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De « Il disprezzo » de Moravia à « Cinéma Apollo »
en passant par « Le Mépris » de Godard
1. Ulysse, l’homme plein de ruses - navigateur, père de famille et époux le plus
souvent fidèle - a été le fondateur de l’art de la guerre moderne. Son invention, le
cheval de bois, détruisit Troie et mit fin à la guerre de la même façon que la bombe de
Robert Oppenheimer détruisit Hiroshima et Nagasaki. Le cheval a été la première arme
de destruction massive. Les Grecs belliqueux du temps d’Homère ne menaient pas ce
genre de guerres. Or Robert Oppenheimer n’a pas été le seul descendant d’Ulysse, aimé
et haï lui aussi des dieux qui s’entredéchiraient. Au début du vingtième siècle, avec
la première guerre mondiale, les descendants d’Ulysse se muent au nom de croyances
diverses, et avec plus ou moins de talent, en serviteurs des dieux qui se combattent.
Même s’ils ne sont pas aussi puissants qu’eux, ils les dépassent en importance
puisque leur pensée influence et oriente les idées des dieux. Leurs innombrables
noms se fondent dans des mots tels que neutrons, parasites ou satellites. A l’époque
de l’infini de l’esprit, l’Odyssée représente le mythe qui nous est le plus proche. Or
Ulysse était guerrier, chef de clan ou roi, l’un des héros antiques.
2. Le pauvre écrivain Riccardo essaie de se faire de l’argent pour offrir à sa femme
Emilia une vie meilleure. Il doit écrire un scénario sur l’Odyssée pour un réalisateur
allemand qui vit à Capri. Pénélope et Ulysse, Riccardo et Emilia, les histoires de
couple s’entremêlent et montrent que l’amour aussi peut être soumis à la logique du
profit. Du moins quand il s’agit de survie. Riccardo comprend que Battista, le pro-
ducteur du film, est le maître, et lui le serviteur, et qu’un serviteur a le droit de
tout faire, excepté une chose : refuser l’obéissance au maître. Il perçoit autre chose
aussi : que la tentative de se soustraire à l’autorité du maître par la ruse et la flat-
terie est encore plus avilissante que l’obéissance inconditionnelle ; bref, qu’avec
la signature qu’il a apposée au bas du contrat, il a vendu son âme au diable. Sans
compter la pire des punitions : le mépris de sa propre femme.
3. Journaliste ayant voyagé dans le monde entier, auteur de romans et homme poli-
tique, Alberto Moravia est entré tôt en conflit avec le régime fasciste de Mussolini
et avec le Vatican. Cela lui valut l’interdiction d’écrire et la perte de son travail.
Il se retira alors à Capri, où il vécut de 1941 à 1943. C’est là que, pour gagner de
l’argent, il commença à rédiger des scénarios. Les films pour lesquels il a écrit ont
été produits par le magnat du cinéma italien, Carlo Ponti, qui débutait à l’époque sa
carrière de producteur. Après la guerre, Moravia reprit son travail de journaliste et
se mit à rédiger également des pièces de théâtre, s’étant entretemps convaincu que
le théâtre était une meilleure forme de communication. Ces tentatives n’aboutirent
toutefois à aucun résultat. En 1954, il publia son premier roman intitulé « Il dis-
prezzo » - « Le Mépris ». C’est le pschychodrame d’un intellectuel qui se vend, perd de
Cinéma Apollo
À l’assaut d’un mythe