"
,
.
l"
''j
,
,
,
\;
l'
ESTELLE MOLINE
Je
t'aime. -Moi non plusl
De
la performativité
de
Je
t'aime
>.
Dans
un
très
beau
texte
de
Fragments
d'un
discours
amoureux,
Roland
Barthes
écrit
de
Je
t'aime
que
«
c'est
un
performatif"
(p. 176). C'est cette notion
de
performativité associée àje
t'aime
que
nous
voudrions inter:roger ici.
La notion de performativité provient des travaux
de]
ohn
Austin.
Dans
un
ouvrage célèbre (How
to
do
things
with
wordJ2)
,le philosophe
met
en
cause la fonction descriptive
du
langage
par
le biais
de
l'exis-
tence
d'une
classe spécifique
de
verbes -les performatifs -qui,
employés dans certaines conditions,
ne
correspondent
pas à la
description
d'un
état
du
monde,
mais à
une
action:
un
performatif
présente
son énonciation
comme
réalisant l'action qu'il décrit.
En
ce sens, les performatifs
constituent
de
véritables actes de langage.
Les performatifs
sont
définis
d'un
double
point
de
vue:
d'une
part,
ils
.correspondent
à
la
réalisation
de
l'acte
décrit
(en
disant
Je
(te
le)
promets,
le
locuteur
(je)
accomplit effectivement
un
acte de
promesse;
en
disant La
séance
est
ouverte,
le président de l'Assemblée
Nationale ouvre la
séance),
d'autre
part,
cet
acte
ne
peut
être
accompli
autrement
qu'au
moyen
de
la
parole
(on
ne
peut
pro-
mettre
autrement
qu'en
disant
Je
promets;
une
séance
de
l'Assemblée Nationale
ne
peut
être
ouverte
autrement
que
par
l'énonciation
de
La
séance
est
ouverte
par
le
président
de
ladite
assemblée) .
1.
-Serge Gainsbourg.
2.
-Trad.
fr.
; Quand
dire,
c
est
faire.
REVUE DES SCIENCES HUMAINES· n 0 268 - OcrOBRE-DÉCEMBRE 2002
1
169
r.:> 1
r.LLr.
MULiNE
Pour
qu'une
énonciation
soit
performative,
certaines
condi-
tions doivent
être
remplies. Les verbes performatifs (OU perfonnatifs
au
sens
strict:
jurer,
promettre,
parier,
demander,
supplier,
prier,
etc.)
doivent
nécessairement
être
utilisés à
la
première
personne
du
sin-
gulier
et
au
présent
de
l'indicatif
(
Tu
me
le
promets
et
Je
te
le
promet-
trai demain
ne
constituent
en
aucune
manière
des actes
de
pro-
messe)
et
doivent
être
syntaxiquement
autonomes
(je
te
dis
que
je
te
le
promets
correspond
à
un
acte
d'assertion,
et
non
à
une
pro-
messe). Le
locuteur
d'un
énoncé
performatif
(ou
performatif
au
sens
large:
La
séance
est
ouverte,je
te
baptise,
Vous
êtes
renvcryé,
etc.)
doit
nécessairement
être
investi
par
un
groupe
social
du
pouvoir
d'ac-
complir
l'acte
dit
au
moyen
de
l'énonciation
de
sa description (seul
le président
de
l'Assemblée Nationale
peut
ouvrir la séance
en
disant
La
séance
est
ouverte,
seul
un
prêtre
peut
baptiser
en
disant
Je
te
baptise,
etc.) .
Les performatifs
possèdent
d'autres
spécificités linguistiques qui
permettent
de
les
distinguer
des
assertions
non
performatives.
Alors
qu'une
assertion
non
performative
(Il
fait beau;
Pierre
est
charmant)
peut
facilement
être
réfutée
par
l'interlocuteur
(Non,
il
ne
fait pas beau;
Non,
Pierre
n'est
pas charmant), tel
ne
semble pas
être
le cas avec
l'emploi
d'un
verbe
performatif:
à
Je
te
dis
qu'il
est
cinq
heures
ou
Je
te
promets
de
venir demain impossible
de
répliquer
Non,
tu
ne
le
dis
pas
ou
Non,
tu
ne
le
promets
pas.
Seul
le
contenu
de
l'acte,
et
non
pas
l'acte
lui-même
peut
être
nié,
et
aux
énoncés
ci-dessus
l'interlocuteur
peut
objecter:
Non,
il n'est pas cinq
heures
(mais six
heures)
ou
encore
Tu
me
promets
de
venir demain, mais je
sais
très
bien
que
tu
ne
viendras
pas.
Cette
particularité
est
classiquement
décrite
de
la
manière
suivante:
contrairement
aux
assertions
non
per-
formatives,
aucune
valeur
de
vérité
ne
peut
être
attribuée à
un
verbe
performatif.
Il
faut
cependant
noter
que
dans
le
cas
d'une
asser-
tion
non
performative,
ce
n'est
pas
l'acte
assertif
qui
est
nié,
mais
bien,
comme
dans
le cas des verbes performatifs, le
contenu
de
cet
acte.
En
effet,
dans
le
cas
d'une
assertion
non
performative,
seul
le
contenu
de
l'acte
est
prononcé,
et,
de
ce fait,
une
valeur
de
vérité
(Vrai
ou
Faux)
peut
lui
être
attribuée.
En
revanche,
avec
un
verbe
performatif,
le
locuteur
prononce
d'une
part
l'acte accompli
(dire,
promettre,
jurer,
parier,
etc.)
et
d'autre
part
le
contenu
de
cet
acte.
Si
une
valeur
de
vérité
peut
être attribuée
au
contenu
de
l'acte, l'acte
lui-même
ne
peut
être
contesté.
Avec
l'emploi
d'un
énoncé
performatif,
la
situation
diffère
quelque
peu.
Sur
un
plan
strictement
linguistique, des
enchaîne-
ment
discursifs
du
type :
DE
lA
PERFüRMATMTÉ
DEJE
T'AIME
A :
La
séance est ouverte.
B:
Non, la séance n'est pas ouverte.
ou
encore
de
:
A:
Vous
êtes renvoyé.
B:
Non,je ne suis pas renvoyé.
ne
sont
pas impossibles,
ce
qui
résulte
du
fait
que
l'acte
effectué
et
le
contenu
de
cet
acte se
superposent.
Les
enchaînements
de
ce
type
sont
cependant
extrêmement
polémiques,
et
contreviennent
au
principe
de
coopération
qui,
selon
Grice
(1975),
régit
tout
échange
langagier. Il
est
possible
également
de
contester
au
locu-
teur
d'un
énoncé
performatifle
pouvoir
de
réaliser
l'acte
décrit
au
moyen
d'une
formule.
du
type :
De
quel
droit
+
en
vertu
de
quel(s)
pouvoir(s),
ouvrez-vous
la
séance
+
me
renvoyez
vous.
Enfin, les performatifs
possèdent
une
autre
propriété
remar-
quable
:
il
ya
équivalence
sémantique
entre
un
énoncé
dans lequel
la
formule
performative
apparaît
sous
la
forme
de
propos
rap-
portés
a.Jl
style
direct
(Il m'a dit:
Je
te
promets
de
venir demain;
Il
adit:
La
séance
est
ouverte)
et
un
énoncé
décrivant
cet
acte. Ce
dernier
énoncé
constitue
une
structure
prédicative,
dans
laquelle le sujet
correspond
à
l'auteur
de
la
formule
et
le
prédicat
à
la
description
de
l'acte accompli, le
temps
grammatical utilisé
étant
le
même
que
celui
du
verbe
introducteur
du
discours
direct
(Il m
'a
promis
de
venir
demain;
Il
a ouvert
la
séance).
À
propos
du
verbe
aimer, Rolan.d
Barthes
écrit:
Aimer n'existe pas à l'infinitif (sauf par artifice métalinguis-
tique) : le sujet et l'objet viennent
au
mot en même temps qu'il est
proféré
"(p.
175).
À
cette
assertion,
deux
objections:
d'une
part,
il
en
est
de
même
pour
tous les verbes qui se construisent avec
un
argument
interne;
d'autre
part,
selon Van
de
Velde (1998), il existe
en
français trois
verbes
aimer;
caractérisés
par
des restrictions combinatoires (p. 450-
451), le sens
amoureux
d'aimer
(aimer d'amour)
étant
spécifique à
l'un
de
ces trois verbes. Or,
écrit
Van
de
Velde (1998) :
l'objet de
ce
verbe [...] peut être,
d'une
manière ou
d'une
autre,
absent:
la
littérature classique foisonne d'exemples d'emplois
.absolus de aimer- toujours et exclusivement dans le sens amoureux
(p
464).
Cependant,
ce
n'est
pas à
propos
d'aimer
que
Barthes
emploie
la
notion
de
performativité, mais
bien
à
propos
de
Je
t'aime:
.....
L.P.L
............................. ..l".l......, ......l..l
...
.J..:..
dire je-t-aime, c'est faire comme s'il n'y avait aucune théâtre de
la
parole et
ce
mot est toujours vrai
(il
n'a d'autre référent que
sa
pro-
fération : c'est un performatif) (p. 176).
Ce
n'est pas un symptôme, mais une action (p. 180).
Je
t'aime,
première
personne
du
singulier,
présent
de
l'indicatif:
Roland Barthes précise qu'il
ne
s'agit pas
de
n'importe
quel
Je
t'aime,
mais
du
premier
Je
t'aime,
du
Je
t'aime
inaugural:
Passé
le
premier aveu, « je t'aime» ne veut plus rien dire;
il
ne
fait que reprendre d'une façon énigmatique, tant elle paraît vide,
l'ancien message (qui peut-être n'est pas passé par
ces
mots)3
(p. 175).
La
performativité
de
Je
t'aime résiderait
dans
la
coïncidence
entre
le
dire
et
le
dit
:
Le
mot (la phrase-mot)
n'a
de sens qu'au moment
je
la
pro-
nonce;
il
n'y a en lui aucune information que son dire immédiat
(p. 177).
Enfin,
l'acte
spécifique constitué
par
ce cri
d'amour
initial:
On
pourrait l'appeler une
profération
(p. 177).
bien
qu'il
soit
décrit
ultérieurement
comme
correspondant
à
une
«
requête"
(p. 180)
4.
Au
premier
abord,
l'idée
d'une
valeur
performative
associée à
Je
t'aime
paraît
bien
séduisante,
d'autant
plus que,
comme
le
note
également
Roland
Barthes:
Ce
bloc, la moindre altération syntaxique l'effondre:
il
est
pour
ainsi dire hors syntaxe et ne s'offre à aucune transfonnation
structurale (p. 175)
Comme
les verbes
performatifs,je
t'aime est employé à la
première
personne
du
singulier,
au
présent
de l'indicatif.
De
même,je
t'aime
doit
être
syntaxiquement
autonome:
Il ya
longtemps
que
je t'aime
ou
(Je
te
dis
+
Je
prétends)
que
je t'aime
ne
sauraient
correspondre
à la pro-
3.
-SelonJ.-P. Maurel (communication
personnelle),
ces
récurrences
deJe
t'aime
pourraient
être mises
en
relation avec la fonction
phatique
du
langage telle
qu'elle
est définie
par
Jakobson
(1962).
Et
il
ajoute
qu'il
en
est
de
même
pour
d'autres
performatifs
(au sens large), le
président
de
l'Assemblée Nationale
pouvant
procéder
à des rappels (La
séance
est
(toujours +
encore)
ouverte)
ce qui
implique,
entre
autres,
que
tout
ce qui est
dit
peut
être
consigné.
4.
-Cf.
également
l'emploi
des
termes
«
demandeur»
et
«
demande
..
(p. 178).
LI.&.-
.......
L~~VNV.l1"\..1.1V.1.1~
VLJL
1
LUIYill
111
fération
initiale
d'un
cri
d'amour.
Bien plus, ce
Je
t'aime,
qualifié
par
Barthes
de
performatif,
n'admet
aucune
forme
de
complé-
mentation
adverbiale:
pas
de
quantification, y compris
une
forme
de
quantification
qui
réfère
aux
grandes
quantités
(Je
t'aime
beau-
couP),
pas
de
complément
temporel
(Je
t'aime depuis
((trois
(minutes
+ jours + ans)) + (toujours)))
ou
encore:
En général, je t'aime;
Aujourd'hui, je
t'aime,
etc.)5, ce
qui
justifie la
graphie
utilisée
par
Roland
Barthes:
Je-t-aime.
Le
comportement
de
Je
t'aime
par
rapport
à la
négation
s'ap-
parente
à celui des
énoncés
performatifs:
il
est
possible
de
nier
le
fait
énoncé:
.
- Carmen,
je
t'aime.
-Non, tu ne m'aimes
pas.
Non, tu ne m'aimes
pas.
" (
Carmen,
Acte
II,
Livret de Meilhac et
Halévy,
Musique
de
G.
Bizet)
Une
fois
de
plus,
seul
le
contenu
de
l'acte,
et
non
pas l'acte lui
même,
peut
être
nié,
ce
que
Barthes
exprime
de
la façon sui-
vante:
c'est mon langage, dernier repli
de
mon existence, qui est nié, non
ma demande (p. 178).
Comme
dans le cas
des
performatifs
au
sens large,
il
est possible
de
remettre
en
cause
l'autorité
du
locuteur
au
moyen
d'une
formule
du
type : Pour qui il
se
prend,
celui-là? ! Enfin,
J-P.
Maurel
(communication personnelle) signale
que
Je
t'aimepartage
une
autre
propriété
avec les
performatifs
au
sens
large:
alors
que
les verbes
performatifs
sont
difficilement utilisables
au
présent
descriptif
(A:
(Tu
vois
+
Regarde
+ Tu
sais),
je
te
dis
qu'il
est
cinq
heures.
B :
C'est
vraz'6.)
, les
énoncés
performatifs
admettent
sans difficulté ce type
de
construction (A: (Tu
vois
+
Regarde
+
Tu
sais),
la
séance
est
ouverte.
B :
C'est
vrai.).
Je-t-aime
semble se
comporter
de
façon analogue (A: -
(Tu
vois
+
Regarde
+
Tu
sais),
je
t'aime.
B:
-
C'est
vraz).
Il semble cepen-
dant
que
cette
propriété
ne
concerne
pas
la
première
occurrence
de
Je
t'aime (voir
note
3).
En
ce
qui
concerne
la
question
de
la
valeur
de
vérité attri-
buable
àJe
t'aime,
différents
points
de
vue
peuvent
être
soutenus.
Selon Barthes,je
t'aime
est« toujours vrai»
(Ibid.,
p. 176), tandis
que
S.
-... etJe t'aime infiniment
ne
saurait constituer
une
expression inaugurale.
6. -
Cet
enchaînement
discursif est possible si
la
réplique
de
B
porte
sur
le
contenu
de
l'assertion
(B
:
C'est
vrai,
il
est
cinq
heum.) mais
peu
naturel, voire
même
exclu, si elle
porte
sur
l'acte
lui-même
(B
:
C'est
vrai, tu
me
le
dis).
173
172 ESTELLE
MOLINE
d'autres
prétendent
que
le
Je
t'aime
initial
est
toujours
faux.
Cette
divergence
provient
vraisemblablement
du
signifié
attribué
à
Je
t'aime:
en
tant
qu'expression
du
désir,
il
semble
probable
que
le
je
t'aime
initial
soit
toujours
vrai;
en
tant
qu'expression
d'un
sen-
timent
d'amour,
il
est possible
que
le
je
t
'aime
initial
ne
soit
jamais
vrai7.
Ces
deux
positions
convergent
cependant
sur
un
point:
étant
soit
toujours
vrai, soit
toujours
faux,je
t'aime
échapperait,
dans
une
certaine
mesure,
à
la
notion
de
valeur
de
vérité.
SelonJ.-P.
Maurel
(communication
personnelle),Je
t'aime
est
un
énoncé
performatif
au
sens
large,
comme
La
séance
est
ouverte.
La
profération
de
je t'aime
met
à
jour
l'état
amoureux,
état
qui
n'
exis-
tait
pas
avant
cette
énonciation,
pour
le
destinataire
tout
au
moins.
L'autorité
du
locuteur
(permettant
la
performativité)
est
sociale,
rituelle,
symboliquement
institutionnelle:
il
est
dans
la
position
de
partenaire
dans
un
couple
(sexuellement?)
possible.
Maurel
ajoute
:je
t'aime est-il possible
(en
ce
sens)
entre
enfants
et
parents,
entre
homme
et
animal,
entre
Œdipe
etJocaste
(malgré
Pasolini)
?!
Je
t'aime
ne
possède
cependant
pas
une
des
propriétés
linguis-
tiques
fondamentales
des
performatifs:
l'équivalence
sémantique
entre
l'acte
de
langage
rapporté
au
style
direct
(fl
m'a
dit
:je
t'aime)
et
la
description
de
l'acte
accompli
(fl
m'a
aime)
paraît
pour
le
moins
discutable.
Il
n'en
demeure
pas
moins
que
je
t'aime
ne
saurait
être
considéré
comme
une
simple
assertion,
comme
une
prétendue
description
d'un
état
du
monde
8.
L'énonciation
de
je
t'aime
transforme
la
rela-
tion
qui
unit
le
locuteur
et
l'interlocuteur.
Cette
transformation
radi-
cale
et
irréversible
est
magnifiée
dans
le
mythe:
elle lui dit le
mot
magique:
«Je
vous aime, la
Bête»
;
et
aussitôt,
à travers la déchirure somptueuse
d'un
trait de harpe,
un
sujet
nouveau apparaît (p. 181).
La réalisation
d'un
acte
de
langage,
quel
qu'il
soit,
provoque
ipso
facto
une
modification
de
la
relation
entre
le
locuteur
et
l'interlo-
cuteur.
je
t'aime,
comme
d'autres
expressions
exprimant
un
senti-
ment
ou
une
sensation (voir infra),
crée
une
modification spécifique
7.
-«
Tu
comprends,
nous
ne
nous étionsjamais dit que nous
nous
aimions.
Sauf
lui,
le
premier
soir,
lorsquej'étais
allée
le
retrouver dans
sa
cabine.
Mais
bien
sûr,
ce
soir-là,
il
l'a dit par surprise, dans
le
plaisir,
et
il
l'aurait
aussi
bien dit àune
putain.
Si
tu
veux,
c'est à
la
vie
qu'HIe disait» (Marguerite
Duras,
Le
Marin
de
Gibraltar,
p. 170-171).
8.
-Cf.
Coste
(1998)
p.
214:« DireJe
t'aime,
Barthes
le
souligne, c'est
rare-
ment communiquer une information.
Si
l'objet
aimé
n'est
pas
indifférent à
la
passion
de l'amoureux,
le
Je
t'aime
confirme,
officialise,
couronne
mais
ne
lui
apprend rien (la plus douloureuse
des
ponses ne serait-elle
pas
"ah
bon ?")
".
DE
LA PERFORMATIVITÉ
DEJE
T'AIME
de
cette
relation,
modification
qui
n'est
pas
strictement
assimilable
à
celle
d'un
acte
assertif.
Dans
Pierre
et
Jean,
Maupassant
met
en
scène
à
la
fois
la
trans-
formation
radicale
de
la
situation
entre
le
locuteur
et
l'interlocu-
teur
à
la
suite
de
l'énonciation
de
je
vous
aime
et
la
dichotomie
entre
le fait
d'aimer
et
la
déclaration
de
cet
amour:
«
Ah!
que
vous êtes
ennuyeux!
disait
lajeune
femme;
mon
cher,
il
ne fautjamais faire deux choses à la fois. »
Il
répondit:
«Je
n'en
fait
qu'une.
Je
vous aime. »
Elle se redressa,
et
d'un
ton
sérieux:
« Voyons, qu'est-ce qui vous
prend
depuis dix minutes, avez vous
peEdu la
tête?
-
Non,je
n'ai
pas
perdu
la tête.
Je
vous aime,
et
j'ose, enfin, vous
le
dire»
Ils étaient
debout
maintenant
dans la mare salée qui les mouillait
jusqu'aux
mollets,
et
les mains ruisselantes appuyées
sur
leurs
filets,
ils
se regardaient au fond des yeux.
~Elle
reprit,
d'un
ton plaisant
et
contrarié:
« Que vous êtes malavisé de me parler de ça
en
ce
moment!
Ne
pouviez-vous attendre
un
autre
jour
et
ne
pas me gâter ma
pêche?
»
Il
murmura:
«Pardon, mais
je
ne pouvais plus
me
taire.Je
vous
aime depuis long-
temps. Aujourd'hui vous m'avez grisé à me faire perdre
la
raison. »
Alors, tout à coup, elle sembla
en
prendre
son parti, se résigner à
parler d'affaires
et
à
renoncer
aux plaisirs.
« Asseyons-nous sur ce rocher; dit-elle, nous pourrons causer tran-
quillement. »
Ils
grimpèrent
sur
un roc
un
peu
haut,
et
lorsqu'ils yfurent installés
côte à côte,
les
pieds pendants,
en
plein soleil, elle
reprit:
« Mon
cher
ami, vous n'êtes plus
un
enfant
et
je
ne
suis pas
une
jeune
fille. Nous savons fort
bien
l'un
et
l'autre
de
quoi
il
s'agit,
et
nous pouvons peser toutes les conséquences de nos actes.
Si
vous
vous décidez aujourd'hui à
me
déclarer votre
amour,je
suppose
naturellement
que
vous désirez m'épouser. »
(Maupassant,
PierreetJean,
p. 133-134)
Dans
cet
extrait,
la
première
occurrence
de
je
vous
aime
corres-
pond
pour
le
locuteur
à
l'énonciation
d'un
acte
(Elle:
[
...
]
il
ne
faut jamais faire
deux
choses
à
la
fois.
Lui
:
je
n'en fait qu'une, je vous
ai71Je),
tandis
que
pour
l'interlocutrice,
il
s'agit
de
paroles
(Si vous
vous
décidez
aujourd'hui à
me
déclarer
votre
amour [...])
aux
consé-
quences
des
plus
importantes
([
...
] je
suppose
naturellement
que
vous
désirez
m'épouser).
Le
locuteur
explicite
également
la
distinction
entre
le
fait
d'aimer
et
la
déclaration
d'amour
(Lui
:Je
vous
aime,
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