De la fonction personnel traditionnelle à la fonction ressources humaines :
une étude empirique auprès des PME béninoises.
Célestin K. GODONOU
Université d’Abomey- Calavi
Bénin
Résumé
Cette communication présente les résultats d’une recherche actuellement menée auprès des
organisations béninoises. Son objectif est d’analyser les pratiques de GRH depuis la fonction
personnel traditionnelle à la fonction ressources humaines dans vingt-deux PME béninoises.
Nous nous sommes inspiré du modèle d’analyse de Guérin et Wils (1992, 1993, 2002) selon
lequel, les pratiques de GRH ont évolué de modèle traditionnel, opérationnel, au modèle
renouvelé caractérisé surtout par l’aspect stratégique des activités RH.
La méthodologie utilisée est une approche qualitative basée sur des entretiens individuels
semi dirigés et en profondeur, menés avec les responsables des ressources humaines des
différentes PME concernées. L’échantillon sélectionné est composé de sept PME du secteur
de l’industrie, dix du secteur de commerce et cinq du secteur de service. Trente-deux
entretiens ont été menés et analysés en plus des documents internes se rapportant à la GRH
récupérés au niveau de chacune des organisations concernées. Les pratiques de GRH ayant
essentiellement fait l’objet de notre étude sont le recrutement et la sélection, la formation et le
perfectionnement, l’évaluation des performances, la gestion des carrières, la planification
(stratégique), l’implantation et l’évaluation des stratégies RH.
De l’analyse des résultats, il ressort que le modèle traditionnel domine encore de nos jours les
pratiques de GRH dans les PME béninoises concernées par la présente étude, et que l’aspect
stratégique y est quasiment absent.
Mots clés : Fonction personnel traditionnelle, fonction ressources humaines, modèle
traditionnel, modèle renouvelé, gestion stratégique des ressources humaines, pratiques GRH,
PME béninoises.
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Introduction et problématique
Depuis plusieurs années déjà, économistes, praticiens et théoriciens en gestion s’intéressent
de plus en plus à la dimension humaine au sein de l’organisation. Les données historiques
actuelles prouvent que c’est à partir de la Révolution industrielle, aux 18e et 19e siècles que la
conduite des affaires et l’organisation du travail ont connu un changement radical. Au fil du
temps et progressivement, les tâches d’organisation, de discipline et de surveillance vont être
déléguées à d’autres personnes dénommées contremaître, régisseur ou chef de personnel.
Aujourd’hui, nous pouvons affirmer que la fonction des personnes chargées de mener des
activités ou de prendre soin des tâches coordonnées de plusieurs autres personnes a subi de
profondes transformations avec le temps. En effet, la gestion des ressources humaines est
perçue par plusieurs auteurs sous différents angles bien qu’ils soient également unanimes sur
plusieurs points. Certains auteurs préfèrent les expressions: «gestion du personnel» (Monie,
1986) ou «fonction personnel» (Rayer, 1991; Guérin et Wils, 1992). Pour d’autres, la fonction
personnel a évolué pour devenir la «gestion des ressources humaines» (Pichault et Nizet,
2000). «Il serait donc irréaliste de vouloir prétendre que cette gestion n’a pas évolué depuis le
début du siècle dernier (Guérin et Wils, 1992)». Ainsi, «les ressources humaines sont
désormais considérées comme la ressource principale, celle qui valorise toutes les autres»
(Jalbert, 1989).
En effet, initialement cantonnée à des tâches administratives dites de gestion du personnel, la
GRH a progressivement évolué vers des activités de plus en plus enrichies, diversifiées et
stratégiques (Besseyre des Horts, 1988; Ulrich, 1996, 1997; Beer, 1997; Kochan, 1997;
Peretti, 1999). Il ne s’agit plus seulement de changements de nature économique et
technologique, mais aussi de changements de nature sociale. Ainsi, l’accent est surtout mis
sur l’instruction, l’organisation du travail, la formation, les qualifications professionnelles et
le recyclage des individus afin qu’ils répondent adéquatement aux exigences de la nouvelle
gestion des ressources humaines dont les activités sont davantage reliées aux perspectives
nouvelles de la planification stratégique de l’organisation. En d’autres termes, ces activités
spécifiques, au lieu d’être reléguées au statut d’activités ponctuelles, isolées et sans horizon
de planification, sont dorénavant conçues comme des prolongements des pratiques
conséquentes en regard des buts organisationnels poursuivis. Guérin et Wils (1992, 1993,
2002) parlent plutôt de la mutation d’un paradigme traditionnel à un paradigme renouvelé où
la GRH devient plus stratégique, plus culturelle, plus participative, plus individualisée, plus
anthropocentrique, plus évaluative et plus informatisée. A l’instar de Guérin et Wils (1993),
plusieurs auteurs tels que Meignant (2000), Carrière et Barrette (2005) sont unanimes sur le
passage de la GRH de caractère administratif, opérationnel, vers un caractère stratégique.
Comme on le constate, comparée à la fonction personnel traditionnelle, la nouvelle fonction
RH est investie d’un pouvoir accru au sein des organisations et ce, grâce aux pressions
économiques survenues dans l’environnement. Les tendances qui se dégagent montrent entre
autres, une préoccupation plus accrue des gestionnaires des ressources humaines pour la
stratégie organisationnelle, la planification (stratégique), l’implantation (stratégique), la
résolution des problèmes des employés, l’évaluation de l’efficacité, etc. (Guérin et Wils,
1992, 1993). Après avoir défini ces tendances qui caractérisent l’évolution de la GRH, Guérin
et Wils (2002: 14) se sont davantage intéressé à l’aspect stratégique des ressources humaines,
réaffirmant ainsi «la nécessité dans les organisations, d’avoir une vision globale de la GRH et
de l’intégrer aux principaux enjeux organisationnels»
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L’objectif du présent article est de contribuer à ce débat sur l’évolution de la GRH dans le
contexte béninois qui demeure encore très peu étudié. En effet, la quasi inexistence d’étude se
rapportant à la GRH dans ce contexte porte à croire que la plupart des PME béninoises sont
encore à la phase de la gestion traditionnelle des ressources humaines, malgré la création des
directions et services des RH au sein de ces organisations.
Ce travail de recherche présente un double intérêt: d’abord, il permet de se rendre compte de
la manière dont le personnel est géré au niveau de ces organisations, les profils et les
compétences de ceux qui en sont les responsables. Ensuite, elle peut ouvrir la voie à des
comparaisons internationales sur les pratiques de la GRH entre les pays du Sud et ceux du
Nord.
L’étude de la gestion traditionnelle vers la gestion stratégique des ressources humaines a été
particulièrement l’œuvre de Guérin et Wils (1992, 1993, 2002). Ces auteurs présentent la
gestion stratégique des ressources humaines sous forme d’un système composé de trois
parties: la planification ou l’élaboration des stratégies dans le but de permettre à
l’organisation de relever les défis RH; l’implantation qui assure la mise en pratique des
stratégies RH sous forme de plan d’action; et enfin, l’évaluation qui traduit l’apport de la
GRH à l’organisation (Guérin et Wils, 1993: 23). Nous empruntons à Guérin et Wils cette
perspective pour vérifier l’existence de ces trois composantes, afin d’affirmer le caractère
stratégique de la gestion des ressources humaines dans les PME béninoises considérées.
Ainsi, nous allons passer en revue les travaux se rapportant à l’évolution de la fonction
personnel traditionnelle, préciserons la démarche méthodologique adoptée, puis, présenterons
les résultats et la discussion de l’étude empirique réalisée auprès d’une population de PME
retenues.
1. Revue de la littérature
L’analyse de l’évolution de la fonction personnel, traditionnelle a permis de constater que
cette fonction a évolué d’une gestion traditionnelle, administrative, opérationnelle, à une
gestion stratégique des ressources humaines (Guérin et Wils, 1992, 1993; Ulrich, 1997).
Plusieurs auteurs reconnaissent l’important rôle que joue l’employé en tant qu’acteur
principal de cette évolution, et placé au centre des préoccupations organisationnelles (Beer,
1997; Ulrich, 1997; Kochan, 1997; Besseyre des Horts, 1988; Peretti, 1999). Les travaux de
Bolwijne et Kumpe, 1996 se situent dans le sillage de cette évolution. Ulrich (1997),
s’inscrivant dans ce même courant, regroupe les activités de la fonction RH autour de la
notion de valeur ajoutée et distingue quatre rôles à la GRH, à savoir la gestion stratégique des
RH, la gestion du changement, la gestion des processus en ressources humaines et la gestion
mobilisatrice des personnes.
Nous allons successivement développer la fonction personnel traditionnelle, puis les
nouvelles approches de la gestion des ressources humaines dans le cadre de cette évolution.
1.1 La fonction personnel traditionnelle
La fonction personnel désigne traditionnellement, l’ensemble des moyens mis en oeuvre par
l’entreprise pour traiter et maîtriser les problèmes humains et sociaux à différents niveaux de
responsabilité (Bosquet, 1982). Certains auteurs parlent plutôt de la fonction administrative
(Haurant, 1984). Son importance dans une organisation n’est pas à démontrer du fait de
l’existence des employés. Les résultats recherches dans cette approche sont, suivant les cas, la
productivité et la satisfaction au travail (Bélanger et al., 1983), ou la productivité, la qualité de
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vie au travail et le respect des lois (Dolan et al., 1988) ou encore la motivation, la
performance, la satisfaction et la croissance (Ladouceur, 1983). Le moins que l’on puisse dire
des finalités de la fonction personnel est qu’elles oscillent entre le social et l’économique. La
satisfaction est relative aux individus, alors que la productivité est un concept beaucoup plus
relatif à l’organisation. En effet, la productivité, l’un des plus importants objectifs de
l’entreprise, est encore aujourd’hui au coeur des préoccupations des dirigeants des
organisations. Elle repose principalement sur l’efficacité et l’efficience dans l’emploi des
ressources dont dispose l’organisation, en premier lieu, les ressources humaines. Les mesures
souvent mises de l’avant dans la perspective traditionnelle d’amélioration de la productivité
(division du travail, simplification, routine, rémunération au rendement, etc.) conduisent
rarement à l’amélioration de la satisfaction au travail et des objectifs à caractère humaniste
qu’est censée poursuivre la fonction personnel aux prises avec ces deux rôles. Face à ce
dilemme, la fonction personnel traditionnelle suit souvent une voie moyenne qui ne satisfait ni
les uns ni les autres (Miller, 1959; Andrews, 1985). Il apparaît clairement que les difficultés à
relier les finalités de la fonction personnel traditionnelle (productivité et satisfaction par
exemple) aux finalités organisationnelles (croissance ou profit par exemple), sont un autre
handicap qui s’ajoute à l’ambiguïté de son rôle (Legge, 1978; Tyson et Fell, 1986; Mackay et
Torrington, 1986; Tyson, 1987). La productivité et la satisfaction ne sont que des moyens
pour atteindre les fins ou les objectifs organisationnels que sont la croissance ou le profit par
exemple (Guérin et Wils, 1992). D’après ces mêmes auteurs, la manière dont ces objectifs-
moyens contribuent aux objectifs-fins n’est pas toujours claire ni constante, et les objectifs
organisationnels sont variables eux-mêmes d’un contexte à l’autre, de même que les
coalitions qui détiennent le pouvoir dans l’organisation. Dans ces circonstances, comment la
fonction personnel traditionnelle, censée contribuer à l’atteinte des objectifs organisationnels,
pourrait-elle avoir encore d’autres objectifs à atteindre? C’est ce que tentent d’élucider
successivement l’approche management classique et celle des relations humaines.
Dans le management classique inspiré des travaux de Taylor, deux principes guident la
gestion: le principe de la séparation entre ceux qui conçoivent le travail et ceux qui
l’exécutent; et celui de l’organisation scientifique du travail où ce dernier est décomposé en
des tâches très simples et faciles à exécuter avec efficience. Dans ces conditions, pour
atteindre ses objectifs, la direction du personnel doit veiller scrupuleusement à l’application
de la division verticale et horizontale du travail, et au contrôle strict des activités exercées par
les travailleurs. Par exemple l’objectif de la productivité ne peut être atteint que «si l’on
sélectionne l’individu le mieux qualifié pour effectuer le travail prévu, qu’on lui apprenne à
poser les gestes nécessaires de la manière la plus efficace, et que l’on surveille son travail
pour s’assurer qu’il utilise les méthodes appropriées et que les résultats souhaités soient bien
atteints» (Morgan, 1989). Dans ce cadre, la fonction personnel doit donc rechercher
l’harmonie entre les aspects techniques et les aspects humains afin que l’individu puisse se
sentir concerné par les besoins de l’organisation.
La philosophie qui sous-tend cette gestion du personnel s’articule autour de la conception du
travailleur que se font les gestionnaires, et dans la perception de leur propre rôle de dirigeants.
Ainsi, pour ce qui est de l’employé, il est avant tout perçu comme un subordonné (Beer et al.,
1984) qui n’a pas tellement envie de se réaliser dans son travail ou de prendre des initiatives.
Considéré comme un facteur de production, mais sans doute jamais tout à fait comme un
autre, interchangeable et de niveau de qualification généralement peu élevé, il suffit d’être
juste envers lui, notamment en matière de rémunération et d’évaluation du rendement pour
s’assurer de sa loyauté, de sa fidélité. La faiblesse des qualifications de l’employé et le
maintien de sa motivation à un niveau acceptable doivent être compensés par les gestionnaires
à travers une division du travail en des tâches simples et faciles à exécuter, avec un contrôle
plus rigide mais équitable de leur part; car la créativité et l’esprit d’initiative émanent
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uniquement de ces derniers, organisés selon une hiérarchie rigide, et leur autorité est fonction
du mandat confié à eux par les propriétaires des organisations, sources légitimes du pouvoir
qu’ils incarnent (Walton, 1985).
Le modèle des relations humaines apparaît comme une réponse pour pallier les effets négatifs
du management classique tout en préservant ses effets positifs. Désormais les ressources
humaines ne doivent plus être considérées comme un coût à minimiser, car il doit s’y ajouter
leur satisfaction, et elles doivent se sentir aimées et valorisées pour écarter leur résistance à
l’autorité, afin de développer leur coopération. Donc la fonction personnel doit apprendre aux
gestionnaires à traiter les travailleurs comme des êtres humains, et non comme des machines,
à construire avec eux des groupes de travail solides et homogènes, soucieux d’apporter des
solutions aux problèmes organisationnels. Aussi, cette fonction doit pouvoir mettre sur pied
des programmes de communication et de participation, dans le but de faire comprendre aux
employés l’importance de leur rôle et la nécessité de leur action. Comme le souligne Miles
(1965), cette participation ne doit pas être vue comme une implication dans la prise de
décision et le contrôle du travail, mais comme un moyen d’améliorer leur satisfaction, afin de
leur faire mieux accepter l’autorité formelle. Dans ce modèle, la conception de l’homme au
travail est beaucoup plus centrée sur l’aspect affectif et psychologique.
Comme on le voit, la gestion traditionnelle du personnel est fortement influencée par ces deux
modèles qui, d’ailleurs concourent au renforcement de l’autorité des gestionnaires et
encouragent la supervision des subordonnés par le supérieur hiérarchique.
Cette analyse de la fonction personnel nous a permis de constater que dans le passé, la
fonction ressources humaines traditionnellement appelée fonction «personnel» a été
confrontée à des défis qui l’ont poussée à se renouveler ( Harvey, 1986; Storey, 1989; Guérin
et Wils, 1992a; Leclerc et al., 1993; Zaoré et al.,1994). Ces défis, centrés sur la compétence,
la motivation, la satisfaction, la flexibilité et la mobilisation des ressources humaines, ont été
abondamment décrits dans la littérature spécialisée (Cannac et la Cegos, 1985; Lynch, 1989).
1.2 Les nouvelles approches de gestion des ressources humaines
Modélisée dès le milieu des années 80 (Walton et Lawrence, 1985; Beer et Spector, 1985), la
nouvelle gestion des ressources humaines est rarement perçue dans son intégrité. En effet, là
où la fonction personnel traditionnelle proposait avec une certaine ambiguïté, la productivité
et la satisfaction comme finalités universelles de la gestion du personnel, les nouvelles
approches se sont étendues pour s’aligner sur les objectifs organisationnels. La nouvelle GRH
s’emploie à rechercher simultanément l’adaptation externe («faire les bonnes choses») et la
performance interne (le «faire bien» ou «avoir un bon rendement») (Guérin et Wils, 1992). Le
rôle de la fonction ressources humaines comme celui de toutes les autres fonctions de
l’organisation est de contribuer à l’amélioration de l’efficacité, c’est-à-dire l’adaptation à
l’environnement externe, et de l’efficience, ou l’atteinte des objectifs au moindre coût. Dans
le but de contribuer à la réalisation de ces objectifs, la nouvelle fonction RH doit non
seulement veiller à ce que les objectifs économiques présentent la meilleure synergie possible
avec les ressources humaines disponibles, mais également, encourager et favoriser leur
intégration au contexte organisationnel. Dans ce cadre, l’implication des employés est l’une
des clefs du succès organisationnel. Il faut à tout prix, recourir à leur adhésion, en précisant
entre autres les règles du jeu, les principes auxquels les gestionnaires sont attachés et la
manière dont ils entendent les gérer. Ainsi, l’organisation redécouvre le pouvoir de l’idéologie
et de l’éthique dans l’utilisation de ses ressources productives (Horwitz, 1990; Racine, 1991;
Doucet, 1991). Subordonné qu’il était dans le modèle traditionnel, l’employé appartient
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