Doctrine OHADATA D-09-44

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Ohadata D-09-44
DE LA CONTRARIETE ENTRE LES ACTES UNIFORMES ET LES
CONSTITUTIONS DES ETATS MEMBRES DE L’OHADA
Contribution à la consolidation du droit uniforme africain des affaires
URBAIN BABONGENO
[email protected]
[email protected]
II
A
Valérie,
Falon,
Céleste,
Alex,
Alix,
Stéphane,
Vous qui contribuez à nos mérites.
III
AVANT-PROPOS
Au seuil de cette étude réalisée dans le cadre de notre Diplôme
d’Etudes Supérieures en Droit, nous tenons à dire grand merci à tous
les Professeurs qui, fidèles à leur engagement, continuent de se vouer
à cet apostolat d’enseignant et de formateur au sein de la Faculté de
Droit de l’Université de Kinshasa.
Notre gratitude particulière s’adresse à deux groupes de
Professeurs qui, en même temps qu’ils contribuent à notre formation,
vivent avec nous le processus laborieux de l’adhésion de la République
Démocratique du Congo à la Communauté de droit de l’Organisation
pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires.
Le premier groupe comprend Messieurs les Professeurs JeanMichel KUMBU ki NGIMBI et Joseph ISSA SAYEGH.
Le Professeur KUMBU figure parmi les premiers universitaires
congolais à se consacrer à la lecture, la compréhension et l’analyse du
droit institutionnel et substantiel de l’OHADA. C’est donc en
connaissance de ses capacités intellectuelles et de sa maîtrise du
système OHADA que nous avions porté notre choix de directeur sur sa
personne.
Familier au nouveau droit africain des affaires, il a accepté notre
thème de recherche dont il avait rapidement cerné les contours de la
problématique et de l’intérêt.
En guide sûr et avisé, il nous a suivi pas à pas avec dextérité et a
ramené, chaque fois que cela était nécessaire, notre pensée sur la
droite ligne de la rigueur scientifique.
Le Professeur SAYEGH est un des maîtres incontestés du droit
OHADA. Il a participé à la rédaction de certains avant-projets d’Actes
uniformes, publié plusieurs ouvrages et articles sur le droit OHADA,
exécuté des travaux de mise en conformité, dirigé plusieurs mémoires
et thèses de doctorat et animé plusieurs séminaires sur ce nouveau
droit.
En ami fidèle et sincère, il a accepté de jouer à distance le rôle de
premier lecteur de notre étude.
IV
Son expérience nous a été très bénéfique lors de l’exposé, de la
discussion et de la prise de position sur certains problèmes de droit
suscités par notre thème.
Le second groupe est composé de Messieurs les Professeurs
Roger MASAMBA, Grégoire BAKANDEJA et Gaston KALAMBAY.
Grâce à leur grandeur d’esprit et de cœur, ils nous ont permis de nous
rapprocher d’eux et de bénéficier de leur savoir juridique lors des
séminaires et des études sur le droit OHADA réalisés sous l’égide du
COPIREP et du BCECO.
Nous avons tenu compte de leurs sages conseils lors de la collecte des
données et de la rédaction du manuscrit.
Notre reconnaissance s’adresse enfin à nos amis, Messieurs
Paul BAYZELON et André-Franck AHOYO, respectivement Secrétaire
général et Secrétaire général adjoint de l’UNIDA et à Maîtres Boris
MARTOR et Sébastien THOUVENOT, Avocats au Cabinet Eversheds de
Paris.
La rencontre de ces amis nous a servi de motivation et de soutien sur
notre chemin de la connaissance du droit OHADA.
V
ABREVIATIONS ET SIGLES
Al
Art
AUDCG
AUDSCGIE
: alinéa
: article
: Acte uniforme relatif au droit commercial général
: Acte uniforme relatif au droit des sociétés
commerciales et du groupement d’intérêt économique
AUPSRVE
: Acte uniforme relatif aux procédures simplifiées de
recouvrement et voies d’exécution
AUS
: Acte uniforme relatif aux sûretés
BCECO
: Bureau Central de Coordination
CCJA
: Cour commune de justice et d’arbitrage
COPIREP
: Comité de Pilotage de la Réforme des Entreprises
Publiques
Ed
: édition
ED.J.A
: Editions Juridiques Africaines
ERSUMA
: Ecole Régionale Supérieure de la Magistrature
J.O
: journal officiel
L.G.D.J
: Librairie Générale de Doctrine et de Jurisprudence
O.H.A.D.A
: Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du
Droit des Affaires
Op. cit.
: Opus citatus/Ouvrage cité
P/pp
: page/pages
P.U.A
: Presses Universitaires d’Afrique
P.U.C
: Presses universitaires du Congo
P.U.F
: Presses universitaires de France
R.J.C.C.J.A
: Recueil de jurisprudence de la Cour commune
de justice et d’arbitrage
R.S.D
: Revue sénégalaise de droit
S/ss
: suivant(e)/suivant(e)s
UNIDA
: Association pour l’unification du droit en Afrique
is
V°/V (verbo/verbis) : au mot/aux mots
VI
INTRODUCTION
1. Problématique
Le Traité relatif à l’Harmonisation du Droit des Affaires en
Afrique (OHADA) (1), signé à Port-Louis le 17 octobre 1993, énonce dans
son préambule que les Hautes Parties contractantes poursuivent
notamment la réalisation progressive de leur intégration économique et
que celle-ci doit s’étendre au cadre plus large du continent (2).
Les signataires de ce Traité ont entendu constituer un nouveau
pôle de développement qui devrait servir de moteur à l’émergence de
tout le continent.
C’est ainsi qu’à la création de l’organisation internationale (3) née de ce
Traité, dans une Afrique quadrillée par des organisations continentales
ou régionales à vocation politique, économique ou juridique qui se
superposent les unes sur les autres totalement ou partiellement (4), il a
fallu faire preuve d’une grande ingéniosité pour sortir de l’ornière des
organisations techniques antérieures qui proposaient déjà une
intégration économique.
La grande innovation du Traité dit de l’OHADA réside dans le
fait d’avoir établi une uniformisation progressive des législations
nationales de la vie économique à l’échelle continentale.
En effet, si d’autres organisations ont recherché l’intégration
économique africaine (5) avant le Traité OHADA, celui-ci est le premier
1
J. O. de l’OHADA, 1ère année n° 04, 1er novembre 1997, pp. 1 à 8.
Voir le quatrième paragraphe du préambule du Traité de l’OHADA. Lire KEBA MBAYE
(« L’histoire et les objectifs de l’OHADA », Petites affiches, n° 205, octobre 2004, p. 4) qui
explique comment on est passé de l’ « organisation pour l’harmonisation du droit dans la
zone franc » à l’ « organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires ».
3 Après quelques hésitations, la doctrine a reconnu à l’organisation née du Traité de
l’OHADA la qualité d’organisation internationale. Lire notamment ISSA-SAYEGH (J),
« Observations sur l’avis n° 1/99/JN du 7 juillet 1999 de la Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage », in Revue Camerounaise du Droit des Affaires, n° 10, spécial CCJA, janvier
mars 2002 ; POUGOUE (P. G.), Présentation générale et procédure en OHADA, Presses
universitaires d’Afrique, Yaoundé, Cameroun, 1998, p. 6 ; MARTOR (B.) et THOUVENOT
(S.), « L’uniformisation du droit des affaires en Afrique par l’OHADA », La Semaine Juridique,
n° 5, octobre 2004, p. 5.
2
4
Sur les organisations africaines d’intégration politique, économique et juridique, lire
notamment GLELE-AHANHANZO (M.), Introduction à l’Organisation de l’Unité africaine et
aux organisations régionales africaines, L.G.D.J., Paris, 1986.
5
A propos de l’intégration économique en Afrique, lire notamment BACH (D.), « Les
dynamiques paradoxales de l’intégration en Afrique subsaharienne : le mythe du hors-jeu »,
Revue française de science politique, vol. 45, n° 6, décembre 1995, p. 1023 et s ; DIOUF
(M.), Intégration économique, perspectives africaines, éd. NEA/Publisud, 1983 ; BAKOLEBE (B.), Intégration et relations économiques interafricaines, thèse, Paris, 1977 ; SAMEN
(S.), « Intégration économique dans les pays de l’UDEAC et de l’UMOA, leçons de l’histoire,
VII
à faire reposer l’intégration économique sur une intégration juridique.
C’est cette originalité qui a même été qualifiée de révolution juridique
en Afrique francophone (6).
Notons également que le procédé d’intégration juridique
choisi dans ce Traité n’obéit à aucun modèle classique connu.
(7)
L’on regroupe généralement les conditions de l’intégration en
trois séries principales reprenant les conditions du démarrage, du
maintien et du développement (8).
Les conditions préexistantes avant le processus (dites
background conditions) font référence aux entités de base et leur
étendue, à la valeur des échanges économiques et sociaux que ces
entités entretiennent entre elles, à l’existence du pluralisme et à la
possibilité d’un compromis entre elles, à la complémentarité de leurs
intérêts communs, à la complémentarité de leurs élites et à la
communicabilité entre ceux-ci.
Ces conditions peuvent être appréciées à travers le préambule du
Traité.
Les conditions de l’intégration en cours (dites conditions in
process) comprennent les divers projets (projet politique ou dessein
global) des gouvernements membres, les décisions autoritaires en
faveur de l’union au sein du groupe, leur exécution de bonne foi par
les Etats membres, et l’attention mutuelle des partenaires.
Ces conditions sont observables à travers la ratification du Traité.
Enfin, les conditions permettant au processus d’arriver à un
point de non-retour, à l’intégration (dites conditions of process) se
matérialisent par des décisions communautaires et des styles
identiques de gouvernements membres, des volumes élevés des
échanges entre partenaires, une adaptation de gouvernements
membres à un certain style commun, adaptation des institutions ou
régimes, un abandon important de prérogatives de souveraineté.
Ainsi à partir de ces conditions élémentaires, l’on peut forger
des modèles théoriques d’intégration et ces modèles permettent
d’évaluer le degré d’intégration atteint.
fondement théorique et perspectives pour les années 90 », Bulletin BEAC, n° 201, 4/1993,
p. 127 et s.
6 PAILLUSSEAU (J.), « Une révolution juridique en Afrique francophone, l’OHADA », in
Prospective du droit économique, Dialogue avec Michel Jeantin, éd. Dalloz, 1999, p. 93 et s.
7 ISSA-SAYEGH (J.), « L’intégration juridique des Etats africains dans la Zone Franc »,
Penant, 1997, n° 823, p.5 et n° 824, p. 125.
8
NDESHYO RURIHOSE, Le système d’intégration africaine, P.U.C., Kinshasa, R.D.C., 1984,
p. 31.
VIII
Mais en parcourant le processus d’intégration du Traité, on ne
retrouve pas dans le modèle OHADA un nombre d’éléments suffisants
pour le situer dans la phase de non-retour de type classique.
Sur ce point, le modèle OHADA se veut également particulier en ce
que, sans avoir parcouru le cheminement défini par la théorie
classique, il brave la notion du temps et comprime toutes les phases
préparatoire, intermédiaire et terminale de l’intégration dans son acte
de naissance sur la seule base de quelques atouts majeurs, comme la
langue, la monnaie et surtout la culture juridique, qui doivent
rapidement céder la place à d’autres plus proches de l’objectif
poursuivi dans un cadre africain plus large.
Au vu de l’ampleur (9) de l’intégration communautaire que
propose le Traité OHADA, nous pensons que sur le plan qualitatif, les
Hautes Parties contractantes ont visé l’union économique totale parmi
les différentes formes que peut revêtir l’intégration économique
notamment la zone de libre échange, l’union tarifaire, l’union
douanière, le marché commun et l’union économique (10).
Pour atteindre l’étape finale de l’intégration économique totale,
les Etats Parties sont persuadés d’harmoniser d’abord leurs règles
juridiques dans le domaine des affaires. Ils ont estimé y parvenir par :
- l’élaboration et l’adoption des règles communes simples,
modernes et adaptées à la situation de leurs économies ;
- la mise en œuvre des procédures judiciaires appropriées ;
- le recours à l’arbitrage comme mode de règlement des différends
contractuels (11).
De ces trois techniques d’intégration juridique, seule la
première, c’est-à-dire l’adoption des règles communes, sera prise en
compte pour apprécier le niveau atteint dans les efforts d’unification
progressive des législations nationales des affaires et dans les efforts
d’intégration du droit substantiel communautaire dans les ordres
juridiques internes.
L’appréciation des efforts d’unification partira des efforts
réalisés lors de la rédaction du Traité OHADA pour aboutir à ceux
entrepris par la suite à travers les Actes uniformes, actes pris pour
l’adoption des règles communes dans cette communauté de droit.
En vertu du principe de l’application de la loi nouvelle dans le
temps, le Traité OHADA assure l’harmonisation des règles juridiques
9
Voir les matières énumérées par l’article 2 du Traité et par la Décision n° 002/2001/CM
relative au programme d’harmonisation du droit des affaires en Afrique.
10 Sur les définitions de ces termes, voir Lexique d’économie, Dalloz, Vis Intégration
économique.
11 Art. 1er du Traité OHADA.
IX
en rendant les Actes uniformes directement applicables et obligatoires
dans les Etats Parties.
C’est la règle de la supranationalité du droit communautaire contenue
dans l’article 10 du Traité.
Mais nous devons reconnaître qu’il est difficile d’unifier
intégralement les législations des Etats membres à cause des
contraintes nationales qui obligent les Actes uniformes à tenir compte
du droit national des Etats parties et à renvoyer impérativement à ce
droit. Le renvoi des Actes uniformes au droit national se réalise de
manière implicite ou explicite (12).
Les renvois implicites découlent de la non définition de certains
concepts utilisés par les Actes uniformes du fait de leur usage et leur
définition par le droit commun tandis que les renvois explicites se
décèlent dans les articles du droit uniforme qui se contentent de
laisser survivre le droit national antérieur ou de délaisser aux
parlements nationaux la charge de légiférer sur quelques aspects d’une
matière essentiels ou non. Il en est ainsi notamment de la charge de
fixer les biens insaisissables d’un débiteur (art. 50 et 51 de
l’AUPSRVE), de déterminer les proportions de cession ou de saisie des
rémunérations (art. 177 de l’AUPSRVE), de la faculté de créer des
sûretés légales (art. 106 al. 2° et 132 al. 3° de l’AUS)…, charge et
faculté laissées au législateur national.
La conséquence en est que plus il y aura des survivances et des
disparités législatives nationales qui coexisteront au droit uniforme,
moins on chantera les refrains de l’unification juridique et de
l’intégration économique.
Pour l’instant, au vu des actuels Etats Parties de l’OHADA dont
le patrimoine juridique et judiciaire est identique ou à tout le moins
assez proche, l’on pourrait être tenté de sous-estimer la crainte de voir
se dégrader l’uniformisation recherchée.
Mais au fur et à mesure que les Etats Parties accomplissent la mise en
conformité du droit national au droit uniforme et vice-versa, la
question de la consolidation de l’existant se pose avec acuité.
A l’adhésion d’autres pays africains qui manifestent un intérêt de plus
en plus croissant à l’endroit de l’OHADA (13), la dégradation de
12
Pour plus de détails, lire ISSA-SAYEGH (J.) et LOHOUES-OBLE (J.), Harmonisation du
droit des affaires, collection droit uniforme africain, éd. Bruylant, Bruxelles, 2002, n° 271 à
275, pp. 120 à 122.
13 Parmi ces Etats, nous pouvons énumérer le Ghana qui a déjà institué une Commission
Nationale OHADA ; le Nigeria qui organise des assises sur le droit OHADA notamment la
Conférence du 30 avril 2004 tenue à l’Université d’Ibadan ; la République Démocratique du
Congo dont le Président de la République en a fait l’annonce en février 2004 à Paris et à
Bruxelles et qui, après avoir commandé une étude sur les modalités d’adhésion à l’OHADA,
assure la formation des Congolais au droit OHADA et est entrain d’effectuer la mise en
conformité de sa législation des affaires avec le droit OHADA et réciproquement.
X
l’uniformisation ne sera-t-elle pas effective si leur patrimoine juridique
et judiciaire est tout différent de celui des actuels Etats Parties (14) ?
Les Hautes Parties contractantes ayant imprégné une visée
continentale à leur œuvre, avaient-elles pensé aux garde-fous de ce
risque de dégradation lors de l’élargissement de l’espace OHADA à
d’autres pays ?
Le fait que les Etats signataires partagent le même patrimoine
juridique, ne les avait-il pas aveuglés au point d’inclure dans leur
œuvre des dispositions incompatibles avec la visée continentale de
celle-ci ?
Quant à l’appréciation des efforts d’intégration du droit
substantiel communautaire dans les différents ordres juridiques
internes, elle consistera à analyser les mécanismes juridiques de
réception du droit communautaire dans l’ordre juridique interne de
chaque Etat membre.
Le droit OHADA tire ses origines du Traité, des Actes uniformes, des
Règlements et des Décisions.
En principe, la réception en droit interne des normes issues de
ces différentes sources est régie par le droit international en général ou
par le Traité de l’OHADA en particulier. Mais ce dernier ne réglemente,
par son article 10 (15), que la contrariété entre le droit dérivé et les lois
nationales sans dire mot de celle qui pourrait exister entre les normes
dérivées du Traité et les constitutions des Etats membres.
D’aucuns peuvent s’interroger sur la possibilité d’une
contrariété entre un Acte uniforme et une loi fondamentale du fait que
leurs domaines d’application sont différents et distants, la
détermination des règles du droit des affaires (16) pour la loi uniforme
et la portée des règles de fondement de l’autorité étatique et de ses
institutions, d’organisation et de fonctionnement des pouvoirs publics
pour la constitution.
En donnant des pouvoirs à l’autorité étatique, la loi fondamentale lui
impose aussi des limitations, en particulier en garantissant des droits
et libertés aux sujets ou citoyens. Un Acte uniforme peut étendre ses
effets sur ces droits et libertés des citoyens.
Comme nous allons le démontrer plus tard, il existe un champ
d’intersection entre leurs domaines d’application, entre l’esprit et la
lettre d’un Acte uniforme et d’une constitution.
14
Dans le même sens, ISSA-SAYEGH (J) et LOHOUES-OBLE (J), op. cit., n° 273, p. 121.
Lire notamment les commentaires de LOHOUES-OBLE (J.), OHADA. Traité et Actes
uniformes commentés et annotés, Juriscope, 2002, pp. 37-40.
15
16
Mais le Professeur PAILLUSSEAU (J.) (« Le droit de l’OHADA – Un droit très important et
original », La Semaine Juridique, n° 5, 2004, p. 3) soutient que le droit OHADA est un droit
des activités économiques et non un droit des affaires.
XI
Le concept incarne le carrefour de leur esprit tandis que les droits
fondamentaux et libertés publiques, celui de leur lettre.
Dans sa conception, un Acte uniforme peut amoindrir le
contenu d’un droit fondamental d’un Etat, c’est-à-dire sa souveraineté.
Dans sa lettre, il peut enfreindre un principe général du droit
constitutionnel ou une disposition constitutionnelle portant sur les
libertés publiques et les droits fondamentaux des citoyens ou des
peuples.
C’est ainsi que le Conseil constitutionnel du Sénégal reconnaît
qu’un engagement international, par lequel le Sénégal consentirait à
abandonner sa souveraineté dans le but de la réalisation de l’unité
africaine, serait conforme à la Constitution à condition que cet
abandon de souveraineté se fasse sous réserve de réciprocité et dans
« le respect des droits de l’homme et des peuples, ainsi que des libertés
fondamentales,
garantis
par
les
dispositions
de
valeur
(17)
constitutionnelle »
.
En cas de contrariété avérée entre une disposition d’un Acte
uniforme et celle de la constitution d’un Etat membre, celui-ci peut-il
refuser d’appliquer cette disposition ou tout l’Acte uniforme ? Doit-il
au contraire procéder à la modification de sa constitution ?
La contrariété ainsi précisée fait penser à l’inconstitutionnalité
puisque les deux notions cernent une même réalité : un conflit entre
une constitution et une loi, en l’occurrence un Acte uniforme.
Mais elles se différencient par la voie de leur solution : la voie
législative pour la première et judiciaire, pour la seconde.
La contrariété est la phase du conflit avéré et soumis à l’autorité
politique compétente d’initier la révision de l’Acte uniforme ou de la
constitution.
L’inconstitutionnalité est l’étape du conflit soulevé par un plaideur et
soumis à l’appréciation d’un juge.
Mais dans le contexte spécifique de l’OHADA, la contrariété et
l’inconstitutionnalité trouvent une convergence au niveau de l’instance
de leur appréciation.
En vertu de son droit interne, le gouvernement de l’Etat Partie au sein
duquel il est fait état d’une contrariété, a la latitude de consulter la
Cour constitutionnelle pour obtenir un avis de confirmation ou
d’infirmation de cette contrariété.
Si au cours d’une procédure, l’inconstitutionnalité d’une disposition
d’un Acte uniforme est soulevée devant une juridiction nationale, celle-
17
Lire dixième paragraphe (dixième considérant) de la Décision du Conseil constitutionnel
du Sénégal n° 3/C/93 du 16 décembre 1993.
XII
ci devra surseoir à l’examen du litige en attendant la décision de la
Cour constitutionnelle.
Que la Cour s’exprime par avis ou par arrêt, deux cas de figure
peuvent résulter de cette instance juridictionnelle : le rejet ou la
reconnaissance de la contrariété ou de l’inconstitutionnalité.
L’infirmation de l’une ou de l’autre signifie le statu quo tandis que leur
confirmation devrait conduire à la modification soit de la norme
uniforme soit de la disposition constitutionnelle (18).
Concernant la modification de l’une ou l’autre norme, à ce jour
une seule opinion s’est exprimée en doctrine.
Cette dernière (19) estime que la norme uniforme doit être modifiée au
profit de celle constitutionnelle. Elle fonde sa réflexion essentiellement
sur la hiérarchie des normes selon la théorie contemporaine du droit
international classique.
Mais, tenant compte de la spécificité et de l’originalité du cadre
normatif OHADA – principale critique susceptible d’être adressée à
cette conception -, nous pensons que les structures nationales qui
participent à l’élaboration et à l’adoption des normes uniformes doivent
assumer leur responsabilité intellectuelle, technique et politique en
obtenant la modification de la norme constitutionnelle contraire à la
disposition uniforme.
A première vue, cette problématique rappelle celle de la
hiérarchie des instruments juridiques en présence : l’Acte uniforme et
la constitution.
Le premier procède de l’ordre juridique communautaire et le second,
de l’ordre juridique national.
En l’absence d’un texte qui fusionne les deux ordres, le rang accordé à
chaque instrument est généralement fonction de la primauté de l’ordre
international sur le droit constitutionnel interne ou vice versa.
Ainsi, si l’on considère que l’Acte uniforme, par le fait qu’il procède de
l’ordre juridique communautaire, est supérieur à la constitution, on
devra soutenir l’amendement de la norme constitutionnelle contraire à
la norme uniforme ; et inversement, si l’on admet la primauté du droit
constitutionnel sur le droit international, l’on devra recommander la
modification de la norme uniforme contraire à la disposition de valeur
constitutionnelle.
Quelle que soit l’opinion que l’on défende, l’on ne devrait pas
perdre de vue la question suivante : la recherche de la solution de la
18
Sur les rapports entre les juges nationaux et le droit OHADA, lire notamment Alioune
SALL, « Le juge national et la publication des traités. A propos de l’innovation du traité
OHADA devant les juridictions sénégalaises », Revue EDJA, n° 42, p. 75 et s ; MBOSSO (J.),
« Le rôle des juridictions nationales et le droit harmonisé », Revue de droit des affaires
internationales, n° 2, 2000, p. 216 et s.
19
ONANA ETOUNDI (F.) et MBOCK BIUMLA (J. M.), Cinq ans de jurisprudence commentée
de la Cour commune de justice et d’arbitrage, 3è éd., Abidjan, Cote d’Ivoire, 2008
XIII
contrariété par la démarche de la hiérarchie des normes est-elle
efficace et adaptée à la situation spécifique et originale du système
OHADA ?
Répondre à cette interrogation revient à circonscrire l’objet de
cette étude.
2. Objet de l’étude
Apprécier l’efficacité et la compatibilité de la technique de la
hiérarchie des normes, constituera le principal argumentaire pour
justifier notre solution de la contrariété entre un Acte uniforme et une
constitution nationale.
Certes, notre réflexion pourrait aboutir, par ricochet, à l’établissement
d’un ordonnancement des normes uniformes et constitutionnelles
dans l’ordre juridique communautaire OHADA, mais nous ne
recherchons pas forcément à formuler une nouvelle hiérarchie des
normes dans l’arsenal communautaire dans lequel les normes
uniformes se placeraient au dessus des normes constitutionnelles,
faute d’un droit constitutionnel communautaire.
Notre souci est de décortiquer le cas de contrariété entre des
dispositions uniformes et constitutionnelles et de présenter à l’opinion
notre solution à l’hypothèse de travail.
Cette solution qui indiquera laquelle des normes devra être
maintenue au détriment de l’autre, contiendra des moyens tirés du
droit communautaire et de la spécificité du système juridique OHADA.
Ce système devant se consolider et s’élargir, cette solution donnera des
indications sur les aménagements nécessaires du Traité et des Actes
uniformes pour éviter sinon prévenir des cas de contrariété lors de ces
deux processus.
Ainsi défini par son objet, le sujet mérite d’être précisé par son
intérêt.
3. Intérêt du sujet
Consacré à une question controversée en droit OHADA, en
l’occurrence la constitutionnalité des Actes uniformes, le sujet ne peut
pas être dépourvu d’intérêt scientifique. Outre les avantages classiques
de contribution à la théorie générale du droit OHADA, cette étude nous
permet d’apporter quelques éléments de réflexion au débat sur la
contrariété entre un Acte uniforme et une constitution nationale.
En effet, la solution que nous préconisons dans cette étude
présente l’intérêt de responsabiliser les Commissions Nationales et le
Conseil des Ministres dans leurs tâches respectives.
XIV
Une prise de conscience accrue à leur niveau pourrait éviter en amont
les risques de contrariété entre les normes uniformes et
constitutionnelles.
Mais si par inadvertance, une contrariété a pu échapper aux
membres d’une Commission nationale et du Conseil des Ministres
OHADA, les Ministres de la Justice et des Finances en fonction au
moment des faits doivent assumer leur responsabilité politique ou celle
de leurs prédécesseurs et faire engager par leur gouvernement une
modification de leur constitution.
Le contraire pourrait conduire à la non application d’un Acte
uniforme dans un Etat donné et à exposer ce dernier à engager sa
responsabilité sur la scène communautaire.
Dans le cadre du droit international public classique, le non respect
des engagements pris – en l’occurrence la non application d’un accord
ou traité international – est sanctionné par le principe de la réciprocité,
c’est-à-dire l’autre partie ou les autres contractants vont
immédiatement arrêter l’application dudit accord ou traité
international.
Mais dans le contexte du droit communautaire où la réciprocité est
difficilement concevable ou admissible au risque de mettre en péril
l’œuvre collective, tous les Etats membres doivent appliquer la loi
communautaire sans discontinuité, ni atermoiements.
La présentation des différentes positions de la controverse
constitue en elle-même une contribution évidente à la théorie générale
du droit OHADA, en plus le juge de la contrariété pourrait également
s’inspirer de nos développements pour rappeler les missions d’une
Commission Nationale et les responsabilités des Ministres de la
Justice et des Finances à un gouvernement qui le consulterait au sujet
d’une contrariété, et pour demander à ce dernier de modifier la
constitution concernée.
La précision de l’intérêt du sujet nous permet de mieux le
traiter. Mais selon quelle méthode ?
4. Méthode de travail
Chercher à solutionner la problématique de notre sujet va exiger
une démarche pertinente et adéquate.
Notre étude qui recherche en définitive à contribuer à la
consolidation du droit uniforme OHADA ou à la théorie générale sur le
droit uniforme africain des affaires, sera menée selon la méthode
juridique. Nous ferons appel, en appui à cette méthode, à la technique
documentaire.
XV
Par la méthode juridique, nous analyserons les dispositions du
Traité, des Actes uniformes, des constitutions de la majorité des Etats
membres et de certains pays qui ont manifesté le désir d’adhérer au
Traité OHADA, dispositions susceptibles de concrétiser la contrariété
dont question.
Mais nous pouvons d’emblée relever que la méthode juridique
seule est insuffisante pour nous aider à mener à bien cette réflexion et
à démontrer les arguments de la solution de la contrariété.
Notre étude ne saurait se passer d’une référence constante à la
pratique, c’est-à-dire les agissements des animateurs des institutions
communautaires qui doivent parfois poser des actes en marge du
Traité pour garantir la survie de la communauté (20). Surtout en
Afrique, l’expérience a démontré qu’il n’y a pas toujours une parfaite
symbiose entre le droit positif et la pratique du terrain (21).
C’est pourquoi, la solution de la contrariété va tirer son fondement de
la manière et la philosophie à l’aide desquelles l’OHADA a été modelée
car, comme le dit si bien Emile DURKHEIM, « l’origine première de tout
processus social de quelque importance doit être recherchée dans la
constitution du milieu social interne » (22).
Il nous faut donc dérouler et décrypter la pellicule sur laquelle sont
gravés les différents moments de la mise en place de l’Organisation.
Une fois à l’intérieur du système, nous analyserons la matière qui le
compose, les interactions entre la communauté et ses membres, et les
interférences des animateurs de l’espace communautaire dans le
milieu national.
Nous recourrons à la méthode systémique pour y parvenir.
La démarche de la collecte et du traitement des données étant
précisée, il nous faut présentement traiter le sujet. Mais d’après quel
cheminement ?
5. Plan de l’étude
Le schéma d’élaboration de l’étude tourne autour de deux axes :
le premier s’intitule le contenu de la contrariété et le second, sa
solution.
Nous allons cerner le contenu de la contrariété à travers le
recensement des contrariétés et la constitutionnalité des Actes
uniformes.
20
Cas de l’institution des Commissions nationales OHADA.
CONSTANTINESCO (L. J.), Traité de droit comparé. La méthode comparative, tome II,
LGDJ, Paris, France, 1974, n° 2 et s.
22
DURKHEIM (E.), Les règles de la méthode sociologique, 12è édition ‘Quadrige’, PUF, Paris,
France, 2005, p. 111.
21
XVI
Pour des raisons de présentation, nous regrouperons les
différentes contrariétés recensées sous deux grandes classifications : la
catégorie conceptuelle et matérielle.
La catégorie conceptuelle comprend les oppositions nées de la
différence entre la logique de conception des Actes uniformes dans le
Traité et celle des lois internes dans les constitutions nationales.
La catégorie matérielle assemble les oppositions nées du non respect
d’une disposition de valeur constitutionnelle par une disposition d’un
Acte uniforme.
Deux
mécanismes
vont
nous
aider
à
étudier
la
constitutionnalité des Actes uniformes, à savoir la réception de ces
derniers en droit interne et le contrôle de leur conformité à la loi
fondamentale.
Une fois le problème de la contrariété circonscrit, nous allons
entamer sa résolution.
Nous avons indiqué ci-dessus que la solution de la contrariété consiste
à lever l’option sur l’amendement soit de l’Acte uniforme soit de la
constitution nationale.
Tout au long de l’étude, nous garderons présent à l’esprit le fait qu’au
sein de l’Organisation, le problème de la contrariété peut surgir
aujourd’hui ou demain. Il s’analyse donc comme un défi présent et
futur.
Dans un premier temps, nous allons nous consacrer à la
solution de la problématique d’aujourd’hui. Cette première
configuration de la solution s’appuie sur l’originalité du Traité OHADA.
En effet, pour réussir la mise en exergue de ce caractère original, nous
allons démontrer l’incompatibilité au modèle OHADA des arguments
tirés du droit international classique, arguments qui peuvent justifier
une opinion de la controverse sur la contrariété entre un Acte
uniforme et une constitution nationale.
Et, pour justifier la solution de l’opinion doctrinale que nous
soutenons, nous prendrons appui sur l’engagement international ou
communautaire des Etats membres à travers la responsabilité
technique des Commissions nationales et la responsabilité politique
des Ministres membres du Conseil des ministres.
En second lieu, nous allons nous concentrer sur la solution de
la problématique de demain. Le deuxième aspect de la solution vise la
prévention de la contrariété en recommandant des aménagements du
Traité et des Actes uniformes.
Cette action de prophylaxie exige que le droit uniforme se raffermisse à
l’intérieur de la communauté et s’étende au reste du continent.
Il sera alors question d’extirper du Traité et des Actes uniformes, pour
projeter leur correction, les entourloupes susceptibles d’entraver la
XVII
double et concomitante opération de consolidation et d’élargissement
du droit africain des affaires.
XVIII
Première partie : LE CONTENU DE LA CONTRARIETE
Le contenu de la contrariété résulte de deux racines : il peut en
partie surgir de différentes oppositions pouvant exister entre un Acte
uniforme et une constitution nationale ; et de l’autre, se révéler lors du
processus d’intégration des Actes uniformes en droit constitutionnel
interne.
Les deux branches de cette matière constituent l’objet des deux
titres de cette partie.
C’est à travers le recensement des contrariétés (titre premier) que sera
effectuée l’évaluation des possibles oppositions entre un Acte uniforme
et une constitution nationale.
Quant à l’intégration des Actes uniformes en droit constitutionnel
interne, elle sera développée lors de l’analyse de la constitutionnalité
des Actes uniformes (titre deuxième).
A la lecture des intitulés de la première partie (le contenu de la
contrariété) et du titre premier (le recensement des contrariétés), l’on
s’aperçoit de la différence d’écriture du même mot ‘contrariété’ : forme
singulière dans le premier cas et plurielle, dans le second.
Cette différence n’est pas anodine. Sa raison d’être réside dans
le fait que dans la première énoncée, la forme singulière vise le
XIX
principe d’opposition entre un Acte uniforme et une constitution
nationale sur le plan conceptuel ; tandis que dans la seconde, la forme
plurielle détermine la matérialisation de l’opposition entre les
dispositions d’un Acte uniforme et celles d’une constitution nationale.
En d’autres termes, les constitutions des Etats parties ordonnent que
les matières du droit des affaires soient réglementées par une loi et que
celle-ci soit l’œuvre du législateur national. Mais l’Acte uniforme,
équivalent ou substitut de la loi nationale, n’obéît pas à la ligne de
conduite imposée par la constitution pour régenter les matières du
droit des affaires et n’est pas l’œuvre du législateur national. L’Acte
uniforme amoindrit le droit des Etats de légiférer. Il échappe aux
principes ou à la conception de légiférer institués par les constitutions,
situation que certains ont qualifiée d’abandon de souveraineté (23).
Et, les dispositions d’un Acte uniforme ne doivent pas violer les
prescrits d’une constitution. Ce serait le cas si une disposition d’un
Acte uniforme s’avérait contraire aux droits fondamentaux ou libertés
publiques consacrés dans une constitution.
Cette démarcation nous permet de comprendre que les
contrariétés peuvent se présenter sous un double aspect : conceptuel
et matériel.
Les Actes uniformes constituent le droit dérivé du Traité de
l’OHADA qui a réglé la question de leur introduction en droit interne et
de leur contrariété aux lois nationales (24).
Dans les pays membres où la contrariété conceptuelle avait été
alléguée, celle-ci avait été vidée et tranchée notamment par une
décision de la haute cour constitutionnelle. C’est le cas du Sénégal (25)
et du Bénin (26).
Mais s’il existe une quelconque contrariété matérielle, il se posera un
problème de constitutionnalité de l’Acte uniforme dont il faut examiner
la réception en droit interne et le contrôle de constitutionnalité.
23
KENFACK DOUAJNI (G.), « L’abandon de souveraineté dans le traité OHADA », Penant,
1999, n° 830, p. 125 et s.
24
Lire l’art. 10 du Traité OHADA.
25
Décision du Conseil constitutionnel du Sénégal n° 3/C/93 du 16 décembre 1993.
26
Décision de la Cour constitutionnelle du Bénin DCC-19-94.
XX
Titre premier : LE RECENSEMENT DES
CONTRARIETES
En application de son article 52 al.2°, le Traité OHADA est entré
en vigueur le 18 septembre 1995, c’est-à-dire soixante jours après la
date du dépôt du septième instrument de ratification, celui du Niger
déposé le 18 juillet 1995 (27).
La suite du même alinéa organisait un deuxième cas de figure qui ne
s’est pas réalisé : « Toutefois, si la date de dépôt du septième
instrument de ratification est antérieure au cent quatre-vingtième jour
qui suit le jour de la signature du traité, le traité entrera en vigueur le
deux cent quarantième jour suivant la date de sa signature », le dépôt
du
septième
instrument
de
ratification
étant
intervenu
postérieurement au cent quatre-vingtième jour suivant la signature du
traité (le 17 octobre 1993).
Après l’entrée en vigueur du Traité OHADA, l’Organisation
internationale née de ce traité a procédé à la mise en place des
institutions communes capables d’exercer les prérogatives que les
Etats signataires avaient décidé de transférer à la nouvelle entité.
En effet, le modèle d’intégration choisi par ces Etats exige pour son
effectivité un transfert de compétences nationales à l’Organisation
communautaire et l’institution des mécanismes juridiques spécifiques.
27
Voici l’ordre de sept premiers dépôts d’instrument de ratification : 1) Sénégal : le 14 juin
1994 ; 2) Centrafrique : le 13 janvier 1995 ; 3) Mali : le 23 mars 1995 ; 4) Comores : le 10
avril 1995 ; 5) Burkina Faso : le 16 avril 1995 ; 6) Bénin : le 30 avril 1995 ; 7) Niger : le 18
juillet 1995.
XXI
Le Traité OHADA a confié la création, l’évolution et le respect de
l’ordre juridique communautaire aux institutions suivantes : le Conseil
des ministres ; le Secrétariat permanent ; la Cour commune de justice
et d’arbitrage (CCJA) ; l’Ecole régionale supérieure de la magistrature
(28).
Les contrariétés dont question dans le présent titre concernent
essentiellement les conséquences du pouvoir normatif conféré au
Conseil des ministres.
Ce pouvoir normatif permet la mise en œuvre des instruments
juridiques communautaires, c’est-à-dire l’adoption des Actes
uniformes donnant naissance à un véritable droit communautaire (29).
Chapitre I : La contrariété conceptuelle
Le Traité OHADA a pour principal objet l’harmonisation du
droit des affaires par l’élaboration et l’adoption des règles communes.
Les actes pris pour l’adoption de ces règles communes sont qualifiés
‘Actes uniformes’ (30).
Les matières de droit qui entrent dans le domaine du droit des
affaires issu de l’OHADA sont énumérées de manière non limitative (31)
à l’article 2 du Traité.
Lors de l’entrée en vigueur du Traité et des Actes uniformes, les
matières énumérées non limitativement à l’article 2 faisaient l’objet
dans les Etats membres des lois nationales prises par le pouvoir
législatif en vertu des compétences constitutionnelles.
A cet instant précis, il s’était créé une double opposition : entre les
organes légiférents (Conseil des ministres et parlement) et les
substrats normatifs (Acte uniforme et loi) au sein des constitutions des
Etats membres.
Des
principes
généraux
du
constitutionnel) et conventionnels (issus
rapidement aider à dissiper la divergence
pour lui substituer une coexistence
28
29
droit
(international
et
du Traité OHADA) vont
conceptuelle ainsi générée
entre l’organe législatif
ISSA-SAYEGH (J.) et LOHOUES-OBLE (J.), op. cit., p. 155.
GOMEZ (J. R.), Entreprises en difficulté. Lecture de l’Acte uniforme de l’OHADA portant
organisation des procédures collectives d’apurement du passif à la lumière du droit français,
Bajag-Meri, Paris, France, 2003, p. 15.
30
Lire art. 1er et 5 du Traité de l’OHADA.
31
La liste des matières harmonisables arrêtées par l’article 2 du Traité peut être et a déjà été
complétée par le Conseil des ministres (Décision n° 002/2001/CM relative au programme
d’harmonisation du droit des affaires en Afrique).
XXII
communautaire et les organes législatifs nationaux d’une part et de
l’autre, entre Actes uniformes et lois nationales (section 1).
Mais à l’issue d’une réflexion profonde sur le brassage des substrats
normatifs, l’on se rend compte d’un choc entre Acte uniforme et loi
nationale en droit constitutionnel interne (section 2).
Section 1 : La divergence conceptuelle
Légiférer est un des attributs de la souveraineté nationale
appartenant au peuple de chaque Etat qui l’exerce par ses
représentants ou par la voie du référendum.
Les constitutions des Etats membres reconnaissent que l’Etat « peut
conclure avec tout Etat africain des accords d’association ou de
communauté comprenant abandon partiel ou total de souveraineté en
vue de réaliser l’unité africaine » (32).
Cette disposition qui restreint l’abandon de souveraineté aux
seules limites interafricaines résout la question des associations ou
regroupements d’Etats dans un but commun d’organisation du
fonctionnement de leurs organisations politiques, économiques,
sociales et culturelles. Considérant les facilités juridiques en vue de
l’intégration africaine contenues dans cette disposition, les pays
favorables à l’OHADA mais dont les constitutions ne la reprenaient
pas, ont décidé de l’introduire par une révision constitutionnelle (33).
Généralement, aucun problème d’abandon de souveraineté ne
se pose lors de la création des associations ou regroupements d’Etats
où aucun attribut de la souveraineté nationale ne fait l’objet d’un
amoindrissement.
Mais il en est ainsi dans les organisations interafricaines qui créent
des communautés de droit, où cette question de souveraineté se pose à
un double niveau : celui du Droit des Etats et celui des Droits
fondamentaux garantis par la constitution.
Avant la mise en place des institutions de l’OHADA, les
matières des Actes uniformes relevaient de la compétence du pouvoir
32
Art. 148 et 149 de la Constitution du Bénin du 2/12/1990 ; art. 146 de la Constitution du
Burkina Faso du 27/01/1997 ; art. 67 de la Constitution de Centrafrique du 14/01/1995
qui soumet au référendum la conclusion de pareils accords ; art. 182 de la Constitution du
Congo du 20/01/2002 ; art. 115 de la Constitution du Gabon du 26 mars 1991 telle que
modifiée par les lois du 18 mars 1994, du 29 septembre 1995, du 22 avril 1997 et du 11
octobre 2000 ; art. 117 de la Loi fondamentale du 25 février 1992 ; art. 133 de la
Constitution du Niger du 18 juillet 1999 promulguée par le Décret n° 99-320/PCRN du 09
août 1999 ; art. 96 de la Constitution du Sénégal du 7 janvier 2001 ; art. 218 de la
Constitution du Tchad du 31 mars 1996.
33
RAYNAL (J.-P.), « Intégration et souveraineté : le problème de la constitutionnalité du
Traité OHADA », Penant, n° 832, Janvier – Avril 2000, p. 5.
XXIII
législatif national dont les prérogatives sont généralement exercées de
manière concurrente par le parlement et le chef de l’Etat.
A l’avènement des Actes uniformes, le Conseil des ministres qui s’est
substitué au législateur national avait-il agi dans le respect du Droit
des Etats de se doter des lois ?
Pour ne pas être qualifiées d’inconstitutionnelles, les lois du législateur
national doivent être prises dans le respect des procédures
d’élaboration fixées par la constitution et dans le respect des Droits
fondamentaux garantis dans la même constitution.
Les Actes uniformes qui les ont remplacées sont-ils soumis à la même
contrainte constitutionnelle ?
Ces deux interrogations stigmatisent le contenu de la
divergence conceptuelle entre les Actes uniformes et une constitution
nationale.
§1. Les composants de la divergence
En disposant que « les traités et accords internationaux
régulièrement ratifiés ou approuvés ont dès leur publication, une
autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque traité ou
accord, de son application par l’autre partie » (34), les constitutions
nationales
visent-elles
toutes
les
sortes
de
conventions
internationales ?
Nous estimons que cette disposition constitutionnelle ne
concerne que les traités et accords internationaux non créateurs de
communauté de droit. Il s’agit de simples traités et accords
internationaux que nous pouvons qualifier de synallagmatiques et
auxquels la réserve de réciprocité est compatible.
La réciprocité, définie comme étant la situation dans laquelle un
Etat assure à un autre Etat ou à ses ressortissants un traitement
équivalent à celui que lui réserve ce dernier (35), cadre bien avec la
nature des relations nées des traités et accords synallagmatiques où
les cocontractants garantissent des traitements équivalents à euxmêmes ou à leurs ressortissants et non, avec celle des relations nées
des traités intégrateurs ou créateurs des communautés de droit où
l’organisation internationale garantit aux Etats et à leurs résidents les
intérêts communs qui ont justifié la création de ladite communauté.
34 Art. 147 de la Constitution du Bénin ; art. 151 de la Constitution du Burkina Faso ; art.
45 de la Constitution du Cameroun ; art. 69 de la Constitution du Centrafrique ; art. 184 de
la Constitution du Congo ; art. 87 de la Constitution de la Cote d’Ivoire ; art. 79 de la
Constitution de Guinée ; art. 116 de la Constitution du Mali ; art. 132 de la Constitution du
Niger ; art. 98 de la constitution du Sénégal ; art. 222 de la Constitution du Tchad ; art. 140
de la Constitution du Togo.
35
Vocabulaire juridique Henri Capitant (sous la direction de Gérard CORNU),
PUF/Quadrige, 2006, p. 754.
XXIV
Dans ce contexte, la réserve de réciprocité est difficilement concevable
dans les relations internationales nées d’une communauté de droit.
Les traités et accords internationaux qui organisent une communauté
de droit ne créent pas une réciprocité de traitements entre Etats
membres mais une interaction de droits et obligations entre la
communauté et les Etats parties. Les communautés de droit qu’ils
créent acquièrent une certaine indépendance ou liberté à l’égard des
constitutions nationales notamment pour l’organisation de la
procédure d’élaboration et d’adoption des normes communautaires.
C’est le cas du Traité OHADA qui organise cette procédure en ses
articles 6 à 8.
Par le vœu même des constitutions nationales qui ont admis la
création de la communauté de droit OHADA, les Actes uniformes
obéissent non pas aux contraintes procédurales constitutionnelles
d’élaboration et d’adoption mais à celles conventionnelles.
En est-il de même en ce qui concerne le droit des Etats et les
droits fondamentaux des citoyens garantis par les constitutions
nationales et que les Actes uniformes doivent respecter ?
a) Actes uniformes et Droit des Etats
Le Traité de Port Louis du 17 octobre 1993 relatif à
l’harmonisation du Droit des affaires en Afrique, dit Traité de l’OHADA,
a amoindri le contenu du Droit des Etats en transférant une partie du
pouvoir législatif et judiciaire en matière de droit des affaires au profit
du Conseil des ministres et de la CCJA non soumis à l’autorité de
l’Etat et aux contraintes constitutionnelles.
En effet, ce traité donne compétence, en lieu et place du législateur
national, au Conseil des ministres de légiférer par des Actes uniformes
dans les matières du droit des affaires définies à son article 2 et toutes
celles déclarées harmonisables par le Conseil des ministres. Sur le
plan judiciaire, il donne compétence, en lieu et place des cours
suprêmes ou de cassation nationales, à la Cour commune de justice et
d’arbitrage d’examiner et de trancher sur tout pourvoi en cassation
relatif aux Actes uniformes.
Si ces compétences notoirement connues comme relevant du
Droit des Etats ont été transférées à des organes extranationaux, nous
pensons que c’est de par le vœu même des constitutions nationales
que ce transfert a été réalisé. Ce dernier nous paraît inhérent à
l’essence de tout engagement international surtout créateur d’une
communauté de droit comme le reconnaît le Conseil constitutionnel du
Sénégal dans la motivation de sa décision du 16 décembre 1993 en ces
termes : « Considérant qu’il n’en résulte cependant ni changement du
statut international du Sénégal en tant qu’État souverain et
XXV
indépendant, ni modification de son organisation institutionnelle ; que le
dessaisissement de certaines de ses institutions — Cour de Cassation,
mais aussi Assemblée nationale — n’est ni total ni unilatéral, qu’il s’agit
donc, en l’espèce, non pas d’un abandon de souveraineté, mais d’une
limitation de compétences qu’implique tout engagement international et
qui, en tant que telle, ne saurait constituer une violation de la
Constitution, dans la mesure où celle-ci, en prévoyant la possibilité de
conclure des traités, autorise, par cela même, une telle limitation de
compétences ».
La question que suscite la lecture de cette motivation est de
savoir s’il s’agit d’un abandon de souveraineté ou d’une limitation de
compétences.
Réfléchissant sur cette interrogation, Alioune SALL (36) nous
présente l’analyse suivante :
« L’originalité de la décision sénégalaise est qu’elle admet les ‘abandons
de souveraineté’. Alors que la jurisprudence française rejette un pareil
abandon, le juge sénégalais conçoit volontiers une telle éventualité. On
avait pourtant pu croire que celui-ci, en distinguant les ‘abandons de
souveraineté’ des ‘limitations de compétences’ et en ne retenant que
celles-ci dans l’espèce, invaliderait ceux-là. Il n’en est donc rien. On peut
dès lors se demander si la discrimination établie n’a pas qu’un intérêt
purement théorique puisqu’en tout état de cause, les uns comme les
autres restent possibles en l’état actuel de la Constitution sénégalaise.
C’est ici que la décision devient suspecte de mimétisme. Au bout du
compte, il apparaît, contrairement à la jurisprudence française, que la
distinction relevée ne présentait aucun intérêt pour la solution du
problème posé. Somme toute, le juge sénégalais aurait pu faire
l’économie de telles subtilités. En admettant même qu’il élève son propos
pour indiquer que la Constitution autorise des sacrifices de souveraineté
autrement plus importants que ceux que stipule le Traité de Port-Louis, il
aurait pu se dispenser d’une construction fine et séduisante, mais en
définitive inutile.
En fait, tout porte à croire que la plume du juge a trahi sa pensée, c’està-dire qu’obsédé par la jurisprudence française — qui, il est vrai, était
confrontée à un problème analogue — il n’a pu s’empêcher d’en
reproduire les termes.
Au reste, qu’il s’agisse de la jurisprudence française ou de la
jurisprudence sénégalaise, il est permis de s’interroger sur la valeur
opérationnelle de la distinction proposée. La difficulté de la cerner avec
précision a été soulignée par la doctrine, et le Conseil constitutionnel
français, dans sa jurisprudence plus récente, adopte des formules moins
stéréotypées, plus pragmatiques ».
36
Alioune SALL, note sous Conseil Constitutionnel du Sénégal, arrêt n° 3/C/93 du 16
décembre 1993, Penant n° 827, p. 225.
XXVI
S’il est vrai que sur le plan opérationnel, ‘abandon de
souveraineté’ et ‘limitation de compétences’ produisent les mêmes
effets juridiques, il nous paraît moins vrai qu’un ’‘abandon de
souveraineté’ total ou partiel soit réalisable sans mettre en péril
l’existence même de l’Etat, la souveraineté étant propre ou inhérente à
l’Etat (37).
En effet, si nous admettons avec Doudou NDOYE (38) que « la
souveraineté consiste pour un groupe organisé en Etat, au droit qui lui
est reconnu par la communauté internationale de prendre toutes les
mesures relatives à la vie du groupe à l’intérieur de ses frontières, et
aussi de passer et entretenir avec tout autre groupe de même type, des
relations dites internationales », nous paraissent transférables seuls les
attributs qui composent cette souveraineté. Ces attributs se traduisent
par des compétences dans la pratique.
Dans le même ordre d’idées, Henri-Marcel NOAH (39) s’exprime comme
suit : « … Ce qui revient à dire que les transferts de pouvoir ou ‘abandon
de souveraineté’ demeurent prohibés parce qu’ils touchent à l’essentiel
de la puissance de l’Etat, tandis que les limitations ou délégations de la
puissance publique sont autorisées parce qu’elles affectent des éléments
secondaires de la puissance publique… »
En admettant que les Etats partagent certaines de leurs
compétences avec des organes internationaux, les constitutions
nationales concèdent que les Etats n’exercent plus les prérogatives
transférées encore qu’ils en conservent la jouissance et un droit de
regard sur l’effectivité internationale.
Il en découle que le Droit des Etats de légiférer et d’organiser la
cassation dans les matières harmonisées n’a plus le contenu décrit
dans les constitutions nationales : il a été amoindri par l’avènement
des Actes uniformes. La Cour constitutionnelle du Sénégal le reconnaît
lorsqu’elle affirme que le dessaisissement de certaines institutions du
Sénégal — Cour de Cassation, mais aussi Assemblée nationale — n’est
ni total ni unilatéral (40). S’il n’est pas total, il est au moins partiel. S’il
est partiel, c’est qu’il existe.
Néanmoins cette contrariété conceptuelle avérée ne devrait pas
entraîner l’inconstitutionnalité du Traité OHADA ou des Actes
uniformes puisque le dessaisissement des Etats n’est pas unilatéral
mais voulu par leurs constitutions qui agréent le transfert de
37
ISSA-SAYEGH (J.), « L’intégration juridique des Etats africains dans la zone Franc »,
Penant n° 824, mai-août 1997, pp. 147-148.
38
Doudou NDOYE, La constitution sénégalaise du 7 janvier 2001 commentée et ses pactes
internationaux annexés, 1ère éd., E.D.J.A, Dakar, 2001, p. 55
39
NOAH (H. M.), « L’espace dual du système OHADA », L’effectivité du droit de l’OHADA,
Collection Droit uniforme, P.U.A, Yaoundé, Cameroun, 2006, pp. 37 et ss
40
La Cour suprême du Bénin a opiné dans le même sens ; lire Cour constitutionnelle du
Bénin, Décision DCC-19-94.
XXVII
compétences implicite et inhérent à tout engagement international, a
fortiori lorsque celui-ci crée une communauté de droit.
Ayant pris la place des lois nationales en matière du droit des
affaires, les Actes uniformes doivent, pour ne pas être qualifiés
d’inconstitutionnels, respecter les droits fondamentaux des citoyens
garantis dans les constitutions nationales.
b) Actes uniformes et Droits fondamentaux des citoyens
Dans son célèbre arrêt du 16 décembre 1993, le Conseil
constitutionnel du Sénégal souligne la nécessité et l’obligation pour les
Actes uniformes de ne pas violer les droits fondamentaux des citoyens
en ces termes : « Considérant en effet que la réalisation de l’unité
africaine impliquant nécessairement un abandon de souveraineté de la
part des États qui y participent, le peuple sénégalais, par cette ‘décision
constitutionnelle’ accepte d’accomplir un tel ‘effort’ qu’il s’ensuit qu’un
engagement international, par lequel le Sénégal consentirait à
abandonner sa souveraineté dans ce but, serait conforme à la
Constitution à condition que cet abandon de souveraineté se fasse sous
réserve de réciprocité et dans le respect des droits de l’homme et des
peuples, ainsi que des libertés fondamentales, garantis par les
dispositions de valeur constitutionnelle ».
Les Actes uniformes peuvent-ils être soumis aux réserves de
réciprocité et de respect des droits de l’homme et des peuples ainsi que
des libertés fondamentales, garantis par les dispositions de valeur
constitutionnelle ?
Certains auteurs pensent que la réponse est difficile, car il
s’agit de l’exercice d’un pouvoir supranational délégué à l’ordre
international par le Droit conventionnel supérieur au droit interne (41).
Nous estimons que la réponse à cette interrogation variera
selon que l’on prend en considération la réserve de réciprocité ou celle
relative aux droits de l’homme et des peuples ainsi qu’aux libertés
fondamentales.
La réserve de réciprocité ne peut porter que sur un traité ou
accord international et non, sur le droit qui en dérive. En effet,
Actes uniformes, droit dérivé du Traité OHADA, s’appliquent dans
Etats membres non pas en tant que normes internationales mais
qualité de droit communautaire et national comme nous
développerons infra.
41
un
les
les
en
le
Doudou NDOYE, op. cit., p. 57 ; Doudou NDOYE, « Organisation pour l’harmonisation du
Droit des affaires en Afrique », Revue Edja, n° 22 juillet – août – septembre 1994 ; OLINGA
(A. D.), « Les traités internationaux dans l’ordre juridique camerounais », Revue Edja, n° 24,
mars 1995, p. 31.
XXVIII
Si l’on admet qu’un Acte uniforme est aussi une loi nationale, en
revanche peut-on admettre qu’un Etat fasse des réserves de réciprocité
contre sa loi nationale ?
Nous ne le pensons pas. Quand bien même un Etat membre refuserait
d’appliquer un Acte uniforme jugé contraire à la constitution, la
réserve de réciprocité exercée par un ou plusieurs autres Etats
membres nuirait-elle à l’Etat déclencheur de la suspension ou à ceux
qui continuent de l’appliquer ?
Nous estimons que pareille réciprocité ne nuit ni à l’un ni aux autres
mais bien à la communauté (même si celle-ci est composée de ces
différents Etats) dont la mission est de garantir un droit uniforme à
ses membres.
Les Actes uniformes ne peuvent pas contenir de dispositions
qui violent les droits fondamentaux et libertés publiques garantis par
les constitutions nationales. Ils sont donc tenus de s’y soumettre.
Eu égard aux matières dévolues aux Actes uniformes et aux
constitutions nationales, nous pouvons affirmer que c’est uniquement
à ce niveau que l’on peut rencontrer une contrariété entre un Acte
uniforme et une constitution nationale.
Dans le cadre du présent recensement des contrariétés entre le droit
uniforme et le droit constitutionnel interne, nous les avons regroupées
sous l’intitulé de contrariété matérielle.
Après cette esquisse sur les composants de la divergence
conceptuelle, celle-ci doit être complétée par le bénéfice de la
présomption de constitutionnalité attribuée aux Actes uniformes.
§2. La présomption de constitutionnalité des Actes uniformes
Si la question de la constitutionnalité du Traité OHADA a été
soulevée a priori (42) ou a posteriori (43) son entrée en vigueur dans
certains Etats membres, il n’en a pas été le cas en ce qui concerne les
Actes uniformes.
Dans tous les Etats membres, dès lors que le Traité est entré en
vigueur ou reconnu conforme à la constitution, l’application des Actes
42
Cas de la République du Sénégal dont le Président de la République avait saisi, par
requête du 29 novembre 1993, le Conseil constitutionnel avant le vote de la loi autorisant la
ratification du Traité. Cas du Bénin.
43
Cas de la République du Congo dont le Garde des Sceaux avait saisi, par lettre du 1er
septembre 1998, la Cour Suprême après le vote de la loi ayant autorisé la ratification du
Traité. Selon cette Cour, les articles 13, 14, 15, 16 et 20 du Traité ne sont pas conformes à
l’Acte fondamental de la République du Congo du 24 octobre 1997 pris en ses articles 71 et
72 en ce qu’ils « tendent à ôter à la Cour suprême notamment, plus haute juridiction nationale,
une partie de ses compétences naturelles en matière de cassation, de même qu’ils tendent à
retirer aux juridictions nationales la fonction d’exequatur ». Cour suprême du Congo, 1er
septembre 1998, Penant, 2002, n° 838, p. 116, note MOUDOUDOU ; BOUMAKANI (B.), « La
constitution congolaise et le traité relatif à l’OHADA », Penant, 2001, n° 836, p. 202 et s ;
www.ohada.com/Jurisprudence, observation MASSAMBA.
XXIX
uniformes s’en est suivie comme si ceux-ci ne sauraient faire l’objet
d’un contrôle de constitutionnalité.
Ainsi, les Actes uniformes ont comme bénéficié d’une présomption de
constitutionnalité, véritable « immunité constitutionnelle » (44), ou d’un
« acquis constitutionnel par définition des normes originaires » (45).
De la conformité du Traité OHADA aux constitutions nationales, l’on a
déduit celle des Actes uniformes aux mêmes lois fondamentales : d’où
le constat de présomption de constitutionnalité des Actes uniformes
aux constitutions nationales.
Pour concrétiser ce qui pourrait paraître comme une fraude à la
contrainte constitutionnelle, le Traité OHADA a donné compétence
exclusive au Conseil des ministres pour adopter les Actes uniformes et
exclu toute intervention des parlements nationaux dans le processus
d’élaboration et d’adoption de ces lois internationales.
a) La compétence exclusive du Conseil des ministres
Le Conseil des ministres tire cette compétence de l’article 6 du
Traité qui dispose que les Actes uniformes sont délibérés et adoptés
par le Conseil des Ministres après avis de la Cour commune de justice
et d’arbitrage.
Cet organe est composé des Ministres chargés de la Justice et
des Ministres chargés des Finances, certainement pour impliquer les
deux responsables dans les gouvernements nationaux de l’objet de
l’organisation internationale, le droit des affaires. Cette composition
fait du Conseil des ministres un organe intergouvernemental et non un
organe communautaire à proprement parler (46).
Le Conseil des ministres ne peut valablement délibérer que si
les deux tiers au moins des Etats membres sont représentés. En
principe et généralement, ses décisions sont prises à la majorité
absolue des Etats membres présents et votants ; mais pour l’adoption
des Actes uniformes, celle-ci requiert l’unanimité des représentants
des Etats parties présents et votants.
Si un Etat membre voudrait s’opposer à l’adoption d’un Acte
uniforme pour une quelconque raison, ses représentants doivent
impérativement exprimer leur vote négatif et non se contenter d’une
44
SIMON (D.), Le système juridique communautaire, coll. ‘Droit fondamental’, P.U.F, Paris,
1997, p. 290
45
DARMON (M.), « Juridictions constitutionnelles et droit communautaire », RTDE, 1988, p.
229
46
MAMADOU KONE, Le nouveau droit commercial des pays de la zone OHADA, LGDJ,
Paris, France, 2003, p. 8.
XXX
inopérante abstention car celle-ci ne fait pas obstacle à l’adoption des
Actes uniformes.
Au vu des prérogatives attribuées au Conseil des ministres par
le Traité, cet organe est qualifié de pouvoir exécutif.
On peut alors se demander pourquoi on a confié une compétence
législative à un pouvoir exécutif.
Répondre à cette interrogation revient à aborder la question de
l’exclusion des parlements nationaux du processus d’élaboration et
d’adoption des Actes uniformes.
b) L’exclusion des législateurs nationaux
Les parlements nationaux n’ignorent pas l’organisation née du
Traité de Port Louis du 17 octobre 1993 relatif à l’harmonisation du
Droit des affaires en Afrique puisqu’ils ont voté les lois de ratification
ou d’adhésion qui ont autorisé les chefs d’Etat d’agir en conséquence.
A cette occasion, ils ont dû prendre connaissance de leur exclusion du
processus d’élaboration et d’adoption des Actes uniformes, exclusion
consacrée à l’article 6 du Traité qui dispose : « Les Actes uniformes
sont préparés par le Secrétariat Permanent en concertation avec les
gouvernements des Etats Parties ».
L’implication du législateur national pouvait être envisagée à
travers divers procédés notamment soumettre tout avant-projet d’Acte
uniforme à la lecture des parlements nationaux pour avis,
conditionner l’entrée en vigueur de tout Acte uniforme à un acte des
parlements nationaux, faire des Actes uniformes des simples directives
que les parlements nationaux devraient transformer en lois internes.
Si les rédacteurs du Traité ont exclu toute intervention des
parlements nationaux (47) et « opté pour la procédure directe, (…) c’est à
cause des inconvénients qui s’attachent à chacune de ces formules et
qui peuvent se ramener au risque d’obtention de mosaïques de textes, à
des difficultés de mise en application, au manque d’efficacité si des
mécanismes juridiques de contrainte au plan communautaire et au plan
interne ne sont pas pris » (48).
Pour écarter l’intervention des parlements nationaux dans le
processus d’élaboration et d’adoption des Actes uniformes, le Traité a
recommandé au Secrétariat Permanent la concertation avec les
gouvernements des Etats Parties sans en donner de détails.
47
Cependant ALHOUSSEINI MOULOUL (Le régime juridique des sociétés commerciales dans
l’espace OHADA : l’exemple du Niger, LGDJ, Paris, France, 2005, p. 30) souhaite que les
assemblées nationales et les chambres de commerce soient étroitement associées à
l’élaboration des Actes uniformes.
48
ISSA-SAYEGH (J.) et LOHOUES-OBLE (J.), op. cit., pp. 125 – 126.
XXXI
Présentement, cette concertation est assurée par les
commissions nationales instituées par le Conseil des Ministres. Ces
dernières sont composées d’experts issus de diverses structures
nationales et chargés de fournir au Secrétariat Permanent les
observations et préoccupations des Etats membres sur les avantprojets d’Actes uniformes.
Mais l’implication des Commissions nationales n’a pas permis à
ces jours aux Actes uniformes de résorber tout le droit national. En
conséquence, dans les matières harmonisées, le droit applicable est
composé du droit uniforme et du droit national comme cela apparaît à
l’issue de l’opération de mise en conformité entre le droit uniforme et le
droit national et réciproquement.
Section 2 : La coexistence du droit uniforme et du droit national
Parmi les méthodes d’intégration juridique, le Traité OHADA a
opté pour le principe de la supranationalité qui lui permet d’introduire
directement des normes communautaires dans l’ordre juridique
interne de ses Etats membres.
Cette technique utilisée par l’OHADA pour uniformiser les
législations nationales est incontestablement une solution courageuse.
Nous allons la développer infra.
Néanmoins, l’opération de mise en conformité permet de déceler
une certaine tiédeur normative dans la technique d’uniformisation des
législations nationales par les Actes uniformes.
En effet, à l’issue de cette opération sur pied de l’article 10 du Traité et
de l’avis du 30 avril 2001 de la CCJA, il demeure des dispositions de
droit national, parce que non contraires au droit uniforme, en quantité
variée selon les Etats et les matières couvertes par les Actes uniformes.
La survivance de ce droit national non contraire au droit
uniforme pose le problème de la qualification de la mise en commun
du droit uniforme et du droit national non contraire, et celui de la
détermination de la compétence sur le droit national non contraire.
§1. La difficulté de qualification de la législation applicable dans les
matières harmonisées
L’opération de mise en conformité permet de spécifier les
dispositions de droit national identiques, contraires et non contraires
au droit uniforme.
XXXII
De manière générale, sur pied de l’article 10 du Traité, les
dispositions de droit national identiques et contraires au droit
uniforme doivent être écartées de l’arsenal juridique des Etats
membres en rapport avec la matière de l’Acte uniforme concerné.
De façon spécifique, l’ambivalence du droit national (49) des
affaires peut être martelée par les dispositions d’un Acte uniforme.
Il en est ainsi notamment de l’Acte uniforme relatif au Droit
commercial général qui en son article premier dispose :
« Tout commerçant, (…), est soumis aux dispositions du présent Acte
uniforme.
« En outre, tout commerçant demeure soumis aux lois non contraires
au présent Acte uniforme, qui sont applicables dans l’Etat partie où se
situe son établissement ou son siège social ».
Dans les Etats membres, le droit applicable est composé de
l’Acte uniforme concerné et de tout ou partie des lois nationales non
contraires à ce dernier.
Comment peut-on qualifier ou dénommer cette mise en
commun ? En effet, après l’opération de mise en conformité, un Etat
membre peut reprendre dans un document unique le texte de l’Acte
uniforme relatif au Droit Commercial Général et les différentes
dispositions non contraires de ses lois nationales. Il peut agir ainsi
pour tous les huit actuels Actes uniformes.
Il nous paraît difficile de qualifier ou dénommer ce document Acte
uniforme et encore moins loi. Cette difficulté de qualification va
persister aussi longtemps que les constitutions nationales vont ignorer
la notion d’Acte uniforme et conserver leurs dispositions qui attribuent
à la loi la compétence de régir les matières harmonisées.
§2. La difficulté de détermination de la compétence sur le droit
national non contraire au droit uniforme
Un autre problème pas de moindre est celui de déterminer la
compétence législative de modification et la compétence judiciaire sur
les lois nationales non contraires au droit uniforme.
L’interprétation qui a été faite de l’article 10 du Traité est allée
dans le sens d’interdire aux Etats membres de prendre des nouvelles
lois dans les matières faisant l’objet d’Acte uniforme.
49
Contrairement à l’opinion qui parle de l’ambivalence du droit OHADA, nous estimons
plutôt que l’uniformisation introduite par la réforme OHADA crée une ambivalence dans le
droit des affaires des Etats membres, lequel est désormais composé de deux pans distincts :
les Actes uniformes et le droit national des affaires non contraire ; mais que le droit
communautaire en lui-même (composé du Traité, des Actes uniformes, des Règlements et
des Décisions) n’est pas ambivalent. Cet ensemble ambivalent, quoique fait en partie des
Actes uniformes, n’est pas le droit OHADA mais plutôt le droit national.
XXXIII
Cette interdiction concerne-t-elle l’abrogation et la modification des lois
nationales non contraires au droit uniforme ?
Si ultérieurement à l’opération de mise en conformité,
l’abrogation du droit national survivant doit être logiquement admise
parce qu’elle contribue à l’uniformisation recherchée, la modification
des lois nationales non contraires doit-elle être considérée interdite au
même titre que l’adoption des nouvelles lois ?
En cas de nécessité de leur modification, l’intervention du législateur
national équivaudra-t-elle à prendre des nouvelles lois dans une
matière déjà régie par un Acte uniforme ?
Comme les lois nationales non contraires demeurent sous la
compétence du législateur national, nous y répondons par la négative.
En effet, même si modifier une loi revient à légiférer, l’interdiction qui
découle de l’interprétation de l’article 10 du Traité concerne le fait de
légiférer sur une matière faisant déjà l’objet d’un Acte uniforme et le
fait de modifier un Acte uniforme. Mais elle ne peut pas s’étendre au
droit national non contraire.
Ce qui revient à dire que les Etats membres conservent le droit
d’abroger les lois nationales non contraires, si par exemple elles
cessent de remplir leur rôle de compléter utilement le droit uniforme.
L’autre branche de cette difficulté est de déterminer la
compétence de cassation sur les lois nationales non contraires.
Selon le vœu des fondateurs du système OHADA, le pourvoi en
cassation en matière du droit des affaires relève de la Cour commune
de justice et d’arbitrage (50).
Aux termes de l’article 14 du Traité, ce pourvoi est limité aux seules
affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes
uniformes et des règlements relatifs au dit traité.
Qu’adviendrait-il en cas de pourvoi fondé sur la violation des
lois nationales non contraires ou sur la violation à la fois du droit
uniforme et du droit national survivant ?
En cas de double violation, la compétence de la CCJA à
examiner les moyens fondés sur les lois nationales non contraires
pourrait être justifiée sur base du principe de l’unicité du pourvoi.
50
Art. 14 al. 3°, 4° et 5° du Traité OHADA :
« Saisie par la voie du recours en cassation, la Cour commune de justice et d’arbitrage se
prononce sur les décisions rendues par les juridictions d’appel des Etats Parties dans toutes
les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes et des
règlements prévus au présent Traité à l’exception des décisions appliquant des sanctions
pénales.
« Elle se prononce dans les mêmes conditions sur les décisions non susceptibles d’appel
rendues par toute juridiction des Etats Parties dans les mêmes contentieux.
« En cas de cassation, elle évoque et statue sur le fond ».
XXXIV
Lorsque le pourvoi ne porte que sur la violation des seules
dispositions des lois nationales non contraires, la compétence devrait
revenir a priori à la cour de cassation nationale ; mais afin de renforcer
l’uniformisation et de garantir l’interprétation des Actes uniformes en
particulier et du droit des affaires en général, il serait souhaitable que
la compétence en revienne à la CCJA.
Dans les deux cas de figure, si une cour de cassation nationale
est saisie du pourvoi, la partie au procès qui estime que cette
juridiction a méconnu la compétence de la CCJA, doit obligatoirement
soulever son incompétence car cette exception est d’ordre privé
contrairement
au
caractère
d’ordre
public
de
l’exception
d’incompétence en droit interne. Faute de l’avoir fait, la CCJA ne
cassera pas la décision de la haute juridiction nationale.
Voilà exposée la contrariété conceptuelle entre les Actes
uniformes et les constitutions nationales.
Il nous revient présentement de recenser les dispositions des Actes
uniformes susceptibles d’amoindrir les droits de l’homme et des
peuples ainsi que les libertés fondamentales définis dans les
constitutions nationales à travers la contrariété matérielle.
Chapitre II : La contrariété matérielle
La contrariété matérielle se concrétise par une contradiction
entre une disposition d’un Acte uniforme et une disposition
constitutionnelle, une disposition de valeur constitutionnelle ou un
principe général du droit constitutionnel d’un Etat membre.
C’est dans l’Acte uniforme relatif aux procédures simplifiées de
recouvrement des créances et voies d’exécution (51) que nous avons
51
Pour les commentaires sur cet Acte uniforme, lire notamment ASSI-ESSO (A.-M.) et
DIOUF (N.), OHADA. Le recouvrement des créances, collection Droit uniforme, Bruylant,
Bruxelles, Belgique, 2002 ; ANOUKAHA (F.) et TJOUEN (A. D.), Les procédures simplifiées
de recouvrement et les voies d’exécution en OHADA, collection Droit uniforme, Presses
universitaires d’Afrique, Yaoundé, Cameroun, 1999 ; ISSA-SAYEGH (J.), POUGOUE (P.-G.)
et SAWADOGO (F.-M.), OHADA. Traité et actes uniformes commentés et annotés, Juriscope,
Porto-Novo, 1999 ; POUGOUE (P. G.), Présentation générale et procédure en OHADA,
XXXV
décelé des dispositions qui affectent le contenu de deux principes de
valeur constitutionnelle : le droit de la défense basé sur la nullité d’un
acte de procédure et le droit de recours contre une exécution
provisoire.
Parmi les droits de la défense constitutionnellement garantis
que peut évoquer un plaideur, figure celui d’alléguer la nullité d’un
acte de procédure entaché d’irrégularité.
Le régime juridique des nullités des actes défini par l’AUPSRVE a
tellement bouleversé celui connu dans les Etats membres que
d’aucuns sont enclins à conclure à une violation du droit de la défense
fondé sur la nullité d’un acte.
Le principe du double degré de juridiction est également garanti
par les constitutions nationales. Si une décision de justice faisant
l’objet d’un recours contient une clause d’exécution provisoire,
l’appelant peut, avant l’examen au fond de son recours, faire surseoir
cette exécution provisoire par la procédure de défense à exécuter.
Une disposition de l’AUPSRVE et l’interprétation que la CCJA en a
donnée, ont porté un sévère coup au régime de liberté connu dans les
Etats membres en matière de défenses à exécuter à telle enseigne que
l’idée d’une « mort » des défenses à exécuter (52), par ricochet celle du
principe constitutionnel du double degré de juridiction contre
l’exécutoire provisoire, a même été évoquée.
L’appréhension de ces deux principes par l’AUPSRVE fera l’objet
de deux sections de ce chapitre.
Section 1 : Le droit de la défense fondé sur la nullité d’un acte
Dans les Etats membres, le régime des nullités antérieur à la
réforme OHADA distinguait les nullités de fond et de forme.
Les premières peuvent être sanctionnées même sans texte et même
sans grief et être invoquées en tout état de cause.
collection Droit uniforme, Presses universitaires d’Afrique, Yaoundé, Cameroun, 1998 ;
MARTOR (B.) ; PILKINGTON (N.), SELLERS (D.) et THOUVENOT (S.), Le droit uniforme
africain des affaires issu de l’OHADA, Litec, Paris, France, 2004 ; KUATE TAMEGHE (S. S.),
La protection du débiteur dans les procédures individuelles d’exécution, L’Harmattan, Paris,
France, 2004 ; AGBOYIBOR (P.), « Observations sur l’avis consultatif n° 001/99/JN du 7
juillet 1999 sur les articles 13, 14, 79 et 297 de l’acte uniforme portant organisation des
procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution », Revue de droit des
affaires internationales, n° 6, 1999, p. 677 et s.
52
DOGUE (C.), « Commentaire sur l’arrêt KARNIB », Actualités Juridiques de l’Association
Ivoirienne pour le Développement du Droit, n° 28, juin 2002, p. 5 ; IPANDA et STERLING
MINOU, « Commentaire sur l’arrêt KARNIB », Revue Camerounaise du Droit des Affaires, n°
10, janvier – mars 2002, pp. 41 et ss ; SOUOP (S.), « Pour qui sonne le glas de l’exécution
provisoire ? », www.ohada.com, rubrique doctrine, référence ohadata D-02-06.
XXXVI
Les secondes comprennent les nullités relatives et les nullités
substantielles ou d’ordre public.
Les nullités relatives sont consécutives à la violation des formalités
non prescrites sous peine de nullité et obéissent au double principe
« pas de nullité sans texte » et « pas de nullité sans grief ». Elles ne
peuvent être encourues que si la partie qui les invoque rapporte
l’existence ou la preuve d’un grief subi.
Les nullités substantielles ou d’ordre public découlent du non-respect
des formalités substantielles, c’est-à-dire prescrites sous peine de
nullité. Elles sont encourues d’office même en l’absence de tout
préjudice.
Etant donné la similitude entre les nullités de fond et les
nullités de forme substantielles, le régime des nullités distinguait dans
la pratique les nullités relatives, celles qui ne peuvent être encourues
que si la partie qui les invoque rapporte l’existence d’un grief subi, et
les nullités de plein droit, celles qui peuvent être alléguées d’office
même en l’absence d’un préjudice.
Dans ce régime, les nullités de plein droit qui doivent découler
d’un texte ont un caractère limité tandis que les nullités relatives qui
ne sont pas forcément prescrites par un texte ont un caractère
généralisé.
C’est ce régime qui a été modifié par la réforme OHADA.
Nous allons tour à tour expliciter le changement apporté par les
dispositions de l’AUPSRVE et examiner si ce dernier a entamé le droit
de la défense fondé sur la nullité des actes.
§ 1. Le régime des nullités de l’AUPSRVE
Le régime des dispositions de l’AUPSRVE qui prescrivent des
délais et des formalités est défini à l’article 297 qui dispose :
« Les délais prévus aux articles 259, 266, 268, 269, 270, 276, 281, 287,
288 alinéas 7 et 8 et 289 ci-dessus sont prescrits à peine de déchéance.
« Les formalités prévues par ces textes et par les articles 254, 267 et
277 ci-dessus ne sont sanctionnées par la nullité que si l’irrégularité a
eu pour effet de causer un préjudice aux intérêts de celui qui l’invoque.
« La nullité prononcée faute de désignation suffisante de l’un ou
plusieurs des immeubles compris dans la saisie n’entraîne pas
nécessairement la nullité de la poursuite en ce qui concerne les autres
immeubles ».
XXXVII
La portée de ce régime a été précisée par la jurisprudence de la
Précisons tout de même que ce régime ne concerne que la
CCJA
procédure de saisie immobilière.
(53).
Selon la Haute Cour, seuls les cas de nullité expressément visés
à l’article 297 de l’AUPSRVE constituent les cas limitativement
énumérés exigeant la preuve d’un préjudice. C’est la stricte
interprétation du deuxième alinéa de l’article sus rappelé.
En dehors de ces cas, la nullité sanctionnant l’inobservation des
formalités prescrites à peine de nullité est encourue de plein droit sans
qu’il besoin de rechercher l’existence d’un grief (Avis n° 001/99/JN du
7 juillet 1999).
Dans les arrêts n° 008/2004 du 26 février 2004 et n° 012/2004 du 18
mars 2004, la CCJA fait une stricte application des formalités
prescrites à peine de nullité.
Comme l’AUPSRVE prescrit la majeure partie des formalités à
peine de nullité, il s’ensuit contrairement au régime traditionnel une
généralisation des nullités de plein droit et une limitation des nullités
relatives.
L’exiguïté du champ des nullités relatives réduit en
conséquence le pouvoir d’appréciation du juge. En effet, dans la
réforme OHADA, les nullités textuelles de plein droit deviennent la
règle et les nullités relatives, l’exception.
Considérant cette large extension des nullités de plein droit, le
nouveau régime des nullités est dit contraignant, voire impératif (54).
Néanmoins, il sied de noter que la Haute Juridiction
Communautaire ne fait pas une application aveugle de ce régime des
nullités ‘automatiques’ en ce qu’elle a relativisé dans certains cas la
nullité de plein droit ou l’inobservation d’une formalité prescrite à
peine de nullité comme le soulignent Félix ONANA et Jean Michel
MBOCK (55) en ces termes :
« Dans un arrêt n° 026/2005 du 07 avril 2005 (affaire Bou Chebel
Maleck c/ la Station Mobil de Yamoussoukro), où le demandeur au
pourvoi soutenait entre autres moyens de cassation, la violation de
l’article 8 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures
53
Voir notamment : avis n° 001/99/JN du 7 juillet 1999, RJCCJA, n° spécial, janvier 2003,
p. 70 ; arrêt n° 008/2004 du 26 février 2004, aff. Sté Banque Commerciale du Niger c/
Hamadi Ben Damn, RJCCJA, n° 3, janvier – juin 2004, pp. 90 et ss ; arrêt n° 012/2004 du
18 mars 2004, aff. Sté Banque Commerciale du Niger c/ Hamadi Ben Damn, RJCCJA, n° 3,
op. cit., pp. 96 et ss.
54
IPANDA, « Le régime des nullités des actes de procédure depuis l’entrée en vigueur de
l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies
d’exécution », www.ohada.com, rubrique doctrine, référence ohadata D-02-01
55
ONANA ETOUNDI (F.) et MBOCK BIUMLA (J. M.), Cinq ans de jurisprudence commentée
de la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA) (1999-2004), Collection Pratique et
Contentieux du Droit OHADA, 2ème édition, Abidjan, Cote d’Ivoire, 2006, pp. 280 à 281.
XXXVIII
simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution au motif que
l’exploit de signification de la décision portant injonction de payer ne
contenait pas l’indication exacte de la juridiction devant laquelle
l’opposition devait être portée, la Haute Juridiction Communautaire
décide que le demandeur au pourvoi ayant lui-même saisi la juridiction
normalement (…). « L’erreur dans la désignation de la juridiction
compétente reprochée à l’exploit de signification de l’injonction de payer
par Bou Chebel Maleck, a été réparée par les indications contenues
dans l’article 9 de l’Acte uniforme susvisé, intégralement reproduit dans
ledit exploit, lequel est par conséquent conforme aux prescriptions de
l’article 8 alinéa 2 susvisé et est régulier ».
Autrement dit, tout en reconnaissant que l’exploit de signification de
l’ordonnance d’injonction de payer n’indiquait pas la juridiction exacte
devant laquelle devait être portée l’opposition formée comme l’article 8
de l’Acte uniforme susvisé à peine de nullité, la Cour commune de justice
et d’arbitrage évite astucieusement la nullité encourue en soutenant que
la saisine de la juridiction réellement compétente par l’opposant à
l’injonction de payer dans les termes de l’article 9 de l’Acte uniforme
couvre ou répare l’erreur, à notre avis purement matérielle de l’indication
de ladite juridiction.
En réalité, le caractère impératif du régime des nullités dans l’Acte
uniforme aurait parfaitement justifié la nullité de l’exploit de signification
de l’ordonnance d’injonction de payer. Mais, comment comprendre et
admettre que le demandeur au pourvoi ait pu obtenir la nullité encourue
pour une simple erreur matérielle de désignation de la juridiction
compétente, alors qu’il a effectivement saisi la dite juridiction de son
opposition à l’ordonnance d’injonction de payer ?
La même solution est retenue sur la base du même raisonnement dans
l’arrêt n° 027/2005 du 07 avril 2005, affaire SONAR c/ PAPME où la
Cour relève que « nonobstant le défaut d’indication de la juridiction
compétente dans l’exploit de la saisie-attribution litigieuse, il apparaît
que l’ordonnance attaquée n’a pas violé les dispositions de l’article 160
de l’Acte uniforme dès lors que ladite ordonnance a été rendue par le
juge compétent saisi par la SONAR elle-même ».
Cette relativisation de la nullité de plein droit du législateur OHADA par
la CCJA est à féliciter. Car, de notre point de vue, le caractère
contraignant du nouveau régime des nullités est moins protecteur des
intérêts des parties ; l’on se demande même s’il cadre parfaitement avec
l’exigence de célérité voulue par le législateur OHADA dans
l’environnement des affaires. Ce régime ne fait-il pas courir le risque de
voir des procédures annulées pour l’inobservation des formalités
purement vénielles sans aucune incidence sur la substance de l’acte
annulé, et même en l’absence de tout grief ?
Laisser une certaine marge de manœuvre au juge pourrait constituer
une garantie de bonne justice dans la gestion des irrégularités relevées
XXXIX
au cours des procédures simplifiées de recouvrement et des voies
d’exécution ».
La conclusion de ces deux auteurs qui plaident pour une
rétrocession d’une certaine marge de manœuvre au juge pourrait
paraître comme une expression d’encouragement au retour vers le
régime traditionnel des nullités.
Nous pensons que cette idée n’est pas la finalité de leur pensée
mais que le caractère contraignant ou impératif de ce nouveau régime
des nullités ne doit pas être d’application automatique. Car cet
automatisme nuirait au besoin de célérité des affaires et renforcerait
abusivement le droit de la défense fondé sur la nullité d’un acte.
Nous pouvons affirmer en définitive que les nullités évoquées cidessus n’ont pas été déclarées d’ordre public ou de plein droit. Il
s’ensuit que les juges de fond, bien entendu sous le contrôle de la
CCJA, doivent les apprécier au cas par cas selon le critère de
l’irrégularité qui fait grief ou non.
§ 2. Le sort du droit de la défense fondé sur la nullité d’un acte
Le changement apporté par le législateur OHADA au contenu
du régime des nullités est indéniable. En effet, de la généralisation des
nullités relatives sous le régime traditionnel, le nouveau régime est
passé à la généralisation des nullités de plein droit ; de la limitation de
ces dernières sous l’ancien régime, le nouveau a cerné les nullités
relatives.
Sans conteste, ce bouleversement a été opéré au bénéfice du
défendeur et par voie de conséquence, au détriment du requérant de
l’acte de procédure entaché d’irrégularité.
Un plaideur, en l’occurrence le requérant de l’acte entaché
d’irrégularité, peut-il alléguer la contrariété ou l’inconstitutionnalité de
ce nouveau régime et solliciter le recours au droit commun des
nullités ?
a) L’inconstitutionnalité du nouveau régime des nullités
Le régime des nullités issu de la réforme OHADA serait-il
contraire aux constitutions nationales des Etats membres ou du moins
à l’une d’elles ?
Pour qu’il en soit ainsi, il faut que l’Acte uniforme supprime ou
modifie tout ou partie du contenu du droit de la défense d’origine
constitutionnelle.
XL
Il est vrai que l’Acte uniforme a modifié le régime traditionnel
des nullités. Mais que modifie-t-il du droit de la défense ?
Le droit de la défense comprend deux emplois : général et
spécifique.
Dans son sens large, le droit de la défense correspond à
l’exigence d’appeler toute personne attraite en justice pour y faire
entendre ses dires et moyens de défense, quels qu’ils soient.
Dans son application restreinte, le droit de la défense s’identifie
aux dires et moyens sur lesquels il se fonde.
Le droit général de la défense tire sa source de la constitution
tandis que le droit spécifique de la défense peut être d’origine de toutes
sources du droit.
L’Acte uniforme ne touche pas au droit général de la défense
mais il modifie le droit spécifique de la défense fondé sur la nullité des
actes de procédure.
Les délais de déchéance et les formalités substantielles sont
portés par des lois nationales qui en définitive constituent les textes
modifiés par l’Acte uniforme.
L’inconstitutionnalité s’avèrerait dans l’hypothèse où les délais
de déchéance et les formalités modifiés par l’Acte uniforme seraient
portés par des dispositions constitutionnelles ; hypothèse qui
justifierait un recours au droit commun des nullités.
b) Le recours au droit commun des nullités
Il ressort de l’analyse qui précède que le régime des nullités
peut tirer sa source d’une constitution ou d’une loi.
Dans les Etats membres, de par la volonté de ces derniers
consignée dans le Traité OHADA, le régime légal des nullités identique
et contraire au nouveau régime est censé être abrogé.
Seuls subsistent le régime constitutionnel, dans l’hypothèse de
son existence, et le régime légal non contraire.
Il est donc possible de recourir à ces deux régimes si leur contenu
n’est pas vide.
Il se dégage des développements précédents que dans les Etats
membres, le droit de la défense fondé sur la nullité des actes de
procédure s’exerce désormais sur pied du régime constitutionnel, du
régime légal non contraire et du régime OHADA des nullités.
L’autre droit fondamental qui mérite d’être précisé, est la
prérogative d’exercer un appel contre une exécution provisoire.
XLI
Section 2 : Le droit des défenses à l’exécution provisoire
Le juge dispose du pouvoir d’accorder, même d’office, à la partie
bénéficiaire d’un jugement la faculté d’en poursuivre l’exécution
malgré l’effet suspensif des voies de recours ordinaires, à condition
d’être en présence d’un titre authentique, d’une promesse reconnue ou
d’une condamnation précédente par décision de justice dont il n’y est
pas fait appel.
Le requérant auquel pareille faculté est accordée doit signifier,
le cas échéant avec commandement, le jugement à la partie adverse
qui a succombé.
Si dans le délai lui imparti, cette dernière n’offre pas de
s’exécuter volontairement, la partie bénéficiaire du jugement va
demander à l’agent chargé de l’exécution de poursuivre uniquement ce
qui a été mis sous la clause de l’exécution provisoire, tout en lui
apportant la preuve de la non existence d’une procédure en défenses
d’exécuter.
L’agent chargé de l’exécution va initier un itératif commandement
avant de procéder à la saisie et ensuite, à la vente des biens du
débiteur de l’obligation de payer, de délivrer ou de restituer.
Aussi longtemps que la procédure d’exécution provisoire n’aura
pas été clôturée, le défendeur qui aura précédemment interjeté appel
dans le délai contre le jugement qui le condamne, peut engager la
procédure de défenses à exécution provisoire s’il estime que celle-ci
avait été prononcée à tort par le premier juge.
Le défendeur a la latitude d’exercer cette prérogative tant que la
procédure d’exécution provisoire demeure en cours parce que l’exercice
de ce droit n’a pas été limité dans le temps, entre le prononcé
contradictoire ou la signification du jugement et la clôture de la
procédure d’exécution provisoire.
A cet effet, l’appelant fait donner à la partie bénéficiaire du jugement
une assignation en défenses à exécuter avant de lui faire parvenir celle
d’appel sur le fond.
Ce sont là les deux modes d’expression du principe
constitutionnel du double degré de juridiction : l’assignation en
défenses à exécuter et l’assignation d’appel.
La réforme OHADA tend à instituer une limite dans le temps à
l’exercice du droit de faire donner une assignation en défenses à
exécuter.
Cette tendance découle de l’article 32 de l’AUPSRVE et de
l’interprétation que la CCJA en a donnée.
XLII
§1. Le champ d’application des défenses à exécuter dans l’AUPSRVE
Avant la réforme OHADA, le champ temporel d’entamer des
défenses à l’exécution provisoire s’étendait du prononcé contradictoire
ou de la signification du jugement à l’accomplissement du dernier acte
de la procédure d’exécution provisoire.
Cette élasticité a été réduite par l’article 32 de l’AUPSRVE qui
dispose :
« A l’exception de l’adjudication des immeubles, l’exécution forcée peut
être poursuivie jusqu’à son terme en vertu d’un titre exécutoire par
provision.
L’exécution est alors poursuivie aux risques du créancier, à charge pour
celui-ci, si le titre est ultérieurement modifié, de réparer intégralement le
préjudice causé par cette exécution sans qu’il y ait lieu de relever de
faute de sa part ».
Le premier alinéa de cet article exprime bien la visée de la
réforme OHADA qui écarte la possibilité de suspendre l’exécution
provisoire poursuivie sur des biens autres que des immeubles.
Ce qui revient à dire que cette disposition uniforme supprime le droit
des défenses à l’exécution provisoire, ce deuxième volet du principe
constitutionnel du double degré de juridiction.
C’est l’interprétation qu’en a donnée la CCJA dans son arrêt n°
002/2001 du 11 octobre 2001 dit arrêt des Epoux KARNIB (56).
La Haute Cour Communautaire s’exprime notamment en ces termes :
« Attendu que les requérants avaient entamé l’exécution forcée en vertu
du Jugement n° 4 rendu le 21 janvier 1999 par le Tribunal de Première
Instance d’Abengourou ; que cette exécution ne concernait pas
l’adjudication d’immeubles ;
« Attendu que l’ordonnance attaquée, qui a eu pour effet de suspendre
l’exécution forcée entreprise sur l’unique fondement des dispositions des
articles 180 et 181 du Code de procédure civile ivoirien a, dès lors, violé
l’article 32 de l’Acte Uniforme susvisé et encourt de ce fait la cassation ».
Devant le risque apparent de confirmer la suppression d’un
droit fondamental, la Haute Cour Communautaire a, notamment dans
les arrêts n° 012/2003, n° 013/2003 et n° 014/2003 du 19 juin 2003
(57), opéré le distinguo suivant :
56
Arrêt n° 002/2001 du 11 octobre 2001, aff. les Epoux KARNIB c/ SGBC, RJCCJA n°
spécial, janvier 2003, pp. 37 et ss.
57
Arrêt n° 012/2003 du 19 juin 2003, aff. SEHIC HOLLYWOOD SA c/ SGBC, RJCCJA, n° 1,
janvier – juin 2003, p. 13 ; arrêt n° 013/2003 du 19 juin 2003, aff. SOCOM SARL c/ SGBC,
RJCCJA, n° 1, op. cit., p. 16 ; arrêt n° 014/2003, aff. SOCOM SARL c/ SGBC et BEAC,
RJCCJA, n° 1, op. cit., p. 19.
XLIII
« (…) qu’en effet, (…), l’article 32 de l’Acte uniforme portant organisation
des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution
n’est pas applicable en l’espèce, la procédure introduite (…) et qui a
abouti à l’arrêt attaqué n’ayant pas eu pour objet de suspendre une
exécution forcée déjà engagée mais plutôt d’empêcher qu’une telle
exécution puisse être entreprise sur la base d’une décision assortie de
l’exécution provisoire et frappée d’appel (…) ».
Pour la Haute Cour, les défenses à l’exécution provisoire qui
violent le prescrit de l’article 32 de l’AUPSRVE sont celles qui ont pour
objet de suspendre une exécution forcée déjà engagée. Mais
lorsqu’elles ont pour objet d’empêcher que l’exécution forcée ne soit
engagée, les défenses à l’exécution provisoire ne prêtent plus flanc à sa
cassation.
En d’autres termes, pour que les défenses à l’exécution provisoire ne
puissent pas violer le prescrit de l’article 32 de l’AUPSRVE, elles
doivent débuter avant que l’exécution forcée ne soit engagée.
La question que suscite ce distinguo de la CCJA est celle de
savoir quand une exécution forcée est dite ou considérée engagée.
Dans ses différents arrêts prononcés à ce jour sur cette matière,
la Haute Cour Communautaire n’a pas encore réservé une suite à cette
interrogation.
En guise de réponse, nous faisons nôtre celle de Félix ONANA et Jean
Michel MBOCK (58) lorsqu’ils écrivent :
« En l’absence de précisions de la part du législateur communautaire et
de la CCJA pour le moment, on pourrait s’inspirer, à titre de droit
comparé, des distinctions faites par le droit français qui considère que :
1. Dans les cas de saisie vente, de saisie des droits d’associés et des
valeurs mobilières, la signification commandement est l’acte qui
matérialise le début d’une exécution forcée.
2. Par contre, la signification commandement n’est pas un acte
d’exécution dans le cas de saisie attribution des créances où le procèsverbal de saisie est chronologiquement le premier acte coercitif et
partant, le début d’une exécution forcée ».
Pour ne pas voir l’exercice de son droit des défenses à
l’exécution provisoire anéanti par la disposition uniforme, le défendeur
doit agir dans les instants qui suivent le prononcé contradictoire ou la
signification d’un jugement exécutoire par provision.
Face au silence des Actes uniformes sur les conditions
d’application de l’exécution par provision, nous pensons que celles
organisées en droit interne demeurent d’application. Même si la CCJA
a remédié à ce silence, la position de la Haute Cour n’a pas valeur
d’Acte uniforme et ne peut servir de fondement juridique de
58
ONANA ETOUNDI (F.) et MBOCK BIUMLA (J. M.), op. cit., p. 262.
XLIV
l’abrogation des dispositions nationales sur les conditions d’application
de l’exécution par provision.
L’exécution provisoire doit prendre appui notamment sur un titre
authentique, une promesse reconnue ou une condamnation
précédente par décision de justice dont il n’y est pas fait appel.
Mais une préoccupation demeure : le premier alinéa de l’article
32 de l’AUPSRVE serait-il contraire aux constitutions nationales
malgré les précisions de la CCJA ?
Répondre à cette question est l’objet essentiel du paragraphe qui suit.
§2. La portée de l’article 32 de l’AUPSRVE
Le tollé suscité par l’arrêt de la CCJA dit arrêt des Epoux
Karnib et l’accalmie apportée par les arrêts subséquents pourraient
faire penser que la portée du premier alinéa de l’article 32 de
l’AUPSRVE a été modifiée par la CCJA.
Nous ne le pensons pas. En effet, la précision apportée par la
CCJA selon laquelle les défenses à l’exécution provisoire doivent être
entamées avant le début de l’exécution forcée, n’ajoute ni retranche
rien à la disposition uniforme.
Les arrêts de la CCJA n’ont donc pas eu pour conséquence d’éliminer
une éventuelle inconstitutionnalité de la norme uniforme.
Contrairement à l’ancien régime qui admettait les défenses à
l’exécution provisoire du prononcé contradictoire ou de la signification
du jugement au dernier acte de l’exécution forcée, la norme uniforme
réduit le champ d’application des défenses à l’exécution par provision
du prononcé contradictoire ou de la signification du jugement jusqu’à
l’expiration du délai d’exécution volontaire imparti au débiteur par
l’agent chargé de l’exécution.
L’étendue ainsi précisée de la disposition uniforme porte-t-elle
atteinte au principe constitutionnel du double degré de juridiction
relatif à l’exécution par provision ?
S’étant limitée à restreindre le champ d’application des défenses
à l’exécution provisoire, la norme uniforme ne nous paraît pas avoir
contrarié le principe constitutionnel.
Elle l’aurait pu si le champ d’application par elle réduit avait une
origine constitutionnelle.
Mais il faut reconnaître que l’accalmie apportée par les arrêts
subséquents fut éphémère car la nécessité de reformuler les
dispositions de l’article 32 de l’AUPSRVE est exprimée dans les écrits
XLV
de certains auteurs qui voient dans la norme uniforme un grand
déséquilibre entre les intérêts du créancier et ceux du débiteur.
Félix ONANA et Jean Michel MBOCK (59) l’expriment en ces termes :
« Il semble nécessaire dans ce contexte de reformuler les dispositions de
l’article 32 susvisé, dans le sens d’un plus grand équilibre entre les
intérêts du créancier poursuivant muni d’un titre exécutoire par essence
précaire, et ceux d’un débiteur qui conserve encore toutes ses chances
de faire réformer la condamnation ».
Nous ne partageons pas l’opinion de ces auteurs. Le semblant
déséquilibre consacré par le premier alinéa de cet article est redressé
par le second alinéa du même article qui, en cas de modification
ultérieure du titre exécutoire par provision, impose au créancier la
réparation intégrale du préjudice causé par l’exécution provisoire sans
qu’il soit nécessaire d’établir une quelconque faute de son chef.
Cette responsabilité objective sans faute du créancier poursuivant sur
titre exécutoire précaire constitue le corollaire qui équilibre la balance
des intérêts des parties en présence.
En tout état de cause, que la nécessité de reformuler une
disposition uniforme tire son fondement de la violation des normes
d’origine constitutionnelle ou d’autres considérations comme le
déséquilibre des intérêts des parties en présence, sa concrétisation
nous paraît tributaire de la volonté commune des Etats.
Si dans un seul des Etats membres, cette nécessité n’est pas ressentie
parce que la disposition uniforme mal aimée ne contrarie ni norme
d’origine constitutionnelle ni aucune autre considération légale ou
coutumière, ce seul Etat pourra rechigner à la reformuler et celle-ci
continuera de s’appliquer dans les Etats demandeurs de la
reformulation.
C’est de là que proviendra leur obligation de modifier leurs
constitutions nationales ou leurs lois ou coutumes internes
contrariées par la norme uniforme parce que ces Etats resteront tenus
de respecter leurs obligations communautaires.
Avant de développer ce luminaire de la solution de la
contrariété, nous devons aborder la seconde branche du contenu de la
contrariété relative à la constitutionnalité des Actes uniformes.
59
ONANA ETOUNDI (F.) et MBOCK BIUMLA (J. M.), op. cit., p. 262.
XLVI
Titre
deuxième : LA CONSTITUTIONNALITE
ACTES UNIFORMES
DES
Dans nos développements antérieurs, nous avons affirmé que
les
Actes
uniformes
bénéficient
d’une
présomption
de
constitutionnalité, véritable immunité constitutionnelle, ou d’un
acquis constitutionnel par définition des normes originaires.
A cette occasion, nous n’avions développé que les aspects relatifs à la
présomption de constitutionnalité par l’entremise de la procédure
d’élaboration et d’adoption des Actes uniformes.
En effet, en confiant cette prérogative au Conseil des ministres et en
excluant l’intervention des parlements nationaux, le Traité OHADA a
institué une présomption de constitutionnalité au bénéfice des Actes
uniformes
qui
sont
élaborés en
dehors
des
contraintes
constitutionnelles de forme et de fond.
Concernant la constitutionnalité des Actes uniformes, il sera
plutôt question de développer les aspects relatifs à l’acquis
constitutionnel par définition de la norme originaire.
Dans le cadre de notre étude, la norme originaire est le Traité
OHADA qui, une fois reconnu conforme à la constitution nationale,
transmet sa constitutionnalité au droit dérivé.
Cette transmission se traduit par une réception sans conteste
du droit dérivé en droit interne et par la non organisation de la
procédure de contrôle de constitutionnalité de ce droit dérivé.
Ce sont là les sujets de deux chapitres du présent titre.
XLVII
Chapitre I : Réception des Actes uniformes en droit interne
La plupart des constitutions nationales (60) reconnaissent que
les traités ou accords internationaux régulièrement ratifiés ou
approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle
des lois, sous réserve pour chaque accord ou traité, de son application
par l’autre partie.
Comme il a institué une communauté de droit (61), institution
qui le place dans le champ d’application du droit international
communautaire, le Traité OHADA devait à plus forte raison être ratifié
par les Etats signataires et adhérents chacun selon sa procédure
constitutionnelle.
C’est cet acte de ratification qui lui a conféré sa
constitutionnalité, c’est-à-dire sa conformité par rapport aux
constitutions nationales. Cette conformité signifie que le traité ne
comporte aucune disposition contraire aux constitutions nationales.
La constitutionnalité de la norme originaire traduit l’acceptation
par les Etats membres du principe de partage de la compétence
législative entre le Conseil des ministres et le législateur national. La
constitutionnalité ainsi admise profite aux Actes uniformes,
intrinsèquement compris dans le Traité OHADA. Ce profit permet aux
Actes uniformes de trouver une place dans l’arsenal juridique des
Etats membres. Les Actes uniformes bénéficient d’un acquis
constitutionnel par l’entremise du Traité.
Néanmoins, ce bénéfice de transmission de constitutionnalité se limite
au niveau de la création de la loi communautaire, c’est-à-dire au
principe d’existence de l’Acte uniforme et non, à sa matérialité. C’est
ainsi que lorsqu’un Acte uniforme a pris corps ou a été rédigé, ses
dispositions qui ne bénéficient pas d’une transmission de
60
Voir art. 147 de la constitution du Bénin ; art. 151 de la constitution du Burkina Faso ;
art. 45 de la constitution du Cameroun ; art. 69 de la constitution du Centrafrique ; art. 184
de la constitution du Congo ; art. 87 de la constitution de la Cote d’Ivoire ; art. 79 de la
constitution de Guinée ; art. 116 de la constitution du Mali ; art. 132 de la constitution du
Niger ; art. 98 de la constitution du Sénégal ; art. 222 de la constitution du Tchad ; art. 140
de la constitution du Togo.
61
Djibril Abarchi (La supranationalité dans l’OHADA, op. cit.) démontre la supranationalité
politique, judiciaire et juridique dans l’OHADA mais Mamadou Koné (Le nouveau droit
commercial des pays de la zone OHADA, op. cit., p. 6 et s) expose que l’idée d’unification
juridique, judiciaire et politique doit toutefois être nuancée sinon relativisée.
XLVIII
constitutionnalité doivent effectivement être conformes
constitution et se prêtent à un contrôle de constitutionnalité.
à
la
Mais dans la pratique, cet acquis constitutionnel se traduit par
une introduction en droit interne du droit dérivé par la norme
originaire et par une réception automatique de ce droit dérivé par les
constitutions nationales.
Ces deux réalités feront l’objet de deux sections du présent chapitre.
Section 1 : Introduction des Actes uniformes par le Traité OHADA
Pour peu que l’on connaisse le système OHADA, on doit savoir
que c’est par son article 10 que le Traité de cette Organisation
introduit ses normes dérivées dans le corpus juridique des Etats
membres.
Cet article dispose comme suit :
« Les Actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans
les Etats Parties nonobstant toute disposition contraire de droit
interne, antérieure ou future ».
Cette disposition du traité porte en son sein deux règles de droit
qui consacrent la suprématie du droit uniforme sur le droit interne :
l’impératif de l’application directe des Actes uniformes en droit interne
et leur pouvoir abrogatoire du droit national.
La règle de l’applicabilité directe consacre une interdiction, pour les
Etats membres, de contrarier par une législation nationale le principe
de l’application directe et obligatoire des Actes uniformes.
Elle signifie aussi que l’introduction en droit interne des normes
uniformes ne nécessite pas l’adoption par le législateur national d’un
quelconque texte qui aiderait le droit uniforme à franchir les frontières
législatives nationales.
Quant à la règle abrogatoire du droit interne par le droit uniforme, elle
porte la suppression dans le corpus juridique national de toute
disposition identique et contraire, antérieure et postérieure aux Actes
uniformes.
Le développement de la présente section devrait en principe,
compte tenu de l’analyse précédente de l’article 10 du Traité, nous
conduire à tourner autour de l’applicabilité directe et du caractère
abrogatoire des Actes uniformes qui consacrent l’introduction de ces
derniers en droit interne par le Traité.
XLIX
Mais, comme il existe une littérature abondante (62) sur ces
deux règles, nous allons plutôt nous tourner vers d’autres aspects qui
matérialisent l’introduction des Actes uniformes en droit interne par le
Traité.
Ces
aspects
portent
essentiellement
sur
les
contraintes
conventionnelles de forme et de fond d’élaboration et d’adoption des
Actes uniformes et sur la mise en œuvre de l’introduction de ces
derniers en droit interne qui nécessite une entrée en vigueur et une
publication.
§1. Conditions d’élaboration des Actes uniformes
Les conditions d’adoption des lois internes sont variablement
fixées par chacune des constitutions nationales. Elles concernent tant
la forme que le fond.
Mais de façon générale, nous pouvons noter que les
constitutions déterminent des matières réservées à la compétence de la
loi ou du règlement et des matières laissées à leur compétence
concurrente.
Elles permettent aussi au pouvoir exécutif de prendre par règlement
des mesures qui relèvent normalement du domaine de la loi pendant
un délai limité, en cas d’urgence et avec l’autorisation du pouvoir
législatif.
Elles distinguent des conditions de forme et de délai pour l’adoption
des lois ordinaires et des lois organiques.
Elles soumettent l’adoption de certains lois et règlements à l’avis
technique des organes attitrés.
Pour les Actes uniformes, ces contraintes constitutionnelles de
procédure sont substituées par celles organisées dans le Traité.
Ce sont les articles 6, 7 et 8 du Traité qui fixent les contraintes
conventionnelles d’élaboration des normes uniformes.
L’article 6 confie la préparation des Actes au Secrétariat
Permanent en concertation avec les gouvernements des Etats
membres.
Cette concertation est en principe assurée par les Commissions
nationales qui examinent les avant-projets, formulent les
préoccupations nationales et présentent au Secrétariat Permanent des
62
IPANDA, « Le Traité et la loi nationale », Revue camerounaise de droit des affaires, n° 1,
nov. – déc. 1999, p. 3 ; Djibril ABARCHI, « La supranationalité de l’OHADA », Revue E.
D.J.A, n° 44, jan. – fév. – mars 2000, p. 7 ; KENFACK DOUAJNI (G.), « L’abandon de
souveraineté dans le Traité OHADA », Penant, n° 830, mai – août 1999, p. 125 ; ISSASAYEGH (J.) et LOHOUES-OBLE (J.), op. cit., p. 133 ; LOHOUES-OBLE J., commentaire
sous l’art. 10 du Traité, Traité et actes uniformes commentés et annotés, éd. Juriscope,
2002, pp. 37 et ss.
L
observations, critiques ou suggestions. Les Commissions nationales
accomplissent cette tâche selon la méthode de travail adoptée à
Ouagadougou en mars 1994 au cours d’un séminaire qui a regroupé
leurs présidents.
Elles disposent de quatre-vingt-dix jours à dater de la réception de
l’avant-projet pour faire parvenir leurs observations écrites au
Secrétariat Permanent.
Mais ce délai nous paraît théorique car en réalité, il peut être rallongé
par la nécessité de concilier les divergences des Commissions
nationales (63).
L’article 7 enjoint au Secrétariat Permanent de constituer le
dossier de la demande de consultation. Pour ce faire, il doit rédiger un
rapport à joindre au projet d’Acte uniforme et aux observations des
Commissions nationales et transmettre le tout à la CCJA.
La Haute Cour communautaire dispose de trente jours pour émettre
son avis de conformité du projet d’Acte au Traité, aux Actes uniformes
antérieurs et à la philosophie générale de l’harmonisation. Tous les
Actes uniformes ont reçu l’avis favorable de la CCJA.
Après l’obtention de l’aval de la juridiction communautaire, le
Secrétariat Permanent cristallise la version définitive du futur Acte
uniforme dont il propose l’inscription à l’ordre du jour du prochain
Conseil des ministres.
Le clou de l’adoption des Actes uniformes est enfoncé par
l’article 9 qui fixe le quorum du Conseil aux deux tiers au moins des
Etats membres et conditionne le vote de l’Acte à l’unanimité des
représentants des Etats Parties présents et votants.
La même disposition précise in fine que l’abstention ne fait pas
obstacle à l’adoption, ce qui revient à dire qu’un Etat membre qui
voudrait s’opposer, pour une quelconque raison, à l’adoption d’un Acte
uniforme, ne doit pas figurer parmi le tiers des absents et doit
instruire ses représentants d’exprimer un vote négatif.
Une condition de fond et d’ordre général qui concerne l’adoption
des Actes uniformes porte sur la limitation matérielle des Actes
uniformes. En effet, pour être adoptable, l’Acte uniforme doit porter
sur les matières déclarées harmonisables à l’article 2 du Traité ou par
une décision additionnelle du Conseil des ministres et ne doit pas
contenir des sanctions pénales pour les incriminations qu’il institue.
Les Actes uniformes ainsi adoptés doivent être introduits dans
le corpus juridique des Etats membres où ils doivent être appliqués.
63
C’est le cas de l’avant-projet sur l’Acte uniforme relatif au Droit du travail dont les
divergences de vue des commissions nationales ont conduit à des réunions de concertation
de Libreville pour les Etats de l’Afrique centrale et de Bamako pour les Etats de l’Afrique de
l’ouest.
LI
§2. Mise en œuvre de l’introduction des Actes uniformes
L’introduction des Actes uniformes par le Traité OHADA dans
les frontières législatives des Etats membres se matérialise par deux
formalités obligatoires : l’entrée en vigueur et la publication.
Le siège de la matière se situe à l’article 9 du Traité qui
dispose :
« Les Actes uniformes entrent en vigueur quatre-vingt-dix jours après
leur adoption sauf modalités particulières d’entrée en vigueur prévues
par l’Acte lui-même. Ils sont opposables trente jours francs après leur
publication au journal officiel de l’OHADA. Ils sont également publiés au
journal officiel des Etats Parties ou par tout autre moyen approprié ».
La règle de quatre-vingt-dix jours et l’exception des modalités
particulières de l’entrée en vigueur sont bien développées dans
l’ouvrage des Professeurs SAYEGH et LOHOUES-OBLE (64) auquel nous
renvoyons le lecteur soucieux d’en connaître le développement.
Nous allons ici combiner le délai d’entrée en vigueur et celui de
la publication pour savoir à quel moment précis un Acte uniforme
devient applicable.
A la lecture de l’article 9 sus rappelé, l’on pourrait penser qu’un
Acte uniforme le devient quatre mois après son adoption, c’est-à-dire
trois mois d’entrée en vigueur plus un mois d’opposabilité.
L’on pourrait également penser qu’il peut le devenir avant l’expiration
de trois mois d’entrée en vigueur si son opposabilité intervient avant
cette dernière. En effet, si la publication d’un Acte uniforme a lieu
quelques jours seulement après son adoption, le délai d’opposabilité
expirera avant celui de son entrée en vigueur.
La difficulté d’interprétation n’intervient pas si l’Acte uniforme
est publié deux mois après son adoption et que les dates de l’entrée en
vigueur et de l’opposabilité coïncident le même jour.
La précision vaut son pesant
interviennent à des jours différents.
d’or
lorsque
ces
dates
Le premier cas de figure concerne l’antériorité de l’opposabilité
à l’entrée en vigueur.
Si le délai d’un mois d’opposabilité intervient avant l’entrée en vigueur,
l’Acte uniforme n’est ni applicable ni opposable. En réalité, son
opposabilité sera différée à la date de l’entrée en vigueur.
Le second cas de figure porte sur l’antériorité de l’entrée en
vigueur à l’opposabilité.
64
ISSA-SAYEGH (J.) et LOHOUES-OBLE (J.), op. cit., pp. 126 et 127.
LII
En effet, il peut arriver qu’au moment où s’accomplissent les trois mois
qui suivent l’adoption d’un Acte uniforme, celui-ci ne soit pas encore
publié au journal officiel de l’OHADA ou un mois ne se soit pas encore
écoulé depuis sa publication.
Dans ce cas, quelle est l’effectivité
(65)
de l’Acte uniforme ?
Conformément au prescrit de l’article 9 sus rappelé, l’Acte
uniforme se substitue au droit interne dès son entrée en vigueur mais
il ne devient opposable que trente jours après sa publication au
journal officiel de l’OHADA.
Pour rendre plus compréhensible cette règle du Traité, il s’avère
nécessaire de distinguer les parties à l’acte et la nature du droit ou de
la loi en présence.
L’Acte uniforme est applicable aux actes juridiques conclus ou
accomplis à dater du jour de son entrée en vigueur.
Mais les parties à l’acte ne peuvent pas opposer l’Acte uniforme aux
tiers.
L’Acte uniforme se substitue aux lois de procédure d’application
immédiate dès son entrée en vigueur. Il est applicable aux actes de
procédure et aux procédures en cours. A ce titre, il est opposable aux
tiers intervenants volontaires ou forcés avant même sa publication ou
l’expiration du délai d’un mois depuis cette publication.
A l’expiration du délai de trois mois ou à la date fixée dans les
modalités particulières d’entrée en vigueur (66), l’Acte uniforme devient
applicable et opposable sauf si à cette date, sa publication est âgée de
moins de trente jours. Dans ce cas, il reste inopposable aux tiers à des
actes juridiques jusqu’à l’expiration de trente jours depuis sa
publication.
Les Actes uniformes sont ainsi introduits dans les frontières
législatives nationales et il revient maintenant aux constitutions
nationales à les recevoir.
Section 2 : Réception des Actes uniformes en droit constitutionnel
Les matières déclarées harmonisables à l’article 2 du Traité
OHADA relèvent selon les constitutions nationales de la compétence
législative. Depuis l’avènement de l’Organisation, huit de ces matières
font l’objet d’Acte uniforme.
65
Sur l’effectivité du système OHADA, lire AMADOU MONKAREE, « The effectiveness of the
OHADA system », L’effectivité du droit de l’OHADA, op. cit., p. 273 et s.
66
MARTOR (B), PILKINGTON (N), SELLERS (D) et THOUVENOT (S), Le droit uniforme
africain des affaires issu de l’OHADA, op. cit., n° 75 et 76, p 20.
LIII
A ces jours, aucune constitution des Etats membres ne contient
une seule disposition qui prévoie que ces matières peuvent faire l’objet
d’Actes uniformes ou que les lois relatives à ces matières peuvent être
nommées « Actes uniformes », malgré les modifications ou
amendements qu’ont connus ces constitutions depuis l’avènement du
droit uniforme.
Cette omission peut-elle tirer sa justification dans l’interdiction de
légiférer contenue à l’article 10 du Traité ?
En d’autres termes, insérer les termes « Actes uniformes » dans la
constitution
équivaudrait-il
à
poser
des
conditions
de
constitutionnalité des Actes uniformes et à faire obstacle à
l’application directe des normes dérivées du Traité ?
Face au silence des constitutions nationales, nous avons
étendu l’examen de la réception des Actes uniformes aux autres
sources
du
droit
constitutionnel,
notamment
la
coutume
constitutionnelle et les principes généraux.
Répondre à ces préoccupations constitue l’objet de la présente
section.
§1. La reconnaissance des Actes uniformes par la constitution
La majorité des constitutions nationales (67) affirment que les
traités de paix, les traités de commerce, (…), ceux qui modifient les
dispositions législatives, (…) ne peuvent être ratifiés ou approuvés
qu’en vertu d’une loi.
Nous pouvons classer le Traité OHADA parmi les instruments
internationaux qui modifient les dispositions législatives.
Mais en réalité, le Traité OHADA ne modifie pas directement les
dispositions législatives nationales. Ce sont plutôt les Actes uniformes,
normes dérivées du Traité, qui modifient les législations nationales.
Les Actes uniformes n’étant ni un traité ni un accord
international, nous pensons qu’ils bénéficient de la reconnaissance
constitutionnelle du Traité dont ils incarnent la voie modificatrice des
dispositions législatives nationales.
Néanmoins, cette reconnaissance biaisée nous paraît tellement
métaphysique qu’il s’avère nécessaire, pour la matérialiser, de prendre
appui sur la loi de ratification ou d’approbation.
67
Art. 149 de la constitution du Burkina Faso ; art. 178 de la constitution du Congo ; art. 85
de la constitution de la Cote d’Ivoire ; art. 114 de la constitution du Gabon ; art. 77 de la
constitution de Guinée ; art. 115 de la constitution du Mali ; art. 130 de la constitution du
Niger ; art. 96 de la constitution du Sénégal ; art. 220 de la constitution du Tchad ; art. 138
de la constitution du Togo.
LIV
Par une délégation de compétence, la constitution investit la loi
du pouvoir de confirmer ou reconnaître la signature apposée sur un
traité par un plénipotentiaire et de marquer ainsi le consentement
définitif de l’Etat à être lié par ce traité.
Une fois le traité ratifié ou approuvé par le pouvoir délégué – la loi -, le
pouvoir délégant – la constitution – fait siens les droits et engagements
prévus dans le traité.
Est-il nécessaire que cette reconnaissance soit expressément
affirmée dans la constitution ?
Nous ne le pensons pas parce qu’une constitution doit se limiter à
énoncer les grands principes et laisser la charge des détails à la loi.
Bien plus, introduire cette reconnaissance dans la constitution
pourrait comporter le risque de poser des conditions de
constitutionnalité des Actes uniformes, ce qui pourrait s’avérer néfaste
à la règle de l’applicabilité directe des normes dérivées du Traité et à
l’œuvre générale harmonisatrice de l’OHADA.
La reconnaissance telle que développée ci-dessus nous paraît
suffisante.
Ainsi par exemple, la réforme constitutionnelle qui a abouti en
France à l’article 88-5 (68) nous paraît inopportune dans l’espace
OHADA et même nuisible à l’applicabilité directe des Actes uniformes,
alors qu’en Europe, du fait de la ratification ou de l’approbation du
droit communautaire dérivé, les constitutions nationales doivent
organiser le contrôle a priori des actes communautaires.
Un mimétisme constitutionnel africain nuirait énormément à la
démarche intégrationniste de l’OHADA car les deux systèmes
n’utilisent pas les mêmes méthodes d’introduction des instruments
juridiques dans l’arsenal juridique des Etats membres et par
conséquent, n’imposent pas les mêmes sacrifices aux constitutions
nationales.
C’est ainsi que dans un cas, la reconnaissance par délégation s’avère
suffisante alors que dans l’autre, la reconnaissance explicite devient
nécessaire et obligatoire.
Cette reconnaissance par délégation nous rapproche de la justification
constitutionnelle des Actes uniformes.
§2. Le fondement constitutionnel des Actes uniformes
68
Art. 88-5 : « Si le Conseil constitutionnel, saisi par le président de la République, par le
Premier ministre, par le président de l’une ou l’autre Assemblée ou par soixante députés ou
soixante sénateurs, a constaté qu’un projet ou une proposition d’acte des Communautés
européennes ou de l’Union européenne comporte une disposition contraire à la Constitution,
le Gouvernement ne peut l’approuver qu’après révision de la Constitution. »
LV
Le pouvoir de réglementer une activité dans un Etat doit tirer
son origine dans une des sources du droit constitutionnel.
Ce pouvoir appartient au peuple qui l’exerce directement par la
voie du référendum ou indirectement par l’entremise de ses
représentants.
Les Actes uniformes qui ne relèvent ni du peuple ni des
représentants de ce dernier, ne trouvent aucune place dans ce carcan
constitutionnel sinon dans une autre source du droit constitutionnel.
En effet, a priori l’on pourrait être tenté de justifier les Actes uniformes
sur base de la règle constitutionnelle de l’abandon partiel ou total de
souveraineté, pour donner un fondement aux Actes uniformes sur pied
de la constitution.
Mais nous excluons ce fondement sur base de la constitution
parce qu’un abandon même partiel de souveraineté nous paraît
irréalisable et que cet abandon est limité à une promotion non définie
de l’Unité africaine.
Nous nous représentons la souveraineté comme un réceptacle,
indivisible et incessible en tout ou en partie comme un patrimoine,
dont seuls sont divisibles et cessibles les éléments qui le composent,
tant qu’existe l’Etat ou vit le titulaire du patrimoine.
L’expression ‘abandon de souveraineté’ nous paraît excessive ;
la réalité en présence est mieux cernée par l’expression ‘cession
partielle d’attributs de souveraineté ou partage de compétences’ ou
celle de ‘transfert de compétences’ (69).
Cet abandon de souveraineté est-il dédié à la promotion
juridique, économique, culturelle, sociale ou politique de l’Unité
africaine ? Le manque de précision dans le chef du constituant ne peut
pas nous conduire à penser que toute forme de promotion peut
bénéficier d’un abandon de souveraineté.
C’est donc le principe général du droit constitutionnel du
partage des compétences qui donne un fondement au pouvoir de
prendre des Actes uniformes.
Les représentants du peuple – lors du vote de la loi de ratification ou
d’approbation – ont accepté de partager leur compétence avec le
Conseil des ministres, organe législatif extranational mais
intergouvernemental de l’OHADA.
Comme ce partage des compétences trouve une justification, il
ne nous paraît pas nécessaire de le constitutionnaliser.
69
Voir sur ce point FAVOREU (L.) et PHILIP (L.), Les grandes décisions du Conseil
constitutionnel, Dalloz, 6è éd., 1991, pp. 331 et 796 ; 8è éd., 1995, p. 802.
LVI
Ce fondement nous introduit dans la constitutionnalité des
Actes uniformes.
Chapitre II : Contrôle de constitutionnalité des Actes uniformes
LVII
Le contrôle de la constitutionnalité des lois est apparu aux
Etats-Unis depuis 1803 et de façon empirique (contrôle non mentionné
par la Constitution), à l’initiative du Chief Justice Marshall et à
l’occasion de la célèbre affaire Marbury v. Madison (70).
Il s’est par la suite développé au point de se retrouver actuellement
dans la plupart des constitutions du monde.
Dans les Etats membres, les constitutions nationales
souscrivent à ce principe de contrôle, parfois de manière très
rigoureuse (71).
Nous avons affirmé dans nos développements antérieurs que les
Actes uniformes bénéficient d’un acquis constitutionnel par définition
du Traité OHADA.
Cet
acquis
peut-il
faire
l’objet
d’un
contrôle
de
constitutionnalité ? Dans l’affirmation, par quels mécanismes
juridiques ?
En outre, peut-on étendre l’inconstitutionnalité de la loi de
ratification ou d’approbation du Traité aux Actes uniformes ?
Enfin, devant quelle juridiction peut être portée une question
d’inconstitutionnalité d’un Acte uniforme ?
Répondre à ces principales interrogations fera l’objet du présent
chapitre.
Section 1 : Analyse des mécanismes constitutionnels de contrôle
La majorité des constitutions nationales des Etats membres (72)
affirment que si la cour constitutionnelle (…), déclare qu’un traité ou
accord international comporte une clause contraire à la constitution,
la ratification ou l’approbation ne peut intervenir qu’après la révision
de la constitution.
Une précision mérite d’être portée sur la formulation des
constitutions de Guinée Bissau et de Guinée Equatoriale.
70
CHAMPAGNE (G.), L’essentiel du droit constitutionnel, 4è édition, Paris, France, 2004, p.
4.
71
CABANIS (A.) et MARTIN (M. L.), Les constitutions d’Afrique francophone, Evolutions
récentes, éditions Karthala, Paris, France, 1999, p.159.
72
Art. 146 de la constitution du Bénin ; art. 150 de la constitution du Burkina Faso ; art. 44
de la constitution du Cameroun ; art. 68 de la constitution du Centrafrique ; art. 183 de la
constitution du Congo ; art. 86 de la constitution de Cote d’Ivoire ; art. 78 de la constitution
de Guinée ; art. 90 de la constitution du Mali ; art. 131 de la constitution du Niger ; art. 97
de la constitution du Sénégal ; art. 221 de la constitution du Tchad ; art. 139 de la
constitution du Togo.
LVIII
Les lois fondamentales de ces deux Etats membres ne prévoient pas de
disposition qui conditionne par une révision de la constitution la
ratification ou l’approbation d’un traité ou accord international
comportant une clause contraire à la constitution.
Elles se limitent à donner la compétence de connaître de la nonconformité des traités internationaux à la loi fondamentale, pour la
Guinée Bissau, à l’Assemblée nationale populaire, et pour la Guinée
Equatoriale, au Tribunal constitutionnel.
Certaines constitutions délimitent le domaine des traités
internationaux qui doivent être déférés avant leur ratification à la cour
constitutionnelle.
Dans le cas du Mali, ce sont les traités négociés et ratifiés par le
Président de la République et même ceux non soumis à ratification.
Plus précisément, il s’agit des traités de paix, de commerce, ceux qui
engagent les finances de l’Etat, ceux qui sont relatifs à l’état des
personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction du
territoire.
De manière générale, les constitutions des Etats membres
définissent la nature du contrôle, la composition de l’instance de
contrôle et les conditions de saisine de l’organe de contrôle (73).
Ces notions générales ne constituent pas l’objet de notre étude.
Dans le cadre de cette dernière, nous allons faire application de ces
principes constitutionnels aux Actes uniformes pour savoir si un
contrôle de constitutionnalité peut être exercé à l’égard des normes
dérivées et si l’inconstitutionnalité d’une loi de ratification ou
d’approbation peut affecter les mêmes normes dérivées.
§1. Le contrôle de la compatibilité des Actes uniformes avec les
constitutions nationales
Comme le Traité OHADA n’a pas institué un « droit
communautaire constitutionnel » l’emportant sur le droit national
constitutionnel de type européen (74), le contrôle de constitutionnalité
des Actes uniformes ne devrait relever que des constitutions nationales
des Etats membres.
En réalité, la compatibilité des Actes uniformes doit s’étendre à la
constitution et aux dispositions de valeur constitutionnelle, cet
73
Lire le développement de ces questions dans CABANIS (A.) et MARTIN (M. L.), op. cit., pp.
160 à 170.
74
Voir sur ce point le chapitre V de DRAGO (G.), Contentieux constitutionnel français,
collection Thémis, PUF, Paris, France, 1998, pp. 327 et ss.
LIX
ensemble qui en France
constitutionnalité’ (75).
porte
l’appellation
de
‘bloc
de
Lorsque l’on se réfère aux constitutions des Etats membres, l’on
se rend compte que les mécanismes constitutionnels de contrôle mis
en place concernent uniquement les normes communautaires
originaires (76).
Ces dernières entrent dans la définition des engagements
internationaux soumis à ratification ou à approbation, définition qui
ne s’étend pas aux Actes uniformes (77).
Aucun principe ne nous paraît pouvoir justifier l’élargissement de ces
mécanismes aux normes communautaires dérivées.
L’inexistence des mécanismes constitutionnels de contrôle
appropriés aux Actes uniformes rend impossible tout contrôle de la
compatibilité de ces derniers avec les constitutions nationales.
Ce contrôle sera-t-il exercé par voie directe et/ou par voie d’incident, et
devant quelle instance juridictionnelle ? Quelles autorités seraient
habilitées à saisir la juridiction constitutionnelle et selon quelle
procédure ?
Les réponses à ces questions qui devraient permettre d’exercer ce
contrôle doivent être préalables à l’exercice du recours de
constitutionnalité des Actes uniformes.
Ce constat d’impossibilité de contrôle est aussi fait en droit
français à l’égard du droit communautaire dérivé européen,
notamment en ces termes : « C’est assez dire que presque tout le droit
communautaire
a
échappé
et
échappera
au
contrôle
de
constitutionnalité. C’est évident pour les conventions institutives, qui ont
été signées sous la Quatrième République. C’est également vrai pour
certaines conventions modificatives, qui n’ont pas été soumises au
Conseil constitutionnel alors qu’elles auraient pu l’être (par exemple
l’Acte unique européen). Cela l’est encore davantage, et c’est le plus
important, pour le droit dérivé, produit ou à produire par les instances
communautaires, qui n’a pu et ne pourra faire l’objet d’un contrôle pour
deux raisons : d’une part, parce que c’est un droit qui, comme son
appellation l’indique, dérive ou procède des conventions institutives
devenues définitives et conclues pour ‘une durée illimitée’, qui en
constituent la source juridique et qu’il n’est pas question de remettre en
cause, d’autre part, sur le plan de la procédure et s’il en était besoin,
75
Lire notamment CHANTEBOUT (B.), Droit constitutionnel, 21è éd., Armand Colin, Paris,
France, 2004, p. 552.
76
A ce sujet, lire notamment RAYNAL (J.-J.), « Intégration et souveraineté : le problème de
constitutionnalité du Traité », op. cit.
77
Lire dans ce sens Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 4, Dalloz, 1998, pp. 63 et 64.
LX
parce qu’il n’existe aucun moyen de saisir le Conseil constitutionnel d’un
règlement ou d’une directive communautaire » (78).
Dans les pays où les mécanismes constitutionnels de contrôle
sont organisés, on remarque tout de même que les juges nationaux ne
se reconnaissent pas le pouvoir de contrôler la constitutionnalité des
actes communautaires dérivés.
La Cour constitutionnelle allemande qui s’est une fois déclarée
compétente
pour
contrôler
la
conformité
des
règlements
communautaires aux droits fondamentaux garantis par la constitution
(arrêt du 29 mai 1974), a connu un revirement de sa jurisprudence en
admettant qu’elle n’a pas à contrôler le droit communautaire dérivé
par rapport aux droits fondamentaux garantis par la constitution
puisque le système juridictionnel communautaire garantit le respect
des droits fondamentaux et des libertés publiques (arrêt du 22 octobre
1986) (79).
Si l’absence des moyens de droit et l’incompétence certaine des
juges nationaux ne permettent pas d’envisager à ce jour un contrôle de
la compatibilité des Actes uniformes avec les constitutions nationales,
examinons présentement les effets sur les Actes uniformes de
l’incompatibilité de la loi de ratification ou d’approbation avec la
constitution.
§2. L’inconstitutionnalité de la loi de ratification ou d’approbation
Contrairement au système européen où le droit communautaire
dérivé franchit les frontières législatives nationales par l’entremise
d’une loi d’application ou de transposition, le droit communautaire
dérivé africain ne prend appui sur aucune béquille législative nationale
et ne peut faire l’objet ni de ratification ni d’approbation. Il prend
appui seulement sur le Traité.
Dans ces conditions, nous ne voyons pas comment une
inconstitutionnalité déclarée ou non de la loi de ratification ou
d’approbation pourrait affecter un Acte uniforme.
En revanche, rien ne s’oppose à ce que le juge constitutionnel
soit saisi de l’inconstitutionnalité de la loi de ratification ou
d’approbation du Traité OHADA ou des Actes uniformes.
Nous pensons que concernant l’inconstitutionnalité de la loi de
ratification ou d’approbation du Traité, les juges constitutionnels vont
difficilement se reconnaître compétents pour connaître d’une telle
78
PACTET (P.) et MELIN-SOUCRAMANIEN (F.), Droit constitutionnel, 23è éd., Armand Colin,
Paris, France, 2004, p. 582.
79
CHATILLON (S.), Droit des affaires internationales, 3è éd., collection ‘Gestion
Internationale’, librairie Vuibert, Paris, France, 2002, p. 51.
LXI
question d’inconstitutionnalité – pour lequel traité ils ont dû émettre
un avis de conformité à la constitution – et pour s’opposer à l’œuvre
harmonisatrice dudit traité.
Quant à l’inconstitutionnalité de la loi de ratification ou d’approbation
d’un Acte uniforme, elle demeure également difficile à imaginer dans
un contexte où les Etats se sont engagés à intégrer directement les
normes communautaires dans leur arsenal juridique.
Notons que pareil recours est inconcevable en Guinée où la
constitution dispose qu’une loi autorisant la ratification ou
l’approbation d’un engagement international ne peut être déclarée non
conforme à la loi fondamentale (80).
Le droit communautaire et le droit national découlent de
sources indépendantes et mènent des existences séparées.
Cependant les deux ordres juridiques partagent le même territoire et
peuvent éventuellement se fonder sur des normes différentes pour
statuer sur les mêmes faits. Il est donc nécessaire, tout comme dans
un Etat fédéral, d’avoir à disposition des règles régissant les
contradictions et incompatibilités et de veiller à leur mise en œuvre (81).
En principe, il appartient au juge de veiller à cette mise en œuvre en
interprétant les règles qui régissent les contradictions et
incompatibilités tout en donnant des solutions à ces dernières.
Section 2 : Le juge de la contrariété
Nous avons examiné dans la section précédente la marge de
manœuvre dont dispose le juge constitutionnel sur la question de la
conformité du droit communautaire au droit constitutionnel.
Nous avons abouti au constat selon lequel seule n’est attribuée à ce
juge que la compétence de connaître l’inconstitutionnalité du droit
communautaire originaire, car les constitutions nationales sont
muettes en ce qui concerne le droit communautaire dérivé.
Face à l’existence de deux ordres juridiques, communautaire et
national, chaque Etat membre doit assurer une conciliation
permanente entre le développement d’un véritable ‘droit de
l’intégration’ et le respect de son ordre constitutionnel.
A quel organe juridictionnel, communautaire ou national,
convient-il de confier cette conciliation ?
80
Art. 78 de la constitution de Guinée.
DIETER GRIMM, « La Cour européenne de Justice et les juridictions nationales, vues sous
l’angle du droit constitutionnel allemand », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 4, op.
cit., p. 70.
81
LXII
Nous disons avec Olivier DORD (82) que cette conciliation
devient délicate lorsque la protection de la constitution est confiée à
une juridiction constitutionnelle, plus particulièrement à une cour
constitutionnelle.
Cette délicatesse ne tient pas trop au risque de partialité dans le chef
de la juridiction constitutionnelle mais beaucoup plus à son
incompétence de connaître un litige relatif à l’interprétation et à
l’application des Actes uniformes et à son manque d’expérience à
protéger le droit de l’intégration.
Dans ces conditions, il est préférable de
conciliation à un organe juridictionnel communautaire.
confier
cette
§1. La compétence de la CCJA
La CCJA assure dans les Etats membres l’interprétation et
l’application commune du Traité, des Règlements pris pour
l’application de ce dernier et des Actes uniformes (83).
A priori cette disposition qui ne définit pas l’étendue du
contentieux relatif à l’interprétation et à l’application des Actes
uniformes, ne semble pas concerner une contrariété entre normes
communautaires dérivées et normes constitutionnelles.
Mais, bien avant tout contentieux, la CCJA peut être confrontée
à une question de contrariété entre ces deux types de normes si dans
un rapport accompagnant un projet d’Acte uniforme, le Secrétariat
Permanent fait état d’une incompatibilité entre une disposition
uniforme et une norme nationale de valeur constitutionnelle portant
sur un droit fondamental ou une liberté publique.
Les organes communautaires, notamment le Conseil des
ministres et la Haute Cour, jouissent d’un partage de compétences
avec les organes nationaux correspondants. Ils sont donc tenus de se
limiter au pouvoir leur concédé par les constitutions au risque de
commettre un excès de pouvoir.
Voilà les deux cas de figure au cours desquels la CCJA peut
être amenée à résoudre une difficulté de contrariété entre Actes
uniformes et constitutions nationales.
a) Le contrôle préventif de la contrariété
82
DORD (O. B.), « Contrôle de constitutionnalité et droit communautaire dérivé : de la
nécessité d’un dialogue entre les juridictions suprêmes de l’Union européenne », Les Cahiers
du Conseil constitutionnel, n° 4, op. cit., p. 98.
83
Art. 14 al.1° du Traité OHADA.
LXIII
L’article 7 al.2° du Traité dispose que (…), le projet d’Acte
uniforme, accompagné des observations des Etats membres et d’un
rapport du Secrétariat permanent, est immédiatement transmis pour
avis par ce dernier à la Cour commune de justice et d’arbitrage.
Dans nos commentaires antérieurs en rapport avec cette
disposition, nous avons précisé que la Haute Cour communautaire
dispose de trente jours pour émettre son avis de conformité du projet
d’Acte uniforme au Traité, aux Actes uniformes antérieurs et à la
philosophie générale de l’harmonisation.
Nous pouvons ajouter sur cette liste les constitutions nationales. Cela
est difficilement concevable ; mais que le risque de contrariété soit
évoqué ou non par une Commission nationale, la CCJA a toujours
intérêt de disposer de constitutions des Etats membres et de manière
préventive, supprimer tout conflit apparent ou latent entre une
disposition d’un futur Acte uniforme et celle d’une ou de plusieurs
constitutions nationales.
D’autant plus que pareille suppression préventive paraît plus aisée
qu’une saisine ou une consultation portant sur un cas de contrariété.
b) Le contrôle juridictionnel de la contrariété
Selon les modalités fixées à l’article 14 du Traité, une saisine ou
une consultation de la CCJA peut faire état d’un cas de contrariété
entre un Acte uniforme et une constitution nationale soit parce qu’une
ou plusieurs de leurs normes sont contraires l’une à l’autre ou les
unes aux autres, soit parce qu’un plaideur s’estime en présence d’une
violation de l’étendue des habilitations constitutionnelles conférées aux
organes communautaires.
En effet, un plaideur non commerçant qui dans un procès civil
constate que des dispositions d’un Acte uniforme vont être appliquées
à sa transaction civile, peut alléguer que le Conseil des ministres a agi
au-delà de ses prérogatives. En adoptant un Acte uniforme qui
s’applique à des matières purement civiles, le Conseil des ministres a
commis un excès de pouvoir. Pour lui, cet organe ayant reçu mandat
de légiférer sur les matières du droit des affaires, aura outrepassé ses
habilitations constitutionnelles en légiférant sur une matière non
reprise dans son domaine d’action. Ce qui pourrait arriver notamment
si le futur Acte uniforme sur le Droit des contrats, une fois adopté par
le Conseil des ministres, devait abroger le livre du code civil relatif aux
obligations contractuelles.
La violation de l’étendue des habilitations constitutionnelles
peut aussi se poser pour les arrêts de la Haute Cour communautaire,
compte tenu de la nature très constructive de sa jurisprudence.
LXIV
Certains arrêts de la CCJA, notamment dans le domaine des nullités
des actes de procédure et des défenses à l’exécution provisoire comme
exposé ci-haut, frisent la violation des droits fondamentaux ou des
habilitations constitutionnelles concédées à cette Haute Juridiction
communautaire.
En effet, nous avons exposé précédemment que le régime des
nullités et le champ d’application des défenses à l’exécution par
provision issus de la réforme OHADA ont modifié ceux connus dans les
Etats.
La question qui a découlé de cet exposé était celle de savoir si la
modification contenue dans l’AUPSRVE était contraire aux
constitutions nationales.
Si dans un Etat membre, des éléments (délais, formalités, etc.) en
rapport avec le régime des nullités et le champ d’application des
défenses à l’exécution par provision sont déterminés par la
constitution nationale, leur modification par l’AUPSRVE sera
inconstitutionnelle. Mais si ces éléments sont fixés par une loi, leur
modification exigée par le Traité est conforme à la constitution.
L’exemple pris de l’AUPSRVE peut s’étendre à tous les autres
Actes uniformes à travers leurs dispositions qui abordent des
questions
de
droits
fondamentaux
et
libertés
publiques
constitutionnellement garantis.
Le contrôle juridictionnel de la contrariété revient ainsi pour un
juge d’examiner la violation d’un droit fondamental ou d’une liberté
publique par une disposition d’un Acte uniforme. Par voie de
conséquence, l’organe juridictionnel compétent de cette contrariété
doit être le juge constitutionnel chargé de circonscrire l’étendue des
droits fondamentaux et des libertés publiques constitutionnellement
garantis.
Comparée au droit dérivé africain, l’immense panoplie qui
compose le droit dérivé européen présente parfois une certaine
confusion. Celle-ci tient en premier lieu à ce que la terminologie des
trois principaux traités (les traités de Paris du 18 avril 1951 et de
Rome du 25 mars 1957, l’Acte unique européen des 14 et 28 février
1986, le traité de Maastricht du 7 février 1992) n’est pas unifiée. Elle
tient aussi au fait que la détermination des destinataires (Etats et
particuliers ou Etats seuls ou particuliers seuls) est parfois incertaine
ou discutée (84).
Pour expliciter nos propos, nous prenons l’exemple des règlements.
Dans le système OHADA, tous les règlements sont pris en application
84
SCHAPIRA (J.), Le TALLEC (G.), BLAISE (J. B.) et IDOT (L.), Droit européen des affaires,
tome 1, 5è éd., collection Thémis, PUF, Paris, France, 1999, p. 18
LXV
du traité alors que dans le système européen, on distingue les
règlements de base et les règlements d’application.
A ce sujet, une résolution du Parlement européen du 18 avril 1991 a
demandé qu’il soit porté remède à l’incertitude affectant la nature des
actes communautaires (85).
Mais là où le système européen prend une avance par rapport
au système africain, c’est au niveau de la prise de conscience des
difficultés engendrées par l’application du droit dérivé et de la
réactivité à les résoudre.
Afin de réajuster équitablement les compétences communautaires et
nationales, le système européen a mis en place le mécanisme dit de la
‘subsidiarité’ (86).
Même si le principe de subsidiarité n’est qu’un mode d’exercice
de certaines compétences sans possibilité de devenir, en aucun cas,
une règle d’attribution de celles-ci (87), il n’offrirait pas moins une base
juridique
aux
potentielles
violations
des
habilitations
constitutionnelles du Conseil des ministres.
Néanmoins, le principe de subsidiarité ne peut pas s’étendre
aux reproches à l’encontre de la Haute Juridiction communautaire
africaine.
Pour elle, la solution pourrait provenir de la modification de l’Acte
uniforme et/ou de la constitution nationale concernés.
Examiner la compétence de la CCJA à initier la modification
d’un Acte uniforme ou d’une constitution revient à étudier cette
institution en droit constitutionnel.
§2. La CCJA en droit constitutionnel
Aujourd’hui, quand on analyse la nature de l’OHADA, on ne
peut pas affirmer que la communauté qu’elle a créée constitue un Etat
puisqu’elle détient trop d’attributs de souveraineté, ni une simple
organisation internationale puisqu’elle en détient beaucoup,
notamment l’autorité qu’elle exerce – avec effet direct – à l’intérieur des
Etats membres.
85
Bull., avril 1991, 1.1.4.
La règle de subsidiarité est portée par l’art. 3 B, al.2°, CE, du traité de Maastricht qui
dispose :
« La Communauté agit dans les limites des compétences qui lui sont conférées et des
objectifs qui lui sont assignés par le présent traité.
« Dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté
n’intervient, conformément au principe de subsidiarité, que si et dans la mesure où les
objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les
Etats membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l’action
envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire.
« L’action communautaire n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs du
présent traité. »
87
SCHAPIRA (J.), Le TALLEC (G.), BLAISE (J. B.) et IDOT (L.), op. cit., p. 67.
86
LXVI
Cette difficulté d’analyse du régime politique de l’Organisation
est aussi vraie pour la relation juridique entre la Haute Juridiction
communautaire et les constitutions nationales.
La solution de cette difficulté réside dans l’analyse de la relation
existant entre les dispositifs juridiques nationaux et leur équivalent
communautaire. Cette analyse fera apparaître la nécessité de
distinguer les cours constitutionnelles et les juridictions nationales
inférieures.
a) Relation entre la CCJA et les cours constitutionnelles
Cette relation est abordée dans le cadre d’une contrariété entre
un Acte uniforme et une constitution nationale.
Les
constitutions
nationales
donnent
aux
cours
constitutionnelles la compétence de connaître de la constitutionnalité
des traités et accords internationaux, à l’exception de celle de Guinée
Bissau qui confère cette compétence à l’Assemblée nationale populaire.
Les mêmes constitutions se taisent en ce qui concerne la
constitutionnalité du droit dérivé.
Néanmoins, nous pensons que malgré le silence des
constitutions nationales, les cours constitutionnelles sont compétentes
pour examiner la constitutionnalité des Actes uniformes.
Ainsi, si une cour constitutionnelle est saisie de
l’inconstitutionnalité d’un Acte uniforme, elle doit se déclarer
compétente. Mais elle peut consulter la CCJA (88) avant de se
prononcer au fond si elle estime nécessaire l’avis de la Haute Cour
communautaire sur l’étendue de la disposition uniforme.
b) Relation entre la CCJA et les juridictions nationales inférieures
Si au cours de l’examen d’un litige impliquant l’interprétation
ou
l’application
d’un
Acte
uniforme,
une
question
d’inconstitutionnalité de ce dernier est soulevée, la juridiction
nationale doit la déférer non devant la CCJA mais devant la cour
constitutionnelle pour les raisons développées ci-dessus.
La CCJA qui n’a pas reçu mandat de se prononcer sur la
qualité des dispositions des constitutions nationales ni d’initier la
88
L’art. 14 al. 2° du Traité reconnaît la faculté de solliciter un avis consultatif de la CCJA
aux juridictions nationales (y compris les cours constitutionnelles nationales) saisies d’un
contentieux qui concerne les Actes uniformes.
LXVII
modification des Actes uniformes, se limitera à se déclarer
incompétente ; même si elle peut profiter de l’occasion pour donner
avec subtilité une explication de la norme du droit dérivé et de la
norme constitutionnelle, sans faire ressortir ni confirmer la contrariété
de l’une par rapport à l’autre, pour ne pas créer un précédent fâcheux
notamment sur la supériorité du Traité ou des Actes uniformes sur les
constitutions nationales.
La Haute Juridiction communautaire a fait montre d’une telle
habileté lorsque la doctrine (89), réagissant avec vigueur à ses
constructions jurisprudentielles, lui a presque reproché la violation
des habilitations constitutionnelles.
Elle a su donner à ses arrêts des précisions qui ont renvoyé dos à dos
les protecteurs de l’ordre communautaire et les défenseurs de l’ordre
national.
Pour prendre l’exemple le plus frappant, si la CCJA a fait râler ceux-ci
dans l’arrêt dit des Epoux Karnib lorsqu’elle a donné l’impression
d’avoir supprimé les défenses à l’exécution provisoire, elle a fait
déchanter ceux-là dans ses arrêts subséquents lorsqu’elle a précisé
que les défenses à l’exécution provisoire doivent être entamées avant le
commencement de l’exécution forcée.
Pour conclure sur la constitutionnalité des Actes uniformes,
nous allons nous référer à la position de la jurisprudence sur la
constitutionnalité du Code CIMA, faute de décisions de justice sur la
constitutionnalité des Actes uniformes.
Le Code CIMA étant une loi uniforme dérivée du Traité CIMA, la
problématique de sa constitutionnalité ressemble à celle de la
contrariété des Actes uniformes, normes dérivées du Traité OHADA,
aux constitutions nationales. A cet effet, nous allons tour à tour
exposer le cas examiné par le juge constitutionnel du Niger et du
Centrafrique.
L’affaire traitée par la Cour constitutionnelle nigérienne peut être
présentée comme suit : « Les dispositions des Articles 229 et 257 à 266
du code CIMA imposant aux victimes d’accidents de la circulation
terrestre et aux juges qui les leur octroient, des indemnités forfaitaires
ou barémisées ou plafonnées, tout en excluant de la réparation par les
assureurs des responsables des dommages causés, certains chefs de
préjudice, contreviennent aux principes du pouvoir et de l’indépendance
des juges (Articles 98 et 100 de la Constitution du Niger), du droit de
chacun à un procès équitable (Article 10 de la Déclaration universelle
des droits de l’homme du 10 décembre 1948 ; Article 7 de la charte
africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981) et de l’égalité
89
Voir supra sous la note 53.
LXVIII
des victimes devant la loi (Article 8 de la Constitution nigérienne du
9 août 1999).
En conséquence, ces dispositions doivent être considérées comme
inconstitutionnelles, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens
invoqués par le requérant, notamment celui relatif à l’inconstitutionnalité
du code CIMA pour violation de la procédure de ratification » (90).
Le cas soumis au juge constitutionnel centrafricain peut être
résumé comme suit : « Le contrôle a posteriori de la Constitution est
prévu d'abord par l'article 34 de la loi n° 95-006 du 15 août 1995 qui
permet au Président de la République, au président de l'Assemblée
nationale, au tiers des députés, à tout intéressé de saisir, par voie
d'action, la Cour constitutionnelle et ensuite par l'article 70 de la
Constitution et l'article 43 de la loi n° 95-006 du 15 août 1995 qui
permet à tout intéressé de saisir par voie d'exception la Haute Cour ;
En effet l'article 70, alinéa 3, de la Constitution dispose que «toute
personne qui s'estime lésée peut saisir la Cour constitutionnelle sur la
constitutionnalité des lois, soit directement, soit par la procédure
d'exception d'inconstitutionnalité invoquée devant une juridiction dans
une affaire qui la concerne» ;
C’est donc à bon droit que le conseil de Namkoïna a saisi la Cour
constitutionnelle de l'exception d'inconstitutionnalité de la loi n° 95-004
du 2 juin 1995 autorisant la ratification du Traité créant le code CIMA ; il
échet de déclarer la requête recevable en la forme.
L’article 5 de la Constitution dispose que «tous les êtres humains
sont égaux devant la loi sans distinction de race, d'origine ethnique, de
région, de sexe, de religion, d'appartenance politique et de position
sociale ».
S’il est exact que «les règles constitutionnelles de l'égalité et de la
non-discrimination n'excluent pas qu'une différence de traitement soit
établie entre des catégories de personnes, c’est à la condition que cette
différence repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement
justifiée ; l'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant
compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature
des principes en cause ; et le principe d'égalité est violé lorsqu'il est
établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre
les moyens employés et le but recherché par le législateur» ;
En tenant compte de la position sociale des victimes des accidents
de circulation et du SMIG pour le calcul des indemnités dues à ces
victimes, le code CIMA a violé le principe d'égalité entre les êtres
90
Cour constitutionnelle du Niger, arrêt n° 2002-14/CC du 4 septembre 2002, Requête
Ousmane Garba et Tanimoune Abdou,
Observations de ISSA-SAYEGH (J.),
www.ohada.com, rubrique Jurisprudence, référence Ohadata J-02-203.
LXIX
humains et les principes fondamentaux de l'ordre public interne
centrafricain qui sont l'équité, la juste réparation du préjudice subi et
l'appréciation souveraine des juges du fond en matière d'indemnisation
des préjudices.
En conséquence, les dispositions des articles 259, 260 et 264
opérant des distinctions entre personnes salariées, actifs non salariés,
personnes majeures et retenant le seul SMIG comme mode de calcul des
indemnités doivent être déclarées non conformes à la Constitution
comme violant le principe d'égalité » (91).
Les deux décisions de justice qui déclarent inconstitutionnelles
certaines dispositions du Code CIMA, loi uniforme dérivée d’un traité à
l’instar des Actes uniformes, suscitent la question de savoir si les Etats
concernés acquièrent, sur base de l’autorité de la chose jugée, le droit
de rejeter tout ou partie de la loi uniforme communautaire.
Sans vouloir trop anticiper sur la solution de la contrariété,
objet de la seconde partie de notre étude, nous pensons que malgré
une décision de justice confirmant l’inconstitutionnalité de la loi
uniforme communautaire, l’Etat ou les Etats concernés doivent
continuer de la respecter et de la faire appliquer à cause primo de leur
obligation de se soumettre aux normes communautaires tant qu’ils
n’ont pas dénoncé le traité créateur de la communauté et secundo, de
l’impossibilité pour eux d’amender la loi uniforme communautaire.
La Cour de cassation du Centrafrique a abouti à la même
conclusion lorsqu’elle a examiné la décision du juge constitutionnel
centrafricain.
En effet, à la suite du tollé généralisé suscité en Centrafrique
par la décision de la Cour constitutionnelle confirmant
l’inconstitutionnalité du Code CIMA, la Cour de cassation s’est réunie
en Assemblée Générale le 19 avril 2000. Dans sa délibération n°
001/2000 qui en a découlé, la Cour de cassation a recommandé aux
juridictions de l’ordre judiciaire de continuer à appliquer le Code CIMA
dans toutes ses dispositions, étant entendu que le traité est supérieur
à toutes les lois internes et qu’aucune disposition nationale ne saurait
en modifier le contenu, ni en restreindre les effets.
Dans la motivation de sa délibération, la Cour de cassation
expose notamment les moyens suivants : « Enfin, lorsqu’un traité ou un
accord comporte une clause contraire à la Constitution, l’Etat qui entend
le ratifier procède par voie de révision aux corrections constitutionnelles
nécessaires avant la ratification. Signe de la supériorité du traité, c’est
91
Cour constitutionnelle centrafricaine, décision n° 003/CC/98 du 9 juin 1998, Note de
N'DJAPOU (J.), Penant, Janvier – Avril 1999, n° 829, p. 86 ; www.ohada.com, rubrique
Jurisprudence, référence Ohadata J-02-63 - Ohadata J-02-78
.
LXX
bien la Constitution qui s’adapte au traité et non le contraire. Si c’est
après ratification ou promulgation que la contrariété est avérée, l’Etat
dispose toujours de cette ressource ou alors recourt à la solution extrême
que constitue la dénonciation. En l’espèce, la République Centrafricaine
n’a pas encore, jusqu’à preuve du contraire, usé de la faculté de
dénonciation prévue à l’article 60 du Traité de Yaoundé.
Ainsi l’exercice du contrôle de la constitutionnalité d’un traité n’est
concevable, aux termes de la législation Centrafricaine en vigueur
qu’avant la ratification. Dès lors, le pouvoir de contrôle de la Cour
Constitutionnelle a posteriori devient sans objet, notamment en ce que
les dispositions même de l’acte de ratification interdisent implicitement
un tel contrôle, en soumettant toute loi nationale même contraire,
ancienne ou future aux exigences dudit traité » (92).
Il ressort de cet exposé que pour défendre le Code CIMA, la Cour
de cassation utilise les arguments propres au Traité CIMA. Pour elle,
statuer sur la constitutionnalité du Code CIMA (normes dérivées)
équivaut à décider sur la constitutionnalité du Traité CIMA (norme
originaire). La Cour de cassation estime que le Code CIMA ayant été
institué par le Traité CIMA fait corps ou partie intégrante avec le
Traité. De ce fait, l’argumentaire juridique concernant le contrôle de la
constitutionnalité du Traité (norme originaire) s’étend au Code CIMA
(norme dérivée).
Nous ne partageons pas cette façon de voir de la Cour de
cassation. Nous estimons que la loi uniforme communautaire (Code
CIMA ou Actes uniformes) ne fait pas partie intégrante avec la norme
originaire (Traité CIMA ou Traité OHADA). Ayant une identité distincte
de celle de la norme originaire, la norme dérivée doit disposer d’une
argumentation juridique propre sur le contrôle de constitutionnalité,
celle des Actes uniformes fera l’objet de la seconde partie de notre
étude.
En outre, du fait que la Constitution doit être modifiée avant la
ratification d’un traité comportant une clause contraire à la loi
fondamentale, la Cour de cassation en déduit la supériorité du traité
sur la constitution (93).
Nous ne partageons pas non plus cette position. Pour nous, la
constitution est supérieure au traité car c’est elle-même qui se fait
cette obligation de modification ou d’adaptation. Elle s’intime cet ordre
de modification ou d’adaptation pour préparer l’introduction du traité
dans l’ordre juridique interne et le cadre juridique d’actions propre à
92
93
Délibération de la Cour de cassation centrafricaine n° 001/2000 du 19 avril 2000.
A propos du principe de la primauté du droit international sur le droit interne, lire
notamment DAILLIER (P.) et PELLET (A.), Droit international public, 6è éd., LGDJ, Paris,
France, 1997, nos 49 à 57, p. 95 et s.
LXXI
chaque traité. Si la constitution n’ouvre pas la voie au traité, celui-ci
restera lettre morte.
La constitution fixe notamment les conditions de préparation,
négociation, ratification … des traités. C’est une façon pour elle de
régir le traité ou à tout le moins d’influer sur le traité. Alors qu’aucun
traité ne comporte une disposition qui enjoint à une constitution
l’ordre de modification ou d’adaptation ou même de préparation de son
cadre juridique d’actions dans l’ordre interne (94).
Pour nous, il faut attendre l’avènement d’un traité
constitutionnel comportant des injonctions aux constitutions
nationales pour parler d’un traité supérieur à la constitution.
Dans cette première partie, nous nous sommes concentré à
définir les éléments constitutifs de la contrariété, la présomption
irréfragable de constitutionnalité de l’acquis communautaire, les
limites constitutionnelles de l’intégration, bref à préciser le contenu de
la contrariété entre Actes uniformes et constitutions nationales.
La contrariété ainsi définie mérite d’être solutionnée. Cette
solution consistera à révéler les contraintes qui s’imposent à tous les
membres de la communauté.
94
Commentant la position des dualistes, DAILLIER (P.) et PELLET (A.) (idem, p. 96) nous
donnent la conclusion suivante : « A priori, cette thèse est démentie par l’observation de la
pratique : de nombreuses constitutions contemporaines, à commencer par la Constitution
française de 1958, font une place éminente, parmi les normes applicables dans l’ordre
juridique national, à des normes d’origine internationale, en particulier conventionnelle.
Toutefois, à y regarder de plus près, force est de constater que c’est la constitution (donc
un instrument juridique interne) qui prévoit et règlemente l’introduction de ces
règles dans l’ordre interne et qui leur assigne une place (en général éminente) dans
la hiérarchie des normes internes ».
LXXII
LXXIII
Deuxième
partie :
CONTRARIETE
LA
SOLUTION
DE
LA
Nous avons énoncé dans nos développements précédents
pourquoi et comment un Etat membre peut, en application de l’article
12 du Traité, initier la procédure de modification d’un Acte uniforme
dont une ou plusieurs dispositions seraient incompatibles avec sa
constitution nationale.
Comme le droit dérivé doit avoir le même contenu dans tous les
Etats membres, celui des Etats Parties qui estime qu’une disposition
uniforme n’est pas compatible avec sa loi fondamentale ne peut pas,
solo sensu ou motu proprio, donner un contenu différent au droit
dérivé applicable à l’intérieur de ses frontières sans mettre en péril
l’œuvre communautaire.
Quelle que soit la nature de la contrariété, l’Acte uniforme doit
s’appliquer dans tous les Etats membres, même dans celui où
l’incompatibilité est alléguée, aussi longtemps que les autres Etats
n’auront pas agréé la requête de l’Etat demandeur et l’Acte uniforme
concerné, modifié. De cette rigueur, il doit résulter une unification de
la réglementation des affaires dans les Etats membres (95), ce d’autant
plus que les Actes uniformes sont censés s’appliquer de manière
95
Lire cependant LAURIOL (T.), « OHADA : l’intensification du processus d’harmonisation »,
Revue de Droit des Affaires Internationales, n° 6, 2001, p. 752 et s, qui écarte l’idée
d’unification.
LXXIV
identique aux opérations d’affaires quel que soit le pays membre et quel
que soit le caractère national ou international de l’opération. L’OHADA
crée ainsi entre les Etats membres un espace juridique commun qui
transcende les frontières étatiques (96).
Aux termes de l’article 12 du Traité, un Acte uniforme ne peut
être modifié que dans les conditions prévues par les articles 7 à 9 du
même texte.
En d’autres termes, la procédure de modification est conforme à celle
de l’élaboration des Actes uniformes dont nous avons analysé cidessus les conditions de forme, de fond et de délai. C’est l’application
du principe du parallélisme des formes.
En résumé, le projet de modification d’Acte uniforme doit être
préparé par le Secrétariat permanent en concertation avec les
gouvernements des Etats membres représentés par leur Commission
nationale.
Le projet de modification, accompagné des observations des
Commissions nationales et d’un rapport du Secrétariat permanent,
devra être envoyé pour avis à la CCJA.
Le Secrétariat permanent dressera un rapport final et fera inscrire le
projet de modification à l’ordre du jour d’une session du Conseil des
ministres pour adoption.
L’initiative de modification d’un Acte uniforme ne peut provenir
que d’un Etat membre. Mais le Traité ne précise pas l’organe
compétent pour recevoir la demande d’amendement.
Sur pied de l’article 11 du Traité qui dispose que le Conseil des
ministres approuve, sur proposition du Secrétaire Permanent, le
programme annuel d’Harmonisation du droit des affaires, nous
pensons que la demande d’amendement devrait être adressée au
Secrétariat permanent. Celui-ci se chargera de la soumettre à la
décision du Conseil des ministres.
En principe, si l’objet et la motivation de l’amendement emportent la
conviction du pouvoir législatif communautaire, ce dernier instruira le
pouvoir exécutif communautaire de déclencher la procédure de
modification ci-dessus résumée.
Conformément à notre hypothèse de travail, dans sa demande
de modification, l’Etat requérant indiquera à titre d’objet le ou les
articles de l’Acte uniforme concerné et comme motivation, la
contrariété entre le ou les articles visés et sa constitution.
96
MAMADOU KONE, op. cit., p. 6
LXXV
C’est cette motivation qui pourrait diviser les opinions au sein
du Conseil des ministres lors de ses deux consultations : approbation
du programme de modification et adoption des amendements.
Nous allons analyser les délibérations du Conseil des ministres
et dégager les conséquences de droit de ses réponses majoritaires ou
unanimes à réserver à la demande de modification.
Ces réponses et conséquences seront souvent soutenues par la
philosophie générale d’intégration portée par les aspects spécifiques du
Traité.
Et considérant la vocation africaine de l’OHADA qui appelle son
élargissement, nous allons examiner si le Traité contient des
dispositions pour prémunir les Actes uniformes contre la contrariété à
l’égard des constitutions des Etats adhérents ou s’il doit recevoir des
aménagements appropriés à cette finalité.
Les deux titres de cette seconde partie vont se partager ces
deux axes de réflexion.
Titre premier : L’ORIGINALITE DU TRAITE OHADA
Comme d’aucuns pourraient l’imaginer à cause de l’intitulé de
ce titre, nous n’allons pas ici développer les aspects spécifiques du
Traité qui font son originalité parmi les modèles d’intégration connus
au monde.
Mais cet intitulé signifie tout simplement que la solution que nous
allons préconiser dans le cadre de cette étude, sera déduite des
assertions compatibles avec la logique de construction de l’édifice
OHADA.
La question de la contrariété des normes reçoit des assertions
de solution identiques en droit international classique et en droit
international communautaire.
La théorie générale de l’ordre international (classique et
communautaire) procède par la classification des normes et trouve la
solution à la contrariété en fonction du rang des normes en
concurrence.
Comme la norme privilégiée tire son origine d’une source
supranationale, la même théorie permet à l’Etat propriétaire de la
norme interne contraire de conserver cette dernière telle quelle si son
cocontractant ou l’un de ses cocontractants n’applique pas la norme
supranationale au moment où la modification de la norme interne lui
est demandée.
LXXVI
Ces assertions de la solution tirée de l’ordre international nous
paraissent incompatibles avec le système OHADA dont la philosophie
générale d’intégration semble reposer sur un ‘droit constitutionnel
communautaire’.
Nous allons successivement démontrer l’incompatibilité des
assertions de l’ordre international dans un premier chapitre et dans
un second, analyser les points saillants de la responsabilité des
structures étatiques impliquées dans l’adoption des Actes uniformes.
Chapitre I : L’incompatibilité de la position classique
En instituant un ordre juridique national, une constitution
réalise une mission de paix en réglant les éléments de sa propre
suprématie à l’intérieur d’un territoire donné, à l’égard d’une
population déterminée mais aussi sur toutes les normes qui lui sont
subordonnées, passées, présentes et futures.
Protectrice de son œuvre, la constitution développe
naturellement une résistance à l’introduction des normes
internationales en droit interne.
Mais elle ne peut ignorer pendant longtemps le droit supranational
auquel elle doit accorder une place dans l’ordre national.
Qu’elle soit de type dualiste ou moniste, la constitution doit se
prononcer sur la place des normes supranationales dans la hiérarchie
des normes de l’ordre juridique national puisque les systèmes dualiste
et moniste n’impliquent pas nécessairement une place déterminée des
normes supranationales dans l’ordre interne.
Après l’étape de la reconnaissance, la constitution se positionne
par rapport aux normes supranationales (97).
97
Nous pensons que la supranationalité tirée ou non de l’article 10 du Traité OHADA signifie
supralégalité et non, supraconstitutionnalité. Cette dernière est utilisée ici au sens de
« supérieur à la constitution » et non, au sens de « noyau de règles intangibles au sein d’un
ordre constitutionnel, c’est-à-dire règles auxquelles les révisions constitutionnelles ne
pourraient apporter aucune modification. Voir dans ce sens, DENQUIN (J.-M.), « Les droits
LXXVII
Que les ordres juridiques supranational et national soient séparés ou
unifiés, les normes issues de ces deux sources vont s’appliquer
indistinctement et concomitamment sur un même terrain. D’où la
nécessité pour la loi fondamentale d’établir une hiérarchie entre les
normes supranationales et nationales, et de conditionner l’application
des premières à leur respect par les autres parties contractantes.
Dans cette hiérarchie des normes, nous retiendrons le rang de
la constitution par rapport au droit dérivé (section 1) et analyserons les
conditions d’application du principe de réciprocité aux Actes uniformes
(section 2).
Section 1 : Principes du droit international classique
Il ressort de nos développements précédents que dans le cadre
de la présente étude, nous avons retenu les principes de la hiérarchie
des normes supranationales et nationales pour démontrer
l’incompatibilité des assertions du droit international classique ou
communautaire à la solution de contrariété entre Actes uniformes et
constitutions nationales.
§1. La hiérarchie des normes
La hiérarchie des normes supranationales et nationales procède
du principe de la primauté du droit international classique ou
communautaire même si la solution pratique découle en réalité de
chaque constitution nationale ; car à quelque courant philosophicojuridique que se rattache tout internationaliste, aucune préférence
théorique ne remplace l’indispensable observation de la réalité, dans
sa diversité et son hétérogénéité (98).
Les rapports entre le droit communautaire africain et les
constitutions nationales (99) ne sont pas faciles à déterminer du fait de
l’ampleur intégratrice du droit communautaire dont les innovations
politiques », Le grand oral : Protection des libertés et des droits fondamentaux, sous la
direction de Serge GUINCHARD et Michèle HARICHAUX, 2è éd., Montchrestien, Paris,
France, 2004, p. 315.
98
DAILLIER (P.) et PELLET (A.), op. cit., p. 107.
99
A propos des rapports entre normes internationales et normes internes, lire notamment
DAILLIER (P.) et PELLET (A.), op. cit., p. 95 et s. Dans l’ordre juridique interne, l’opposition
entre la thèse moniste et dualiste se manifeste au regard de l’introduction et de la place des
normes internationales dans les droits nationaux. Dans l’ordre juridique international, cette
opposition ne produit pas d’effets du fait du principe fondamental de la prééminence du
droit international sur le droit interne.
LXXVIII
modifient directement, par la volonté des constitutions nationales,
l’ordre juridique national.
La difficulté de définir ces rapports est démontrée par la divergence
des opinions exprimées par les auteurs : certains reconnaissent la
suprématie du Traité sur les constitutions (100) et d’autres vont jusqu’à
affirmer que les règles élaborées par le Secrétariat permanent dans le
cadre de l’OHADA (c’est-à-dire les Actes uniformes) sont supérieures à
la Constitution de n’importe lequel des Etats signataires (101).
Généralement, les auteurs tirent la règle de la supériorité d’un
traité sur la constitution du fait que celle-ci admet d’être amendée
pour permettre la ratification ou l’approbation d’un traité qui comporte
une clause contraire à une disposition de la constitution.
Cette justification ne nous convainc pas parce que même si
l’amendement de la constitution est initié pour le besoin du traité, la
modification de la loi fondamentale doit être antérieure à la ratification
ou à l’approbation du traité, ce qui revient à dire que tant que la
constitution ne sera pas modifiée il n’y aura pas possibilité de ratifier
ou d’approuver le traité, et que c’est la loi fondamentale qui agrée la
négociation, la conclusion, la signature et la ratification ou
l’approbation d’un traité.
L’existence même du traité tient à la volonté de la constitution.
La règle de l’amendement préalable de la constitution ne sert
qu’à permettre à l’Etat de mieux s’engager sur la scène internationale
et non, à céder la suprématie de la constitution au traité.
Nous pensons que la constitution nationale demeure supérieure
au traité sinon, avec le traité de Paris du 18 avril 1951 et de Rome du
25 mars 1957, l’acte unique européen des 14 et 28 février 1986 et le
traité de Maastricht du 7 février 1992, l’Europe n’allait pas se battre
pour mettre en place une constitution européenne.
Si la constitution est supérieure à la source constitutive de la
communauté de droit, elle l’est davantage face au droit dérivé.
Si la contrariété entre Actes uniformes et constitutions
nationales devait être tranchée en fonction de la règle de la hiérarchie
des normes, la solution dans le cas d’espèce allait consister purement
et simplement en la modification de l’Acte uniforme dans l’ordre
juridique interne de l’Etat membre où la question de la contrariété se
pose.
100
OLINGA A. D., op. cit., p. 31.
DOUDOU NDOYE, La Constitution sénégalaise du 7 janvier 2001 commentée et ses
pactes internationaux annexés, op. cit., p. 57.
101
LXXIX
Mais comme aucun Etat membre ne peut amender solo sensu
un Acte uniforme sans mettre en péril toute l’œuvre d’harmonisation
car l’article 12 du Traité en détermine les conditions de modification, la
règle de la hiérarchie des normes s’avère inopérante.
En fait, la règle de la hiérarchie des normes s’avère inefficace et
inadaptée à résoudre un cas de contrariété entre un Acte uniforme et
une constitution nationale parce que l’Acte uniforme relève à la fois de
l’ordre juridique communautaire et interne.
Au sein du premier ordre où l’on fait état du Traité, des Actes
uniformes et des règlements, les normes dérivées du traité sont
supérieures à la constitution nationale et celle-ci n’y a pas de place.
Au sein du second où l’Acte uniforme occupe un rang supralégal (102)
mais inférieur à la constitution, la modification des normes dérivées du
traité y est impossible car celles-ci procèdent d’un organe
extranational.
Mais convaincu de la contrariété, l’Etat concerné peut-il, faute
de solution en droit interne et en désespoir de cause, décider d’arrêter
l’application de la norme supranationale dérivée dans son espace
territorial, en attendant l’approbation et l’adoption de la modification
par le Conseil des ministres ?
Et la suspension de l’application du droit dérivé décrétée par un Etat
membre peut-elle être invoquée par d’autres membres au titre de la
réciprocité ?
Répondre à ces questions constitue l’objet du paragraphe
suivant.
§2. Le principe de réciprocité
La majorité des constitutions des Etats membres reconnaît que
les traités ou accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication,
une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque
traité ou accord, de son application par l’autre partie.
En
droit
interne,
les
particuliers
qui
s’obligent
contractuellement ne reçoivent pas de la loi le pouvoir d’agir sous
réserve du respect des engagements pris par l’autre partie.
Ils doivent repartir à la table de négociation pour obtenir une solution
de commun accord ou solliciter l’intervention du juge qui va soit
dissoudre la base contractuelle avec des pénalités à charge de la partie
défaillante, soit imposer à cette dernière l’exécution forcée de ses
engagements.
102
Djibril ABARCHI, op. cit. ; IPANDA, « Le Traité OHADA et la loi nationale », op. cit.
LXXX
Mais en droit international, à cause de la difficulté d’exercer
une action coercitive à l’égard des cocontractants, les Etats prennent
la précaution de se prémunir d’une arme de réaction immédiate et
prompte à rétablir l’équilibre rompu par le non respect des
engagements pris par leurs partenaires.
Cette arme de réaction, c’est le recours au principe de
réciprocité édicté par la Convention de Vienne sur le droit des traités
(103) et par la majorité des constitutions. Le principe signifie que sur la
scène internationale, un Etat signataire d’un traité ou accord va
exécuter ou respecter ses engagements si son cocontractant fait autant
et à la seconde où il est convaincu de la non exécution ou du non
respect des engagements par l’autre partie, il agira de la manière
similaire.
Il ressort de la volonté des différents constituants (104) que la
sanction de réciprocité ne vise que le droit international classique,
c’est-à-dire les obligations de toute nature issues des traités et accords
internationaux purs et simples.
En effet, il nous paraît difficile d’étendre cette sanction à
l’instrument international communautaire et à son droit dérivé. La
rupture des relations internationales qu’implique la réciprocité,
103
Art. 60 : Extinction d’un traité ou suspension de son application comme conséquence de
sa violation.
1. Une violation substantielle d’un traité bilatéral par l’une des parties autorise l’autre
partie à invoquer la violation comme motif pour mettre fin au traité ou suspendre
son application en totalité ou en partie.
2. Une violation substantielle d’un traité multilatéral par l’une des parties autorise :
a) les autres parties, agissant par accord unanime, à suspendre l’application du
traité en totalité ou en partie ou à mettre fin à celui-ci :
i) soit dans les relations entre elles-mêmes et l’Etat auteur de la violation ;
ii) soit entre toutes les parties ;
b) une partie spécialement atteinte par la violation à invoquer celle-ci comme motif
de suspension de l’application du traité en totalité ou en partie dans les relations
entre elle-même et l’Etat auteur de la violation ;
c) toute partie autre que l’Etat auteur de la violation à invoquer la violation comme
motif pour suspendre l’application du traité en totalité ou en partie en ce qui la
concerne si ce traité est d’une nature telle qu’une violation substantielle de ses
dispositions par une partie modifie radicalement la situation de chacune des
parties quant à l’exécution ultérieure de ses obligations en vertu du traité.
3. Aux fins du présent article, une violation substantielle d’un traité est constituée par :
a) un rejet du traité non autorisé par la présente convention ; ou
b) la violation d’une disposition essentielle pour la réalisation de l’objet ou du but
du traité.
104
Voir articles des constitutions nationales cités sous la note 41. En disposant que « Les
traités ou accords régulièrement approuvés ou ratifiés ont, dès leur publication, une
autorité supérieure à celle des lois sous réserve de réciprocité », les constitutions ne font pas
un distinguo entre les traités ou accords purs et simples et ceux qui créent une
communauté de droit (une intégration juridique). Mais à cause de la difficulté de recourir à
l’arme de réciprocité dans une communauté de droit, nous déduisons que cette disposition
constitutionnelle ne peut s’appliquer qu’aux traités ou accords purs et simples.
LXXXI
procède d’un droit direct dans un traité ou accord bi ou multilatéral
mais d’un droit indirect dans un cadre communautaire.
Dans le cadre des relations internationales nées d’un traité ou accord
pur et simple, les Etats demeurent les premiers et seuls responsables
qui gèrent leurs propres actes et jugent ceux des cocontractants : de ce
fait, ils disposent d’un droit direct à rompre lesdites relations ; tandis
que dans un contexte de communauté d’Etats, le système met en place
des organes qui observent les actes des Etats et imposent une ligne de
conduite à ces derniers pour la bonne marche de la communauté : du
fait que les Etats transitent par ces organes communautaires, ils
disposent d’un droit indirect à influer sur le traité et son droit dérivé.
D’abord, concernant le traité ou accord communautaire, celuici donne en principe naissance à une communauté de droit qui est
régie non seulement par l’instrument juridique intégrateur mais
surtout par un ensemble de règles, principes et engagements non
juridiques écrits ou non qui ne rendent pas aisée l’application de la
sanction de réciprocité.
Ces règles, principes et engagements peuvent être politiques,
économiques, sociologiques, culturels, historiques, etc., pris ou
adoptés pour relever un défi supérieur aux capacités individuelles des
Etats ou pour répondre à un besoin transfrontalier.
Convaincus de la nécessité de réaliser la communauté de droit, les
Etats membres décideront difficilement de suspendre l’application de
la norme dérivée en contrariété avec la constitution. Et si par malheur,
le cas survenait, les autres membres considéreront difficilement que la
suspension d’application équivaut à une violation du traité intégrateur
pour recourir à la réserve de réciprocité.
Ensuite, concernant le droit dérivé, dans l’attente de la décision
du Conseil des ministres ou en cas de rejet de la requête
d’amendement, l’Etat requérant ne peut suspendre l’application de
l’Acte uniforme ni totalement ni spécialement en ses dispositions
incriminées.
La difficulté de suspension d’application et de recours à la réciprocité à
l’égard d’un Acte uniforme réside dans la nature de ce dernier.
Dans la pratique, les autres membres de la communauté
peuvent toujours considérer que la suspension d’application équivaut
à une violation du traité intégrateur et recourir à la réserve de
réciprocité ; ou l’Etat requérant peut toujours suspendre l’application
de l’Acte uniforme soit totalement soit spécialement en ses dispositions
incriminées : pareille situation pourrait conduire au disfonctionnement
de la communauté et démontrer les limites du droit international
communautaire.
Comme nous allons le démontrer dans la section qui suit, la
nature des Actes uniformes rend à leur égard inappropriées les
LXXXII
solutions de l’ordre international classique et communautaire sinon
celles d’un ‘droit constitutionnel communautaire’.
Section 2 : La nature hybride des Actes uniformes
Nous venons de développer que la contrariété entre Actes
uniformes et constitutions nationales ne peut être solutionnée par des
principes usités en droit international classique et communautaire, en
l’occurrence la hiérarchie des normes et la réserve de réciprocité.
L’incompatibilité de ces solutions classiques procède en fait de
la nature des Actes uniformes qui sont à la fois lois internationales et
nationales (105).
§1. Lois internationales
Dans nos développements antérieurs, nous avons décrit la
procédure d’élaboration des Actes uniformes qui, en définitive, sont
adoptés par le Conseil des ministres.
Ce dernier est un organe international énuméré parmi les
institutions de l’Organisation mais il est en réalité un organe
intergouvernemental (composé de représentants des gouvernements
des Etats membres) et non un organe communautaire à proprement
parler, comme dit supra. Il est investi notamment du pouvoir législatif.
Comme ils procèdent d’un organe législatif international, les
Actes uniformes acquièrent la nature des lois internationales (106) ou
communautaires qui garantit leur application obligatoire, uniforme et
intégrale (107) dans tous les Etats membres. C’est donc leur origine
extraterritoriale ou extranationale qui leur confère cette première
nature.
A ce titre, nous pouvons comprendre, sans les approuver, les
auteurs qui avancent que les Actes uniformes sont supérieurs aux
constitutions nationales.
Nous n’appuyons pas cette affirmation parce qu’elle procède
d’une conception partielle de la nature des Actes uniformes.
L’origine seule ne suffit pas pour circonscrire la nature pleine d’une
loi. Il faut encore examiner sa nature quant à son application.
105
MAMADOU KONE, op. cit., p. 6 ; NOAH (H.-M.), « L’espace dual du système OHADA »,
L’effectivité du droit de l’OHADA, Collection Droit uniforme, Presses Universitaires d’Afrique,
Yaoundé, Cameroun, 2006, pp. 29-44
106
NOAH (H.-M.), « L’espace dual du système OHADA », op. cit.
107
GOMEZ (J. R.), op. cit., p. 15.
LXXXIII
§2. Lois nationales
Sur le plan de leur application, les Actes uniformes ne sont pas
des lois internationales qui en principe sont destinées à régir des
rapports entre sujets du droit international.
Comme ils ont pour mission de réglementer les actes des sujets
du droit interne, les Actes uniformes sont des lois nationales et à ce
titre, ne peuvent pas être supérieurs à une constitution ; même si ces
sujets du droit interne peuvent agir sur plusieurs territoires des Etats
membres.
En effet, il est vrai que le système OHADA, par sa conception
communautaire du registre du commerce, permet la création des
sociétés commerciales transnationales (108) qui peuvent faire penser à
un sujet du droit international et faire dire que les Actes uniformes
s’appliquent aussi à des sujets du droit international.
A ce jour, les multinationales et les transnationales (109) n’ont
pas encore acquis la qualité de sujet du droit international. Quand
bien même elles l’auraient acquise, les Actes uniformes ne perdraient
pas leur nature de lois nationales puisque toutes les personnes
physiques et certaines personnes morales régies par les Actes
uniformes demeureront des sujets du droit national.
L’option choisie par le Directoire (110) indiquait déjà que les
Actes uniformes devaient devenir des lois nationales en ces termes :
« (…) une convention unifiante peut être applicable sans entraîner
l’obligation d’abroger le droit national dès lors que celui-ci ne lui est pas
contraire », et « les lois uniformes contiennent des règles substantielles
108
NOAH (H.-M.), « La dynamique OHADA : dialectique du national et du régional »,
L’effectivité du droit de l’OHADA, op. cit., pp. 45-47. A propos de la société transnationale,
DAILLIER (P.) et PELLET (A.) (Droit international public, 7è éd., LGDJ, Paris, France, 2002,
p. 647) l’ont définie comme étant « une société qui cherche à optimiser ses profits par des
opérations avec ou à l’étranger, et qui est soumise à des influences nationales diverses ».
109
Définissant le droit international public, RUZIE (D.) (Droit international public, 12è éd.,
Dalloz, Paris, France, 1996, p. 1) énumère en même temps les sujets du droit international :
« (…), autrefois appelé droit des gens, il est constitué par l’ensemble des règles de droit qui
s’appliquent aux sujets de la société internationale, c’est-à-dire normalement aux Etats et aux
organisations internationales, et exceptionnellement aux individus ». ALLAND (D.) et alii (Droit
international public, PUF, 1ère éd., Paris, France, 2000, p. 98) reconnaissent que « Toutefois,
l’avancée de l’individu sur la scène internationale en tant que sujet du droit international est
encore timide ». Cependant, DAILLIER (P.) et PELLET (A.) (ibidem), affirment que
« reconnaître aux sociétés multinationales et transnationales la qualité de sujets du droit
international, sujets mineurs et dérivés au demeurant, ne rencontre pas d’obstacles théoriques
ou pratiques dirimants ».
110
La mission de faisabilité du projet de l’OHADA était au départ constituée de sept
membres. Après adoption du rapport de cette mission, la Conférence des chefs d’Etat et de
délégations de France et d’Afrique tenue à Libreville les 5 et 6 octobre 1992 a décidé, pour la
mise en œuvre du projet, la constitution d’un Directoire de trois membres, à savoir : MM.
Kéba Mbaye, président, Martin Kirsch et Michel Gentot.
LXXXIV
qui doivent être introduites dans chaque Etat pour y être applicables.
C’est la technique qui semble rencontrer la faveur des autorités
politiques de nos pays (…) les lois uniformes doivent devenir lois
nationales et être aussi complètes que possible afin de ne pas donner
lieu à interprétations divergentes » (111).
Nous venons de démontrer le caractère inapproprié des
solutions de la contrariété tirées du droit international classique et
même communautaire.
La nature hybride des Actes uniformes explicite davantage
l’inadaptation de ces solutions internationales classiques et
communautaires.
En effet, la solution conforme au modèle OHADA que nous
préconisons ne peut procéder ni de la hiérarchie des normes ni de la
réserve de réciprocité.
Même la nature internationale des Actes uniformes nous paraît
inadaptée pour justifier la solution préconisée.
En effet, nous estimons que la constitution demeure supérieure aux
normes internationales, que celles-ci découlent d’un traité ou accord
international pur et simple ou d’un traité intégrateur. Ce qui nous
permet d’avouer les limites du droit international classique et
communautaire à solutionner la contrariété entre Actes uniformes et
constitutions nationales.
A la différence de la constitution communautaire européenne
qui ne contient aucune disposition de conflit assurant la priorité de la
norme communautaire sur les normes nationales (112), nous estimons
que l’article 10 du Traité OHADA (113) en est véritablement une. De ce
fait, il permet de présenter les rapports entre droit communautaire et
droit national en termes de hiérarchie des normes, et de considérer
que ces rapports ne sont pas régis par les solutions du droit
international public.
En effet, nous pouvons affirmer que le droit international postule
la primauté internationale, c’est-à-dire la supériorité des normes
internationales sur les droits internes, mais confie aux droits nationaux
la responsabilité de mise en œuvre de la primauté interne, c’est-à-dire la
définition des modalités réglant la pénétration et la position hiérarchique
111
Allocution de KEBA M’BAYE in Synthèse des travaux du séminaire sur l’harmonisation
du droit des affaires dans les Etats africains de la Zone Franc tenu à Abidjan du 19 au 20
avril 1993, p. 20.
112
SIMON (D.), op. cit., p. 406 et s.
113
Nous n’avons pas repris ici les dispositions abrogatoires des Actes uniformes parce qu’en
arrêtant dans son avis n° 01/2001 du 30 avril 2001 que « les dispositions abrogatoires
contenues dans les Actes uniformes sont conformes à l’article 10 du Traité OHADA », la
CCJA a uniformisé le régime de la supranationalité du Traité et des Actes uniformes.
LXXXV
du droit international dans l’ordre interne, selon les formules monistes
ou dualistes retenues par les règles constitutionnelles nationales (114).
Contrairement à cette règle générale du droit international, le droit
communautaire OHADA, s’il a confirmé cette primauté internationale,
a retiré aux droits nationaux la responsabilité de mise en œuvre de la
primauté interne en prenant la charge d’introduire ses normes
dérivées dans les ordres nationaux et d’y indiquer leur place.
L’option choisie par le système juridique OHADA démontre bien
l’incompatibilité des solutions du droit international classique au
traitement de la contrariété entre un Acte uniforme et une constitution
nationale.
Ainsi, nous pouvons comprendre que les rapports entre droit
communautaire et droit national ne peuvent en aucun cas s’apprécier
à l’aune des rapports entre droit international et droit interne, et
encore moins en fonction des solutions à géométrie variable définies
par les droits constitutionnels internes.
Si le droit international public (classique ou communautaire) et
les constitutions nationales ne peuvent pas nous conduire à la
solution de la contrariété entre un Acte uniforme et une constitution
nationale, il en découle que le fondement de la solution à préconiser ne
doit pas être recherché ailleurs que dans le système OHADA lui-même.
La solution de la contrariété devrait en principe procéder du
droit
constitutionnel
communautaire,
c’est-à-dire
un
texte
fondamental ou un ensemble de règles de valeur constitutionnelle qui
fédèrent les constitutions nationales.
Pour l’instant, il n’existe que des traités intégrateurs et des accords de
règlement des conflits de lois et de juridictions qui ne peuvent pas
donner naissance au droit constitutionnel communautaire. Celui-ci
prendra naissance à partir du moment où les communautés de droit
posséderont leurs propres constitutions à partir desquelles il sera
établi non seulement la hiérarchie des normes mais surtout le principe
d’unification de l’ordre juridique communautaire et des ordres
juridiques nationaux concernés.
En l’absence d’un cadre théorique et pratique de droit
constitutionnel communautaire, nous allons forger la solution de la
contrariété à partir du modèle intégrateur en examen.
114
SIMON (D.), op. cit., p. 406 et s.
LXXXVI
Chapitre II : La spécificité du modèle OHADA
La problématique de la contrariété entre Actes uniformes et
constitutions nationales doit être résolue par l’amendement soit de la
norme dérivée soit de la loi fondamentale.
Nous venons de démontrer au cours du chapitre précédent
l’inadaptation des principes de droit international classique qui
justifieraient l’amendement de la norme dérivée au profit de la loi
fondamentale.
Ce qui revient à dire que pour nous, la solution de la
contrariété passe par l’amendement de la constitution nationale au
profit de l’Acte uniforme. Cette solution trouve son fondement dans la
spécificité non pas du Traité mais du modèle d’intégration OHADA.
Nous nous appuyons sur le modèle parce que les arguments de la
solution préconisée proviennent à la fois du traité, des règlements, des
décisions et de la pratique qui tous concourent à la définition du
modèle.
En outre, nous avons préféré la spécificité du modèle à celle du
traité parce que les innovations telles que le recul de la territorialité et
le partage des compétences législatives et judiciaires, contenues dans
le traité, ne sont pas propres au Traité OHADA puisqu’elles se
retrouvent dans d’autres traités intégrateurs.
La spécificité du modèle OHADA par rapport à la solution de la
contrariété peut être puisée dans la procédure de modification des
Actes uniformes et dans l’engagement des Etats membres.
Section 1 : La modification des Actes uniformes
Le titre II du Traité OHADA relatif aux Actes uniformes
comprend les articles 5 à 12.
Après avoir défini les Actes uniformes à l’article 5, les
rédacteurs du traité ont précisé leur procédure d’élaboration et
d’entrée en vigueur aux articles 6 à 9 pour traiter de l’approbation du
programme annuel d’harmonisation à l’article 11.
A notre avis, cette articulation comporte une défaillance
chronologique. En effet, l’approbation du programme d’harmonisation
devant précéder la préparation, l’élaboration, l’adoption et l’entrée en
LXXXVII
vigueur d’un Acte uniforme, la disposition de l’article 11 devait
logiquement se placer avant l’actuel article 6.
Cela dit, nous pensons qu’en toute logique, la modification d’un
Acte uniforme devrait partir d’un ordre ou d’une instruction du Conseil
des ministres à l’endroit du Secrétaire permanent avant de franchir les
différentes étapes fixées par les articles 6 à 9.
C’est cette instruction, même si elle ne se rapporte qu’à une seule
disposition, que nous qualifions de programme de modification.
§1. L’approbation du programme de modification
La lecture de l’article 12 du Traité qui dispose : « Les Actes
uniformes ne peuvent être modifiés que dans les conditions prévues
par les articles 7 à 9, à la demande de tout Etat Partie. », suscite
quelques interrogations dont les unes trouvent réponse à partir des
articles de renvoi mais les autres risquent de déboucher sur des
controverses.
Dans le groupe des questions dont les réponses figurent dans le
Traité, nous pouvons noter celles relatives à l’organe chargé de
l’approbation du programme de modification et de l’adoption des
amendements.
C’est le Conseil des ministres : réponse tirée des articles du Traité et
du principe de parallélisme des formes (115).
Dans l’autre groupe, nous pouvons relever les questions
relatives à la motivation de la requête, à l’organe habilité à recevoir la
demande, au délai de traitement ou de réponse, à l’appréciation de la
demande et éventuellement au recours.
La motivation de la demande de modification peut être fondée
sur la contrariété entre Actes uniformes et la constitution nationale ou
sur le besoin d’adaptation de la norme uniforme (116).
Le motif tiré de la contrariété doit, à notre avis, être limité à la
contrariété entre Actes uniformes et les dispositions de valeur
115
Lire les commentaires de LOHOUES-OBLE (J.) (Traité et actes uniformes commentés et
annotés, op. cit., p. 41), note sous l’art. 12.
116
Nous reprenons ici une pensée du Professeur PAILLUSSEAU (J.) (« Le droit de l’OHADA –
Un droit très important et original », op. cit., p. 4) pour justifier les modifications inévitables
des règles du droit : « (…) Partout dans le monde, les règles juridiques ne cessent d’évoluer
dans le domaine économique. Les droits sont devenus des droits à mise à jour permanente.
(…) Chaque jour, les gazettes juridiques sont pleines de nouveaux textes. Le monde n’est plus
au temps où l’on pouvait prétendre faire des lois pour quatre-vingt-dix-neuf, voire pour vingt,
dix ou même cinq ans. Sans cesse, il faut remettre les textes sur le métier. L’Afrique ne peut
échapper à ce phénomène, quelle que soit la qualité des textes adoptés. Aussi est-il très
important que l’on puisse fréquemment adapter les textes existants aux nouvelles situations et
relations, sous peine de constater progressivement l’obsolescence des textes en vigueur, et la
multiplication des pratiques contra legem ».
LXXXVIII
constitutionnelle relatives aux droits fondamentaux et libertés
publiques.
Le motif tiré du besoin d’adaptation se situe en dehors de notre
problématique.
La demande de modification devrait logiquement être adressée
au Secrétariat Permanent au vu du rôle administratif lui reconnu à
travers les dispositions du Traité.
Un délai de traitement de la requête devrait être imparti au
Secrétaire Permanent, pendant lequel il peut demander toute
information complémentaire à l’Etat requérant et à l’issue duquel il
doit transmettre le dossier au Conseil des ministres. Celui-ci doit
également se voir imposer un délai de réponse au requérant afin
d’accorder le bénéfice de célérité à toute demande de modification.
L’examen de la demande de modification est si technique qu’il
nous paraît utile de faire accompagner le dossier d’un avis de la CCJA
(117) en cas de requête fondée sur une contrariété ou d’un avis d’expert
en cas de requête fondée sur un besoin d’adaptation.
Le délai de traitement à impartir au Secrétariat Permanent devra tenir
compte de cette consultation.
Il reste à savoir si les ministres de l’Etat requérant peuvent participer
aux délibérations du Conseil des ministres.
Pour ne pas être juge et partie, nous pensons que ces ministres
doivent être exclus au vote du programme de modification, surtout si
la motivation de la requête porte sur la contrariété.
A l’issue du vote du Conseil des ministres, le programme de
modification peut être approuvé ou rejeté.
En cas de rejet de la demande de modification, l’Etat requérant peut-il
exercer un recours contre la décision du Conseil des ministres ?
Faute d’organe communautaire susceptible de recevoir ce recours,
nous pouvons affirmer qu’il n’est pas possible de l’exercer.
En attendant de connaître le cheminement de la première
demande de modification, nous pensons que l’approbation du
programme de modification déclenchera au niveau du Secrétariat
permanent le processus de préparation du projet d’amendements.
§2. L’adoption des amendements
117
A propos des avis ou de la fonction consultative de la CCJA lire ISSA-SAYEGH (J.) et
LOHOUES-OBLE (J.), op. cit., nos 414 à 421-6, pp. 171-178 ; MARTOR (B.), PILKINGTON
(N.), SELLERS (D.) et THOUVENOT (S.), Le droit uniforme africain des affaires issu de
l’OHADAU, op. cit., p. 12.
LXXXIX
Le Traité OHADA accorde une attention particulière à l’adoption
des Actes uniformes et par ricochet à l’adoption des amendements.
Le quorum du Conseil des ministres consacré à l’adoption des
Actes uniformes est fixé à deux tiers au moins non pas de ses
membres mais des Etats membres.
A ce jour, l’Organisation compte seize Etats membres : le Conseil des
ministres ne peut valablement se réunir pour adopter un Acte
uniforme ou des amendements d’un Acte uniforme que si onze Etats
Parties au moins sont représentés.
L’adoption d’un Acte uniforme ou des amendements d’un Acte
uniforme exige l’accord ou le vote unanime des représentants des Etats
Parties présents et votants. Le principe d’unanimité qui gouverne le
Conseil des ministres permet à chaque Etat de consentir
personnellement à l’adoption des textes (118).
Tout compte fait, hormis les ministres qui s’abstiennent, tous les
autres qui décident d’exprimer leur voix doivent dire oui à l’Acte
uniforme ou aux amendements.
Il convient de noter que le Traité exige l’unanimité non pas des Etats
Parties mais de leurs représentants : si les deux représentants d’un
Etat Partie présents et votants expriment un vote différent, l’unanimité
requise ne sera pas atteinte ; alors que s’il s’était agi de l’unanimité
des Etats Parties, le vote négatif de l’un de deux représentants serait
inopérant et l’unanimité, acquise.
Pour l’adoption des amendements, qu’ils soient consécutifs à
une demande de modification fondée sur la contrariété ou un besoin
d’adaptation, nous pensons que les représentants de l’Etat requérant
doivent être admis aux délibérations.
L’accord unanime des représentants des Etats Parties présents
et votants, institué par le Traité pour l’adoption d’un Acte uniforme ou
des amendements d’un Acte uniforme, vaut son pesant d’or non
seulement à cause du caractère impératif des Actes uniformes et de
l’extension de leur domaine d’application (119) mais surtout à cause de
l’engagement qui s’ensuit pour l’Etat Partie au sein de la communauté.
Section 2 : L’engagement des Etats Parties
En principe, aucun Etat ne peut invoquer les dispositions de
son droit interne comme motif de la non-exécution de ses engagements
118
MAMADOU KONE, op. cit., p. 8.
LOHOUES-OBLE J. et alii, Traité et actes uniformes commentés et annotés, éd.
Juriscope, 2è édition, Poitiers, France, 2002, p. 36, note sous article 8 du Traité.
119
XC
internationaux (120). La Convention de Vienne précise que cette règle
est sans préjudice du principe énoncé à son article 46 (121).
Au sein de la communauté OHADA, cette exigence est cristallisée de
manière apparente et non apparente.
L’unanimité des représentants des Etats membres pour
l’adoption d’un Acte uniforme et par ricochet des amendements, est la
partie visible de l’engagement des Etats Parties au niveau de la
communauté ; engagement qui les oblige de ne pas suspendre
l’application d’un Acte uniforme qu’ils jugeraient contraire à leur
constitution nationale.
Pour chaque Etat membre, l’adoption d’un Acte uniforme s’analyse en
une perte de la prérogative d’invoquer son droit interne comme motif
de suspension de l’application du droit communautaire.
Mais prenant appui sur l’article 46 al. 1° in fine de la
Convention de Vienne sur le droit des traités, un Etat membre peut-il
justifier la suspension de l’application d’un Acte uniforme par la
violation manifeste d’une disposition de son droit interne d’importance
fondamentale ?
Nous ne le pensons pas parce que la compétence d’adoption des
Actes uniformes n’est pas régie par le droit constitutionnel des Etats
membres mais par le droit communautaire originaire qui a dévolu cette
compétence aux seuls Ministres ayant en charge la Justice et les
Finances.
La partie invisible de cet engagement comprend la
responsabilité technique et politique qu’assument pour compte des
Etats Parties les Commissions nationales et les ministres en charge de
la Justice et des Finances. Cette responsabilité découle de tout le
travail de fond, d’analyse, de comparaison, de vérification et de
préparation des dossiers que doivent exécuter les différents
techniciens des Commissions nationales et du Comité des experts.
§1. La mission des Commissions nationales
Pour rendre pratique la concertation entre le Secrétariat
permanent et les gouvernements des Etats Parties dans le cadre de la
120
Art. 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités.
Art. 46 : Dispositions du droit interne concernant la compétence pour conclure des
traités.
1. Le fait que le consentement d’un Etat à être lié par un traité a été exprimé en
violation d’une disposition de son droit interne concernant la compétence pour
conclure des traités ne peut être invoqué par cet Etat comme viciant son
consentement, à moins que cette violation n’ait été manifeste et ne concerne une
règle de son droit interne d’importance fondamentale.
2. Une violation est manifeste si elle est objectivement évidente pour tout Etat se
comportant en la matière conformément à la pratique habituelle et de bonne foi.
121
XCI
préparation des Actes uniformes, le Conseil des ministres (122) a pris un
règlement pour instituer les Commissions nationales composées de
représentants de l’administration et d’experts issus de divers horizons.
Ces Commissions ont pour mission d’examiner les avantprojets, de formuler des avis et des recommandations et de soumettre
au Secrétariat permanent des observations, critiques et suggestions
dans le délai imparti. Grâce aux Commissions nationales, tous les
Etats participent à l’élaboration des Actes uniformes, et il est tenu
compte des spécificités de chacun à travers la prise en compte des
observations émises par ces structures nationales (123).
L’objectif de cette concertation est de relever les préoccupations
des Etats Parties à l’endroit des avant-projets d’Actes uniformes.
Si nécessaire, ces préoccupations doivent s’étendre jusqu’à la moindre
contrariété entre tout avant-projet et la constitution nationale. La
contrariété, rappelons-le, ne peut concerner que les dispositions
constitutionnelles ou à valeur constitutionnelle relatives aux droits
fondamentaux et/ou aux libertés publiques.
Si une contrariété existante n’est pas signalée par la
Commission nationale, celle-ci sera responsable de sa négligence au
niveau interne mais sur le plan communautaire, la responsabilité
incombera à l’Etat Partie qui devra modifier sa constitution nationale.
Si pareille contrariété est révélée au Secrétariat permanent et
que ce dernier n’en tient pas compte, les représentants de l’Etat Partie
concerné doivent exprimer un vote négatif pour empêcher la condition
de l’unanimité exigée pour l’adoption du projet.
Pour optimiser les possibilités de déceler toute contrariété, le
modèle OHADA permet à toute Commission nationale de se faire
assister des experts d’autres Commissions nationales et Organisations
internationales spécialisées, comme il ressort du compte-rendu du
Conseil des ministres tenu à Libreville le 10 avril 1998 : « Le Conseil
des ministres a accepté la demande formulée par la Commission des
Nations Unies pour le Droit Commercial International (CNUDCI) de
participer aux assemblées plénières des commissions nationales de
l’OHADA. Il a en outre indiqué que la participation des Organisations
similaires aux travaux des commissions nationales est souhaitable car
étant source d’enrichissement, compte tenu de leur expérience. Il leur
faudra, à cette fin, saisir par écrit le Secrétariat permanent qui doit tenir
informé le Conseil des ministres » (124).
122
Décision prise au cours du Conseil tenu à Dakar en novembre 1992.
ALHOUSSEINI MOULOUL, op. cit., p. 24.
124
J. O. de l’OHADA, 3ème année n° 09, 15 septembre 1999, p. 18.
123
XCII
L’ouverture des assemblées plénières des Commissions
nationales aux Organisations internationales spécialisées permet
d’éclairer et d’enrichir les points de vue des experts chargés
notamment de découvrir les germes d’une contrariété entre un avantprojet d’Acte uniforme et une constitution nationale.
Pour garantir et sécuriser l’accord unanime des ministres
représentants des Etats Parties, le modèle OHADA a prévu un Comité
d’experts pour préparer les dossiers et les réunions du Conseil des
ministres.
§2. La responsabilité des Ministres
D’emblée, nous tenons à préciser que la responsabilité que
nous entendons exposer ici ne concerne pas le Conseil des ministres
en tant qu’institution de l’Organisation mais les ministres de la Justice
et des Finances de chaque Etat membre en tant que représentants de
ce dernier. La contribution de ces deux ministres aux décisions du
Conseil des ministres (notamment l’adoption des Actes uniformes ou
des amendements de ceux-ci) engage la responsabilité internationale
ou communautaire de chaque Etat membre. En conséquence, les Actes
uniformes ou les amendements qu’ils adoptent sont censés être
adoptés et ratifiés (125) par les pays en cause (126).
Les mécanismes de concertations successives que le modèle
OHADA lie sans relâche à l’adoption unanime des Actes uniformes,
justifient à suffisance la responsabilité des ces deux ministres (surtout
celui de la Justice) et de leur Etat Partie pour amender leur
constitution nationale dont ils ont estimé toutes les clauses non
contraires à l’avant-projet d’Acte uniforme.
En effet, la « mixité » de la composition du Conseil des ministres
est bien révélatrice de la volonté des fondateurs de doter la
Communauté instituée des lois uniformes simples, modernes,
adaptées à la situation des économies des Etats membres et
certainement respectueuses des droits fondamentaux et des libertés
publiques des peuples et des citoyens. La présence du ministre de la
Justice est un gage du respect des normes juridiques pour l’élaboration
des Actes uniformes, tandis que celle du ministre des Finances est un
gage de respect des engagements économiques et financiers pris par les
Etats membres dans le cadre de leur intégration, le tout constituant un
ensemble cohérent (127).
125
Du fait de l’introduction directe des Actes uniformes dans les différents ordres juridiques
nationaux, principe arrêté par l’article 10 du Traité qui a exclu la procédure de ratification
des Actes uniformes, nous n’approuvons pas le terme « ratifiés » utilisé ici par cet auteur.
126
GOMEZ (J. R.), op. cit., p. 15.
127
ALHOUSSEINI MOULOUL, op. cit., p. 21.
XCIII
Par ailleurs, dans le cadre des innovations attendues (128) censées
renforcer ce gage du respect des normes juridiques, le Conseil des
Ministres, qui est composé actuellement des ministres de la Justice et
des Finances, devrait pouvoir associer en plus les ministres en charge
des secteurs concernés lorsqu’il s’agit d’élaborer des Actes uniformes
(129).
En outre, avant l’acte ultime qui confirme à l’égard de la
communauté la conformité du droit dérivé au droit constitutionnel, le
modèle OHADA a mis en place le Comité des experts chargé de
préparer les travaux du Conseil des ministres (130).
Ce Comité est composé d’un expert juriste et d’un expert
financier choisis parmi les fonctionnaires et experts des
administrations nationales compétentes de chaque Etat Partie.
Si l’objet d’une réunion du Comité nécessite la participation des
compétences spécifiques, le président en exercice du Conseil des
ministres ou le Secrétaire permanent peut demander la représentation
des Etats Parties par une délégation plus importante composée des
experts ad hoc.
Dans sa mission de préparation des travaux du Conseil des ministres,
le Comité des experts délibère sur tout dossier inscrit à l’ordre du jour
de l’organe législatif communautaire.
En outre, le Comité peut se réunir également en session spéciale pour
harmoniser les points de vue des Etats Parties sur un projet à mettre
en œuvre.
Si un cas de contrariété entre un avant-projet ou un Acte
uniforme et une constitution nationale est porté à la connaissance du
Secrétaire permanent, celui-ci peut convoquer une session spéciale du
Comité des experts.
Pour une question aussi délicate et particulière que la contrariété, le
Comité peut instituer en son sein un sous-comité chargé de son étude.
Il peut aussi organiser une concertation entre son bureau et les chefs
de délégations.
La question recevra forcément l’avis de toutes les institutions
communautaires car le Secrétariat permanent, la CCJA et l’ERSUMA
participent, de plein droit, aux débats du Comité, sans voix
délibérative.
Grâce à la préparation technique des dossiers par le Comité
dont les délibérations sont acquises par consensus, le Conseil des
ministres dispose des arguments qui aident ses membres à ne pas
128
Ces innovations peuvent se justifier par les raisons évoquées sous la note 116.
Actes uniformes OHADA. Les études pratiques de Ernst & Young en Afrique, Editions
FFA, 1ère éd., Paris, France, 2006, p. 18.
130
Règlement n° 001/2003/CM portant création, organisation et fonctionnement du Comité
des experts de l’OHADA, J. O. de l’OHADA, 6ème année n° 13, 31 juillet 2003, p. 20.
129
XCIV
contribuer, s’il en faut, à l’accord unanime d’adoption des Actes
uniformes.
L’unanimité par laquelle un avant-projet devient un Acte uniforme
signifie que tous les ministres présents et votants représentant au
moins les deux tiers des Etats Parties, ont exprimé un vote positif. Un
ministre qui adopte par son vote positif une contrariété entre un
avant-projet d’Acte uniforme et sa constitution, engage la
responsabilité technique et politique de son gouvernement ou de son
Etat, responsabilité qui l’oblige lui-même ou son successeur de
convaincre son gouvernement de diligenter l’amendement de leur
constitution nationale comme solution de la contrariété.
Avant l’adoption d’un avant-projet d’Acte uniforme, les
membres du Conseil des ministres doivent s’assurer que le projet ne
contient aucune disposition qui heurte les droits fondamentaux ou les
libertés publiques constitutionnellement garantis. Car après cette
adoption, il leur sera difficile d’évoquer une contrariété entre le droit
dérivé et leur droit constitutionnel au risque de réduire le contenu des
engagements pris face à la communauté et de marcher à contre
courant de la vocation continentale de l’Organisation.
En effet, eu égard aux faiblesses évoquées ci-dessus du droit
international classique et du droit international communautaire et en
l’absence d’un droit constitutionnel communautaire, la brouille entre
l’Organisation et un ou plusieurs Etats Parties à la suite d’un
règlement contesté d’une contrariété peut conduire au départ des
membres insatisfaits.
L’objectif continental peut également être retardé si la forme
actuelle du Traité et des Actes uniformes présente aux futurs
adhérents des risques de contrariété.
Ce qui logiquement nécessite des aménagements dans le but de
prévenir ces craintes. C’est l’objet du titre qui suit.
Titre deuxième : LES AMENAGEMENTS DU TRAITE
OHADA ET DES ACTES UNIFORMES EN
VUE DE LA PREVENTION DE LA
CONTRARIETE
L’analyse qui précède a concerné la situation des Etats Parties
mais celle qui porte sur le présent titre, tient compte aussi de futurs
adhérents à l’Organisation. La vocation africaine exprimée dans le
préambule du Traité signifie que les fondateurs de l’œuvre intégratrice
ont voulu que l’espace géographique de la communauté corresponde à
XCV
celui du continent. Pour que ce vœu se concrétise, il est utile de
vérifier l’existence des conditions de cet élargissement dans le Traité et
dans les Actes uniformes. Si ces conditions existent, il est nécessaire
d’examiner si elles sont suffisantes. Si elles n’existent pas, il est
important de les créer (131).
En d’autres termes, nous devons parcourir le Traité et les Actes
uniformes pour vérifier s’ils contiennent des dispositions freins ou
empêchements à l’élargissement de la communauté. Dans l’hypothèse
de leur existence, œuvrer pour la suppression de ces dispositions
freins contribuerait à rendre attractifs le Traité et les Actes uniformes
pour les Etats non signataires.
Le souci d’être exhaustif justifie l’extension au Traité de notre étude
dont l’énoncé du thème se limite aux Actes uniformes ; car pour les
adhérents, le contrôle de la constitutionnalité va porter à la fois sur le
Traité et sur les Actes uniformes.
Les aménagements qu’exige la prévention de la contrariété
doivent se réaliser sur deux champs : la consolidation et
l’élargissement. En effet, le droit uniforme, en même temps qu’il se
consolide, est appelé à s’élargir au continent africain.
Les Actes uniformes qui se substituent aux lois nationales
n’occupent qu’une partie des matières harmonisées du droit des
affaires. Dans les Etats Parties, les lois nationales coexistent avec les
Actes uniformes et constituent avec ces derniers la source légale du
droit des affaires.
Cet état des choses est dû au fait que les avant-projets sont adoptés
avant la mise en conformité et que les Actes uniformes laissent
subsister les dispositions non contraires des lois nationales.
L’idéal aurait recommandé que les avant-projets soient envoyés
aux gouvernements des Etats Parties pour que leurs experts et leurs
Commissions nationales les examinent et les mettent en conformité
avec les lois nationales.
Cette démarche permettrait aux Commissions nationales de soumettre
au Secrétariat permanent non seulement les préoccupations de chaque
Etat sur les avant-projets mais aussi les dispositions non contraires
des lois nationales.
Le Secrétaire permanent organiserait la synthèse des dispositions non
contraires de tous les Etats Parties à intégrer dans les avant-projets.
Un Acte uniforme dont l’avant-projet a intégré pareille synthèse
acquerra un caractère complet et détaillé (132) et aura l’avantage de se
131
BABONGENO (U), « OHADA : projet d’harmonisation du droit des affaires en Afrique à
l’épreuve de la consolidation et de l’élargissement », www.ohada.com, rubrique Doctrine,
référence ohadata D-05-25.
132
TAPIN (D.) et EPESSE (H.), « Un nouveau droit des affaires en Afrique noire francophone »,
Dalloz affaires, n° 107, 1998, p. 361 et s.
XCVI
substituer pleinement aux lois nationales de tous les Etats Parties
pour être l’unique source légale de la matière harmonisée du droit des
affaires dans la communauté.
Faute d’avoir procédé ainsi, le Conseil des ministres a adopté et
va continuer d’adopter des Actes uniformes partiellement intégrateurs.
En effet, s’il est vrai que les Actes uniformes permettent de solutionner,
en partie, le problème de l’éparpillement du droit des affaires dans
chacun des Etats membres, il est tout aussi vrai que cet éparpillement
demeure encore une réalité. Dans chacun des Etats parties, les Actes
uniformes ne sont pas les seuls textes applicables au droit des affaires
(133).
Rendre les Actes uniformes pleinement intégrateurs revient à
consolider le droit uniforme.
Si cette consolidation est réalisée aujourd’hui telle quelle, elle
ne sera qu’un travail partiel face à la vocation continentale de
l’Organisation. En effet, l’arrivée de nouveaux adhérents nécessitera
l’intégration dans les Actes uniformes de la synthèse de leurs lois
nationales non contraires et donc, une seconde consolidation.
De ce fait, l’on s’aperçoit de la nécessité d’anticiper sur cette seconde
consolidation en tenant compte des particularismes juridiques des
futurs adhérents, surtout ceux qui relèvent d’une autre tradition
juridique que la majorité des actuels Etats Parties.
Cette consolidation et cette anticipation constituent l’objet de
deux chapitres de ce titre.
Chapitre I : De la consolidation de l’uniformisation des règles de droit
Durant les premières décennies qui ont suivi l’indépendance
des Etats africains, l’Afrique a connu plusieurs expériences de
rapprochement des législations des affaires (134). Ces tentatives ont
concerné de divers secteurs du droit des affaires (135) et ont parfois fait
allusion aux « lois uniformes » qui, une fois adoptées, devraient
s’appliquer de manière identique dans tous les Etats membres (136).
133
ALHOUSSEINI MOULOUL, op. cit., p. 30.
Lire notamment KEBA M’BAYE, « L’unification du droit en Afrique », R.S.D., 1971, n° 10,
p. 65 et s ; ALLIOT (M.), « Problèmes de l’unification du droit africain », Journal of African
Law, vol. II, n° 2, Summer 1967.
135
Cas de l’Union Africaine et Malgache (U.A.M.) ; de l’Organisation Commune Africaine et
Malgache (O.C.A.M.) ; de l’Office Africain et Malgache de la Propriété Intellectuelle
(O.A.M.P.I.) ; de l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (O.A.P.I.).
136
Cas du Bureau Africain et Malgache de Recherche et d’Etudes Législatives (B.A.M.R.E.L).
134
XCVII
Si ces premiers essais sont à classer dans la technique de
coordination ou d’harmonisation (137), il faut cependant noter les efforts
d’uniformisation ou d’unification fournis notamment dans le secteur
du droit bancaire dans le cadre de l’U.E.M.O.A et de la B.E.A.C (138).
Mais ces différentes intégrations juridiques demeurent sectorielles ou
limitées à une branche de l’activité économique.
Le passage à l’intégration générale du droit des affaires est
réalisé par l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des
Affaires qui est venue parfaire ces efforts d’unification en instituant
une large intégration juridique (139) comme nous l’avons développé
dans l’introduction de notre étude. Mais au vu du terme
« harmonisation » utilisé dans l’intitulé de l’Organisation et dans la
définition de l’objet (140) de cette dernière, d’aucuns peuvent se
demander si le Traité OHADA institue une harmonisation ou une
uniformisation des législations nationales.
En réponse, nous recourons aux définitions du Professeur
Joseph Issa-Sayegh lorsqu’il écrit :
« La première est une opération consistant à mettre en accord des
dispositions d’origine différente, plus spécialement à modifier des
dispositions existantes afin de les mettre en cohérence entre elles ou
avec une réforme nouvelle. Tout en respectant plus ou moins le
137
Si pour le Vocabulaire juridique Henri Capitant (sous la direction de Gérard Cornu,
édition Quadrige/PUF, Paris, France, 2006, p. 239 et p. 445), coordination et harmonisation
sont des synonymes, en revanche la Cour de Justice des Communautés Européennes fait
une nette distinction entre les deux concepts. En effet, dans son arrêt du 15 janvier 1986
(sous CJCE, Pinna/Caisse d’Allocation Familiale de la Savoie, aff. 41/84, Rec. 1), elle motive
comme suit : « Il faut signaler que l’article 51 du traité prévoit une coordination des
législations des Etats membres et non une harmonisation. L’article 51 laisse donc subsister
des différences entre les régimes de sécurité sociale des Etats membres et, en conséquence,
dans les droits des personnes qui y travaillent. Les différences de fond et de procédure entre
les régimes de sécurité sociale de chaque Etat membre, et partant, dans les droits des
personnes qui y travaillent, ne sont donc pas touchés par l’article 51 du traité ».
138
Lire ISSA SAYEGH (J.), « L’intégration juridique des Etats africains dans la Zone Franc »
(2è partie), Penant, 1997, n° 824, p. 125 et s.
139
Sur l’historique de l’OHADA, lire notamment KIRSH (M.), « Historique de l’OHADA »,
Penant, 1998, n° 927, p. 129 et s ; L’harmonisation du droit des affaires en Afrique (outil
technique de l’intégration économique), Rapport de présentation produit par le Directoire
qui avait été chargé de la mise en place du projet OHADA ; TIGER (P.), Le droit des affaires
en Afrique, Que sais-je ?, PUF, 3è éd., Paris, France, 2001, pp. 8 et s. Préfaçant l’ouvrage de
Mamadou Koné (Le nouveau droit commercial des pays de la Zone Franc, op. cit.), le
Professeur Bernard SAINTOURENS écrit ce qui suit : « Le mouvement d’intégration juridique
des Etats africains de la Zone Franc s’est manifesté depuis plusieurs décennies dans divers
domaines (propriété intellectuelle notamment) mais avec le traité créant l’Organisation pour
l’Harmonisation du Droit des affaires en Afrique (O.H.A.D.A.), signé le 17 octobre 1993 à Port
louis (Ile Maurice), c’est une œuvre normative d’une ampleur considérable qui est initiée ».
140
En effet, l’art. 1er du Traité dispose :
« Le présent Traité a pour objet l’harmonisation du droit des affaires dans les Etats Parties
par l’élaboration et l’adoption de règles communes simples, modernes et adaptées à la
situation de leurs économies, par la mise en œuvre de procédures judiciaires appropriées, et
par l’encouragement au recours à l’arbitrage pour le règlement des différends contractuels ».
XCVIII
particularisme des législations nationales, l’harmonisation consiste à
réduire les différences et les divergences entre elles en comblant les
lacunes des unes et en gommant les aspérités des autres. Un tel résultat
s’obtient au moyen de techniques juridiques douces telles que les
directives ou les recommandations qu’une organisation internationale
adopte et adresse aux Etats qui en sont membres. Ces directives et
recommandations se contentent d’indiquer les résultats à atteindre sans
imposer la forme et les moyens pour y parvenir si ce n’est que la norme
nationale à intervenir doit être revêtue d’un imperium suffisant pour
s’imposer dans l’ordre juridique interne.
Quant à l’uniformisation du droit, elle se présente comme une
méthode plus radicale de l’intégration juridique puisqu’elle consiste à
effacer les différences entre les législations nationales en leur
substituant un texte unique, rédigé en des termes identiques pour tous
les Etats concernés. Elle peut suivre une voie douce consistant à
proposer aux parlements nationaux un texte unique préparé par une
instance internationale ; une telle procédure ménage les souverainetés
nationales mais elle est hasardeuse car certains parlements peuvent le
repousser, le modifier (avant ou après adoption) ou l’abroger
ultérieurement si bien que les promoteurs du texte uniforme risquent
sérieusement de ne pas atteindre le but recherché.
Aussi, certaines organisations internationales ont-elles préféré recourir à
une autre formule d’uniformisation en adoptant le principe de la
supranationalité qui leur permet d’introduire directement des normes
dans l’ordre juridique interne de leurs Etats membres » (141).
L’OHADA agit de la sorte à propos de ses Actes uniformes et
règlements qu’elle impose aux Etats parties (142).
En effet, dès la publication des premiers Actes uniformes de l’OHADA,
de nombreux commentateurs (143) ont reconnu que ce dispositif
supranational correspondait moins à une harmonisation qu’à une
véritable uniformisation du droit des affaires.
En effet, après analyse de la technique d’intégration juridique
utilisée par le Traité OHADA, l’on ne peut douter de l’uniformisation
141
ISSA-SAYEGH (J), « Quelques aspects techniques de l’intégration juridique : l’exemple des
Actes uniformes de l’OHADA », Revue de droit uniforme, UNIDROIT-Rome, 1999.
142
Lire l’article 5 du Traité de l’OHADA. Lire les commentaires, ISSA-SAYEGH (J.),
« L’intégration juridique des Etats africains dans la Zone Franc » (2è partie), op. cit. ;
PAILLUSSEAU (J.), op. cit. ; POUGOUE (P.G.), Présentation générale et procédure en
OHADA, op. cit., p. 11 ; IPANDA, « Le Traité OHADA et la loi nationale », op. cit.
143
Lire l’article 10 du Traité de l’OHADA et les auteurs cités sous la note précédente.
KENFACK DOUAJNI (G.), op. cit., p. 125 ; TATY (G.), « Brèves réflexions à propos de l’entrée
en vigueur d’une réglementation commune du Droit des Affaires des Etats membres de la
Zone Franc », Penant, n° 830, mai-août 1999, pp. 227-231 ; GOMEZ (J. R.), op. cit., p. 15 ;
PAILLUSSEAU (J.), « Le droit de l’OHADA – Un droit très important et original », op. cit., p. 2.
XCIX
des législations nationales (144) autant que l’on ne peut s’empêcher de
s’interroger
sur
la
pertinence
de
l’utilisation
du
terme
« harmonisation » pour la désigner. Nous pensons avec Mamadou Koné
qu’il y a là une confusion qui s’explique sans doute par la jeunesse de la
discipline de l’intégration juridique dont les termes ne sont pas encore
fixés avec suffisamment de netteté (145).
Mais force est de constater que cette confusion se limite au seul
intitulé de l’Organisation sans entamer la supranationalité et
l’uniformisation cherchées. Pour le confirmer, nous devons vérifier si
l’OHADA a réussi de mettre en place un système juridique par
l’entremise de cette supranationalité et cette uniformisation.
Nous allons, pour aider à consolider le droit uniforme, mesurer
le niveau d’intégration atteint par le modèle OHADA (section 1),
rechercher le fondement de la mise en conformité (section 2) et évaluer
l’écart entre la volonté affichée d’harmoniser les législations nationales
et l’intégration réalisée à travers les Actes uniformes (section 3).
Section 1 : Le système juridique OHADA
L’existence d’un système juridique (146) se reconnaît à la réunion
de trois conditions essentielles : il faut qu’il existe un corps des règles,
un corps des juges et une cohérence interne dans l’ordre établi par le
système (147).
Ces trois éléments se retrouvent-ils dans le système OHADA ?
§ 1. Le corps des règles
L’Organisation née du Traité dit de l’OHADA est presque à miparcours de sa deuxième décennie d’existence et compte à son actif
d’uniformisation des règles de droit huit Actes uniformes déjà entrés
en vigueur. Il s’agit de :
144
ALHOUSSEINI MOULOUL, op. cit., pp. 15-16.
MAMADOU KONE, op. cit., p. 4. Préfaçant l’ouvrage de Mamadou Koné (Le nouveau droit
commercial des pays de la Zone Franc, op. cit.), le Professeur Bernard SAINTOURENS écrit
ce qui suit : « L’œuvre entreprise est sans doute sans équivalent dans le reste du monde au
regard également du statut juridique des normes ainsi produites. Même si le terme
d’ »harmonisation » est employé de manière un peu trompeuse, c’est bien d’unification du droit
des affaires dont il s’agit ».
146
Le mot système juridique est utilisé ici au sens du Professeur ANCEL (Utilité et méthodes
du droit comparé, Neuchâtel, Ides et Calendes, 1971, cité par Van der Helm et Meyer,
Comparer en droit, CERDIC, 1991, p. 27) comme étant « un groupe d’ordres juridiques qui se
ressemblent au niveau des rubriques, des divisions générales, des conceptions de base, et des
méthodes d’exposition ou d’application ».
147
NDESHYO RURIHOSE, op. cit., pp. 49 et s.
145
C
1) l’Acte uniforme relatif au Droit commercial général (148), entré en
vigueur le 1er janvier 1998 ;
2) l’Acte uniforme relatif au Droit des sociétés commerciales et du
groupement à intérêt économique (149), entré en vigueur le 1er janvier
1998 ;
3) l’Acte uniforme relatif au Droit des sûretés (150), entré en vigueur le
1er janvier 1998 ;
4) l’Acte uniforme relatif aux procédures simplifiées de recouvrement et
voies d’exécution (151), entré en vigueur le 10 juillet 1998 ;
5) l’Acte uniforme relatif aux procédures collectives d’apurement du
passif (152), entré en vigueur le 1er janvier 1999 ;
6) l’Acte uniforme relatif au Droit de l’arbitrage (153), entré en vigueur le
11 juin 1999 ;
7) l’Acte uniforme portant organisation et harmonisation de la
comptabilité des entreprises (154), entré en vigueur le 1er janvier 2001
pour les comptes personnels des entreprises et le 1er janvier 2002 pour
les comptes consolidés et combinés ;
8) l’Acte uniforme relatif au Droit des contrats de transport de
marchandises par route (155), entré en vigueur le 1er janvier 2004.
En dehors de divers règlements pris par le Conseil des
ministres, ces Actes uniformes constituent la preuve matérielle de
l’existence d’un corps des règles dans le système OHADA.
§ 2. Le corps des juges
Le corps spécialisé des juges de l’OHADA est composé, pour le
premier et le second degré, des magistrats nationaux de juridictions
compétentes en matière commerciale et, pour le recours en cassation,
des juges de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage.
Existe-t-il une cohérence interne au sein du système juridique
mis en place par l’OHADA ?
§ 3. La mise en œuvre de la volonté intégratrice
Du point de vue du degré d’intégration, l’Organisation a atteint
le stade de non-retour, la forme institutionnelle voulue par les
acteurs ; ses institutions fonctionnent selon l’ordre établi. Il faut
148
J.O. OHADA, 1ère année n° 01, numéro spécial, 1er octobre 1997, pp. 3 à 29.
J.O. OHADA, 1ère année n° 02, numéro spécial, 1er octobre 1997, pp. 6 à 87.
150
J.O. OHADA, 1ère année n° 03, 1er octobre 1997, pp. 2 à 17.
151
J.O. OHADA, 2ème année n° 06, 1er juin 1998, pp. 3 à 31.
152
J.O. OHADA, 2ème année n° 07, 1er juin 1998, pp. 2 à 36.
153
J.O. OHADA, 3ème année n° 08, 15 mai 1999, pp. 3 à 8.
154
J.O. OHADA, 4ème année n° 10, 20 novembre 2000, pp. 1 à 444.
149
155
J.O. OHADA, 6ème année n° 13, 31 juillet 2003.
CI
admettre que dans son état actuel, le système juridique OHADA est
déterminant car il régule tous les rapports de droit entre les Etats
parties et au sein des institutions de l’Organisation.
Au vu de la multitude de décisions judiciaires rendues selon les
normes OHADA par son corps spécialisé des juges, la cohérence entre
le corps des règles et le corps des juges n’est plus à démontrer.
Si la cohérence institutionnelle a atteint la phase de non-retour,
il n’en est pas le cas pour la cohérence législative ou normative.
En effet, le Conseil des Ministres, pouvoir législatif de
l’Organisation, continue d’adopter des Actes uniformes pour couvrir le
champ des matières à uniformiser (156). Pour juger de la cohérence de la
production normative, il faut attendre le dernier Acte uniforme.
Pour l’instant, il n’est possible que de dresser un bilan
intermédiaire qui lui-même est tributaire du degré d’application du
droit harmonisé dans les Etats parties et de la mise en conformité du
droit national au droit uniforme et vice-versa.
Faisant le point sur l’application du droit OHADA dans les
Etats parties, le Secrétaire Permanent a conclu un de ses rapports
comme suit : « Il ressort des réponses au questionnaire que quatre ans
après l’entrée en vigueur du Traité et un an après celle des premiers
Actes uniformes, beaucoup d’Etats parties n’ont pas pris de mesures
pour assurer la vulgarisation des Actes uniformes afin qu’ils
s’intègrent effectivement et de façon pratique dans les législations
nationales.
Le Secrétariat Permanent invite instamment les Etats parties à remplir
leurs obligations afin de permettre à l’OHADA de progresser pour
atteindre les objectifs qui lui ont été assignés. » (157)
Et, lors des travaux de l’assemblée plénière des Commissions
nationales OHADA tenus du 10 au 12 septembre 2002 à Brazzaville, il
est fait une évaluation à mi-parcours des Actes uniformes déjà adoptés
de la manière suivante : « L’Assemblée a entendu les différents
délégués sur l’évaluation de l’application et de la mise en œuvre du
droit des affaires harmonisé dans leurs Etats respectifs. Il ressort du
156
L’article 2 du Traité énumère quelques matières à harmoniser qui entrent dans le champ
du droit des affaires de manière non limitative car, in fine, le même article autorise le
Conseil des ministres de compléter cette liste. Un premier ajout a été fait lors du Conseil des
ministres tenu les 22 et 23 mars 2001 à Bangui, cf. Compte rendu de la réunion du Conseil
des ministres de l’OHADA, in J. O. de l’OHADA, 6ème année n° 12, 28 février 2003, pp. 3 à
16. Par sa Décision n° 002/2001/CM relative au programme d’harmonisation du droit des
affaires en Afrique, le Conseil des Ministres a rendu harmonisables les matières suivantes :
droit de la concurrence, droit de la propriété intellectuelle, droit des sociétés civiles, droit
des sociétés coopératives et mutualistes, droit des contrats, droit de la preuve. Lire les
commentaires de LAURIOL (T.), « Le droit OHADA passe à une vitesse supérieure », Revue de
droit des affaires internationales, n° 5, 2001, p. 596 et s.
157
Point sur l’application du droit OHADA dans les Etats parties, J. O. de l’OHADA, 3ème
année n° 09, 15 septembre 1999, pp. 19 et 20.
CII
tour de table effectué que beaucoup d’efforts sont quotidiennement
faits par les Etats ; néanmoins, ces efforts doivent se poursuivre pour
parvenir à une mise en œuvre optimale du droit communautaire.
Les Etats n’ayant pas encore répondu aux questionnaires du
Secrétariat Permanent ont promis le faire dès leur retour dans leurs
Etats respectifs. » (158)
Ce questionnaire comprenait quatre parties.
La première relative au Traité interrogeait les Etats sur la date :
- de ratification du traité ;
- de dépôt des instruments de ratification et d’adhésion auprès du
gouvernement du Sénégal, gouvernement dépositaire ;
- de publication du Traité dans les Etats parties.
La deuxième et la troisième en rapport avec les Actes uniformes les
interrogeaient sur :
- les dates de publication des Actes uniformes dans chaque Etat
partie ;
- les mesures de droit interne prises pour l’application de ces Actes
uniformes (159).
La dernière avait trait à la vulgarisation des Actes uniformes, plus
particulièrement à l’organisation des séminaires de sensibilisation et
de formation au nouveau droit harmonisé (160).
A ce jour, le droit uniforme est appliqué dans les Etats parties
mais ceux-ci n’ont pas tous entamé la première vague de mettre leur
droit national en conformité avec le droit uniforme et réciproquement.
La raison évidente n’est pas à chercher dans la réalisation progressive
de l’intégration juridique mais plutôt dans le manque des moyens
financiers nécessaires pour payer l’expertise demandée par cette
opération.
C’est l’occasion de saluer le mérite du Règlement n° 002/2003/CM
relatif au mécanisme de financement autonome de l’OHADA (161).
158
Lire Rapport de synthèse des travaux de l’Assemblée plénière des Commissions nationales
OHADA, J. O. de l’OHADA, 6ème année n° 12, 28 février 2003, p. 22.
159
Les mesures de droit interne dont il est question dans ce rapport du Secrétaire
Permanent se rapportent aux opérations techniques de mise en conformité droit national et
droit uniforme et vice-versa (notamment la substitution des termes génériques des Actes
uniformes par les termes spécifiques du droit national) et à la prise des dispositions non
pénales pour réglementer les questions renvoyées au droit national par le droit uniforme et
des dispositions pénales portant sanctions des incriminations contenues dans les Actes
uniformes. Mais elles ne doivent pas concerner l’application des Actes uniformes en droit
interne car selon l’avis de la CCJA n° 001/2001/EP du 30 avril 2001, « Au regard des
dispositions impératives et suffisantes des articles 9 et 10 du Traité relatif à l’Harmonisation
du Droit des Affaires en Afrique, sont superfétatoires les textes d’abrogation expresse du
droit interne que pourraient prendre les Etats Parties en application des Actes uniformes ».
160
J. O. de l’OHADA, 3ème année n° 09, op. cit., pp. 19 et 20.
161
J. O. de l’OHADA, 6ème année n° 14, 20 décembre 2003, pp. 13 et ss. Lire aussi la
Décision n° 004/2004/CM du 27 mars 2004 portant adoption de la clé de répartition pour
la contribution de chaque Etat partie au Prélèvement OHADA, J. O. de l’OHADA, 7ème année
n° 15, 15 avril 2004, p. 17.
CIII
Ce texte crée la taxe dite Prélèvement OHADA fixée à 0,05 pour
cent du montant des importations de produits en provenance des pays
tiers mis à la consommation dans les Etats parties et instituée dans le
but notamment de résoudre durablement le problème du financement
régulier des budgets et activités des institutions de l’organisation, au
nombre desquelles activités nous pouvons inclure la mise en
conformité des droits nationaux avec le droit uniforme et vice-versa
afin de consolider ce dernier.
Nous entendons par consolidation l’opération technique qui
consiste à faire apparaître la situation juridique globale composée de la
production normative du droit uniforme et de la synthèse de différents
résultats nationaux des mises en conformité.
En effet, en dépit de l’application directe et obligatoire du droit
uniforme en vertu de l’article 10 du Traité, il est déconseillé de décider
d’abroger tous les textes nationaux ayant les mêmes objets que les
Actes uniformes. Cette démarche a l’avantage de la simplicité et de la
rapidité mais elle présente l’inconvénient de supprimer des
dispositions du droit national qui complètent fort heureusement le
droit uniforme. L’expérience montre que de telles dispositions
complémentaires existent en nombre plus ou moins important selon
les matières et les pays.
Il est donc recommandé d’examiner tous les textes du droit
positif national ayant le même objet que les Actes uniformes, article
par article, alinéa par alinéa, phrase par phrase ; ce qui est fastidieux
mais permet de repérer et de sauver les dispositions heureuses
évoquées ci haut. Celles-ci comprennent l’ensemble des dispositions
non contraires aux Actes uniformes qui survivent à la mise en
conformité. Elles méritent d’être recensées et comparées entre elles
pour dégager une synthèse à incorporer dans les Actes uniformes
correspondants. Ce travail indispensable à l’unité juridique africaine
permettra de supprimer en droit national des affaires la dualité des
sources – droit uniforme et droit national survivant - qu’engendrent les
Actes uniformes qui n’abrogent pas toutes les dispositions légales et
réglementaires du droit interne, et d’enrichir le droit uniforme au profit
de toute la communauté.
Avant de dégager le résultat de la consolidation, il sied de
cerner le fondement de la mise en conformité du droit national au droit
uniforme et réciproquement.
Section 2 : Le fondement de la mise en conformité
CIV
Ayant exclu de sa compétence la réglementation de
l’organisation administrative et judiciaire des Etats membres, le Traité
de l’OHADA laisse en fait à ces derniers la charge de la mise en
conformité du droit national avec la législation OHADA.
Principe corollaire de la compétence répressive exclusive du
droit national, de l’application directe et obligatoire du droit uniforme
et du renvoi au droit interne pour l’application de certaines
dispositions du droit uniforme, la mise en conformité trouve de ce fait
sa raison d’être dans les articles 5 al. 2° et 10 du Traité et dans ceux
des Actes uniformes qui renvoient au droit interne de chaque Etat
partie (162).
Conformément au prescrit de l’article 5 al. 2° du Traité de
l’OHADA, les Actes uniformes peuvent inclure des dispositions
d’incrimination pénale mais il revient aux Etats parties d’en fixer les
sanctions pénales.
Relever dans chaque Acte uniforme les dispositions relatives
aux infractions pénales, vérifier leur existence en droit interne ou
prévoir leurs sanctions pénales si les incriminations du droit uniforme
n’ont pas de correspondantes en droit interne, résument les devoirs de
la mise en conformité en ce qui concerne le renvoi aux dispositions
pénales internes.
De l’article 10 du même Traité, la doctrine (163) et la
jurisprudence (164) ont tiré la règle de la supranationalité du droit
uniforme qui a force obligatoire et abrogatoire sur le droit national.
Par sa force obligatoire, le droit uniforme n’attend pas une quelconque
permission interne législative ou réglementaire pour son application
directe en même temps qu’il interdit la prise d’un texte législatif ou
réglementaire pouvant s’opposer à cette application.
Par sa force abrogatoire, le droit uniforme anéantit le droit interne en
ses dispositions contraires et identiques, antérieures ou postérieures.
Recenser et identifier le droit national traitant de mêmes matières que
les Actes uniformes, distinguer les dispositions du droit interne
contraires, identiques ou non contraires à celles du droit uniforme et
en proposer l’abrogation ou le maintien, résument les tâches de la
mise en conformité en application des dispositions abrogatoires du
droit uniforme (165).
162
Pour de plus amples développements, lire ISSA-SAYEGH (J.), « Réflexions et suggestions
sur la mise en conformité du droit interne des Etats parties avec les Actes uniformes de
l’OHADA et réciproquement », article publié sur le site www.ohada.com dans la rubrique
Doctrine sous la référence ohadata D-04-12 ; ISSA-SAYEGH (J.) et LOHOUES-OBLE (J.),
OHADA : Harmonisation du droit des affaires, op. cit., n° 321 à 325, pp. 140 à 142.
163
Voir note 62.
164
Avis de la CCJA n° 01/2001 du 30 avril 2001.
165
Lire les commentaires de LOHOUES-OBLE (J.) (Traité et actes uniformes commentés et
annotés, op. cit., p. 37 et s) sous l’art. 10.
CV
La mise en conformité trouve également son fondement dans les
dispositions des Actes uniformes qui renvoient au droit interne non
pénal de chaque Etat partie. L’on peut notamment citer les cas de la
quotité cessible ou saisissable des salaires ; de l’incapacité des
mineurs ou de certains majeurs de faire le commerce ; des
incompatibilités ou des interdictions de faire le commerce ; du
montant de l’exécution provisoire des décisions de justice déterminant
le montant des privilèges non soumis à publicité au Registre du
commerce et du crédit mobilier ; de l’immatriculation des immeubles
en vue de leur saisie immobilière ou d’une constitution d’hypothèque.
L’application d’une de pareilles dispositions est conditionnée par
l’existence des dispositions correspondantes en droit interne.
Celles-ci doivent être relevées et recensées lors de la mise en
conformité en indiquant pour chacun de ces renvois, la disposition
adéquate du droit interne non pénal.
A l’issue des travaux de mise en conformité, l’on s’aperçoit que
le droit interne des affaires d’un Etat partie se compose, d’une part,
des dispositions des Actes uniformes et, d’autre part, de celles du droit
interne ayant le même objet que le droit uniforme et qui ont survécu à
cause de leur caractère non contraire et complémentaire aux Actes
uniformes.
Après la mise en conformité réalisée dans un Etat partie et plus
tard dans tous les Etats parties, quelle sera la teneur du droit
harmonisé par ceux des Actes uniformes qui laissent survivre les
dispositions non contraires du droit national ?
Dans ce contexte, plus on va harmoniser, plus on va accroître
le volume du droit national survivant : à la fin, on aura bien
l’impression de n’avoir pas harmonisé les législations nationales sinon
très peu.
Section 3 : L’amoindrissement de la volonté exprimée d’harmoniser les
législations nationales des affaires
Dans son célèbre avis du 30 avril 2001, la Cour Commune de
Justice et d’Arbitrage circonscrit le contenu du droit interne des
affaires d’un Etat partie comme suit :
« Sauf dérogations prévues par les Actes uniformes eux-mêmes, l’effet
abrogatoire de l’article 10 du Traité relatif à l’Harmonisation du Droit
des Affaires en Afrique concerne l’abrogation ou l’interdiction de
l’adoption de toute disposition d’un texte législatif ou réglementaire de
droit interne présent ou à venir ayant le même objet que les
CVI
dispositions des Actes uniformes et étant contraire à celles-ci. Il y a
lieu d’ajouter que cette abrogation concerne également les dispositions
de droit interne identiques à celles des Actes uniformes ».
Cette réponse contient les deux grandes faiblesses qui amoindrissent
la volonté exprimée par les Hautes Parties contractantes d’harmoniser
les législations nationales des affaires.
La première vient du fait que les Actes uniformes peuvent déroger à
l’effet abrogatoire de l’article 10 du Traité sans limitation ni orientation
précise de leur marge des œuvres ; et la seconde réside dans le
manque d’instruction aux Actes uniformes pour la prise en charge des
dispositions non contraires du droit interne.
L’autonomie de la volonté exprimée ou non peut justifier la dérogation
par des actes pris en vertu d’un traité à une règle impérative énoncée
par celui-ci.
Mais si cette possibilité n’est pas cernée par d’autres principes bien
définis, comme c’est le cas à l’article 10 du Traité, le risque de dérive
est certain.
§1. La dérive de la dérogation non définie des Actes uniformes à l’effet
abrogatoire de l’article 10 du Traité
Le Professeur Joseph ISSA-SAYEGH constate ce qui suit :
« Lors des travaux préparatoires, les auteurs des Actes uniformes se
retrouvent face à deux impératifs techniques qu’ils laissent aux
législateurs nationaux le soin de régler.
D’une part, ils ne peuvent pas s’ingérer dans l’organisation judiciaire ou
administrative des Etats parties en déterminant quelle juridiction ou
administration est compétente pour établir, recevoir, délivrer un acte ou
une décision sans s’immiscer, de façon perturbatrice, inopportune et
injustifiée, dans leur organisation judiciaire ou administrative.
Et de l’autre, ils sont confrontés à l’impossibilité d’utiliser des termes
juridiques précis et spécifiques pour désigner notamment une juridiction
(tribunal de commerce ou tribunal de première instance ou tribunal de
grande instance…par exemple) ou un officier ministériel (huissier ou
commissaire priseur, par exemple) ou une formation spéciale d’une
juridiction (référé, chambre du conseil, huis clos…) dans la mesure où
les lois nationales n’emploient pas la même terminologie pour désigner
les mêmes concepts ou institutions. » (166)
En dehors de ces deux impératifs qui justifient la dérogation à
l’effet abrogatoire par le recours à des formules génériques, il est fait
166
ISSA-SAYEGH (J.), « Réflexions et suggestions sur la mise en conformité du droit interne
des Etats parties avec les Actes uniformes de l’OHADA et réciproquement », op. cit.
CVII
état de nombre de dispositions et de renvois (167) qui, laissant survivre
le droit interne dans une très large mesure, témoignent de
l’impuissance avouée des Actes uniformes à résorber le droit national.
Avec le nombre croissant des Actes uniformes, le droit communautaire
risque bientôt de faire figure de petit dénominateur commun.
§2. La non prise en charge par les Actes uniformes des dispositions du
droit interne non contraires au droit uniforme
Il est unanimement admis par la doctrine et la jurisprudence
que l’article 10 du Traité contient une règle de supranationalité, à
savoir que les Actes uniformes sont directement applicables et
obligatoires dans les Etats parties, sans qu’aucune disposition de droit
interne ne puisse s’y opposer, ni même ne soit nécessaire pour les y
introduire.
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage a arrêté dans son
avis du 30 avril 2001 que sauf dérogations prévues par les Actes
uniformes eux-mêmes, l’effet abrogatoire de l’article 10 du Traité relatif
à l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique concerne
l’abrogation ou l’interdiction de l’adoption de toute disposition d’un
texte législatif ou réglementaire de droit interne présent ou à venir
ayant le même objet que les dispositions des Actes uniformes et étant
contraire à celles-ci. Il y a lieu d’ajouter que cette abrogation concerne
également les dispositions de droit interne identiques à celles des
Actes uniformes.
Si par l’effet abrogatoire de l’article 10 du Traité, les
dispositions du droit interne contraires ou identiques au droit
uniforme sont éliminées ou ne seront plus adoptées, il faut reconnaître
que celles non contraires réduisent les efforts d’uniformisation des
législations nationales parce que les rédacteurs des Actes uniformes
n’ont pas l’obligation de les intégrer dans leur œuvre.
Il s’ensuit que le droit commercial général des Etats parties est
constitué des dispositions de l’Acte uniforme y relatif et de celles du
droit interne non contraires. Il en est de même du droit des sociétés
commerciales et du groupement d’intérêt économique.
S’il y a lieu de saluer la clairvoyance des auteurs du Traité pour
avoir retenu une démarche graduelle dans l’harmonisation des
matières, il y a également lieu d’évaluer les effets du rythme accéléré
de l’harmonisation, les résultats d’application des Actes uniformes déjà
167
Sur les limites au principe de compétence de l’OHADA, lire ISSA-SAYEGH (J.) et
LOHOUES-OBLE (J.), op. cit., p. 115 et ss.
CVIII
adoptés et le degré de leur assimilation par les administrés concernés
(168).
Nous pensons qu’il y a nécessité de ne pas attendre que
l’ensemble du droit privé fasse l’objet d’une harmonisation avant de
consolider les Actes uniformes. A la fin de l’harmonisation des
matières harmonisables, l’ampleur des tâches à réaliser fera penser à
une seconde harmonisation et non à une modification des Actes
uniformes. Ce travail de consolidation exige notamment la prise en
charge au niveau des Actes uniformes des dispositions non contraires
du droit interne des Etats parties et l’évaluation de leur application.
Retarder l’intégration dans les Actes uniformes des dispositions
nationales non contraires a pour conséquence de réduire le substrat
normatif commun aux Etats parties proportionnellement aux matières
harmonisées.
Pour ces dernières, la mise en conformité s’impose à tous les Etats
parties afin que les dispositions nationales non contraires de chacun
soient connues et au besoin, communiquées au Secrétariat Permanent
pour disposition.
A l’avenir, pour les autres matières harmonisables, l’intégration de
toutes les dispositions nationales (non contraires) pourrait se réaliser
par l’implication des experts nationaux lors de l’élaboration d’un
avant-projet d’Acte uniforme, et ce de manière telle que :
-
soit, convenir avec le rédacteur d’un avant-projet d’Acte uniforme
de compter dans son équipe un expert ressortissant de chaque
Etat partie qui aura l’obligation de relever les spécificités
nationales ou les dispositions nationales non contraires ;
-
soit, imposer pareille obligation aux Commissions nationales
OHADA qui ne doivent plus se limiter à la simple appréciation
des avant-projets.
Ainsi, les Actes uniformes pourront intégrer, en amont lors de
leur élaboration et en aval au cours d’une modification, la synthèse
des dispositions nationales non contraires afin que soient vidés les
contenus de ces dernières en dehors de leurs aspects administratifs.
Il est vrai que cette démarche exigera d’énormes capitaux mais
nous pensons que c’est le prix à payer si l’on veut voir disparaître dans
les Actes uniformes les dispositions telles que :
168
Cf. LOHOUES-OBLE (J.), « La création du nouvel environnement juridique de
l’entreprise », in Actes du colloque de l’Association ivoirienne Henri Capitant, Abidjan 2 avril
2001, cité dans OHADA : Traité et actes uniformes commentés et annotés, Juriscope, 2002,
p. 40, note sous article 11.
CIX
« En outre, tout commerçant demeure soumis aux lois non contraires
au présent Acte uniforme, qui sont applicables dans l’Etat partie où se
situe son établissement ou son siège social. » (169)
« En outre, les sociétés commerciales et les groupements d’intérêt
économique demeurent soumis aux lois non contraires au présent Acte
uniforme qui sont applicables dans l’Etat partie où se situe leur
siège. » (170)
Il est évident que ne rentrent pas dans ce cadre de non prise en
charge les dispositions telles que celles de l’article 916 alinéa 1er de
l’Acte uniforme relatif au Droit des Sociétés Commerciales et du GIE
qui dispose que « l’Acte uniforme n’abroge pas les dispositions
auxquelles sont assujetties les sociétés soumises à un régime
particulier », parce que les lois nationales à intégrer dans les Actes
uniformes relèvent du droit commun des sociétés commerciales tandis
que le régime juridique de ces sociétés soumises à un régime
particulier relève d’un statut ou d’un droit spécial, et qu’une loi
portant dispositions de droit commun, en l’occurrence un Acte
uniforme, n’est pas censée s’étendre sur des régimes particuliers.
Excepté ces cas de régime particulier et de règles ou procédures
administratives à préserver, il est nécessaire et urgent que les Actes
uniformes intègrent et vident les contenus des lois nationales non
contraires relevant du droit commun des matières harmonisées pour
affermir ou consolider le droit uniforme appelé à soutenir l’intégration
économique au-delà des frontières des Etats parties.
Après avoir exposé la procédure de consolidation qui rendra les
Actes uniformes pleinement communautaires, nous allons analyser
celle de leur élargissement à tout le continent.
Chapitre II : La concrétisation de la vocation africaine du Traité
OHADA
Après la consolidation de l’existant, le second défi et pas le
moindre que doit relever l’Organisation pour l’Harmonisation en
169
Art. 1er al. 2 de l’Acte uniforme relatif au Droit Commercial Général.
Art. 1er al. 3 de l’Acte uniforme relatif au Droit des Sociétés Commerciales et du
Groupement d’Intérêt Economique.
170
CX
Afrique du Droit des Affaires concerne son élargissement réussi aux
autres pays du continent.
Au vu de l’intérêt croissant que manifestent plusieurs Etats
subsahariens (171) à l’endroit de l’organisation, celle-ci verra
certainement augmenter le nombre de ses membres dans les années à
venir.
L’adhésion massive d’autres pays africains à l’organisation rendrait
effective la conviction des fondateurs exprimée dans le préambule
selon laquelle l’intégration économique dont ils constituaient le pôle
moteur devait être poursuivie dans un cadre africain plus large.
En effet, faisant reposer l’intégration économique sur une
intégration juridique, l’OHADA a vocation de créer un corps de règles
communes devant s’appliquer sur tout le continent.
Or, du fait de l’identité des Etats parties, le corps des règles de
l’organisation est fortement influencé par la tradition civiliste.
Pour atteindre son objectif sur le plan continental, de deux choses
l’une, soit l’organisation imposera sa tradition actuelle aux autres pays
adhérents même de tradition différente, soit elle devra accepter la
métamorphose de son corps de règles qui donnera naissance à un
nouvel ensemble de règles constitué des apports enrichissants des
autres traditions juridiques.
A la lecture du Traité, il ne se dégage aucune disposition
susceptible d’exprimer l’intention de l’organisation de vouloir imposer
sa tradition actuelle aux futurs adhérents, ce qui fait pencher vers
l’option du respect des traditions des autres pays. Cette option
conduira vers la coexistence sinon la symbiose des concepts de la
tradition actuelle des Actes uniformes et ceux de la common law parce
que c’est de cette tradition qu’il s’agit essentiellement.
Cet état de choses nous conduit à l’interrogation suivante :
quelles mesures les fondateurs de l’organisation avaient-ils arrêtées
pour favoriser son expansion à tout le continent ?
Il nous faut présentement parcourir le Traité pour y dénicher
les dispositions prises par les fondateurs pour permettre l’entrée de
nouveaux adhérents et pour gérer les particularismes de leurs droits
nationaux si ces derniers présentent des divergences profondes par
rapport au droit uniforme.
Section 1 : Les dispositions incompatibles avec la visée continentale de
l’Organisation
171
Voir supra, note n° 13.
CXI
A la différence d’une loi nationale qui comprend généralement
une rédaction répartie en deux groupes de dispositions, eu égard à
leur force obligatoire, les unes énonciatives et non contraignantes
formant l’exposé des motifs et les autres impératives composant le
dispositif ou le corps, la loi internationale (traité ou accord
international) confère une valeur d’engagement à son préambule.
Les parties contractantes doivent veiller aux engagements consignés
dans le préambule du Traité en même temps qu’elles exécutent les
obligations définies dans le corps du Traité.
Il nous revient ainsi de rechercher ces dispositions
incompatibles avec la vocation africaine de l’Organisation dans le
préambule comme dans le corps du Traité.
§1. Dans le préambule du Traité
C’est la partie du Traité dans laquelle les Etats fondateurs
expriment les raisons économiques, philosophiques et politiques de
leur œuvre et énoncent les différentes actions à entreprendre.
Même si l’ensemble des dispositions du préambule est dénué de la
force impérative reconnue au dispositif, ces dispositions ne sauraient
être considérées comme de simples déclarations d’intention (172).
Conscients du manque de substrat économique commun en termes
d’échanges marchands qui fondent l’intégration économique, les Etats
parties recherchent un palliatif dans leur appartenance à la zone
franc, facteur de stabilité économique et monétaire ; et ils optent pour
la démarche de l’intégration juridique, en affirmant la nature
communautaire du droit des affaires à harmoniser, au service de
l’intégration économique.
S’il est vrai que l’ouverture de l’organisation aux pays hors zone
franc ne pourra affecter que l’intégration économique à travers ce
facteur de stabilité économique et monétaire, il ne demeure pas moins
vrai que cette référence monétaire, en lieu et place des échanges
commerciaux inter frontaliers, fragilise la portée continentale de
l’intégration juridique de l’organisation.
En effet, cette dernière est réalisée en tenant uniquement compte des
législations nationales des Etats de la zone franc sans la moindre
considération, par anticipation, des législations des pays en dehors de
cette zone.
172
ISSA-SAYEGH (J.) et LOHOUES-OBLE (J.), op. cit., p. 105.
CXII
C’est ce qui explique notamment que les Actes uniformes utilisent sans
les définir les concepts comme solidarité, prescription, compensation,
dation en paiement, incapacité juridique, immeubles et droits réels
immobiliers, meubles corporels ou incorporels (173) etc., parce que les
rédacteurs de ces Actes uniformes savent que ces concepts ont la
même acception dans le droit commun des Etats de cette zone.
Il nous paraît incompatible de limiter l’intégration juridique à la
zone franc ou la famille romano-germanique et de prétendre
poursuivre l’intégration économique dans un cadre africain plus large.
L’anticipation évoquée ci-dessus aurait eu pour conséquence de
poursuivre l’intégration économique et juridique dans ce cadre africain
plus large et de la faire correspondre à la visée continentale de
l’organisation, en décidant notamment que chaque Acte uniforme
définisse tous ses concepts clés.
§2. Dans le corps du Traité
La visée continentale de l’Organisation apparaît à l’article 53,
alinéa 1er de son Traité qui dispose : « Le présent traité est, dès son
entrée en vigueur, ouvert à l’adhésion de tout Etat membre de l’OUA et
non signataire du traité. Il est également ouvert à l’adhésion de tout
autre Etat non membre de l’OUA invité à y adhérer du commun accord
de tous les Etats parties ».
Depuis le 18 septembre 1995, date de son entrée en vigueur, le
Traité OHADA est ouvert à tous les Etats membres de l’Union Africaine
même non signataires.
Cette visée est rendue plus évidente par la différence établie entre un
Etat membre de l’Union Africaine et un autre non membre de cette
Union. Le premier peut y adhérer motu proprio sans condition, la seule
appartenance à l’Union Africaine suffit, tandis que le second ne peut
pas de lui-même prendre l’initiative de l’adhésion, celle-ci doit provenir
des Etats parties, sur invitation unanime de ces derniers.
Comme pour la ratification du Traité par les Etats signataires,
l’adhésion s’effectue conformément aux procédures constitutionnelles
en vigueur dans les Etats adhérents.
En République Démocratique du Congo, du fait que le Traité OHADA
concerne une organisation internationale et que rejoindre cette
communauté de droit entraînera une modification de l’ordre juridique
173
ISSA-SAYEGH (J.) et LOHOUES-OBLE (J.), op. cit., p. 121.
CXIII
interne, le constituant exige que l’acte d’adhésion provienne du
parlement (174).
Mais dans ce même corps du Traité, un article choque les
esprits des lecteurs même non outillés à la pensée juridique, c’est
l’article 42 qui énumère le français comme la seule langue de travail de
l’organisation (175).
Cette disposition a pour effets de limiter, pour ne pas dire imposer, au
sein des institutions de l’Organisation, l’expression orale et écrite en
cette unique langue.
Les réunions du Conseil des ministres, les séances ou audiences de la
CCJA, les séances de travail du Secrétariat permanent, les
enseignements de l’ERSUMA doivent se tenir en français et leurs
rapports ou autres documents être rédigés dans la même langue.
L’article 42 du Traité aurait pu poser problème à la ratification
comme il pourrait le poser à l’adhésion, non pas parce qu’il affecte le
processus de ratification ou d’adhésion, mais qu’il institue une règle
incompatible à la vie de l’Organisation.
En effet, à le lire de très près, l’on se rend compte non seulement qu’il
fait obstruction en point de mire à la visée continentale de
l’Organisation mais surtout qu’il offensait déjà l’un des Etats
signataires du Traité, en l’occurrence le Cameroun (176).
Aujourd’hui, l’Organisation compte en son sein des Etats
francophones, hispanophone, lusophone et la partie anglophone du
Cameroun mais elle est obligée de vivre ou de fonctionner uniquement
en français, à cause de l’article 42 de son Traité, de rédiger et publier
ses documents en français, de ne pas adapter son personnel aux
exigences linguistiques des ressortissants des Etats membres
notamment au niveau de la CCJA.
Il devient impérieux de prendre en compte les nouveaux arrivés et les
futurs arrivants afin de réviser l’acte fondamental de l’Organisation
non seulement dans le sens de la satisfaction de l’expression orale et
174
Conformément à l’art. 214, al. 1° de la Constitution du 18 février 2006 qui dispose :
‘Les traités de paix, les traités de commerce, les traités et accords relatifs aux
organisations internationales et au règlement des conflits internationaux, ceux qui
engagent les finances publiques, ceux qui modifient les dispositions législatives, ceux
qui sont relatifs à l’état des personnes, ceux qui comportent échange et adjonction de
territoire ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi’.
175
A propos de cet article, lire les développements d’ISSA-SAYEGH (J.) et LOHOUES-OBLE
(J.), op. cit., nos 245 à 248 ; MARTOR (B.), PILKINGTON (N.), SELLERS (D.) et THOUVENOT
(S.), op. cit., n° 13, p. 4.
176
La Constitution camerounaise consacre le principe du bilinguisme qui énumère
expressément le français et l’anglais comme langues officielles de ce pays, leur reconnaît
une valeur égale et garantit leur promotion sur toute l’étendue du territoire.
CXIV
écrite mais surtout dans le but de donner au droit uniforme une valeur
intrinsèque harmonisée.
C’est certainement pour cette raison que le projet imminent de révision
du Traité porte quatre langues de travail : le français, l’anglais,
l’espagnol et le portugais (177).
Dans le même cadre des innovations attendues, le Conseil des
Ministres qui s’est tenu en mars 2003 à Yaoundé a souligné « la
nécessité pour l’OHADA de tirer les leçons de ses dix années
d’existence » précisant qu’il convenait notamment d’améliorer la
rédaction de certaines dispositions du Traité pour les rendre
opérationnelles (178).
Section 2 : La gestion des particularismes juridiques des Etats
adhérents
Le Traité dispose en son article 53 al. 2° qu’ « à l’égard de tout
Etat adhérent, le présent traité et les Actes uniformes adoptés avant
l’adhésion entreront en vigueur soixante jours après la date de dépôt
de l’instrument d’adhésion ».
L’intelligence de cette disposition nous permet de dire que
soixante jours après la date de dépôt de l’instrument d’adhésion, les
Actes uniformes et les Règlements d’application du Traité qui forment
le droit substantiel de la communauté OHADA s’appliquent dans l’Etat
adhérent sans aucune modification ou adaptation.
La substitution du droit uniforme au droit national de l’adhérent
s’accomplit selon le prescrit de l’article 10 du Traité. Ce qui revient à
dire que pour les matières réglementées par les Actes uniformes,
l’adhésion à l’OHADA implique l’abandon des pans du droit national
identiques et contraires au droit uniforme, et le maintien des
particularités non contraires.
Les articles 5 à 12 du Traité qui constituent le titre II relatif aux
Actes uniformes, ne déterminent pas la région africaine dont il faille
prendre en compte les législations lors de l’élaboration des projets
d’Actes uniformes.
La logique a donc conduit les experts à ne tenir compte que de
législations des Etats membres. La tradition juridique commune du
177
Nous avons appris, après la rédaction de notre étude, la signature d’une version révisée
du Traité OHADA en marge du dernier Sommet de la Francophonie tenu à Québec le 17
octobre 2008. L’amendement de cet article a ajouté au français trois autres langues, à
savoir : l’anglais, l’espagnol et le portugais.
178
Actes uniformes OHADA. Les études pratiques de Ernst & Young en Afrique, op. cit. p.
17.
CXV
noyau des Etats fondateurs, en même temps qu’elle épargne au
système une contrariété entre les spécificités nationales des Etats
membres, a marqué le droit uniforme de sa teinte civiliste.
L’adhésion des Etats d’autres traditions juridiques notamment
de la common law risque de faire coexister deux systèmes différents au
sein de la communauté (179). La simple traduction des Actes uniformes
n’y suffira pas. Une refonte de deux systèmes s’avèrera nécessaire
pour déboucher sur une symbiose sinon les Actes uniformes
deviendront ambivalents et ambigus.
Nous pensons que c’est dans ce sens qu’il faut comprendre la
conclusion à laquelle aboutit le Professeur John Ademola YAKUBU
dans une étude comparative des approches OHADA et common law au
sujet des procédures de recouvrement des créances et des voies
d’exécution, lorsqu’il écrit :
‘When the common law countries decide to join the 16 member nations
of OHADA, coming to terms with the OHADA simplified debt recovery
procedures and enforcement measures will not be a problem, since the
few areas of difference can be harmonized, without much dislocations’
(180).
Aucune précaution de gestion des particularismes juridiques
des Etats adhérents n’ayant été organisée dans le Traité, il importe que
chaque Acte uniforme définisse ses concepts clés.
Pour les Actes uniformes existants, le Secrétariat permanent peut
commander une étude sur la définition de leurs concepts clés. L’équipe
à recruter doit présenter des spécialistes en droit des affaires de
différentes régions juridiques africaines : l’Afrique du Nord, l’Afrique de
tradition civiliste (qui regroupe l’Afrique francophone, hispanophone et
lusophone), l’Afrique de l’Ouest de tradition anglo-saxonne, l’Afrique de
l’Est de tradition anglo-saxonne et l’Afrique Australe.
Ces définitions unanimes vont donner un sens plein et entier aux
Actes uniformes. Elles feront l’objet d’une adoption additionnelle par le
Conseil des ministres et seront placées au début de chaque Acte
uniforme concerné. Chaque concept clé ne peut avoir qu’une et une
seule définition.
179
MARTOR (B.), PILKINGTON (N.), SELLERS (D.) et THOUVENOT (S.), Business Law in
Africa : OHADA and the Harmonization Process, 2nd Edition, GMB Publishing Ltd, London,
United Kingdom, 2007, p. 17 ; AMADOU MONKAREE, “The necessity to embrace the
OHADA system by the Anglophone African countries”, in L’effectivité du droit de l’OHADA,
collection Droit uniforme, Presses Universitaires d’Afrique, Yaoundé, Cameroun, 2006, p.
24.
180
YAKUBU ADEMOLA (J.), “Debt recovery procedures and enforcement measures : OHADA
approach and the approach of common law – Which is better ?”, sur www.ohada.com,
référence Ohadata D-04-27, p.15
CXVI
Pour les futurs Actes uniformes (181), le Secrétariat permanent pourra
insérer dans le dossier d’appel d’offres ou le cahier spécial des charges
l’obligation de définir les nouveaux concepts clés.
La définition des concepts clés va au-delà de la simple
traduction correcte d’une langue à une autre des termes utilisés pour
la rédaction des articles. Ce souci de définition recherche que dans
tous les Etats membres présents et futurs, un concept renferme le
même contexte ou représente la même réalité. Par exemple, les termes
« immeuble par nature, par incorporation, par destination » doivent
représenter partout la même réalité.
Nous pensons que consolidation et élargissement constituent
les deux axes de l’intégration juridique menée au niveau de l’OHADA.
La consolidation pourrait être préparée par un système de collecte des
résultats des mises en conformité et des défaillances dénichées lors de
l’analyse théorique, de l’interprétation ou de l’application du droit
OHADA dans tout l’espace géographique de cette communauté. Elle
s’accomplira par l’intégration dans les Actes uniformes de la synthèse
de différents résultats nationaux de mises en conformité et des
corrections de ces défaillances.
L’élargissement s’amorcerait, en dehors de contacts politiques et
diplomatiques, par une anticipation dans l’harmonisation de la pensée
juridique notamment en définissant les concepts clés des Actes
uniformes selon les considérations dominantes ou meilleures de la
tradition des Actes uniformes ou de la common law.
Eu égard aux Actes uniformes existants, cette anticipation
sous-entend l’instauration d’un dialogue scientifique entre les experts
de ces deux traditions juridiques, au cours duquel le système actuel
du droit uniforme serait comparé au système de la common law. Les
similitudes et les différences dressées entre les deux systèmes seraient
brassées pour donner naissance à une symbiose innovante
préparatoire à l’intégration juridique africaine.
Concernant les futurs Actes uniformes, la faisabilité de ce
brassage peut être envisagée, en amont de l’harmonisation du droit
uniforme d’avec le droit national des pays de la common law, en
exigeant des équipes mixtes composées d’experts ressortissants de
deux traditions pour la rédaction des avant-projets d’Actes uniformes
et en définissant tous les termes clés du futur Acte uniforme dans une
partie introductive.
181
A propos des Actes uniformes futurs, lire notamment MARTOR (B.), PILKINGTON (N.),
SELLERS (D.) et THOUVENOT (S.), Le droit des affaires africain issu de l’OHADA, op. cit.,
nos 100 à 124, p. 26-31
CXVII
Ainsi, l’on évitera par exemple que devant la CCJA, les
plaideurs ressortissants des pays à tradition de la common law ne
définissent différemment les concepts des Actes uniformes pour
imposer à la Cour leurs points de vue, ce qui entraînerait un
dysfonctionnement au niveau de cette institution, ou que le greffage
des Actes uniformes aux corps de règles de ces pays ne se solde par un
rejet.
CONCLUSION
Au terme de cette étude, nous comptons rappeler le résultat
auquel nous sommes parvenu et formuler des suggestions relatives à
l’amélioration des articles 7, 8 et 12 du Traité.
Dans la première partie de notre étude, nous avons circonscrit
le contenu conceptuel et matériel de la contrariété entre un Acte
uniforme et une constitution nationale.
Sur le plan conceptuel, un Acte uniforme bénéficie d’une présomption
de constitutionnalité qui lui permet d’acquérir force de loi sans
observer les contraintes constitutionnelles de forme et de fond quant à
son élaboration ou son entrée en vigueur.
Sur le plan matériel, un Acte uniforme ne peut contrarier une
constitution nationale qu’en ce qui concerne les dispositions relatives
aux droits fondamentaux et libertés publiques.
Les droits fondamentaux et libertés publiques peuvent également tirer
leur origine d’une convention internationale. Bien sûr, un Acte
uniforme doit veiller au respect de tout droit fondamental et toute
CXVIII
liberté publique, quelle que soit leur source ; mais dans le cadre de
cette étude, nous nous sommes limité à la source constitutionnelle.
Dans la seconde partie, nous avons indiqué la solution à la
contrariété entre un Acte uniforme et une constitution nationale.
Comme tout conflit de lois, cette contrariété doit être résolue par
l’amendement soit de l’Acte uniforme soit de la constitution.
Nous avons écarté la première hypothèse, c’est-à-dire la modification
de l’Acte uniforme, justifiée notamment par les règles de la norme
hiérarchiquement supérieure et de la réciprocité, principes de droit
international classique incompatibles avec le modèle d’intégration
OHADA.
Nous avons retenu la seconde hypothèse, c’est-à-dire l’amendement de
la constitution nationale, fondée essentiellement sur la responsabilité
technique et politique des institutions étatiques impliquées dans
l’élaboration des Actes uniformes.
Cette solution qui recommande la modification de la norme
constitutionnelle se fonde sur deux éléments essentiels : l’engagement
communautaire de chaque Etat partie et la nature internationale d’un
Acte uniforme.
Par l’implication de sa Commission Nationale OHADA dans le
processus d’élaboration des Actes uniformes et l’adoption de ces
derniers par ses Ministres en charge de la Justice et des Finances,
chaque Etat membre reconfirme son engagement au Traité et au droit
dérivé. Avant toute confirmation de son engagement, chaque Etat
membre est supposé s’être assuré de la conformité de l’avant-projet
d’Acte uniforme à sa constitution nationale.
Par le fait qu’un Acte uniforme est adopté par un organe législatif
communautaire (intergouvernemental) et s’applique dans plusieurs
Etats, il acquiert une nature internationale qui l’exclut de la
compétence nationale pour toute modification.
Les Commissions nationales que notre solution présente
comme une structure de prévention et d’alerte des risques de
contrariété, doivent veiller à la conformité d’un avant-projet d’Acte
uniforme aux normes constitutionnelles.
Les Ministres de la Justice et des Finances qui s’appuient sur le
Comité des experts et bénéficient d’une sorte de droit de veto, engagent
par le vote d’un Acte uniforme leur responsabilité politique et la
responsabilité internationale de l’Etat mandant. En effet, ce vote oblige
chaque Etat membre de se soumettre à l’ordre juridique
communautaire.
Cette solution que ne peut pas totalement soutenir le droit
communautaire à cause de ses faiblesses, découle du modèle
CXIX
d’intégration juridique choisie par l’Organisation, en attendant
l’avènement du droit constitutionnel communautaire qui sera son
véritable fondement.
Mais dans cette attente, en dehors des différentes suggestions
clairsemées à travers notre étude, nous nous permettons d’émettre des
propositions spécifiques concernant la problématique principale de la
contrariété entre un Acte uniforme et une constitution nationale et ses
deux corollaires que sont la consolidation et l’élargissement du droit
uniforme.
La première proposition porte sur l’article 7 al. 1° du Traité
dont nous suggérons la reformulation suivante :
(182)
« Les projets d’Actes uniformes sont communiqués par le Secrétariat
permanent aux gouvernements des Etats Parties, qui disposent d’un
délai de six mois à compter de la date de la réception de cette
communication pour faire parvenir au Secrétariat permanent leurs
observations écrites et l’ensemble des dispositions des lois nationales
non contraires au projet ».
Avec l’actuelle formulation, il est toujours possible qu’un Etat
Partie fasse mention d’un cas de contrariété entre un projet d’Acte
uniforme et sa constitution nationale.
L’ajout qui a été porté à l’actuelle formulation permettra de résoudre la
question de la consolidation du droit uniforme, en vidant le contenu
du droit interne survivant et en rendant les Actes uniformes
pleinement intégrateurs.
Dans chaque Etat membre, la mise en conformité sera faite avant
l’adoption de tout Acte uniforme. Une mise en conformité antérieure à
l’adoption de l’Acte uniforme a l’avantage de renforcer l’uniformisation
et de présenter un coût inférieur par rapport à celle qui porte sur huit
Actes uniformes à la fois.
Le délai est passé du simple au double à cause de l’augmentation du
volume des tâches demandées à chaque Etat membre.
En application de cet alinéa amendé, le Conseil des ministres pourrait
prendre un règlement sur la composition de l’équipe de l’expert chargé
de l’élaboration de l’avant-projet, équipe qui doit comprendre des
techniciens spécialistes du droit des affaires issus de la tradition
civiliste et de la common law.
182
Art. 7 al.1° du Traité :
« Les projets d’Actes uniformes sont communiqués par le Secrétariat Permanent aux
gouvernements des Etats Parties, qui disposent d’un délai de quatre-vingt-dix jours à
compter de la date de la réception de cette communication pour parvenir au Secrétariat
Permanent leurs observations écrites ».
CXX
La deuxième proposition concerne l’article 8, al. 1° et 2°
dont nous recommandons la reformulation suivante :
(183)
« L’adoption des Actes uniformes par le Conseil des ministres requiert
l’unanimité des représentants des Etats Parties votants. Si les deux
membres d’un Etat Partie sont présents, l’expression de vote de cet Etat
peut être signifiée par l’un d’eux.
« L’adoption des Actes uniformes n’est valable que si tous les Etats
Parties sont représentés au moins par un de leurs ministres membres du
Conseil. Aucune représentation d’un Etat Partie ne peut prendre part au
vote au nom et pour le compte d’une autre délégation. »
Pour l’adoption des Actes uniformes, l’actuelle formulation exige
l’unanimité des représentants des Etats Parties présents et votants.
Nous suggérons la suppression du terme ‘présents’ parce qu’il est
incompatible avec le troisième alinéa de cet article qui admet
l’abstention. En effet, l’abstention ne peut pas trouver place là où l’on
exige l’unanimité des représentants présents.
En d’autres termes, si l’adoption d’un Acte uniforme requiert
l’unanimité des représentants présents, d’où viendront ceux qui
pourront s’abstenir au cours du même vote ?
Nous pensons que pour un même vote, l’unanimité des représentants
présents élimine toute abstention ; seule l’hypothèse de l’unanimité
des représentants votants peut aller de pair avec l’abstention.
Le fait d’admettre que le vote d’un Etat Partie soit exprimé par un seul
de ses deux représentants, signifie que la représentation d’un Etat
Partie par un seul de ses deux ministres est valable.
L’actuel quorum de deux tiers des Etats Parties nous paraît inadéquat
avec l’engagement communautaire des Etats membres et les lourdes
conséquences attachées à l’application des Actes uniformes.
Nous pensons que les seules signature et ratification ou adhésion au
Traité ne suffisent pas pour se voir imposer un Acte uniforme. Il
importe donc que tous les Etats Parties soient représentés à la session
d’adoption d’un Acte uniforme.
L’interdiction de représentation par procuration renforce la volonté
d’impliquer tous les Etats Parties à l’adoption des Actes uniformes.
Elle vise aussi la concrétisation de la pleine acceptation des Actes
uniformes par les Etats Parties.
183
Art. 8 al.1° et 2° du Traité :
« L’adoption des Actes uniformes par le Conseil des Ministres requiert l’unanimité des
représentants des Etats Parties présents et votants.
« L’adoption des Actes uniformes n’est valable que si les deux tiers au moins des Etats
Parties sont représentés ».
CXXI
La troisième proposition vise l’article 12 du Traité
manque un second alinéa de précision comme suit :
(184)
auquel
« A l’exclusion de toute demande fondée sur un intérêt subjectif national,
la requête de modification doit porter un intérêt communautaire et viser
l’amélioration d’une ou plusieurs dispositions uniformes. »
Nous sommes tenté pour tout commentaire de cette dernière
proposition de renvoyer à la lecture de notre étude.
Mais pour nous résumer, nous pouvons garder en mémoire, au
moment où nous achevons la rédaction ou la lecture de cette œuvre, la
raison majeure du rejet d’une demande de modification d’un Acte
uniforme fondée sur un intérêt subjectif national. La contrariété entre
le droit uniforme et le droit constitutionnel interne est une des
hypothèses qui rentrent dans la formulation large d’intérêt subjectif
national.
L’admission d’un motif tiré d’un intérêt subjectif national pour
modifier un Acte uniforme constitue un latent germe juridique
d’insécurité du droit uniforme et d’instabilité de la communauté de
droit OHADA.
En effet, si les Etats Parties se voient reconnaître le droit de déclarer
un Acte uniforme contraire à leur constitution nationale, l’exercice de
cette prérogative peut les conduire à suspendre l’application du droit
uniforme sur leur territoire et en cas de rejet par le Conseil des
ministres de leur demande de modification fondée sur ce principal
intérêt subjectif, à suspendre leur participation à la vie de la
Communauté.
184
Art. 12 du Traité :
« Les Actes uniformes ne peuvent être modifiés que dans les conditions prévues par les
articles 7 à 9, à la demande de tout Etat Partie ».
CXXII
ANNEXES
JURISPRUDENCE CONSTITUTIONNELLE
CONSEIL CONSTITUTIONNEL DU SÉNÉGAL
16 décembre 1993
Décision du Conseil constitutionnel n° 3/C/93 du 16 décembre 1993
Affaire N° 3/C/93 du 16 décembre 1993
Le conseil,
1 - Considérant que par requête en date du 29 novembre 1993, le
Président de la République, en se fondant sur l’article 78 de la
Constitution, a saisi le Conseil aux fins de voir :
- Statuer sur la conformité à la Constitution des articles 14 à 16 du
Traité relatif à l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique;
«- Relever d’office, le cas échéant, en application de l’avant-dernier
alinéa de l’article 15 de la loi organique n0 92/23 du 30 mai 1992 sur
le Conseil constitutionnel, une violation de la Constitution qui n’aurait
pas été soulevée » ;
2 - Considérant que cette requête, dont le Conseil constitutionnel a été
saisi après la signature de l’engagement international et avant le vote
de la loi autorisant sa ratification ou son approbation, est recevable, en
application des articles 78 de la Constitution et 14 de la loi organique
sur le Conseil constitutionnel ;
3 - Considérant que le Président de la République demande au Conseil
constitutionnel de se prononcer sur la constitutionnalité des articles
14, 15 et 16 du Traité de Port-Louis au regard des articles 80 et 82,
alinéa 3, de la Constitution ;
Au regard de l’article 80 de la Constitution :
4 - Considérant que les articles 14, 15 et 16 du Traité attribuent
compétence à une Cour commune de justice et d’arbitrage devant
CXXIII
assurer dans les États parties l’interprétation et l’application
communes du Traité et des règlements pris pour son application et des
actes uniformes ;
Que saisie par la voie du recours en cassation cette Cour pourra
également se prononcer sur les décisions rendues par les juridictions
d’appel des Etats parties dans toutes les affaires soulevant des
questions relatives à l’application des actes uniformes et des
règlements prévus au présent Traité, à l’exception des décisions
appliquant des sanctions pénales et, dans les mêmes conditions, sur
les décisions non susceptibles d’appel rendues par toute juridiction
des États parties dans les mêmes contentieux ;
5 - Considérant que l’article 80 de la Constitution, en disposant que le
pouvoir judiciaire est «exercé par le Conseil constitutionnel, le Conseil
d’État, la Cour de Cassation et les cours et tribunaux>, réserve cet
exercice aux seules institutions qu’il énumère limitativement, à
l’exclusion de toute autre institution, qu’elle soit d’ailleurs nationale ou
internationale ;
6 - Considérant toutefois que les dispositions de l’article 80 ne visent
que l’exercice du pouvoir judiciaire dans l’ordre juridique sénégalais,
qu’elles n’ont ni pour objet ni pour effet d’interdire la participation
d’une institution autre que celles qu’elles énumèrent, à l’exercice du
pouvoir judiciaire du Sénégal mais dans un cadre différent du cadre
national, qu’il n’y a donc pas, en l’espèce, une contrariété logique entre
les dispositions de l’article 80 et les articles 14, 15 et 16 du Traité
attribuant à une juridiction internationale comme la Cour commune
de justice et d’arbitrage la compétence de connaître, par voie de
cassation, certaines décisions rendues en dernier ressort par les
juridictions du Sénégal, dans le cadre d’une organisation
internationale telle que l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique
du Droit des Affaires.
Au regard de l’article 82, alinéa 3, de la Constitution :
7 - Considérant, il est vrai, qu’en conférant cette compétence à la Cour
commune de justice et d’arbitrage, les articles 14, 15 et 16 du Traité
réduisent d’autant les attributions de la Cour de Cassation telles
qu’elles sont définies par l’article 82, alinéa 3, de la Constitution qui
dispose qu’en toutes matières autres que celles qui relèvent des
compétences respectives du Conseil constitutionnel et du Conseil
d’État (article 82, alinéas 1 et 2), «la Cour se prononce par la voie de
recours en cassation sur les jugements rendus en dernier ressort par
les juridictions subordonnées» ;
8 - Considérant qu’il n’en résulte cependant ni changement du statut
international du Sénégal en tant qu’État souverain et indépendant, ni
modification de son organisation institutionnelle ; que le
dessaisissement de certaines de ses institutions — Cour de Cassation,
mais aussi Assemblée nationale — n’est ni total ni unilatéral, qu’il
CXXIV
s’agit donc, en l’espèce, non pas d’un abandon de souveraineté, mais
d’une limitation de compétences qu’implique tout engagement
international et qui, en tant que telle, ne saurait constituer une
violation de la Constitution, dans la mesure où celle-ci, en prévoyant la
possibilité de conclure des traités, autorise, par cela même, une telle
limitation de compétences ;
9 - Considérant que même si les articles soumis à l’examen du Conseil
constitutionnel avaient prescrit un véritable abandon de souveraineté,
ils ne seraient pas inconstitutionnels ; que s’il y avait un doute à ce
sujet, il serait levé par les dispositions du paragraphe 3 du Préambule
de la Constitution aux termes duquel :
Le peuple sénégalais :
- Soucieux de préparer l’unité des États de l’Afrique et d’assurer les
perspectives que comporte cette unité ;
- Conscient de la nécessité d’une unité politique, culturelle,
économique et sociale, indispensable à l’affirmation de la personnalité
africaine ;
- Conscient des impératifs historiques, moraux et matériels qui
unissent les États de l’Ouest africain ;
DÉCIDE :
« Que la République du Sénégal ne ménagera aucun effort pour la
réalisation de l’unité africaine » ;
10 - Considérant en effet que la réalisation de l’unité africaine
impliquant nécessairement un abandon de souveraineté de la part des
États qui y participent, le peuple sénégalais, par cette « décision
constitutionnelle » accepte d’accomplir un tel « effort » qu’il s’ensuit
qu’un engagement international, par lequel le Sénégal consentirait à
abandonner sa souveraineté dans ce but, serait conforme à la
Constitution à condition que cet abandon de souveraineté se fasse
sous réserve de réciprocité et dans le respect des droits de l’homme et
des peuples, ainsi que des libertés fondamentales, garantis par les
dispositions de valeur constitutionnelle ;
11 - Considérant qu’il en est ainsi, a fortiori, du Traité de Port-Louis
du 17 octobre 1993 relatif à l’Harmonisation du Droit des Affaires en
Afrique, dont les articles 14, 15 et 16 ne prescrivent qu’une limitation
de compétences dans le but, selon les termes mêmes du Préambule
dudit traité, « d’accomplir de nouveaux progrès sur la voie de l’unité
africaine » ; que ces articles ne sont donc pas contraires à la
Constitution ;
12 - Considérant que le Conseil constitutionnel ne relève dans le Traité
aucune violation de la Constitution susceptible d’être soulevée d’office,
conformément aux dispositions de l’article 15, alinéa 3, de la loi
organique sur le Conseil constitutionnel ;
DECIDE :
CXXV
Article premier :
La requête du Président de la République est recevable ;
Article 2 :
Les articles 14, 15 et 16 du Traité de Port-Louis du 17 octobre 1993
relatif à l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique ne sont pas
contraires à la Constitution ;
Article 3 :
Aucune des autres dispositions du Traité ne lui est contraire.
Cour Constitutionnelle
………………
République Centrafricaine
Unité - Dignité - Travail
PRESIDENCE
………………
Décision N°/CC/98 du 09 juin 1998
Traité instituant une organisation intégrée de
l’Industrie des Assurances dans les Etats Africains.
Code CIMA
La Cour Constitutionnelle a été saisie le 21 août 1997 par le Président
de la Cour d’Appel de Bangui, conformément à l’article 44 alinéa 2 de
la loi n°95.006 du 15 août 1995 portant organisation et
fonctionnement de la Cour Constitutionnelle, de la question de savoir
si la loi n°95.004 du 2 juin 1995 autorisant la ratification du Traité
instituant l’organisation intégrée de l’industrie des Assurances dans
les Etats africains dénommée « Conférence Internationale des Marchés
d’Assurance », en abrégé « CIMA », signé par la République
Centrafricaine le 10 juillet 1992 à YAOUNDE, comporte des clauses
contraires à la Constitution.
LA COUR CONSTITUTIONNELLE
Vu la Constitution du 14 janvier 1995 ;
Vu la loi n°95.006 du 15 août 1995 portant organisation et
fonctionnement de la Cour Constitutionnelle, notamment la section
4 en ses articles 43 à 47 ;
Vu le Traité instituant une organisation intégrée de l’Industrie des
Assurances dans les Etats Africains signé à YAOUNDE le 10 juillet
1992 ;
CXXVI
Vu la loi n°95.004 du 2 juin 1995 autorisant la ratification du Traité
instituant une organisation intégrée de l’Industrie des Assurances
dans les Etats Africains ;
Le rapporteur ayant été entendu :
Considérant qu’à l’audience de la Cour d’Appel en date du 6 juin 1997,
le Conseil de NAMKOÏNA, refusant d’intervenir au fond dans l’accident
de circulation qui l’opposait à l’Assurance UCAR, a soulevé l’exception
d’inconstitutionnalité du Code CIMA au motif que l’application de ce
code en ses articles 259, 260 et 264 qui placent les personnes blessées
et les ayants-droits des personnes mortes à la suite d’un accident de
circulation dans leur position sociale (personnes salariées, non
salariées, actifs non salariés) pour leur attribuer des indemnités est
contraire à l’article 5 de la Constitution du 15 janvier 1995 qui dispose
que : « Tous les êtres humains sont égaux devant la loi sans distinction
de race, d’origine, de sexe, de religion, d’appartenance et de position
sociale ».
Considérant que par arrêt en date du 4 juillet 1997 la Cour d’Appel a
fait droit à sa demande et le 21 août 1997, le Président de ladite Cour,
conformément à l’article 44, alinéa 2 de la loi n°95.006 du 15 août
1995 portant organisation et fonctionnement de la Cour
Constitutionnelle, a saisi le Président de la Cour Constitutionnelle de
l’exception d’inconstitutionnalité soulevée par le Conseil de
NAMKOÏNA :
Considérant que notre système constitutionnel a prévu deux sortes de
contrôle de constitutionnalité des lois un contrôle a priori et un
contrôle a posteriori ;
Considérant que le contrôle a priori s’exerce avant la promulgation de
la loi ;
Que c’est le cas des lois organiques et des ordonnances prises en vertu
de l’article 27 de la Constitution, qui avant leur promulgation, sont
déférées à la Cour Constitutionnelle par le Président de la République
pour vérification de leur conformité à la Constitution (cf article 28 de la
loi n°95.006 du 15 août 1995 ci-dessus visée) ;
Que c’est également le cas des lois de ratification des engagements
internationaux qui peuvent être déférés à la Cour Constitutionnelle
avant l’autorisation de ratification, soit par le Président de la
République, soit par le président de l’Assemblée Nationale, soit par un
tiers des Députés (cf art.51 de la loi n°95.006) ;
Considérant quant au contrôle a posteriori, qu’il est prévu d’abord par
l’article 34 de la loi précitée qui permet au Président de la République,
au Président de l’Assemblée, au tiers des Députés, à tous intéressé de
saisir, par voie d’action, la Cour Constitutionnelle, et ensuite par
CXXVII
l’article 70 de la Constitution de la Constitution et l’article 43 de la loi
n°95.006 du 15 août 1995 qui permet à tout intéressé de saisir par
voie d’exception la Haute Cour ;
Considérant en effet que l’article 70 alinéa 3 de la Constitution dispose
que : « Toute personne qui s’estime lésée peut saisir la Cour
Constitutionnelle sur la Constitutionnalité des lois, soit directement
soit par la procédure d’exception d’inconstitutionnalité invoquée
devant une juridiction dans une affaire qui la concerne » ;
Considérant que par loi il faut entendre en principe la loi uniquement
votée par le Parlement ; qu’ainsi le Conseil Constitutionnel Français,
dans sa décision n°76-72 DC du 12 janvier 1977. Rec.p.31, a accepté
de se prononcer sur la Constitutionnalité d’une loi d’habilitation prise
sur le fondement de l’article 38 de la Constitution Française, retenant
simplement le fait qu’une telle loi ait été votée par le Parlement ;
Que dans la décision n°80.116 D.C. du 17 juillet 1980, Rec p.36, la
Haute Cour est allée plus loin en considérant que les deux actes
formaient juridiquement un tout et que le contrôle exercé sur la loi
d’autorisation devait également permettre le passage vers un contrôle
de l’engagement international ; que dès lors, dans l’hypothèse où un
tel engagement comporterait une clause contraire à la constitution,
ceci devrait nécessairement entraîner la déclaration de non-conformité
de la loi qui en a autorisé la ratification ou l’approbation ;
Considérant que c’est donc à bon droit que le Conseil de NAMKOÏNA a
saisi la Cour Constitutionnelle de l’exception d’inconstitutionnalité de
la loi n°95.004 du 2 juin 1995 autorisant la ratification du Traité
créant le Code CIMA ; qu’il déchet de déclarer la requête recevable en
la forme ;
Considérant que pour fixer les indemnités dues aux personnes
blessées au cours d’un accident de circulation et les indemnités dues
aux ayants-droit de personnes mortes suite à ce sinistre, le Code des
Assurances des Etats Membres de la CIMA dit Code CIMA, Annexe I du
Traité instituant une organisation intégrée de l’Industrie des
Assurances dans les Etats Africains, signé à YAOUNDE le 10 juillet
1992, ratifié par le Président de la République Centrafricaine en
application de la loi n°95.004 du 2 juin 1995 autorisant sa ratification,
dispose :
« Art. 259 Incapacité temporaire » :
La durée de l’incapacité est fixée par expertise médicale.
L’indemnité n’est due que si l’incapacité se prolonge au-delà de huit
jours.
En cas de perte de revenus, l’évaluation du préjudice est basée :
CXXVIII
-
pour les personnes salariées sur le revenu (salaires, avantages ou
primes de nature statutaire) perçu au cours des six mois
précédents l’accident ;
-
pour les personnes non salariées disposant de revenus, sur les
déclarations fiscales des deux dernières années précédentes
l’accident ;
pour les personnes majeures ne pouvant justifier de revenus, sur
le SMIG annuel ;
-
Dans les deux premiers cas, l’indemnité mensuelle est plafonnée à
trois fois le SMIG annuel. Le SMIG s’entend pour le pays sur le
territoire duquel s’est produit l’accident.
« Art. 260 Incapacité permanente » :
a) Préjudice physiologique …
b) Préjudice économique =
Ce préjudice n’est indemnisé que s’il est lié à l’attribution d’un taux
d’incapacité permanente d’au moins 50%.
L’indemnité est calculée :
- Pour les salaries, en fonction de la perte réelle et justifiée ;
- Pour les actifs non salariés, en fonction de la perte de revenus
établie et justifiée.
« Dans tous les cas, l’indemnité est plafonnée à sept fois le montant du
SMIG annuel du pays où s’est produit l’accident ».
« Art. 264 Frais funéraire » :
« Les frais funéraires sont remboursés sur présentation des pièces
justificatives et dans la limite du SMIG annuel ».
Considérant que ce sont ces articles qui sont querellés devant la Cour
Constitutionnelle comme non-conformes à l’article 5 de la Constitution
qui dispose que : « Tout les êtres humains sont égaux devant la loi
sans distinction de race, d’origine ethnique, de région, de sexe, de
religion, d’appartenance politique et de position sociale » ;
Considérant qu’il est de jurisprudence solidement établie que : « les
règles constitutionnelles de l’égalité et de la non-discrimination
n’excluent pas qu’une différence de traitement soit établie entre des
catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère
objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée ; que l’existence d’une
telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets
de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause ;
que le principe d’égalité est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de
rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et
le but » ;
CXXIX
Considérant qu’en l’espèce le législateur n’a pas cherché « la nécessité
de renforcer la protection des assurés, des bénéficiaires des contrats et
ces victimes de dommages » comme il le préconise dans le deuxième
considérant du Préambule du Traité créant le Code CIMA ;
Considérant qu’en tenant compte de la position sociale des victimes
des accidents de circulation et du SMIG pour le calcul des indemnités
dues à ces victimes, le Code CIMA a violé le principe d’égalité entre les
êtres humains et les principes fondamentaux de l’ordre public interne
Centrafricain qui sont l’équité, la juste réparation du préjudice subi et
l’appréciation souveraine des juges du fond en matière d’indemnisation
des préjudices ;
Considérant que les critères de position sociale et SMIG retenus pour
le calcul des dommages-intérêts ne sont pas raisonnables, objectifs,
pertinents ;
Considérant qu’en outre il n’existe aucun rapport de proportionnalité
entre les critères retenus et le but escompté qui est la juste réparation
du préjudice subi ;
Considérant en conséquence que la disposition des articles 259,260 et
264 opérant des distinctions entre personnes salariées, actifs nonsalariés, personnes majeures et retenant le SMIG comme mode de
calcul des indemnités doivent être déclarées non-conformes à la
Constitution comme violant le principe d’égalité.
DECIDE
Art. 1er :
L’exception d’inconstitutionnalité soulevée par Luc
NAMKOÎNA est recevable.
Art. 2 :
Les dispositions des articles 259, 260 et 264 du Code CIMA
ne sont pas conformes à la Constitution.
Art. 3 : La présente décision sera notifiée à Luc NAMKOÎNA, à la
l’Union Centrafricaine des Assurances et Réassurances
(UCAR), au Président de la République, au Président de
l’Assemblée Nationale et sera publiée au Journal Officiel de la
République Centrafricaine.
Délibéré par la Cour Constitutionnelle dans sa séance du 09
juin 1998 où siégeaient :
MM. : - Edouard FRANK, Président
- Prince SARAGA, Vice Président
- Marc PASSET, Conseiller
- Bertin PANDI, Conseiller
CXXX
- Gaston M’BAÏOKOUM, Conseiller
- Serge-Fidèle BEREAU
Assisté de Maître PESSERE-OUEKERE Jonas, Greffier en Chef de la
Cour Constitutionnelle.
Bangui, le 09 Juin 1998
Le Président de la Cour Constitutionnelle
COUR DE CASSATION
REPUBLIQUE
CENTRAFRICAINE
CXXXI
Unité - Dignité –
Travail
DELIBERATION
DE LA COUR DE CASSATION n° 001/2000
L’an deux mille
Et le dix neuf avril
La Cour de Cassation s’est réunie en Assemblée Générale à son siège
au Palais de Justice sous la Présidence du Président de la Cour de
Cassation.
Les membres désignés ci-après étaient présents :
Messieurs : - Gabriel-Faustin M’BODOU, Premier Président de la Cour
de Cassation,
- Marcel SEREKOISSE - SAMBA, Procureur Général, près la
Cour de Cassation,
- Jean KOSSANGUE, Président de la Chambre Criminelle,
José-Christian LONDOUMON, Président de la Chambre
Civile et Commerciale,
- Jacques Christophe GBOKOU, Président de la Chambre
Sociale,
Jean WILLYBIRO - SACKO, Premier Conseiller à la
Chambre Criminelle,
Alexis M’BAH, Deuxième Conseiller à la Chambre
Criminelle,
- Léon DINCPI, Premier Conseiller à la Chambre Sociale,
Avec l’assistance de Maître Joséphine-Hortense DEJEAN, Greffier en
Chef de la Cour de Cassation.
L’ordre du jour portait sur l’application du Code CIMA après la
décision de la Cour Constitutionnelle rendue le 09 juin 1998 suite à la
saisine par la Cour d’Appel de Bangui. La Cour de Cassation, saisie
par des recours postérieurs à cette décision était confrontée aux
problèmes que posait son application en ce qu’elle a statué sur la
constitutionnalité d’un traité déjà ratifié.
En effet, le code CIMA a été institué par le traité dit de Yaoundé du 10
juillet 1992 qui a mis en place une organisation de l’Industrie des
Assurances dans douze (12) pays africains. Ledit traité a été ratifié par
la République Centrafricaine en exécution de la loi 95.004 du 02 juin
1995.
I. GENESE DE L’AFFAIRE
CXXXII
Le 1er mars 1990, Antoine ZOUMARA, au volant d’une Peugeot 404 à
bord de laquelle avait pris place FEÏDANGAI, percutait l’arrière d’un
autre véhicule.
FEIDANGAI qui avait plusieurs traumatismes, était décédé des suites
de ses blessures. Sa famille, représentée par Luc NAMKOÏNA, tuteur
des deux enfants orphelins, avait assigné en paiement de dommages
intérêts Antoine ZOUMARA devant le Tribunal de Grande Instance de
Bangui qui, le 28 février 1995 l’a condamné à payer 15 millions de
francs de dommages- intérêts. Antoine ZOUMARA et UCAR son
assureur ont relevé appel de cette décision dont ils demandent
l’infirmation et offrent, en application des dispositions des articles 265
et 266 du Code CIMA, d’indemniser le préjudice économique et moral
subi par les enfants FEIDANGAI à 934.281 000 francs CFA.
A l’audience de la Chambre Civile de la Cour d’Appel de Bangui du 06
juin 1997, le Conseil de NAMKOÏNA, refusant d’intervenir au fond
dans l’affaire, a soulevé l’exception d’inconstitutionnalité du Code
CIMA au motif que l’application du Code, notamment en ses articles
259,260 et 264 qui placent les victimes à la suite d’un accident de
circulation dans leur position sociale (personne salariée, non salariée,
active non salariée) pour leur attribuer des indemnités est contraire à
l’article 5 de la Constitution du 14 janvier 1995 qui dispose : « Tous les
êtres humains sont égaux devant la loi, sans distinction de race,
d’origine, de sexe, de religion, d’appartenance et de position sociale ».
Par Arrêt en date du 04 juillet 1997, la Cour d’Appel a jugé recevable
cette exception et a saisi la Cour Constitutionnelle conformément à
l’article 44 alinéa 2 de la Loi 95.006 du 16 août 1995 portant
organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle.
Le 09 juin 1998, la Cour Constitutionnelle a accueilli l’exception
d’inconstitutionnalité soulevée et déclaré les articles 259, 260 et 264
du Code CIMA non conformes à la Constitution.
Cette décision de la Cour Constitutionnelle pose un réel problème
d’application en ce qu’elle a statué sur l’application d’un traité et a une
valeur supérieure aux lois internes ; et en ce que les décisions de la
Cour Constitutionnelle sont d’application immédiate.
La décision de la Cour Constitutionnelle du 09 juin 1998 portant non
pas sur la constitutionnalité d’une loi ordinaire ou organique peut-elle
s’imposer et faire obstacle à l’application d’un traité régulièrement
ratifié ?
II. SUR LA SUPERIORITE DES TRAITES INTERNATIONAUX
Alors que le caractère définitif et contraignant des décisions de la Cour
Constitutionnelle ne découle que de l’article 4 de la loi organique sur
CXXXIII
ladite Cour, le caractère impératif du Code CIMA tire sa force tant des
normes internes que des traités et conventions.
- La Constitution Centrafricaine (art.69) confère aux traités
régulièrement ratifiés ou approuvés dès leur publication, une
autorité supérieure à celle des lors internes.
- La loi 65.71 du 03 juin 1965 relative à la force obligatoire de lois,
des actes administratifs et des traités diplomatiques confère à
ceux-ci une force exécutoire dès l’accomplissement des formalités
prescrites par la Constitution.
- Le traité de Yaoundé du 10 juillet 1992 fait obligation aux
juridictions nationales d’appliquer les dispositions dudit traité
nonobstant toutes dispositions nationales contraires antérieures
ou postérieures.
- La Convention de Vienne sur les droits des traités (art.27)
interdit aux parties signataires d’invoquer des dispositions du
droit interne pour justifier la non exécution d’un traité.
Il s’ensuit que la décision de la Cour Constitutionnelle portant sur
l’inconstitutionnalité de certains articles (259, 260 et 264) du Code
CIMA ne saurait faire obstacle à l’application du Code CIMA annexé au
traité de Yaoundé du 09 juin 1992.
Cette solution est d’autant plus évidente qu’elle est corroborée par les
principes généraux du droit repris systématiquement dans les traités
qui fixent limitativement les conditions de remise en cause de
l’application d’un traité.
Par ailleurs, la supériorité du traité n’est pas de nature
constitutionnelle en ce qu’il ne figure pas sur la liste des normes dont
la conformité à la Constitution est exigée (Lois organiques et
ordinaires, règlements)
Enfin, lorsqu’un traité ou un accord comporte une clause contraire à
la Constitution, l’Etat qui entend le ratifier procède par voie de révision
aux corrections constitutionnelles nécessaires avant la ratification.
Signe de la supériorité du traité, c’est bien la Constitution qui s’adapte
au traité et non le contraire. Si c’est après ratification ou promulgation
que la contrariété est avérée, l’Etat dispose toujours de cette ressource
ou alors recourt à la solution extrême que constitue la dénonciation.
En l’espèce, la République Centrafricaine n’a pas encore, jusqu’à
preuve du contraire, usé de la faculté de dénonciation prévue à l’article
60 du Traité de Yaoundé.
CXXXIV
Ainsi l’exercice du contrôle de la constitutionnalité d’un traité n’est
concevable, aux termes de la législation Centrafricaine en vigueur
qu’avant la ratification. Dès lors, le pouvoir de contrôle de la Cour
Constitutionnelle a postériori devient sans objet, notamment en ce que
les dispositions même de l’acte de ratification interdisent implicitement
un tel contrôle, en soumettant toute loi nationale même contraire,
ancienne ou future aux exigences dudit traité.
L’autre enseignement essentiel qu’il convient de tirer de ce mécanisme
juridique est l’interprétation restrictive de la procédure de l’exception
d’inconstitutionnalité prévue devant les juridictions. Si la Cour d’Appel
de Bangui, au lieu de saisir de manière quasi mécanique la Cour
Constitutionnelle de l’exception d’inconstitutionnalité soulevée par le
Conseil de NAMKOÏNA, avait au contraire attentivement examiné le
bien fondé de cette exception ainsi que l’y autorise l’article 44 de la loi
95.006 du 15 août 1995 portant organisation et fonctionnement de la
Cour Constitutionnelle, elle se serait aperçue qu’un traité surtout déjà
ratifié ne rentre pas dans la catégorie des textes dont la conformité de
la Constitution est exigée et l’aurait rejetée.
CONCLUSION
Dans le cas d’espèce, malgré le conflit provoqué par la décision de la
Cour Constitutionnelle, la Cour de Cassation recommande aux
juridictions de l’ordre judiciaire :
1. de faire un juste usage de leur pouvoir d’appréciation des
exceptions d’inconstitutionnalité prévues à l’article 44 afin
d’éviter des saisines abusives de la Cour Constitutionnelle ;
2. de continuer à appliquer le Code CIMA dans toutes ses
dispositions, étant entendu que le traité ratifié est supérieur à
toutes les lois internes et qu’une disposition nationale ne
saurait en modifier le contenu, ni en restreindre les effets.
Ainsi délibéré les jours, mois et an que dessus, ont signé :
Le Premier Président
Général
Le Président de la Chambre
Chambre
Criminelle
Le
Procureur
Le Président de la
Civile et Commerciale
CXXXV
Le Président de la
Chambre Sociale
Le 1er Conseiller à la
la
Chambre Criminelle
Le 2ème Conseiller à
Chambre Criminelle
Le 1er Conseiller à la Chambre
Sociale
Le Greffier en Chef
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la Convention de Vienne sur le droit des traités
l’Acte uniforme relatif au Droit commercial général
l’Acte uniforme relatif au Droit des sociétés commerciales et du
groupement d’intérêt économique
l’Acte uniforme relatif aux Procédures simplifiées de
recouvrement et voies d’exécution
Décision
n°
002/2001/CM
relative
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common law – Which is better ?”, sur www.ohada.com, référence
Ohadata D-04-27
CXLII
D. Allocution
-
KEBA MBAYE, Allocution, in Synthèse des travaux du séminaire
sur l’harmonisation du droit des affaires dans les Etats africains
de la Zone Franc tenu à Abidjan du 19 au 20 avril 1993
E. Périodiques
-
Bulletin du Parlement européen, avril 1991
Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 4, Dalloz, 1998
F. Jurisprudence
-
-
-
-
Arrêt de la CCJA n° 002/2001 du 11 octobre 2001, aff. les Epoux
KARNIB c/ SGBC, RJCCJA n° spécial, janvier 2003
Arrêt de la CCJA n° 012/2003 du 19 juin 2003, aff. SEHIC
HOLLYWOOD SA c/ SGBC, RJCCJA, n° 1, janvier – juin 2003
Arrêt de la CCJA n° 013/2003 du 19 juin 2003, aff. SOCOM
SARL c/ SGBC, RJCCJA, n° 1, janvier – juin 2003
Arrêt de la CCJA n° 014/2003, aff. SOCOM SARL c/ SGBC et
BEAC, RJCCJA, n° 1, janvier – juin 2003
Arrêt de la CCJA n° 008/2004 du 26 février 2004, aff. Sté
Banque Commerciale du Niger c/ Hamadi Ben Damn, RJCCJA,
n° 3, janvier – juin 2004
Arrêt de la CCJA n° 012/2004 du 18 mars 2004, aff. Sté Banque
Commerciale du Niger c/ Hamadi Ben Damn, RJCCJA, n° 3
Arrêt de la Cour constitutionnelle du Niger n° 2002-14/CC du
4 septembre 2002, Requête Ousmane Garba et Tanimoune
Abdou
Décision
de
la
Cour
constitutionnelle
centrafricaine
n° 003/CC/98 du 9 juin 1998, Note de N'DJAPOU (J.), Penant,
Janvier – Avril 1999, n° 829
Avis de la CCJA n° 001/99/JN du 7 juillet 1999, RJCCJA, n°
spécial, janvier 2003
CXLIII
TABLE DES MATIERES
Avant-propos ………………………………………………………………. II
Abréviations et sigles …………………………………………………….. III
Introduction ………………………………………………………………. 1
1. Problématique ………………………………………………….. 1
2. Objet de l’étude …………………………………………………. 8
3. Intérêt du sujet ………………………………………………….. 9
4. Méthode de travail ……………………………………………….. 10
5. Plan de l’étude …………………………………………………… 11
Première partie : Le contenu de la contrariété ………………….. 13
Titre premier : Le recensement des contrariétés …………….. 16
Chapitre I : La contrariété conceptuelle …………………….. 17
Section 1 : La divergence conceptuelle ……………………… 17
§ 1. Les composants de la divergence …………………….. 19
CXLIV
a) Actes uniformes et Droit des Etats ………………………. 20
b) Actes uniformes et Droits fondamentaux des citoyens 23
§ 2. La présomption de constitutionnalité des Actes uniformes
………………………………………………… 24
a) La compétence exclusive du Conseil des ministres …. 25
b) L’exclusion des législateurs nationaux …………………. 26
Section 2 : La coexistence du droit uniforme et du droit national
……………………………………………. 27
§ 1. La difficulté de qualification de la législation applicable
dans les matières harmonisées ……………………….. 28
§ 2. La difficulté de détermination de la compétence sur le
droit national non contraire au droit uniforme ….. 29
Chapitre II : La contrariété matérielle ………………………….. 31
Section 1 : Le droit de la défense fondé sur la nullité d’un acte
…………………………………………………………… 32
§ 1. Le régime des nullités de l’AUPSRVE ………………… 33
§ 2. Le sort du droit de la défense fondé sur la nullité d’un
acte ………………………………………………………….. 35
a) L’inconstitutionnalité du nouveau régime des nullités 36
b) Le recours au droit commun des nullités …………….. 37
Section 2 : Le droit des défenses à l’exécution provisoire ... 37
§ 1. Le champ d’application des défenses à exécuter dans
l’AUPSRVE ………………………………………………… 38
§ 2. La portée de l’article 32 de l’AUPSRVE ……………… 41
Titre deuxième : La constitutionnalité des Actes uniformes …. 43
Chapitre I : Réception des Actes uniformes en droit interne
44
Section 1 : Introduction des Actes uniformes par le Traité
OHADA ………………………………………………. 45
§ 1. Conditions d’élaboration des Actes uniformes …….. 46
§ 2. Mise en œuvre de l’introduction des Actes uniformes 47
Section
§
1.
2:
Réception des Actes uniformes en droit
constitutionnel ………………………………… 49
La reconnaissance des Actes uniformes par la
constitution …………………………………………….. 50
CXLV
§ 2. Le fondement constitutionnel des Actes uniformes………..
51
Chapitre II : Contrôle de constitutionnalité des Actes uniformes
……………………………………………………………..54
Section 1 : Analyse des mécanismes constitutionnels de contrôle
…………………………………………….. 54
§ 1. Le contrôle de la compatibilité des Actes uniformes avec
les constitutions nationales ……………………………. 55
§ 2. L’inconstitutionnalité de la loi de ratification ou
d’approbation ……………………………………………. 57
Section 2 : Le juge de la contrariété ………………………….. 58
§ 1. La compétence de la CCJA ……………………………… 59
a) Le contrôle préventif de la contrariété …………………… 60
b) Le contrôle juridictionnel de la contrariété ……………. 60
§ 2. La CCJA en droit constitutionnel ……………………. 63
a) Relation entre la CCJA et les cours constitutionnelles…….
63
b) Relation entre la CCJA et les juridictions nationales
inférieures ………………………………………………………. 64
Deuxième partie : La solution de la contrariété ……………………. 70
Titre premier : L’originalité du Traité OHADA ……………………. 73
Chapitre I : L’incompatibilité de la position classique ………. 74
Section 1 : Principes du droit international classique …….. 75
§ 1. La hiérarchie des normes ………………………………… 75
§ 2. Le principe de la réciprocité ……………………………. 77
Section 2 : La nature hybride des Actes uniformes …………… 79
§ 1. Lois internationales ………………………………………. 80
§2. Lois nationales ……………………………………………… 80
Chapitre II : La spécificité du modèle OHADA …………………. 84
Section 1 : La modification des Actes uniformes ………….. 84
§ 1. L’approbation du programme de modification ……… 85
§ 2. L’adoption des amendements ………………………….. 87
Section 2 : L’engagement des Etats Parties …………………. 88
CXLVI
§ 1. La mission des Commissions nationales ……………. 89
§ 2. La responsabilité des Ministres ………………………… 90
Titre deuxième : Les aménagements du Traité OHADA et des Actes
uniformes en vue de la prévention de la contrariété
…………………………………………… 93
Chapitre I : De la consolidation de l’uniformisation des règles de
droit ……………………………………………………… 95
Section 1 : Le système juridique OHADA ………………….. 98
§ 1. Le corps des règles ……………………………………… 98
§ 2. Le corps des juges ………………………………………. 99
§ 3. La mise en œuvre de la volonté intégratrice ……….. 99
Section 2 : Le fondement de la mise en conformité ………. 102
Section
3:
L’amoindrissement de la volonté exprimée
d’harmoniser les législations nationales des
affaires …………………………………………… 104
§ 1. La dérive de la dérogation non définie des Actes
uniformes à l’effet abrogatoire de l’article 10 du Traité
………………………………………………………………105
§ 2. La non prise en charge par les Actes uniformes des
dispositions du droit interne non contraires au droit
uniforme ………………………………………………….. 106
Chapitre II : La concrétisation de la vocation africaine du Traité
OHADA ……………………………………………….. 109
Section
1:
Les dispositions incompatibles avec la visée
continentale de l’Organisation ……………… 110
§ 1. Dans le préambule du Traité ………………………….. 110
§ 2. Dans le corps du Traité …………………………………. 111
Section 2 : La gestion des particularismes juridiques des Etats
adhérents …………………………………. 113
Conclusion …………………………………………………………………. 117
Annexes ……………………………………………………………………. 122
Bibliographie ……………………………………………………………… 136
Table des matières ………………………………………………………. 144
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