BIT/CODESRIA
CONSULTATION NATIONALE SUR LA DIMENSION
SOCIALE DE LA MONDIALISATION
(27 Août 2002, Hôtel Savana Dakar)
L’IMPACT DE LA MONDIALISATION
AU NIVEAU LOCAL
Dr Marèma Touré
Sociologue
Dakar - Sénégal
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L’IMPACT DE LA MONDIALISATION AU NIVEAU LOCAL
Dr Marèma Touré
Sociologue
Dakar - Sénégal
INTRODUCTION
La célèbre métaphore qui fait du monde « un village planétaire» consacre une réalité désormais
avérée. La nouvelle unité territoriale est, cependant, peuplée de paradoxes et de contradictions ! Si le
processus de la mondialisation est partout marqué par les «Dislocations «tectoniques» de la structure
territoriale de l’économie, du pouvoir politique et de la société à l’intérieur et à l’extérieur des
frontières des Etats» (Werner, 1993:2), ses effets sur les acteurs et les agents au niveau local, varient
sensiblement en fonction de leur positionnement dans les pôles dominants et de leurs attributs
différenciés.
Les faits sont patents et le constat unanime. La mondialisation a augmenté les inégalités internes et
amplifié la polarisation externe des différentes régions de la planète. Il s’y ajoute que la pluralité des
acteurs, des codes et des référentiels, l'ampleur des restructurations, la rapidité des changements et la
complexité des enjeux qui la caractérisent réduisent les possibilités de prévenir ses effets au niveau
local et augmentent les tensions sociales qui lui sont inhérentes.
Le sujet de cette communication, « L’impact de la mondialisation au niveau local » est un vaste
programme mais l’ambition du propos est relativement modeste. Après un bref rappel de l’historicité
de la mondialisation et la polarisation qui lui est inhérente, le propos s’attellera à analyser quelques
aspects clefs de ses effets sur les structures et les gens situés au niveau local, avant la formulation de
quelques propositions visant, humblement, à alimenter le débat.
1 – UN PROCESSUS DE POLARISATION HISTORIQUE ET EVOLUTIVE
Signe des temps, sujet à la mode, thème récurrent de la littérature contemporaine, nouvelle utopie
planétaire etc.., la mondialisation est un objet d’analyse prolifique et controversé. Vocable à la fois
usité dans le sens commun et dans le langage savant des spécialistes de tous les bords, elle renvoie à
des approches différentes. Cela constitue un élément fondateur de sa complexité.
Mais quelle que soit la sensibilité ou l’école de référence, il est désormais établi que, la mondialisation
en tant que cristallisation des rapports d’inégalité et de subordination à l’échelle planétaire (appelé avec
euphémisme interdépendance) est le résultat d'un processus historique.
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Sa présentation comme un fait nouveau et inévitable vise, ainsi, à légitimer l’hégémonisme et
l’agressivité conquérante de la nouvelle race de «global leaders» qui en dehors de l’économique,
veulent aussi imposer, dans le monde entier, un modèle culturel unique (non unifié).
Si la mondialisation apparaît comme le nouvel emblème du capitalisme néo-libéral avec son projet
de soumission de l’humanité aux exigences du marché «autorégulé» et toujours au service des plus
forts, plusieurs auteurs s’accordent sur le caractère ancien de sa problématique. Nombreux sont ceux
qui pensent que la mondialisation dans son idéologie et dans ses caractéristiques intrinsèques est au
moins aussi ancienne que le capitalisme.
Le processus de soumission économique des différentes périphéries (pays dominés et classes dominées)
par un centre, lui même en prise à ses propres contradictions (les Etats du G8, leurs institutions
satellites et les multinationales) a été entamé depuis des temps lointains. La seule nouveauté réside, en
effet, dans la sophistication de l’appareil de domination, entre autres, constitué des institutions de
Bretton Woods (le Fond Monétaire International et la Banque Mondiale) et l’Organisation Mondiale du
Commerce (OMC).
Selon S. Amin (1997:205) la «mondialisation est aussi vieille que le monde» mais la «mondialisation
moderne» qui s’est développée avec le capitalisme (à travers toutes ses étapes) présente des
caractéristiques qualitativement différentes des formes antérieures. Comme les modes de production
qui l’on sous-tendue, la mondialisation des temps pré-capitalistes s’est surtout développée sur le terrain
politique et avec le politique, l’idéologique et le culturel tandis que son ersatz dans la société capitaliste
se fonde sur la prééminence de l’économique sur les autres instances de la vie sociale.
Cette forme de mondialisation permettait toujours le rattrapage des sociétés les moins avancées.
Effectivement attardée jusqu’en l’an 1000, l’Europe a ainsi pu (en 4 ou 5 siècles entre 1000 et 1500)
rattraper non seulement l’Orient musulman mais aussi la Chine et l’Inde qui pendant très longtemps
avaient été plus avancées.
Comparant l’impérialisme triomphant des années 1900 (entre 1894 et 1913) au capitalisme mondialisé
d’aujourd’hui (2000), Jean Bantou (2000:11 et 17) a noté, au titre des analogies qui unissent ces deux
apogées historiques, «les progrès techniques comparables dans les domaines du transport et de la
communication (…). Il y a cent ans la généralisation du rail, de la navigation à vapeur, et du télégraphe,
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aujourd’hui l’essor massif du fret aérien et le développement des autoroutes de l’information et de la
communication.
J. M Keynes (1920:20-21) nous fait remarquer que déjà en 1920, «Un habitant de Londres pouvait (…)
commander par téléphone les produits variés de toute la terre (..) (..) risquer son bien dans les
ressources naturelles et les nouvelles entreprises de n’importe quelle partie du monde et prendre part,
sans effort ni souci, à leur succès et à leurs avantages espérés ; (..)». (cité par Bantou, 2000).
Sur le plan financier Marc Flandreau et Chantal Rivière ont montré, qu’à « la veille de la Première
Guerre mondiale, en dépit de l’existence d’une taxe Tobin avant la lettre, l’intégration internationale
des flux de capitaux avait atteint un niveau très élevé, qui n’a probablement pas été dépassé depuis».
« Mise en place à l’époque mercantiliste, pendant 3 siècles (1500 à 1800), à travers des politiques
systématiques de destruction des formes anciennes d’interdépendance, pour être au service de ce qui va
devenir «l’accumulation capitaliste», la mondialisation capitaliste moderne a inauguré un phénomène
nouveau dans l’humanité. Elle a produit un écart grandissant, une polarisation grandissante entre
les régions du système mondial ». (Samir Amin, 1997:205).
De nombreux auteurs qui se situent dans la perspective du Tiers mondisme (S. Amin, J. Bantou, Paul
Bairoch, Michel Rogalski ..) ont illustré l’accentuation des inégalités et la polarisation gigantesque et
évolutive qui caractérisent la mondialisation moderne par des faits et des chiffres incontestés.
Entre 1890 et 1913, Paul Bairoch a estimé que le PNB des pays développés avait progressé de 1,7% par
an contre 0,6% pour les pays en voie de développement ; pour la période 1970 à 1990, les mêmes taux
se montent respectivement à 2,2% et 0,9%. Le Nord a, donc, connu une croissance économique
supérieure à celle du Sud de 2,8% et 2,4% pendant ces deux périodes.
La comparaison du rapport entre le PNB réel à parité de pouvoir d’achat par habitant du pays le plus
riche, (les Etats Unis) et la moyenne des cinq pays les plus pauvres révèle une différence de 1 à 8,2 en
1900, contre 1 à 49 en 1995.
Pour 80% de la population du monde, l’écart entre les régions les moins développées et les plus
développées, en terme de productivité moyenne par famille par an était de 1 à 2 ou 3 avant la révolution
industrielle, selon Samir Amin, de 1 à 30 en 1945 et de 1 à 60 à l’heure actuelle.
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Ajouté aux conséquences désastreuses des politiques néo-libérales, notamment les Programmes
d’Ajustement Structurel (PAS) entreprises dans les pays du Tiers monde, J. Bantou (2000 :17-19) n’a
pas tort de parler «d’une tendance à la recolonisation de régions entières du monde à laquelle la
puissance politique et militaire des puissances impérialistes, notamment des Etats Unis, confère des
moyens supplémentaires décisifs.».
Les accords de Marrakech de 1995 et la création de l’OMC n’ont donc fait qu’accélérer l’intégration
commerciale et financière de la planète. Mais comme le souligne S. Amin, la polarisation ne s’est pas
développée de manière totalement linéaire. Elle a connu des moments de remise en cause ne serait-
ce que partielle. Et cela est important.
L’histoire de la mise en place des mécanismes et des instruments qui ont érigé la mondialisation
économique et culturelle au titre de paradigme majeur du nouveau millénaire a été marquée par la
résistance des peuples contre la soumission et la volonté d’émancipation manifestée par les dominés.
Or, l’étape ultime que nous vivons ne se caractérise pas seulement par l’accélération de la
déréglementation économique au détriment des faibles. Elle est aussi marquée par le passage, au plan
culturel, d’une acculturation libre ou imposée à une acculturation planifiée (selon la typologie de
Roger Bastide) donc largement acceptée.
La capacité de séduction des idéologues et des institutions du néolibéralisme (qui allient la force de
conviction et le terrorisme économique) a permis de gagner une partie des peuples et de l’intelligentsia
des pays dominés, à l’idée selon laquelle, le nivellement des cultures et des modes d’échange sur la
base du modèle hégémonique de l’Occident et des intérêts des dominants est inéluctable et
inévitable.
Officiellement organisée à travers des instruments dits de coopération, la nouvelle mondialisation
couvre une réalité complexe. Les entités en interaction dans l’économie mondiale entretiennent des
rapports iniques et déséquilibrées. L’OMC, le FMI, la Banque Mondiale et les autres institutions
satellites du G8 ont la vocation première de sauvegarder les intérêts multiformes des dominants.
Dernier né du trio infernal, l’OMC a consacré la déréglementation comme principale modalité pour
régir le marché. Celui-ci dit-on aurait la faculté de s’autoréguler et de corriger les inégalités par une
compétition franche et « à chances égales ». Principe fondamental dans la philosophie libérale, la
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