Me Judith M. Robinson
Norton Rose OR LLP
1
DE LA LOTION CAPILLAIRE AUX MÉDICAMENTS ET AU-DELÀ : UNE VISION DES COURS
FÉDÉRALES ET DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE 1
À l’occasion du 40e anniversaire de la Loi sur les Cours fédérales, l’auteur ne vise pas ici à dresser une
liste exhaustive de la jurisprudence des tribunaux en matière de propriété intellectuelle. D’autres, plus
audacieux et plus brillants, se sont attachés à cette tâche de diverses manières2. Les membres des
tribunaux réunis pour le présent événement ont déjà parcouru ce chemin pendant leur élévation aux
Cours fédérales, et pour certains, même avant.
Le présent exposé vise plutôt à donner une idée de la remarquable diversité des thèmes relatifs à la
propriété intellectuelle qui relèvent de la compétence des Cours fédérales, de certains défis qu’ils posent
aux tribunaux et aux citoyens ainsi que des orientations possibles pour les années à venir.
De plus, le départ à la retraite cette année du juge en chef Lutfy de la Cour fédérale offre l’occasion de
réfléchir à la compétence des tribunaux à partir des affaires tranchées par lui depuis son arrivée à la Cour
en 1996. Il a en outre joué un rôle majeur dans l’amélioration de la gestion des instances relatives à la
propriété intellectuelle devant la Cour.
Rappelons que le domaine de la propriété intellectuelle englobe traditionnellement les brevets, les
marques de commerce, le droit d’auteur et les dessins industriels qui sont visés par le cadre législatif
établi par le gouvernement fédéral3. La portée de ce cadre continue d’évoluer et de se développer au fur
et à mesure que la technologie et la créativité des propriétaires et des usagers vont de l’avant. La
législation évolue également pour intégrer de nouveaux sujets relevant des Cours fédérales, souvent par
l’effet d’obligations créées par des traités internationaux. Citons par exemple l’intégration de dispositions
plus complètes sur la protection des données dans le Règlement sur les aliments et les drogues, lequel a
donné lieu à un nouveau courant jurisprudentiel qui a commencé à être entendu par la Cour au cours de
la dernière année4.
1 Judith Robinson, partner with Norton Rose LLP in the Montréal office: judith.robinson@nortonrose.com. Remarks on the occasion
of the 40th anniversary of the Federal Court Act, Federal Courts Seminar. The author wishes to thank her colleagues Claude Brunet,
for his expertise in copyright, and also Alexandra Daoud, Marie-Hélène Rochon, Xavier Beauchamp-Tremblay and Sébastien
Gardère for their clairvoyant input on future directions for the Courts
2 For example: B.J. Saunders, Donald J. Rennie and Graham Garton, Q.C., Federal Courts Practice 2011 (Toronto: Carswell) at
1-34; F. Grenier: La juridiction exclusive de la Cour fédérale et la jurisdiction concurrente de la Cour supérieure, Barreau du
Québec, Développements récents en propriété intellectuelle 1991 at 91; R.T. Hughes, ”The Future of Intellectual Property Litigation
in Canada” in Meredith Lectures 1996: Making Business Sense of Intellectual Property (Montréal, Faculty of Law, McGill University,
1996) 565 at 567
3 Patent Act, R.C.S. 1985, c. P-4; Copyright Act, R.S.C. 1985, c. C-42; Trade-marks Act, R.S.C. 1985, c. T-13; Industrial Design Act,
R.S.C. 1985, c. I-9 and Integrated Circuit Topography Act, S.C. 1990, c. 37
4 Apotex v. Canada (Health), 2010 FCA 334; Epicept Corporation v. Canada (Health), 2010 FC 956; Teva Canada Limited v. Canada
(Health), 2011 FC 507
2
La compétence en cette matière est conférée par l’article 20 de la Loi sur les Cours fédérales5 :
Industrial
property,
exclusive
jurisdiction
20. (1) The Federal Court has
exclusive original jurisdiction, between
subject and subject as well as
otherwise,
20. (1) La Cour fédérale a
compétence exclusive, en première
instance, dans les cas suivants
opposant notamment des
administrés :
Propriété
industrielle :
compétence
exclusive
(a) in all cases of conflicting
applications for any patent of
invention, or for the registration of any
copyright, trademark, industrial design
or topography within the meaning of
the Integrated Circuit Topography Act;
and
a) conflit des demandes de brevet
d’invention ou d’enregistrement d’un
droit d’auteur, d’une marque de
commerce, d’un dessin industriel ou
d’une topographie au sens de la Loi
sur les topographies de circuits
intégrés;
(b) in all cases in which it is sought to
impeach or annul any patent of
invention or to have any entry in any
register of copyrights, trademarks,
industrial designs or topographies
referred to in paragraph (a) made,
expunged, varied or rectified.
b) tentative d’invalidation ou
d’annulation d’un brevet d’invention,
ou d’inscription, de radiation ou de
modification dans un registre de droits
d’auteur, de marques de commerce,
de dessins industriels ou de
topographies visées à l’alinéa a).
Industrial
property,
concurrent
jurisdiction
(2) The Federal Court has concurrent
jurisdiction in all cases, other than
those mentioned in subsection (1), in
which a remedy is sought under the
authority of an Act of Parliament or at
law or in equity respecting any patent
of invention, copyright, trademark,
industrial design or topography
referred to in paragraph (1)(a).
(2) Elle a compétence concurrente
dans tous les autres cas de recours
sous le régime d’une loi fédérale ou
de toute autre règle de droit non visés
par le paragraphe (1) relativement à
un brevet d’invention, un droit
d’auteur, une marque de commerce,
un dessin industriel ou une
topographie au sens de la Loi sur les
topographies de circuits intégrés.
Propriété
industrielle :
compétence
concurrente
Les lois sur la propriété intellectuelle auxquelles nous avons fait allusion plus haut, ainsi que leurs
dispositions expresses, constituent les sources de « droit fédéral » qui, mises en conjonction avec
l’article 20 de la Loi sur les Cours fédérales, établissent la compétence des Cours fédérales. Évidemment,
la législation relative à la propriété intellectuelle doit elle-même respecter les pouvoirs constitutionnels du
Parlement, une question qui a donné lieu à une jurisprudence fascinante au fil des ans. Nous y
reviendrons.
Conformément au paragraphe 20(1), la Cour fédérale a compétence exclusive en ce qui concerne la
conservation des registres relatifs à la propriété intellectuelle à l’Office de la propriété intellectuelle du
Canada (OPIC). De manière générale, seule la Cour fédérale peut rendre une ordonnance pour radier
5 Federal Courts Act, R.S.C. 1985, c. F-7, s. 20
3
l’enregistrement d’un brevet, d’un droit d’auteur, d’une marque de commerce, d’un dessin industriel d’ou
une topographie ou pour modifier ou rectifier l’un d’entre eux.
La Cour fédérale et les cours supérieures des provinces détiennent une compétence commune en
matière de recours relatifs aux lois visant la propriété intellectuelle, notamment en ce qui concerne le
redressement de violations6. La Cour fédérale a instruit la plus grande part de ces affaires, liées en partie
à l’effet national de toute ordonnance rendue et de l’expertise correspondante de la Cour sur les
questions relatives à la propriété intellectuelle.
Il importe à une partie qui envisage de recourir aux Cours fédérales de se rappeler que celles-ci ne sont
pas compétentes d’office du simple fait que la propriété intellectuelle est en jeu. Il doit y avoir une
attribution législative claire. Ainsi, une action en responsabilité délictuelle ou une affaire portant sur un
contrat accessoire à une marque de commerce ou à un brevet donnera lieu à un débat portant sur la
question de savoir si la question est fondée principalement sur une attribution législative claire de la
compétence en matière de droit de propriété intellectuelle par le Parlement. À titre d’exemple, citons un
jugement déclaratoire d’absence de contrefaçon de l’enregistrement d’un dessin industriel qui a été
déclaré hors de la compétence de la Cour : aucune des dispositions de la Loi sur les dessins industriels
n’établissait de cause d’action pour absence de contrefaçon7.
La Cour de l’Échiquier – bref retour sur le passé
En exerçant leur compétence en matière de propriété intellectuelle, les Cours fédérales perpétuent – tout
en la développant – la riche tradition juridique de leur prédécesseur, la Cour de l’Échiquier. Certaines des
premières affaires relatives à la propriété intellectuelle instruites par la Cour de l’Échiquier après sa
création en 1875 portaient sur la contestation de brevets accordés à Alexander Graham Bell ou à Thomas
Edison8. Il semble qu’en matière de contentieux, les brevets de téléphone aient été dans les années 1880
l’équivalent du domaine pharmaceutique aujourd’hui. Dès son origine, la Cour de l’Échiquier a également
instruit des affaires portant sur les marques de commerce, y compris les procédures en radiation contre
les grandes marques de commerce de l’époque comme Bush’s Fluid Food Bovinine, laquelle était utilisée
comme marque de commerce pour un [traduction] « aliment médicinal pour tous les cas de débilité,
particulièrement adapté aux patients atteints de phtisie et de dyspepsie »9.
6 F. Grenier: La juridiction exclusive de la Cour fédérale et la jurisdiction concurrente de la Cour supérieure, Barreau du Québec,
Développements récents en propriété intellectuelle 1991 at 91
7 Peak Innovation Inc. v. Meadowland Flowers Ltd. (2009), 75 C.P.R. (4th) 359, 2009 FC 661
8 Wright v. Bell Telephone Co. of Canada (1887), 2 Ex. C.R. 552; Toronto Telephone Manufacturing Cp v Bell Telephone Co of
Canada (1885), 2 Ex. C.R. 495; Toronto Telephone Manufacturing Co. v. Bell Telephone Co of Canada (1885), 2 Ex. C.R. 524
9 JP Bush Manufacturing Co. v. Hanson (1888), 2 Ex. C.R. 557
4
Les Cours fédérales – premières affaires relatives à la propriété intellectuelle
La Cour fédérale instruit des affaires portant sur la propriété intellectuelle dès sa création en 1971. Par
coïncidence, l’une des premières affaires tranchées par elle en 1971 portait également sur le thème bovin
comme pour l’affaire précédente traitée par la Cour de l’Échiquier, mais cette fois-ci pour une question de
brevets. Le juge en chef adjoint Noël a rendu une décision sur une contestation d’invalidité relative à un
brevet portant sur un processus de production de lait en poudre instantané, rendant ainsi l’un des
premiers jugements de la Cour dans le domaine litigieux des brevets en chimie10. Au cours de la même
année, le juge Cattanach a instruit une demande d’injonction relative au droit d’auteur pour les œuvres de
la comédie musicale Jesus Christ Superstar11.
À la Cour d’appel, en 1971, le juge en chef Jackett a présidé un appel portant sur la redevance à payer
(4 %) conformément au régime de licences obligatoires alors expressément prévu par la Loi sur les
brevets pour les produits chimiques. Voilà un exemple d’un domaine où le Parlement a expressément
attribué à la Cour fédérale une compétence relative à ce qui constitue, essentiellement, une licence
conventionnelle entre deux parties (imposée par le commissaire)12.
Dès leur origine, les Cours fédérales ont instruit un nombre impressionnant d’affaires portant sur la
propriété intellectuelle qui attestent de la portée de la compétence conférée par la loi.
Dans le présent exposé, nous nous baserons sur les jugements rendus par le juge en chef Lutfy depuis
son arrivée à la Cour fédérale en 1996 à titre de pistes pour explorer certaines de ces questions.
Les Cours fédérales – échantillon des affaires relatives à la propriété intellectuelle traitées par le
juge en chef Lutfy
Marques de commerce
Le juge en chef Lutfy s’est particulièrement occupé des litiges relatifs aux marques de commerce. Ainsi, il
a rendu des décisions pour un large éventail de questions portant sur la bière, les toniques capillaires, le
rhum, les logiciels, James Bond (007), les jeans, les cours de conduite automobile et même le Skydome
de Toronto.
Parmi ces litiges, on compte plusieurs appels des décisions du Registraire des marques de commerce (le
« Registraire ») sur des demandes de radiation de marques de commerce « périmées » conformément à
l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce. C’est de l’article 56 de la Loi sur les marques de
10 Dairy Foods Inc. v. Co-operative Agricole de Granby (1971), 4 C.P.R. (2d) 38
11 MCA Canada Ltd. v. Benwell (1971), 1 C.P.R. (2d) 173
12 Norwich Pharmacal Co. v. PVU Inc. et al. (1971), 2 C.P.R. (2d) 7
5
commerce que la Cour fédérale tire sa compétence d’appel pour les décisions du Registraire rendues
conformément à l’article 45.
Il est également possible d’interjeter appel d’une décision de la Commission des oppositions des marques
de commerce à la Cour fédérale en s’appuyant sur l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce. Le
juge en chef a instruit plusieurs de ces appels, notamment une décision de 1997 pour laquelle il a accueilli
l’appel des propriétaires des enregistrements de marque de commerce 007, GUN Design et d’autres
marques associées à James Bond13.
Le juge en chef a également établi un certain nombre de règles pour radier les enregistrements de
marques de commerce conformément à la compétence exclusive accordée à la Cour fédérale par
l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce. En ce qui concerne la distinction entre ces deux types
de procédures en radiation, le juge en chef a souligné que le but de la procédure de l’article 45 était de
« débarrasser le registre du “bois mort” » alors que la procédure de l’article 57 de la Loi sur les marques
de commerce visait d’abord la résolution de conflits d’intérêts commerciaux14.
Dans l’affaire Jean Patou inc. c. Luxo Laboratories Ltd.15, le juge en chef devait répondre à la question de
savoir si la Cour fédérale pouvait modifier la déclaration des marchandises de l’enregistrement de la
marque de commerce en cause. Il était demandé à la Cour de limiter les marchandises associées à la
marque au « marché des salons de coiffure » et de supprimer les autres marchandises. Le juge en chef
estima que la Cour disposait de la compétence nécessaire pour apporter la modification conformément à
l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce; cependant, il n’était pas convaincu que les
circonstances de l’affaire justifiaient la modification.
Conformément à la compétence attribuée à la Cour fédérale par l’article 55 de la Loi sur les marques de
commerce et l’article 20 de la Loi sur les Cours fédérales, le juge en chef a été saisi d’une demande
d’injonction interlocutoire fondée sur des allégations de violation de marque de commerce (et de droit
d’auteur)16 concernant des vêtements et des accessoires de motocyclette et de motoneige. La demande a
été rejetée.
Par ailleurs, bien qu’elles n’aient pas été rendues par le juge en chef, trois décisions relatives aux
marques de commerce doivent être relevées dans toute étude portant sur la compétence en matière de
propriété intellectuelle.
13 Danjaq Inc. v. Zervas (1997), 75 C.P.R. (3d) 295
14 Quarry Corp. v. Bacardi & Co. (1996), 72 C.P.R. (3d) 25 at para. 7
15 (1998), 158 F.T.R. 16
16 Specialty Sport Ltd. v. Kimpex International Inc. (1997), 72 C.P.R. (3d) 538
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