Haro sur le beau
deux !*
Philippe Godeberge
Cabinet m
edical,
10 rue jean Richepin,
75116 Paris
Les gouvernements changent mais les poncifs ont
la vie dure. La sant
e n’a pas
et
e un enjeu majeur
de la campagne pour l’
election pr
esidentielle. Pire, la
r
emun
eration des m
edecins n’a
et
e abord
ee que par le
biais de la diabolisation du secteur 2 et des d
epassements
d’honoraires (DH). Si on
ecoute les d
eclarations des
politiques et des journalistes, c’est assur
ement lui la cause
de tout le mal : la d
esertification m
edicale, le refus de soins,
le renoncement ou l’in
egalit
e d’acc
es aux soins, etc. Tout le
monde a son opinion sans m^
eme se poser la bonne
question : pourquoi le secteur 2 est-il attractif ? Pourquoi
a-t-il fallu le fermer en 1989 dans la crainte de voir la
totalit
e des m
edecins passer sous son r
egime, malgr
e des
charges sociales plus
elev
ees ? D’ailleurs, les caisses
d’assurance-maladie auraient eu int
er^
et
a une ouverture
large puisque leur participation au financement de la
retraite des m
edecins aurait
et
e math
ematiquement
r
eduite (rappelons que les praticiens en secteur 2 paient
la totalit
e de leur cotisation retraite contrairement
a ceux
du secteur I, soit un montant des charges sup
erieur de 25
a
30 %).
Oui, pourquoi les m
edecins veulent-ils s’installer en secteur
2 ? Par app^
at du gain ? Le d
epassement moyen pour une
coloscopie est de 40 s. Le lucre n’est donc pas la bonne
r
eponse. Selon le rapport de la Cour des comptes, le
nombre d’actes factur
es avec DH augmente au m^
eme
rythme que le nombre des actes (2 % par an) donc la part
des actes avec DH reste stable. Le montant total des DH
repr
esente 14 % du montant total des honoraires soit 20
a
30 spar assur
e et par an ! M^
eme si h
elas, 2
a 5 % des
m
edecins (principalement des chirurgiens en h^
opital public)
peuvent demander des honoraires faramineux. Quel
op
erateur peut justifier un surco^
ut de plus de 800 % du
tarif pour une prostatectomie ? Seulement 1 % des
chirurgiens lib
eraux facturent plus de 80 % de leurs actes
au-dessus de 3 fois le tarif opposable contre 17 % pour les
chirurgiens hospitaliers. Devant de tels chiffres, la
F
ed
eration Hospitali
ere de France qui milite haut et fort
pour la limitation des DH, tout en se plaignant d’une
difficult
e de recrutement en anesth
esie et chirurgie, devrait
r
efl
echir avant de parler et de vouloir imposer aux autres ce
qu’elle est incapable de r
eguler chez elle !
Il n’existe pas actuellement d’
evaluation comparative des
m
edecins et des chirurgiens. Ce serait pourtant un bon
moyen que de justifier des honoraires par une meilleure
performance technique et m
edicale ; personne n’a
os
e aller aussi loin dans cette proposition iconoclaste.
D’autant que les crit
eres sont difficiles
ad
eterminer ;
certains m
edecins sont tr
es savants et excellents orateurs,
tout en
etant des op
erateurs techniquement moyens.
D’autres, travailleurs de fond, restent discrets mais sont
d’une qualit
e technique irr
eprochable. Faut-il
evaluer la
r
emun
erationaum
erite oratoire ou au m
erite technique,
et alors sur quel crit
ere ? La survie du patient ou les
complications post-th
erapeutiques ? Ce qui permettrait
de diff
erencier la r
emun
eration de tel m
edecin par rapport
atelautred
epend de crit
eres qui n’ont pas
et
e encore
etablis au plan scientifique.
Si les m
edecins veulent s’installer en secteur 2, c’est parce
que les tarifs opposables sont bloqu
es depuis les ann
ees
1980 ; la farce de la hi
erarchisation des actes malgr
e une
participation honn^
ete des experts m
edicaux a induit des
distorsions qui ne sont toujours pas corrig
ees. Si les
m
edecins veulent s’installer en secteur 2, c’est aussi pour
pouvoir adapter les honoraires
alar
ealit
e de leurs charges.
Entre une installation en centre-ville et une installation en
milieu rural ou p
eriurbain, les co^
uts de l’infrastructure vont
du simple au double. Une fois les charges pay
ees, pourquoi
le tarif horaire d’un m
edecin varierait-il de 30 % ?
Question iconoclaste
a laquelle le d
eveloppement des
maisons m
edicales n’apporte pas la bonne r
eponse. Les
maisons m
edicales lanc
ees
a grand frais sont en train de
mourir sous des charges qu’elles ne peuvent supporter. Le
raisonnement qui consistent
a dire qu’en mutualisant les
d
epenses de deux m
edecins, on divise les charges par 2, de
3m
edecins on divise par 3, etc., est faux. Quand on associe
plus de 3 ou 4 professionnels, les frais de la structure ne
sont plus proportionnels mais exponentiels. Un immeuble
de 15
etages a un co^
ut de fonctionnement plus
elev
e que 3
immeubles de 5
etages. Entre 1990 et 2004, le tarif secteur
1 de la coloscopie est pass
e de 146
a 154 s(+ 5 %) ; dans
la m^
eme p
eriode, l’indice INSEE des prix a augment
ede
29,7 % ! En secteur 2, les cardiologues effectuent une part
significative de leur consultation en tarif opposable (50 %)
par rapport aux h
epato-gastroent
erologues secteur 2 (15
%); mais la consultation de cardiologie (CSC ; 45,73 s) est
nettement mieux valoris
ee que la CS en HGE (23 s);
*
« A ces mots on cria haro sur le baudet (....) Ce pel
e ce galeux dont
venait tout leur mal (....) Selon que vous serez puissant ou mis
erable,
les jugements de cour vous rendront blanc ou noir »
Jean de Lafontaine, Les animaux malades de la peste.
Pour citer cet article : Godeberge P. Haro sur le beau deux !. H
epato Gastro 2012 ; 19 : 569-570. doi : 10.1684/hpg.2012.0758
doi: 10.1684/hpg.2012.0758
569
HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive
vol. 19 n87, septembre 2012
nfos-PROI
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quand un acte est mieux r
emun
er
e, les m
edecins n’ont pas
besoin d’augmenter les honoraires !
Certes, plusieurs reproches sont adress
es au secteur 2. Il y a
des disparit
es r
egionales comme dans le reste
a charge,
variable selon les patients et leur compl
ementaire. Il faut
noter que les assurances compl
ementaires qui militent
contre les DH ont vu leur chiffre d’affaires augmenter de 39
% ces derni
eres ann
ees et le montant des remboursements
augmenter de 31 %, soit un solde positif en 2005
a 4,5
milliards d’euros. Quand tous les sp
ecialistes d’une r
egion
sont en secteur 2, les patients n’auraient plus le choix !
Mais que fait l’h^
opital ? Le montant des honoraires
demand
es est incontr^
olable ; effectivement, cette libert
e
g^
ene les pouvoirs publics qui ont depuis toujours une vision
etatique de la m
edecine et des m
edecins, et qui sont
allergiques au concept de m
edecine lib
erale, qui r^
event
d’un contr^
ole total sur une chaı
ˆne de soins
a bas co^
uts.
Mais la police des honoraires ne rel
eve ni des caisses ni de la
facult
e mais du Conseil de l’ordre, le Code de d
eontologie
recommandant d’exercer le tact et la mesure. Alors de quoi
se m^
ele le Conseil National de l’Ordre des M
edecins
(CNOM) en prenant position sur la gestion du secteur 2 et
non sur sa police ? En effet, tout r
ecemment, il a fait par la
voix de son pr
esident une d
eclaration, dans la laquelle il a
propos
e que les m
edecins en secteur 2 assurent 30 % de
leurs actes au tarif opposable. D’o
u vient ce 30 % ?
Comment est-il justifi
e,
evalu
e, quantifi
e ? Rien, on nage
en pleine « pifom
etrie ». Et puis le CNOM est-il bien plac
e
pour donner des lec¸ons de gestion des honoraires ? Depuis
des ann
ees, les tarifs exorbitants de certains m
edecins
n’ont jamais donn
e lieu
a des bl^
ames ou
a des interdits
d’exercice. Finalement, en mettant les tarifs des m
edecins
sur www.ameli.fr, la CNAM fait plus pour la transparence
que le CNOM. Au total, la condamnation des DH est
fond
ee sur des chiffres pr
esent
es de fac¸on partisane ; les
donn
ees tronqu
ees sont des moyennes qui masquent la
r
ealit
e des faits, en pr
esentant comme un fait g
en
eral ce
qui est surtout la cons
equence de quelques pratiques
d
eviantes.
Pour apporter une r
eponse aux contraintes budg
etaires, les
pouvoirs publics et les caisses ont tent
eded
evelopper deux
solutions : le secteur optionnel et le paiement
ala
performance. Le secteur optionnel n’a jamais abouti et
est rest
e lettre morte. Dans ce mod
ele, pour sortir de la
fameuse « enveloppe constante », l’apport financier
devait ^
etre effectu
e par les assurances compl
ementaires.
Elles ont profit
e de la taxe suppl
ementaire qui leur a
et
e
appliqu
ee par le pr
ec
edent gouvernement pour refuser de
participer au dispositif qui est d
esormais au point mort. Ce
qui est coh
erent avec leurs positions ant
erieures qui
etait
plut^
ot de construire des centres ou des r
eseaux
a des tarifs
impos
es aux praticiens, bien
evidemment en baisse par
rapport au march
e des soins. Dans le paiement
ala
performance, l’id
ee est que l’optimisation des soins
permette de g
en
erer des
economies de d
epenses de sant
e
dont les acteurs pourraient tirer un profit p
ecuniaire gr^
ace
a une r
etrocession partielle des
economies r
ealis
ees. Le
CNOM a
emis un avis d
efavorable sur ce dispositif le
jugeant non d
eontologique. De surcroı
ˆt, les crit
eres de
performance sont d
efinis par les seules caisses qui sont
aussi les
evaluateurs. Les chiffres utilis
es sont inv
erifiables
par le praticien
a moins d’un suivi statistique tr
es
contraignant et de toute fac¸on non opposable, les caisses
etant juges et parties ! Enfin, le raisonnement que le
paiement
a la performance ( pay for performance ou P4P)
permet d’am
eliorer la qualit
e des soins est discutable ; une
r
ecente publication dans le NEJM [1] n’a pas mis en
evidence de diff
erence dans la mortalit
e pour maladie
coronarienne entre les h^
opitaux ayant accept
e la P4P et les
h^
opitaux qui ne l’appliquent pas. Il est possible que le
crit
ere principal utilis
e (la mortalit
e) ne soit pas un crit
ere
suffisamment sensible ; mais que dire alors des 19 crit
eres
retenus par la CNAM pour la P4P qui sont majoritairement
des crit
eres organisationnels et non m
edicaux. Il reste
a
prouver qu’avoir un dossier informatique fait faire des
economies au syst
eme de sant
e (en dehors des interactions
m
edicamenteuses et des g
en
eriques). Lors des prochaines
elections au CNOM, demandez bien aux candidats de se
positionner sur ce sujet que vous soyez en secteur 2 (40 %
des HGE et plus de 80 % des chirurgiens digestifs) ou que
vous r^
eviez d’y ^
etre (100 % ???).
Conflits d’int
er^
ets : m
edecin install
e en secteur 2. &
Re´fe´ rence
1. Jha AK, Joynt KE, Orav EJ, et al. The Long-Term Effect of Premier Pay for
Performance on Patient Outcomes. N Engl J Med 2012 ; 366 :1606-15.
570 HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive
vol. 19 n87, septembre 2012
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