
Comment traiter un patient présentant
une hépatite alcoolique sévère ?
Une fois le caractère sévère de l’hépatite alcoolique
retenu, l’indication de traitement est validée. De nom-
breux traitements ont été évalués mais ont donné des
résultats négatifs en comparaison au placebo : andro-
gènes, propylthiouracile, colchicine...
Actuellement, la corticothérapie est considérée
comme le traitement de référence par les équipes
franc¸aises et anglo-saxonnes, notamment à la lumière
de plusieurs méta-analyses des données individuelles
[15, 16]. Dans ces travaux, la corticothérapie a été compa-
rée au placebo et permettait d’améliorer la survie à court
terme (28 jours). Il faut cependant souligner que d’autres
méta-analyses provenant du même groupe [17, 18] ont mis
en cause l’efficacité de la corticothérapie mais souffrent de
biais méthodologiques dans la mesure où elles ont inclus
certaines études de qualité insuffisante et d’autres mélan-
geant des patients avec hépatite alcoolique sévère ou non
sévère.
D’un point de vue pratique, se pose souvent la ques-
tion de la justification du traitement chez les patients ayant
une amélioration biologique spontanée, c’est-à-dire pré-
sentant une baisse du taux de bilirubine avant la mise
sous traitement. Compte tenu du fait que la corticothérapie
permet d’améliorer le taux de bilirubine plus rapidement
et avec une plus grande amplitude que le placebo, ces
patients doivent être traités au même titre que les autres.
Le seul autre traitement ayant fait la preuve de son effi-
cacité de manière convaincante est la pentoxifylline. Son
utilisation dans l’hépatite alcoolique sévère était justifiée
par des effets anti-inflammatoires in vitro ciblant la voie
du TNF-␣. Ce traitement a été testé dans une étude rando-
misée contrôlée américaine [19] dans laquelle les patients
traités par pentoxifylline avaient une meilleure survie à 6
mois que les patients traités par placebo. Il faut cependant
souligner que les effets supposés anti-TNF n’étaient pas
confirmés in vivo (dosage du TNF-␣circulant). Ces résul-
tats positifs étaient rapportés à un effet néphroprotecteur
avec une diminution de l’incidence du syndrome hépa-
torénal. Bien que largement utilisée aux États-Unis et au
Royaume-Uni, ce traitement est peu utilisé en France en
monothérapie. Des études sont en cours pour démontrer
si ce traitement est efficace en association à la corticothé-
rapie.
Bilan préthérapeutique
Comme cela a été précisé plus haut, il est primordial de
n’inclure que les patients ayant «vraiment »une hépatite
alcoolique. D’un point de vue pratique, il est indispen-
sable que tout patient candidat à une corticothérapie ait
le bilan minimal suivant :
–sérologies VHB, VIH et VHC. En l’absence de trai-
tement antiviral, seule l’infection à VHC n’est pas une
contre-indication à la corticothérapie ;
–échographie abdominale à effectuer avant la biopsie
hépatique à la recherche d’un carcinome hépatocellulaire
notamment ;
–bilan infectieux systématique (hémocultures, exa-
men cytobactériologique des urines et ponction d’ascite
exploratrice, radiographie thoracique) ;
–la ponction-biopsie hépatique est fortement recom-
mandée.
Conduite pratique
du traitement corticoïde
Une fois le bilan préthérapeutique initié, la corticothé-
rapie est débutée à la dose de 40 mg de prednisolone par
jour en une prise orale le matin. Les tenants de la pen-
toxifylline (Torental®) débuteront le traitement à 1 200 mg
par jour en trois prises de 400 mg. La durée du traitement
est de 28 jours. Il n’est pas recommandé d’effectuer de
décroissance progressive des corticoïdes mais de les arrê-
ter brutalement, sans qu’aient été décrits de phénomènes
d’insuffisance surrénale aiguë dans cette situation. Dans la
mesure où la corticothérapie peut être associée à des pro-
blèmes de tolérance, il semble logique de ne pas exposer
à cette molécule un patient qui ne s’améliore pas sous ce
traitement. L’évaluation de la réponse thérapeutique est
donc nécessaire.
Plusieurs outils peuvent être utilisés. Le premier a été
décrit sous le terme de réponse biologique précoce [20],
définie par une diminution du taux de bilirubine entre les
premier et septième jours de traitement, quelle que soit
l’amplitude de diminution. Ce faisant, on définit un groupe
de patients répondeurs aux corticoïdes (ayant une réponse
biologique précoce) et qui ont une bonne survie à 6 mois
(de l’ordre de 80 %) et un groupe de patients non répon-
deurs (dont le taux de bilirubine au septième jour stagne
ou augmente par rapport au début de la corticothérapie)
et qui ont une mauvaise survie à 6 mois, de l’ordre de
25 %. La réponse biologique précoce a l’avantage d’être
très facile à identifier et d’être très spécifique de la mor-
talité à 6 mois. Elle manque cependant de sensibilité car
des décès sont observés chez les patients avec réponse
biologique précoce.
Pour tenter de pallier le manque de spécificité de la
réponse biologique précoce, notre groupe a développé
un nouvel outil pronostique : le modèle de Lille [21].
Ce modèle intègre plusieurs paramètres au premier jour
de traitement : l’âge, les taux de bilirubine, d’albumine,
de prothrombine et la présence éventuelle d’une insuffi-
sance rénale et un paramètre dynamique : la différence
de bilirubine entre les premier et septième jours de traite-
ment. Dans ce cas, c’est l’amplitude de modification de la
mt, vol. 18, n◦2, avril-mai-juin 2012 139
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