Cinéma Apollo - Comédie de Genève

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Cinéma Apollo
de Michel Deutsch et Matthias Langhoff
mise en scène Matthias Langhoff avec Caspar Langhoff
Dossier pédagogique
Comédie de Genève
www.comedie.ch
Tatiana Lista
T. +41 22 328 18 12
[email protected]
Comédie de Genève
www.comedie.ch
mardi, mercredi,
jeudi, samedi 19h,
vendredi 2Oh.
Dimanche à 17h.
13-22.02.2015
Cinéma Apollo
Présentation
Cinéma Apollo, écrit par Michel Deutsch et Matthias Langhoff. Le foyer du cinéma
Apollo… C’est la dernière séance. Une jeune femme, des écouteurs sur les oreilles, est
assise derrière un bar et une machine à pop-corn. Elle lit un livre et bouge au rythme
de la musique qu’elle est en train d’écouter. Un homme – peut-être le réalisateur ou
le scénariste du film – quitte la salle et demande une bière à la fille du bar. La fille
devient malgré elle la confidente de l’homme.
Un extraordinaire texte sur le cinéma, sur une femme qui ne s’intéresse pas (du
tout) au théâtre, sur l’amour, sur l’amour à vendre, sur les dangers que court une
jeune femme quand elle prend place dans la voiture d’un étranger, sur Homère, sur la
pornographie et le caractère des hommes politiques, sur la solitude, sur le mépris,
sur la mélancolie des hommes de cinquante ans, sur la suspicion, et surtout sur la
trahison. Enfin, une histoire simple, moderne et tragique qui se déroule dans le foyer
d’un cinéma le temps d’un film.
L’étude du dossier de Cinéma Apollo permettra :
- D’aborder, dans la partie pistes d’analyse, le mythe d’Ulysse, de Il disprezzo de
Moravia à Cinéma Apollo en passant par Le Mépris de Godard ;
- D’examiner le processus d’adaptation grâce à un entretien avec Matthias Langhoff ;
- De rendre compte, plus particulièrement pour les professeurs de cinéma, de l’adaptation cinématographique au travers d’une analyse du film de Godard ;
- De prendre connaissance d’un extrait du Chant X de l’Odyssée qui sert de scène pivot
au spectacle conçu par Michel Deutsch et Matthias Langhoff ;
- De se familiariser avec les différentes étapes d’une création à l’aide de deux
photographies de la maquette du spectacle et de trois photographies du décor en
construction.
Nous terminerons le dossier par les biographies et un extrait de texte.
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Cinéma Apollo
Sommaire
Distribution.............................................................................................................page 4
Pistes d’analyse.......................................................................................................page 5
Entretien avec Matthias Langhoff..........................................................................page 9
Le mépris de Jean-Luc Godard.................................................................................page 11
L’odyssée - Chant X...................................................................................................page 15
Scénographie - photographies du décor...............................................................page 17
Biographies..............................................................................................................page 20
Extrait......................................................................................................................page 22
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Cinéma Apollo
de Michel Deutsch et Matthias Langhoff
mise en scène Matthias Langhoff avec Caspar Langhoff
avec
François Chattot, Évelyne Didi, Nicole Mersey
Pascal Tokatlian
assistanat à la mise en scène
Emily Barbelin
scénographie et costumes
Catherine Rankl
musique originale Arthur Besson
création sonore Samaël Steiner
assistanat scénographie et costumes
Julie Camus
production
Théâtre Vidy-Lausanne
coproduction
Comédie de Genève, Théâtre du Loup,
Saint-Gervais Genève Le Théâtre,
Cie Rumpelpumpel, Cie Service Public,
Espace Jean Legendre, Compiègne Scène nationale de l’Oise en préfiguration
avec le soutien du
Ministère de la Culture et de la
Communication (F)
co-accueil
Comédie de Genève, Théâtre du Loup,
Saint-Gervais Genève Le Théâtre
avec la participation artistique du
Jeune théâtre national
pour le film avec la collaboration de
ECAL (École cantonale de Lausanne),
GoldenEggProduction, Cinémathèque suisse
et Manfred Karge
en coproduction avec
La Fondation la Tour Vagabonde
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Cinéma Apollo
Pistes d’analyses, par Matthias Langhoff et Michel
Deutsch
À L’ASSAUT D’UN MYTHE de « Il disprezzo » de Moravia à « Cinéma Apollo » en passant
par le « Mépris » de Godard
1. Ulysse, l’homme plein de ruses - navigateur, père de famille et époux le plus
souvent fidèle - a été le fondateur de l’art de la guerre moderne. Son invention, le
cheval de bois, détruisit Troie et mit fin à la guerre de la même façon que la bombe de
Robert Oppenheimer détruisit Hiroshima et Nagasaki. Le cheval a été la première arme
de destruction massive. Les Grecs belliqueux du temps d’Homère ne menaient pas ce
genre de guerres. Or Robert Oppenheimer n’a pas été le seul descendant d’Ulysse, aimé
et haï lui aussi des dieux qui s’entredéchiraient. Au début du vingtième siècle, avec
la première guerre mondiale, les descendants d’Ulysse se muent au nom de croyances
diverses, et avec plus ou moins de talent, en serviteurs des dieux qui se combattent.
Même s’ils ne sont pas aussi puissants qu’eux, ils les dépassent en importance
puisque leur pensée influence et oriente les idées des dieux. Leurs innombrables
noms se fondent dans des mots tels que neutrons, parasites ou satellites. A l’époque
de l’infini de l’esprit, l’Odyssée représente le mythe qui nous est le plus proche. Or
Ulysse était guerrier, chef de clan ou roi, l’un des héros antiques.
2. Le pauvre écrivain Riccardo essaie de se faire de l’argent pour offrir à sa femme
Emilia une vie meilleure. Il doit écrire un scénario sur l’Odyssée pour un réalisateur
allemand qui vit à Capri. Pénélope et Ulysse, Riccardo et Emilia, les histoires de
couple s’entremêlent et montrent que l’amour aussi peut être soumis à la logique du
profit. Du moins quand il s’agit de survie. Riccardo comprend que Battista, le producteur du film, est le maître, et lui le serviteur, et qu’un serviteur a le droit de
tout faire, excepté une chose : refuser l’obéissance au maître. Il perçoit autre chose
aussi : que la tentative de se soustraire à l’autorité du maître par la ruse et la
flatterie est encore plus avilissante que l’obéissance inconditionnelle; bref, qu’avec
la signature qu’il a apposée au bas du contrat, il a vendu son âme au diable. Sans
compter la pire des punitions: le mépris de sa propre femme.
3. Journaliste ayant voyagé dans le monde entier, auteur de romans et homme politique, Alberto Moravia est entré tôt en conflit avec le régime fasciste de Mussolini
et avec le Vatican. Cela lui valut l’interdiction d’écrire et la perte de son travail.
Il se retira alors à Capri, où il vécut de 1941 à 1943. C’est là que, pour gagner de
l’argent, il commença à rédiger des scénarios. Les films pour lesquels il a écrit ont
été produits par le magnat du cinéma italien, Carlo Ponti, qui débutait à l’époque sa
carrière de producteur. Après la guerre, Moravia reprit son travail de journaliste et
se mit à rédiger également des pièces de théâtre, s’étant entretemps convaincu que
le théâtre était une meilleure forme de communication. Ces tentatives n’aboutirent
toutefois à aucun résultat. En 1954, il publia son premier roman intitulé « Il disprezzo » - « Le Mépris ». C’est le pschychodrame d’un intellectuel qui se vend, perd de
ce fait l’amour de sa femme et ne comprend pas le mépris qu’elle lui voue. Comme dans
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Cinéma Apollo
Pistes d’analyses, par Matthias Langhoff et Michel
Deutsch (suite)
toutes ses œuvres, le sexe et l’argent y jouent un rôle central. Moravia est considéré
comme l’un des représentants les plus significatifs du réalisme psychologique.
Le
Vatican a mis ses livres à l’index en raison de leur représentation sans fard de la
sexualité. L’antique Ulysse est dans le roman de Moravia un héros moderne qui vit
intensément son odyssée ou qui retarde son retour au pays par crainte de retrouver
sa femme Pénélope - restée attachée à une vision archaïque de la vie commune, car
elle n’a pas vécu la guerre. Les histoires de Moravia sur la vie des petites gens à
Rome - escrocs malins, malchanceux notoires, voleurs à la tire, fainéants, vieux garçons affamés de vie, vendeuses de fleurs et prostituées occasionnelles - ont mille
fois servi de modèle aux plus grands films néoréalistes. Aussi est-il lui-même devenu
partie intégrante d’un mythe des temps modernes : l’irruption supposée de l’art dans
la vérité.
4. Il y a plus de cinquante ans, Jean-Luc Godard tournait « Le Mépris » (d’après le
roman de Moravia). Riccardo et Emilia s’appellent maintenant Paul et Camille. Le réalisateur allemand, Rheingold, s’appelle quant à lui Fritz Lang et est effectivement
interprété par le célèbre réalisateur. Le film est un essai tout à la fois sur le cinéma
et ses mythes, sur Godard lui-même et ses producteurs, son public, le fait de faire
des films et sur la vie. Paul, interprété par Michel Piccoli, représente Godard. Mais
au centre de l’action se trouve un autre mythe, l’icône sexuelle Brigitte Bardot. Le
désir est le moteur de l’action et l’essence même du film. Sans désir ni illusion, il
ne peut y avoir de film. Ni pour les cinéastes, ni pour le public. La première scène
du film montre de façon choisie Brigitte Bardot nue. C’est une scène dont Godard ne
voulait pas, mais que son producteur a exigée de lui. Dans le film, le personnage
du producteur nommé Prokosh déclare en regardant la partie déjà tournée du film de
l’Odyssée : « O gods. I like gods, I like them very much. I know exactly how they feel. »
Les scènes dans lesquelles les déesses se baignent nues sont celles qui lui plaisent
le plus. Celle qui montre Brigitte Bardot nue est toujours le premier souvenir qui
revient à l’esprit des gens quand ils parlent du « Mépris ». Godard sait mieux que
quiconque l’importance du souvenir pour le septième art. Sa scène initiale est une
réminiscence sur le mode du rêve. Sans elle il n’y a pas mythe, juste du mensonge. Les
figures antiques de l’empire du mythe en tant que telles, Ulysse, Poséidon et d’autres
dieux, qui apparaissent sans commentaires, impressionnent par leur aspect énigmatique, étranger, de belles statues de pierre devant un ciel bleu infini : œuvres d’art
d’un temps passé, impossible à ressusciter. À la toute fin du film l’interprète d’Ulysse
apparaît, dos contre la camera, épée levée, face au grand large. La caméra le délaisse
pour fixer la mer sans fin et sans port ; sans but. Une voix dit : « Silencio ». L’odyssée
reste. Elle est le film. Elle est le visage du mythe Godard.
5. Dans « Cinéma Apollo », plus de vingt ans après la sortie du film « Il Ritorno di
Ulisse », Riccardo raconte à une vendeuse de pop-corn dans le foyer d’un cinéma d’art
qui projette ses films, le traumatisme de sa vie : la perte de sa femme, son incom6
Cinéma Apollo
Pistes d’analyses, par Matthias Langhoff et Michel
Deutsch (suite)
préhensible mépris envers lui et l’échec consécutif de sa carrière. C’est la dernière
séance et le cinéma est quasiment vide. La jeune vendeuse de pop-corn n’est attirée ni par le cinéma ni par le théâtre, mais elle s’intéresse à l’histoire grecque,
à Ulysse, à son rapport aux femmes et ses actes pendant la guerre de Troie. Cela a
quelque chose à voir avec sa vie et avec ses expériences. Riccardo espère attirer
son attention avec son lamento sur un film selon lui imprévisible et son amour pour
sa femme morte pendant le tournage. Ce qui lui manque c’est une nouvelle femme. Sa
tentative échoue lamentablement. Riccardo n’est pas un Ulysse, tout au plus l’un de
ses compagnons, un pauvre diable. Il s’en va, ridiculisé et furieux, la queue entre les
jambes. L’attaque du mythe d’Ulysse au travers d’une vendeuse de pop-corn renvoie à
l’épisode de la rencontre d’Ulysse et de Circé, avec la métamorphose de ses camarades
en porcs. Le poète Homère doit soit s’être vendu, soit avoir vraiment été frappé de
cécité. À une époque aussi barbare que le huitième siècle avant Jésus-Christ, pleine
de meurtres, de guerres antiques et de tyrannie, il faut avoir été aveugle pour chanter de façon aussi belle et envoûtante l’histoire des dieux et des héros. Ou bien
avoir été acheté pour mentir. Ulysse était un guerrier, un bourreau. Comment et pourquoi la sorcière Circé a-t-elle sur son ordre transformé ses compagnons en porcs,
nous l’ignorons. Mais qu’après avoir été violée par Ulysse elle ait finalement rendu
à ses compagnons leur forme humaine par amour pour lui. Le fait qu’elle l’ait aidé
à trouver le chemin du retour vers Pénélope semble être un pur fantasme masculin
comme on les connaît des journaux intimes de soldats allemands en Russie pendant la
guerre ou d’anthropologues aux idéologies racistes. Ces contes qui n’ont rien à voir
avec de vrais contes. Du reste l’île de Circé se trouvait presque à côté d’Ithaque.
Ulysse n’a pas fait son odyssée pour retrouver Pénélope, mais pour massacrer les prétendants qui en voulaient à son bien. C’est ainsi que sur le chemin du retour il se
retrouva tel qu’il avait toujours été, un bourreau. L’Ulysse moderne, Riccardo, perd
sa femme parce que la vénalité empêche cette dernière de lutter contre son amant.
6. Que la vendeuse de pop-corn exige de Riccardo de se transformer en porc s’il veut
obtenir quelque chose d’elle ne doit pas forcément être compris comme l’expression
de son mépris. De même, la métamorphose de Circé, transformant en porcs les bourreaux de Troie qui voulaient la dépouiller, signifie peut-être autre chose que le mépris que méritent ces incendiaires. Elle, qui ne vit sur cette île qu’avec des femmes
et de fiers animaux voit peut-être les choses autrement que nous ou qu’Homère. Le
philosophe et écrivain grec Plutarque né peu après Jésus-Christ s’oppose à l’enseignement d’Aristote selon lequel les animaux n’auraient pas accès au logos. Dans son
étonnant bref dialogue philosophique « Bruta animalia ratione uti », il mentionne le
célèbre épisode de Circé tiré du dixième livre de l’Odyssée. Recourant à la magie,
Circé avait transformé les hommes envoyés en reconnaissance par Ulysse en porcs.
Plus tard Ulysse parvient avec l’aide des dieux à libérer ses compagnons de leur
condition animale.
Au début du texte de Plutarque nous trouvons Circé et Ulysse discutant de la façon
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Cinéma Apollo
Pistes d’analyses, par Matthias Langhoff et Michel
Deutsch (fin)
dont il pourrait rendre leur aspect humain à ses compagnons. Circé déclare que c’est
aux porcs en question de prendre la décision. Elle supprime la barrière gênante de la
langue en prêtant voix humaine au porc Gryllos (« Grogneur »). Ulysse entame alors le
dialogue avec lui et il s’avère, à sa grande surprise, que le porc qui était autrefois
un homme n’aspire pas à retrouver sa forme humaine. Au contraire, il expose les nombreux avantages de la vie animale, qui tiennent essentiellement à ce que les animaux
soient totalement épargnés par la corruption humaine en matière de morale. Ce dialogue drôle et spirituel ne subsiste malheureusement qu’à l’état de fragment. Mais il
est fort probable qu’Ulysse ait dû admettre en fin de compte que le porc Grogneur lui
était supérieur. C’est le commencement réussi d’une dramaturgie « post antique ». Une
attaque contre des croyances trop longtemps suivies et contre les idées courantes
concernant le rapport homme-femme et les théories de la sexualité.
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Cinéma Apollo
Entretien avec Matthias Langhoff
[...] Comment êtes-vous arrivé à l’idée d’une réécriture théâtrale du roman de
Moravia, Le Mépris ?
Cinéma Apollo s’est construit de manière particulière, par une première commande
passée par un producteur qui voulait que je travaille avec l’acteur François Cluzet.
J’ai alors demandé à Michel Deutsch, dont la première préoccupation est le cinéma,
de concevoir avec moi un nouveau « Mépris ». Cette commande n’a pas abouti, mais nous
avons continué à travailler, sans penser vraiment à la question de la production.
J’ai beaucoup aimé le roman de Moravia et le film de Godard m’a énormément marqué.
Nous écrivons ce projet à quatre mains, nous pensons et construisons ce travail
ensemble.
Mais au final, c’est Deutsch qui est l’auteur de Cinéma Apollo, puisque j’écris en allemand et qu’ensuite il traduit en français.
Lorsqu’on imagine que vous collaborez avec Michel Deutsch, qui vient de publier
une somme impressionnante sur Heiner Müller et dont les plus récents travaux
scéniques sont liés à la « Rote Armee Fraktion », on se plaît à vous voir au travail
sur un sujet politique, sur l’Allemagne, sur Müller. Et on vous trouve affairés sur
une tragédie intime.
Ah ! mais cette tragédie intime est tout à fait politique. Je pense, ironiquement,
qu’elle concerne des artistes de gauche, comme Michel Deutsch et moi. Je travaille le
risque. Je ne peux pas imaginer un théâtre qui ne pose pas problème, qui n’ébranle
pas, qui ne soit pas engagé. Je viens d’une génération qui était pétrie de cela et qui
n’en avait pas peur du tout. Mais je suis aujourd’hui un dinosaure. Mes compagnons
les plus importants sont morts, Grüber, qui avait exactement mon âge, puis Pina, plus
jeune, et Chéreau, beaucoup plus jeune. Leur disparition laisse un grand vide en moi,
aussi bien au niveau personnel qu’artistique. Ce qui me conduit à continuer à travailler est l’idée que j’ai quelque chose à transmettre. J’ai eu la chance de m’entourer de nombreuses personnalités et d’artistes du XXe siècle. Il faut donc continuer
à être le facteur, le messager, continuer à faire passer des idées, des sensations.
[...] Dans votre réadaptation du Mépris, êtes-vous fidèle à Moravia ? Et à Godard ?
Curieusement, je crois que Le Mépris de Moravia et celui de Godard n’ont pas grand
chose à voir ensemble. Certes, c’est la même thématique, mais chaque œuvre est très
liée à son temps. Je trouve même que Godard n’a pas vraiment adapté Moravia. Et c’est
peut-être encore notre faiblesse, à ce stade du projet : nous devons nous rapprocher
davantage du roman. Il y a un élément fort dans le film par rapport au roman, c’est
la figure centrale. Bien sûr, il y a ce génial Piccoli jeune, bien sûr, il y a ce génial
Fritz Lang âgé. Mais le rôle principal, c’est Brigitte Bardot. Et même plus, le rôle
principal, c’est le derrière de Brigitte Bardot. Le derrière de BB comme thème de
cinéma ! Notre faute pour le moment, c’est que le rôle de la femme est trop secondaire.
Prenez le roman, il n’y a rien d’autre qu’un homme qui parle, mais qui n’évoque que la
femme qui l’a quitté. Chez Godard, le focus est essentiellement sur Ulysse et
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Cinéma Apollo
Entretien avec Matthias Langhoff (fin)
Pénélope. Nous allons plutôt prendre comme scène pivot de notre spectacle Circée et
les cochons.
[...] On parle d’une réédition du Rapport Langhoff publié par les Éditions Zoé en
1989, très beau texte sur le théâtre de la Comédie de Genève, et sur le théâtre
tout court. Est-ce pour bientôt ?
Il semble que la revue « Actualités de la scénographie » voudrait le rééditer et pourquoi pas avec deux autres textes que j’ai écrits sur l’architecture du théâtre : l’un
pour la Belgique, qui est publié, l’autre pour Rennes, qui n’est pas publié. Mais pour
l’instant, c’est en attente.
Qu’est-ce qu’un théâtre, selon vous ? Quelle en est sa fonction singulière ?
Par principe, le théâtre est politique. C’est le lieu où il est possible de réfléchir
sur l’humain et sur son environnement. Le scandale du monde est mon problème et
c’est sur la scène que je peux le transporter pour le triturer, l’examiner. Le théâtre
n’existe que dans l’instant : il n’y a rien avant, rien après. C’est un moment que vit le
public. Au plus haut temps de ma direction à Vidy, j’ai imposé de jouer cinq semaines
un spectacle. Nous faisions quatre coproductions par année, tout était répété sur le
lieu, ce qui faisait de ce théâtre une maison très vivante. L’idée était de jouer avec
le public, de l’inviter, de provoquer des mélanges. Et on a vu arriver la jeunesse
vaudoise, qui était en rupture de ban avec la bourgeoisie. Le Théâtre a organisé la
rencontre. En fait, nous faisions simplement notre travail théâtral, très calmement,
et cette rencontre s’est vraiment faite, dans la salle, pendant les représentations.
Je pense que les grands théâtres allemands sont toujours très conscients de cette
fonction-là. De ce rôle proprement politique : produire de la rencontre. Mais c’est
aussi peut-être leur faiblesse : ils ne font pas des spectacles, ils font de l’institutionnel.
Propos recueillis par Michèle Pralong, janvier 2014
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Cinéma Apollo
Le Mépris de Jean-Luc Godard
Le scénario du film raconté par Godard :
« Camille Javal est une jeune femme d’environ 27-28 ans, française, fixée à Rome depuis son mariage, il y a quelques années, avec Paul Javal. Camille est très belle, elle
ressemble un peu à l’Eve du tableau de Piero della Francesca, ses cheveux sont bruns
(lorsqu’elle porte une perruque uniquement). Paul Javal est un écrivain d’environ
35 ans qui a travaillé quelques fois pour le cinéma mais le travail de replâtrage
de L’Odyssée est le premier travail vraiment important qu’on lui confie. Ce film est
tourné à Cinecitta par Fritz Lang. Celui-ci pose sur le monde un regard lucide qui
sera la conscience du film, le trait d’union moral qui relie l’odyssée d’Ulysse à celle
de Camille et Paul. Cette Odyssée est bouleversée par Jérémie Prokosch, producteur
de films. Il ressemble un peu, au moral, au producteur de La Comtesse aux pieds nus, en
moins maladif, en plus coléreux et plus sarcastique. Comme beaucoup de producteurs,
il aime humilier et offenser ses employés ou amis et se comportera avec eux, avec
son entourage, en toute circonstance, comme un petit empereur romain notamment avec
Francesca, sa secrétaire de publicité, qui lui sert autant de secrétaire que d’esclave.
Camille monte dans la voiture de Jérémie Prokosch et le drame se noue dans un regard entre elle et son mari. Ils comprennent tous les deux la pensée qui a traversé
l’esprit de Camille : son mari l’a utilisée pour séduire le producteur. Les tentatives
maladroites de Paul pour chasser cette pensée fugitive condensent la méprise en
mépris.
Dans la seconde partie du film, l’équipe se retrouve à Capri pour le tournage. Là
encore, un geste anodin de Paul, une claque sur les fesses de Francesca entraîne
le drame. Camille aperçoit ce geste et Paul s’en aperçoit. Il imagine que Camille
s’imagine quelque chose, et tente de la persuader qu’il n’y a rien, ce qui est vrai,
et que Camille sait, puisqu’elle les regardait elle aussi sans intention précise,
qu’elle contemplait sans arrière-pensée. Mais Paul insiste tellement qu’il finit par
exaspérer Camille qui va s’enfuir avec Jérémie Prokosch. Leur voiture s’encastre sous
un camion. »
La question de l’adaptation
Godard, en adaptant Moravia, aura pour objectif de revenir à la matrice rossellinienne, d’où la longue scène de ménage de son film, en référence aux séquences thématiquement semblables de Voyage en Italie ; et plus encore, la présence de simulacres de statues des dieux filmées en longs panoramiques, comme étaient filmées les
magnifiques statues du Musée de Naples dans le film de Rossellini. Stylistiquement,
Godard opte pour Rossellini contre Antonioni, c’est-à-dire pour une écriture à la
fois réaliste et lyrique, fondée sur la liberté de jeu de l’acteur. C’est dans ce sens
qu’il faut comprendre les célèbres aphorismes de l’auteur lorsqu’il déclarait : « J’ai
gardé la matière principale [du roman] et simplement transformé quelques détails en
partant du principe que ce qui est filmé est automatiquement différent de ce qui est
écrit, donc original [phrase attribuée à Lang dans le film]. [...] Quelques détails,
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Cinéma Apollo
Le Mépris de Jean-Luc Godard (suite)
ai-je dit, par exemple, la transformation du héros qui, du livre à l’écran, passe de la
fausse aventure à la vraie, de la veulerie antonionienne à la dignité laramiesque. »
(Godard, 1963)
Dans la présentation de son scénario, Godard développe ses principes de mise en
scène et conclut : « On obtiendra ainsi, je l’espère, les sentiments personnels des
personnages par rapport au monde et aux autres – ce sentiment physique que l’on a de
son existence en face d’autrui – et on obtiendra en même temps la vérité externe de
leurs faits et gestes, de leurs rapports entre eux, bref, de leur histoire ou aventure.
En somme, ce qu’il s’agit de faire, c’est de réussir un film d’Antonioni, c’est-à-dire
de le tourner comme un film de Hawks ou de Hitchcock. »
Le Mépris de Moravia se présente comme un récit introspectif écrit à la première personne. Il est divisé en vingt-trois chapitres courts, nombre qui correspond d’ailleurs
à celui des séquences d’un film de structure classique – rappelons que Godard avait
indiqué à Carlo Ponti qu’il envisageait d’adapter le roman chapitre par chapitre. Ces
vingt-trois chapitres se distribuent en deux grandes parties sensiblement égales : la
première à Rome dure neuf mois, d’octobre à juin, et englobe deux années de rappels
du passé du couple, la seconde à Capri dure trois jours et deux nuits. Les onze premiers chapitres adoptent une écriture logico-psychologique, de caractère déductif
et analytique ; la seconde est beaucoup plus métaphysique et fantasmatique. De ces
passages oniriques, il ne reste dans le film que le plan où l’on voit Paul assoupi, et
écoutant comme dans un rêve la voix de Camille lui lire son message d’adieu.
Le narrateur Richard Molteni se présente ainsi : « Jusqu’alors, je m’étais considéré
comme un intellectuel, un homme cultivé et un écrivain de théâtre, genre d’art pour
lequel j’avais toujours nourri une grande passion et auquel je croyais être porté par
une vocation innée » (chap. 3). Après avoir décidé l’achat d’un appartement à crédit,
il rencontre providentiellement Battista, un producteur italien de films commerciaux.
Molteni accepte de travailler pour lui pour des raisons alimentaires : « J’espérais
faire quatre ou cinq scénarios pour payer notre appartement et puis revenir ensuite
au journalisme et à mon cher théâtre. » Ce n’est qu’au huitième chapitre, après 80
pages de récit au cours desquelles Molteni remanie deux scénarios, qu’il se voit
proposer par Battista une collaboration avec un réalisateur allemand, Rheingold,
pour une production historique plus ambitieuse, une adaptation à grand spectacle
de l’Odyssée.
Le récit de Moravia s’étale donc sur plusieurs mois. Il est centré sur la dégradation
progressive du couple Richard- Emilie (nom de la femme chez Moravia), dégradation
décrite par de longs développements analytiques manifestant une certaine complaisance du narrateur, ce que sans doute Godard qualifie de « veulerie antonionienne ».
Les discussions sur l’état du cinéma occupent une part assez modeste dans la première partie. Dans la seconde, à Capri, de longs débats théoriques opposent Rhein-
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Cinéma Apollo
Le Mépris de Jean-Luc Godard (suite)
gold à Molteni. Le réalisateur allemand défend une interprétation de caractère psychanalytique du retard du retour d’Ulysse, alors que Molteni s’y oppose violemment
au nom d’une fidélité intransigeante au modèle homérique. Mais cette lecture de
l’Odyssée influence petit à petit le narrateur qui rapproche sa situation conjugale de
celle du couple homérique, transformant Emilie en figure de Pénélope. Godard inverse
les thèses des deux personnages, offrant au réalisateur Fritz Lang le bénéfice de la
fidélité à la version classique.
L’adaptation opérée par Godard reprend les principaux épisodes narratifs du récit
initial. La plupart des scènes clefs figurent chez Moravia : l’épisode de la voiture
rouge de Battista qui véhicule deux fois Emilie, au début du récit pendant que
Molteni va prendre un taxi, puis lors du départ à Capri, au cours duquel Molteni
escorte Rheingold pendant que Battista fait le trajet avec sa femme.
Mais Godard se livre à plusieurs modifications fondamentales :
1. Il condense le récit en deux journées, la première à Rome, la seconde à Capri. Les
événements s’enchaînent inexorablement avec beaucoup plus de brutalité, transformant la structure romanesque en tragédie.
2. Il modifie complètement la nationalité des protagonistes. L’action est toujours
située à Rome et à Capri, mais le seul personnage italien sera celui de la traductrice, que Godard crée de toutes pièces, à partir de la silhouette fugitive d’une
secrétaire qu’embrasse Molteni dans le roman (Francesca Vanini, au patronyme stendhalorossellinien pour afficher ses références – Vanina Vanini, nouvelle de Stendhal
adaptée par Rossellini). Certes, le cinéaste est toujours allemand, mais Rheingold,
qui possédait quelques traits de G.W. Pabst chez Moravia, devient Fritz Lang, qui interprète son propre rôle. Battista, figure de Carlo Ponti chez Moravia, devient Jeremy
Prokosch, producteur américain de la génération des années 50, celle des fossoyeurs
du vieil Hollywood. Richard et Emilie ne sont plus Italiens mais Français, vivant à
Rome « depuis leur mariage » précise le scénario ; « ce mariage s’est effectué après
quelques semaines de vacances romaines de Camille ». Riccardo est rebaptisé Paul, et
Emilie sera Camille, le patronyme Molteni devenant Javal.
3. Godard attribue donc à Lang la thèse de la fidélité à Homère et fait du scénaristeadaptateur le complice du producteur dans son opération de commercialisation spectaculaire de l’épopée, transformée en drame passionnel à ressort psychanalytique
(dans une version très hollywoodienne des thèses de Freud, partiellement reprise
de l’adaptation à la base du scénario du film de Camerini). Il ajoute des références
culturelles nouvelles, notamment à Holderlin, tout en gardant celles que Moravia
proposait concernant Dante et Homère, bien évidemment. Il supprime toutefois celles
qui concernent Pétrarque dont le Canzoniere structure tout le récit moravien et
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Cinéma Apollo
Le Mépris de Jean-Luc Godard (fin)
Giacomo Leopardi dont certains poèmes sont cités implicitement par Moravia, mais
aussi James Joyce (Ulysse, cela va de soi) et O’Neill (Le deuil sied à Électre) dont
discutent Rheingold et Molteni. Godard apportera surtout au film toutes les références à l’histoire classique du cinéma (Griffith, Chaplin, les Artistes Associés)
et à la situation de l’industrie du cinéma au moment où se déroule la fiction : chez
Moravia au milieu des années 50, avec une certaine indétermination ; chez Godard,
très précisément au printemps 1963, après la sortie commerciale de Psychose, Hatari !
et Vanina Vanini.
4. Dans le roman, Molteni est appelé par Battista pour élaborer avec Rheingold un
projet de scénario adaptant l’Odyssée. Le film ne sera toujours pas commencé à la fin
du roman, après la mort d’Emilie. Battista survit au récit alors que Godard fait mourir Prokosch avec Camille. Dans le film de Godard, Lang est en cours de tournage ; il
visionne des rushes d’épisodes déjà enregistrés. Paul est appelé par Prokosch pour
remanier le scénario d’un film déjà commencé, à la suite d’un conflit violent entre un
auteur-réalisateur et un producteur tyrannique. Le roman d’un scénario devient le
film d’un tournage. Ce tournage permet à l’auteur de représenter une équipe de réalisation au travail et de s’attribuer un rôle d’assistant du metteur en scène : « Il ne
s’agit plus dans le film, d’un futur scénario auquel Paul doit participer, ou qu’il doit
écrire seul, mais d’un film déjà presque terminé, dont le producteur n’est pas content,
et dont il voudrait faire retourner quelques séquences. De voir quelques-unes de ces
séquences, ou celles déjà tournées, donnera plus de « crédibilité » au « fait odysséen »
et à son influence sur notre histoire. Ceci est important également quant au caractère
de Paul puisque, contrairement au roman, il va défendre une conception romantique
et nordique de l’Odyssée, il ne sera pas forcé d’y croire vraiment, mais il semblera
logique qu’il le fasse, par désir de briller devant les autres, de s’affirmer. » (Godard,
Scénario du Mépris, 1963)
d’après Michel MARIE – le Mépris – Nathan, Synopsis, 1990
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Cinéma Apollo
L’Odyssée - Chant X - extrait
(…)
210
Ils [Euryloque et ses 23 compagnons] découvrirent dans un val, en un lieu dégagé,
La maison de Circé avec ses murs de pierres lisses.
Atour se tenaient des lions et des loups de montagne,
Que la déesse avait charmés par ses drogues funestes.
Mais loin de sauter sur mes gens, les fauves se levèrent
215
Et vinrent les flatter en agitant leurs longues queues.
Comme l’on voit des chiens flatter leur maître quand il rentre
D’un festin, car il a toujours pour eux quelques douceurs :
Ainsi lions et loups griffus flattaient mes compagnons,
Qui tremblaient de frayeur en voyant ces monstres terribles.
220
Arrivés sous l’auvent de la déesse aux belles boucles,
Ils entendent Circé chanter dedans à pleine voix
Et tisser une toile aussi divine que le sont
Les beaux et fins gracieux ouvrages des déesses.
Le premier qui parla fut Politès, chef des guerriers ;
225
De tous mes gens, c’était le plus cher et le plus sensé :
« Amis, quelqu’un tisse une grande toile, là-dedan,
Et chante un si beau chant que tout le sol en retentit.
Est-ce une femme, une déesse ? appelons-la bien vite ! »
A ces mots, ils se mirent tous à crier leur appel.
230
Circé sortit en hâte, ouvrit la porte scintillante
Et les pria d’entrer ; et tous ces grands fous de la suivre !
Euryloque resta dehors, ayant flairé l’embûche.
Elle les conduisit vers les sièges et les fauteuils ;
Puis, leur ayant battu fromage, farine et miel vert
235
Dans un vin de Pramnos, elle versa dans ce mélange
Un philtre qui devait leur faire oublier la patrie,
Le leur servit à boire et, les frappant de sa baguette,
Alla les enfermer au fond de son étable à porcs.
De ces porcs ils avaient la têt et la voix et les soies
240
Et le corps, mais l’esprit, en eux, était resté le même.
Ainsi parqués, ils pleurnichaient, cependant que Circé
Leur jetait à tous à manger glands, faînes et cornouilles,
Qui sont la pâture ordinaire aux cochons qui se vautrent.
Euryloque accourut en hâte au noir vaisseau rapide
245
Nous informer du triste sort qu’avaient subi les siens.
Mais malgré son envie, il ne pouvait dire un seul mot,
Tant le chagrin l’avait brisé ; ses yeux se remplissaient
De larmes, et son cœur ne pensait plus qu’à sangloter.
Mais lorsque, stupéfaits, nous l’eûmes tous interrogé,
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Cinéma Apollo
L’Odyssée - Chant X - extrait (fin)
250
Il finit par nous raconter la perte de ses gens :
« Nous avions, sur ton ordre, atteint les chênes, noble Ulysse,
Lorsque, au fond d’un vallon, nous trouvâmes un beau palais,
Bâti de pierres lisses, dans un étroit découvert.
Là, tissant au métier, quelqu’un chantait à pleine voix,
255
Femme ou déesse. Alors nous criâmes notre appel.
Elle sortit en hâte, ouvrit la porte scintillante
Et nous pria d’entrer, et tous ces grands fous de la suivre !
Moi seul j’étais resté dehors, ayant flairé l’embûche.
La troupe entière a disparu, aucun n’est ressorti ;
260
Pourtant je suis resté longtemps à guetter leur venue. »
Alors, accrochant sur mon dos mon grand glaive de bronze,
Garni de clous d’argent, ainsi que mon arc et mes flèches,
J’invitai Euryloque à me guider jusque là-bas.
Mais lui, prenant à deux mains mes genoux, me supplia
265
Et dit ces mots ailés, entrecoupés de lourds sanglots :
« Ne m’y oblige pas, enfant de Zeus ; repars sans moi.
Je sais que tu pourras revenir ni ramener
Aucun des tiens. Ah ! fuyons au plus vite avec les autres ;
De la sorte on échappera peut-être au jour fatal. »
270
À ces mots, je pris la parole et je lui répondis :
« Reste ici donc, Euryloque, à l’endroit où tu es,
À boire et à manger au flanc de notre noir vaisseau.
Moi, je m’en vais, car le devoir impérieux m’appelle. »
Sur ce, je m’éloignai de mon navire et de la mer.
(…)
Traudction Frédéric Mugler aux éditions Babel
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Cinéma Apollo
Scénographie
© Matthias Steffen
© Matthias Steffen
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Cinéma Apollo
Scénographie (suite)
© Nicolas Pilet
© Nicolas Pilet
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Cinéma Apollo
Scénographie (fin)
© Nicolas Pilet
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Cinéma Apollo
Biographies
Auteur dramatique, poète, essayiste, traducteur, scénariste et metteur en scène français, Michel Deutsch est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages. Il est aussi connu
pour ses traductions de nombreux romans de science-fiction et de plusieurs romans
policiers dans la Série noire. Ses pièces de théâtre – traduites et jouées dans de
nombreux pays – ont notamment été montées par Jean-Pierre Vincent (La Bonne Vie,
Théâtre national de Strasbourg, 1976 ; Convoi et Ruines, Théâtre national de Strasbourg, 198O), Jean-Louis Hourdin, Georges Lavaudant (Féroé la nuit, TNP Villeurbanne, 1989), Alain Françon (Skinner, Théâtre national de la Colline, 2OO2). Parmi
celles qu’il a récemment lui-même mises en scène, on peut citer La Décennie rouge
(Théâtre national de la Colline, 2OO7) et La Chinoise 2O13 (Saint-Gervais, 2O13).
« Depuis que je fais du théâtre mon travail, écrit-il, mes pièces et mes spectacles
ont toujours questionné l’Histoire et la politique – du “ Théâtre du Quotidien ” (avec
Michèle Foucher et Jean-Paul Wenzel), à la Tragédie grecque (avec Philippe LacoueLabarthe), au cabaret politique (avec André Wilms et Angela Winkler), aux pièces de
Heiner Müller. »
Matthias Langhoff, né en 1941 à Zurich, est un metteur en scène franco-allemand,
ancien directeur du Théâtre de Vidy-Lausanne et ancien codirecteur du Berliner
Ensemble. Avec Manfred Karge, il se consacre tôt à la mise en scène. Le tandem KargeLanghoff monte alors, pendant une vingtaine d’années, des spectacles remarqués dans
les deux Allemagne et dans de nombreuses villes d’Europe pour leur nouveauté fondée
sur un éclairage brutal et violent de l’Histoire. Ainsi, en 1984, leur vision du Prince
de Hombourg de Kleist au Festival d’Avignon surprend-elle par la violence de sa
dénonciation de l’idéologie militaire. Les deux artistes se séparent en 1985. S’étant
d’abord exilé en Suisse, Langhoff s’installe en France où il obtient la nationalité
française en 1995. Il poursuit son style provocateur et dynamique qui rompt avec les
conventions, relie les classiques à l’actualité en multipliant les références entre
hier et aujourd’hui, refuse le bon goût en cultivant la brutalité du jeu et en créant
souvent lui-même des scénographies complexes où se superposent différents niveaux :
images réelles, images virtuelles, objets hétéroclites... Nombreuses sont ses mises en
scène qui ont fait date dans l’histoire du théâtre, celles qu’il a signées avec Manfred Karge (La Bataille de Müller, Le Prince de Hombourg de Kleist), mais aussi celles
qu’il a réalisées depuis le milieu des années 8O (Mademoiselle Julie de Strindberg à
la Comédie de Genève, La Mission de Müller, Un Hamlet-Cabaret d’après Shakespeare).
Il est membre de l’Académie des arts de Berlin depuis 1992 et officier de la Légion
d’honneur.
Formé tout d’abord en Lettres et Arts du spectacle à Paris, puis à l’Institut National
Supérieur des Arts du Spectacle en mise en scène à Bruxelles entre 2002 et 2007,
Caspar Langhoff a tout d’abord créé Preparadise Sorry Now de R.W. Fassbinder. Artiste
polyvalent, en plus de ses mises en scène (Sur la Grand’route d’Anton Tchekhov, Violence ornihorynque d’après Heiner Müller, ), il travaille également comme comédien
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Cinéma Apollo
Biographies (fin)
(Hamlet dirigé par sébastien Monfe), régisseur, coordinateur technique, éclairagiste
(La Noce chez les petits bourgeois, La puce à l’oreille, After After, Riquet Factory, Eden,
eden, eden, Class Enemy et Woyzeck mis en scène par Fabrice Imbert), puis même comme
réalisateur pour un documentaire au Sénégal. En 2012, il met en scène la pièce Des
Gouttes sur une Pierre Brûlante. Les années suivantes il se dédie au à la création
lumière et à la scénographie de différents spectacles, dont Moi, Oreste, ayant égorgé
ma mère..., Pylade (2012-2013), After The Walls (Utopia), La Course et Michel Dupont
(2013-2014).
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Cinéma Apollo
Extrait
RICCARDO – Dans l’Odyssée Circé est qualifié de thea, c’est-à-dire de déesse, par
Homère. Circé vit avec quelques servantes sur une île couronnée de bois et d’épaisses
chênaies, l’île de Aiaié. Ses drogues et ses sortilèges étaient célèbres et redoutés.
Ulysse pendant sa folle odyssée, après qu’il eut perdu tous ses navires et qu’un
grand nombre de marins furent massacrés par les Lestrygons, accosta sur l’île. Là,
le rusé, l’inventif Ulysse, ordonna à son équipage affamé d’assaillir le temple de
Circé afin de s’emparer de la nourriture, des trésors et de l’or qui s’y trouvent en
abondance. Mais la magicienne échappa à l’attaque et changea les hommes en porcs.
Avec l’aide d’Hermès, Ulysse déjoua cependant les drogues et les sortilèges de Circé
et, la menaçant de son glaive, l’obligea à libérer ses compagnons. Il avait résisté
à ses sortilèges mais succomba à son art de la séduction. Ulysse s’installe, se met
en ménage et se croît au club Méditerranée. Une année s’écoule alors dans le repos,
l’abondance et les plaisirs. Mais ses compagnons s’impatientent. Ils veulent retourner chez eux. Cédant à leurs exhortations, le fils de Laërce, le divin Ulysse enfin se
décide à rentrer à Ithaque. C’est ce qu’a raconté Homère et toute la Grèce l’a cru. Une
séquence qui semble avoir été imaginée pour le cinéma. Circé, la divine ménagère
(Hausfrau) renonçant au mépris qu’elle porte à la sauvagerie des hommes se donne
au héros de la bande et prétend le rendre heureux. Est-ce cela la figure du divin ?
L’ennui, l’ennui.
LA FILLE – Pourquoi l’ennui ? Pourquoi pas le divin ? Madame suit les souhaits des
dieux.
RICCARDO – Aha ! Féministe !
LA FILLE – Conneries ! Vous me prenez sans doute pour une idiote. Mais l’Odyssée et
Homère... L’Histoire de la Grèce antique je la connais aussi.
RICCARDO –Rassurez-moi, vous l’avez étudié en même temps que l’art de bouffer et de
vendre du pop-corn ?
LA FILLE – Très drôle ! Mais apprenez, Monsieur le scénariste, qu’il existe d’autres
chroniques sur la liaison entre Circé et Ulysse le conquérant de Troie. D’après
celles-ci Circé, à la suite de ses amours avec Ulysse, devint la mère de trois fils.
L’aîné s’appelait Telemonos ou un nom dans ce genre. Circé l’envoya à la recherche de
son père qui était retourné depuis longtemps dans sa famille à Ithaque. À son arrivé
Telemonos entreprit de piller l’île. Ulysse, avec son autre fils, celui qu’il avait eu
de Pénélope, défendit sa ville. Dans la bataille Telemonos tua son père avec l’épine
d’un Stachelrochen. Il emporta le corps du vaincu et son demi-frère, le fils légitime
du Rambo antique, à Aiaia, ainsi que Pénélope, la mère et veuve éplorée, qu’il prit
pour épouse. Lorsque Circé la magnifique apprit la mort d’Ulysse, elle jeta Telemonos
en pâture aux sangliers et se maria avec le petit cadeau, le fils de Pénélope. Cette
histoire est racontée dans la Théogonie, une autre épopée grecque, plus ancienne que
celle d’Homère mais malheureusement perdue.
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