BIT/CODESRIA CONSULTATION NATIONALE SUR LA DIMENSION SOCIALE DE LA MONDIALISATION (27 Août 2002, Hôtel Savana Dakar) L’IMPACT DE LA MONDIALISATION AU NIVEAU LOCAL Dr Marèma Touré Sociologue Dakar - Sénégal L’IMPACT DE LA MONDIALISATION AU NIVEAU LOCAL Dr Marèma Touré Sociologue Dakar - Sénégal INTRODUCTION La célèbre métaphore qui fait du monde « un village planétaire» consacre une réalité désormais avérée. La nouvelle unité territoriale est, cependant, peuplée de paradoxes et de contradictions ! Si le processus de la mondialisation est partout marqué par les «Dislocations «tectoniques» de la structure territoriale de l’économie, du pouvoir politique et de la société à l’intérieur et à l’extérieur des frontières des Etats» (Werner, 1993:2), ses effets sur les acteurs et les agents au niveau local, varient sensiblement en fonction de leur positionnement dans les pôles dominants et de leurs attributs différenciés. Les faits sont patents et le constat unanime. La mondialisation a augmenté les inégalités internes et amplifié la polarisation externe des différentes régions de la planète. Il s’y ajoute que la pluralité des acteurs, des codes et des référentiels, l'ampleur des restructurations, la rapidité des changements et la complexité des enjeux qui la caractérisent réduisent les possibilités de prévenir ses effets au niveau local et augmentent les tensions sociales qui lui sont inhérentes. Le sujet de cette communication, « L’impact de la mondialisation au niveau local » est un vaste programme mais l’ambition du propos est relativement modeste. Après un bref rappel de l’historicité de la mondialisation et la polarisation qui lui est inhérente, le propos s’attellera à analyser quelques aspects clefs de ses effets sur les structures et les gens situés au niveau local, avant la formulation de quelques propositions visant, humblement, à alimenter le débat. 1 – UN PROCESSUS DE POLARISATION HISTORIQUE ET EVOLUTIVE Signe des temps, sujet à la mode, thème récurrent de la littérature contemporaine, nouvelle utopie planétaire etc.., la mondialisation est un objet d’analyse prolifique et controversé. Vocable à la fois usité dans le sens commun et dans le langage savant des spécialistes de tous les bords, elle renvoie à des approches différentes. Cela constitue un élément fondateur de sa complexité. Mais quelle que soit la sensibilité ou l’école de référence, il est désormais établi que, la mondialisation en tant que cristallisation des rapports d’inégalité et de subordination à l’échelle planétaire (appelé avec euphémisme interdépendance) est le résultat d'un processus historique. 2 Sa présentation comme un fait nouveau et inévitable vise, ainsi, à légitimer l’hégémonisme et l’agressivité conquérante de la nouvelle race de «global leaders» qui en dehors de l’économique, veulent aussi imposer, dans le monde entier, un modèle culturel unique (non unifié). Si la mondialisation apparaît comme le nouvel emblème du capitalisme néo-libéral avec son projet de soumission de l’humanité aux exigences du marché «autorégulé» et toujours au service des plus forts, plusieurs auteurs s’accordent sur le caractère ancien de sa problématique. Nombreux sont ceux qui pensent que la mondialisation dans son idéologie et dans ses caractéristiques intrinsèques est au moins aussi ancienne que le capitalisme. Le processus de soumission économique des différentes périphéries (pays dominés et classes dominées) par un centre, lui même en prise à ses propres contradictions (les Etats du G8, leurs institutions satellites et les multinationales) a été entamé depuis des temps lointains. La seule nouveauté réside, en effet, dans la sophistication de l’appareil de domination, entre autres, constitué des institutions de Bretton Woods (le Fond Monétaire International et la Banque Mondiale) et l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Selon S. Amin (1997:205) la «mondialisation est aussi vieille que le monde» mais la «mondialisation moderne» qui s’est développée avec le capitalisme (à travers toutes ses étapes) présente des caractéristiques qualitativement différentes des formes antérieures. Comme les modes de production qui l’on sous -tendue, la mondialisation des temps pré-capitalistes s’est surtout développée sur le terrain politique et avec le politique, l’idéologique et le culturel tandis que son ersatz dans la société capitaliste se fonde sur la prééminence de l’économique sur les autres instances de la vie sociale. Cette forme de mondialisation permettait toujours le rattrapage des sociétés les moins avancées. Effectivement attardée jusqu’en l’an 1000, l’Europe a ainsi pu (en 4 ou 5 siècles entre 1000 et 1500) rattraper non seulement l’Orient musulman mais aussi la Chine et l’Inde qui pendant très longtemps avaient été plus avancées. Comparant l’impérialisme triomphant de s années 1900 (entre 1894 et 1913) au capitalisme mondialisé d’aujourd’hui (2000), Jean Bantou (2000:11 et 17) a noté, au titre des analogies qui unissent ces deux apogées historiques, «les progrès techniques comparables dans les domaines du transport et de la communication (…). Il y a cent ans la généralisation du rail, de la navigation à vapeur, et du télégraphe, 3 aujourd’hui l’essor massif du fret aérien et le développement des autoroutes de l’information et de la communication. J. M Keynes (1920:20-21) nous fait remarquer que déjà en 1920, «Un habitant de Londres pouvait (…) commander par téléphone les produits variés de toute la terre (..) (..) risquer son bien dans les ressources naturelles et les nouvelles entreprises de n’importe quelle partie du monde et prendre part, sans effort ni souci, à leur succès et à leurs avantages espérés ; (..)». (cité par Bantou, 2000). Sur le plan financier Marc Flandreau et Chantal Rivière ont montré, qu’à « la veille de la Première Guerre mondiale, en dépit de l’exis tence d’une taxe Tobin avant la lettre, l’intégration internationale des flux de capitaux avait atteint un niveau très élevé, qui n’a probablement pas été dépassé depuis». « Mise en place à l’époque mercantiliste, pendant 3 siècles (1500 à 1800), à travers des politiques systématiques de destruction des formes anciennes d’interdépendance, pour être au service de ce qui va devenir «l’accumulation capitaliste», la mondialisation capitaliste moderne a inauguré un phénomène nouveau dans l’humanité. Elle a produit un écart grandissant, une polarisation grandissante entre les régions du système mondial ». (Samir Amin, 1997:205). De nombreux auteurs qui se situent dans la perspective du Tiers mondisme (S. Amin, J. Bantou, Paul Bairoch, Michel Rogalski ..) ont illustré l’accentuation des inégalités et la polarisation gigantesque et évolutive qui caractérisent la mondialisation moderne par des faits et des chiffres incontestés. Entre 1890 et 1913, Paul Bairoch a estimé que le PNB des pays développés avait progressé de 1,7% par an contre 0,6% pour les pays en voie de développement ; pour la période 1970 à 1990, les mêmes taux se montent respectivement à 2,2% et 0,9%. Le Nord a, donc, connu une croissance économique supérieure à celle du Sud de 2,8% et 2,4% pendant ces deux périodes. La comparaison du rapport entre le PNB réel à parité de pouvoir d’achat par habitant du pays le plus riche, (les Etats Unis) et la moyenne des cinq pays les plus pauvres révèle une différence de 1 à 8,2 en 1900, contre 1 à 49 en 1995. Pour 80% de la population du monde, l’écart entre les régions les moins développées et les plus développées, en terme de productivité moyenne par famille par an était de 1 à 2 ou 3 avant la révolution industrielle, selon Samir Amin, de 1 à 30 en 1945 et de 1 à 60 à l’heure actuelle. 4 Ajouté aux conséquences désastreuses des politiques néo-libérales, notamment les Programmes d’Ajustement Structurel (PAS) entreprises dans les pays du Tiers monde, J. Bantou (2000 :17-19) n’a pas tort de parler «d’une tendance à la recolonisation de régions entières du monde à laquelle la puissance politique et militaire des puissances impérialistes, notamment des Etats Unis, confère des moyens supplémentaires décisifs.». Les accords de Marrakech de 1995 et la création de l’OMC n’ont donc fait qu’accélérer l’intégration commerciale et financière de la planète. Mais comme le souligne S. Amin, la polarisation ne s’est pas développée de manière totalement linéaire. Elle a connu des moments de remise en cause ne seraitce que partielle. Et cela est important. L’histoire de la mise en place des mécanismes et des instruments qui ont érigé la mondialisation économique et culturelle au titre de paradigme majeur du nouveau millénaire a été marquée par la résistance des peuples contre la soumission et la volonté d’émancipation manifestée par les dominés. Or, l’étape ultime que nous vivons ne se caractérise pas seulement par l’accélération de la déréglementation économique au détriment des faibles. Elle est aussi marquée par le passage, au plan culturel, d’une acculturation libre ou imposée à une acculturation planifiée (selon la typologie de Roger Bastide) donc largement acceptée. La capacité de séduction des idéologues et des institutions du néolibéralisme (qui allient la force de conviction et le terrorisme économique) a permis de gagner une partie des peuples et de l’intelligentsia des pays dominés, à l’idée selon laquelle, le nivellement des cultures et des modes d’échange sur la base du modèle hégémonique de l’Occident et des intérê ts des dominants est inéluctable et inévitable. Officiellement organisée à travers des instruments dits de coopération, la nouvelle mondialisation couvre une réalité complexe. Les entités en interaction dans l’économie mondiale entretiennent des rapports iniques et déséquilibrées. L’OMC, le FMI, la Banque Mondiale et les autres institutions satellites du G8 ont la vocation première de sauvegarder les intérêts multiformes des dominants. Dernier né du trio infernal, l’OMC a consacré la déréglementation comme principale modalité pour régir le marché. Celui-ci dit-on aurait la faculté de s’autoréguler et de corriger les inégalités par une compétition franche et « à chances égales ». Principe fondamental dans la philosophie libérale, la 5 déréglementation n’en pose pas moins un problème réel. « Entre le fort et la faible c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit » disait un certain Lacordaire à la fin du 18e siècle. Entre un Marché international libéralisé, des Multinationales au dessus des lois, des États obligés de se mettre à la diète et des économies sous perfusion, les populations démunies et les pays pauvres ont beaucoup de mal à bénéficier des vertus proclamées de la mondialisation. Les assauts idéologiques répétés contre l’État ont abouti à son désengagement. La déconsidération des questions sociales au profit de la sphère économique, le triomphe du capitalisme, principal modèle du monde unipolaire,.. et surtout les politiques néo-libérales imposées par la Banque Mondiale ont sensiblement accéléré les décalages déjà existants. La faillite des Programmes d’Ajustement Structurel (PAS) a largement contribué au chaos actuel. Après deux décennies d’ajustement pour atteindre le développement, la communauté internationale constate d’ailleurs, elle-mê me, la catastrophe induite en décrétant une décennie de lutte contre la pauvreté. Michel Rogalski (2000:8) a raison de souligner que l’expression « mondialisation libérale » doit s’entendre dans un double sens. Il s’agit non seulement de «qualifier la mondialisation actuelle et la façon dont elle est marquée par le libéralisme mais aussi et surtout d’insister sur l’idée que ce sont les politiques néo-libérales mises en œuvre depuis une vingtaine d’année qui ont provoqué cette accélération rapide d’un phénomène qui courait à bas bruit depuis plusieurs siècles. Le libéralisme est tout à la fois la marque et la cause. S’opposer à ces politiques c’est aussi d’une certaine façon entreprendre une démarche de déconstruction de la mondialisation». 2 – LA MONDI ALISATION LIBERALE ET LE NIVEAU LOCAL Un double processus d’inclusion et d’exclusion, domine la phase actuelle de la mondialisation. Leurs éléments constitutifs sont pourtant distincts mais non séparables. Tous découlent de la même philosophie qui place les richesses au dessus des gens. Tous s’inscrivent dans la même perspective qui présente le Marché comme la panacée au détriment de l’Etat et ses fonctions essentielles… 6 v Intégration des économies ; souveraineté du marché international libéralisé et déréglementé ; extrême mobilité des capitaux, des biens et des marchandises ; délocalisation de la production suivant le principe de «l’avantage comparatif» ; augmentation de la productivité et des gains ; renforcement du pouvoir des pays créanciers, des multinationales, des institutions financières et de certaines élites ; transfert de la souveraineté des Etats/nations à des instances supranationales.. caractérisent un versant de la globalisation. v Eclatement des familles ; recul de la cohésion sociale ; restrictions drastiques des mouvements transfrontaliers des citoyens des pays pauvres vers les pays industrialisés ; paupérisation galopante des travailleurs ; fragilisation des groupes vulnérables ; citoyenneté à double vitesse ; perte de pouvoir des pays et des populations pauvres asphyxiés par la dette ; reconnaissance de l’impérieuse nécessité de constituer des grands ensembles.. dominent l’autre versant du phénomène évoqué. La liste n’est pas exhaustive mais, ces exemples sont relativement pertinents pour donner, au lecteur, une idée préalable sur « l’impact de la globalisation au niveau local ». Les répercussions de la mondialisation libérale dans le vécu des acteurs et des agents locaux sont multiples et multiformes. Il est impossible de les décrire dans le cadre d’un article mais on peut en évoquer quelques aspects au double plan quantitatif et qualitatif. La nouvelle réalité économique de l’Afrique à l’heure de la mondialisation est indubitablement dominée par un processus d’appauvrissement non maîtrisé qui a engendré une pauvreté, une marginalisation et une polarisation croissantes. La déstructuration du tissus social, le recul de la cohésion social, la crise des valeurs et des identités sont ces aspects inquiétants. Mais l’angle d’interrogation est toujours le même. La mondialisation libérale peut-elle offrir aux pauvres et aux «powerless» de l’Afrique des possibilités de s’affirmer et de capitaliser leurs potentialités ? 2.1 – De la crise de l’Etat au «Marché Providence» : le règne des Sociétés transnationales Les principes de base du libéralisme peuvent être résumés en peu de mots : le marché est bon, l’Etat est mauvais. Alors que la protection sociale était considérée comme un critère de progrès de la société, on la dénonce comme un encouragement à la paresse ; alors que l’impôt apparaissait comme un moyen essentiel pour concilier le développement économique et la justice sociale, la fiscalité est accusée de décourager les plus dynamiques et les plus audacieux. Il faut donc déréglementer, faire reculer l’Etat, 7 réduire son champ de compétence et surtout le mettre au service des investisseurs privés. (O. SOW, 2002:2). «Moins d’Etat», «Peu d’Etat», «Pas d’Etat», «Chacun pour soi, le Marché pour tous», cet l’hymne de base du néolibéralisme ne connaît plus de bémol depuis l’émergence de l’ère planétaire. Force est, pourtant, de reconnaître que si les détracteurs de l’Etat ne sont pas dépourvus de raisons valables, la dictature du Marché est aussi dangereuse. Dans beaucoup de pays d’Afrique, pendant la décennie post indépendance on constatait, en effet, que l’interventionnisme de l’Etat dans les institutions sociales et économiques allié à l’expansionnisme des bureaucraties grossissantes avaient étouffé l’initiative privée. Les mentalités des populations et les réflexes étatiques étaient tributaires d'un "habitus" forgé pendant ces décennies de transactions fondées sur une philosophie de l’Etat Providence et l'attentisme d'une société civile dont les initiatives étaient lourdement hypothéquées par un encadrement dirigiste. La crise des finances publiques des années 70 à 80, la récession et les conséquences de la mauvaise gestion ont fait le lit pour développer des assauts idéologiques répétés contre l’Etat. Excommunié des territoires d’Afrique, «l’Etat Providence» a cédé la place à «l’Etat–Gendarme» (pour reprendre le terme de Pareto) dans un contexte où les bases mêmes de sa souveraineté sont fortement sapées. Avec la réduction drastique de ses missions traditionnelles, les rapports déjà tendus qui unissait l’Etat et les populations sont devenus plus opaques. Les oppositions classiques qui unissent les classes dominantes et les classes dominés sont plus marquées au sein des nations. Avec la signature des accords de Marrakech, en 1995, l’OMC a été dotée des moyens de mieux s’assurer de la déréglementation. Les pays du G8, érigés en modèles, et leurs institutions satellites font et défont les règles du Marché suivant leurs intérêts et ceux des multinationales. Le libre échange et les « bienfaits » du Marché sont fortement prônés pour résoudre les problèmes des populations pauvres et désemparées. Les potentialités réels ou mirifiques du Commerce international sont présentées comme le sésame des opportunités. Les idéologues de la mondialisation conçoivent, en effet, le Marché comme la nouvelle panacée qui devrait régler les problèmes de tous ceux qui arriveraient à s’y positionner. A la clé du succès des mécanismes comme l’AGOA, les Accords de Cotonou.. et toutes les sucettes piégées conçus par les dirigeants du Nord pour la consommation des pays dominés. 8 On sait pourtant qu’en dépit du discours officiel, il existe bel et bien un interventionnisme de l’Etat et un protectionnisme des plus élémentaires au sein du club fermé des pays du G8. A titre d’exemple, la France fournit le RMI (revenu minimum d’insertion) à tous ses chômeurs ; la sécurité sociale y est étendue aux non travailleurs. Les pays de l’OCDE fournissent un appoint estimé à un milliard de dollar US par jour à leurs agriculteurs qui sont les concur rents de ceux de l’Afrique dans le marché mondial. Or, la subvention des agricultures des pays sous ajustement est simplement impensable. Il s’y ajoute que « les bailleurs de fonds bilatéraux et les institutions multilatérales n’accordent que peu d’attention au secteur agricole et aux régions rurales, dans lesquelles vivent 70% des pauvres d’Afrique. Par exemple, dans le portefeuille de la Banque mondiale, les crédits destinés à l’agriculture s’élevaient à 39% en 1978 mais étaient tombés à un niveau de 12% en 1996 et 7% en l’an 2000.» (NEPAD, texte officiel 2001:34). La «mondialisation libérale» n’oppose pas simplement des pays et des pôles. Elle révèle une grande dichotomie entre les Etats/nations et les Sociétés transnationales (STN) dont les libertés ont été élargies et l’hégémonisme consolidé. Les lois qui régissent le marché ne s’inquiètent nullement de leurs responsabilités mais toutes les garanties leur sont offertes pour permettre au Capital de se promener d’un pays à l’autre et de s’établir là où les conditions sont les plus avantageuses. La compétition entre les pays pour attirer les fonds des multinationales est, en effet, très âpre. A la vérité leur apport n’est pas négligeable, notamment dans le domaine des transferts de technologie. Les STN ouvrent quelques perspectives d’occupation là où elles s’installent, même si les emplois créés sont éphémères et de plus en plus limités. Elles contribuent aussi, de façon appréciable, à l’augmentation de l’assiette fiscale des pays d’accueil. En 1994, les 37.000 STN et leurs 200.000 filiales répertoriés contrôlaient à elles seules 75 % du commerce mondial des produits de base des biens manufacturés et des services. Un tiers de ce commerce ayant lieu à l’intérieur des entreprises, les gouvernements et les organisations internationales ont peu (ou pas) de moyens d’exercer un contrôle quelconque. La libéralisation se traduit ainsi par « une concurrence dirigée » plutôt que des marchés libres. La tendance à recourir à des petites unités de production, plus flexibles et plus autonomes, pour exécuter en sous -traitance une grande partie de leur travail permet aux multinationales de se décharger des risques économiques et des obligations sociales envers la main d’œuvre. La « spécialisation en souplesse » favorise pa rfois des meilleurs conditions de travail pour les travailleurs de haute technicité 9 situé dans le Nord mais elle entraîne aussi une précarisation de l’environnement de travail dans les pays du Sud. L’essor des multinationales s’accompagne aussi de changements notables des systèmes de production et du marché du travail au profit des techniques et des compétences de haut niveau avec des méthodes de travail qui ont induit un nouveau phénomène de croissance sans création d’emplois. Cette transformation se fait au détriment des pays en développement dont les avantages comparatifs résidaient jusqu’ici dans les matières premières et la main d’œuvre non qualifiée. On a ainsi noté une expansion du secteur informel qui occupe actuellement environ 60% de la population urbaine en Afrique. (UNRISS, 1995:8-9). Il est communément admis que les multinationales jouent un rôle important dans le développement de leurs pays d’accueil, mais beaucoup de chercheurs ont déjà montré que leurs avantages sont souvent hypothétiques. En dehors de la main d’œuvre bon marché l’apport des économies locales à leurs activités est généralement nul ou très limité. Les ressources mises en œuvre (matière ou pièces, machines et matériel, techniques, gestion..) proviennent, dans biens des cas, de l’extérieur. La séparation géographique entre la production et la consommation est aussi très nette. On produit là où le coût est le plus bas et on écoule la production là où le pouvoir d’achat est élevé. De façon générale, la main d’œuvre locale ne pe ut, avec ce qu’elle gagne, se procurer ce qu’elle fabrique. (Werner S., 1993:356). Même à supposer que les STN ouvrent réellement quelques possibilités de doper une forme de développement déterminée de l’extérieur, les coûts humains liés à leur installation sont considérables. Une série d’enquêtes menée depuis vingt chez des milliers d’hommes et de femmes travaillant dans des centaines d’entreprises a permis de « prendre le pouls de l’entreprise » (transnationale) moderne. Analysant les causes du surmenage, problème fondamental dans la vie des travailleurs, l’étude a mis en évidence six défauts principaux qui démoralisent et démotivent les salariés. La surcharge de travail, le manque d’autonomie, les gratifications mesquines, les relations humaines moins denses, l’injustice, les conflits de valeurs sont quelques unes des tares évoqués. Les termes utilisés par les travailleurs pour décrire les effets de la complexité de l’environnement sur leurs conditions de vie sont instructifs. 10 Ils évoquent l’augmentation des taux de divorce, la détérioration de la qualité de la vie ou le manque de répit. « Pour peu qu’on travaille pour une multinationale, on doit être disponible vingt quatre heures sur vingt quatre, appeler l’Europe à quatre heures du matin et l’Asie jusqu’à minuit ». L’explication d’un PDG est aussi intéressante. « Le surmenage est vraiment un problème pour les individus. Mais il n’a pas d’impact sensible sur la productivité de l’entreprise. C’est un problème marginal, pas une question stratégique de finance ou de gestion. (..).». (Golman D. 1999:339-341). Ces termes résument la diversité des objectifs et les conflits d’intérêt qui traversent les STN. PDG et employés gagneraient, pourtant, à accorder leurs vues pour le future de l’entreprise. Les compressions d’effectifs, les libertés limitées, les responsabilités sans possibilité d’influencer les règles essentielles, l’insécurité de l’emploi, l’isolement dans le travail, l’appauvrissement émotionnel, la faiblesse du tissu relationnel, l’absence d’une communication honnête, les disparités entre les valeurs personnelles et les exigences de l’entreprise etc.. évoqués par les salariés auront forcément un impact direct ou indirect sur leurs performances. En Afrique (surtout avec le NEPAD), l’air du temps est à l’appel au capital privé international et aux investissements des multinationales. On sait, pourtant que les capitalistes ne sont pas des enfants de cœur. Ceux qui plaident pour cette option devront donc s’assurer de toutes les garanties pour que ce recours ne produise pas le contre effet de creuser les inégalités. Ils ont un devoir de vigilance pour que ce choix ne se traduise pas par la livraison pure et simple du territoire et des travailleurs à un capitalisme impitoyable. 2.2 – Pauvreté, Marginalisation et Polarisation : la faillite des politiques néo-libérales Avec l’accélération de la mondialisation libérale, la pauvreté s’est accrue et le processus de paupérisation est encore plus cruel. Le discours est lénifiant mais les faits sont têtus. La marginalisation de l’Afrique dans l’Economie mondiale est une réalité avérée. L’ensemble du Continent représente, à peine, 1% du PIB mondial pendant que l’Aide publique y est passée de 17 milliards de dollars en 1990 à 12 milliards à la fin de 1999. L’Afrique ne contrôle que 1,6% du commerce international avec 11% de la population mondiale (27,5% avec 75% de la populations pour les pays en développement) tandis que les pays industrialisés contrôlent les 68,4% avec 15% de la population. 11 Avec ses multiples foyers de tensions, ses 25 millions de Sidéens et ses 140 millions de jeunes illettrés l’Afrique regroupe 34 (sur 53 Etats) des 49 Pays les Moins Avancés (PMA). De 1996 à 2001, la moitié des morts de la planète provenaient de l’Afrique note A. ESSY, Secrétaire Général de l’Union Africaine. En 1990, "la pauvreté absolue", mesurée à l'échelon mondial par la Banque Mondiale sur la base d’un revenu de 370 dollars par personne et par an permettait d’estimer à 1,5 milliard les personnes atteintes dont 1,1 milliard vivant dans les pays en développement particulièrement en Afrique, soit 73 % des pauvres. Avec la raréfaction croissante des ressources, toutes les estimations montrent que l’Afrique cristallise une part importante de ce triste record qui ne cesse de s’aggraver. Environ 340 millions de personnes vivaient avec moins d’un dollar par jour, en l’an 2000. Les institutions de Bretton Woods avouent que l’Afrique subsaharienne sera la seule région du Monde où le nombre de pauvres continuera d’augmenter pendant les 15 prochaines années. Le rapport de la Banque Mondiale de l’an 2000 estime, en effet, que les économies d’Afrique subsaharienne devront croître d’environ 7% par an d’ici l’an 2015 pour vaincre la pauvreté tandis que la croissance annuelle moyenne du Continent, depuis 1990 ne dépasse guère 2,6%. La réalité est encore plus grave du côté des groupes vulnérables, notamment les femmes. Partout en Afrique, les femmes sont les plus nombreuses parmi les populations powerless en plus d’être les plus démunies. Les disparités de genre sont très significatives dans le domaine de la pauvreté. L'importance de l’écart homme/femme dans la pauvreté avait conduit le PNUD, en 1995, d’y consacrer son Rapport Mondial sur le Développement Humain. Une des conclusions du rapport sur "la dimension féminine dans le développement humain" stipule que «La pauvreté a un visage de femme». Sur 1,5 milliard de personnes vivant dans la pauvreté absolue, 70% sont des femmes. Les grossesses précoces, la vulnérabilité devant le VIH Sida, la mortalité maternelle, certaines pratiques sociales néfastes et toutes les conséquences de la subordination dont elles sont l’objet relèvent, en effet, de leur exclusivité. La polarisation est aussi interne et particulièrement criante à l’intérieur de notre Continent où les îlots d’opulence et les vastes zones de dénuement extrême se côtoient au sein de chaque pays. Le face à face entre les bidonvilles et les micro paradis, la massification des pauvres et des exclus illustrent la faillite des recettes appliquées en Afrique et leurs orientations inappropriées. 12 Dans toutes les grandes villes du Continent, on constate à l’œil nu l’augmentation des inégalités. De plus en plus d’africains sont spécialisés dans le marché des produits de seconde main. On connaissait la prépondérance de la friperie dans l’habillement des pauvres et des moins pauvres en Afrique. Aujourd’hui le «Feug Jaay» (friperie) pour les Sénégalais, «Yougou Yougou» pour les Ivoiriens n’est plus limité aux vêtements (qui ont une valeurs prépondérante dans les référentiels de la culture). La reprise des articles déjà usagés est devenue un fait social généralisé dans tout le Continent. Le marché de seconde main est désormais étendu à la quasi totalité des produits modernes (voitures, frigos, ordinateurs, médicaments) et touchera de plus en plus de domaines. Partout en Afrique, on parle des «venants» pour dire que son «bien vient d’Europe ou d’Amérique où il a été déjà usagé». Les nouveaux maîtres du monde continuent, pourtant, de prôner sans même sourciller, la poursuite des politiques néo-libérales, qui ont conduit à la situation actuelle. Les PAS ont directement ou indirectement réduit l'accès des groupes démunis aux services sociaux de base, jeté des pères de familles dans les rangs des chômeurs, alourdi le fardeau des femmes et ôté à la jeunesse l'espoir d'accéder à des emplois dignes. Mais leurs inspirateurs, aujourd’hui devenus les auteurs des propos les plus alarmistes et des rapports les plus documentés sur la pauvreté, sont plus que jamais déterminés à poursuivre leur logique. Le Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté» (DSRP), nouveau label inventé par la Banque Mondiale est déjà célèbre. Conditionnalité d’accès à la réduction de la dette dans le cadre de l’initiative PPTE (Pays Pauvres très endettés), le DSRP est une nouvelle tentative de diversion des peuples. Partout en Afrique son bien-fondé alimente déjà les débats et les controverses. Le plus cocasse, c’est qu’en lieu et place de s’interroger sur les motivations réelles des Institutions de Bretton Woods qui, après avoir largement contribué à la "fabrication" des pauvres, font de la lutte contre la pauvreté leur cheval de bataille, les dirigeants du Continent se bousculent à leurs portes pour réclamer l’application de la nouvelle recette ordonnée par la Banque Mondiale pour sauver les économies agonisantes des pays lourdement endettés. Les «missionnaires auto-proclamés du bonheur public» se sont désormais investi du devoir de défendre les peuples africains contre leurs Etats. Et cela n’émeut nullement les leaders du Continent. Bien au contraire, à lire leur propre proposition pour sortir l’Afrique du sous-développement, on se rend compte que les thèses libérales ont des relais sûres dans le Tiers Monde. 13 Le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD) est un ajustement interne nous confirme M.Camdessus (ancien directeur du FMI, Sherpa du Président de la France pour le NEPAD). Ses concepteurs se félicitent du «compliment» et affichent leur fierté pour l’intérêt accordé par le G8 à leur initiative. La terrible ressemblance qui unit les stratégies préconisées par le DSRP et le NEPAD pour la réduction de la pauvreté devrait, pourtant, soulever des inquiétudes légitimes. 2.3 – La Cohésion sociale à l’épreuve de la mondialisation Les désillusions subséquentes aux mirages du marché et de la mondialisation n’ont pas laissé indifférents les pays et les peuples d’Afrique. Partout dans le Continent une double dynamique de consolidation de l’intégration régionale et de décentralisation des pouvoirs publics peut être constatée. Au niveau des populations, on note une auto-organisation progressive de la société civile, parmi lesquels les Organisations Non Gouvernementales occupent une place centrale. A côté des cadres de résistance classiques comme les Syndicats, on remarque ainsi une prolifération d'ONG locales, de Groupements d’Intérêt Economique (GIE), d’Associations villageoises, de Regroupements professionnels et une renaissance des Coopératives. Avec des problématiques diverses et des moyens de résistances différents, ces nouveaux acteurs s’investissent tous dans la bataille du millénaire et réclament ensemble, une place et un rôle digne dans l’économie mondialisée. Le mouvement anti-mondialisation qui a pris son envol avec le sommet Seattle trouve un écho favorable dans ces segments vitaux des peuples d’Afrique, eux-mêmes en prise avec leurs propres défis. Les groupes traditionnellement marginalisés, particulièrement les femmes et les jeunes sont des acteurs stratégiques dans ces réseaux de sociabilité et d'expression des nouvelles solidarités. La mise en œuvre des politiques et des principes de la globalisation dans un contexte dominé par les PAS et le désengagement de l’Etat n’a, cependant, pas épargné la cohésion sociale qui est le soubassement du désir de s’organiser pour mieux résister. Leurs effets sociaux ont été ravageurs. L’insécurité économique et la crise de confiance qui sous -tendent la mondialisation ont, en effet, contraint la majorité des gens à opérer des ajustements intimes pour survivre à la nouvelle réalité. Partout en Afrique, la structure de la société a connu des avatars qui loin d’être la cause des changements économiques en sont essentiellement des conséquences. La déstructuration du tissu 14 social, la crise des valeurs, des mentalités et des identités, et d’autre phénomènes inhérents à l’anomie qui courrait déjà à bas bruit, ont connu une rapide accélération. L’exode des actifs, l’émigration vers les zones où on espère trouver un travail et un mieux être (en dépit des barrières et des barricades), les évolutions sociologiques dans les formes et la nature même des migrations, ont fini par achever la dislocation des familles et des communautés de base. Paradoxalement, ces instances sociales nettement affaiblies sont, de plus en plus, soumises à des sollicitations multiformes et une pression soutenue pour assurer de nouvelles charges qui incombaient auparavant à l’Etat et/ou aux collectivités locales. Dans beaucoup de pays sous ajustement, le s frais relatifs à la scolarisation des enfants, à la santé et au bien-être sont totalement ou partiellement supportés avec leurs faibles moyens. Les communautés de base, à travers leurs organisations sont progressivement chargées de la responsabilité de construire des écoles, des cases de santé et de l’édification d’infrastructures de base diverses. La dislocation de ces piliers de la société se répercutent aussi sur les enfants, 95 millions d’enfants de moins de 15 ans travaillaient dans les pays en développement en 1995. La famille elle-même est soumise a des transformations jusque dans sa nature. Les familles monoparentales sont de plus en plus nombreuses avec leur corollaire qui est le phénomène des femmes chefs de ménage. Plusieurs explications sont avancées pour expliquer la situation. Le chômage des jeunes et la faiblesse des revenus sont au Nord comme au Sud une dimension essentielle de cette situation. « Aux Etats Unis, un Noir marié sur 3 ne gagne pas assez pour maintenir une famille de 4 personnes au dessus du seuil de pauvreté ». (UNRISD, 1995, xix). Un autre fait lourd de conséquence est la crise qui frappe les valeurs sociétales, les mentalités et les identités. Les réactions qu’elle suscite sont multiples et s’inscrivent dans divers registres. Livrée à ellemême, sans éducation ou avec un faible niveau culturel, sans emploi et vivant dans une extrême précarité, une bonne partie de la jeunesse a trouvé refuge dans la prostitution, la drogue, la criminalité, la mendicité et les travaux nuisibles à la santé. La marginalité gagne du terrain. Ces problèmes s’accompagnent des dysfonctionnements des mécanismes d'identification communautaire, de la crise de l'autorité et d’une nette opacité des projets de société autour desquels pourraient s'organiser les intérêts spécifiques des différents groupes sociaux. Le tableau n’est pas 15 exhaustif mais les faits sont suffisamment poignants pour constituer des motifs majeurs de s’inquiéter sur les conséquences sociales de la mondialisation. Les portes de l’espoir ne sont, cependant pas totalement fermées. Au Nord comme au Sud on semble s'accorder, du moins en théorie, sur le caractère explosif des déséquilibres actuels et sur la nécessité de se pencher sur de nouvelles valeurs d’une mondialité juste, équitable et humanisée. 3 – QUELQUES PROPOSITIONS POUR ALIMENTER LE DEBAT Au regard de cette situation, il apparaît urgent de lever les contraintes qui sous -tendent la marginalisation de l’Afrique et des peuples dominés dans le processus global de la mondialisation. Dans la recherche lancinante d’une alternative, il est important d’explorer le potentiel et les valeurs portées par les « citoyens du monde » traditionnellement privés des attributs de la citoyenneté et de la détention des richesses. Pour bâtir un projet de mondialisation basé sur la justice et l’équité, il faut réduire les inégalités et ouvrir des "nouveaux possibles" aux pauvres et aux powerless dans une Afrique DEBOUT dans le village planétaire. Il est pourtant indubitable qu’aucune recette ne saurait se passer de l’impérieuse nécessité de réformer les institutions internationales pour les rendre plus aptes à gouverner la mondialisation. «Pour l’instant les chances sont profondément affectées par les décisions prises dans les instances internationales qui ne sont ni représentatives ni responsables devant les peuples et qui laissent des marchés mondiaux réduire à néant les moyens d’existence d’une grande partie de la population mondiale» souligne, avec pertinence le Rapport de l’UNRISD (1995:xxi). Au delà d’un simple slogan, la citoyenneté internationale doit avoir un contenu plus palpable et s’assortir de droits réels. Communément la citoyenneté se décline, en terme de participation à la vie politique, d’égalité de chance et de l’obligation d’une ins tance suprême (l’Etat ou son ersatz) d’assurer le bien-être des citoyens. Ces caractéristiques classiques pourraient être repensées en fonction de la nouvelles situation, en vue de les rendre plus opératoires à l’échelle mondiale. Bien évidemment l’accent devrait être mis sur les droits socio-économiques. Il est de notoriété que dans l’état actuel des choses, le citoyen de monde, investi des attributs qui lui permettent de circuler et d’avoir des droits dans tous les pôles existe plus dans le Nord que dans le Sud. 16 Si M. Bill GATE peut facilement installer ses entreprises dans tous les coins de la planète, il n’en est pas de même pour les jeunes africains qui vendent leur force de travail. La bonne gouvernance de la mondialisation ne saurait se passer de chercher l’équilibre entre l’Etat et le Secteur Privé. Il est vrai que l’ère de l’Etat Providence est définitivement révolu mais l’Afrique actuelle ne saurait se passer d’un Etat qui intervient non seulement à travers ses fonctions classiques de souveraineté mais aussi et surtout dans l’économie et le social avec le but principal d’assurer l’égalité des chances des citoyens. Le secteur privé a toute sa place. Il doit jouer son rôle sans entrave. Pour l’instant, la réalité prouve que les investisseurs privés sont dans le lot des rares acteurs qui n’ont pas besoin de beaucoup de se battre pour assurer leurs droits. Il faut enfin agir et agir avec intelligence sur les déterminants sociaux et économiques de la marginalisation actuelle de l’Afrique et réduire les inégalités criantes qui marquent le Continent. L’écart qui sépare les nantis (en richesse et en pouvoir) des pauvres et les powerless est, en effet, la conséquence des déficiences liées à l’accès aux ressources (terres, compétences, capitaux, ou relations), aux matérialités (services sociaux) et aux opportunités que connaissent ces derniers. Il s’avère nécessaire d’agir à un double niveau. La qualité des ressources humaines est devenue déterminante pour le positionnement des nations et de leurs différentes composantes sur l'échiquier mondial. L'accès et la maîtrise des savoirs modernes, des savoir-faire et des savoir-être sont indispensables à la domestication des nouvelles technologies, plus particulièrement l'outil informatique, la télécommunication et les info-routes de l’information et de la communication. Cette situation pose un défi à l'Afrique. L’impératif d’investir massivement dans l'éducation, la formation et le développement des compétences de l’ensemble des populations du Continent doit se conjuguer avec la correction des inégalités internes. La prépondérance progressive de la valeur ajoutée sur les produits bruts a bouleversé les paramètres du marché mondial. La mondialisation libérale a conduit à une dématérialisation de l'économie. Or, l'essentiel des matières premières, autour desquelles l'Afrique a jusqu'ici bâti ses relations d'échange avec l'étranger sont des produits bruts (phosphates, café, arachide, coton etc..). Avec la détérioration des termes de l'échange ces formes de richesses sont devenues dérisoires. La maîtrise des techniques et technologies modernes est au centre des enjeux du nouveau millénaire. La position des africains et des africaines face à ces facteurs devenus indispensables à la rentabilité et à la productivité revêt du même coup un caractère crucial. Le renversement des tendances qui limitent 17 l'accès aux technologies nécessaires à l'efficience et à l'agrandissement de leurs petites activités est devenu un impératif. Le peuple de Seattle a posé les jalons d’une possibilité de remettre en cause le discours idéologique des néolibéraux sur l’inévitabilité de la soumission des peuples du monde au diktat de la triade et des multinationales. Les Africains et les alliés de l’Afrique ont le devoir de manifester une «claire conscience » de la nécessité d’agir ensemble pour peser sur le cours de leur destin commun. Ils doivent veiller à la consolidation de cette nouvelle solidarité ; raffermir les fondements de la «camaraderie» internationale ; et élargir la base sociale des combattants de l’équité. Face à la logique libérale, offensive et impérialiste qui sous-tend la mondialisation contemporaine, l'urgence de proposer des visions alternatives intelligibles et structurantes doublées de «mécanismes de réalisation» explicites ainsi que des démarches plurielles et mobilisatrices visant à les concrétiser reste le défi essentiel de l’Afrique et de tous ceux qui veulent humaniser les relations internationales. Or, cet impératif suppose, selon moi, que l’on re-pense l'Afrique non pas seulement comme un terrain d’expérimentation d’une perspective dictée par l’Occident mais comme une partie prenante dans la redéfinition des règles qui régissent le «village planétaire» et les nouvelles rationalités qui s’y structurent. L’universel c’est aussi en Afrique ! Le leadership et les peuples africains devraient, enfin, comprendre que, la lutte contre la pauvreté est une étape importante, pour apporter des palliatifs aux problèmes actuels, mais elle ne saurait être un horizon pour l’Afrique et son peuple. L’ambition de l’Afrique doit dépasser la réduction de la pauvreté. Au delà de son éradication souhaitée, les dirigeants du Continent doivent porter un discours favorable à l’instauration d’ un développement équitable, humain et durable. Concluons, enfin, avec le Professeur Iba Der THIAM que la volonté de domination ne recule que contrainte et forcée. Les droits sont considérés comme intrinsèques et ne doivent pas dépendre de l’accomplissement des devoirs correspondants. Il faut se convaincre que l’interdépendance actuelle est une fausse interdépendance, une interdépendance unilatérale, une interdépendance inégale. Elle doit être rééquilibrée. Nous en avons les moyens, si nous en avons la volonté. 18 Ce n’est qu’avec la clameur populaire , vigoureuse ment impulsée par les forces sociales et le mouvement général des consciences, que l’on obtiendra la mobilisation en vue du changement de cap que commandent l’éthique, la justice, la solidarité et la paix du monde. La culture de la résistance à travers la manifestation et les autres modalités pertinentes prend, sous ce rapport, une importance stratégique. Elle doit être encouragée, protégée et bénéficier de toute la signification symbolique qu’elle revendique. Il est indispensable de développer une vision neuve, capable d’embrasser, en même temps, le local, le régional et l’universel, l’immédiat et le lointain, le court terme et la longue durée, comme disent les Historiens . (Iba Der TIAM, 2002:3). ELEMENTS DE BIBLIOGRAPHIE 1- Albert Kasanda LUMEMBA, La mondialisation et la résistance culturelle en Afrique, Alternatives Sud, vol VII, 2000/2, pages 31 à 46, l’Harmattan Paris. 2- Cristian PARKER G, L’identité latino-américaine à la lumière des 500 ans, Alternatives Sud, Vol 7, 2000/3, pages 109 à 118, l’Harmattan, Paris. 3- Daniel GOLMAN, L’intelligence émotionnelle, Cultiver ses émotions pour s’épanouir dans son travail, Paris, Robert Laffont, 1999, 375 pages. 4- Iba Der THIAM, Les Parlements face aux défis de la mondialisation, Rencontre des Parlementaires franc ophones, Bernes, 2002, 5 pages. 5- Jean BANTOU, De l’impérialisme de 1900 à la Mondialisation de l’an 2000, Recherches internationales, n° 60-61 (2/3) 2000. Paris. 6- J. M. KEYNES, les conséquences économiques de la paix, Paris, NRF, 1920. 7- Marèma TOURE, Femme, Genre et Développement en Afrique Subsaharienne : théories et Pratiques, Presse Universitaire du Septentrion, Lille, 1996, 480 pages. 8- Marèma TOURE, Mondialisation et Revendications identitaires, Université du Ramandant, MMWM, Dakar, 2001, 15 pages. 9- Marèma TOURE, la Mondialisation, le NEPAD et les Femmes d’Afrique, CODESRIA/TNW, Accra, 2002, 17 pages. 10- Ousmane SOW, La mondialisation et l’Afrique, Dakar, BCEAO, 2002, 8 pages. 11- Samir AMIN, Base théorique du Forum, Alternatives Sud, vol IV, 1997/3, pages 203 à 216, l’Harmattan, Paris. 19 12- Tapinos Georges PHOTIOS, Mondialisation, intégration régionale, migrations internationales. Revue internationale des Sciences sociales, N° 165, Septembre 2000, Pages 343-352. 13- UNRISD, Etat de Désarroi : les Répercussions sociales de la Mondialisation : Rapport de l’UNRISD pour le Sommet Mondial pour le Développement Social, Genève, 1995, 166 p. 14- Werner SENGERBERGER, Développement local et concurrence économique internationale, Revue Internationale du Travail, volume 132, N° 3, Mars 1993 pages 349 à 366. INTRODUCTION 1 – UN PROCESSUS DE POLARISATION HISTORIQUE ET EVOLUTIVE 2 – LA MONDIALISATION LIBERALE ET LE NIVEAU LOCAL 2.1 – De la crise de l’Etat au «Marché Providence» : le règne des Sociétés transnationales 2.2 – Pauv reté, Marginalisation et Polarisation : la faillite des politiques néo-libérales 2.3 – La Cohésion sociale à l’épreuve de la mondialisation 3 – QUELQUES PROPOSITIONS POUR ALIMENTER LE DEBAT ELEMENTS DE BIBLIOGRAPHIE 20