Louis XV et d'une courtisane du Parc-aux-Cerfs. Pour Bernard Sobel; qui jusque-là ignorait tout de lui, c'est un auteur dans la lignée de Diderot. « Son oeuvre, dit il, est une véritable réflexion sur le langage. Les personnages s'y expriment comme dans la vie. Les 'Tu et toi" peuvent passer pour une satire de la Révolution. On y voit comment le tutoiement entre inférieurs et supérieurs, imposé au nom de la nouvelle égalité, en dévoile les limites. En un sens, c'est plutôt une pièce réactionnaire. Mais elle montre que . la Révolution ne s'impose pas par le haut. Il faut faire la différence entre droits de l'homme et droits du citoyen... La pièce de Dorvigny est une pointe-sèche. Pour jouer ce petit bijou, il faudrait des comédiens très expérimentés. Avec ces adolescents, au contraire, on profitera des choix qu'ils ont faits eux-mêmes. Je ne suis pas pédagogue. J'ai travaillé avec eux en parfaite égalité. Garçons et filles représentent la merveilleuse potentialité de cette jeunesse qui vit dans l'angoisse de l'avenir. » Partagé, je l'ai dit, entre un théâtre difficile d'accès et ses options militantes, Bernard Sobel a choisi de monter ensuite la pièce de Brecht qui pose le mieux le problème de la bonté et de la justice : cette « Bonne Ame de Se-Tchouan » que jouera Sandrine Bonnaire. C'est elle qui estvenue trouver Sobel pour faire ses premiers pas au théâtre. Célèbre au cinéma, elle ignorait tout de Brecht. En la voyant., Sobel a pensé à « la Bonne Ame » et la lui a fait lire. Sandrine Bonnaire s'est enthousiasmée... Ensuite, ce sera « Tartuffe », avec André Marcon. Maria Casarès y jouera le rôle relativement modeste de Madame Pernelle. Mais elle aura été, en lever de rideau, le Pape de la pièce inédite de Jean Genet, « Elle », mise en scène par Bruno Bayen. Le Théâtre de Gennevilliers deviendrait-il un théâtre de vedettes ? Ce serait mal connaître Sobel. Albert Camus disait que, pour lui, le théâtre était son « couvent ». Acteurs et actrices vont vers Sobel pour se régénérer. Le Théâtre de Gennevilliers serait-il notre Port-Royal ? - GUY DUMUR P.S. — Rappelons qu'en même temps que les « Tu et toi», jean Dautremay monte dans le même théâtre un spectacle composé d'extraits du « Tableau de Paris », de Louis-Sébastien Mercier, et d'un texte de Marie-Joseph Chénier, sous le titre de « Tableau de Paris avec guillotine ». le pompeux Maître de philosophie et le gentil Covielle avec une virtuosité rare, Nadine Alari-Madame Jourdain, juste et sage, peut-être la mauvaise conscience du classicisme dans cette entreprise étincelante et joyeuse où les entractes sont assurés par des équilibristes et des jongleurs obéissant gracieusement au fouet et à l'oeil d'un nain malicieux. Et puis donc, il y a le maître de maison, étincelant et glorieux, absurde et pathétique, Savary-Jourdain transfiguré, au faîte de son art, de son goût démesuré du travestissement, du bruit, de la musique, de la gesticulation. Tout autour de lui s'ordonne dans la déraison, dans la dérision. Sa joie de jouer, donc de vivre, est communicative. Quand on vous disait qu'il s'agissait du bonjean-François* josselm heur... . Théâtre national de Chaillot (47.2Z81.15) `vL), Lorenzaccio Est-ce parce que « Lorenzaccio » est notre seul drame shakespearien qu'il faut le jouer au moins une fois par an ? Georges Lavaudant, qui l'avait déjà monté à Grenoble en 73 et avait si remarquablement illustré « le Balcon» de Genet à la Comédie-Française, ne pouvait-il choisir autre chose pour son retour dans ce noble théâtre ? Il a dit qu'il l'avait fait à cause de Redjep Mitrovitsa, récemment engagé. Ce jeune comédien, jadis découvert par Vite; possède une fraîcheur, une sensibilité rares. Passant des affectations obligées du début de la pièce à la violence désespérée de la fin, il fait preuve d'une richesse de dons exceptionnelle. Autour de lui, les autres comédiens font preuve de cette maîtrise qui traduit la marque de la Maison. Mais, si sûrs soient-ils, qu'y a+il de commun entre le jeu de Pierre Vial et celui de Jean-Luc Boutté (le plus étonnant Cardinal qu'on ait vu sur scène), entre Martine Chevallier et Richard Fontana, jeune Duc bouillant de convoitises ? Jouent-ils dans la même mise en scène ? La disparité des styles de jeu est d'autant plus visible que Lavaudant les fait jouer en avant de la scène, coincés par un grand panneau étoilé, percé de petites portes, tandis que pend des cintres une statue michelangesque les pieds en bas. Devant ce mur, le drame foisonnant de Musset — mais il a été élagué — se résume à quelques affrontements, que rompt le passage en cadence de quelques figurants et, à un moment donné, les stridences d'une guitare électrique. Comédie-Française, en alternance (40-15-00-15). Karamazov Etonnamment fidèle à l'esprit et à la lettre du chef-d'ceuvre de Dostoïevski, l'adaptation des « Frères Karamazov » par Anita Picchiarini permet à une troupe venue de La Rochelle de nous donner un spectacle d'une grande vérité. Dans un enclos de planches et sur un sol noir, le starets Zosime, le père et les frères maudits qu'ils convoitent, revivent leur vie sauvage. Ils sont hantés par l'existence (ou la non-existence) de Dieu, en lutte avec leurs instincts. Mêlé à eux, un quatuor souligne en musique la sombre poésie de cette corrida frénétique, sans concession au folklore russe habituel. Metteur en scène, comédiens et Dostoïevski nous atteignent en plein coeur. Théâtre de la Tempête, Cartoucherie (43-28-36-36). Sigma « Sigma » a vingt-cinq ans. Bordeaux, ville conservatrice, n'en revient pas d'avoir enfanté ce festival annuel qui ne ressemble à aucun autre. C'est même le seul qui n'accueille que des manifestations — danse, théâtre, musique, expositions — totalement originales, pour ne pas dire d'« avant-garde » mot dont on a appris à se méfier. Une exposition de photos et un livre vont d'ailleurs recueillir les images de quelques-unes des;3 000 manifestations, dont R Mitrovitsa et R Fontima dans « Lorenzaccio 400 créations mondiales qui y ont vu le jour. -« Sigma;» est le rêve utopique d'un Bordelais, Roger Lafosse, mi philosophe, mi musicien, qui a réussi à persuader le maire de Bordeaux, Jacques Chaban-Delmas, de soutenir ce rêve devenu réalité. Cette année on verra à Sigma, désormais installé dans le gar Han 5, en bas des Quinconces, un cirque extravagant, « Ar chaos », où des autos explosent, les chorégraphies du Catalan Vicente Saez et de l'Anglaise Siohban Davies ; le duo Habbe et Meik, venu d'Allemagne, et un spectacle composite :-arts plastiques, musique, lumière, de Jean-Paul Céalis. Un colloque se propose enfin de sonder la notion de « temps » dans la création et la consommation culturelle. Sigma, du 13 au 26 novembre, Hangar 5, place jean-Jaurè. Bordeaux (56-44-99-99). Bobigny Nouveau directeur de la maison de la culture de Bobigny (MC 93), Ariel Goldenberg va de succès en succès. Au printemps dernier, son arrivée a coïncidé avec la venue de cent trente Cubains : danseurs, chanteurs et musiciens qui se sont produits au Parc de la Bergère devant quinze mille spectateurs. Récemment, on a refusé du monde pendant un mois pour « Dom Juan », avec Marcel Maréchal et Pierre Arditi. Du monde, on en refusera encore pour les quatorze repré.sentations, étalées sur deux mois (du 13 novembre au 23 décembre), de deux opéras de Mozart, « Don Giovanni » et « le Noue di Figaro », dans les mises en scène du nouvel enfant prodige- américain, Peter Sellars. Certes, les mélomanes traditionnels seront étonnés de voir que Don Giovanni et Leporello sont joués par deux chanteurs jumeaux noirs attifés en dealers de Harlem, tandis que « le Noue » sont données dans un décor reproduisant le célèbre gratte-ciel de la Cinquième Avenue, la Trump Tower. MC 93, Bobigny (48-30-60-56). 9-15 NOVEMBRE 1989/173