L`IRONIE DU CLIMAT

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L’IRONIE DU CLIMAT
Les archéologues pensent qu’un changement dans le climat de la planète il y a
plusieurs milliers d’années a pu permettre le développement de l’agriculture.
Maintenant, le réchauffement de la planète pourrait marquer la fin de l’agriculture
telle que nous la connaissons.
Brian Halweil
Une nouvelle maladie a envahi les champs de pommes de terres de la ville de
Chacllabamba, sur les hauteurs des Andes péruviennes. Un climat plus chaud
et plus humide dû au réchauffement planétaire a permis au mildiou - le même
champignon responsable de la grande famine irlandaise - de se développer à 4000
mètres d’altitude pour la première fois depuis que les humains ont commencé
N°20 : Climat et agriculture : quels enseignements tirer du passé?
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à cultiver la pomme de terre ici, il y a des milliers d’années. En 2003, les cultivateurs de Chacllabamba ont vu leurs récoltes de pommes de terres indigènes
presque entièrement détruites. Les sélectionneurs se précipitent pour développer
un tubercule résistant à la « nouvelle » maladie et qui garde le goût, la texture et
les qualités appréciées des populations andines.
Dans le même temps, dans le conté d’Holmes, au Kansas, les anciens ne savent
plus où donner de la tête. D’un côté, les étés et les hivers sont plus chauds, ce
qui veut dire moins de neige, donc moins d’eau emmagasinée dans les champs à
la fonte des neiges au printemps. D’un autre côté, il y a plus de pluie, mais elle
tombe plus tôt, au printemps, au lieu de tomber en été pendant la croissance des
cultures. Les cultures sont donc desséchées au moment où elles ont le plus besoin
d’eau. Selon les climatologues de l’Etat, il est trop tôt pour dire exactement quel
sera l’effet de ces changements - si les fermiers pourront faire pousser du blé et
du maïs sur des terres autrefois incultivables ou si les températures plus élevées
transformeront une fois encore les champs de céréales du Kansas en désert de
poussière. Quoi qu’il arrive, cela sera une surprise pour la génération actuelle de
cultivateurs.
Les agriculteurs asiatiques doivent eux aussi faire face à leurs propres problèmes
climatiques. Dans les rizières non irrigués et les champs de blé d’Asie, l’existence
de millions d’individus dépend de la mousson. Cependant, la régularité de la
mousson est de plus en plus mise en doute. Les manifestations d’El Niño (le
réchauffement cyclique des eaux de surfaces dans l’est de l’Océan Pacifique) par
exemple, correspondent fréquemment à une mousson plus faible et il est probable
qu’El Niño prendra de l’ampleur avec le réchauffement de la planète. Durant la
sécheresse de 1997 provoquée par El Niño, les cultivateurs de riz indonésiens ont
dû pomper l’eau des marais proches de leurs champs, mais les pertes de nourriture
ont été néanmoins importantes : 55 % du maïs sur sol aride et 41 % du maïs sur
sol humide, 34 % du riz de zones humides et 19 % du manioc. La sécheresse de
1997 a été suivie d’un hiver particulièrement humide qui a décalé le semis de
deux mois dans certaines régions et entraîné d’importantes invasions de rats et
de sauterelles. Selon Bambang Irawan, du Centre Indonésien de Recherche et
Développement Socio-économique Agricole, à Bogor, cette succession de mauvai-
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ses récoltes a forcé de nombreuses familles à manger moins de riz et à se tourner
vers le manioc séché, alternative beaucoup moins nourrissante. D’après Irawan,
certains fermiers ont dû vendre leurs bijoux et leur bétail, aller travailler hors
de leur ferme ou emprunter de l’argent pour acheter du riz. Il est probable que
cette situation se répète à l’avenir : « Si un réchauffement climatique substantiel se
produit, la mousson subira sans aucun doute de sérieuses modifications » prévient
David Rhind, climatologue au Goddard Institute for Space Studies de la NASA.
Les archéologues pensent que la transition vers un climat plus chaud, plus
humide et plus stable à la fin de la dernière ère glaciaire a été la clé du succès de
l’humanité en ce qui concerne la production alimentaire. Cependant, des plaines
céréalières américaines aux plaines du nord de la Chine, en passant par les champs
du sud de l’Afrique, les agriculteurs et les spécialistes du climat constatent que
les tendances ancestrales de précipitations et de températures sont en train de
changer. L’agriculture est peut être l’activité humaine qui dépend le plus d’un
climat stable - et par conséquent le secteur qui devra le plus lutter pour faire face
à un climat plus imprévisible, à des tempêtes sévères et à une modification de la
longueur des saisons de croissance. Alors que certains optimistes prédisent des
saisons plus longues et des récoltes plus abondantes à mesure que le climat se
réchauffe, les agriculteurs récoltent surtout des surprises.
du niveau de dioxyde de carbone et une légère augmentation de la température
stimulaient la germination des graines et donnaient des plantes plus grosses
et plus riches, des températures plus élevées se révélaient mortelles quand les
plantes commençaient à produire du pollen. Chaque étape du processus - le
transfert du pollen, la croissance du tube qui relie le pollen à la graine et la
viabilité du pollen lui-même - est particulièrement sensible. « Si la pollinisation
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VERS LES RÉGIONS (CLIMATIQUES) INCONNUES
Hartwell Allen, chercheur à l’université de Floride à Gainesville et au département de l’agriculture américain, fait pousser depuis deux décennies du riz, du
soja et des arachides dans des chambres de plastiques semblables à des serres
qui lui permettent de jouer à dieu. Il peut y contrôler - « assez précisément » la température, l’humidité et le niveau de carbone dans l’atmosphère. « Nous
faisons pousser les plantes en suivant des cycles de température maximum/minimum journalier qui imitent les cycles naturels » explique Allen. Son laboratoire
a essayé des régimes de 28 C° le jour/18 C° la nuit, 32/22, 36/26, 40/30 et
44/34. « Nous avons poussé une expérience jusqu’à 48/38, et très peu de plantes
ont survécu », précise-t-il. Allen à découvert que si une multiplication par deux
Une famille doit enlever le sable soufflé par le vent dans ses champs avant de pouvoir
planter.
échoue, c’est tout ou rien » note Allen. Durant la pollinisation, la production
d’arachide baisse de 6 % par degré de température supérieur à 36 C° Allen est
particulièrement inquiet à propos des implications que cela peut avoir dans
des régions comme l’Inde ou l’Afrique de l’Ouest, où les cacahouètes sont une
part essentielle de l’alimentation et où les températures pendant la saison de
croissance sont déjà bien supérieures à 32 C° : « Dans ces régions, les cultures
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sont principalement irriguées par la pluie. Si le réchauffement de la planète
provoque en plus des sécheresses dans ces régions, les récoltes seront encore
plus mauvaises. »
Alors que les spécialistes des plantes améliorent leur compréhension des changements climatiques et des façons subtiles par lesquelles les plantes réagissent,
ils commencent à penser que les menaces les plus sérieuses pour l’agriculture ne
seront pas les plus visibles : vague de chaleur fatale, grave sécheresse ou déluge sans
fin. Au lieu de cela, pour des plantes que les humains ont adapté à des conditions
climatiques spécifiques, ce sont les subtils changements de températures et de
précipitations pendant les périodes clés du cycle de vie des cultures qui sont les
plus déstabilisateurs. Déjà aujourd’hui, les pertes dues aux variations climatiques
sont sensiblement plus importantes que celles causées par des désastres comme
les ouragans ou les inondations.
John Sheehy, de l’Institut International de Recherches sur le Riz, à Manille, a
découvert que les principales cultures céréalières du monde commençaient à être
endommagées quand les températures dépassaient 30 C° durant la floraison. A
environ 40 C°, les productions sont réduites à néant. « Les productions de riz,
de blé et de maïs peuvent décliner de 10% par degré Celsius d’augmentation à
partir de 30 C°. Nous sommes très proches de ce seuil, s’il n’est pas déjà atteint »
a déclaré Sheehy, qui a noté des dégâts réguliers dus à la chaleur au Cambodge,
en Inde et dans son propre centre des Philippines, où la température moyenne a
augmenté de 2,5 C° en 50 ans. Des températures nocturnes plus élevées imposent
une plus grande dépense d’énergie aux plantes pour respirer, leur laissant moins de
ressource pour produire des grains. Sheehy estime que la production céréalière sous
les tropiques pourrait chuter dans des proportions allant jusqu’à 30 % ces 50 prochaines années, période sur laquelle la population déjà mal nourrie de cette région
devrait augmenter de 44%. (Sheehy et ses collèges envisagent comme solution
potentielle de faire fleurir le riz et les autres cultures tôt le matin ou la nuit pour
que le processus sensible ne se déroule pas pendant le moment le plus chaud de la
journée. «Mais nous n’avons pas réussi à avoir de vrais financements pour ce travail»
déplore-t-il.) La plupart des plantes peuvent résister jusqu’à un certain point aux
changements de température, mais depuis les débuts de l’agriculture, les fermiers
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Les tempêtes bouchent également les puits, et parfois, le seul moyen de les déboucher
est d’y plonger et creuser.
ont sélectionné des plantes qui se développent dans des conditions stables.
Cependant, en consultant leurs modélisations du climat sur ordinateur, les
climatologues voient tout sauf de la stabilité. A mesure que les gaz à effet de
serre emprisonnent plus de chaleur solaire dans l’atmosphère terrestre 1, il y
a également plus d’énergie dans le système climatique, ce qui engendre des
changements plus extrêmes - sec à humide, chaud à froid. (C’est pour cette
raison qu’il peut encore y avoir des hivers rigoureux sur une planète qui se
réchauffe ou que le mois de mars 2004 a été le troisième plus chaud jamais
enregistré, après l’un des hivers les plus froids.) Parmis les impacts prévus que
les climatologues ont déjà pu observer dans de nombreuses régions on peut
noter : des températures maximales plus hautes et de plus nombreux jours de
chaleur, des températures minimales plus hautes et moins de jours de froid, des
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précipitations plus extrêmes et plus variables et des étés plus secs et des risques
plus élevés de sécheresse dans les zones continentales. Toutes ces conditions vont
probablement s’aggraver au cours de ce siècle.
Cynthia Rosenzweig, chercheur à l’Institut Spatial Goddart de l’Université
de Columbia, affirme que même si les techniques de modélisation du climat
pourront toujours être améliorées, certains changements peuvent déjà être
prévus assez sûrement. Premièrement, la majorité des études indiquent « une
intensification du cycle hydrologique », ce qui signifie principalement plus de
sécheresses et d’inondations et des précipitations plus extrêmes et plus variables.
Deuxièmement, selon Rosenzweig, « quasiment toutes les études ont démontré
qu’il y aurait une augmentation des organismes nuisibles pour les plantes. » Des
saisons de croissance plus longues signifient plus d’organismes nuisibles pendant
l’été et des hivers plus courts et moins froids permettent à plus d’adultes, de larves
et d’œufs de survivre.
Troisièmement, la majorité des climatologues s’accordent à dire que les changements climatiques frapperont plus durement les agriculteurs des pays en voie de
développement. Cela est dû en partie à la géographie. Les agriculteurs des tropiques
se trouvent déjà proches des limites de températures pour la majorité des cultures
les plus importantes, il est donc probable qu’un réchauffement les pousse au-delà de
ces limites. «Une augmentation de température, aussi petite soit-elle, entraînera une
baisse de la production» a déclaré Robert Watson, chercheur en chef à la Banque
Mondiale et ancien président du Panel Intergouvernemental sur les Changements
Climatiques. «Des études ont régulièrement démontré que les régions agricoles des
pays en voie de développement étaient plus vulnérables, avant même de prendre
en considération les difficultés de ces pays à faire face» dues à la pauvreté, à des
technologies d’irrigation plus limitées et à une absence de systèmes de prévision
météorologique. «Si on prend en compte les stratégies mises en place pour faire face
aux changements climatiques, on se retrouve face à un double problème» a déclaré
Rosenzweig. En Afrique subsaharienne - la région du monde la plus touchée par la
famine, où le nombre de gens touchés a doublé ces 20 dernières années - la situation
actuelle sera sans doutes exacerbée par la crise climatique. (Et, selon Watson, les
prévisions indiquent que d’ici 2080, même les latitudes tempérées commenceront
à approcher la limite supérieure de température pour une production optimale.)
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FAIRE FACE AU CHANGEMENT
« Cela pourrait prendre des décennies pour que les scientifiques soit
sûrs qu’il y a bien un changement de climat » a déclaré Patrick
Luganda, président du Réseau
des Journalistes du Climat dans
la corne de l’Afrique. « Mais sur
Les tempêtes de poussière enterrent les poteaux le terrain, les agriculteurs n’ont
électriques, il est alors plus facile de prolonger pas d’autre choix que de faire face
le poteau que de le déterrer. Les extensions aux réalités quotidiennes du mieux
sont laissées en place jusqu’à la formation de
qu’ils peuvent. » Selon Luganda, les
la prochaine dune.
communautés agricoles ougandaise
pouvaient encore, il y a quelques années, déterminer le début et la fin des pluies
avec une certaine précision. « De nos jours, il n’y a aucune garantie que les longues
pluies vont commencer ou s’arrêter au moment habituel » observe-t-il. Le peuple
Ateso dans le nord de l’Ouganda central a rapporté la disparition de l’asisinit, une
herbe des marais utilisée pour les toits des maisons pour ses qualités esthétiques et
sa résistance. Cette herbe est de plus en plus rare dans la mesure où les fermiers ont
commencé à planter du riz et du millet dans les zones marécageuses en réponses
aux sécheresses de plus en plus fréquentes. (Les riziculteurs indonésiens ont fait
de même face à la sécheresse.) Les fermiers ont également commencé à semer une
plus grande variété de cultures pour échelonner leurs plantations afin de répartir
les risques face à des changements de climats abrupts. Luganda a ajouté que les
mauvaises récoltes à répétition avaient poussé de nombreux fermiers à fuir vers
les centres urbains en dernier recours.
A cause des nombreuses variables qui y sont associées, il est difficile de faire face
aux changements climatiques, mais cela n’est pas inutile non plus, loin s’en faut.
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Dans certain cas, les fermiers peuvent être conduits à installer un système d’arrosage
automatique pour survivre à la sécheresse. Dans d’autres cas, les sélectionneurs
devront chercher des variétés de plantes qui peuvent supporter un éventail plus
large de températures. L’aspect positif est que beaucoup des changements qui aideront les agriculteurs à faire face au réchauffement climatique aideront également
les communautés à être plus autosuffisantes et à réduire leur dépendance à l’égard
d’une chaîne d’approvisionnement alimentaire longue distance.
Le fait de planter une plus grande variété de cultures, par exemple, est peutêtre la meilleure protection de l’agriculteur face à un temps plus imprévisible.
Dans certaines régions d’Afrique, la plantation d’arbres légumineux à côté des
cultures - un système appelé agroforesterie qui peut associer des caféiers et des
cacaoyers ou d’autres essences d’arbres avec du maïs - peut apporter un élément
de réponse. « Il y a de bonnes raisons de penser que ces systèmes seront plus
résilients qu’une monoculture de maïs » soutient Lou Verchot, le plus important
spécialiste du réchauffement climatique du Centre International de Recherches
en Agroforestrie de Nairobi. Les racines des arbres vont beaucoup plus profond
que celles des cultures céréalières, et leurs permettent de survivre à une sécheresse
qui pourrait endommager ces dernières. Les racines des arbres vont également
acheminer l’eau vers la surface, là où les cultures pourront l’absorber. Les arbres
améliorent également la qualité du sol : leurs racines créent des espaces permettant
à l’eau de circuler et leurs feuilles se décomposent en compost. En d’autres termes,
un agriculteur qui a des arbres ne perdra pas tout. Des cultivateurs dans le centre
du Kenya associent la culture du café, de la noix de macadamia et des céréales,
ce qui donne jusqu’à trois cultures commercialisables les bonnes années. « Bien
entendu, sur une année, la monoculture sera plus rentable » admet Verchot, « mais
les agriculteurs doivent travailler sur le long terme. » Cette diversification des cultures est d’autant plus intéressante que l’augmentation des températures éliminera
une grande partie de la culture traditionnelle du café et du thé dans les Caraïbes,
l’Amérique latine et l’Afrique. En Ouganda, où le café et le thé représentent presque 100 % des exportations agricoles, une augmentation de la température d’une
moyenne de 2 C° réduirait les récoltes de façon dramatique, dans la mesure où
presque toutes les zones, sauf celles situées en altitude, deviendraient trop chaudes
pour la culture du café.
Les exploitations agricoles résisteront mieux aux différents chocs
en étant plus diversifiées et moins
dépendantes des apports extérieurs.
Un agriculteur faisant pousser une
seule variété de blé sera plus susceptible de perdre la totalité de sa
récolte en cas de variation brutale
de la température qu’un agriculteur
qui fait pousser plusieurs variétés
pâturages appauvris donnent des chèvres
de blé ou mieux encore, d’autres Des
affamées. Leurs propriétaires couvrent les aniplantes en plus du blé. Les cultures maux de guenilles afin qu’ils ne se mangent
additionnelles aident à former une pas la laine.
sorte de rempart écologique contre les changements climatiques. « Il faudra mettre
au point des systèmes de production agricole plus résilients, capables d’absorber
des situations plus variées et d’y survivre », déclare Fred Kirschenmann directeur
du Leopold Center for Sustainable Agriculture de l’Université de l’Iowa. Dans
sa propre ferme familiale, dans le Dakota du Nord, Kirschenmann a dû lutter
contre deux années de temps anormal qui ont quasiment éliminé une culture et
dévasté une autre. Des exploitations plus diversifiées seront mieux préparées pour
faire face à la sécheresse, à l’augmentation des organismes nuisibles et à tout un
éventail d’autres perturbations liées au climat. Elles auront également tendance
à utiliser moins d’engrais et de pesticides, donc moins de combustibles fossiles.
Les changements climatiques pourraient également être le meilleur argument
en faveur de la préservation des variétés de cultures locales dans le monde, pour
que les sélectionneurs puissent avoir à leur disposition une palette aussi large
que possible pour essayer de développer des plantes capables de résister à des
sécheresses plus fréquentes ou à de nouveaux organismes nuisibles.
Les fermes avec des arbres plantés stratégiquement entre les cultures supporteront non seulement mieux les pluies torrentielles et les sécheresses mais elles
absorberont également plus de carbone. Selon Lou Verchot, les systèmes de
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jachères améliorées utilisés en Afrique peuvent absorber 10 à 20 fois plus de carbone que les monocultures céréalières avoisinantes, et 30 % du carbone absorbé
par une forêt intacte. Le sol de ces fermes stockera également plus de matières
organiques - la matière sombre et spongieuse qui absorbe le carbone et qui donne
au sol cette odeur riche - ce qui non seulement augmente la quantité d’eau que
le sol peut retenir (ce qui est bon en cas de sécheresse), mais fournit également
des nutriments (ce qui est bon pour la croissance des cultures).
Encore mieux, en tout cas pour les agriculteurs, un système qui absorbe
plus de carbone est souvent considérablement plus rentable, et pourrait l’être
encore plus si les agriculteurs étaient subventionnés pour stocker le carbone
selon le protocole de Kyoto. Il y a un projet, par exemple, visant à rétribuer les
paysans du Chiapas au Mexique pour abandonner une agriculture impliquant
une déforestation régulière en faveur de l’agroforestrie. L’International Automobile Federation finance le projet dans le cadre de son engagement à réduire les
émissions de carbone résultant des courses automobiles sponsorisées. De plus,
selon Mark Muller de l’Institute for Agriculture and Trade Policy de Minneapolis,
Minnesota, « l’augmentation du coût des énergies fossiles accélérera la demande
en énergie renouvelable », et les agriculteurs trouveront de nouveaux marchés
pour des biocombustibles tels que le panic raide qu’ils peuvent cultiver sur leurs
exploitations, et pourront également toucher des dividendes en installant des
éoliennes sur leurs terres.
Cependant, d’après Marty Bender du Land Institute’s Sunshine Farm de Salina,
Kansas, « ce n’est qu’une solution temporaire ». Il fait référence à un article récent
paru dans Science expliquant que même si la quantité de carbone dans les sols
des Etats-Unis était ramenée à celle d’avant le labour - théoriquement, la quantité
maximale de carbone que le sol peut contenir - cela équivaudrait seulement à deux
décennies d’émissions de carbone américaines. «Voilà le peu de temps que nous
gagnerions » relève Bender, « malgré le fait que cela pourrait nécessiter une centaine
d’années de politique nationale de création de puits de carbones agricoles et de
politique forestière agressive pour absorber ce carbone ». (Cynthia Rosenzweig
note également que le potentiel d’absorption du carbone est limité et qu’une
planète à la température plus élevée réduira la quantité de carbone que le sol
peut retenir : à mesure que la terre se réchauffe, les microbes présents dans le sol
deviennent plus vigoureux et rejettent plus de dioxyde de carbone.)
« Nous devrions vraiment nous
concentrer sur l’efficacité énergétique et la conservation de l’énergie pour réduire les émissions de
carbone de notre économie nationale » conclut Bender. C’est pourquoi Sunshine Farm, qu’il dirige,
pratique une agriculture sans
combustibles fossiles, engrais ou
pesticides, dans le but de réduire
sa contribution au réchauffement
La cueillette du facai (herbe cheveux), une
de
la planète et pour trouver une
plante convoitée dont le nom sonne comme
le mot « faire fortune ». Cette plante pousse solution locale à un problème glosur les racines de l’herbe, sa récolte arrache bal. Les graines de tournesol et les
donc également l’herbe, menant à la déser- pousses de soja qui sont cultivées
tification.
sur place deviennent des biocombustibles pour les tracteurs et les camions. La ferme fait pousser environ trois
quarts de la nourriture - avoine, sorgho à graine et alfalfa - destinée à ses chevaux
de trait, ses bovins et ses volailles. Le fumier et l’intégration de légumes dans la
rotation des cultures se substituent aux engrais azotés gourmands en énergie.
Un panneau photovoltaïque de 4,5 kilowatts alimente les outils de l’atelier, la
clôture électrique, les pompes à eau et les couveuses. La ferme économise une
quantité d’énergie équivalente à celle utilisée pour fabriquer et transporter 90 %
de son approvisionnement. (Si l’on inclut l’énergie nécessaire à la fabrication
des machines de la ferme, ce chiffre tombe à 50 %, ce qui reste un gain énorme
comparé aux exploitations américaines standards.)
Mais, selon Bender, ces économies d’énergie ne constitue qu’une partie d’une
réponse très locale à un problème indéniablement global. « Si les systèmes de
production alimentaire locaux pouvaient réduire de moitié l’énergie utilisée dans
la transformation et le transport des aliments, cela économiserait alors 30 % des
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énergies fossiles utilisées dans le système alimentaire américain » argumente-t-il.
« Si on considère qu’une alimentation produite localement nécessite aussi une
certaine utilisation d’énergie, on peut réduire cette économie à 25 %. En comparaison, la consommation d’énergie directe et indirecte sur les exploitations
représente 20 % de l’énergie utilisée dans le système de production alimentaire
américain. Les systèmes de productions alimentaires locaux pourraient donc
économiser plus d’énergie que l’on en consomme dans les exploitations agricoles
américaines. »
En d’autres termes, à mesure que les bouleversements climatiques perturbent
les vastes réseaux intercontinentaux de production alimentaire et change les
principales zones de production, il sera de plus en plus coûteux et précaire de
dépendre de fournisseurs distants.
Il deviendra plus facile et moins
cher de faire face aux changements
de climat à un niveau local, et à
des ressources en combustibles fossiles plus limitées que d’importer
des denrées de loin.
L’agriculture vient en troisième
position, loin derrière l’utilisation d’énergie et la production
de chlorofluorocarbones, dans les
Des enfants en route pour la cueillette du
facai. Ils font plus de 15 kilomètres par jour, causes de réchauffement climatipendant plusieurs jours, campant par des ques. Pour que les fermes puissent
températures extrêmes. Chacun gagnera enjouer un rôle significatif, il faut des
virons 25 dollars par jour.
changements à grande échelle des
pratiques agricoles sur les grandes exploitations d’Inde, du Brésil, de Chine et
du Midwest américain. Comme le suggère Bender, les agriculteurs peuvent faire
face aux changements climatiques et peuvent réduire de façon de façon visible
leur consommation d’énergie, économisant ainsi de l’argent.
Mais ce sont les choix faits par le reste de la population qui permettront d’arriver à une solution à long terme concernant l’émission de gaz à effet de serre
et le réchauffement de la planète. D’après l’ONG Safe Alliance, qui a son siège
à Londres, un repas basique - un peu de viande, des céréales, des fruits et des
légumes - comprenant des ingrédients importés peut facilement générer quatre
fois plus de gaz à effet de serre que le même repas préparé avec des ingrédients
locaux. En termes de contribution individuelle aux changements climatiques,
manger local peut se révéler être aussi important que de conduire une voiture peu
polluante ou abandonner la voiture en faveur du vélo. Alors que les politiciens
luttent pour rassembler assez de volontés pour faire face à la crise climatique,
il ne devrait pas être si difficile de s’assurer que les agriculteurs aient un climat
moins imprévisible pour cultiver de quoi nourrir la planète.
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est chercheur à l’Institut Worldwatch et l’auteur de Eat Here :
Reclaiming Homegrown Pleasures In a Global Supermarket.
Brian Halweil
Ces photos de la désertification en Chine sont tirées du livre Desert Witness : Images
of Environmental Degradation in China’s Northwest, de Lu Tongjing. Lu a visité
la Mongolie Intérieure, la province de Gansu et la région autonome de Ningxia
depuis 1995 pour constater la dégradation des pâturages et son impact sur la
culture des habitants indigènes (pour plus d’information sur le livre se référer au
site www.chinaeol.net/cesdrrc/english/publication.htm).
1
L’atmosphère, qui est à la base de la dynamique climatique, est un bien commun (voir Travail
Préparatoire p.16). Elle n’a pas de gardien - tout le monde y a accès - et sa capacité à absorber les
émissions avant que le climat ne soit menacé est limitée. Les sociétés ont mis en place un certain
nombre de solution pour gérer les ressources communes. L’une d’entre elle, la privatisation, serait
difficile à appliquer dans le cas de l’atmosphère, bien que le système d’échange de crédit de carbone
puisse réduire les émissions si l’on fixe la limite suffisamment bas. Les gouvernements peuvent
également agir comme gardiens par le biais de traités limitant les émissions, comme par exemple le
protocole de Kyoto.
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