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Par Florine Galéron
10/03/2017
Jean-Pierre Vinel (UT3) , l'université comme moteur de développement
économique
Jean-Pierre Vinel est à la tête de l'Université Paul-Sabatier depuis janvier 2016 (Crédits :
Université Paul-Sabatier) Jean-Pierre Vinel a pris la tête de l'université Paul-Sabatier, à
Toulouse, il y a un an. Se mettant à dos les syndicats, il a lancé un plan d'économies
drastique pour résorber le déficit de l'établissement et défend une vision de l'université
tournée vers l'entreprise. Portrait d'un président qui aime les responsabilités, même dans
l'adversité.
Jean-Pierre Vinel le dit lui-même, il aime "mettre les mains dans le cambouis". Élu il y a un an à la
présidence de l'université Toulouse 3 - Paul-Sabatier, alors endettée de 16 millions d'euros, il n'a
pas hésité à annoncer cinq mois après son arrivée des gels de postes et une remise à plat de la
gouvernance.
"J'aurais préféré arriver avec un petit pactole d'économies en réserve mais l'université était en
déficit depuis deux ans avec le risque d'une mise sous tutelle par l'État : la pire chose qui pourrait
arriver. Nous avons dû agir de façon plus rapide et plus drastique que je ne l'aurais pensé afin de
remettre le budget à l'équilibre et de reconstituer des réserves qui sont indispensables pour faire
un projet", assume-t-il.
Ce pacte de développement a déclenché immédiatement une levée de boucliers chez les
syndicats et un appel à la grève pour dénoncer "un plan social avec 200 postes sur la sellette". Au
contraire, pour Marie-France Barthet, ancienne présidente de l'Université fédérale de Toulouse, "il
faut un courage fou pour proposer un gel des postes, beaucoup auraient opté pour le statu quo".
"Il fait preuve d'un vrai courage et de détermination dans l'adversité, c'est un marin qui tient la
barre dans la tempête", décrit de son côté Didier Carrié, qui lui a succédé comme doyen de la
faculté de médecine de Purpan.
Malgré ce contexte financier difficile, Jean-Pierre Vinel affectionne tout particulièrement "ce rôle de
chef d'orchestre". "Ce n'était pas du tout dans mes objectifs de devenir président d'université mais
quand on a commencé à m'en parler, je me suis dit qu'à ce niveau, j'aurais des leviers plus
puissants pour changer la politique de l'université, des leviers que je n'avais pas en tant que doyen
de la faculté de médecine. De toute façon, je n'aurais pas aimé faire la même chose toute ma vie",
poursuit-il.
Pragmatique et novateur
Fils d'un médecin rhumatologue, ce Toulousain de naissance a suivi les pas de son père en
s'inscrivant à la faculté de médecine (déjà à Paul-Sabatier). D'abord intéressé par la psychiatrie, il
se spécialise finalement dans l'hypertension portale, une complication des maladies chroniques du
foie. "Nous sommes peut-être 150 ou 200 dans le monde à travailler sur le sujet. C'est une
discipline très variée, vous pouvez suivre un patient de la consultation à l'exérèse d'une tumeur. Et
puis, il y a beaucoup d'urgences, on échappe à la monotonie, j'aimais bien ça", se remémore-t-il.
Et quand on lui demande ce dont il est le plus fier dans sa carrière, le médecin de 65 ans répond
sans hésitation :
"Quand j'étais jeune médecin, le taux de mortalité d'une hémorragie digestive liée à une
hypertension portale était de 35 à 40 %, actuellement il est de 10 %. Ces progrès sont liés à de
multiples facteurs mais il y a quand même des techniques de prise en charge des patients qui ont
été développées. C'est quelque chose de concret."
"Pragmatique", "réaliste", et "novateur" sont les adjectifs qui reviennent le plus pour décrire JeanPierre Vinel. À Purpan, il innove en instaurant pour les élèves des sessions d'immersion complète
dans les services hospitaliers. "Pendant un ou deux mois, les étudiants voyaient les malades en
néphrologie (maladies des reins, NDLR) et ils suivaient à la fac les cours théoriques
correspondants à ces maladies", décrit Didier Carrié. À l'université, son cheval de bataille est de
créer plus de liens entre les disciplines universitaires, mais aussi entre la fac et les entreprises.
"Quand j'étais étudiant, je suis très rarement allé à l'université Paul-Sabatier. Je vivais entre la fac
de médecine et l'hôpital. Mais le problème est que nous ne pouvons pas vivre dans un monde
fermé. La santé est un enjeu beaucoup plus large que l'exercice du soin : il n'existe aucune
discipline universitaire qui n'est pas impactée par les problématiques de santé, détaille-t-il.
Il serait bon qu'il y ait des contacts entre les soignants, les sciences dures, la technologie, les
gestionnaires, les économistes, mais aussi les sciences humaines pour aborder les problèmes
d'éthique, de philosophie... La santé est un univers dans lequel les professionnels de santé ne
sont qu'une partie infime au final."
Fin novembre 2016, il a présenté le "campus innovant" de l'université Paul-Sabatier qui regroupe
cinq projets rapprochant le monde de la recherche de celui des entreprises : fablab, tiers-lieu
collaboratif, centre spatial universitaire ou encore un démonstrateur où les entreprises peuvent
tester leurs innovations dans les salles de classe. "Il faut que l'université soit vue par
les entreprises comme un véritable moteur du développement économique", scande le président
de Paul-Sabatier, qui a succédé à Bertrand Monthubert.
Le sponsoring pour pallier les baisses de dotations de l'État
Ce rapprochement avec la sphère économique passe aussi par la promotion du sponsoring.
L'université Paul-Sabatier dispose déjà depuis quelques années d'une fondation avec pour
mécènes des entreprises comme la Banque Populaire ou EDF mais Jean-Pierre Vinel aimerait
développer ce type de financement. "Le sponsoring est un mode de développement de ressources
propres dont l'université aura besoin puisque l'État se désengage. On voit bien par ailleurs que le
financement des universités n'est pas un enjeu de la campagne présidentielle", assure-t-il.
Ces nouveaux modes de financements doivent permettre selon lui de faire face aux "injonctions
contradictoires" qui traversent l'enseignement supérieur, "faire face à la massification scolaire et
rivaliser dans la compétition universitaire au niveau international".
"Pour arriver à rivaliser au niveau de la compétition internationale et être un moteur d'ascension
sociale, il faut des moyens que nous n'avons pas actuellement. Paul-Sabatier, ce sont 400 millions
d'euros de budget et 34 000 étudiants. Les deux premières universités du classement de Shanghai
sont Harvard, qui a 27 000 étudiants et plus de 7 milliards de dollars de budget, et Stanford qui a
17 000 étudiants et 5,5 milliards de dollars de budget annuel. Nous sommes dans une compétition
où nous sommes un peu handicapés au départ", constate-t-il.
Pour Marie-France Barthet, le président de l'UT3 "a une vision très claire et novatrice de
l'enseignement supérieur avec une université ouverte sur la société. Ce n'est pas quelqu'un
de passéiste, il n'est pas dans les querelles de chapelles. Il accepte la fusion de l'université avec
les écoles d'ingénieur et de tisser des liens avec les entreprises, ce qu'on l'on ne retrouve pas
dans toutes les facultés. Il est un moteur dans la reconquête de l'Idex". Même constat pour
Philippe Raimbault qui a succédé à Marie-France Barthet à la tête de l'Université fédérale de
Toulouse :
"Il est ouvert aux évolutions du monde universitaire, il fait preuve de réalisme, il sait que nous
avons besoin des entreprises."
Même s'il ne s'avance pas trop sur la hausse du tarif des inscriptions ("cela peut détourner les
moins favorisés de l'enseignement supérieur"), Jean-Pierre Vinel constate de manière clinique : "Si
j'avais 34 000 étudiants qui payaient 40 000 euros de frais d'université chaque année, il n'y aurait
plus de problèmes financiers."
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