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Introduction à la sociologie- Licence 1- Cours magistral 11 – Sociologie du travail
Fabrice Guilbaud, Maître de conférences, Amiens.
Le travail dans les traditions sociologiques.
Dans le panorama des sociologies existantes en France, en Europe et aux Etats-Unis, la sociologie du travail
est sans doute la plus vaste, au sens elle couvre une large palette d’objets (organisations, emplois,
salaires, chômage, professions). Son étendue et son ancienneté font dire à certains sociologues et théoriciens
des idées que la sociologie du travail est une sociologie générale dès lors qu’on admet que dans l’évolution
des civilisations, le travail est un fait social majeur, un fait de civilisation ou la « matrice des sociétés
modernes » (c'est-à-dire à partir de quoi les sociétés s’organisent, se hiérarchisent et se transforment). C’est
sur cette considération que la sociologie française s’est largement refondée après la 2e guerre mondiale.
Dans le contexte de « reconstruction » de la France détruite par la guerre (reconstruire puis moderniser), la
sociologie du travail a été convoquée comme pour produire du savoir sur la société industrielle. Les
réformateurs de la gauche catholique d’une part et ceux plus proches des mouvements socialistes et
communistes ont joué un rôle important dans cette sollicitation adressée aux sciences sociales à l’endroit du
monde du travail. C’est essentiellement à travers les travaux menés au sein du Plan que les gouvernements
ont sondé les idées et les constats à partir desquels ils orientaient les changements de stratégie économique.
Depuis cette période, la sociologie du travail reste marquée par une dimension normative, d’expertise dirait-
on aujourd’hui, et pas seulement d’analyse et de connaissance des réalités sociales nées du travail. C’est
pourquoi une partie des sociologues du travail sont proches des milieux syndicaux, plutôt attentifs aux
conditions de vie des travailleurs et à leurs droits ; une autre plus proche des milieux du conseil en
organisation et des managers, attentifs à la qualité des organisations du travail dans le but d’améliorer les
logiques de productivité et de profit des entreprises.
Les grands noms de la sociologie de l’époque sont majoritairement ceux la sociologie du travail : il s’agit
d’Alain Touraine, Pierre Naville, George Friedman. Naville et Friedman publieront en 1962 le Traité de
sociologie du travail.
Le travail n’est pas absent des œuvres des fondateurs ; chez Durkheim, la question du travail occupe une
place de taille puisque le passage d’une société à solidarité mécanique vers une société à solidarité organique
s’opère à partir des évolutions du droit et des évolutions du travail et plus spécialement de l’industrie qui
modifie la division sociale du travail. Reste que dans l’école durkheimienne, c’est d’abord la morale et le
religieux qui orientent la transformation des sociétés. Le travail est donc un agent de transformation des
formes de solidarité sociale, mais il participe, mieux il cimente la cohésion sociale. A contrario, chez Marx,
le travail est au cœur de l’évolution des sociétés de classes, il est le lieu de la lutte des classes parce que c’est
dans le rapport capital/travail que se fondent les inégalités de conditions entre prolétaires et bourgeois. Le
Marx économiste comme le Marx historien inaugurent une sociologie du travail qui sera très influente en
France et reste présente et féconde aujourd’hui. Le Travail dans la sociologie de Max Weber occupe
également une importance majeure puisque c’est à travers le travail, l’industrialisation, le progrès technique
que la dynamique historique de rationalisation du monde s’opère.
I. Le travail : problèmes de définition.
Travail : étymologie du mot en latin renvoie au tripalium (instrument de torture à trois pieux), dans
l’étymologie grecque on trouve à la fois un sens proche de l’étymologie latine : le travail comme peine ;
mais également un sens beaucoup plus « positif », le travail comme œuvre.
Contrairement à ce qu’on pense spontanément, le travail est quelque chose de très difficile à définir.
Comment définir simplement cette notion quand certains auteurs ont insisté sur le fait que la discipline
sociologique censée l’étudier ne l’avait pas clairement définie et que d’autres ont constaté le foisonnement
d’usages du mot « travail »1 ? Alain Cottereau identifie quatorze sens des différentes notions de travail
utilisés dans des traditions philosophiques, religieuses, économiques et sociologiques.
1 Cottereau A. 1994, « Théorie de l’action et notion de travail. Note sur quelques difficultés et perspectives », Sociologie du
travail, vol. 36, hors série, pp. 73-89.
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La notion d’activité est insuffisante car elle peut tout aussi bien correspondre à un loisir ou un travail (c’est
le cas, par exemple, du fait de lire, coudre, conduire, sculpter, regarder, écrire, téléphoner, réparer une
machine). Le travail est un rapport social, c'est-à-dire qu’a priori aucune activité ne peut être
intrinsèquement qualifiée de travail en dehors du rapport social qu’elle vient nouer avec un élément
hétéronome (extérieur).
Pierre Rolle résume : « Le travail ne se distingue pas des autres activités par des traits intrinsèques, mais
par son mode d’application commandé par un système qui dépasse le sujet » ; ou encore : « c’est l’activité
de l’homme, mais dépensée pour un but extérieur au travailleur, et selon des procédures qui, elles aussi,
sont d’une manière ou d’une autre prescrites »2.
Le travail tel qu’il a évolué et tel qu’il a été étudié par la sociologie du travail renvoie très largement au
salariat. La tendance très massive en France mais aussi à l’échelle mondiale, c’est la salarisation progressive
de la main d’œuvre, c'est-à-dire que de plus en plus d’individus qui travaillent le font sous la forme du
salariat, de moins en moins sous la forme du travail indépendant, notamment de type artisanal ou agricole,
de moins en moins dans ce qu’on appelle l’économie informelle ; dans tous les pays du monde la dynamique
historique du capitalisme implique une salarisation des forces de travail dans des économies de plus en plus
formelles et dans le cadre de ce qu’on appelle un rapport salarial : quelqu’un qui travaille pour quelqu’un
d’autre c’est à dire un employeur privé ou public par opposition aux professions libérales et indépendants.
Cadres, employés, ouvriers, fonctionnaires de différents niveaux sont des salariés.
Une confusion a souvent lieu entre travail et emploi ; le sens commun utilise souvent le mot travail pour dire
emploi. Une fois qu’on a dit que le travail est un rapport social, une activité faîte pour autrui et commandée
par des modes d’organisation, l’emploi comporte plusieurs sens. C’est d’abord l’ensemble des modalités qui
viennent encadrer cette activité, donc l’emploi se situe davantage du côté juridique, du côté des formes de
contrat de travail, du contenu de ces contrats, des législations sociales et techniques qui s’appliquent à tel ou
tel type d’emploi, dans tel ou tel secteur professionnel avec l’ensemble des conventions collectives etc. C’est
ici qu’on peut faire intervenir la notion très importante de contrat de travail ;
Dans le rapport salarial, il peut être défini comme l’achat d’une force de travail par un employeur, c’est-à-
dire que l’employeur paie au travailleur le temps passé à mettre en valeur son capital (cf cours sur Marx,
notion d’exploitation, de profit etc.)
Le contrat de travail et le temps acheté est bien évidemment indissociable du temps de vie. En cela, le travail
salarié est source d’un « quiproquo fondamental », puisque :
« l’enjeu de l’organisation du travail est celui de l’objectivation du temps et des capacités du salarié
pour l’employeur, et pour le salarié, il est celui de leur réappropriation subjective alors même
qu’elles font l’objet de l’échange marchand »3.
Quelques thèmes majeurs de la sociologie du travail :
I- La qualification
Très tôt dans la sociologie du travail, la question de la qualification du travail s’est posée. Une référence
importance est le livre de Georges Friedman Le travail en miettes en 1956.
En référence au modèle de l’artisanat dans lequel idéalement l’artisan maîtrise de bout en bout le processus
de production en construisant un objet à partir d’un ensemble de techniques acquises dans le cadre d’un
apprentissage de type professionnel, le progrès technique et l’industrie pousse à diviser les tâches et à
spécialiser les travailleurs dans tel ou tel tâche et geste productif, cette évolution marque selon Friedmann un
mouvement de déqualification de la main d’œuvre.
Alors que dans le modèle artisanal et très largement dans le système de formation, la formation se fait dans
l’emploi au cours du travail, l’industrialisation, le besoin d’une main d’ouvre plus spécialisées mais mieux
formée, disposant d’un ensemble de connaissance plus vastes a impliqué une séparation de l’ordre de la
formation et de l’ordre du travail et de l’emploi.
2 Rolle P.1997, Où va le salariat ?, Lausanne, Editions Page deux, p. 49.
3 Linhart D. 2005, « Le contrat de travail salarié : un quiproquo fondamental », in D. Linhart et A. Moutée (dir.), La Construction
des normes temporelles du travail, Paris, La découverte, p. 7.
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A la notion de qualification s’est donc vite associée la codification des emplois notamment à partir des
diplômes. La question s’est posée de savoir si on analysait la qualification du travail ou du travailleur. Si
vous regardez les offres d’emploi vous voyez très vite que le processus de qualification fait appel à deux
séries de qualités, celle requises par le poste et celles requises par la personne > les caractéristiques du poste
de travail et les qualités attendues du candidat : diplômes, connaissances, expérience ;
II - La notion de division du travail
C’est une notion à géométrie variable et on trouve beaucoup d’usage.
La division internationale du travail désigne les formes de spécialisation économique entre les nations, elle
peut donc être utilisée pour analyser les formes de dépendance économique (et souvent politique) entre les
pays, c'est-à-dire les formes de domination, d’exploitation des pays riches face aux pays pauvres. C’est là un
instrument d’analyse on utilisera l’outil cartographique pou analyser les rapports géoéconomique et
politique entre les nations ou ensemble de nations.
La division sociale du travail renvoie grandes catégories socio-économiques, en France les PCS.
La division sexuelle (sexuée) du travail renvoie d’une part à la répartition des types emplois selon le sexe
(par exemple les femmes sont plus concernés par les temps partiels et tous les contrats précaires) et à la
division inégalitaire du travail domestique en défaveur des femmes.
III- Modèles productifs, sociologie des organisations
La division technique renvoie à la répartition des tâches dans les organisations de travail. Ce qui a fait
l’objet d’un nombre considérable de recherches dans les années 60 à 80, c’est la division du travail dans
l’atelier et cela est très lié au Taylorisme et au fordisme (la chaîne a été inventée par Henry Ford, Frédéric
Taylor c’est l’OST). Les deux ont en fait intensifié des formes de division du travail qui existaient
préalablement. Il ne faut surtout pas mythifier l’un ou l’autre en croyant qu’on serait passé d’une
manufacture d’artisans totalement autonomes à l’usine moderne de montage sur chaîne.
Ce que cherche le système Taylor c’est essentiellement à intensifier le temps de travail des ouvriers, à
perfectionner un système d’organisation dans lequel le travailleur ne puisse plus se consacrer à ce qu’il
appelle la « flânerie systématique » ; le problème c’est que tant que le travailleurs possèdent une autonomie
et un savoir-faire, ils peuvent se dégager du temps mort pour la production, c’est pourquoi l’objet de l’OST
c’est de séparer la conception et l’exécution, l’objectif ultime étant de ne pas laisser prise aux ouvriers sur le
temps de travail, qui doit être entièrement consacré à l’usage productif, donc capitalistique.
L’OST se fonde sur des principes déjà éprouvés et en usage dans les manufactures : la sélection des ouvriers
et leur spécialisation, la décomposition des tâches ; Taylor y ajoute l’usage d’outils d’observation du travail :
description fine des tâches, la mesure des temps d’exécution (chronométrage, tables des temps).
La chaîne de Ford intensifie la systématisation des tâches et surtout introduit la standardisation des
productions ; la chasse aux temps morts va s’étendre aux relations entre les postes de travail, aux transferts
des pièces et son aboutissement c’est l’enchaînement quasi-continu des tâches par un convoyeur
automatique. Avec la chaîne, on passe alors à des temps incorporés aux travailleurs, alors qu’on avait des
temps alloués à des tâches (la productivité dépendait du respect des consignes données par la hiérarchie),
l’automatisation de la production fera dire à des sociologues que l’ouvrier est « enchaîné » au travail.
Beaucoup de modèles productifs seront analysés à la suite de la chaîne Ford, les critiques du Fordisme et de
la conception de Taylor se sont formulées autour de la déshumanisation (Friedman, mais aussi H. Wallon en
psychologie), ce qui a donné lieu à des aménagements dans l’organisation de la production dans laquelle les
managers on tenté de réintroduire des formes d’initiatives et de collaboration des salariés d’exécution. Les
sociologues y ont joué un rôle notamment aux USA autour du courant des relations humaines. Les
organisations de travail ont évolué dans certains cas vers l’enrichisssement des tâches (recomposer le travail
pour le rendre plus intéressant) d’une part et l’élargissement des tâches d’autre part (prône la polyvalence
entre les postes), c’est pourquoi des entreprises ont évolué vers des formes d’organisation en groupe semi-
autonomes de production : « îlots de production », les team-leader dans le modèles Toyota : le management
cherche à impliquer le salarié (recherche de solutions productives pour améliorer la productivité).
Beaucoup de recherches se sont intéressées aux industries de process, dans lesquelles c’est le procé
technique en continu qui transforme les matières. C’est le cas dans la chimie, la pétrochimie, la sidérurgie,
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l’industrie du verre, le nucléaire, une partie de l’alimentaire ou les entreprises sont parvenues à débiter en
continu de la matière et à trouver l’idéal de la fluidité de la production. Dans ces industries les travailleurs
sont chargés de la maintenance et de la supervision de l’ensemble du complexe technique, le travail consiste
donc en une vigilance permanente pour prévenir l’interruption du flux continu.
Dans le cas des industries tayloriennes et post-tayloriennes, la sociologie du travail s’est beaucoup intéressée
aux collectifs de travail, aux formes de solidarité entre travailleurs pour résister aux rythmes des cadences,
c’est qu’on appelle le freinage, ainsi qu’aux formes d’organisation informelles mises en place par les
travailleurs pour faire fonctionner effectivement la production. A côté des prescriptions de l’organisation, on
trouve toujours des formes d’organisation invisible, cachée mises en place par les travailleurs. Les
ergonomes du travail ont découvert cela relativement tôt et ont inventé la distinction entre travail prescrit et
travail réel pour désigner cet aménagement, cette appropriation du travail par les travailleurs.
IV- Sociologie des professions
Jusqu’aux années 1980, la sociologie du travail s’est beaucoup intéressée aux ouvriers de l’industrie, et
souvent la sociologie du travail s’est enfermé dans les 4 murs de l’atelier dans lesquels on trouvait des
hommes, ouvriers, et si possible plutôt syndiqués, conscients etc. Il y avait une forme d’ouvriérisme dans la
sociologie française du travail ; mais il y a eu quelques travaux sur les femmes dans l’industrie (Madeleine
Guilbert) et les ouvrières par quelques pionnières de la sociologie féministe (Danièle Kergoat, les ouvrières,
1980). Les femmes ont été longtemps les oubliées de la sociologie du travail et des mouvements sociaux.
Donc le monde du travail et singulièrement la classe ouvrière est apparue un peu moins homogène que dans
le passé. Dans les années 80 on a vu apparaître dans la sociologie du travail des études très variées sur tout
un tas de catégories de travailleurs et de travailleuses auxquelles on ne s’était jamais intéressées auparavant ;
Les instituteurs, les policiers, les surveillants de prison, les infirmières Les professions à haut statut
avocats, notaires, médecins etc. C’était déjà le cas aux EU et cela s’est produit en France
Années 1980-1990 > Sociologie de l’emploi
A côté du développement fort de la sociologie des professions, la sociologie du travail s’est massivement
orientée vers une sociologie de l’emploi. La question du chômage a également été accompagnée d’une
sociologie du chômage comme phénomène, comment le compter, quoi définir comme situation effective de
chômage ou pas ; chômage comme état : sociologie des chômeurs, du vécu du chômage, des ressources et
des faiblesses des individus face à la recherche d’emploi etc. Sociologie de l’emploi ensuite dans l’évolution
des formes d’emploi et des contrats de travail, des modes de vie induits par le développement de la précarité.
Conclusion
On assiste à un retour relatif à une sociologie plus proche des travailleurs et des travailleuses en particulier
les plus vulnérables : recherche sur le travail des salariés des associations en contrat précaire aidé, recherche
sur les travailleurs du bâtiment et la question des travailleurs sans-papiers, recherche sur des formes
invisibles de travail : les travailleurs détenus en prison, les travailleurs handicapés, le travail dans
l’économie illégale aux USA (vente de drogue), les salariés précaires des instituts de sondage. Tous ces
travaux s’intéressent aux conditions de vie, de salaire, à leurs tâches les plus concrètes et également à leur
vécu du travail, à la relation que ces travailleurs et travailleuses entretiennent avec leur travail, à leur
socialisation professionnelle.
Beaucoup de travaux de type ethnographique dans tout cela. Le travail et les réalités du travail n’est pas le
monopole des sociologues, il l’est même de moins en moins, les économistes et surtout les managers
savants, les sociétés de conseils produisent un discours très présent médiatiquement sur le monde du travail.
La sociologie du travail contemporaine articule de plus en plus différentes spécialités de la sociologie, elle
s’est largement décloisonnée pour entrer en dialogue avec les historiens du travail, l’anthropologie ou la
psycho-pathologie du travail ; surtout beaucoup de travaux actuels utilisent les acquis issus de la sociologie
générale sur la socialisation, le genre et les classes sociales.
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