N°20 : Climat et agriculture : quels enseignements tirer du passé?
mars/avril 2005
L’IRONIE DU CLIMAT
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Dans certain cas, les fermiers peuvent être conduits à installer un système d’arrosage
automatique pour survivre à la sécheresse. Dans d’autres cas, les sélectionneurs
devront chercher des variétés de plantes qui peuvent supporter un éventail plus
large de températures. L’aspect positif est que beaucoup des changements qui aide-
ront les agriculteurs à faire face au réchauffement climatique aideront également
les communautés à être plus autosuffisantes et à réduire leur dépendance à l’égard
d’une chaîne d’approvisionnement alimentaire longue distance.
Le fait de planter une plus grande variété de cultures, par exemple, est peut-
être la meilleure protection de l’agriculteur face à un temps plus imprévisible.
Dans certaines régions d’Afrique, la plantation d’arbres légumineux à côté des
cultures - un système appelé agroforesterie qui peut associer des caféiers et des
cacaoyers ou d’autres essences d’arbres avec du maïs - peut apporter un élément
de réponse. « Il y a de bonnes raisons de penser que ces systèmes seront plus
résilients qu’une monoculture de maïs » soutient Lou Verchot, le plus important
spécialiste du réchauffement climatique du Centre International de Recherches
en Agroforestrie de Nairobi. Les racines des arbres vont beaucoup plus profond
que celles des cultures céréalières, et leurs permettent de survivre à une sécheresse
qui pourrait endommager ces dernières. Les racines des arbres vont également
acheminer l’eau vers la surface, là où les cultures pourront l’absorber. Les arbres
améliorent également la qualité du sol : leurs racines créent des espaces permettant
à l’eau de circuler et leurs feuilles se décomposent en compost. En d’autres termes,
un agriculteur qui a des arbres ne perdra pas tout. Des cultivateurs dans le centre
du Kenya associent la culture du café, de la noix de macadamia et des céréales,
ce qui donne jusqu’à trois cultures commercialisables les bonnes années. « Bien
entendu, sur une année, la monoculture sera plus rentable » admet Verchot, « mais
les agriculteurs doivent travailler sur le long terme. » Cette diversification des cul-
tures est d’autant plus intéressante que l’augmentation des températures éliminera
une grande partie de la culture traditionnelle du café et du thé dans les Caraïbes,
l’Amérique latine et l’Afrique. En Ouganda, où le café et le thé représentent pres-
que 100 % des exportations agricoles, une augmentation de la température d’une
moyenne de 2 C° réduirait les récoltes de façon dramatique, dans la mesure où
presque toutes les zones, sauf celles situées en altitude, deviendraient trop chaudes
pour la culture du café.
Les exploitations agricoles résis-
teront mieux aux différents chocs
en étant plus diversifiées et moins
dépendantes des apports extérieurs.
Un agriculteur faisant pousser une
seule variété de blé sera plus sus-
ceptible de perdre la totalité de sa
récolte en cas de variation brutale
de la température qu’un agriculteur
qui fait pousser plusieurs variétés
de blé ou mieux encore, d’autres
plantes en plus du blé. Les cultures
additionnelles aident à former une
sorte de rempart écologique contre les changements climatiques. « Il faudra mettre
au point des systèmes de production agricole plus résilients, capables d’absorber
des situations plus variées et d’y survivre », déclare Fred Kirschenmann directeur
du Leopold Center for Sustainable Agriculture de l’Université de l’Iowa. Dans
sa propre ferme familiale, dans le Dakota du Nord, Kirschenmann a dû lutter
contre deux années de temps anormal qui ont quasiment éliminé une culture et
dévasté une autre. Des exploitations plus diversifiées seront mieux préparées pour
faire face à la sécheresse, à l’augmentation des organismes nuisibles et à tout un
éventail d’autres perturbations liées au climat. Elles auront également tendance
à utiliser moins d’engrais et de pesticides, donc moins de combustibles fossiles.
Les changements climatiques pourraient également être le meilleur argument
en faveur de la préservation des variétés de cultures locales dans le monde, pour
que les sélectionneurs puissent avoir à leur disposition une palette aussi large
que possible pour essayer de développer des plantes capables de résister à des
sécheresses plus fréquentes ou à de nouveaux organismes nuisibles.
Les fermes avec des arbres plantés stratégiquement entre les cultures suppor-
teront non seulement mieux les pluies torrentielles et les sécheresses mais elles
absorberont également plus de carbone. Selon Lou Verchot, les systèmes de
Des pâturages appauvris donnent des chèvres
affamées. Leurs propriétaires couvrent les ani-
maux de guenilles afin qu’ils ne se mangent
pas la laine.