Memoire Online - Ménages Gécamines, précarité et économie populaire... http://www.memoireonline.com/11/07/709/menages-gecamines-precari...
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missionnaires et des administrateurs. Dans cette abondante littérature, les conditions de vie et de travail des "indigènes" dans le contexte colonial et post-colonial y sont
largement analysées. Peu d'écrits cependant relisent les processus actuels de fragmentation sociale des villes minières katangaises dans le contexte de l'effondrement de la
Gécamines et de mutations socioéconomiques de son environnement qui s'en découlent. Les analyses des résultats d'enquêtes sur les budgets ménagers a Lubumbashi et a
Kolwezi menées par J. Houyoux et ses collaborateurs10 et une enquête socio-économique menée a Lubumbashi en 2000 par l'Observatoire du Changement Urbain11 méritent
d'être citées. A Lubumbashi comme a Kolwezi, l'équipe de Houyoux a analysé les possibilités financières ainsi que les dépenses des ménages de ces deux villes et a établi le
niveau de vie de ces populations. En comparant ces résultats avec ceux des enquêtes similaires menées quelques années avant a Kinshasa et a Kisangani, l'équipe de Houyoux
en dégagea des conclusions favorables pour le niveau de vie des ménages du Katanga en ce début des années 1970.
De facon empirique et particulièrement vivante, l'enquête de l'O.C.U présente les tendances générales de l'informalisation de la vie quotidienne a Lubumbashi seulement vers
les années 1980 pour des raisons évoquées dans l'ouvrage dont référence en note. L'étude montre aussi l'émergence d'un nouveau "modèle de role social". Le travail salarié qui
était tout l'espoir et la raison de vivre des travailleurs a Lubumbashi s'est substitué a la culture de la "débrouillardise", de la survie. Dans cette pratique qui est devenue une
réalité multiforme a Lubumbashi, l'étude révèle le role crucial des revenus des femmes pour la survie du ménage. Il s'en dégage un certain renversement des rapports de genre
a l'intérieur des ménages.
10 Joseph HOUYOUX et Yann LECOANET, LUBUMBASHI. Démographie, budgets ménagers et étude du site, Bureau d'Etudes d'aménagements Urbains, Kinshasa, 1975
et Joseph HOUYOUX et Louis LOHLETART, KOLWEZI. La vi lle, sa population et les budgets ménagers, Bureau d'Etudes d'aménagements Urbains, Kinshasa, 1975.
11 Pierre PETIT (éd.), Ménages de Lubumbashi entreprécarité et recomposition, Coll. Mémoires lieux de savoir - Archive congolaise, Paris, L'Harmattan, 2003.
Nous accordons un intérét particulier aux lectures faites par D. Dibwe12 sur l'histoire sociale des travailleurs de l'U.M.H.K./Gécamines et sur la relation entre la politique
sociale et l'attitude de l'U.M.H.K./Gécamines a l'égard des familles des travailleurs. Faisant recours aux témoignages oraux des travailleurs, D. Dibwe montre dans son
ouvrage comment les travailleurs africains, défiant le paternalisme pratiqué par l'employeur, se sont organisés de l'intérieur pour l'amélioration de leurs conditions de vie en
usant des stratégies de survie et des réseaux sociaux. Il a essayé de reconstituer l'histoire sociale des travailleurs de la Gécamines par le bas, telle que vécue par les
travailleurs eux-mémes et non pas telle que percue par l'employeur. Il a eu le mérite d'insérer l'histoire sociale des travailleurs de la Gécamines dans une histoire beaucoup
plus vaste, susceptible d'aider a la compréhension de la structuration de la société katangaise.
Nous tenons a mentionner dans ce méme élan les réflexions produites par certains chercheurs a travers les cahiers africains notamment sur la désalarisation massive de
l'activité économique liée a la valeur dérisoire et a l'irrégularité des rémunérations, a la généralisation du processus d'informalisation, et a la dynamique des réseaux et de
régulations dans les villes du Congo/ZaIre13. Tout comme les essais sur les itinéraires croisés de la modernité qui émaillent l'expérience du cadre de vie a Elisabethville
modelé par différents paramètres telle que présentée par N. Esgain14.
Par rapport a ces différentes études, notre préoccupation dans le cadre de ce mémoire est de montrer que contrairement a la vision de développement par la modernisation, le
salariat industriel introduit par le capitalisme qui apparaIt dès la colonisation dans l'industrie minière au Katanga n'a pas réussi a désencastrer l'économie de la sphère sociale.
De méme, les stratégies paternalistes mises en place par le système afin d'améliorer les conditions socio-économiques des travailleurs dans le but d'obtenir d'eux un meilleur
rendement n'ont pas pu empécher ces ménages de s'adonner a des pratiques d'économie populaire comme activités économiques d'appoint. Il demeure certes indéniable que le
capitalisme a permis, a travers l'accumulation a la Gécamines, des transformations et des mutations socio-économiques de la société katangaise traduites par l'urbanisation,
l'industrialisation, le progrès du salariat, la croissance économique et des progrès sociaux. Néanmoins, cette expansion économique du secteur minier, exprimée en terme de
12 Donatien DIBWE dia MWEMBU, Histoire des conditions de vie des travailleurs de l 'Union Minière du Haut Katanga/Gécamines (1910-1999), 2ème éd., Presses
Universitaires de Lubumbashi, Lubumbashi, 2001 et Bana Shaba abandonnés par leurpère: Structures de l 'autorité et histoire sociale de la Famille ouvrière au Katanga
1910-199 7, Coll. Mémoires lieux de savoir - Archive congolaise, L'Harmattan, Paris, L'Harmattan, 2001.
13 G. De VILLERS, B. JEWSIEWICKI et L. MONNIER (Sous la direction de), Manières de vivre. Economie de la << débrouille >> dans les villes du Congo/ZaIre, Cahiers
Africains, n° 49-50 (série 2001), Institut africain-CEDAF/L'Harmattan, Tervuren/Paris, 2002, pp. 33-63.
14 Jean-Luc VELLUT (Sous la direction de), Itinéraires croisés de la modernité. Congo-belge (1920- 1950), Cahiers Africains, n° 43-44 (série 2000), Institut
africain-CEDAF/L'Harmattan, Tervuren/Paris, 2001, pp. 57-70.
croissance économique, ne s'est pas accompagnée d'une élévation durable du niveau de bien-être par tête de la société katangaise et, plus particulièrement, des ménages
Gécamines qui dépendent directement de l'exploitation de ces ressources minières. La précarisation de leurs conditions de vie qui s'en découle rend encore plus visibles leurs
pratiques populaires, dans une logique des stratégies de survie et de sécurisation de leur avenir.
Nous mettons en évidence, dans notre mode de démonstration, le processus d'accumulation caractéristique du capitalisme qui engendre, suite aux contradictions du système
et a la défection de la régulation, une précarisation des conditions de vie et d'emploi de la masse ouvrière assujettie a cette exploitation. C'est ainsi que dans un premier
chapitre, nous faisons une approche théorique pour une analyse des processus de développement en longue période. Au deuxième chapitre, nous abordons depuis la période
coloniale jusqu'en 1989, l'analyse de l'évolution du capitalisme industriel et de la dynamique sociale au Katanga. Dans le troisième chapitre, nous jetons un regard critique a
travers la lecture des stratégies des acteurs, sur la relation problématique entre accumulation a la Gécamines et amélioration des conditions de bien-être des populations
katangaises. Au quatrième chapitre, en2in, nous montrons comment face a la crise d'accumulation a la Gécamines, les pratiques de l'économie populaire ont refait surface
dans les cités Gécamines, jadis protégées par la rente minière et par la régulation sociale.
L'analyse de ces processus de développement au Katanga se fera a travers la grille de lecture que nous élaborons a partir des ré2lexions de F. Braudel, d'I. Wallerstein et de K.
Polanyi que nous complétons avec les analyses faites par J.-Ph. Peemans sur les dynamiques de changement social par rapport a la crise de modernisation-rattrapage. Cette
grille permet d'analyser les articulations entre contraintes et pesanteur conditionnant les structurations des processus d'accumulation a la Gécamines a travers des médiations
qui se sont opérées entre les sous-systèmes politique, économique, social et culturel du système sociétal du Katanga.
Nous adoptons pour l'analyse de cet ensemble sociétal, une approche historicosystémique des processus. Cette dernière nous permet d'élaborer un cadre plus ouvert des
interactions entre ces sous-systèmes de la société. Les processus de développement y sont appréhendés comme une dynamique complexe et structurante d'articulations entre
tous les soussystèmes qui participent a la construction de la personnalité historique de la société katangaise. Pour saisir les enjeux d'une telle société en évolution, ce n'est que
dans la longue période que l'on peut déceler les changements dans les rapports des acteurs avec leur environnement. C'est dans ces termes que nous nous proposons de faire
l'analyse du processus de développement du Katanga en longue période.
CHAPITRE 1: APPROCHE THEORIQUE ET GRILLE D'ANALYSE DES PROCESSUS DE DEVELOPPEMENT
Introduction
Ce premier chapitre se préoccupe de faire une approche théorique devant nous permettre de structurer une grille de lecture ouverte des processus de développement entrepris
au Congo a travers l'industrialisation minière de la province du Katanga. Plutôt qu'une lecture de développement en termes des problèmes de modernisation, de retard, de
recentrage de toute la réalité sociale autour du marché, nous analysons le développement en termes de processus, en intégrant le temps long de l'histoire de l'exploitation
minière au Katanga pour comprendre les problèmes contemporains. Cela se justifie par le fait que l'histoire, en effet, est au c>ur de la construction théorique du
développement. La lecture de l'histoire longue pour articuler l'environnement avec la population nous permet de comprendre comment, par exemple, les sociétés katangaises
ont été incorporées progressivement dans l'histoire de l'économie monde et comment elles étaient déstructurées, puis restructurées et enfin comment elles se sont adaptées au
système conditionnant en y incorporant de leur.
Nous empruntons a F. Braudel, I. Wallerstein et K. Polanyi les éléments d'analyse pour mener notre analyse interdisciplinaire des processus en longue période. Ce choix se
justifie par le fait que les analyses de ces auteurs constituent une interprétation critique et non normative des processus de développement et des rapports sociaux qui les
traversent durant une longue période et dans une interdisciplinarité. Ce sont des auteurs qui relisent autrement l'histoire de développement a partir d'une grille ouverte,
interdisciplinaire, intégrant l'environnement en tant que milieu de vie et la population en tant qu'acteur, et non plus comme une variable démographique.
Il importe certes de préciser que dès la fin des années 1960 et le début des années 1970, beaucoup d'autres auteurs ont tenté sous l'un ou l'autre paradigme de desserrer le
poids de la théorie de la modernisation. Nous pensons a P. Ph. Rey, S. Amin, E. Arghiri, A.O. Hirschman, A. Lipietz, K.N. Chauduri, R. Bin Wong, Terray, Copernay-V., A.