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Si l’on veut en universaliser la portée, il est nécessaire, de ne pas réduire les valeurs qui la fondent à
des dispositions propres à une moitié de l’humanité.
Ce n’est pas parce que la vulnérabilité humaine est particulièrement prononcée à la naissance, qu’il
faut prendre la relation maternelle comme modèle de la relation de soins. Au contraire, c’est la
nécessité des soins qui fonde la relation maternelle. C’est la relation parentale qu’il s’agit de définir
par la relation de soin, et non l’inverse.
Le paradoxe entre autonomie et vulnérabilité
« Parce que l’homme est par hypothèse autonome, il doit le devenir… L’autonomie est alors la tâche
de sujets politiques appelés à sortir de l’état de soumission, de “minorité”, sous le cri de
ralliement “sapere aude” : ose penser par toi-même ! C’est dans la perspective de ce paradoxe que je
parlerai de l’idée projet de l’autonomie. »*
Nous naissons et mourons dans la vulnérabilité, qui est, non seulement le fait de notre condition de
mortel, mais aussi, et surtout, le fait de notre condition d’être souffrant. Nous naissons et mourons
objets de soins. La fin de vie est un appel à la sollicitude et à l’attention d’autrui. Soignés, nous
sommes objets de soins face au soignant. Sujet et auteur des soins, le soignant se trouve dans une
position d’asymétrie, interpellé par la souffrance de l’autre, qui est dans une profonde inégalité de
condition. Même si, sur le plan éthique, le soignant doit traiter le soigné comme son égal, il peut
toujours instaurer une relation d’autorité, un rapport de pouvoir avec le soigné qu’il traite alors
comme un simple objet de soins.
Pour ne pas mésuser de ce pouvoir, le soignant peut se référer à son expérience réelle ou imaginaire
de sujet de soins. Pour Martha Nussbaum, il est nécessaire « … de promouvoir ce que j’appelle une
imagination empathique : soit la capacité à concevoir le monde tel qu’il est vécu par quelqu’un
d’autre. »**
Le soin doit être prodigué de manière à ce que la relation de soin, par nature asymétrique, ne dérive
pas vers une relation de domination. Le soignant doit se garder de transmettre au soigné une image
dégradée, dévalorisée de lui-même, qui renforcerait l’ascendant qu’il exerce sur lui. Ce pouvoir
viendrait compenser l’absence de reconnaissance sociale, dont sont victimes les soignants, qui
effectuent des tâches de soins réservées aux femmes et aux catégories les moins favorisées, les
moins formées de la société, à savoir, les personnes occupant une position inférieure dans l’échelle
sociale.
Celui qui prend en charge la vulnérabilité de l’autre risque de refuser, à ce dernier, toute forme
d’autonomie. Or, l’éthique de la sollicitude doit viser à maintenir et accroître l’autonomie. Il s’agit ici
de l’autonomie d’un être fragile, vulnérable, appelé à devenir autonome, capable de pouvoirs
déterminés : pouvoir de dire, pouvoir d’agir sur le cours des choses, d’influencer les autres
intervenants et pouvoir de raconter sa propre vie, sous forme de récit intelligible.
* Ricœur Paul, Autonomie et vulnérabilité, in : Le Juste 2, Esprit, Paris, 2001.
** Nussbaum Martha, Réinventons les humanités, Philosophie magazine, N° 72, septembre 2013.