Psychiatrie en milieu pénitentiaire : la loi de

L’Information psychiatrique 2012 ; 88 : 605–15
DANGEROSITÉS : LA PSYCHIATRIE `
A L’ÉPREUVE DES DEMANDES
SOCIALES (2ePARTIE)
Psychiatrie en milieu pénitentiaire :
la loi de 1994 pourrait-elle être remise en cause
par l’essor de la préoccupation sécuritaire
et de l’évaluation de la dangerosité ?
Michel David 1, Catherine Paulet 2, Gérard Laurencin 3
RÉSUMÉ
En milieu pénitentiaire, la psychiatrie depuis 1985 et la médecine générale depuis 1994 relèvent d’une organisation
essentiellement hospitalière, améliorant ainsi significativement l’offre et la qualité des soins pour les personnes détenues.
Néanmoins depuis le début des années 2000, une orientation sécuritaire dévolue à la psychiatrie en milieu carcéral prend
le pas sur la dimension thérapeutique. L’indépendance professionnelle et le secret professionnel médical sont battus en
brèche. Les soignants devraient devenir des prestataires de services pour l’administration pénitentiaire ou la justice. Au lieu
de prodiguer des soins, leur collaboration est requise pour aider à la gestion du parcours d’exécution des peines en évaluant
la « dangerosité » et les risques de récidive et en prodiguant d’illusoires thérapies pour lutter contre la récidive. Peut-on
penser que la psychiatrie en milieu pénitentiaire et au-delà, l’ensemble de la psychiatrie, saura résister à l’injonction qui
lui est faite de neutraliser plutôt que de soigner ?
Mots clés : psychiatrie pénitentiaire, secret professionnel, dangerosité, récidive, risque, évaluation, criminologie, prise en
charge, prison, échelle actuarielle, politique sécuritaire
ABSTRACT
Psychiatry in prisons: could the 1994 law be challenged due to the rise of security concerns and the assessment
of dangerousness? In prison, psychiatry since 1985, and general medicine since 1994 have mainly become a hospital
organization, significantly improving the supply and quality of care for detainees. However, since the early 2000s, a
safety orientation devoted to psychiatry in prisons has developed a therapeutic dimension. Professional independence and
professional secrecy have been demolished. Caregivers should become service providers for the prison administration
or judicial system. Instead of providing care, collaboration is needed to help in the management of prison sentences by
evaluating “dangerousness” and the risk of recurrence by assessing deceptive therapies that are used to fight against prison
offender recurrence. Is it possible to consider that psychiatry in a prison environment and beyond, including the whole of
psychiatry, will be able to resist the directive, which is made to neutralize rather than cure?
Key words: prison psychiatry, professional secrecy, dangerousness, recurrence, risk assessment, criminology, management,
prison, actuarial scale, security policy
1Psychiatre des hôpitaux, DSP maison d’arrêt de Coutances, président de l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP),
fondation Bon-Sauveur, route de Saint-Sauveur, 50360 Picauville, France
2Psychiatre des hôpitaux, chef de pôle, Assistance publique-Hôpitaux de Marseille, présidente d’honneur de l’ASPMP, SMPR des Baumettes, 239,
chemin de Morgiou, 13009 Marseille, France
3Psychiatre des hôpitaux, chef de pôle, trésorier de l’ASPMP, centre hospitalier Gérard-Marchant, SMPR de Toulouse, France
Tirés à part : M. David
doi:10.1684/ipe.2012.0967
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 88, N8 - OCTOBRE 2012 605
Pour citer cet article : David M, Paulet C, Laurencin G. Psychiatrie en milieu pénitentiaire : la loi de 1994 pourrait-elle être remise en cause par l’essor de la préoccupation
sécuritaire et de l’évaluation de la dangerosité ? L’Information psychiatrique 2012 ; 88 : 605-15 doi:10.1684/ipe.2012.0967
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M. David, et al.
RESUMEN
Psiquiatría en áreas penitenciarias : ¿ podría cuestionarse la ley de 1994 por el auge de la preocupación securitaria
y de la evaluación de la peligrosidad ? En áreas penitenciarias, la psiquiatría desde 1985 y la medicina general desde
1994, dependen de una organización ante todo hospitalaria, mejorándose así de modo significativo la oferta y la calidad
de la atención para las personas detenidas. No obstante desde principios de los a˜
nos 2000, una orientación securitaria
asignada a la psiquiatría en área carcelaria prevalece sobre la dimensión terapeútica. La independencia profesional y el
secreto profesional del médico quedan da˜
nados. El personal sanitario tendría que convertirse en prestadores de servicios
para la administración penitenciaria o la justicia. En lugar de dispensar cuidados, se requiere su colaboración para ayudar a
gestionar el recorrido de ejecución de las condenas evaluando su “peligrosidad” y los riesgos de reincidencia dispensando
ilusorias terapias para luchar contra la reincidencia. ¿ Cabe pensar que la psiquiatría en medios áreas penitenciarias y más
allá, el conjunto de la psiquiatría, sabrá resistir el mandato a ella dirigido de neutralizar antes que curar ?
Palabras claves : psiquiatría penitenciaria, secreto profesional, peligrosidad, reincidencia, riesgo, evaluación, criminología,
atención hospitalaria, cárcel, escala actuarial, política securitaria
Le médecin de l’unité de consultation et de soins
ambulatoires (UCSA), et encore davantage, le psychiatre
des services médicopsychologiques régionaux (SMPR)
deviennent l’expert du pauvre, c’est-à-dire celui qui est
disponible pour satisfaire ce besoin d’appareillage scienti-
fique dont l’élaboration d’un pronostic doit s’entourer pour
être crédible.
Rapport d’activité du CGLPL 2011.
La psychiatrie en milieu pénitentiaire, comme
l’ensemble de la discipline psychiatrie, est prise dans
une tourmente qui paraît remiser les préoccupations
sanitaires bien loin derrière des impératifs sécuritaires. Les
évolutions, qui lui sont imposées, représentent d’excellents
marqueurs des contraintes qui se généralisent à l’ensemble
de la psychiatrie. Un contexte sécuritaire qui n’échappe
à personne serait-il en passe de remettre en question les
acquis de la création du secteur de psychiatrie en milieu
pénitentiaire (SPMP) en 1985 et de la loi de 1994 sur les
soins somatiques en prison ?
Après avoir rappelé les principes essentiels de l’exercice
médical en milieu pénitentiaire, il conviendra d’analyser
les raisons de l’évolution de la demande « institution-
nelle » de passer d’une pratique de soins à une pratique
expertale criminologique centrée sur la dangerosité et la
récidive.
Les fondements actuels
de la médecine et de la psychiatrie
en milieu pénitentiaire : la fin
d’une médecine de sous-hommes
La prise en charge de la santé mentale des personnes
détenues est confiée au service public hospitalier depuis
la parution du décret no86-602 du 14 mars 1986 relatif à
la lutte contre les maladies mentales et à l’organisation de
la sectorisation psychiatrique, instituant les SPMP. Mais
ce n’est qu’avec la loi no94-43 du 18 janvier 1994
relative à la santé publique et à la protection sociale pour les
personnes détenues que les soins somatiques, jusqu’alors
gérés par l’administration pénitentiaire, ont été confiés
aux hôpitaux. Toutes les personnes, fussent-elles détenues,
devenaient systématiquement affiliées au régime général de
la Sécurité sociale, marqueur de la solidarité nationale et de
l’intégration sociale.
Ce ne fût pas sans mal comme le rappelle Robert Badin-
ter:«lasanté des détenus est un problème constant qui
a fait des progrès considérables. Nous sommes arrivés
avec des difficultés inouïes à mettre fin à ce que l’on a
appelé “la médecine pénitentiaire”, qui était une médecine
de sous-hommes. Nous fûmes confrontés à des réactions
corporatistes intenses. En 1983, nous avons rattaché les éta-
blissements pénitentiaires à l’inspection de l’administration
de l’Assistance publique. Le regard de cette inspection fut
enfin posé sur la médecine carcérale et, de ce jour, tout
fût rendu possible, avec des progrès successifs qui n’ont
jamais cessé, car l’on a compris qu’il ne pouvait exister une
médecine pratiquée pour tous et une médecine carcérale et
un traitement carcéral des maladies. Il existe des maladies
pénitentiaires, mais c’est autre chose. Devant la maladie,
tout être humain doit être également traité [1]. » On ne peut
guère être étonné que cette avancée si difficilement acquise
ne le soit pas nécessairement définitivement.
Il convenait donc, pour insister sur les propos de l’ancien
Garde des Sceaux, d’aligner qualitativement les soins aux
personnes détenues sur ceux prodigués à la population
générale, et de permettre l’accès aux soins de toute per-
sonne malade, en souffrance ou en demande sur l’ensemble
du territoire.
Ce principe sanitaire qui reposait sur les valeurs républi-
caines d’égalité, éminemment louable en théorie (éthique
des intentions) n’a-t-il pas in fine conduit à une filière ségré-
gative orientée en filigrane par des impératifs sécuritaires
(éthique des conséquences) ? C’est en résumé une thèse
que le philosophe Claude-Olivier Doron a exposé aux xxiie
Journées des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire
en décembre 2011 à Marseille [2] et qui pousse le raisonne-
ment jusqu’à considérer que la médecine et singulièrement
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Psychiatrie en milieu pénitentiaire : la loi de 1994 pourrait-elle être remise en cause par l’essor de la préoccupation
sécuritaire et de l’évaluation de la dangerosité ?
la psychiatrie ont permis le maintien d’un système carcéral
qui aurait pu exploser sans le concours des psychiatres.
La psychiatrie en milieu pénitentiaire
Si l’intervention psychiatrique dans les établissements
pénitentiaires remonte à plusieurs décennies, c’est avec la
légalisation du secteur en 1985 que le SPMP a été créé en
étant doté de 26 SMPR dont trois dans les DOM, pour la
plupart implantés dans les maisons d’arrêt. La loi du 18 jan-
vier 1994 en confiant la responsabilité de la prise en charge
sanitaire des personnes détenues au ministère de la Santé a
permis la création des UCSA dans tous les établissements
pénitentiaires (environ 200). Dans les prisons non dotées de
SMPR (la majorité), les soins psychiatriques sont en général
prodigués par les secteurs de psychiatrie générale qui inter-
viennent dans les UCSA. L’outil qui en résulte est dénommé
dans l’usage courant « dispositif de soins psychiatriques »
(DSP).
Le SPMP se différencie d’emblée des secteurs de psy-
chiatrie générale et pédopsychiatrique en centrant l’objet
des soins non plus sur une population définie par l’âge
mais sur une population centrée sur un lieu. Cette carac-
téristique est quelque peu paradoxale. La philosophie du
secteur a voulu centrer les soins autour des centres médico-
psychologiques, implantés au cœur de la communauté,
en dehors des hôpitaux, pour sortir de « l’asile », lieu
d’enfermement et de relégation. La création du SPMP
obéissait à une logique explicite, aller là où se trouvaient
les patients, fussent-ils incarcérés, mais renouant avec
le monde clos des prisons, elle prenait – de facto –le
risque de filière ségrégative. Centrer le soin sur un lieu
aussi marqué, rassemblant des sujets supposés dangereux
(et pour certains avec réalité), n’est probablement pas
sans conséquence sur l’essor de la préoccupation sécu-
ritaire et l’évaluation de la dangerosité, sujet de notre
présent propos alors que la mission des soignants en milieu
pénitentiaire est de prodiguer des soins pour améliorer
un état pathologique dans l’intérêt du patient conformé-
ment aux nombreuses lois et réglementations nationales ou
européennes.
Pour la France, l’article 1 de la loi HPST : « les établis-
sements de santé publics, privés et privés d’intérêt collectif
assurent, dans les conditions prévues par le présent code, le
diagnostic, la surveillance et le traitement des malades, des
blessés et des femmes enceintes. » (Art. L. 6111-1 csp.).
Pour l’Europe:«lerôle du médecin exerc¸ant en
milieu pénitentiaire consiste d’abord à dispenser des
soins médicaux et des conseils appropriés à toutes les
personnes détenues, dont il est cliniquement respon-
sable » (recommandation noR[98]7 relative aux aspects
éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu
pénitentiaire).
Les consultations (de professionnels différents) repré-
sentent l’activité principale des SMPR. Toutefois, la plupart
d’entre eux est dotée de places d’hôpital de jour au sta-
tut ambigu. En effet, les personnes qui nécessitent des
soins plus rapprochés peuvent être admises dans des places
situées au sein des SMPR. Elles y restent hébergées la nuit
mais les soins ne sont prodigués que durant la journée et
avec leur consentement. Seuls les SMPR de Fresnes et des
Baumettes (Marseille) ont une équipe soignante présente
la nuit, mais sans pouvoir accéder directement au patient
en l’absence de présence d’un surveillant gradé. Ce dernier
dispositif est voué à disparaître pour être remplacé par les
unités d’hospitalisation spécialement aménagées (UHSA)
implantées dans les hôpitaux mais disposant d’une sécurité
périmétrique gérée par l’administration pénitentiaire.
Toutefois, les hospitalisations de jour type SMPR seraient
au contraire appelées à se développer du fait de l’extension
toujours plus importante au fil des ans de la psychiatrie en
milieu pénitentiaire dont les UHSA font partie. Les UHSA
ont été créées en 2002, afin d’éviter l’hospitalisation en
milieu psychiatrique ordinaire rendue de plus en plus dif-
ficile par le manque de moyens humains et matériels des
services hospitaliers et la frilosité des acteurs hospitaliers
(soignants et administratifs) face aux mises en cause pos-
sible en cas d’évasion par exemple ; s’y ajoutait un débat
de fond sur la nécessaire distinction entre la mission de
soins et la mission de garde qui cachait mal une repré-
sentation extrêmement négative d’une partie de patients
détenus présentant des troubles mentaux souvent disqua-
lifiés par de nombreux psychiatres (qui y voyaient des
psychopathes aux symptômes factices sans demande de
soins si ce n’est la volonté de s’extraire de la prison). En
1999, les SPMP s’étaient publiquement prononcés contre le
concept d’UHSA. Ils n’ont pu par la suite que faire avec les
conséquences du choix des secteurs de psychiatrie générale
et de leurs représentants (syndicats médicaux et ouvriers).
Ce choix collectif du SPMP n’est pas sans conséquence
sur le délitement de l’esprit du secteur de psychiatrie. Pour
compléter le tableau des dispositifs soignants en prison, il
faut préciser qu’environ une dizaine de consultations (mal)
nommées postpénales peuvent être adossées aux SMPR ou
aux DSP. Elles permettent une articulation dedans-dehors
au moment de la libération et de recevoir aussi les familles
des patients dans un lieu autre que la prison. Elles seraient
mieux nommées consultations extrapénitentiaires et pour-
raient être un équivalent des CMP, centrant le projet de soin
autour de la réinsertion et non autour de la ghettoïsation que
représente l’univers carcéral. Leur faible nombre est révéla-
teur du repli des soins sur la prison, même si les soignants en
milieu pénitentiaire s’efforcent de penser les soins dans la
perspective de la libération. Toutefois, comme bien souvent,
les bonnes intentions qui les sous-tendent conduisent aussi
à confirmer le risque de création d’une filière ségrégative
en renforc¸ant le processus d’exclusion des patients détenus
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M. David, et al.
des dispositifs de soins psychiatriques ordinaires en milieu
libre et en risquant de créer le maillon manquant d’un sys-
tème de défense sociale (vieille tradition de la psychiatrie
franc¸aise).
État des lieux
Des axes forts à conserver, des dérives
observées et des propositions
La politique de santé en milieu pénitentiaire doit être
définie par le ministère de la Santé en s’adossant
au service public hospitalier
Les soins somatiques et psychiatriques en milieu péni-
tentiaire doivent suivre les mêmes positionnements éthiques
et règles sanitaires, déontologiques et juridiques que celles
du service public hospitalier.
Or, les services hospitaliers tendent à être moins
considérés comme des partenaires par l’administration
pénitentiaire que comme des prestataires de service et le
dialogue santé-justice, administrations centrales et acteurs
de terrain, s’en ressent vivement.
Ainsi en témoigne, la troisième actualisation du guide
méthodologique des soins aux personnes détenues, au sein
d’un travail santé-justice, faisant suite à la première version
de 1994 et la deuxième de 2005, qui peine à aboutir et fait
l’objet de nombreux et sévères points de désaccord, portant
notamment sur les exigences de l’indépendance profession-
nelle des soignants et du respect du secret professionnel
médical.
La médecine et la psychiatrie en milieu pénitentiaire
sont une pratique du soin et non un exercice expertal
Depuis une dizaine d’années, le projet pénitentiaire
tel que défini par les politiques pénales, semble avoir
déserté la mission princeps sociale de réinsertion du citoyen
condamné, certes sanctionné mais devant retrouver sa place
au sein de la communauté, au profit d’une mission de neutra-
lisation d’un récidiviste potentiel, jamais assez sanctionné
au nom des victimes inconsolables.
En conséquence de quoi, progressivement, les soignants
sont sollicités pour devenir des conseillers, pseudo-experts
en dangerosité et en prévention de la récidive. Des théra-
pies « destinées à limiter le risque de récidive », issues
de l’esprit du législateur, sont apparues dans le Code de
procédure pénale (art. 721-1), mais non dans les traités
de médecine et sont censées être menées en prison et en
population générale. La loi du 17 juin 19981a créé le suivi
socio-judiciaire et l’injonction de soin, initialement prévus
1Les historiens de la médecine et les épistémologues auront à se pencher
un jour sur l’histoire de la loi du 17 juin 1998, du rôle des psychiatres et
psychologues dans sa genèse et dans son évolution et de celui des poli-
tiques, malheureusement plutôt consensuel, de droite comme de gauche,
dans son dévoiement progressif.
en milieu ouvert pour les auteurs de violence sexuelle après
expertise psychiatrique qui doit en proposer l’indication.
Le champ de la loi a été progressivement étendu à d’autres
crimes ou délits non sexuels, avant d’être probablement
imposé un jour aux voleurs de poule (mais peut-être pas
aux grands délits financiers2), sans expertise préalable. Les
incitations préalables aux soins en prison se transforment
progressivement en obligations et non plus en soins libre-
ment consentis. La récente loi de programmation relative à
l’exécution des peines du 27 mars 2012 confirme et pour-
suit cette évolution en imposant à la personne condamnée
de transmettre au moins tous les trois mois une attestation
de suivi indiquant que le patient « suit ou non de fac¸on
régulière le traitement proposé par le juge d’application
de peines ». C’est donc le juge d’application des peines
(JAP) qui propose un traitement et comme il rédige aussi
des ordonnances...
Les sollicitations portent sur le profilage de la personne
détenue afin d’aider à la gestion pénitentiaire (notamment
classement dans des régimes pénitentiaires différenciés),
à l’aide au pronostic de la dangerosité criminologique, à
l’évaluation de l’aptitude à supporter le « mitard » (le quar-
tier disciplinaire), le quartier d’isolement, à exercer certains
travaux etc.
Évidemment, ce rôle expertal est tout à fait incompatible
avec les missions thérapeutiques.
Plutôt que vouloir avec insistance évaluer une dan-
gerosité particulière (loi de rétention de sûreté) ou pas
(extension exponentielle de la surveillance de sûreté), ne
convient-il pas de rétablir un projet pénitentiaire qui intègre
réellement la dimension de réinsertion sociale au lieu
de se crisper sur l’évaluation de la dangerosité dans la
mythique illusion du risque zéro ? Quant à l’injonction
de soin, elle devrait faire l’objet d’indications strictes3
et ne devrait pas être en prison une source de chan-
tage en étant mise en balance avec les aménagements de
peine.
L’égalité dans l’accès à des soins de qualité
indépendamment de l’infraction commise
La focalisation sur la délinquance sexuelle et sur les
« troubles du comportement », fourre-tout classificatoire,
est à l’origine de spécialisation de certains établissements
pénitentiaires pour les « délinquants sexuels ». Dès lors,
les demandes pénitentiaires et judiciaires se font pressantes
auprès des soignants pour qu’ils participent activement,
toutes affaires cessantes, à une action pluriprofessionnelle
d’observation du comportement et de prévention de la réci-
dive à caractère sexuel.
2Ce qui correspond à l’expression bien connue de Michel Foucault:«la
gestion différentielle des illégalismes ».
3Les professionnels auraient tout intérêt à élaborer ensemble ces indica-
tions.
608 L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 88, N8 - OCTOBRE 2012
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Psychiatrie en milieu pénitentiaire : la loi de 1994 pourrait-elle être remise en cause par l’essor de la préoccupation
sécuritaire et de l’évaluation de la dangerosité ?
Ces pressions professionnelles sont facilitées et
entretenues par certains professionnels (psychiatres ou
psychologues) qui proposent aux crédules des kits
thérapeutico-criminologiques pour prédire et/ou traiter
toutes formes de dangerosité.
Les échelles actuarielles, tellement plus accessibles,
dans leur principe, aux fonctionnements psychiques opé-
ratoires ou simplistes, que l’analyse complexe de l’appareil
psychique, sont prônées comme des outils magiques dont
l’effet placebo sur les angoisses publiques et politiques est
d’une efficacité redoutable.
À cet égard, on lira avec profit la critique argumentée de
« l’âge actuariel » de B.E. Harcourt professeur de droit à
l’université de Chicago et directeur du Centre pour l’étude
de la justice pénale [3], qui démontre les effets contre-
productifs du profilage et des méthodes actuarielles. Il
recommande « d’éviter de faire confiance aux décisions pro-
babilistes de nature actuarielle » et souligne que l’utilisation
des méthodes actuarielles dans la sphère pénale est « ineffi-
cace et même dangereuse en ce qui concerne l’application
de la loi ».
L’objectif des méthodes actuarielles est de déterminer
les différents niveaux de délinquance associés à un groupe
ou à l’un ou plusieurs caractères du groupe, et à partir de
ces corrélations, prédire le comportement criminel futur
d’un individu spécifique (à partir du comportement passé
et présent du groupe) et lui appliquer une mesure judiciaire
adaptée. En d’autres termes, les méthodes actuarielles dans
le droit pénal utilisent des estimations statistiques sur la
criminalité de groupes (ou de caractère de groupe) pour
déterminer les moyens que la justice pénale va appliquer à
des individus particuliers au sein de ces groupes.
Ainsi, la « neutralisation sélective » utilise les sta-
tistiques des caractères de groupe pour identifier si un
coupable est susceptible de récidiver.
« Pourquoi avons-nous adopté le tournant actuariel dans
le champ pénal malgré le manque de preuve ? La réponse
est à chercher dans notre désir profond... de contrôler
l’avenir », conclut-il.
À cela, nous répondons par un éloge de la complexité et
de l’humilité. Le travail thérapeutique est un long chemin
personnalisé qui n’obéit pas à des lois statistiques rétros-
pectives ni prédictives, qui est semé d’embûches, et qui se
fait en marchant.
Sans oublier que les thérapeutes ne sont pas de doux
rêveurs qui auraient une vision angélique de la bonté
d’âme de leurs patients. Ils entendent quotidiennement des
confidences le plus souvent douloureuses mais aussi plus
rarement « horrifiques » (les prisons ne sont pas peuplées en
majorité de grands criminels à l’origine de faits effrayants,
loin de là) de leurs patients. Et comme tout thérapeute, ils
œuvrent aussi avec l’objectif, espéré de « surcroît » que leurs
patients éviteront de retomber dans des conduites préjudi-
ciables pour autrui, pour eux-mêmes et pour la société.
Le socle éthique et pratique sur lequel reposent les
soins psychiatriques (et somatiques) en prison doit être
équivalent à celui qui prévaut en milieu libre
Le consentement aux soins doit rester un principe essen-
tiel. Et, il s’agit d’un vrai consentement et non celui
qui est mis en concurrence avec l’obtention des amé-
nagements de peine. Le contexte de privation de liberté
et les contraintes diverses du monde pénitentiaire néces-
sitent que le soin psychiatrique en milieu pénitentiaire
reste un espace de « liberté » et d’intimité dans lequel
le patient pourra peut-être placer une confiance diffi-
cile à établir dans le monde de méfiance, de contrainte,
de surveillance et de manque d’intimité bien connu des
prisons.
La pratique médicale nécessite que l’indépendance pro-
fessionnelle médicale soit respectée. C’est d’ailleurs une
des règles du Code de déontologie médicale:«leméde-
cin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous
quelque forme que ce soit. » (Art. 5 du Code de déontolo-
gie médicale et R.4127-5 du Code de la santé publique).
Non seulement la réglementation nationale insiste sur
cette indépendance nécessaire à l’exercice médical, mais
la réglementation européenne énonce les mêmes recom-
mandations en consacrant un chapitre à l’indépendance
professionnelle (recommandation noR[98]7 relative aux
aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en
milieu pénitentiaire) : « Les décisions cliniques et toute
autre évaluation relative à la santé des personnes incar-
cérées devraient être fondées uniquement sur des critères
médicaux. Le personnel de santé devrait pouvoir exercer
son activité en toute indépendance, dans la limite de ses
qualifications et de ses compétences. » Le médecin est res-
ponsable du projet de soin et en rend compte à l’usager
qui peut lui-même faire valoir ses droits comme il le
souhaite.
Le secret professionnel est une obligation légale qui
s’impose aux médecins et à tout personnel soignant hos-
pitalier. Il n’est guère besoin d’en détailler les déclinaisons
juridiques (délit en cas de violation), toutefois il est inté-
ressant de rappeler que la loi du 4 mars 2002 relative aux
droits des malades et à la qualité du système de santé en a
précisé le contour en le limitant à un échange d’information
entre professionnels de santé dans le cadre d’une prise en
charge commune sanitaire (Art. L. 1110-4 Code de la santé
publique). Le Conseil de l’Europe, dans la recommandation
citée supra dans le paragraphe consacré au consentement du
malade et au secret médical impose que « le secret médi-
cal devrait être garanti et observé avec la même rigueur
que dans la population générale » (on note l’emploi du
conditionnel...).
Outre ces contraintes légales, il faut insister sur l’outil
thérapeutique que représente le secret professionnel. Il per-
met d’instaurer une confiance nécessaire à tout travail,
notamment psychothérapeutique (selon l’adage classique,
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 88, N8 - OCTOBRE 2012 609
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