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L’éthique dans les relations commerciales
Par Johanne Boucher, trad. a.
Cuba, le 13 décembre 2012
Bonjour tout le monde,
Aujourd’hui j’ai l’intention de vous expliquer ce qui m’a amenée à réfléchir sur
l’éthique dans les relations entre les clients et les fournisseurs de services de
traduction; de vous décrire certains des besoins les plus communs des clients;
de partager avec vous comment je vois le rôle de la déontologie dans les
relations commerciales; d’introduire la notion d’éthique selon mon interprétation
et celle de certains éthiciens experts; et de vous proposer de réfléchir à des
choix éthiques face à quelques situations types
Je tiens à prendre quelques minutes pour vous décrire mon parcours
professionnel. Après des études universitaires spécialisées en traduction, j’ai
travaillé une dizaine d’années comme traductrice technique au service interne de
traduction d’IBM Canada.
Puis j’ai occupé des postes de direction, d’abord au sein d’IBM Canada, puis à la
Société Radio-Canada et finalement à Amex Canada filiale d’American Express.
Donc pendant plus de vingt ans j’ai agi comme gestionnaire des besoins de
traduction de ces sociétés, j’ai été à la tête d’équipes internes et j’ai dû confier
des mandats à des fournisseurs externes – pigistes indépendants et cabinets.
C’est donc dans ce contexte que je devais constamment choisir la bonne
ressource pour le bon document. Il me fallait considérer le volume que
représentait chaque document, la charge de travail de l’équipe interne,
l’échéance de mon client interne, le moment de la semaine ou de l’année, le
caractère spécialisé ou général du texte, la disponibilité des fournisseurs, la
qualité attendue et les coûts.
Je dois avouer qu’en tant que client, j’ai souvent compté sur la disponibilité des
pigistes en fin de semaine pour leur confier un texte que mes ressources
internes réviseraient et livreraient en tout début de semaine.
J’ai également souvent privilégié le recours à des indépendants, car au fil des
ans, ces professionnels avaient appris à connaître la culture de notre société, la
terminologie propre à notre domaine d’activité et que je pouvais être relativement
certaine que les textes ne demanderaient pas une révision intensive à l’interne.
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Cette assurance est plus difficile à obtenir quand on fait affaire avec un cabinet
qui ne confie pas toujours vos textes à la même ressource. Dans une relation
avec un fournisseur, le client se trouve à investir dans la formation du traducteur
et à la longue cet investissement vaut son pesant d’or.
Par contre, il serait inefficace de confier des volumes trop lourds à des
ressources individuelles, internes comme externes, et se priver de l’accès à ces
ressources pendant une longue période. Voilà où l’agence ou le cabinet a sa
place.
En outre, pour que la traduction du volume annuel d’une société puisse se faire à
l’intérieur des budgets alloués, le gestionnaire doit utiliser une combinaison de
ressources qui lui donneront un rendement quantitatif et qualitatif satisfaisant tout
en protégeant l’image de marque de la société et parfois même la rehaussant sur
le marché des consommateurs parlant la langue cible.
Voyons maintenant quelques exemples de faits vécus qui m’amèneront ensuite à
parler de comportement éthique.
Quand un client transmet une demande de traduction à un pigiste, le client fait
généralement un compte de mots et établit l’entente avec le pigiste sur cette
base. Par contre, si le pigiste se rend compte que le client s’est magistralement
trompé dans l’évaluation du document et que le volume à traduire est beaucoup
supérieur à ce qui avait été annoncé, il ne se gêne pour le faire savoir à son
client et renégocier. Alors, pourquoi lorsque la situation inverse se produit, le
pigiste hésite-t-il à en faire part au client?
Deuxièmement, sachant, comme je l’ai déjà indiqué, que son client fait
régulièrement appel à lui les week-ends et l’été (au Québec, les employés
internes prennent majoritairement leurs vacances annuelles l’été), le pigiste qui
choisit cette même période pour s’absenter, ne devrait-il pas au moins en avertir
son client suffisamment d’avance pour que celui-ci sache sur quelles ressources
il peut vraiment compter?
Troisième exemple. Confiant que la relation avec son client est bien établie, le
pigiste relâche son sens du professionnalisme et livre des textes dans lesquels il
laisse des passages non traduits parce qu’il n’a pas pris la peine d’en vérifier le
sens auprès du client. Il se fie que ce dernier révisera le texte et trouvera la
réponse à l’ambigüité laissée non traduite. Le pigiste se surprendra-t-il de ne
plus recevoir de mandats de ce client?
Que dire du pigiste qui ne prend pas la peine de consulter le site Web de la
société cliente pour se familiariser avec la terminologie, le style de rédaction et la
culture générale de son client?
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Par contre, quand un pigiste ou un cabinet a une relation stable depuis des
années avec son client, devrait-il oser faire valoir la solidité de cette relation
fondée sur la prestation de services professionnels de qualité pour majorer ses
tarifs plutôt que de profiter d’un moment où le client est mal pris pour lui
annoncer une hausse?
Toutes ces situations m’ont fait réfléchir et je me suis demandée si les
fournisseurs de services de traduction eux-mêmes réfléchissaient aux
comportements les plus appropriés à adopter afin d’établir puis de maintenir des
relations commerciales avantageuses avec leurs clients.
Je me suis vite rendu compte qu’il y a des myriades de définitions de ces
termes et je vais donc vous proposer mon interprétation de la distinction comme
des rapprochements à faire entre ces deux concepts.
J’ai donc commencé par ce que je connaissais. Depuis que je suis membre de
l’Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec,
l’OTTIAQ, je dois agir conformément au code de déontologie qui définit, entre
autres choses, mes devoirs envers mes clients. Nous sommes deux mille
professionnels au Québec à avoir cette obligation. Qu’est-ce que cela signifie
vraiment?
Le code de déontologie de l’OTTIAQ est un ensemble d’énoncés qui décrivent
en particulier les devoirs envers nos clients dans l’exercice de nos professions
comme celui d’agir avec intégrité, de faire preuve de disponibilité et d’une
diligence raisonnables, d’engager pleinement sa responsabilité professionnelle,
d’éviter toute situation où il serait susceptible d’être en conflit d’intérêt ou d’être
perçu comme tel, de demander un prix juste et raisonnable pour ses services
professionnels et de respecter le secret des renseignements de nature
confidentielle dont il prend connaissance dans l’exercice de ses fonctions. Tous
ces énoncés, vous en conviendrez laissent place à l’interprétation. En outre, le
code de déontologie de l’OTTIAQ prévoit une structure permettant de
sanctionner les éventuels contrevenants à ce code, par l’intervention du syndic et
(ou) du Conseil de discipline.
Il s’agit donc ici d’un code qui respecte la définition généralement reconnu de ce
qu’est un code de déontologie. Mais offre-t-il suffisamment d’information pour
réellement guider le comportement du professionnel face à toutes les situations
qui se présenteront à lui dans sa pratique. Bien sûr que non et, à mon humble
avis, c’est là où la notion d’éthique professionnelle entre en jeux.
Rappelons-nous que la compagnie Enron avait un code d’éthique de 60 pages
qui en principe régissait les gestes de ses dirigeants!
Pour certains éthiciens, comme René Villemure, Président de l'Institut québécois
d'éthique appliquée, l’expression « Code d’éthique » est un non-sens. Je cite ici
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un article paru dans le journal Le Devoir (quotidien québécois) : L’éthique est une
recherche, un questionnement sans cesse reconduits, qui se résument au fond à
cette simple question : Que faire pour bien faire? Le code, coupant court au
questionnement, donne plutôt une réponse : Vous devez faire ceci ou vous ne
devez pas faire cela.
En fait la réflexion éthique vient en complément au code de conduite ou code de
déontologie. Diane Girard, éthicienne, renchérit : « L’éthique est liée à la
délibération et à la prise de décision plutôt qu’à la seule exécution de règles, de
normes et de directives ».
En outre, il est bon de se rappeler que les choix individuels éclairés…, comme
s’entendent à le dire Jeanne Simard, professeur au département des sciences
économiques et administratives de l’Université du Québec et Marc-André
Morency, sociologue, « Les choix individuels éclairés peuvent aisément emboîter
le pas à des lois qui passent difficilement les frontières ou à des codes de
déontologie qui concernent généralement davantage les aspects techniques de
la profession que ses impacts sociaux et humains. »
Toute démarche d’éthicisation suppose une réflexion approfondie sur les valeurs
de l’organisation ou de l’individu et sur les moyens appropriés à la poursuite de
ces valeurs.
Voyons maintenant quelques situations typiques du monde de la traduction et
examinons les différentes réponses possibles à la lumière de la réflexion éthique.
La résistance à l’endettement est l’un de vos principes de vie.
Un nouveau client vous offre un mandat. Il s’agit d’une compagnie de
cartes de crédit.
Option 1 – Vous refusez, car vous considérez que ces sociétés
encouragent le consommateur à s’endetter. Ainsi, votre décision est prise
en fonction de ce que vous considérez être une valeur sur laquelle vous
ne faites aucune concession.
Option 2 – Vous acceptez le mandat, mais refusez les textes de marketing
et n’acceptez que les textes de nature juridique. Vous ne reniez pas
entièrement vos valeurs, mais vous avez besoin de gagner votre vie.
Option 3 – Vous acceptez sans restriction. Vous vous dites que la
résistance à l’endettement est l’un de vos principes, mais qu’il n’est pas
nécessairement celui de l’ensemble de la société et que votre
responsabilité ne va pas jusque-là.
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Si on revient à la question de base : Quoi faire pour bien faire? On comprend
bien qu’il y a rarement une réponse unique.
Votre client est une société dont le siège social est aux États-Unis. Vous
avez le mandat de traduire les programmes d’avantages sociaux destinés
aux employés d’un bureau au Brésil.
Vous savez que la législation en matière de droit du travail aux États-Unis
est différente de celle du Brésil.
Option 1 – Vous traduisez le texte tel qu’il est écrit. Cette décision peut
s’appuyer sur un principe de non-interventionnisme que vous respectez
en tant que traducteur.
Option 2 – Vous modifiez le texte cible de manière à ce qu’il soit conforme
avec la législation Brésilienne. Ce choix reflète la conception que vous
avez de votre rôle et que celui-ci est de produire un document adapté au
public cible.
Option 3 – Vous demandez au client de modifier son texte de départ
conformément aux lois applicables au Brésil avant de le traduire. Vous
assumez un rôle conseil auprès de votre client et lui proposez une
solution qui aura pour effet, à terme, de lui simplifier la vie et le faire
économiser au moment des mises à jour et qui pourrait vous aider à
fidéliser de client.
Alors, on peut se demander si ces trois réactions sont de nature strictement
éthique.
Voyons maintenant la dernière situation
Un client pour qui vous travaillez de manière assidue depuis plus de cinq
ans vous demande pour la première fois une traduction non révisée.
Option 1 – Vous refusez, car vous estimez être intrinsèquement
responsable de fournir une traduction faite selon les règles de l’art comme
le stipule votre code de déontologie.
Option 2 – Vous acceptez et réduisez votre tarif, car vous pensez qu’il est
honnête de demander moins d’argent pour un travail bâclé.
Option 3 – Vous acceptez, mais ne réduisez pas votre tarif, puisque de
toute manière vous allez réviser votre texte. Vous expliquez au client que
vous ne faites pas les choses à moitié, car vous êtes un professionnel qui
se respecte.
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