous les connaissances sur les dispositifs d’emploi
au même rythme : « tout le monde n’a pas le même niveau de finesse »3. Il se peut qu’ils ne
maîtrisent pas entièrement les différences entre les SIAE par exemple.
Des facteurs extérieurs au champ de l’IAE peuvent aussi influer sur les prescriptions émises et
notamment les effets d’annonce du gouvernement en termes de lutte contre le chômage.
« On a des injonctions de l’Etat auxquelles on doit répondre. La place de l’IAE reste
évolutive, en fonction des injonctions autres que l’on peut avoir4 ». Par exemple cette année,
l’objectif commandé par l’Etat est d’envoyer 500 000 demandeurs d’emploi en formation. Les
conseillers Pôle Emploi seront donc mobilisés davantage sur cet objectif peut-être au
détriment de l’IAE. Philippe Garraud soulignait déjà ce caractère multidimensionnel des
missions de Pôle Emploi :
1
THOENIG Jean-Claude, DURAN Patrice, art.cit., p.603.
Conseiller à la mission locale, Rennes
3
Selon Mme BERNARD-GRIFFITHS Sylvie, référente IAE Rennes et Ille-et-Vilaine, Pôle Emploi.
4
Ibid.
2
62
« Au fil des années, les missions de l’ANPE se sont élargies et
transformées de manière plus contradictoire et conjoncturelle que
cohérente, au gré des différentes « priorités » ou injonctions politiques du
moment : logique de placement initiale, comptabilité statistique du
chômage, accueil et orientation des demandeurs d’emploi, collecte des
offres d’emploi des entreprises, organisation, mise en œuvre et gestion
des stages de formation, etc.1 »
Malgré toutes ces possibles interprétations divergentes dans le diagnostic, en réalité,
les prescripteurs et entreprises d’insertion parviennent à s’accorder sur les profils pertinents à
orienter vers un parcours en IAE.
On aurait pourtant pu penser a priori d’après une vision assez caricaturale que Pôle Emploi
aurait tendance à orienter vers l’IAE des publics spécifiques ou très éloignés de l’emploi, au
gré des indications en termes de taux de placement. On pourrait également penser que les
entreprises d’insertion recruteraient plus facilement des personnes les moins éloignées de
l’emploi, pour une question d’efficacité économique et de réponse aux taux de sortie imposés
par le conventionnement. Il n’en est rien.
Certes, des désaccords peuvent être occasionnés sur les diagnostics. Sylvie Bernard-Griffiths2
me donne l’exemple du cas d’une entreprise d’insertion qui souhaitait recruter une personne
en insertion disposant d’un bac+3. Pôle Emploi a refusé de lui délivrer un agrément en
estimant que d’autres personnes aux profils plus en difficulté pourraient tout-à-fait répondre
aux exigences du poste.
Ces situations de désaccord restent néanmoins très marginales. C’est avant tout l’intérêt de la
personne en insertion qui est mise en avant me rappelle Hamon Fichou3, ainsi que la
compréhension mutuelle des attentes entre acteurs plutôt que l’intérêt propre qu’ils
pourraient privilégier. C’est donc que les acteurs qu’ils soient publics ou privés tendent à
converger vers une vision commune de l’insertion.
1
GARRAUD Philippe, Le chômage et l’action publique. Le « bricolage institutionnalisé », Paris, L’Harmattan,
2000, p.109.
ANPE : Agence Nationale pour l’Emploi, devenue aujourd’hui Pôle Emploi
2
Référente IAE Rennes et Ille-et-Vilaine, Pôle Emploi
3
Conseiller Mission locale, Rennes
63
B. ATTENTES DES ENTREPRISES D’INSERTION ET COHÉRENCE DU
PROJET SOCIAL
Afin d’éviter les situations de désaccords avec les prescripteurs, il est dans l’intérêt des
entreprises d’insertion de leur faire connaître leurs attentes en termes de recrutement. Les
actions de communication et de dialogue menées y contribuent et permettent l’élaboration
d’un cadre commun de référence. Quelles sont donc ces attentes dans le recrutement ?
1. Des personnes motivées en capacité de travailler
Après avoir réalisé plusieurs entretiens auprès de conseillers en insertion professionnelle
(CIP), salariés d’entreprises d’insertion qui sont en charge de l’accompagnement des
personnes en insertion, deux éléments se démarquent dans le recrutement.
La motivation est un premier critère essentiel dans le recrutement. Il faut que la personne
accompagné soit mobilisée et « intéressée par le métier de paysagiste, indique Frank
Lepeinteur1, ayant fait la preuve de son intérêt », et surtout que le parcours en insertion ait un
intérêt dans son parcours :
« Nous entreprises d’insertion, ce sont les personnes du dessus qu’il
nous faut. Si on nous donne la catégorie encore mobilisée vers l’emploi,
pour laquelle une durée d’emploi de 6-8 mois sera bénéfique parce que ça
va donner du boost au projet, là on est dans notre rôle.
Si on nous envoie seulement des personnes déstabilisées par rapport à
l’emploi, sous-qualifiées, pour lesquelles l’employabilité est complexe, je
ne vais pas y arriver2 ».
Surtout, le second critère fondamental dans le recrutement est que la personne soit « en
capacité de travailler ». Cela signifie qu’elle n’ait pas de problèmes de condition physique, car
les postes sont exigeants. Il peut y avoir des ports de charges lourdes, des gestes répétitifs, et
le temps de travail peut aller jusqu’à 35h pour certains CDDI en entreprise d’insertion, il faut
donc pouvoir s’organiser, explicite Williams Cohuet3. Beaucoup d’entreprises d’insertion
requièrent également de maîtriser de français pour des questions de sécurité :
1
Directeur, AJIEnvironnement
Ibid.
3
Chargé d’insertion et de recrutement, Le Relais Bretagne
2
64
« Le critère principal est la capacité à intégrer des consignes. Il n’y a
pas de critère de niveau de qualification préalable, si ce n’est parler
français, car il a y des risques d’accidents sur la voie publique en cas de
non compréhension des consignes, par exemple si un équipier de collecte
ne comprend pas que le conducteur du camion va faire une marche
arrière… »
Certains critères sont ensuite spécifiques aux fiches de postes. Pour le poste d’agent d’accueil
en déchetterie chez Tribord, poursuit Benoit Cafaro1, il faut savoir lire et écrire car il y a des
activités de reporting. Il faut aussi n’avoir aucun antécédent avec l’alcool.
Une question que je pose à plusieurs reprises est celle de l’éloignement à l’emploi des
personnes recrutées : l’entreprise d’insertion a-t-elle tendance à recruter des profils plutôt
proches de l’emploi selon l’impératif de rentabilité économique, ou plutôt très éloignés de
l’emploi ?
Delphine Le Bayon me répond que l’enjeu pour les entreprises dans le recrutement est de
trouver un équilibre entre projet économique et social car « aux deux extrêmes cela pose
problème2 » :
D’un côté, en embauchant des personnes trop éloignées de l’emploi l’entreprise d’insertion
perd la confiance de ses clients et partenaires, ne renouvelle donc pas ses marchés. Et si le
projet économique s’effondre, alors il emporte le projet social avec lui. De plus, pour une
personne qui n’a pas travaillé depuis très longtemps et qui accumule de nombreux problèmes
sociaux périphériques, le parcours en entreprise d’insertion peut devenir une difficulté
supplémentaire : « parfois, le travail c’est la solution, mais parfois le travail c’est juste un
problème en plus3 ». Il faut plutôt envisager une orientation vers un chantier d’insertion avec
un temps de travail plus réduit ou des remises à niveau préalables.
D’un autre côté, recruter des personnes trop proches de l’emploi pose également problème car
la question des valeurs, de l’éthique, la cohérence du projet social de l’entreprise se pose. La
personne « trop proche » de l’emploi n’a plus besoin d’accompagnement si elle est déjà
qualifiée, ayant de la confiance en soi, et cherche simplement une nouvelle expérience de
travail.
1
Responsable d’agence, Tribord
Chargée de recrutement et d’accompagnement professionnel, Tribord
3
Entretien avec M. CAFARO Benoit, responsable d’agence, Tribord
2
65
2. Des équipes fonctionnelles aux profils diversifiés
Au-delà du profil personnel, les entreprises d’insertion prennent aussi en considération
la composition de leurs équipes de travail dans le recrutement. La plupart des structures
essaient d’avoir une grande mixité dans leurs équipes qui se décline de différentes manières.
Tout d’abord de nouveau sur le thème de l’éloignement à l’emploi, il semble que l’entreprise
d’insertion n’a pas intérêt à recruter que des personnes éloignées de l’emploi. Car dans ce cas
l’effet d’entraînement vers le haut est faible. Il n’y a pas de leader dans l’équipe incitant au
dynamisme. De la même manière, l’entreprise d’insertion ne peut avoir que des personnes en
début de parcours ou en fin de parcours.
La diversité de l’origine des personnes est aussi importante pour garantir une mixité sociale
et la cohésion des groupes de travail, et non un repli en communauté pouvant créer des
tensions avec des dynamiques de conflits ou d’exclusion : « Je ne veux pas 50% de primo
arrivants sur le territoire français… J’ai une personne d’origine syrienne, deux de Mayotte,
mais déjà trop car ils commencent à parler dans leur langue au travail, je dois leur
interdire», raconte Frank Lepeinteur1.
Enfin, un enjeu commun à toutes les SIAE (à l’exception des associations intermédiaires) est
de promouvoir la mixité des genres. Selon les données de la Dares en 20132, 60 % des
personnes en parcours en SIAE étaient des hommes et 40 % des femmes. Une différence
encore plus flagrante au sein des entreprises d’insertion, qui comptaient seulement 34 % de
femmes en 2013. Williams Cohuet3 souligne la volonté de l’entreprise Le Relais d’ouvrir
davantage de postes aux femmes et de casser les clichés en encourageant ardemment les
projets de femmes souhaitant devenir conductrices par exemple ! C’est une question de
pédagogie et d’éducation, pour progressivement changer les mentalités et représentations à la
fois des prescripteurs et des personnes postulantes. Cet effort est partagé par les acteurs
publics. Il fait parti des objectifs du Plan Départemental pour l’Insertion par l’Activité
Economique (PDIAE) m’indique Séverine Husson4.
Pour résumer ses critères de recrutement, Frank Lepeinteur explique qu’il essaie d’avoir
« une équipe à la fois hétérogène, aux profils extrêmement variés, et homogène, sur l’envie
des personnes de faire quelque chose de leur passage dans l’entreprise ».
1
Directeur, AJIEnvironnement
Rapport « L’insertion par l’activité économique en 2013 » [en ligne], Dares, art.cit.
3
Chargé d’insertion et de recrutement, Le Relais Bretagne
4
Responsable Service Emploi, Unité Territoriale 35 DIRECCTE
2
66
Il s’avère qu’il y a donc une multiplicité des contraintes à prendre en compte pour les
entreprises d’insertion dans leur recrutement, et que celles-ci ne sont pas toujours bien
comprises par les prescripteurs. « Ils véhiculent parfois des représentations et peuvent
manquer de subtilité » selon Delphine Le Bayon1. Elle poursuit en expliquant qu’il est
possible qu’un agrément soit refusé, parce que la personne n’aurait pas assez de problèmes
périphériques : pas de difficulté de logement, pas de problèmes d’alcool… Il y aurait parfois
une certaine idée de l’entreprise d’insertion vue comme « une sauveuse », mais au contraire, il
ne faut pas attendre qu’une personne ne cumule trop de problèmes périphériques avant de
l’orienter vers l’entreprise d’insertion.
Il convient bien sûr de ne pas généraliser ces occurrences et produire un discours trop
schématique. De son côté Sylvie Bernard-Griffiths, référente IAE à Pôle Emploi, constate que
« Pôle Emploi tend à faire confiance aux recruteurs. Parfois, on aurait envie de râler, cette
personne serait pas mal ! Mais les structures connaissent leurs besoins, surtout dans le cas
des EI/ETTI qui sont les plus proches du secteur marchand ».
Ces deux témoignages révèlent cependant les marges d’interprétations fluctuantes qui existent
dans le recrutement de personnes en insertion et dans l’appréciation de l’éloignement à
l’emploi. Nous pouvons penser que les différents acteurs partagent des principes d’actions
communs allant dans le sens du retour, de l’accompagnement et du maintien dans l’emploi de
personnes qui en étaient éloignées ; mais que des divergences s’opèrent à la marge, au niveau
des instruments d’action disponibles pour atteindre les objectifs de l’IAE. Mais quelles
conséquences produisent ces différences d’interprétation des situations des personnes
éloignées de l’emploi ?
C.FONCTIONNEMENT DU RECRUTEMENT EN RÉSEAU « FERMÉ » :
UNE VOIE SOUVENT PRIVILÉGIÉE
1. Le paradoxe des postes vacants en entreprise d’insertion
Pour les différentes raisons invoquées – une certaine méconnaissance des SIAE et
leurs attentes, des interprétations différenciées concernant l’éligibilité des personnes aux
dispositifs d’IAE, etc. – il existe des décalages entre le potentiel que pourraient atteindre des
entreprises d’insertion et la réalité.
1
Chargée de recrutement et d’accompagnement professionnel, Tribord
67
C’est-à-dire qu’en dépit d’un nombre conséquent de demandeurs d’emploi qui seraient
éligibles à l’IAE, certaines entreprises d’insertion ont constamment des postes vacants à
pourvoir. C’est par exemple le cas de Tribord qui dispose actuellement de 8 postes vacants en
agent d’accueil1 ou de Ressources T, qui peine à recruter des chauffeurs poids lourds, un poste
qui requiert à minima le permis C et la formation Fimo pour exercer.
Or, les entreprises d’insertion peuvent difficilement remédier à ces situations seules car elles
sont tributaires dans le recrutement de la situation du marché du travail, ainsi que de
l’agrément délivré par Pôle Emploi et des candidats envoyés par les prescripteurs. Mais Pôle
Emploi envoie insuffisamment de candidats avec la qualification requise, déclare Ludovic
Blot à propos des besoins de Ressources T.
Il y a forcément des personnes que cela pourrait intéresser d’être chauffeur poids lourd, mais
Pôle Emploi n’a pas les mêmes grilles de lecture et de classification que les entreprises
d’insertion. Certains candidats ne sont simplement pas informés de ces possibilités. « Il
faut sans cesse « prendre son bâton de pèlerin » et aller dialoguer avec les prescripteurs pour
expliciter nos critères et besoins, ou quelles sont les spécificités du modèle d’entreprise
d’insertion, explique Benoit Cafaro2, sans une bonne connaissance du fonctionnement de
l’IAE, les demandeurs d’emploi n’en seront pas informés, alors que certains seraient
éligibles ».
Mais cette fois encore, Pôle Emploi dispose d’interprétations variables de la réalité et
explique de manière différente la subsistance de postes vacants. Les SIAE auraient par
exemple élevé leur niveau d’exigence sur leur personnel car leur environnement serait
devenu plus exigent, remarque Sylvie Bernard-Griffiths, mais également Hamon Fichou3.
Les fiches de poste auraient donc été revues à la hausse et seraient désormais plus proches du
secteur marchand… Or, les conseillers Pôle Emploi peuvent plus facilement orienter les
personnes qui correspondraient à ces exigences vers des solutions d’embauche hors IAE. A
Pôle Emploi, on me souligne également que les caractéristiques du public au chômage
auraient évoluées. Il y aurait aujourd’hui davantage de seniors, alors que les postes en
entreprise d’insertion sont très physiques, et davantage de chômeurs de longue durée. Ces
1
Situation au 26 février 2016, date de l’entretien avec Mme LE BAYON Delphine, chargée de recrutement et
d’accompagnement professionnel, Tribord
2
Responsable d’agence, Tribord
3
Conseiller mission locale, Rennes
68
évolutions composent un public plus éloignée de l’emploi qu’auparavant alors que l’entreprise
d’insertion se rapproche de l’entreprise classique en termes d’attentes.
Le paradoxe des postes vacants révèle les « marges de progrès » à réaliser pour le
développement du secteur de l’IAE, dont le potentiel semble sous-exploité. Pour y remédier,
les entreprises d’insertion réalisent des campagnes de communication et d’information afin de
promouvoir les intérêts de l’IAE. Mais en attendant qu’elles portent leurs fruits, elles doivent
nécessairement continuer d’assurer leurs activités et donc trouver des solutions pour recruter
des personnes en insertion.
2. Partiel contournement de Pôle Emploi pour recruter
Si les entreprises d’insertion ne trouvent pas suffisamment de candidats via Pôle
Emploi, qui représente le vivier « ouvert » des offres car disponibles à tous, alors elles vont
faire jouer le réseau « fermé » d’acteurs pour recruter. « Au-delà du seul secteur du transport,
aujourd’hui, on estime qu’entre 70 et 80% des offres ne passent pas par Pôle Emploi, il ne
reste plus que 20% des offres en marché ouvert1 ». Pôle Emploi ne va donc pas identifier les
mêmes priorités et marchés en tension que les entreprises, puisque l’ensemble des acteurs ne
dispose pas des mêmes flux d’information.
Dans ce sens les entreprises d’insertion contournent partiellement Pôle Emploi. Même si elles
continuent d’y poster leurs offres par obligation morale, elles n’attendent pas l’envoi de
candidatures par ce biais pour recruter, comme chez AJIEnvironnement :
« J’ai une annonce qui a trois semaines avec trois postes disponibles, je
n’ai reçu aucun candidat de la part de Pôle Emploi. J’ai déjà recruté mes
salariés, je ne les attends pas. J’ai un flux de personnes qui m’envoient
leurs CV, heureusement que je les ai2. »
Différents moyens sont utilisés pour parvenir à recruter : relancer les candidatures
spontanées, solliciter les autres SIAE, diffuser l’information au réseau des prescripteurs
avec qui l’entreprise a l’habitude de travailler et qui connaît ses attentes. Hamon Fichou fait
ressortir dans son propos le fort maillage entre les acteurs du bassin d’emploi rennais, et
parmi ce réseau, il souligne qu’il y a « certains partenaires avec qui vous aimez travailler,
vous allez plus orienter tel type de public vers tel encadrant technique ».
1
2
Entretien avec M. BLOT Ludovic, directeur général, Ressources T
Entretien avec M. LEPEINTEUR Frank, directeur, AJIEnvironnement
69
Le cas de l’entreprise d’insertion La Feuille d’Erable est très illustrant, car elle emploi ce type
de méthodes de recrutement annexes à Pôle Emploi. Des informations collectives sont
organisées tous les lundis matins1 et permettent ainsi de recevoir spontanément des personnes
intéressées, de nouer un premier contact et de recruter sans passer par le diagnostic préalable
d’un prescripteur. Cela bouleverse en quelques sortes le rapport de force entre l’entreprise et
Pôle Emploi, puisqu’une fois que l’entreprise a décidé de recruter un candidat elle demande à
Pôle de lui délivrer une fiche d’opportunité et un agrément d’IAE.
Il y a donc bien un décalage entre la procédure de recrutement classique qui passerait
plus systématiquement par Pôle Emploi, entre les principes d’action généraux partagés, et la
réalité des entreprises d’insertion qui connaissent des difficultés de recrutement. Pour nuancer
le propos il convient de noter que Pôle Emploi est bien conscient de ces difficultés à recruter
en fonction des attentes et besoins des entreprises. C’est pourquoi il peut parfois contribuer à
l’organisation d’informations collectives et refuse assez rarement de délivrer des agréments.
Bien que les acteurs partagent un objectif commun envers les personnes éloignées de
l’emploi, l’éloignement et l’éligibilité aux dispositifs d’IAE sont donc sujets à diverses
interprétations dans la mise en œuvre des dispositifs d’insertion. Cela est observable pendant
la phase de recrutement mais également d’accompagnement des salariés en contrat d’insertion
au sein de l’entreprise.
1
Entretien avec Mme DELOURME Maëlle, chargée d’insertion, La Feuille d’Erable
70
Chapitre 2. L’ACCOMPAGNEMENT
Les personnes recrutées qui effectuent un parcours en SIAE jouissent d’un contrat de
travail et du statut de salarié dans les mêmes conditions que n’importe quel autre salarié. Mais
contrairement à une entreprise classique, le salarié en insertion bénéficie d’un
accompagnement au sein de l’entreprise d’insertion pendant toute la durée de son contrat, tel
que spécifié à l’article L. 5132-1 du Code du travail qui mentionne que l’IAE « met en œuvre
des modalités spécifiques d'accueil et d'accompagnement ». C’est ce qu’on appelle le « projet
social » de l’entreprise, qui est adapté selon les besoins individuels de chaque salarié en
insertion.
Nous essayons de comprendre sur quelles représentations de la personne en insertion ou sur
quels fondements cognitifs les entreprises d’insertion vont-elles baser leurs actions
d’accompagnement, en interaction avec le cadre légal dont elles disposent et les relations
partenariales avec les acteurs publics. Tout comme dans la phase de recrutement, il semble
que des principes d’action généraux font écho à tous les acteurs : il s’agit de considérer la
personne dans sa globalité et d’agir dans une démarche de construction d’un parcours en
insertion. Cependant à cet idéal se confronte une réalité complexe dans la mise en œuvre, car
le parcours de chaque personne en insertion est unique et chaque histoire comporte ses
spécificités. D’où la complexité de produire des parcours en insertion linéaires.
A. LA « GLOBALITÉ » DE LA PERSONNE MISE EN EXERGUE
1. Interdépendance entre insertion sociale et professionnelle
Le projet social de l’entreprise se décline à travers l’accompagnement spécifique
délivré aux personnes en insertion, qui prend en compte les personnes dans leur « globalité ».
C’est-à-dire que sont pris en compte tant les aspects sociaux personnels que les ambitions
professionnelles présentes et futures. La circulaire de la DGEFP du 26 mars 1999 repère trois
étapes du projet social1, adaptées aux profils et difficultés rencontrées par les personnes en
insertion ainsi qu’aux modes d’organisation du travail de l’entreprise :
L’accompagnement consiste en premier lieu en un réentraînement aux rythmes de travail, au
respect des horaires, au travail en équipe et au respect des consignes. Il s’agit ensuite de
1
Circulaire de la Délégation Générale à l’Emploi et à la Formation Professionnelle (DGEFP) n°99-17 du 26
mars 1999 relative à la réforme de l’IAE
71
permettre un apprentissage professionnel, complété en interne ou en externe par des
formations en prise directe avec le métier et les contraintes de l’atelier. Enfin, le projet social
réside aussi en un accompagnement social en interne ou avec l’appui d’organismes
spécialisés : travail social à l’occasion de la mise au travail (autonomie, pédagogie de la
réussite…), approche globale de la personne pour aborder d’autres facteurs de l’insertion
(logement, santé, dettes, psychologie…).
Selon ces modalités d’accompagnement procurées en entreprise d’insertion, la mission locale
estime qu’une personne qui manque de confiance en elle, qui est timide et a des difficultés à
s’intégrer dans une équipe, qui manque de rapidité ou a besoin de travailler sur la posture au
travail trouvera de grands bénéfices à un parcours en SIAE1.
Pour l’entreprise d’insertion il n’y a pas de priorisation entre insertion sociale et insertion
professionnelle, car le salarié en insertion est embauché en ayant des problèmes sociaux
périphériques persistants :
La mise en situation d’emploi va être un vecteur de reprise de confiance en soi, de nouvelle
socialisation et donc alimenter l’insertion sociale. De même, le suivi sur les freins
périphériques qui est réalisé par les chargés d’insertion en entreprise d’insertion permettra une
meilleure sortie vers l’emploi durable dans une entreprise classique. Car le salarié en
insertion va par exemple être encouragé à passer son permis pendant son parcours en insertion
s’il n’avait pas de mobilité. Il va donc agrandir son employabilité à la fin de son contrat
d’insertion. En définitive, l’insertion sociale et l’insertion professionnelle sont deux
processus qui s’inter-alimentent et sont interdépendants.
C’est ce qu’à souhaité mettre en valeur Bertrand Schwartz à travers son rapport « L’insertion
professionnelle et sociale des jeunes » remis au premier ministre Pierre Mauroy en 1981 2.
Dans la lutte contre les exclusions, il promeut une démarche adaptée au plus près des jeunes
en les rendant actifs de leur parcours. Cela nécessite des outils d’intervention de proximité,
basés sur une mobilisation des acteurs locaux ; c’est ainsi que naissent peu après les missions
locales. Bertrand Schwartz renverse les modes d’action publique dans le sens où il soumet
« une nouvelle façon de poser le problème de la transition professionnelle3 ». Il initie l’idée
1
Entretien avec M. FICHOU Hamon, conseiller Mission locale, Rennes
SCHWARTZ Bertrand, « L’insertion professionnelle et sociale des jeunes », rapport au premier ministre, Paris,
La Documentation Française, 1981, 146p.
3
BREGEON Philippe, « Histoire du réseau des missions locales » [en ligne]. In A quoi servent les professionnels
de l’insertion ?, Paris, Edition L’Harmattan, 2008, 272 p, [consulté le 13/04/2016], disponible sur :
http://bit.ly/1WQ5HhH
2
72
d’une approche globale en s’attachant à repenser à la fois l’accès à la qualification et à
l’emploi, mais aussi à tous les autres pans de la vie des jeunes. L’article 7 de la Charte des
missions locales de 1990 préconise :
« avec les jeunes, les partenaires élaborent des réponses adaptées à leur
situation en matière d’accès à l’emploi, de formation, mais aussi de santé,
logement, culture, sport, loisirs… (…) les jeunes élargissent ainsi leur
réseau de relations sociales et développent leur autonomie1 »
L’insertion professionnelle et l’insertion sociale sont pensées ensembles. On passe donc bien
d’une approche sectorielle à une approche globale. Cette vision se retrouve bien dans le
fonctionnement des entreprises d’insertion. Les méthodes pédagogiques s’inscrivent dans
l’esprit de celles préconisées par Bertrand Schwartz, qui valorisait les apprentissages en
partant des activités de terrain plutôt que des pré-requis, encourageant à la polyvalence et
l’acquisition de savoir-faire et de compétences transférables par la suite.
2. Un suivi évolutif par les entreprises d’insertion: des problèmes
sociaux périphériques à l’élaboration d’un projet professionnel
Les objectifs poursuivis par les salariés en charge de l’accompagnement dans les
entreprises d’insertion – les conseillers d’insertion, encadrants techniques, et même
finalement l’ensemble des salariés permanents de l’entreprise – sont de permettre
l’autonomie et la responsabilisation des personnes en insertion : « on n’écrit pas leurs
lettres de motivation à leur place2 ! ».
Pour cela à la différence d’une entreprise classique, les salariés en charge du recrutement sont
aussi chargés de fournir un accompagnement individualisé tout au long du parcours en
insertion au sein de la structure. Ils font preuve d’une grande disponibilité, écoute et conseil
auprès des personnes en contrat d’insertion.
Il est possible d’identifier deux grandes étapes dans ce processus3, qui peuvent s’avérer
légèrement variables d’une entreprise d’insertion à une autre et qui sont évidemment adaptées
au profil de chaque personne accompagnée.
1
Charte des missions locales, « Construire ensemble une place pour tous les jeunes » [en ligne], Conseil
National des Missions Locales, adoptée le 12 décembre 1990, [consultée le 14/04/2016], disponible sur :
http://bit.ly/1NmBDsm
2
Mme LE BAYON Delphine, chargée de recrutement et d’accompagnement professionnel, Tribord
3
Etapes identifiées d’après les différents entretiens réalisés auprès de chargés d’insertion et d’accompagnement
dans différentes entreprises d’insertion du bassin d’emploi rennais.
73
La première étape est celle du premier contrat qui est souvent d’une durée de quatre mois, sa
durée minimale légale. Il s’agit d’une phase de familiarisation avec le travail demandé et ses
exigences : le respect des horaires, de la hiérarchie, une intégration dans une équipe, etc. C’est
le moment de rappeler clairement le cadre et les obligations liées au contrat de travail. Pour le
chargé d’insertion c’est aussi l’occasion de réaliser avec la personne un diagnostic plus
approfondi des problèmes sociaux périphériques – mobilité, logement… – et de les prioriser,
ainsi que d’aborder les premières idées de projets.
La seconde étape débute avec le renouvellement du contrat qui peut être d’une durée de deux,
trois, quatre mois, selon les points à travailler et la motivation du salarié. L’accompagnement
et la prise de rendez-vous s’accélèrent, car cette période correspond au temps de discussion et
de construction du projet professionnel afin de préparer la fin du parcours en SIAE et la
transition vers un autre emploi ou formation. Tout en sachant que ce n’est pas une démarche
d’assistance mais d’autonomisation qui est privilégiée : « La lettre, l’entretien, ce n’est pas
nous, c’est la personne, avec ses tripes, avec son énergie ! » clame Delphine Le Bayon1. Le
rôle du chargé d’insertion n’est pas de trouver un emploi aux personnes, tout dépend de leurs
volontés personnelles, complète Williams Cohuet2.
Finalement, l’idée d’imbrication entre insertion professionnelle et sociale semble être à
la fois l’essence de l’IAE, et être promue par les acteurs publics. En s’appuyant sur l’analyse
cognitive des politiques publiques, on peut dire qu’il existerait donc des représentations
générales partagées qui reposeraient sur une vision commune de l’insertion :
« De manière générale, les différents modèles proposés3 reposent tout
d’abord sur la conviction qu’il existe des valeurs et principes généraux
qui définissent ce que l’on pourrait appeler, faute de mieux, « une vision
du monde » particulière4. »
Cette vision se déclinerait ensuite en « axes d’actions souhaitables » qui se traduisent par la
promotion de l’IAE par tous les acteurs. En effet, les « matrices cognitives comportent en
second
lieu
des
principes
spécifiques »
qui
permettent
« d’opérationnaliser
les
valeurs générales dans un domaine5 ».
1
Chargée de recrutement et d’accompagnement professionnel, Tribord
Chargé d’insertion et de recrutement, Le Relais Bretagne
3
Parmi ces modèles, comprenons notamment les notions de paradigme (Peter Hall), de système de croyances
(Paul Sabatier), ou de référentiel (Pierre Muller, Bruno Jobert).
4
MULLER Pierre, SUREL Yves, op.cit., p.48
5
Ibid., p.49
2
74
Dans le champ de l’insertion par l’économique il y aurait une convergence des principes
d’action généraux et spécifiques. Cependant dans la réalité, nous pouvons anticiper des
divergences dans les considérations pratiques et les instruments d’action utilisés, lié aux
statuts des acteurs et à leurs différents impératifs organisationnels.
B. L’IDÉE DE CONSTRUCTION D’UN PARCOURS EN INSERTION COMPROMISE
1. Fonctionnement idéal de l’IAE
Les acteurs du champ de l’insertion ne peuvent se contenter de partager des
représentations sur l’accompagnement des personnes en insertion, il convient de s’accorder
également sur des instruments qui permettent de concrétiser cette vision :
« L’ensemble de ces éléments cognitifs et normatifs détermine également
des considérations pratiques sur les méthodes et les moyens les plus
appropriés pour réaliser les valeurs et les objectifs définis1. »
En l’occurrence concernant l’IAE, l’idée promue est celle d’un parcours progressif : il y
aurait une cohérence entre les SIAE et ensuite avec la sortie vers les entreprises classiques.
Selon ce schéma, la personne éloignée de l’emploi pourrait débuter par un contrat en chantier
d’insertion, qui se déroule à temps partiel pour une première étape de familiarisation avec le
monde du travail. Elle pourrait poursuivre par un contrat en entreprise d’insertion, qui suggère
de passer à temps complet pour la plupart des cas, et de suivre un rythme plus soutenu. Enfin,
la dernière marche serait une sortie vers l’emploi dit durable, c’est-à-dire décrocher un
CDD de plus de six mois ou un CDI dans une entreprise classique. Ce fonctionnement permet
de fournir des solutions adaptées à chaque personne selon sa situation et le temps dont elle a
besoin pour acter un retour et maintien dans l’emploi. Chaque SIAE correspond à un niveau
d’éloignement de l’emploi différent. Les structures sont donc complémentaires.
Des instruments d’action ont été instaurés afin de faciliter la réalisation de tels parcours.
Ainsi, l’agrément IAE est commun à toutes les SIAE, et l’imposition de taux de sortie aux
structures pousse faire progresser les salariés en insertion vers l’emploi durable. Mais les
différents acteurs interrogés à l’occasion de ce présent travail de recherche s’accordent à dire
que l’idée de parcours en insertion avec une progression par étape reste très théorique :
1
Ibid., p.49
75
« Parler de l’entreprise d’insertion comme une dernière marche, signifie
qu’on introduit la notion de parcours, chère à l’administration ; on ne peut
qu’être d’accord avec la continuité entre SIAE. Mais pour moi, la
continuité de parcours est un mirage1 ».
Très peu de salariés réalisent des parcours de la sorte, même si cela existe. Par exemple,
l’entreprise d’insertion AJIEnvironnement recrute parfois des salariés issus de chantiers
d’insertion2. Mais ces types de parcours restent de l’ordre de l’exception marginale.
« L’idée de parcours ? C’est le beau rêve3 ! »
Même si le rêve est difficile à exaucer, certains estiment que l’idée de parcours permet de
donner une direction vers laquelle se diriger, d’impulser la démarche et un élan collectif.
C’est un élément favorisant l’émergence de représentations communes de l’insertion. Les
blocages dans la réalisation pratique de parcours ne remettent donc pas en cause l’existence
d’une matrice cognitive commune.
2. Différents facteurs compromettant la logique de parcours
 Durée de l’agrément limitée dans le temps
La durée de l’agrément IAE limitée dans le temps à 24 mois est une première raison
qui explique que la réalisation de parcours linéaires idéaux soit compromise.
Il faut plusieurs mois pour intégrer et former une personne au sein d’une structure, puis
construire avec elle un projet professionnel pour la faire évoluer. Prenons par exemple le cas
d’une personne qui commence son parcours en chantier d’insertion. Il lui faut un temps pour
s’adapter, pour apprécier sa nouvelle condition, puis pour construire un projet professionnel.
Si cela lui prend 18 mois en comptant le temps de transition 4 pour trouver un nouveau poste
en entreprise d’insertion, alors il ne lui reste que 6 mois pour recommencer le même
processus d’adaptation et construction d’un projet. Selon les situations, l’entreprise
d’insertion peut estimer que ce laps de temps restant sera insuffisant pour élaborer quelque
chose d’intéressant avec la personne.
1
Entretien avec M. CAFARO Benoit, responsable d’agence, Tribord
Entretien avec M. LEPEINTEUR Frank, directeur, AJIEnvironnement
3
Entretien avec M. PRAUD Jean-Yves, Conseiller Général, puis Vice-président chargé de l’Economie Sociale et
Solidaire et de l’insertion 2008-2015, Conseil Départemental 35 (anciennement Conseil Général)
4
L’agrément IAE a une durée limitative de 24 mois qui s’ouvre à la date d’embauche dans une SIAE. Durant les
périodes de transition entre deux contrats d’insertion, l’agrément n’est pas suspendu mais continue de s’écouler.
Seuls certains cas spécifiques ouvrent le droit à une période de suspension de l’agrément, sur décision de Pôle
Emploi (arrêt pour longue maladie, incarcération, congé maternité…)
2
76
Selon Benoit Cafaro1, la notion de parcours est biaisée dès lors que l’on conserve un seul
agrément unique dans la vie d’une personne et entre les structures d’IAE. La durée de 24 mois
est trop limitative2. Une perspective d’évolution du système d’agrément serait de le prolonger
à trois ans par exemple en cas de parcours, suggère Séverine Husson3.
 Transférabilité des compétences entre les structures
Les chantiers et les entreprises d’insertion ne sont pas forcément positionnés sur les mêmes
secteurs d’activité, donc le transfert des compétences et la transition entre structures n’est pas
évidente au premier abord. Par exemple dans le secteur du bâtiment et travaux publics, il n’y a
pas d’entreprise d’insertion pour prendre la suite des expériences en chantiers d’insertion.
D’autant plus que la répartition géographique des structures ne facilite pas les transferts :
« Toutes les entreprises d’insertion sont concentrées dans le bassin d’emploi de Rennes,
quelqu’un qui a fait un chantier à Redon et qui est peu mobile ne va pas venir poursuivre son
parcours à Rennes4… ». Par contre dans le secteur des espaces verts le parcours peu s’avérer
très intéressant, car en chantier les équipements sont plus modestes. Le passage en entreprise
d’insertion offre une réelle progression dans le métier comme le montre l’exemple
d’AJIEnvironnement.
 Taux de sorties communs à toutes les SIAE
L’imposition de taux de sortie aux structures d’IAE est un instrument d’action publique qui
encourage à faire progresser les salariés vers l’emploi durable. C’est aussi une contrainte
imposée à toutes les SIAE qui nuit à l’idée de parcours.
En effet, les chantiers ont les mêmes obligations de taux de sortie que les entreprises
d’insertion5. Donc si le chantier d’insertion voit une opportunité de faire évoluer l’un de ses
salariés vers un emploi durable, cette solution sera plus facilement privilégiée pour une
question de résultats. Une orientation vers une autre SIAE aurait été considérée comme une
sortie positive et non durable.
1
Responsable d’agence, Tribord
Même s’il existe des possibilités pour prolonger le CDDI au-delà de la fin de l’agrément sous certaines
conditions définies
3
Responsable Service Emploi, Unité Territoriale 35 DIRECCTE
4
Ibid.
5
Obligations soumises aux SIAE par leur conventionnement : 25% de sorties dites durables (CDI, CDD de
plus de six mois), 60% de sorties dites dynamiques (comprend les sorties durables, les sorties vers un emploi
de transition et les sorties positives).
Voir de manière plus approfondie le chapitre 3 partie II « Efficacité des dispositifs d’IAE ».
2
77
Ceci d’autant plus que la réalisation d’un parcours n’est pas forcément un idéal pour chaque
salarié. Un encadrement en chantier d’insertion peut être suffisant pour un retour et maintien
dans l’emploi futur.
 Suivi dans le parcours entre les différents acteurs
Inciter les personnes à réaliser des parcours suggère qu’il y ait une excellente coordination
entre les acteurs privés et publics pour faciliter les transitions. La durée de l’accompagnement
en SIAE dure seulement pendant le contrat d’insertion. A son issue, il faut ainsi pour la
personne conserve une dynamique et qu’il n’y ait pas de rupture dans l’accompagnement,
mais que le suivi soit repris immédiatement par les conseillers Pôle Emploi notamment. Or, ce
suivi entre structures s’opère difficilement en réalité :
« La continuité entre les SIAE, ça existe un peu. On fait un suivi
administratif avec une extension d’agrément au moment du changement
de structure, mais quand ça fonctionne, on le fait sans pouvoir réaliser de
réelles statistiques des passages entre ACI et EI1… »
Pour conclure, la construction de parcours d’insertion est une démarche idéale
partagée mais qui comporte de nombreuses limites dans sa concrétisation. Cela reflète
cependant l’existence de convergences entre les représentations des acteurs. Si à sa création,
l’IAE se basait plutôt sur une résistance aux modes d’action publique dominants, il semble
désormais y avoir un consensus sur la nécessité de concevoir la personne dans sa globalité.
La place des missions locales en tant qu’acteurs clés dans le champ de l’insertion l’illustre
parfaitement.
La cohérence du projet social des entreprises d’insertion se retrouve donc dans la jonction
entre insertion professionnelle et insertion sociale, et également dans un équilibre entre
l’objectif de rentabilité économique et l’accompagnement des personnes en insertion. Une
vision globalement partagée par l’ensemble des acteurs mais dont la mise en œuvre est
délicate, comme le montrent les instruments utilisés pour évaluer l’efficacité des dispositifs :
la mesure des taux de sortie après le passage en entreprise d’insertion.
1
Entretien avec Mme BERNARD-GRIFFITHS Sylvie, référente IAE Rennes et Ille-et-Vilaine, Pôle Emploi.
78
Chapitre 3. L’EFFICACITÉ DES DISPOSITIFS D’IAE
Tout au long de ce présent travail de recherche a été soulevée une forte interrelation
entre les acteurs concernés par le secteur de l’IAE. Ceci est observable à tous les niveaux, tant
à travers la construction historique du secteur, que lors de sa reconnaissance progressive ou
dans son fonctionnement actuel que ce soit dans la phase de recrutement ou
d’accompagnement des personnes en insertion.
Un élément structurant de ce réseau d’acteur n’a pas encore été abordé : le financement de
l’IAE et plus particulièrement des entreprises d’insertion. L’IAE est un outil des politiques
d’emploi et de lutte contre les exclusions. Au titre de ce service d’intérêt général rendu, les
structures d’insertion sont soutenues moralement et financièrement par les pouvoirs publics,
sachant que la principale source de financement public provient de l’Etat.
C’est un engagement réciproque entre l’Etat et les SIAE ; qui se matérialise par le
conventionnement. Or, pour qu’il perdure, les structures doivent fournir des résultats
démontrant l’accomplissement de leur projet social. Cependant, mesurer l’efficacité et
l’impact du projet social des entreprises d’insertion, à travers des indicateurs objectifs qu’ils
soient qualitatifs ou quantitatifs, ne semble pas aisé.
C’est un véritable enjeu du fonctionnement de l’IAE, que de parvenir à en mesurer
l’efficacité. A nouveau, les instruments utilisés sont sujets à des interprétations variables,
selon les statuts des acteurs et leurs spécificités. Il est toutefois nécessaire de viser une forme
d’équilibre ou d’accord, afin qu’il soit fonctionnel. L’hétérogénéité des structures rend
difficile la stabilisation du modèle, d’où l’importance du dialogue et de la négociation entre
acteurs, car l’intérêt premier reste la coopération, au service des personnes en insertion.
A. UN FINANCEMENT ANNEXÉ AUX RÉSULTATS DE SORTIE VERS
L’EMPLOI
1. Aide au poste et taux de retour vers l’emploi
Mesurer l’efficacité du projet social des entreprises d’insertion semble être à la fois
essentiel, permettant de justifier l’obtention de financements publics de la part de l’Etat ; et
arbitraire, par l’imposition de taux de sortie vers l’emploi similaires pour toutes les structures.
79
 Le montant socle de l’aide au poste
Les financements de l’Etat permettent de valoriser l’effort qui est réalisé en faveur des
personnes éloignées de l’emploi. Ils permettent aux structures d’insertion de compenser des
surcoûts liés à leur projet social, inexistants pour les entreprises classiques.
Le projet social de l’entreprise d’insertion nécessite de mettre en place une organisation
spécifique du travail. Une aide au poste est donc versée aux structures, dont le montant socle
est défini
par poste de travail occupé à temps plein. L’aide au poste « concourt au
financement des coûts liés à la rotation des personnes embauchées, leur productivité
restreinte,
l’encadrement
technique
nécessaire
à
l’accomplissement
des
missions
professionnelles qui leur sont confiées et à leur accompagnement social1 ».
Le montant socle de l’aide au poste est désormais revalorisé chaque année en fonction de
l’évolution du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC). En 2016, il est fixé
à 10 143 € pour les entreprises d’insertion2. Le montant total versé à chaque entreprise
d’insertion dépend du nombre d’équivalent temps plein (ETP) en insertion dont la structure
s’est vue accréditer, un nombre qui dépend lui-même du conventionnement avec l’Etat.
 Le conventionnement avec l’Etat
Le conventionnement est une condition préalable pour bénéficier des financements publics, à
laquelle s’ajoute la condition que les personnes embauchées en insertion disposent bien d’un
agrément Pôle Emploi. Le conventionnement détermine donc les conditions de versement de
l’aide financière selon le projet d’insertion présenté par la structure.
Des
évolutions
récentes
ont
marqué
des
changements
dans
les
modalités
de
conventionnement. Des exigences de performance et d’efficience sont désormais incluses, tel
qu’explicité par la circulaire de la DGEFP du 10 décembre 2008 : « Des objectifs
opérationnels sont systématiquement négociés, sur la base d’un projet d’insertion
territorialisé présenté par la structure, en lien avec les moyens mobilisés et associés à des
indicateurs qui permettent d’apprécier les résultats finalement obtenus3 ». Le projet
d’insertion territorialisé doit cependant s’inscrire dans des références nationales, émises par
cette même circulaire.
1
Note DGEFP n°2015-04 du 13 mars 2015 portant notification des enveloppes financières régionales 2015
relatives à l’insertion par l’activité économique
2
Arrêté du 14 janvier 2016 fixant le montant de l'aide financière aux structures de l'IAE
3
Circulaire DGEFP n°2008-21 du 10 décembre 2008 relative aux nouvelles modalités de conventionnement des
structures d’insertion par l’activité économique.
80
 Les taux de sorties soumis aux SIAE
Concrètement, pour mesurer l’efficacité des dispositifs d’insertion, il a été décidé d’instaurer
des objectifs de retour à l’emploi fixés à chaque structure et évalués par des indicateurs précis.
Ces objectifs sont négociés avec les services déconcentrés de l’Etat : la DIRECCTE, Pôle
Emploi et la structure d’IAE, mais la réforme de 2008 impose des minimums requis :
1) Ainsi, une entreprise d’insertion doit atteindre un objectif de 25% de sorties dites
durables ; c’est-à-dire qu’à l’issue de leur parcours dans l’entreprise, au moins 25%
des salariés en insertion doivent avoir trouvé un CDI ou un CDD ou missions
d’intérim de plus de 6 mois
2) D’autres types de sorties sont identifiées : les sorties vers un emploi de transition
qui correspondent aux CDD et missions d’intérim de moins de 6 mois ou contrats aidé
chez un employeur de droit commun ;
3) Ainsi que les sorties positives qui sont les formations pré-qualifiantes ou
qualifiantes, les embauches dans une autre SIAE…
L’ensemble de ces trois types de transitions est appelé « sorties dynamiques » et chaque SIAE
doit atteindre un objectif de 60% de sorties dynamiques.
D’un côté ces indicateurs semblent très intéressants pour évaluer l’efficacité du dispositif
global et fournir des ajustements dans les comportements lorsque cela est nécessaire. Le
dispositif d’évaluation peut servir à l’amélioration de l’IAE et à une meilleure visibilité de son
action. On peut penser que cela mènera à une plus grande reconnaissance du secteur comme
outil pertinent dans les politiques d’emploi, créant ainsi un cercle vertueux.
Mais d’un autre point de vue, on peut considérer ces indicateurs de résultats comme
arbitraires. Les mêmes taux de sortie sont imposés à chaque entreprise d’insertion bien
qu’elles aient chacune leurs spécificités. Par exemple, elles n’accueillent pas toutes les mêmes
types de publics. Il naît ici un paradoxe : une entreprise d’insertion qui embauche des
personnes en insertion moins en difficulté aura probablement des taux de sortie meilleurs,
qu’une autre structure qui accompagne des personnes plus éloignées de l’emploi. Cependant,
cette dernière accomplit un projet social d’insertion tout aussi louable, voire même demandant
un investissement plus conséquent.
Mesurer l’efficacité de l’IAE paraît donc délicat, et pose question sur l’équilibre entre le
projet social et l’impératif d’atteindre les résultats escomptés et requis.
81
2. Réforme des financements et introduction de la modulation
Afin de pallier ces défaillances et donner un nouvel élan à l’IAE, une nouvelle mesure
de financement a été introduite et est entrée en vigueur en 2014 : la modulation. Il s’agit d’un
montant complémentaire au montant socle de l’aide au poste, qui doit permettre d’apprécier la
réalité du travail de la structure au-delà de ses seuls résultats de sorties.
Le montant modulé peut aller jusqu’à 10% du montant socle et est variable selon les résultats
des structures d’IAE. Cette réforme permet de prendre en compte la situation des personnes
au moment du recrutement, pour une plus grande efficacité dans l’accompagnement des
personnes les plus éloignées de l’emploi.
Trois critères sont utilisés pour le calcul de la modulation :
1) Le critère publics : part des bénéficiaires de minimas sociaux parmi les salariés en
insertion
2) Le critère efforts d’insertion : nombre d’équivalents temps plein (ETP) dévolus à
l’accompagnement socioprofessionnel, comparé au nombre d’ETP en insertion
3) Le critère résultat en sortie de structure : rapport entre les sorties dynamiques et
les sorties totales
Malgré les avancées émises par cette réforme, des limites ont déjà été formulées lors de
différents entretiens auprès d’acteurs du champ de l’IAE dans le bassin d’emploi rennais. Le
dispositif serait pour le moment faiblement incitatif pour les entreprises d’insertion car les
montants modulés alloués seraient relativement homogènes autour de 5%. Cette remarque est
à nuancer d’après la jeunesse du dispositif.
Une autre limite plus importante reprend la question de l’éloignement à l’emploi. Les
indicateurs peuvent être sujets à une grande polysémie. D’où toute la complexité de
représenter la performance du projet social à travers des indicateurs qui se voudraient
objectifs et transversaux à toutes les structures.
Il est par exemple possible de remettre en perspective l’indicateur utilisé pour juger du critère
« publics » : les bénéficiaires des minimas sociaux sont-ils réellement plus éloignés de
l’emploi que d’autres salariés en insertion, tels que par exemple des primo-arrivants sur le
territoire français avec des difficultés de maîtrise du français ?
82
Certains acteurs interrogés émettent l’hypothèse selon laquelle la multiplication des
indicateurs pourrait se faire au risque d’une catégorisation supplémentaire des publics en
insertion. On peut donc se demander jusqu’où la mesure des résultats des entreprises
d’insertion est-elle possible, sans risquer de « nuire » à l’essence du projet social, adapté à ses
propres contraintes, volontés et réalités.
Finalement, les indicateurs de résultats sont tous empreints d’une grande relativité. Pour que
les objectifs de résultats restent pertinents d’une structure à l’autre, le dialogue et la
négociation entre les acteurs sont donc d’autant plus essentiels. Le but étant de comprendre
les particularités de chaque structure en fonction des caractéristiques du public accueilli et du
contexte dans lequel se situe l’entreprise.
B. DES RÉSULTATS À LEUR NEGOCIATION
1. L’intérêt du dialogue de gestion
Les acteurs publics et les SIAE ont un même objectif : le retour et le maintien dans
l’emploi des personnes en insertion par un accompagnement social et professionnel adapté.
Pour cela il est primordial de comprendre les résultats de la structure. Ceux-ci sont exposés et
discutés lors du dialogue de gestion.
Le dialogue de gestion est organisé annuellement par l’unité territoriale de la DIRECCTE en
présence de Pôle Emploi, éventuellement d’autres financeurs, et bien sûr, de la structure
d’IAE concernée. La structure y présente son bilan d’activité annuel qui précise les actions
d’insertion mises en œuvre et les résultats à l’issue des parcours dans la structure1.
C’est donc l’occasion d’aller au-delà des données chiffrées et autres indicateurs. Les
résultats sont discutés et de nombreux thèmes abordés : la psychologie et l’évolution du
public accueilli, l’accompagnement socioprofessionnel pratiqué, les difficultés de recrutement
rencontrées. Chaque situation individuelle des salariés en insertion est décryptée afin de
comprendre les facteurs explicatifs d’une sortie vers l’emploi, vers une formation ou le retour
au chômage. Cette instance de pilotage et de dialogue permet enfin de soulever les difficultés
éventuelles et d’initier des pistes de solutions, tout en permettant une meilleure transparence
sur les attentes de chaque interlocuteur.
1
Instruction DGEFP n°2014-2 du 5 février 2014 relative au pilotage des dispositifs d’insertion par l’activité
économique
83
Grâce au dialogue de gestion la vision de l’efficacité de la structure gagne en cohérence
puisque ses résultats sont contextualisés. Il n’y a pas de caractère coercitif par des sanctions
applicables en cas de non respect des objectifs de résultats fixés1, ni de rapport de force
déséquilibré entre les acteurs. Si les taux de sorties soumis aux SIAE en venaient à prendre un
caractère beaucoup plus contraignant, cela pourrait produire un effet considérable sur le
recrutement. La sélectivité des structures pourrait être renforcée afin d’être plus sûrs
d’atteindre les objectifs imposés.
2. Un difficile suivi à l’issue des parcours en SIAE
Malgré des indicateurs à la fois quantitatifs et qualitatifs et l’existence d’instances de
dialogue pour analyser les résultats des entreprises d’insertion, cela reste difficile d’estimer
l’efficacité de l’IAE. Le secteur implique un grand d’acteurs qui coordonnent leurs actions.
Il est possible de qualifier l’intensité de ces interrelations, d’évaluer les résultats d’une
structure d’IAE dans son ensemble. Mais comment mesurer l’impact d’un parcours
d’insertion sur chaque personne ?
L’accompagnement par l’entreprise d’insertion s’arrête à la fin du contrat et la structure perd
contact avec le salarié dans la grande majorité des cas. Le seul outil de mesure des sorties
après un parcours en insertion est donc la situation de la personne au moment de sa sortie de
l’entreprise d’insertion. Or, pour mesurer l’efficacité du dispositif de manière plus
approfondie il faudrait pouvoir suivre l’évolution des parcours à un an puis deux ans après la
sortie, comme me le souligne Zénaïde Péron2.
Pour pallier ce manque et avoir des indications sur les situations des personnes étant passées
par des parcours en SIAE, la Dares a réalisé une enquête en 2012 auprès de salariés 18 mois
après leur embauche3. Concernant les entreprises d’insertion il en est ressorti que parmi les
personnes interrogées ayant quitté la structure, 34% occupaient un emploi4, 7% étaient en
reprise d’étude ou en formation, 54% étaient au chômage, et 5% en situation d’inactivité. En
1
Le risque majeur en cas de non respect des objectifs serait le non renouvellement du conventionnement avec
l’Etat, c’est-à-dire que la structure ne serait plus SIAE et donc ne toucherait plus d’aide au poste, mais cette
situation ne se produit quasiment jamais. En cas de grandes difficultés, c’est plutôt la recherche d’explications et
de solutions qui prime. Le seul risque pouvant être baisse du nombre d’équivalents temps plein alloués à cette
structure.
2
Responsable IAE, DLA et ESS, Pôle entreprises, emploi et économie – AREFP, DIRECCTE Bretagne
3
Rapport « L’insertion par l’activité économique en 2013 » [en ligne], Dares, art.cit.
Voir en annexe : situation en 2012 des salariés entrés en parcours d’insertion fin 2010 (tableau)
4
Parmi les 34% qui occupaient un emploi, 12% disposaient d’un emploi stable (CDI, à son compte), 18% d’un
emploi non stable non aidé (CDD, Césu, intérim, vacation) et 3% d’un emploi aidé.
84
reprenant les objectifs fixés aux structures d’IAE et notamment celui d’obtenir un taux de
sorties dynamiques de 60%, on peut constater ici par cette enquête qu’à 18 mois après
l’embauche en SIAE parmi les personnes ayant quitté la structure, seulement 41% seraient
toujours en situation de sortie dynamique1.
Cette comparaison doit être réalisée avec précaution, car les personnes interrogées n’avaient
pas toutes passé le même temps en entreprise d’insertion et cela faisait donc plus ou moins
longtemps qu’elles avaient quitté la structure. Cela révèle cependant la relativité des
résultats obtenus par les indicateurs. L’enquête de la Dares propose une vision plus
contrastée de l’efficacité de l’IAE, ou du moins davantage mise en perspective dans le temps.
Ces remarques soulignent un nouvel écart entre l’idéal visé dans le fonctionnement de l’IAE
et la réalité qui s’avère très complexe à évaluer, d’après l’hétérogénéité des contextes, des
structures, des parcours personnels…
L’un des enjeux clés du secteur de l’IAE est de promouvoir une cohérence du dispositif, à la
fois temporelle et spatiale. Dans le temps, car il semble important de permettre un suivi des
parcours des personnes en insertion dans toutes leurs transitions et virages pour éviter les
décrochages. Dans l’espace, par une prise en compte des contextes économique ou du marché
de l’emploi, variables d’une structure à l’autre. Cela nécessite un réel investissement de l’Etat
envers les structures d’IAE.
C. DE LA NÉGOCIATION À L’EFFICACITÉ RELATIVE DE L’IAE
1. L’IAE : investissement ou dépense publique ?
Les entreprises d’insertion et autres structures d’IAE ont pu démontrer de leur
efficacité : elles créent et redistribuent de la richesse sur les territoires par un réel dynamisme
économique, au bénéfice en premier lieu des personnes en insertion.
Ainsi en 2015 selon la Fédération des Entreprises d’Insertion, une entreprise d’insertion a
produit en moyenne un chiffre d’affaire de 1 033 K€, sachant que les aides aux postes de
l’Etat représente 167 K€ en moyenne, soit un taux moyen de 16% environ. Les entreprises
d’insertion sont donc efficaces économiquement. Une grande partie du chiffre d’affaire est
redistribué en masse salariale, contribuant donc à autonomiser financièrement des personnes
qui étaient auparavant sans revenu salarial parfois depuis longtemps.
1
Les sorties dynamiques correspondant aux situations d’emploi durable, d’emploi non durable ou de formation.
85
Dans une perspective keynésienne, on pourrait dire que les entreprises d’insertion font naître
un cercle vertueux de la croissance. L’investissement public de l’Etat à travers les aides aux
postes contribuent au dynamisme des entreprises d’insertion et donc à la hausse des revenus
distribués. Les salariés ont désormais une plus forte propension à consommer, ce qui
contribue à une hausse de la consommation et donc de la production et enfin de
l’investissement1. Sachant que l’entreprise reverse également des impôts et taxes à l’Etat, ce
dernier aurait tout intérêt à soutenir massivement le modèle de l’IAE et à le percevoir comme
un investissement rentable :
« Les aides financières publiques sont au total plus que compensées par
les recettes fiscales et sociales que les SIAE génèrent, sans omettre de
prendre en compte les coûts évités par ces emplois d’insertion et leurs
effets sur le développement local et la cohésion sociale2 »
D’autant plus que la finalité sociale poursuivie par les entreprises d’insertion s’insère dans la
visée des politiques d’emploi, en permettant à des milliers de personnes chaque année de
retrouver une situation et une certaine dignité par l’emploi. Selon les données de la Dares il y
avait 928 entreprises d’insertion en activité en France en 2013, qui embauchaient en moyenne
chaque mois 12 500 salariés en insertion3.
Pourtant, si le secteur est reconnu et soutenu financièrement, l’impulsion de l’Etat semble
insuffisante pour propulser l’IAE dans une autre échelle. Par exemple, l’aide au poste délivrée
aux entreprises d’insertion n’avait pas été revalorisée depuis 2001 4 jusqu’à de très récentes
évolutions. Dans la présentation de son rapport « Lever les obstacles aux promesses de
l’IAE », le CNIAE indiquait en 2007 :
« Le rôle de l’Etat est évidemment essentiel. […] Il reste qu’au sein des
dépenses globales pour l’emploi, l’Etat fait une part relativement faible à
l’insertion par l’activité économique, qu’il ne cible pas suffisamment le
lourd effort d’accompagnement nécessaire à l’accès des plus défavorisés
et que de surcroît ses dépenses sont réparties sans véritable cohérence
dans le temps et sur les territoires entre les SIAE concernées »
1
DIAZ Pablo, Cours d’économie, IEP de Rennes, année universitaire 2012-2013.
FRANCE, Conseil national de l’insertion par l’activité économique, « Lever les obstacles aux promesses de
l’insertion par l’activité économique » [en ligne], présentation du rapport, art.cit.
3
Rapport « L’insertion par l’activité économique en 2013 », Dares, art.cit.
4
L’aide au poste était restée constante à un montant de 9681€ par équivalent temps plein par an
2
86
Cela nous mène à penser que l’IAE serait davantage perçue et assimilée à une dépense
publique qu’à un investissement porteur, et ce malgré les démonstrations de l’efficacité
économique et sociale des structures d’insertion sur les territoires. Jacques Dughera indique
qu’il y aurait une confusion entretenue par les pouvoirs publics, entre traitement social du
chômage qui requiert des dépenses publiques, et les dispositifs d’IAE qui constituent eux une
réelle politique d’investissement social dans le travail1.
Si l’Etat a joué un rôle majeur dans l’institutionnalisation et la reconnaissance de l’IAE et
occupe toujours une place essentielle dans l’octroi de financements, on peut émettre
l’hypothèse d’un rôle croissant des collectivités territoriales, dans les perspectives de
développement de l’IAE.
2. Une recomposition de la gouvernance autour des collectivités
territoriales : quelles perspectives ?
L’IAE est par essence ancrée sur les territoires. Il semble cohérent que lui soit associé
un développement endogène. Cela permettrait d’éviter des situations de décalages potentiels
entre des objectifs ou politiques fixées nationalement et les réalités du bassin d’emploi. Le
risque étant de ne pas être en adéquation avec l’évolution du marché du travail et des secteurs
en tension, différents d’une zone à l’autre. Une gestion territorialisée permet de s’adapter plus
facilement aux forces et difficultés des territoires.
A ce titre, les collectivités territoriales ont un rôle majeur à jouer dans le développement de
l’IAE. Elles occupent d’ores et déjà une place croissante dans les dispositifs d’insertion. Suite
au Grenelle de l’insertion en 2007, cet enjeu a été soulevé à travers un plan de modernisation
de l’IAE présenté en 2008, qui visait notamment à redynamiser les conseils départementaux
de l’IAE (CDIAE) afin qu’ils deviennent des instances de mobilisation et de pilotage de
l’offre d’insertion sur les territoires2 :
« Toutefois, pour donner ce nouvel élan, nécessaire et attendu par les
acteurs eux-mêmes, à l’insertion par l’activité économique, l’Etat ne peut
se contenter d’agir seul. Le développement d’une offre d’insertion de
qualité, adaptée aux besoins des personnes les plus éloignées de l’emploi,
suppose la mobilisation de tous les acteurs locaux autour d’une stratégie
partagée »
1
DUGHERA Jacques, secrétaire général du Conseil national de l’insertion par l’activité économique (CNIAE)
jusqu’en 2009, in L’insertion par l’activité économique, « Alternatives économiques », poche n°44, Paris,
[éditeur], 2010, p. 151-153.
2
Instruction DGEFP du 13 août 2008 relative à la présentation du plan de modernisation du secteur de
l’Insertion par l’Activité Economique
87
La mobilisation croissante des collectivités territoriales s’illustre dans la structure des
financements publics perçus par les structures d’IAE. Si l’Etat reste la source de financement
public majeure, les départements en représentent à eux seuls 25 %1. Compte tenu de leur
compétence en matière d’insertion, ils sont engagés pour le soutien des initiatives d’IAE 2. Ils
peuvent procurer une aide à l’encadrement, à l’accompagnement, financer des actions de
formations ou délivrer des subventions d’investissement. Nous avons pu constater également
que l’introduction de clauses sociales dans les marchés publics est une nouvelle source de
financement pour les structures d’IAE, ce qui conforte l’idée d’une place prépondérante des
collectivités territoriales dans le développement de l’IAE.
Les collectivités territoriales sont par conséquent appelées à prendre une part croissante dans
la promotion, la structuration et la gouvernance du secteur, à l’instar de la redynamisation
souhaitée des CDIAE ; ainsi que dans le financement des structures d’IAE.
Nous en concluons que l’étude des modalités de financement des structures d’IAE
soulève plusieurs enjeux. Tout d’abord, l’octroi de financements de l’Etat étant lié à une
exigence de résultats questionne sur l’équilibre entre le projet social et les objectifs attendus.
Les structures semblent s’affranchir de cette question et trouver un équilibre cohérent. C’est
plutôt la complexité de trouver des indicateurs homogènes pour évaluer l’efficacité de
dispositifs d’IAE très protéiformes, qui doit être relevée.
Finalement, poser la question de l’efficacité des initiatives d’insertion par l’économique, c’est
se demander à quelle échelle territoriale l’action publique en matière d’emploi est-elle la
plus cohérente ? Dans le secteur de l’IAE, il semble inévitable de promouvoir un
investissement et une coordination de l’action des collectivités territoriales entre-elles, et avec
les acteurs locaux dont les entreprises d’insertion, sachant que l’Etat reste un acteur clé. Cela
semble être la condition pour permettre un suivi continu et individualisé de la personne dans
sa globalité comme cela est souhaité, tout en restant en adéquation avec les réalités des
secteurs d’activité du bassin d’emploi. En ce sens à l’heure d’une recentralisation des
politiques publiques, nous pouvons dire que le secteur de l’IAE se développe à la fois avec et
à contre-courant des modes d’action publique dominants.
1
Réforme des financements de l’Insertion par l’Activité Economique, présentation [en ligne], Avise, 2015,
[consulté le 5/04/2016], Disponible à l’adresse : http://bit.ly/1QUK60q
Voir en annexe: parts des financeurs publics directs de l’IAE (graphique)
2
Entretien avec M. PRAUD Jean-Yves, Conseiller Général, puis Vice-président chargé de l’Economie Sociale et
Solidaire et de l’insertion 2008-2015, Conseil Départemental 35 (anciennement Conseil Général)
88
Conclusion
Aujourd’hui ça y est, je comprends mieux les tenants et aboutissants de l’insertion par
l’activité économique. Les mots qui ouvraient ce travail s’éclairent. Je prends désormais la
pleine mesure de l’exclamation de Frank Lepeinteur, directeur d’AJIEnvironnement :
« Pour créer une entreprise d’insertion, ou faire fonctionner une SIAE,
il faut avoir une bonne dose d’inconscience !
On a des soucis comme une entreprise normale, et on s’en rajoute ! »
Oui, peut-être que l’insertion des personnes éloignées de l’emploi par une mise en situation
travail, était basée sur une certaine utopie… L’idéal d’un fonctionnement équilibré : une
rentabilité économique, essentielle pour la conduite d’un projet social ambitieux. Ceci est
d’autant plus crucial pour les entreprises d’insertion, qui se trouvent aujourd’hui mises en
concurrence avec d’autres entreprises traditionnelles.
Malgré tout l’idée de ce concept d’entreprise hybride était intéressante. C’est pourquoi elle fut
portée à partir des années 1960, par des travailleurs sociaux enclins à s’investir pour aller audelà des formes d’action publique existantes. Lutter contre les exclusions, ce n’était pas se
limiter à l’octroi de minimas sociaux, même si cela restait bien sûr important.
Mais l’IAE allait plus loin et entendait inciter les personnes en voie de marginalisation à
devenir plus actives, plus autonomes, plus responsabilisées. Comment y parvenir ? En créant
des structures qui feraient du secteur d’activité choisi un support pour le projet d’insertion.
Pour compenser le coût de l’accompagnement, les structures d’IAE percevraient des
financements de la part des pouvoirs publics.
Ainsi, l’idée se transformait en actions. Des expérimentations se multipliaient en France. Mais
à cette époque, l’IAE faisait encore des sceptiques : les entreprises classiques dénonçaient une
forme de concurrence déloyale, quand les pouvoirs publics pouvaient y voir une dépense
publique supplémentaire.
89
A force de persévérance et de convictions, l’IAE a pu tout de même s’étendre et acquérir
progressivement des statuts juridiques. La reconnaissance politique du secteur était croissante.
Au fil des années, le modèle a pu démontrer son efficacité, tant sur le plan social
qu’économique.
Les entreprises d’insertion et autres structures d’IAE se sont ancrées dans le paysage, à la fois
grâce à leur dynamisme économique apporté aux territoires, et également par une inscription
dans au sein des politiques d’emploi.
Aujourd’hui, les différents acteurs publics et privés coopèrent étroitement pour soutenir l’IAE
comme dispositif de lutte contre le chômage et les exclusions. Curieusement, il semble que
par cette coordination des actions, des représentations communes de l’insertion ont été
révélées. En encourageant les pratiques des structures d’IAE, les politiques publiques tendent
aussi à privilégier une approche globale de la personne.
Le type de gouvernance aurait favorisé l’émergence d’une vision commune de l’insertion, ce
qui n’était pas du tout une évidence à la création du secteur de l’IAE. Le caractère partenarial
oblige les acteurs à s’accorder sur des référentiels partagés, à propos des parcours des
personnes éloignées de l’emploi. L’aspect territorialisé de l’action publique en la matière,
permet aussi une cohérence et une certaine homogénéité dans les perceptions des acteurs, car
la réalité est davantage contextualisée.
Cependant, des enjeux majeurs subsistent. L’apparente convergence des acteurs sur des
représentations idéales de l’IAE masque des divergences dans l’interprétation des instruments
à mettre en place. Tous les professionnels rencontrés notent des décalages existants entre les
besoins et attentes des entreprises d’insertion ; et les candidats qui sont envoyés (ou non !) par
les prescripteurs.
L’interconnaissance est donc un axe de travail principal et transversal. Les acteurs privés
comme publics y travaillent ardemment. En effet, la concertation prime quand il s’agit de
concilier d’une part la mission d’intérêt général assurée par les entreprises d’insertion (voire
une quasi délégation de service public) ; avec le modèle déployé étant issu de
l’entrepreneuriat pur. Cela peut apparaître comme une contradiction a priori. Mais le modèle
de l’IAE fonctionne avec efficience en réalité, à la croisée entre action publique et initiative
privée.
90
Pour qu’elles continuent de se développer, les entreprises d’insertion doivent en revanche
faire face à plusieurs défis. Le premier s’inscrit dans le prolongement de l’idée
d’interconnaissance. Il s’agit de promouvoir une échelle d’action publique territorialisée, en
prenant en compte les spécificités de chaque zone. L’idée est de faire valoir des intérêts
localisés, tout en mettant en cohérence l’action des différents échelons (commune,
intercommunalité, département, région).
Le second enjeu est d’investir de nouveaux secteurs d’activité, justement en cohérence avec
les potentiels de développement identifiés localement. Les entreprises d’insertion ont toujours
été pionnières dans leurs champs d’activités. Elles sont vectrices d’innovation et
d’expérimentations ; et sont donc en constante recherche de nouveaux marchés porteurs. Les
nouvelles technologies, les circuits-courts, l’économie « verte » sont autant de voies dans
lesquelles l’IAE pourrait s’engouffrer ; toujours au service du projet social d’insertion.
Car un dernier défi, et pas des moindres, est de continuer à accueillir le plus de personnes
éloignées de l’emploi en parcours d’insertion. C’est un enjeu de taille, à l’heure d’un chômage
de masse considérable, qui concerne une part de la population fragilisée. La frénésie des
diplômes et l’élévation du niveau de formation moyen, mettent encore plus en échec ceux qui
sont « descendus du train en marche » à un moment de leur vie. Le besoin d’accompagnement
se fait d’autant plus ressentir.
C’est dans ce contexte que les structures d’IAE apparaissent comme un instrument d’action
publique incontournable… mais encore une fois, seulement si les moyens leurs sont donnés
de « changer d’échelle ». Pour cela, les réseaux d’IAE appellent à la multiplication des
partenariats publics-privés :
« Acheteurs publics, développez vos achats socialement responsables » !
C’est le titre d’une récente publication de la Fédération des entreprises d’insertion, en
partenariat avec l’Alliance Villes Emploi et l’Assemblée des Communautés de France1. Les
clauses sociales dans les marchés publics sont en effet des leviers considérables pour
l’insertion, et pourront représenter une belle part dans l’avenir du secteur.
1
Publication « Acheteurs publics, développez vos achats socialement responsables » [en ligne], Fédération des
entreprises d’insertion, [consulté le 1/05/2016], disponible sur : http://bit.ly/1XfF5ak
91
Pour terminer, si ce travail d’apprentissage de la recherche était à refaire, j’aimerais
m’attarder plus longuement sur les trajectoires des personnes en insertion. Pour comprendre
leurs motivations, leurs capacités d’action et de changement, ce qu’ils recherchent par un
passage en entreprise d’insertion, les résultats qu’ils en retirent… Car ce sont ces points de
vue singuliers qui avaient au départ éveillé mon intérêt pour l’IAE.
Mais pour des questions de faisabilité et de temps, j’ai plutôt tenté de comprendre ces
trajectoires individuelles sous le prisme de la sociologie des organisations. J’ai été avec
enthousiasme à la rencontre d’acteurs publics et d’entreprises d’insertion, qui structurent le
bassin d’emploi rennais. J’aurais aimé approfondir cette étude de discours et d’expériences,
par une focale plus microsociologique : à travers des entretiens avec des salariés en insertion,
et par exemple des moments d’observations ethnographiques dans les entreprises.
L’initiation à la recherche a donc été l’occasion d’un simple aperçu, assez large mais modeste,
sur le fonctionnement des entreprises d’insertion.
Une découverte qui fut passionnante, et qui démontre combien l’articulation entre les trois
piliers du développement durable est possible : le social, l’économique, et même
l’environnemental. Une expérience qui fut également stimulante, dans la mesure où elle invite
à poursuivre, à s’investir, à s’engager… à l’image des professionnels de l’insertion par
l’activité économique. Ils se sont peut-être lancés dans l’aventure dotés d’une certaine
inconscience bienveillante, mais ils travaillent, avant tout, avec passion.
92
Table des matières
SOMMAIRE ...........................................................................................................................................4
INTRODUCTION .........................................................................................................................................6
A. Présentation du thème de recherche ...........................................................................................6
1. Actualité du sujet.....................................................................................................................6
2. Un regard personnel en aparté sur le thème ............................................................................7
3. Première mise en perspective historique .................................................................................7
B. Précisions autour de l’objet de recherche .................................................................................9
1. Définitions et affinement du sujet ..........................................................................................9
2. Question de départ et prénotions ...........................................................................................13
C. Problématisation.......................................................................................................................14
1. Axes de recherche .................................................................................................................14
2. Hypothèses ............................................................................................................................15
D. Terrain et méthodologie de recherche ......................................................................................17
1. La délimitation d’une aire géographique ..............................................................................17
2. Identification des acteurs majeurs .........................................................................................17
3. Justification de l’angle de recherche adopté..........................................................................18
PARTIE I - LE MODELE D’ENTREPRISE D’INSERTION : AU CŒUR D’UNE
GOUVERNANCE PARTENARIALE ET TERRITORIALISEE ..................................................21
CHAPITRE 1. INSTITUTIONNALISATION DES STRUCTURES D’INSERTION PAR L’ACTIVITÉ
ÉCONOMIQUE .....................................................................................................................................22
A. Naissance d’initiatives locales (1960-1970) .............................................................................22
1. De nouvelles expérimentations pour dépasser les limites de l’Etat social ............................22
2. De l’assistance à l’autonomie: une nouvelle vision de l’action sociale et de l’insertion ......24
B. Acquisition de statuts juridiques (1980-1990) ..........................................................................25
1. L’exclusion constitué en problème public ............................................................................26
2. Reconnaissance juridique progressive et légitimation des SIAE ..........................................27
C. L’IAE : vers un instrument d’action publique reconnu dans les années 2000-2010 ................31
1. Une efficacité financière de l’IAE démontrée .......................................................................31
2. Vers une « ouverture du jeu collectif » ? ..............................................................................32
93
CHAPITRE 2. CONSTITUTION D’UN RÉSEAU D’ACTION PUBLIQUE DANS LE CHAMP DE L’IAE ..........34
A. Un maillage d’acteurs très dense..............................................................................................35
1. Un volontarisme politique dans l’accompagnement des SIAE .............................................35
2. Une étroite coordination dans le processus de recrutement de personnes en insertion .........37
B. De l’instauration du dialogue à des relations partenariales ....................................................38
1. Convergence des intérêts des acteurs concernés sur la question de l’emploi ........................38
2. Une certaine forme de concurrence subsistante ? .................................................................40
C. L’interconnaissance comme enjeu majeur...............................................................................41
1. Des freins persistants.............................................................................................................41
2. Un grand effort d’ouverture réalisé .......................................................................................43
CHAPITRE 3. PROFESSIONNALISATION DES ENTREPRISES D’INSERTION ...........................................45
A.
Adaptation inévitable aux nouvelles réalités économiques ..................................................46
1. Mise en concurrence des entreprises, diversification des activités et technicisation ............46
2. Les spécificités des entreprises d’insertion dans la recherche de nouvelles activités ...........48
3. Transformation de la figure du dirigeant : du travailleur social au gestionnaire d’entreprise
...................................................................................................................................................49
B.
Des formes renouvelées de gouvernance interne : l’exemple de Ressources T ....................50
1. Insuffisances des formes de gouvernance précédentes .........................................................50
2. Le statut de SCIC : vers une inclusion de l’ensemble des parties prenantes dans la prise de
décision .....................................................................................................................................51
C.
Introduction de clauses sociales dans les marchés publics ..................................................53
1. Intérêts du dispositif : un levier considérable pour l’IAE .....................................................53
2. Mise en œuvre : une utilisation sous-optimale des clauses ...................................................55
PARTIE II - LE PARCOURS DES PERSONNES EN INSERTION : DES PRINCIPES
D’ACTION OSCILLANT ENTRE IDEAL ET REALITE .............................................................58
CHAPITRE 1. LE RECRUTEMENT .........................................................................................................60
A.
Quels publics éligibles À l’IAE ? ..........................................................................................60
1. D’une clarté théorique apparente des publics éligibles… .....................................................60
2. … à une grande marge d’interprétation en réalité .................................................................62
B.
Attentes des entreprises d’insertion et cohérence du projet social .......................................64
1. Des personnes motivées en capacité de travailler .................................................................64
2. Des équipes fonctionnelles aux profils diversifiés ................................................................66
C.
Fonctionnement du recrutement en réseau « fermé » : une voie souvent privilégiée ...........67
1. Le paradoxe des postes vacants en entreprise d’insertion .....................................................67
2. Partiel contournement de Pôle Emploi pour recruter ............................................................69
94
CHAPITRE 2. L’ACCOMPAGNEMENT ..................................................................................................71
A.
La « globalité » de la personne mise en exergue ..................................................................71
1. Interdépendance entre insertion sociale et professionnelle ...................................................71
2. Un suivi évolutif par les entreprises d’insertion: des problèmes sociaux périphériques à
l’élaboration d’un projet professionnel .....................................................................................73
B.
L’idée de construction d’un parcours en insertion compromise ..........................................75
1. Fonctionnement idéal de l’IAE .............................................................................................75
2. Différents facteurs compromettant la logique de parcours ...................................................76
CHAPITRE 3. L’EFFICACITÉ DES DISPOSITIFS D’IAE ..........................................................................79
A.
Un financement annexé aux résultats de sortie vers l’emploi ..............................................79
1. Aide au poste et taux de retour vers l’emploi........................................................................79
2. Réforme des financements et introduction de la modulation ................................................82
B.
Des résultats à leur négociation ...........................................................................................83
1. L’intérêt du dialogue de gestion ............................................................................................83
2. Un difficile suivi à l’issue des parcours en SIAE ..................................................................84
C.
De la négociation à l’efficacité relative de l’IAE .................................................................85
1. L’IAE : investissement ou dépense publique ? .....................................................................85
2. Une recomposition de la gouvernance autour des collectivités territoriales : quelles
perspectives ? ............................................................................................................................87
CONCLUSION .....................................................................................................................................89
TABLE DES MATIERES ...................................................................................................................93
BIBLIOGRAPHIE ...............................................................................................................................96
OUVRAGES GÉNÉRAUX ......................................................................................................................96
RESSOURCES UNIVERSITAIRES ...........................................................................................................97
OUVRAGES ET ARTICLES SPÉCIFIQUES À L’INSERTION ......................................................................97
RAPPORTS ET STATISTIQUES ..............................................................................................................98
CORPUS JURIDIQUE ............................................................................................................................99
ANNEXES ...........................................................................................................................................101
LISTE DES ENTRETIENS RÉALISÉS ....................................................................................................101
DIFFÉRENCES MAJEURES ENTRE LES STRUCTURES D’IAE ...............................................................102
DONNÉES CHIFFRÉES COMPLÉMENTAIRES ......................................................................................103
95
Bibliographie
OUVRAGES GÉNÉRAUX
BERGER Peter L., LUCKMANN Thomas, La construction sociale de la réalité, Paris,
Méridiens-Klincksieck, 1986 cité dans MULLER Pierre, SUREL Yves, L’Analyse des
politiques publiques, Paris, Montchrestien, Collection Clefs, 1998, p.47.
BOUSSAGUET Laurie, JACQUOT Sophie, « Les nouveaux modes de gouvernance », cité
dans LE GALES Patrick, « Gouvernance », In BOUSSAGUET Laurie et al., Dictionnaire des
politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), « Références », 2014, 772 p.
CASTEL Robert, Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat.
Paris, Fayard, 1990, 490 p.
DUBET François, Le Déclin de l’Institution, Paris, Seuil, 2002, 428 p.
GARRAUD Philippe, Le chômage et l’action publique. Le « bricolage institutionnalisé »,
Paris, L’Harmattan, 2000, 241 p.
LE GALES Patrick, « Gouvernance », In BOUSSAGUET Laurie et al., Dictionnaire des
politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), « Références », 2014, 772 p.
LE GALES Patrick, THATCHER Mark, (dir.), Les réseaux de politiques publiques. Débat
autour des policy networks, Paris, L’Harmattan, « Logiques politiques », 1995, 272 p.
MARIN Bernd, MAYNTZ Renate, 1991 cité dans THATCHER Mark, « Réseau (policy
network) », In BOUSSAGUET Laurie et al., Dictionnaire des politiques publiques, Paris,
Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) , « Références », 2014, 772 p.
MULLER Pierre, Les Politiques publiques, Paris, PUF « Que sais-je ? », 1990, 128 p.
MULLER Pierre, « Référentiel », In BOUSSAGUET Laurie et al. Dictionnaire des politiques
publiques, Paris, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), «Références », 2014, p.555-562.
MULLER Pierre, SUREL Yves, L’Analyse des politiques publiques, Paris, Montchrestien,
Collection Clefs, 1998, 153 p.
SUREL Yves, « Idées, intérêts, institutions dans l’analyse des politiques publiques »,
Pouvoirs, n°87, 1998, p.161-178.
THOENIG Jean-Claude, DURAN Patrice, « L'État et la gestion publique territoriale », Revue
française de science politique, 46ᵉ année, n°4, 1996. pp. 580-623.
96
RESSOURCES UNIVERSITAIRES
DIAZ Pablo, Cours d’économie, IEP de Rennes, année universitaire 2012-2013.
GARRAUD Philippe, Cours de Sociologie des organisations, Chapitre 3 : outils théoriques
classiques de la sociologie des organisations, des acteurs aux systèmes d’action, IEP de
Rennes, septembre-décembre 2015
OUVRAGES ET ARTICLES SPÉCIFIQUES À L’INSERTION
ALPHANDERY Claude, Les Structures d’insertion par l’activité économique, La
Documentation Française, 1990, 95 p.
ALPHANDERY Claude, [interview], in L’insertion par l’activité économique, « Alternatives
économiques », poche n°44, Paris, 2010, p. 11-13.
BALLET Jérôme, Les entreprises d’insertion, Paris, PUF, Que sais-je ?, 1997, 125 p.
BAUDET-CAILLE Véronique, L’insertion par l’activité économique. Les outils en faveur de
l’insertion, Actualités sociales hebdomadaires (ASH), Paris, Wolters Kluwer, 2015, 116 p.
BREGEON Philippe, « Histoire du réseau de l’insertion par l’activité économique » [en
ligne]. In A quoi servent les professionnels de l’insertion ?, Paris, L’Harmattan, 2008, 272 p,
[consulté le 2/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1q4gfwT
BREGEON Philippe, « Histoire du réseau des missions locales » [en ligne]. In A quoi servent
les professionnels de l’insertion ?, Paris, Edition L’Harmattan, 2008, 272 p, [consulté le
13/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1WQ5HhH
CASTRA Denis, L’insertion professionnelle des publics
Universitaires de France, « Le Travail humain », 2003, 254 p.
précaires, Paris, Presses
DUBAR Claude, « La construction sociale de l'insertion professionnelle », Education et
Sociétés [en ligne], 2001, n°7, p. 23-36, [consulté le 2/12/2015], disponible sur :
http://bit.ly/24CgdvA
DUGHERA Jacques, secrétaire général du Conseil national de l’insertion par l’activité
économique (CNIAE) jusqu’en 2009, in L’insertion par l’activité économique, « Alternatives
économiques », poche n°44, Paris, 2010, p. 151-153.
EME Bernard, « Petite histoire de l’insertion par l’économique », in L’insertion par l’activité
économique, « Alternatives économiques », poche n°44, Paris, 2010, p. 18-20.
LENOIR René, Les exclus : un français sur dix, Paris, Seuil, 1974, 175 p. cité dans BALLET
Jérôme, Les entreprises d’insertion, Paris, PUF, Que sais-je ?, 1997, 125 p.
SCHWARTZ Bertrand, « L’insertion professionnelle et sociale des jeunes », rapport au
premier ministre, Paris, La Documentation Française, 1981, 146 p.
97
RAPPORTS ET STATISTIQUES
BOUJARD Daniel, Plaquette de présentation de Ressources T, éditorial [en ligne], 2013,
[consulté le 17/12/2015], disponible sur : http://www.ressources-t.org/
BRUNDTLAND Gro Harlem, Rapport Brundtland, « Notre avenir à tous », Éditions du
fleuve. 1987, [consulté le 4/02/2016], version française disponible sur : http://bit.ly/1gE7Fkt
Charte des missions locales, « Construire ensemble une place pour tous les jeunes » [en
ligne], Conseil National des Missions Locales, adoptée le 12 décembre 1990, [consultée le
14/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1NmBDsm
Envie 35, site internet, [consulté le 14/04/2016], accès : www.envie-35.org
Fédération des Entreprises d’Insertion, « Chiffres clés des entreprises d’insertion » [en ligne],
2015, [consulté le 2/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/22nsLH8
Fédération Envie, site internet, [consulté le 14/04/2016], accès : www.envie.org
FRANCE, Conseil national de l’insertion par l’activité économique, « Lever les obstacles aux
promesses de l’insertion par l’activité économique » [en ligne], présentation du rapport,
Ministère de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement, 2007, [consulté le 2/04/2016],
disponible sur : http://bit.ly/1Ohfmak
Guide des structures d’insertion par l’activité économique [en ligne], Maison de l’Emploi, de
l’Insertion et de la Formation professionnelle du bassin d’emploi de Rennes, 2015, [consulté
le 27/01/2016], disponible sur : http://bit.ly/1Nm5PUw
Le chômage reste la première préoccupation des Français pour 2016, Le Point.fr, 2016,
[consulté le 30/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1OhbNkm
Observatoire des entreprises d’insertion 2014 [en ligne], fédération des entreprises
d’insertion, [consulté le 10/03/2016], disponible sur : http://bit.ly/1SYSgaA
Publication « Acheteurs publics, développez vos achats socialement responsables » [en ligne],
Fédération des entreprises d’insertion, [consulté le 1/05/2016], disponible sur :
http://bit.ly/1XfF5ak
Rapport « Consolidation Nationale des résultats de la clause sociale d’insertion et de
promotion de l’emploi » [en ligne], Alliance Villes Emploi, 2014, [consulté le 20/04/2016],
disponible sur : http://bit.ly/24AeR8d
Rapport « L’éloignement durable du marché du travail » [en ligne], Conseil d’Orientation
pour l’Emploi, 2014, disponible sur : http://bit.ly/1Wf1YM6
98
Rapport « L’insertion par l’activité économique en 2013 » [en ligne], Dares, 2015, n°46,
Ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, 10p,
[consulté le 2/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1SSOQJT
Rapport du Conseil de Rennes Métropole N°C 14.437 du 20 novembre 2014 relatif au
Développement économique – Emploi – Plan Local pour l’Insertion et l’Emploi (PLIE) –
Protocole d’accord 2014-2020 [en ligne], [consulté le 7/03/2016], disponible sur :
http://bit.ly/1Zol7bY
Recensement de l’achat public exercice 2013 [en ligne], Observatoire économique de l’achat
public, Ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique, [consulté le 20/04/2016],
disponible sur : http://bit.ly/1XdMDuq
Réforme des financements de l’Insertion par l’Activité Economique, présentation [en ligne],
Avise, 2015, [consulté le 5/04/2016], Disponible à l’adresse : http://bit.ly/1QUK60q
Résultats de l'enquête Emploi au quatrième trimestre 2015 [en ligne], INSEE, 2016, [consulté
le 30/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/19qYUFM
Toute l’actualité du gouvernement [en ligne], 2016, [consulté le 30/04/2016], disponible sur :
http://bit.ly/1Twso96
Zone d’emploi, Définition [en ligne], INSEE, [consulté le 2/04/2016], disponible sur :
http://bit.ly/1WOUyh7
CORPUS JURIDIQUE
Accord-cadre entre l’Etat, Pôle Emploi et les réseaux de l’IAE, mars 2015, [consulté le
16/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/24Cro7t
Article 5 du Code des marchés publics ; réformé par l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet
2015 relative aux marchés publics
Article 38 de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics
Article 52 de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics
Articles L.322-4-17-1 du Code du travail
Article L. 5132-4 du Code du travail
Arrêté du 14 janvier 2016 fixant le montant de l'aide financière aux structures de l'IAE
Circulaire n°44 du 10 septembre 1979 relative à l’organisation du travail des handicapés
sociaux
Circulaire du 24 avril 1985 relative au programme expérimental de soutien aux entreprises
intermédiaires
99
Circulaire DGEFP n°99-17 du 26 mars 1999 relative à la réforme de l’IAE
Circulaire DGEFP n°2008-21 du 10 décembre 2008 relative aux nouvelles modalités de
conventionnement des structures d’insertion par l’activité économique
Instruction DGEFP du 13 août 2008 relative à la présentation du plan de modernisation du
secteur de l’Insertion par l’Activité Economique
Instruction DGEFP n°2014-2 du 5 février 2014 relative au pilotage des dispositifs d’insertion
par l’activité économique
Loi n° 87-39 du 27 janvier 1987 portant diverses mesures d’ordre social
Loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988 instaurant le Revenu Minimum d’Insertion (RMI)
Loi n° 91-1 du 3 janvier 1991 tendant au développement de l'emploi par la formation dans les
entreprises, l'aide à l'insertion sociale et professionnelle et l'aménagement du temps de travail
Loi n° 91-1405 du 31 décembre 1991 relative à la formation professionnelle et à l’emploi
Loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions
Loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale
Note DGEFP n°2015-04 du 13 mars 2015 portant notification des enveloppes financières
régionales 2015 relatives à l’insertion par l’activité économique
100
Annexes
LISTE DES ENTRETIENS RÉALISÉS
Entreprises d’insertion
o M. CAFARO Benoit, responsable d’agence, Tribord. Le 23 février 2016, 1h50.
o M. COHUET Williams, chargé d’insertion et de recrutement, Le Relais Bretagne. Le
24 février 2016, 2h15.
o Mme LE BAYON Delphine, chargée de recrutement et d’accompagnement
professionnel, Tribord. Le 26 février 2016, 1h10.
o Mme DELOURME Maëlle, chargée d’insertion, La Feuille d’Erable. Le 29 février
2016, 50min.
o M. LEPEINTEUR Frank, directeur, AJIEnvironnement. Le 10 mars 2016, 1h25.
o M. BLOT Ludovic, directeur général, Ressources T. Le 31 mars 2016, 1h.
Prescripteurs
o Mme BERNARD-GRIFFITHS Sylvie, référente IAE Rennes et Ille-et-Vilaine, Pôle
Emploi. Le 3 mars 2016, 1h30.
o M. FICHOU Hamon, conseiller Mission locale. Le 31 mars 2016, 1h15.
Représentants des pouvoirs publics
o Mme MANGIN Anne-Gaëlle, chargée de mission IAE – P.L.I.E., Rennes Métropole /
MEIF (Maison de l’Emploi, de l’Insertion professionnelle et de la Formation). Le 3
mars 2016, 1h30.
o Mme PERON Zénaïde, Insertion par l’activité économique, DLA et ESS, Pôle
entreprises, emploi et économie – AREFP, DIRECCTE Bretagne. Le 14 mars 2016,
1h25.
o Mme HUSSON Séverine, Responsable Service Emploi, Unité Territoriale 35
DIRECCTE. Le 4 avril 2016, 55 minutes.
o M. PRAUD Jean-Yves, Conseiller Général, puis Vice-président chargé de l’Economie
Sociale et Solidaire et de l’insertion 2008-2015, Conseil Départemental 35
(anciennement Conseil Général). Le 6 avril 2016, 1h20
Entretiens exploratoires
o M. LEBAILLY Dominique, président de la Fédération de Bretagne des Entreprises
d’Insertion. Entretien téléphonique le 17 novembre 2015
o M. MORLET François, membre du Conseil d’Administration, Ressources T. Le 14
décembre 2015
101
DIFFÉRENCES MAJEURES ENTRE LES STRUCTURES D’IAE
Forme
juridique
Toute forme
juridique : SCOP,
SA, SARL, EURL…
ENTREPRISE DE
TRAVAIL
TEMPORAIRE
D’INSERTION
Toute forme
juridique : SCOP,
SA, SARL, EURL…
Activité
Secteur marchand
Secteur marchand
Secteur marchand
Salariés participant à
la production de
biens et services
destinés à être
commercialisés sur
un marché
Salariés mis à
disposition auprès
d’entreprises clientes,
dans le cadre de
missions d’intérim
Salariés mis à
disposition auprès de
particuliers,
associations,
collectivités locales,
entreprises, pour la
réalisation de travaux
occasionnels
CDDI de 4 mois
minimum, 24 mois au
maximum de
renouvellement
inclus
Autres contrats de
droit commun :
contrat de
professionnalisation,
CUI-CIE, emploi
d’avenir
Contrat de travail
temporaire pour une
durée de 24 mois
maximum
renouvellement
inclus
CDDI de 4 mois
minimum, 24 mois au
maximum de
renouvellement
inclus
CDD d’usage
CDI à temps partiel
Autres contrats de
droit commun : CUICIE, emploi d’avenir
ENTREPRISES
D’INSERTION
Contrat
de travail
ASSOCIATION
INTERMEDIAIRE
Association relevant
de la loi 1901
ATELIER ET
CHANTIER
D’INSERTION
Porté par une
structure listée à
l’article R. 5132-27
du code du travail :
association, centre
communal ou
intercommunal
d’action sociale,
commune,
département…
Secteur non
marchand ou mixte
Salariés mis en
situation de travail
sur des actions
collectives participant
essentiellement au
développement des
activités d’utilité
sociale, répondant à
des besoins collectifs
non satisfaits
CDDI de 4 mois
minimum, 24 mois au
maximum de
renouvellement
inclus
Autres contrats de
droit commun : CUICIE, emploi d’avenir
Sources :
BAUDET-CAILLE Véronique, L’insertion par l’activité économique. Les outils en faveur de
l’insertion, Actualités sociales hebdomadaires (ASH), Paris, Wolters Kluwer, 2015, p.15
Rapport « L’insertion par l’activité économique en 2013 » [en ligne], Dares, 2015, n°46,
Ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, 10p,
[consulté le 2/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1SSOQJT
102
DONNÉES CHIFFRÉES COMPLÉMENTAIRES
Métiers exercés par les salariés de l'IAE
nouvellement embauchés en 2013
5%
7%
6%
32%
7%
Services à la personne et à la
collectivité
Agriculture et pêche, espaces naturels
et espaces verts, soin des animaux
Construction, bâtiment et travaux
publics
Transport et logistique
Installation et maintenance
10%
Industrie
14%
19%
Hotellerie, restauration, tourisme,
loisirs et animation
Autres*
*Communication, média, multimédia ; santé ; spectacle (1%) ; support à l’entreprise (2%) ;
art et façonnage d’ouvrage d’art (1%) ; commerce vente et grande distribution (3%)
Source : ASP, traitement Dares, enquête 2013. Champ : France entière
Rapport « L’insertion par l’activité économique en 2013 » [en ligne], Dares, 2015, n°46,
Ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, 10p,
[consulté le 2/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1SSOQJT
103
Clauses sociales dans les marchés publics
Source :
Observatoire des entreprises d’insertion 2014 [en ligne], fédération des entreprises
d’insertion, [consulté le 10/03/2016], disponible sur : http://bit.ly/1SYSgaA
104
Les caractéristiques des salariés nouvellement embauchés
dans les différentes structures de l’IAE en 2013 (%)
Source : ASP traitement Dares ; champ : France entière
Rapport « L’insertion par l’activité économique en 2013 » [en ligne], Dares, 2015, n°46,
Ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, 10p,
[consulté le 2/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1SSOQJT
105
Situation en 2012 des salariés entrés en parcours d’insertion fin 2010
Source : enquête auprès des salariés en parcours d’insertion 2012, Dares
Rapport « L’insertion par l’activité économique en 2013 » [en ligne], Dares, 2015, n°46, Ministère du travail, de l’emploi, de la formation
professionnelle et du dialogue social, 10p, [consulté le 2/04/2016], disponible sur : http://bit.ly/1SSOQJT
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Parts des financeurs publics directs de l'IAE
Intercommunalité
3% Région
4%
PLIE Autre
2% 5%
Commune
5%
FSE
6%
Etat
50%
Département
25%
Source : Avise, réforme des financements de l'IAE, présentation
Réforme des financements de l’Insertion par l’Activité Economique, présentation [en ligne],
Avise, 2015, [consulté le 5/04/2016], Disponible à l’adresse : http://bit.ly/1QUK60q
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