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Trop d’années sont maintenant passées pour que je me sou-
vienne encore des conditions précises dans lesquelles j’ai noué ce
colloque singulier avec Andrée Lajoie, colloque qui dure depuis
plus de vingt ans, et qui n’a cessé de m’enrichir. Notre collègue et
amie croit fondamentalement dans le Droit, beaucoup moins dans
la capacité des juristes à trouver les réponses à la hauteur des pro-
blèmes auxquels sont confrontées nos sociétés contemporaines.
D’où une attente et une exigence qui l’ont conduite à interroger les
expériences qui pourraient répondre à sa curiosité, tant dans le
cadre de son propre biculturalisme juridique que dans ceux d’autres
sociétés, sur d’autres continents, voire à d’autres moments de nos
histoires communes. Mais, toujours me semble-t-il, avec une appro-
che pragmatique car la théorie doit servir la pratique, non l’asservir,
et l’objectif est de trouver des solutions concrètement mobilisa-
bles. Elle préfère aussi le fluide au flou, la reconnaissance de la mul-
tiplicité des facteurs interférant dans une décision juridique ou ju-
diciaire au simplisme de la seule herméneutique juridique (Lajoie,
1997). Bref, elle est ouverte aux aventures intellectuelles.
Mais, pour expliquer pourquoi nous avions des raisons de nous
comprendre, il me faut ajouter qu’Andrée dispose d’une rare qua-
lité, quasiment « anthropologique », le respect de l’altérité. Elle a
peut-être fait sienne ce mot d’Antoine de Saint-Exupéry : « si je dif-
fère de toi, loin de te léser, je t’augmente » car la prise en compte de
la différence doit correspondre, me semble-t-il chez notre collègue,
à un enrichissement de soi, de sa culture et des causes qui y sont
associées.
Anthropologue et africaniste, en quoi pouvais-je l’enrichir ? Bien
que bénéficiant d’une formation juridique, je ne partage pas la
croyance d’Andrée dans le droit, et je m’en méfie même (du droit,
bien entendu). Ou plutôt, je me méfie de la conception qu’en ont
les juristes positivistes avec leur (mauvaise) habitude de générali-
ser une expérience singulière de la régulation des sociétés, propre
à un espace-temps particulier, celui des sociétés modernes occi-
dentales.
En tant qu’anthropologue, je considère donc notre « droit »
comme un folk system parmi d’autres, mais pas comme tous les
autres. Son efficacité mais aussi sa capacité de nuisance en font un
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