
Psychiatrie en milieu pénitentiaire : la loi de 1994 pourrait-elle être remise en cause par l’essor de la préoccupation
sécuritaire et de l’évaluation de la dangerosité ?
la psychiatrie ont permis le maintien d’un système carcéral
qui aurait pu exploser sans le concours des psychiatres.
La psychiatrie en milieu pénitentiaire
Si l’intervention psychiatrique dans les établissements
pénitentiaires remonte à plusieurs décennies, c’est avec la
légalisation du secteur en 1985 que le SPMP a été créé en
étant doté de 26 SMPR dont trois dans les DOM, pour la
plupart implantés dans les maisons d’arrêt. La loi du 18 jan-
vier 1994 en confiant la responsabilité de la prise en charge
sanitaire des personnes détenues au ministère de la Santé a
permis la création des UCSA dans tous les établissements
pénitentiaires (environ 200). Dans les prisons non dotées de
SMPR (la majorité), les soins psychiatriques sont en général
prodigués par les secteurs de psychiatrie générale qui inter-
viennent dans les UCSA. L’outil qui en résulte est dénommé
dans l’usage courant « dispositif de soins psychiatriques »
(DSP).
Le SPMP se différencie d’emblée des secteurs de psy-
chiatrie générale et pédopsychiatrique en centrant l’objet
des soins non plus sur une population définie par l’âge
mais sur une population centrée sur un lieu. Cette carac-
téristique est quelque peu paradoxale. La philosophie du
secteur a voulu centrer les soins autour des centres médico-
psychologiques, implantés au cœur de la communauté,
en dehors des hôpitaux, pour sortir de « l’asile », lieu
d’enfermement et de relégation. La création du SPMP
obéissait à une logique explicite, aller là où se trouvaient
les patients, fussent-ils incarcérés, mais renouant avec
le monde clos des prisons, elle prenait – de facto –le
risque de filière ségrégative. Centrer le soin sur un lieu
aussi marqué, rassemblant des sujets supposés dangereux
(et pour certains avec réalité), n’est probablement pas
sans conséquence sur l’essor de la préoccupation sécu-
ritaire et l’évaluation de la dangerosité, sujet de notre
présent propos alors que la mission des soignants en milieu
pénitentiaire est de prodiguer des soins pour améliorer
un état pathologique dans l’intérêt du patient conformé-
ment aux nombreuses lois et réglementations nationales ou
européennes.
Pour la France, l’article 1 de la loi HPST : « les établis-
sements de santé publics, privés et privés d’intérêt collectif
assurent, dans les conditions prévues par le présent code, le
diagnostic, la surveillance et le traitement des malades, des
blessés et des femmes enceintes. » (Art. L. 6111-1 csp.).
Pour l’Europe:«lerôle du médecin exerc¸ant en
milieu pénitentiaire consiste d’abord à dispenser des
soins médicaux et des conseils appropriés à toutes les
personnes détenues, dont il est cliniquement respon-
sable » (recommandation noR[98]7 relative aux aspects
éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu
pénitentiaire).
Les consultations (de professionnels différents) repré-
sentent l’activité principale des SMPR. Toutefois, la plupart
d’entre eux est dotée de places d’hôpital de jour au sta-
tut ambigu. En effet, les personnes qui nécessitent des
soins plus rapprochés peuvent être admises dans des places
situées au sein des SMPR. Elles y restent hébergées la nuit
mais les soins ne sont prodigués que durant la journée et
avec leur consentement. Seuls les SMPR de Fresnes et des
Baumettes (Marseille) ont une équipe soignante présente
la nuit, mais sans pouvoir accéder directement au patient
en l’absence de présence d’un surveillant gradé. Ce dernier
dispositif est voué à disparaître pour être remplacé par les
unités d’hospitalisation spécialement aménagées (UHSA)
implantées dans les hôpitaux mais disposant d’une sécurité
périmétrique gérée par l’administration pénitentiaire.
Toutefois, les hospitalisations de jour type SMPR seraient
au contraire appelées à se développer du fait de l’extension
toujours plus importante au fil des ans de la psychiatrie en
milieu pénitentiaire dont les UHSA font partie. Les UHSA
ont été créées en 2002, afin d’éviter l’hospitalisation en
milieu psychiatrique ordinaire rendue de plus en plus dif-
ficile par le manque de moyens humains et matériels des
services hospitaliers et la frilosité des acteurs hospitaliers
(soignants et administratifs) face aux mises en cause pos-
sible en cas d’évasion par exemple ; s’y ajoutait un débat
de fond sur la nécessaire distinction entre la mission de
soins et la mission de garde qui cachait mal une repré-
sentation extrêmement négative d’une partie de patients
détenus présentant des troubles mentaux souvent disqua-
lifiés par de nombreux psychiatres (qui y voyaient des
psychopathes aux symptômes factices sans demande de
soins si ce n’est la volonté de s’extraire de la prison). En
1999, les SPMP s’étaient publiquement prononcés contre le
concept d’UHSA. Ils n’ont pu par la suite que faire avec les
conséquences du choix des secteurs de psychiatrie générale
et de leurs représentants (syndicats médicaux et ouvriers).
Ce choix collectif du SPMP n’est pas sans conséquence
sur le délitement de l’esprit du secteur de psychiatrie. Pour
compléter le tableau des dispositifs soignants en prison, il
faut préciser qu’environ une dizaine de consultations (mal)
nommées postpénales peuvent être adossées aux SMPR ou
aux DSP. Elles permettent une articulation dedans-dehors
au moment de la libération et de recevoir aussi les familles
des patients dans un lieu autre que la prison. Elles seraient
mieux nommées consultations extrapénitentiaires et pour-
raient être un équivalent des CMP, centrant le projet de soin
autour de la réinsertion et non autour de la ghettoïsation que
représente l’univers carcéral. Leur faible nombre est révéla-
teur du repli des soins sur la prison, même si les soignants en
milieu pénitentiaire s’efforcent de penser les soins dans la
perspective de la libération. Toutefois, comme bien souvent,
les bonnes intentions qui les sous-tendent conduisent aussi
à confirmer le risque de création d’une filière ségrégative
en renforc¸ant le processus d’exclusion des patients détenus
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 88, N◦8 - OCTOBRE 2012 607
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017.