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Lorenzaccio
Est-ce parce que « Lorenzaccio » est notre seul
drame shakespearien qu'il faut le jouer au
moins une fois par an ? Georges Lavaudant,
qui l'avait déjà monté à Grenoble en 73 et avait
si remarquablement illustré « le Balcon» de
Genet à la Comédie-Française, ne pouvait-il
choisir autre chose pour son retour dans ce
noble théâtre ? Il a dit qu'il l'avait fait à cause
de Redjep Mitrovitsa, récemment engagé. Ce
jeune comédien, jadis découvert par Vite;
possède une fraîcheur, une sensibilité rares.
Passant des affectations obligées du début de la
pièce à la violence désespérée de la fin, il fait
preuve d'une richesse de dons exceptionnelle.
Autour de lui, les autres comédiens font
preuve de cette maîtrise qui traduit la marque
de la Maison. Mais, si sûrs soient-ils, qu'y a+il
de commun entre le jeu de Pierre Vial et celui
de Jean-Luc Boutté (le plus étonnant Cardinal
qu'on ait vu sur scène), entre Martine Cheval-
lier et Richard Fontana, jeune Duc bouillant
de convoitises ? Jouent-ils dans la même mise
en scène ? La disparité des styles de jeu est
d'autant plus visible que Lavaudant les fait
jouer en avant de la scène, coincés par un grand
panneau étoilé, percé de petites portes, tandis
que pend des cintres une statue michelanges-
que les pieds en bas. Devant ce mur, le drame
foisonnant de Musset — mais il a été élagué —
se résume à quelques affrontements, que
rompt le passage en cadence de quelques
figurants et, à un moment donné, les stridences
d'une guitare électrique.
Comédie-Française, en alternance
(40-15-00-15).
Karamazov
Etonnamment fidèle à l'esprit et à la lettre du
chef-d'ceuvre de Dostoïevski, l'adaptation des
« Frères Karamazov » par Anita Picchiarini
permet à une troupe venue de La Rochelle de
nous donner un spectacle d'une grande vérité.
Dans un enclos de planches et sur un sol noir,
le starets Zosime, le père et les frères maudits
qu'ils convoitent, revivent leur vie sauvage. Ils
sont hantés par l'existence (ou la non-exis-
tence) de Dieu, en lutte avec leurs instincts.
Mêlé à eux, un quatuor souligne en musique la
sombre poésie de cette corrida frénétique, sans
concession au folklore russe habituel. Metteur
en scène, comédiens et Dostoïevski nous
atteignent en plein coeur.
Théâtre de la Tempête, Cartoucherie
(43-28-36-36).
Sigma
« Sigma » a vingt-cinq ans. Bordeaux, ville
conservatrice, n'en revient pas d'avoir enfanté
ce festival annuel qui ne ressemble à aucun
autre. C'est même le seul qui n'accueille que
des manifestations — danse, théâtre, musique,
expositions — totalement originales, pour ne
pas dire d'« avant-garde » mot dont on a appris
à se méfier. Une exposition de photos et un
livre vont d'ailleurs recueillir les images de
quelques-unes des ;3 000 manifestations, dont
R Mitrovitsa et R Fontima dans « Lorenzaccio
400 créations mondiales qui y ont vu le jour.
-« Sigma;» est le rêve utopique d'un Bordelais,
Roger Lafosse, mi philosophe, mi musicien,
qui a réussi à persuader le maire de Bordeaux,
Jacques Chaban-Delmas, de soutenir ce rêve
devenu réalité. Cette année on verra à Sigma,
désormais installé dans le Han
gar 5, en bas des
Quinconces, un cirque extravagant, « Ar
chaos », où des autos explosent, les chorégra-
phies du Catalan Vicente Saez et de l'Anglaise
Siohban Davies ; le duo Habbe et Meik, venu
d'Allemagne, et un spectacle composite :-arts
plastiques, musique, lumière, de Jean-Paul
Céalis. Un colloque se propose enfin de sonder
la notion de « temps » dans la création et la
consommation culturelle.
Sigma, du 13 au 26 novembre, Hangar 5, place
jean-Jaurè. Bordeaux (56-44-99-99).
Bobigny
Nouveau directeur de la maison de la culture
de Bobigny (MC 93), Ariel Goldenberg va de
succès en succès. Au printemps dernier, son
arrivée a coïncidé avec la venue de cent trente
Cubains : danseurs, chanteurs et musiciens
qui se sont produits au Parc de la Bergère
devant quinze mille spectateurs. Récemment,
on a refusé du monde pendant un mois pour
« Dom Juan », avec Marcel Maréchal et Pierre
Arditi. Du monde, on en refusera encore pour
les quatorze repré.sentations, étalées sur deux
mois (du 13 novembre au 23 décembre), de
deux opéras de Mozart, « Don Giovanni » et
« le Noue di Figaro », dans les mises en scène
du nouvel enfant prodige- américain, Peter
Sellars. Certes, les mélomanes traditionnels
seront étonnés de voir que Don Giovanni et
Leporello sont joués par deux chanteurs
jumeaux noirs attifés en dealers de Harlem,
tandis que « le Noue » sont données dans un
décor reproduisant le célèbre gratte-ciel de la
Cinquième Avenue, la Trump Tower.
MC
93, Bobigny (48-30-60-56).
Louis XV et d'une courtisane du Parc-aux-Cerfs.
Pour Bernard Sobel; qui jusque-là ignorait tout
de lui, c'est un auteur dans la lignée de Diderot.
« Son oeuvre,
dit
-
il,
est une véritable réflexion sur
le langage. Les personnages s'y expriment
comme dans la vie. Les 'Tu et toi" peuvent passer
pour une satire de la Révolution. On y voit
comment le tutoiement entre inférieurs et
supérieurs, imposé au nom de la nouvelle égalité,
en dévoile les limites. En un sens, c'est plutôt une
pièce réactionnaire. Mais elle montre que . la
Révolution ne s'impose pas par le haut. Il faut
faire la différence entre droits de l'homme et
droits du citoyen... La pièce de Dorvigny est une
pointe-sèche. Pour jouer ce petit bijou, il faudrait
des comédiens très expérimentés. Avec ces
adolescents, au contraire, on profitera des choix
qu'ils ont faits eux-mêmes. Je ne suis pas
pédagogue. J'ai travaillé avec eux en parfaite
égalité. Garçons et filles représentent la merveil-
leuse potentialité de cette jeunesse qui vit dans
l'angoisse de l'avenir. »
Partagé, je l'ai dit, entre un théâtre difficile
d'accès et ses options militantes, Bernard Sobel a
choisi de monter ensuite la pièce de Brecht qui
pose le mieux le problème de la bonté et de la
justice : cette « Bonne Ame de Se-Tchouan » que
jouera Sandrine Bonnaire. C'est elle qui estvenue
trouver Sobel pour faire ses premiers pas au
théâtre. Célèbre au cinéma, elle ignorait tout de
Brecht. En la voyant., Sobel a pensé à « la Bonne
Ame » et la lui a fait lire. Sandrine Bonnaire s'est
enthousiasmée... Ensuite, ce sera « Tartuffe »,
avec André Marcon. Maria Casarès y jouera le
rôle relativement modeste de Madame Pernelle.
Mais elle aura été, en lever de rideau, le Pape de la
pièce inédite de Jean Genet, « Elle », mise en
scène par Bruno Bayen.
Le Théâtre de Gennevilliers deviendrait-il un
théâtre de vedettes ? Ce serait mal connaître
Sobel. Albert Camus disait que, pour lui, le
théâtre était son «
couvent ».
Acteurs et actrices
vont vers Sobel pour se régénérer. Le Théâtre de
Gennevilliers serait-il notre Port-Royal ?
GUY DUMUR
P.S. — Rappelons qu'en même temps que les « Tu et
toi», jean Dautremay monte dans le même théâtre
un spectacle composé d'extraits du « Tableau de
Paris », de Louis-Sébastien Mercier, et d'un texte de
Marie-Joseph Chénier, sous le titre de « Tableau de
Paris avec guillotine ».
le pompeux Maître de philosophie et le gentil
Covielle avec une virtuosité rare, Nadine
Alari-Madame Jourdain, juste et sage, peut-être
la mauvaise conscience du classicisme dans
cette entreprise étincelante et joyeuse où les
entractes sont assurés par des équilibristes et
des jongleurs obéissant gracieusement au fouet
et à l'oeil d'un nain malicieux. Et puis donc, il y
a le maître de maison, étincelant et glorieux,
absurde et pathétique, Savary-Jourdain transfi-
guré, au faîte de son art, de son goût démesuré
du travestissement, du bruit, de la musique, de
la gesticulation. Tout autour de lui s'ordonne
dans la déraison, dans la dérision. Sa joie
de jouer, donc de vivre, est communicative.
Quand on vous disait qu'il s'agissait du bon-
heur...
jean-François * josselm
.
Théâtre national de Chaillot (47.2Z81.15)
9-15 NOVEMBRE 1989/173