Internet: La fin de la géographie? 3
Cybergeo : European Journal of Geography
39% au Canada, de 34% aux Etats-Unis, de 29% au Royaume-Uni, mais de 14% en France et
de 5% en Italie8. Combien d’internautes accèdent-ils à l’information mondiale et font-ils leurs
emplettes sur le web en Zambie, en Albanie, au Congo, au Laos? Le futur est déjà là, mais
il est simplement mal réparti, pourrait-on dire: la plus formidable technologie de diffusion
de l’information ne masque pas le fait que sans infrastructures, il n’est point de technologie
moderne.
5En fait, les discours emplis d’hyperboles enthousiastes, le succès médiatique de cette idée de
globalisation totale du monde, reposent sur des postulats pour le moins contestables: ainsi
Louise Guay, p-dg de Public Technologies Multimédia, estime que cette époque de la nouvelle
économie, reposant sur le savoir, internet et les applications informatiques diversifiées, verra
la création de richesses infinies9 Dans les années 20, peu avant la Grande Dépression, le
président américain, Edgar Hoover, avait eu cette célèbre phrase: «Nous avons vaincu les
maux traditionnels de l'humanité et éradiqué la crise économique et la pauvreté"10. Un discours
qui évoque étrangement celui que tiennent les prophètes de la nouvelle économie...
6C’est oublier les coûts très importants impliqués dans la mise en place de tous les systèmes
qui permettent le commerce électronique, la création et la maintenance d’un site internet,
et qui contribuent à faire que, pour connues et à la mode qu’elles soient, les entreprises
comme Amazon.com ne font pas ou peu de profits. Aux États-Unis, moins d’un tiers des sites
commerciaux sur internet déclaraient obtenir des résultats intéressants en199811. Amazon.com,
libraire spécialisé dans le commerce électronique, récemment sacré archétype de l’entreprise
du XXIe siècle, s’est même vue contrainte d’ouvrir... de très classiques librairies aux États-
Unis, car les clients, même intéressés par le cybercommerce, préfèrent parfois toucher,
regarder, parcourir l’objet physique plutôt que d’en contempler une image sur un écran avant
de procéder à un achat.
7Plus étonnant encore: le cours des actions des sociétés de commerce électronique grimpe alors
qu’elles réalisent peu de profits, voire des pertes importantes, comme iVillage (-28 millions$
au dernier trimestre 199912), ou Priceline.com (-102millions $). Pour ce même trimestre,
Yahoo affichait des résultats de 15millions$ (rendement annualisé du capital: 0,06 %). Le
paradoxe s’explique en partie par le pari sur le long terme des investisseurs: ils interprètent les
pertes comme des investissements de recherche et de diversification, ce qui devrait permettre
d’assurer des profits à long terme. À long terme peut-être, mais pour l’heure les «richesses
infinies» ne sont pas au rendez-vous. C’est l’engouement des investisseurs boursiers qui, en
plaçant beaucoup de capitaux chez ces entreprises liées à l’internet, leur assure ainsi une très
forte capitalisation, et permet à ces compagnies de survivre et d’éponger leurs pertes. Ainsi,
la capitalisation boursière d’Amazon.com s’élevait à 21,1 milliards $ au 31janvier 2000,
celle de Yahoo!.com à 92,6 milliards. Cet engouement se perpétuera-t-il longtemps? Le titre
d’Amazon.com a chuté de 58% entre décembre 1999 et la mi-avril 2000. Et, le 15mai 2000, la
chute du Nasdaq atteignait 35% depuis le sommet du 10 mars. Correction passagère ou brutal
retour à la réalité après des mois d’euphorie?
La Poste ancre le passé dans la modernité
8Dans l’optique de la fin prochaine de la géographie, les chantres de la nouvelle économie
ont également prédit à brève échéance la mort des systèmes postaux, une industrie de
services traditionnelle à l’activité enracinée dans la spatialité, puisqu’il s’agit pour elle
de distribuer des produits physiques sur la surface de son territoire par des moyens de
transport classiques. La Poste serait ainsi achevée dans son lent déclin par l’avènement du
courrier et du commerce électroniques. Les sociétés postales incarneraient en effet l’image
de l’ancienne économie: elles sont basées sur un service, la distribution physique de colis
et de lettres, dont la nature n’a guère changé avec le temps, selon des méthodes qui auraient
peu évolué. Les postes représentent l’archétype de l’entreprise de transport qui lutte contre
l’espace, mais dont la valeur du produit final se trouverait considérablement réduite par
l’avènement des technologies modernes qui gomment les distances, les nouvelles technologies
de l’information. Or, il n’en est rien, et les sociétés postales sont aujourd’hui au cœur d’une
bataille pour la maîtrise des flux logistiques.