Dunkerque_Madame-Caroline-Angebert_Jeanne

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Madame Caroline Angebert
Par Jeanne Cornet
1988
Le Dimanche 26 Octobre 1913, Dunkerque inaugurait au parc de la Marine, un
monument à la mémoire de Caroline Angebert, dans les lieux mêmes où elle vécut.
Mais, sait-on encore aujourd’hui qui était Madame Angebert et quels furent ses
mérites?
Elle est née :
Angélique, Caroline, Omérine Colas le 19 Décembre 1793, rue des Saints Pères à
Paris.
Ses parents étaient fermiers du domaine du Houssay dans la Commune de Voulton, en
Seine et Marne.
Elle reçût une éducation supérieure à celle que recevaient à 1'époque, les jeunes filles
de sa condition.
Ses parents lui firent épouser, sans consulter son cœur le 26 octobre 1812 un marin
de vingt ans son aîné : Claude, Jacques Angebert, fils d’une famille de la bourgeoisie de
Clichy.
Jeanne Cornet / Généalogie et Histoire du Dunkerquois / G.H.Dk.
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Soldat au 1er bataillon de Clermont dans l’Oise en 1792, il demanda et obtint sa
libération du service de terre en 96 avec le grade de sous-lieutenant et les attestations les plus
honorables.
La même année, il débute dans l’administration de la marine ou il franchit
rapidement l’échelle des grades inférieurs pour arriver au grade de sous-commissaire en
1804. C’est alors le départ pour Naples, Toulon, Nice.
Sous l’Empire il occupe les fonctions de chef d’administration à Corfou, Trieste où
l’accompagne sa jeune épouse. Elle en profite pour apprendre seule, le grec et le latin, afin
de lire, dans leur langue d’origine, les textes de ses auteurs préférés : poètes et philosophes
de l’antiquité.
Cette jeune femme, avide de savoir, et qui possède une facilité remarquable de
compréhension, acquerra très vite une maturité sous le soleil méditerranéen.
La perte de nos conquêtes napoléoniennes obligera notre représentant de la marine
française à rentrer au pays.
Il occupera en 1814, un emploi plus modeste jusqu’au 19 novembre 1817, date à
laquelle lui fut attribué le poste de commissaire de 2éme classe puis de 1ére classe le 1er
janvier 1819 comme "chargé en chef" du service du port et arrondissement de Dunkerque.
Qu’était Dunkerque en 1818 ?
Une ville d’environ 22 000 habitants.
Son port, ensablé, ne permettait plus que de recevoir des navires de faible tonnage.
L’abolition de la franchise en 1793 par un décret de la Convention ainsi que le blocus, ont
contribué à appauvrir considérablement ses finances.
La volonté et l’espérance sont au fond des cœurs : on a détruit tout ce qui pouvait
rappeler "l’Usurpateur".
La ville doit renaitre : c'est-à-dire son port.
Le Baron Coppens plaide, sans succès, la cause pour le rétablissement de la franchise
afin de rétablir l’activité du commerce. Le nouveau commissaire de la marine assistera petit à
petit, à la renaissance du port, ainsi qu’aux premiers travaux de redressement portuaires : le
quai des Hollandais, l’écluse de Bergues, le pont de la Citadelle, l’estacade ouest et, en 1823
le bassin des chasses.
C’est à Monsieur Angebert, Chevalier de l’Ordre Royal et Militaire de St Louis, que
reviendra l’honneur de remettre les clés de l’arsenal maritime au Roi Charles X lors de sa
visite à Dunkerque en Septembre 1827.
Les beaux magasins et la corderie qui entourent le bassin ayant attiré l'attention de sa
Majesté ; Monsieur Angebert put lui faire remarquer que leurs fondations remontaient au
règne de Louis XIV.
Madame Angebert demeura pendant plus de quinze ans parmi cette population
"propre, active et belle".
Le Capitaine François, de passage à Dunkerque en 1822, remarque :
"Aux portes de la Ville quelques maisons de campagne. Les habitants sont doux,
affables, très honnêtes. L’intérieur et l’extérieur de leur maison sont très propres. On peut les
comparer aux Hollandais".
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A la même époque, Madame Lamartine, mère, note dans son cahier...
"Nous fumes voir le port de Dunkerque, la mer était superbe et la quantité de navires
dans le port faisait un fort beau coup d’œil... L’église Saint-Eloi est très belle, le service divin
s'y fait avec une très grande dignité. Il y a une grande tour carrée en face du péristyle de
l’église, lequel est d’une grande beauté ; la tour n’a de remarquable que la masse, son
élévation et son antiquité qu’on ne connait même pas. Il y a une horloge avec le fameux
carillon, mais qui est bien déchu.
Sur cette tour on met un pavillon qui est un signal pour la mer. La ville de Dunkerque
est belle, les rues sont larges, droites, bien pavées. Eugénie (sa fille) y possède une maison
assez jolie».
Livrée à ses seules ressources, Dunkerque n’est pourtant pas totalement dépourvue
d’industries.
Elle vit de la construction et réparation navale, la pêche morutière et les industries
qui en découlent tels :
- corderies, voilage, filet, hameçons, fûts, raffinerie de sel, fonderie de chaines,
clouterie. Il y a aussi quatre moulins à vent à l’intérieur de la ville, verrerie,
fonderie de cuivre, ferblanterie, distilleries, brasseries, briqueteries, tuileries, four
à chaux, tordoirs à huile, savonnerie (savon noir), raffineries de sucre, pain
d’épice et nos fameuses tablettes à café, orfèvreries, fabriques de bouchons de
liège, de chandelles, d’amidon, etc...
Avec le progrès la ville s’agrandit et devient plus salubre.
C’est donc en cette ville, à l’Hôtel de la Marine, sis à l’angle des actuelles rues
Wilson et Alexandre III que s’installe le couple Angebert.
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L’hôtel avait été construit sous Louis XIV et comprenait une chapelle où l'on disait la
messe pour le personnel de la marine. Il appartenait à l’état ainsi que les meubles qui
restèrent les mêmes pendant près d’un siècle.
Caroline a alors 25 ans.
"Elle est petite, mince et très élégante, nez fin, grand yeux noirs très doux".
Elle est attentive et dévouée à son mari qui occupe un poste très en vue. Elle verra
défiler dans son salon toutes nos actuelles vieilles familles dunkerquoises qu'elles soient de
négociants, d’armateurs ou de fonctionnaires, mais elle attirera aussi poètes et intellectuels,
car elle a la passion de la poésie.
Elle fait l’étonnement et l’admiration de tous ceux qui la fréquente, non seulement par
son charme, sa grâce et sa discrétion, mais surtout par son esprit tout à fait supérieur.
C’est ainsi qu’elle rencontre dans un salon de Dunkerque, Eugénie Lamartine, sœur
du grand poète, mariée à Bernard Coppens, fils de l’ancien seigneur de la ville
d’Hondschoote où elle réside.
Notre poétesse, car Caroline rimait fort bien, était grande admiratrice de Lamartine,
aussi se lia-t-elle très vite à Eugénie qui lui écrivit le 3 Juin 1823 :
"Permettez que je vous dise, Madame, combien je me félicite d’avoir eu l’avantage de
faire une connaissance plus particulière avec vous. Toutes les occasions qui me mettront à
même de la cultiver et de vous prouver le prix que j'y attache seront bien heureuses pour
moi."
Elles se revirent aussi souvent que possible, pour parler poésie, lire les vers que
Caroline faisait imprimer dans la "Feuille d’Annonces" (elle ne les signait pas, mais on les
reconnaissait au nombre d’astérisques égales au nombre de lettres de son nom). Elle lui fit
parvenir ses écrits, des nouvelles dont certaines parurent dans les "œuvres dunkerquoises" et
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des traductions. Non contente de connaitre le grec et le latin elle s’initiera à l’anglais et à
l’italien près de neveux en vacances.
Eugénie lui prêtait des livres qui furent un prétexte à la réflexion commune et à un
échange d’opinion.
C’est ainsi qu’elle lut :
-"l'Essai sur l’homme" de Pope, poème philosophique qui proclame la bonté et la
dignité naturelle de l’homme.
-"Les Confessions" de Saint Augustin : cheminement d’une vie religieuse et humaine
et ou apparait le symbole de la trinité : être, savoir et vouloir. L'homme ne peut douter qu’il
est, il sait qu’il est et il veut être : base de toute la pensée moderne.
-Enfin "Les soirées de Saint-Pétersbourg" de Joseph De Maistre où il combat les
principes philosophiques mis à l’honneur par "le siècle des lumières" et par la Révolution, et
qui eut une influence notoire sur la pensée du XIXème siècle particulièrement en ce qui
concerne le pouvoir souverain du Pape.
Ainsi continue de se former la pensée de Madame Angebert sous l'influence
d’Eugénie qui est profondément chrétienne. Caroline, elle, aime la méditation, la réflexion
auxquelles la lecture des philosophes de l'antiquité l’avait habituée ; elle réfléchit au
problème de la femme, à son éducation, sa position dans la société. Elle s’inquiète de la
morale et de son rapport avec la vie intellectuelle, du sens de l’action face aux événements et
à la morale. Et c’est ce qui explique l’enthousiasme et l’attachement sans équivoque qu’elle
manifestera, par la suite, à Victor Cousin.
Victor Cousin
Précisément, Victor Cousin est autorisé en 1818 à reprendre ses cours à la Sorbonne,
après huit années d’interruption, pour avoir manifesté des idées trop libérales.
Paris fut conquis par ce bel homme de trente six ans, de taille assez élevée, à la
chevelure brune et abondante dont un collier de barbe entourait un visage d’une beauté
sculpturale. Très éloquent il maniait la parole avec une grande maitrise et sa détention
arbitraire à Berlin ne faisait qu’augmenter ce prestige qu’il savait exploiter à merveille. Ses
cours conquirent par la hauteur des idées et le souffle spiritualiste qui en émanaient. Il y eut
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pourtant quelques mécontents, notamment chez les catholiques qui lui reprochèrent de placer
la philosophie au dessus de la religion.
Par bonheur pour Madame Angebert, ses cours furent publiés dans certains journaux
et en cahiers séparés. Sans enfant, et bénéficiant d'une certaine aisance que lui procurait la
situation de son mari, en plus de la poésie, Caroline put suivre, par correspondance, les
cours du grand philosophe.
Au sujet d'une phrase où Victor Cousin traitait la femme avec mépris, la réduisant à
un être inférieur, elle lui écrivit pour protester avec beaucoup de courtoisie, mais aussi de
fermeté, une longue lettre datée du 30 Septembre 1828 :
"Vous, Monsieur, si constant admirateur de Platon !!...
Je ne puis croire que vous déshéritiez la femme du patrimoine intellectuel de
l'humanité, que vous refusiez à la compagne de l’homme, à sa mère, à sa sœur, une âme
composée des mêmes éléments que la votre !..."
A la lecture d'une aussi belle lettre, Victor Cousin décela un esprit trop élevé pour ne
pas y répondre de suite.
"De grâce, Madame, ou avez-vous trouvé dans mes pauvres leçons, l’anathème dont
vous vous plaignez, ne confondez pas, je vous en supplie, une manière de parler avec un
principe. Si j’ai paru dire le contraire je me suis mal exprimé, je me dédis. Le Concile de
Trente vous a reconnu une âme : vous pouvez croire à la votre et vous en servir, Madame,
avec pleine sécurité".
C’est ainsi que la correspondance s’engagea entre une élève qui voulait faire de la
philosophie, une science de la vie, et un maître très engageant.
"Je veux vous dire, Madame, que votre lettre est admirable et par les idées et par le
style. Elle m’a fait une vive impression, elle m’a touché, éclairé...
Parlez, signalez-moi les écueils que je pourrais n’apercevoir qu’en y échouant.
J’attends une nouvelle lettre, de nouvelles critiques sincères et fortes. Songez que vous vous
êtes trop avancée pour reculer, et que vous ne pouvez plus m’abandonner sans une espèce de
trahison."
L’élève était de qualité et la galanterie sous-jacente à certaines missives ne
l’intéressait pas ; elle exigeait au contraire "beaucoup de sévérité dans laquelle elle verrait
une plus grande preuve de bienveillance que dans les plus jolies formules de politesse."
Si Caroline a déjà lu Aristote et Platon, toute son éducation philosophique s’est
pourtant arrêtée au "Traité des sensations" de Condillac ; un vieil ami, professeur de
mathématique lui ayant affirmé que l’esprit humain s’arrêtait là.
"Une ère nouvelle vient de s'ouvrir pour moi" dira-t-elle, "ces cours sont une
révélation" d’autant qu’elle est "une femme vivant en province, privée de documents, de tout
commerce intellectuel". Elle a "trouvé son point d’appui dans une philosophie sublime".
Pourtant, si elle manifeste beaucoup d’enthousiasme, elle n'accepte de prêcher cette
philosophie de l’éclectisme qu’avec le plein assentiment de sa conscience :
"J’ai réfléchi à ce dont je me mêle".
Elle proteste énergiquement contre cette coïncidence du fait et du droit, thème
conducteur des leçons de V. Cousin. Elle lui reproche d’avoir négligé le rôle de l’activité
volontaire et libre et la puissance de cette liberté morale. Il lui semble que "L’humanité
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comme l’individu, soumise à la partie fatale de l’existence, est moralement, du moins,
l’arbitre de sa destinée".
Ses doutes et ses objectifs devaient être consignés par écrit, ce qui nous vaut de
véritables mémoires philosophiques dont elle ne parla à personne par simple modestie et qui
ne furent découverts qu’après sa mort par son héritier.
Ils figurent dans la "correspondance générale" de Victor Cousin dont Barthélémy
Saint-Hilaire compare leur auteur à la "Diotène" du banquet et soutient que Madame
Angebert était philosophe "autant qu’homme au monde".
Elle rencontra plusieurs fois le philosophe à Paris mais si elle était jolie et fort
agréable, son air modeste et sérieux commandait le respect.
Quand elle apprit, après l’événement de Louis-Philippe en juillet 1830, que Victor
Cousin abandonnait sa chaire pour entrer dans le conseil royal de l’instruction publique en
attendant la pairie qu'on lui offrit en 1832 elle en fut désappointée.
Avait-il pris part à la "curée" dont parle Barbier?
Etait-ce un mérite unanimement reconnu ?
Ou simple dévouement ?
Dans sa déception elle lui écrira une longue et dernière lettre le 15 décembre 1830.
"Je ne vous comprends plus, Monsieur, moi qui naguère vous entendais si bien... Cela
vous importe peu sans doute mais j’éprouve le besoin de vous parler encore du fond du cœur ;
ce sera la dernière si vous le voulez. J’ai besoin de vous dire que je n’ai jamais éprouvé un
sentiment plus pénible que le jour où j’ai appris que vous abandonniez votre enseignement :
j’ai cru voir s’écouler tout un monde... Si la philosophie se tait pendant les jours d'orage ne
fait-elle pas comme un ami qui vous délaisserait dans le péril au lieu de vous aider ?
Triompher des difficultés était votre gloire !..."
Chaque candidature à l'académie, chaque distinction me semblait ravir un fleuron à
votre couronne d’immortelles, pour y substituer une fleur vaine et prompte à faner. Enfin si
vous quittez décidément, pour quelque rang élevé le poste où vous deviez combattre selon
moi, je ne saurais m’empêcher de penser que le courage et la constance ont manqué au génie.
N’aviez-vous pas un compte à terminer avec ceux qui vous confient toute leur fortune
intellectuelle ? Je suis de ces personnes ; je ne fus pas la moins confiante ni la moins dévouée,
mes réclamations sont bien légitimes... Je vous eusse suivi prêchant votre doctrine, un bâton à
la main."
Oui, Monsieur, j’ai la conviction que personne au monde n’a aimé plus que moi votre
enseignement. Il m’apparut comme un poème divin, une religion, une lumière ravissante.
Cette lettre, je le sens, Monsieur, est en dehors des convenances, mais si vous voulez
bien la regarder sous son vrai jour, vous y trouverez un dernier hommage à votre caractère et
une affection toute philosophique.
"D’ailleurs je viens de voir s’évanouir mon plus beau rêve. Ce réveil douloureux sera,
je l’espère, mon excuse... Ne croyez pourtant pas, Monsieur, qu’il y ait dans mon âme la
moindre amertume contre vous, votre nom y vivra toujours cher et sacré. Je n’ai donc voulu
vous dire encore une fois toute ma pensée, mes regrets et adieu."
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Une page de sa vie était tournée ; pourquoi poursuivre une correspondance qui avait
perdu sa raison d'être. Sa réaction violente révèle bien sa sincérité : elle s’était investie toute
entière dans la philosophie, avait essayé de la faire sienne, d’en faire un mode de vie, et ce
guide, ce soutien, elle le perd brusquement dans une époque aussi bouleversée que le fut
1830. Ils ne se perdirent pourtant pas tout à fait de vue, il y eut encore quelques lettres,
quelques visites de loin en loin, mais ils avaient perdu l’un et l’autre ce centre d’intérêt
qu’était la philosophie.
Qu’advint-il de Madame Angebert ?...
Sa correspondance nous laisse supposer une personne de caractère prompte à réagir.
Dévouée à chacun et ayant en elle ce profond besoin d’admirer, la rencontre fortuite avec
Lamartine la combla.
On était en plein Romantisme. Les méditations avaient été publiées en 1820 et 22,
"Les Harmonies" venaient de paraitre. On se pâmait d’admiration en écoutant ce poète si
beau, si racé, lire ses vers tant dans les salons de Paris que dans ceux de province. Talleyrant
lui-même ne passait-il pas ses nuits à lire les premières méditations de Lamartine !!!
Lamartine venait d’être élu à l’Académie Française en 1829 et pourtant cette gloire
littéraire ne lui suffisait pas.
En effet, très jeune, il s’était intéressé à la politique. Il était entré comme attaché
d’ambassade à Naples et n’avait abandonné sa carrière que par fidélité à ses opinions avec
l’arrivée de Louis Philippe.
Ce qu’il voulait maintenant c’était la vie parlementaire. N’a t-il pas écrit :
"Le labeur social est le travail quotidien obligatoire de tout homme qui participe aux périls et
aux bénéfices de la société".
Sa mère, qui venait de mourir brulée dans son bain, y avait déjà pensé pour lui lors de
son séjour chez sa fille à Hondschoote en 1822.
Il avait été aussi vaguement question de sa candidature à Dunkerque lors des
dernières élections de la restauration, et c’est Michel Chevalier, adepte de la religion Saint
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Simonienne qui en eut l'idée.
Il ne se présenta pourtant pas, et c’est Benjamin Morel qui fut élu.
C’est en 1831 que les choses devinrent sérieuses pour lui.
"Je brulais d’entrer dans la vie politique"... dira t-il.
"L’arrondissement de Dunkerque cherchait un député ; je cherchais des électeurs"...
C’est chez sa sœur, Eugénie Coppens que tout commença. Elle avait réuni chez elle, à
cette occasion, la famille, les amis et avait eu soin de placer au premier rang, Caroline
Angebert connaissant sa grande admiration pour son frère, mais aussi son besoin de
dévouement.
Mme Angelbert
La manœuvre fut heureuse puisque Lamartine remarqua de suite cette "jeune femme
d’une rare distinction d’esprit, enthousiaste de ses vers et pleine de foi en son génie.
Elle est la première à qui il fit part de sa décision. Il lui écrira le 10 Mai 31.
"Je ne pensais pas, il y a peu de jours, en jouissant chez ma sœur de votre
conversation aussi aimable que bienveillante que j’aurais, peu d’instants après, à mettre cette
bienveillance à l’épreuve d’une sollicitation peut-être indiscrète...
Une honorable candidature se présente pour moi dans le deuxième arrondissement de
Dunkerque, je me décide à l’accepter.
Mes opinions réelles sont peu connues, les journaux de Dunkerque attaqueront peutêtre mes opinions présumées ; vous avez sans doute, Madame, quelque influence sur eux par
vos relations littéraires, j'oserai vous demander de bien vouloir l’employer, non pas en ma
faveur, mais du moins pour qu’on ne m’attaque pas dans les ténèbres, pour qu’on ne me juge
pas avant de m'avoir entendu !"
Elle venait de perdre la philosophie ; elle s’engagea avec autant de ténacité dans le
combat politique.
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A peine reçu la lettre de Lamartine, Madame Angebert entre en contact avec le
directeur du journal de Dunkerque avec lequel elle était assez liée ainsi qu’avec Monsieur
Dupouy député de la première circonscription de l’arrondissement. (Pour la première fois
l’arrondissement de Dunkerque avait été partagé en deux arrondissements électoraux :
Dunkerque et ses cantons et le nouvel arrondissement de Bergues comprenant : Bergues,
Bourbourg, Gravelines, Hondschoote et Wormhoudt). Elle les mit au courant de la résolution
de Lamartine et leur demanda leur soutien qu'ils accordèrent à condition que sa profession
de foi corresponde à leurs convictions personnelles.
Le 13 Mai, Lamartine déjeuna en son salon en compagnie de Monsieur Ferrier,
directeur des douanes et ami de la famille, afin d’examiner ce projet électoral. Par la même
occasion il confia à Madame Angebert sa profession de foi afin qu’elle lui en donna son avis.
Le geste était flatteur, mais quelle responsabilité !...
Caroline s’en tira avec beaucoup de tact et lui répondit :
"Votre profession de foi est admirable comme tout ce qui sort de votre plume et de
votre âme"
Mais elle lui objecta sa longueur et lui fit remarquer avec timidité, mais conviction :
"Vous parlez à des hommes qui entendront difficilement votre langage... Il est à
désirer qu’ils ne rencontrent rien qui les inquiète... Ces gens là aiment beaucoup qu’on les
tranquillise... Il y a des chemins battus et usés qui leur semblent surs. Une route inconnue
leur sera suspecte, il faut les y mener sans qu’ils s’en aperçoivent... J’ai marqué au crayon
quelques lignes dont le sacrifice me parait utile, pour désarmer la malveillance".
Lamartine reçoit très bien ces conseils. Il la remercie en termes très élogieux :
"Mon esprit a reconnu l’exactitude de votre tact politique en tout point. Que ne puis-je
avoir eu de même votre tact littéraire ? Ma profession en vaudrait mieux"
Et il ajoute :
"Votre lettre m’a paru un chef d’œuvre de penser et de dire...
A une certaine hauteur on s’entend de plus loin, mais il est difficile d’y élever ceux qui
veulent ramper toujours. Vous vivez à cette élévation, on le sent à vos paroles, on le
comprend à vos sentiments. Ma pensée aime à y rencontrer d’autres pensées et j’en ai
rarement plus joui qu’en lisant et relisant votre longue et admirable lettre".
Cependant il est un point sur lequel il ne céda pas : sa fidélité déférente à la monarchie
légitime.
Cette profession de foi que Lamartine a envoyée aux journaux de Dunkerque, il a
oublié de la dater et de la signer et c’est Madame Angebert qui est chargée de la dater du 15
Juin 1831 et de la signer Alphonse de Lamartine.
L'affaire était lancée. "Je suis empoigné", écrira t-il à son ami Virieu. "C’est le plus
bel arrondissement de France !"
Comment fut-il reçu lorsqu’il se présenta dans le cabinet du sous-préfet, Monsieur
Gaspard, Baltazar, Melchior, au fond du vieil hôtel de l'intendance, rue du jeu de paume,
devenu récemment sous-préfecture ?
Comme il se doit sans doute ! Mais pas sans une certaine inquiétude ! Gaspard
n’avait-il pas écrit dans son rapport :
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"Les opinions carlistes sont inoffensives et impuissantes" mais que penser de la
candidature de Lamartine ? Pressentait on que le poète des méditations serait un jour le
"fossoyeur de la monarchie de Juillet". Les préfet et sous-préfet cherchaient un candidat
opposé à Lamartine. Mais la famille Coppens veillait et Madame Angebert redoubla de
dévouement. C’est elle qui portait les articles du candidat à Monsieur Drouillard afin qu’il
les insère dans la "Feuille d’Annonces" éditée deux fois par semaine, ainsi qu’à monsieur
Vanwormhoudt qui dirigeait le journal de Dunkerque et qui lui était tout dévoué.
Notre candidat avait il quelque chance pour ces premières élections du régime de
Louis Philippe Roi des Français ? La réduction du cens avait amené des changements
notables dans la région tant dans la quantité que dans la variété des électeurs.
Chacun, ici, a le souvenir : pour les jeunes, des guerres de l’empire, pour les plus
âgés, de quarante années de tourmente ayant été dans la zone d’action de Joseph Lebon. La
Restauration a été pour le canton de Bergues, une année de répit. Laisserons-nous dit il à ses
électeurs "piller, bruler et égorger le pays et l’Europe parce que nous aurions préféré un
autre gardien sur le seuil ? Tout, plutôt que l’anarchie". Ce qu’il veut c’est soutenir le
gouvernement quoiqu’on ne voulut pas le servir !
Lamartine pense s'appuyer sur les légitimistes qu’il n’approuve pas toujours et qui en
sont conscients et il espère les voix des libéraux loyaux. Autour de lui se groupent aussi
beaucoup de mécontents.
C’est chez le commissaire de la marine que se complote avec discrétion et la
connivence de monsieur Ferrier, monsieur Dekyttspotter, procureur royal, monsieur Kesner,
receveur particulier, la campagne électorale de Lamartine. Ce ne sont pas des ultras, mais ils
n’ont tout simplement pas l’esprit de juillet. Madame Angebert a parfaitement compris la
pensée politique du poète et le seconde avec une grande lucidité.
La bataille sera dure, car on lui oppose, après avoir sollicité en vain, neuf autres
candidats, monsieur Paul Lemaire, député départemental sortant, très estimé dans le pays.
Caroline est toujours sur la brèche. Préposée à l’imprimerie, elle reçoit les morceaux
à faire composer, expédie les tracts à distribuer et, par ses relations, se charge de soutenir sa
candidature, tâche particulièrement difficile dont elle s’acquitte avec talent et surtout un
grand sens politique qui touchera sincèrement Lamartine.
C’est elle qui demandera à monsieur Kesner de bien vouloir accorder quelques jours
de congés à monsieur Hovelt, percepteur à Hondschoote pour qu’il puisse battre la
campagne en faveur de Lamartine ainsi que pour le jour même de l’élection. C'est encore elle
qui s’inquiétera près d’un électeur influent de Gravelines afin de savoir s’il n’y a pas
d’objection grave.
Cependant lorsqu’un ultimatum sera présenté à Lamartine le sommant d’affirmer son
dévouement à la dynastie il refusera par un sentiment d'honneur.
La fièvre montait. Les lettres entre l'hôtel de la marine et la résidence d’Hondschoote
se firent plus nombreuses. Eugénie ne veut pas perdre espoir mais les pointages sont
mauvais. Elle console son amie et la prie, s’il y a échec, de ne pas s’affecter plus que ne le
fera son frère lui-même. Madame Lamartine est plus optimiste ; elle prie Caroline "de ne pas
se tourmenter". Selon toutes les probabilités tout ira bien !
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Hélas ! C’était sans compter sur "l’Ode à Némésis", ode enflammée, outrageante et
injuste, que le pamphlétaire Barthelemy avait fait imprimer sur feuilles volantes et répandait
sur la place de la Mairie. Lamartine fut battu par 181 voix contre 188 à Paul Lemaire.
C’est dans la chambre n° 11 de l’hôtel de la "Tête d'Or" à Bergues, qu’il avait retenue
pour ce grand jour d’élection du 6 Juillet 1831 qu’il improvisa la réponse à Nemesis.
Il est sans dire que Madame Angebert souffrit autant que Lamartine de cette défaite.
Il lui écrivit pourtant :
"Voici mes adieux à vos aimables Flamands, je les aime jusqu’à l’enthousiasme, ils se
sont fidèlement conduits ! "
Il lui annonce son départ :
"Je pars sans pouvoir vous dire l’adieu reconnaissant et senti, que j’aurais voulu
vous répéter... J’ai du, à vous surtout, et aux amis que vous m’avez faits, un séjour trop
agréable dans ce pays ci, pour qu’il sorte jamais de ma mémoire... Il me serait impossible de
vous oublier, permettez moi de vous le dire de temps en temps.
N’oubliez pas non plus mes conseils, : écrivez pour moi et pour le public ;
n'ensevelissez pas, dans une modestie stérile, la force de pensée et la maturité de talent que la
nature et la réflexion vous ont données, et surtout, faites moi confidence de votre
philosophie."
En réponse elle lui fit parvenir ce long poème lyrique :
Hélas, il est donc vrai, tu quittes ce rivage
Ou tu voulais fixer tes pas trop généreux.
Nous avons rejeté ce superbe partage
Et repoussé tes vœux !
etc...
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Que pensa Lamartine de ces vers ? Il n’en dit mot, mais il sut apprécier à sa juste
valeur la femme exceptionnelle qu’était Caroline.
Il l’invite à Saint-Point et c’est à elle, encore et toujours à elle, qu’il s’adresse : il lui
demande son point de vue sur une lettre politique qu’il envoie à la "Revue Européenne" (il
s’agit de la "Politique Rationnelle").
"Si on l'imprime réellement, je vous en demande d’avance un jugement impartial. Je
ne parle pas du style, il n’y en a pas, et je n’en ai pas, mais du fond des idées. Cela se
rapproche, je crois, des vôtres. Ne nous oubliez pas et, quand vos visites vous laissent un
loisir un peu long, donnez m’en un morceau. Nul n’apprécie mieux que moi cette netteté d'une
pensée mure et réfléchie qui se combine en vous avec le sentiment de foi et de conviction
formant l’écrivain. Vous l'êtes, soyez en bien certaine a un éminent degré : votre dernière
lettre en ferait foi à défaut d'autre preuve ! Ecrivez donc !... "
Rien d’étonnant qu’ayant gouté cette relation privilégiée pendant plus de deux mois il
trouve qu’à Macon "la vulgarité la plus banale plane sur toutes les relations féminines".
Savions nous cela, nous, sur les bancs de l'école, lorsque nous répétions à loisir les
vers du "Lac" que ce grand poète romantique sollicitait les jugements et tenait compte des
critiques d'une modeste femme de la bourgeoisie dunkerquoise. Elle ne fut pas sa muse... Elle
n'intervint du reste jamais dans sa poésie... mais c’est en partie à elle que Lamartine doit son
entrée dans la politique de la France, lui le promoteur du suffrage universel.
En effet, Paul Lemaire ayant donné sa démission, le jeu électoral reprit de plus belle ;
mais Lamartine était en Orient et c’est à la seule équipe qu'avait formée Madame Angebert,
ainsi qu’au "Groupe Coppens" qu’il doit son élection à la mairie de Bergues le 7 Janvier
1833 par 196 voix sur 349 votants.
Mais l’âge de la retraite sonna pour Monsieur Angebert. Il fallait quitter cette ville
qui n’était pas sans attrait pour cette femme intelligente à l’esprit ouvert et au cœur généreux
qu'était l’épouse du commissaire. Dunkerque était devenue la 2ème ville du département.
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C’est dans son collège inauguré en 1829 qu’on envoyait les garçons des alentours
poursuivre leurs études tandis que les filles avaient le choix entre les pensionnats des
Demoiselles de Madame Herwyn rue des pénitents ou celui des Demoiselles Dubois rue du
sud. Les salons étaient nombreux, on y recevait beaucoup et on y rimait fort agréablement.
Toutes ces "œuvres littéraires" locales : nouvelles et poèmes paraissaient dans les journaux et
donnaient ainsi un certain prestige à leurs auteurs.
La musique y était également très prisée et Caroline eut le plaisir d’entendre le 5 Mai 31
en compagnie de la famille Coppens l’illustre Paganini qui joua à guichet fermé dans la salle
Cécile de la rue Royale (il dina à cette occasion chez Madame Kesner et chez Madame
Ferrier, amies de Madame Angebert). C’est dans cette même salle que l’on reçut la
cantatrice espagnole Malibran et le violoniste Beriot cinq mois plus tard.
Mais n’avions nous pas notre compositeur local, Monsieur Woets qui fut pianiste de la
reine de Hollande !...
Dunkerque possédait aussi sa société d’harmonie. Quant au théâtre, qui se tint place
Calonne jusqu’en 1845 et dont les bâtiments furent repris par la scierie Dubuisson, il offrait
pour 6 Frs aux messieurs et 4,50 Frs aux dames, un abonnement qui leur permettait de voir à
leur goût opéra, opérette, opéra-comique ou mélodrame assez goûté en 1830. Une
bibliothèque était ouverte au public trois fois par semaine.
Bien sûr, on vit aussi en 1827 sur la place d'Armes le dénommé Provost, condamné à une
heure de carcan pour avoir imprimé de la fausse monnaie ainsi que l’échafaud à l’angle nord
de la place Royale en février 33 pour une exécution capitale, ainsi que le choléra en 32 qui
obligea les bateaux à rester en rade et fit 300 décès sur 470 cas.
Mais un événement plus important marqua pour Madame Angebert, l’année 1829 : ce fut,
chez elle à l’hôtel de la Marine la naissance de la petite Laure, Adélaïde, Caroline Noblet
dont la maman était la propre nièce de Monsieur Angebert.
C’est dans cette ville qu'elle appela sa "patrie adoptive" que Caroline passa les
meilleures années de sa vie.
Monsieur Angebert adressa aux habitants de Dunkerque une lettre de remerciements et
de regrets de quitter leur ville, qui parut dans la Feuille d’Annonces du 8 avril 35 ; tandis que
Madame exprima les siens dans une pièce en vers dont l’épigraphe était un extrait du "Lac".
“Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges jeter l’ancre un seul jour ?“ Suivait
l’adieu :
"Dunkerque ! Ville aimée et qui me fut si bonne
Il faut nous séparer. Tout subit cette loi
C’est mon passé, moi-même, hélas ! Que j’abandonne
En m’éloignant de toi !
etc...
Comme elle voulait s’établir à Paris elle envoya ces vers à Victor Cousin et se
recommanda à lui pour un emploi pour Monsieur Angebert et elle-même.
Elle en fit de même à l'adresse du poète. En fait elle s’occupa avec Madame Lamartine
d’œuvres de bienfaisance. Elle devint secrétaire, à titre bénévole de l’œuvre de St Lazare qui
prenait en charge des jeunes filles sortant de prison. La fonction était délicate et des plus
chargée d’autant que dans ses moments de liberté, elle composait des petits livres pour les
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moraliser. Lorsque les dames visiteuses étaient en vacances c’est elle qui les remplaçait et
faisait la lecture près de leurs protégées. Il fallait aussi, très souvent, leur porter une aide
matérielle. Cependant cette vie parisienne coûteuse par l’exigence de ses relations l’incita à
se retirer en province, en prétextant des raisons de santé. Il est vrai qu'elle fut atteinte d’une
surdité précoce qui la tint un peu à l’écart de la vie mondaine.
Elle acquit ainsi en 1848 une petite maison à Provins, dans la ville haute, à l’ombre
de la tour César, dans le vieux cloître de Saint Quiriace.
Elle n'y vécut pas en recluse bien au contraire. Elle fut entourée de gens de lettres du
pays :
-
Le poète académicien Pierre Lebrun qui habitait tout près de chez elle,
Michelin ami des livres,
Monsieur de Bournet,
le père d’André Lefevre traducteur de Lucrèce
et le Chevalier Baculard d’Arnaud vieil original fils de l’ami du Grand Frédéric,
de Voltaire
et de Rousseau.
Elle recevait aussi la visite de Théodore de Banville qui lui avait dédié une jolie
pièce de ses "Cariatides" et écrit de longs vers...
Hier, je répétais en moi-même, Madame
Vos vers si pleins de calme et de ravissement...
Tandis que Pierre Dupont lui en écrivait d’autres à la suite:
Rangés autour de vous, les paupières baissées
Nous écoutons, Madame...
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Madame Angebert restait donc fidèle à la poésie.
Hélas, le 25 octobre 1851, la nécrologie de Monsieur Angebert occupait toute la
première page de la "Feuille de Provins“. Elle était rédigée par Monsieur Baculard
d’Arnaud qui lui rendait hommage et précisait :
"Si Monsieur ANGEBERT a fini ses jours dans une faible aisance, s’il laisse
strictement à sa veuve de quoi soutenir un nom honorable, ce résultat est du, non seulement à
l’intégrité du haut fonctionnaire, mais à des vertus de famille qui furent poussées chez lui
jusqu'à l’abnégation."
Elle lui survécut vingt neuf ans dans cette maison d’où l’on découvrait la vallée de la
Voulzie entre ses livres, son jardin de fleurs et ses souvenirs. Mais elle n’abandonna pas la
poésie. Elle continua à écrire pour la "Feuille de Provins" poèmes et nouvelles et consacra de
belles notices à Hesegeppe Moreau ainsi qu’à un livre de Charles Lenien, qu’elle signa et
que Provins conserve soigneusement.
En mars 56, Lamartine ayant besoin d’argent fait paraitre "les cours familiers de
littérature". Caroline est non seulement la première à y souscrire mais elle court la campagne
avec d’autres amis pour lui procurer des abonnés.
Deux ans plus tard la détresse du Poète devint encore plus grande et "les amis de
Lamartine" organisèrent, à son profit, une souscription nationale.
On ne frappait jamais en vain à la porte de Madame Angebert. Elle fit appel à la
générosité des lecteurs de la "Feuille de Provins" en des vers qu’elle laissa échapper de son
cœur fidèle et généreux :
"Tu chantais l’amour pur... Rappelez-vous, Ô Femmes !
Le saint enthousiasme et les jeunes ferveurs.
Nos cheveux ont blanchi... N’avons-nous plus nos âmes ?
N’avons-nous plus nos cœurs ?
Et ne viendrons-nous pas acquitter à l'automne
La dette du printemps ? Au pieux rendez-vous
N’apporterons-nous pas cette sublime aumône
Qu'il faut faire à genoux ?
Répondez ! Hâtez vous... Témoigne pour toi-même
Foule reconnaissante, en témoignant pour Lui
N’attends pas que, brisé dans un effort suprême,
Son dernier jour ait lui !
Lamartine fut très touché et lui dit le bonheur qu’il avait à "retrouver ce nom chéri
des beaux jours en ce cœur intarissable"...
Il venait parfois lui rendre visite à Provins et Monsieur Rogeron typographe à
l’époque, à l’imprimerie Lebeau, se souvient d’être venu dans le petit "salon-bibliothèque" de
Madame Angebert, soumettre à Lamartine, les épreuves d’une lettre circulaire de
remerciements destinée aux comités des différents coins de France qui lui étaient venus en
aide.
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En ces moments difficiles qu'ils vivaient l’un et l’autre, se retrouver devait évoquer en
eux ces heures de bonheur et de gloire, où lui, rêvait d’organiser un "parti social" qui n’était
pas un parti... mais bien plus "une idée" tandis qu’elle, toute timide, sous les marronniers de
Madame Coppens, lui faisait confidence de sa philosophie. Les années passèrent, elle garda
jusqu’au bout avec cette générosité sans limite, son ardeur intellectuelle, conservant près
d’elle, dans sa chambre, ses livres préférés :
- Ceux de Lamartine,
- les cours philosophiques de Cousin,
- la politique d’Aristote,
- des ouvrages d’Emile Sausset,
- de Jules Simon (qui succéda à Cousin à la Sorbonne),
- de Caro ; c’est-à-dire à toute l’école spiritualiste.
Monsieur Leouzon Le Duc son petit neveu, fils de la petite Laure qui naquit chez elle
parle fort joliment de celle qu’il vit jusqu’aux dernières heures de sa vie :
"C’était une femme mince à la figure la plus expressive qui fut. Elle ne se départit
point de ses habitudes élégantes de la mode d’autrefois ; elle avait conservé des mitaines, de
petits souliers de prunelle, des robes de soie puce. Elle avait remplacé par la fanchon de
Madame Deffand les boucles et les coques de la Restauration. Dans sa mise, sa manière
d’être, son affabilité on retrouvait la marque d’une extrême distinction.
Elle s'éteignit le 13 novembre 1880 et repose dans le cimetière de la ville haute près
de son mari.
"L’ombre du grand poète la protégera contre l’oubli"·
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A Dunkerque- Adieu:
"Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges
"Jeter l’ancre un seul jour ?
Lamartine
Dunkerque ! Ville aimée et qui me fut si bonne,
Il faut nous séparer - Tout subit cette loi.
C’est mon passé, moi-même, hélas ! Que j’abandonne,
En m’éloignant de toi !
Car tu m'as donné tout ce qui fait vivre l’âme :
La douce bienveillance et la tendre amitié.
Le ciel qui de mes jours veut partager la trame,
T’en laisse une moitié.
Garde-la, beau pays, tu la rendis heureuse ;
Garde tout ce passé dans ton vaste avenir.
Moi, je rattacherai ma barque voyageuse,
A ton cher souvenir.
Ma parole n’est point légère et fugitive ;
Depuis longtemps je t’aime et tu peux croire à moi
Je te nommais du nom de Patrie adoptive ;
J’étais fière de toi.
J’aimais à retrouver, dans ton antique histoire,
L’indépendance innée au cœur des vrais Flamands,
Et le mien s’enflammait au récit de la gloire,
De tes nobles enfants.
J’aimais ton sol heureux, tes riches paysages ;
De toi tout me charmait, rien ne m'était amer ;
J’aimais tes vieux remparts et tes dunes sauvages,
Et ton ciel et ta mer.
Vent, dont je redoutais les trop vives atteintes,
Tu me plais aujourd'hui, viens encore me chercher
M’annoncer le bonheur, ou l’espoir ou les craintes
De tout ce qui m’est cher.
Ce qui m’est cher ici, c’est tout ce que je laisse :
Chaque âge a mes regrets, chaque nom vient s’offrir.
J'ai vu s’épanouir la brillante jeunesse,
J’ai vu naitre et mourir.
Hélas ! Combien souvent l’on s’ignore soi-même !
Vous que je croyais voir d’un œil indifférent,
Je vous regrette aussi, je sens que je vous aime,
Je vous quitte en pleurant.
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Vous tous, pardonnez-moi, j’oubliai d’être aimable :
C’est que nous oublions que le temps passe et fuit,
Qu’il fuit en imprimant la trace ineffaçable,
Du jour présent qui luit.
Mais du moins de mon cœur nul n’a douté, j’espère ;
Jamais un mot de moi n’attrista vos plaisirs.
Dans tous vos souvenirs.
Vous me l’avez promis... Dans ce jour de tristesse
J’ai besoin d’emporter ce consolant espoir.
Il en est un aussi que mon âme caresse,
Celui de vous revoir.
Amis, oui, je viendrai me rasseoir à vos fêtes,
Comme une ombre fidèle au lieu qu’elle a chéri
Ou près de vous, qui sait ? Chercher loin des tempêtes
Un bienfaisant abri.
Dunkerque, le 20 Février 1835
C. Angebert
Bibliographie
Lamartine
A Lamartine 1833
Dunkerque à 1’époque de la Restauration
A Lamartine
Bulletin du Comité Flamand de France
Les Annales Romantiques de 1913
Lamartine et la Flandre
Les amitiés de Lamartine
Dunkerque
Nord Maritime
Etats civils
Les Œuvres Dunkerquoises
La vie quotidienne en France en 1831
Bulletins de l’Union Faulconnier
Dunkerque en Flandre
"La Feuille d'Annonce"
homme social Paul Bert
1913 (Plon)
Louis Delautre
Marquis de Luppe
H. Cochin
Léon Seche
Derode
Octobre 1913
1827
Burnan Robert
Jacques Tillie
1830
Jeanne Cornet
1988
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Page 19
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