même si les conflits furent fréquents. Étant donné leur prétention à l’uni-
versalisme, ces deux entités ne pouvaient tolérer aucune autre autorité
dans leurs domaines respectifs, mais ces domaines n’étaient pas centrés
sur la territorialité.
Ainsi, finalement, il n’y eut pas dans le féodalisme de source d’autorité
unique, toute-puissante. Il existait cependant, tant dans l’Empire que dans
l’Église, un discours et un projet sur l’autorité centrale, finalement reconfi-
gurés par les rois capétiens, qui en firent les fondements de la construction
de l’État national territorial et de son autorité souveraine.
Bien que l’autorité territoriale exclusive ne fût pas la caractéristique
majeure de la logique politique, les formes organisationnelles sociales et
politiques avaient des insertions territoriales. Des acteurs clés contrôlaient
les espaces géographiques tels que les fiefs et l’ecclesia (les villes abritant
les évêchés), et le paysage se composait d’un éparpillement de mini-souve-
rainetés de fait, dans un vaste système, souvent assez lâche, de juridictions
qui se chevauchaient.
Cependant, même lorsque leur juridiction s’étendait aux seigneuries
et aux terres qui leur avaient été accordées, les seigneurs ne disposaient
pas d’une autorité territoriale exclusive. En termes d’organisation politi-
que, quand les récompenses étaient attribuées en nature, notamment la
terre, l’autorité politique pouvait être facilement fragmentée 5 . Mais ce
n’était pas le seul cas de figure. Strayer ( : ) montre que la vassa-
lité existait déjà au début du e siècle mais que la fragmentation politi-
que ne l’emporta qu’au e siècle (voir aussi Duby, ) 6. Les obligations
liant seigneurs, vassaux et serfs constituaient une sorte de système de troc,
où les obligations économiques et militaires étaient en nature (Lattimore,
). Cette relation fut construite avec des devoirs et obligations spéci-
fiques pour chaque partie. Le fait que tout était en nature, fondé sur des
services, des droits et des obligations in situ, favorisa la décentralisation
du système politique, système qui était né dans un empire centralisé, avec
un niveau bien plus élevé de monétisation standardisée des transactions 7 .
Alors même que le pouvoir était fondamentalement non territorial, des
technologies militaires particulières et les types de conflits qui menèrent au
féodalisme territorialisèrent, dans une certaine mesure, certains attributs
de l’autorité, en particulier certains aspects de la conduite de la guerre.
Mais cela advint par des voies différentes de celles de l’Empire romain et
du Saint Empire romain.
Bien que les avis divergent quant à son origine 8 , il est désormais acquis
que le féodalisme s’est développé historiquement comme système décen-
tralisé de défense locale en réaction à un ensemble décentralisé d’agres-
seurs au moment de la désintégration de l’Empire romain (Spruyt, :
chap. ). Les attaques décentralisées venant d’agresseurs multiples ne pou-
vaient pas être aisément contrées par des armées permanentes massées au