La Lettre du Psychiatre • Vol. VIII - no 1 - janvier-février 2012 | 19
Résumé
La chirurgie bariatrique constitue une réponse efficace au traitement symptomatique de l’obésité. L’impli-
cation d’un psychiatre dans la prise en charge est reconnue de manière consensuelle. Avant la chirurgie,
son rôle est de rechercher et de traiter les fréquentes comorbidités psychiatriques et les rares contre-
indications à la chirurgie. C’est également l’occasion d’évaluer les motivations et les attentes du patient,
sa capacité à adhérer au suivi à long terme et au changement. Le suivi après la chirurgie est systématique
en cas de trouble psychiatrique préexistant. Le psychiatre recherchera et prendra en charge les conduites
d’hyperphagie boulimique ou les troubles alimentaires atypiques, facteurs de mauvais pronostic, ainsi que
les facteurs de risque suicidaire, vu la prévalence élevée de la mortalité par suicide et par intoxication
après la chirurgie.
Mots-clés
Obésité
Hyperphagie
boulimique
Chirurgie bariatrique
Troubles
desconduites
alimentaires
Summary
Bariatric surgery is an effec-
tive treatment of obesity. The
involvement of a psychiatrist in
the management is recognized
by consensus. Pre-surgical role
is to search for, treat common
psychiatric comorbidities, and
identify the few exclusion
criteria for surgery. It is also an
opportunity to assess the moti-
vations and expectations of the
patients as well as their ability
to adhere to long-term moni-
toring and change. Monitoring
postsurgical is systematic in the
b case of pre-existing psychi-
atric disorder. It will assess
binge eating behaviour or
atypical eating disorders both
factors of poor prognosis, and
risk factors for suicide. This is
of major importance given the
high prevalence of mortality
from suicide after bariatric
surgery.
Keywords
Obesity
Binge eating disorders
Bariatric surgery
Eating disorders
ment alimentaire, l’incapacité prévisible du patient à
participer à un suivi médical prolongé, la dépendance
à l’alcool et aux substances psychoactives licites ou
illicites” (3). Ces contre-indications peuvent être
temporaires et l’indication de la chirurgie peut être
réévaluée après leur prise en charge psychiatrique
et, le cas échéant, celle-ci peut se révéler constituer
une alternative thérapeutique à la chirurgie, à la
fois sur un versant psychothérapeutique et médi-
camenteux. Les données de la littérature inter-
nationale suggèrent plutôt, quant à elles, qu’un
trouble psychiatrique ne constitue pas en soi un
critère d’exclusion à la chirurgie bariatrique, même
si dans de rares cas certains motifs psychiatriques
peuvent retarder ou réfuter la chirurgie, par exemple
la décompensation aiguë d’un trouble psychiatrique
grave.
En dehors de ces situations, et pour la plupart des
individus, l’évaluation psychiatrique initiale a un
objectif de planification, d’éducation et d’informa-
tion plutôt qu’un rôle décisionnaire. Selon l’HAS, elle
permet également d’évaluer “la motivation et les
attentes du patient, sa capacité à mettre en œuvre
les changements comportementaux nécessaires et
à participer à un programme de suivi postopéra-
toire personnalisé à long terme, les connaissances
du patient et sa capacité à donner un consente-
ment éclairé, et apporte une aide dans la décision
chirurgicale” (3).
Comorbidités psychiatriques
L’obésité morbide et le recours à la chirurgie baria-
trique sont associés à des taux élevés de troubles
psychiatriques, actuels ou passés. Près de la moitié
des candidats à la chirurgie auraient un antécé-
dent de trouble psychiatrique de l’axe I du DSM,
et l’existence d’un trouble au moment de l’évalua-
tion initiale est significativement plus importante
que dans la population générale. Du plus au moins
fréquents sont retrouvés les troubles de l’humeur
et les troubles anxieux (jusqu’à 4 fois plus élevés
que dans la population générale), les troubles des
conduites alimentaires, notamment le syndrome
d’hyperphagie boulimique (Binge Eating Disorder
[BED]), et les conduites d’abus ou de dépendance.
Les troubles de l’axe II du DSM sont également plus
importants dans cette population de patients, avec
des taux élevés de trouble de la personnalité border-
line et du cluster C (4-7).
Une telle proportion de comorbidités psychiatriques
s’explique, entre autres, par la prévalence plus élevée
de l’obésité chez les patients atteints de maladie
mentale sévère (trouble bipolaire et unipolaire de
l’humeur, schizophrénie), d’étiologie multifacto-
rielle, à la fois génétique (surpoids ou obésité plus
élevée avant l’apparition des premiers symptômes
et l’introduction d’un traitement psychotrope), envi-
ronnementale, comportementale (habitudes alimen-
taires, sédentarité), et liée aux effets indésirables
des traitements psychotropes, notamment les anti-
psychotiques atypiques (mécanismes complexes et
intriqués de modification des dépenses énergétiques
et de stimulation de l’appétit, par interaction des
molécules avec les récepteurs cérébraux impliqués
dans la régulation de la faim et de la satiété) [8].
Entre un tiers et la moitié des candidats à la chirurgie
de l’obésité auraient un traitement psychotrope, les
plus communs étant les antidépresseurs, les anxio-
lytiques et les antipsychotiques (7).
Un autre aspect de la prise en charge psychia-
trique avant la chirurgie consiste à considérer
l’existence d’un trouble des conduites alimentaires
(TCA) comme facteur déclenchant et entretenant
l’obésité. Le BED constitue une forme particulière
d’obésité et de TCA, défini en annexe des TCA dans
le DSM-IV-R par des “crises de boulimie répétées,
vécues avec un sentiment de détresse et de culpa-
bilité, non suivies de comportements compensa-
toires (purge ou non-purge), au moins 2 fois par
semaine pendant 6 mois”, et associées de ce fait à
une prise de poids significative. La prévalence de
ce diagnostic, actuel ou passé, est plus élevée dans
les populations de patients obèses et candidats à la
chirurgie (entre 5 et 50 % selon les études), et son
existence est corrélée à des comorbidités psychia-
triques plus fréquentes (9). Avant l’intervention,
le statut des patients avec conduites de BED ne
diffère pas de celui des autres patients en termes
de poids, mais eux ont en général plus de comorbi-
dités psychiatriques de l’axe I, et plus de difficultés
psycho sociales (faible estime de soi, altération de
la qualité de vie).