Le jeu des échelles Agathe MABRUT Bilan de Licence d’architecture 2010-2013 Ecole Nationale Supérieure d’Architecture Paris La Villette 1 Sommaire Introduction I. L’échelle, un jeu de l’espace à plusieurs niveaux Echelle objective Echelle et proportion Echelle subjective ou sensible II. Le jeu multi-scalaire des études d’architecture, hiérarchie des barreaux 1. Echelle humaine 2. Echelle de représentation 3. Echelle du regard III. Le jeu des échelles 1. Echelle mobile 2. Echelle sociale 3. Le projet urbain Conclusion Sources 3 Introduction L’architecture est un jeu d’échelles et ressemble au jeu éponyme. L’on avance dans des cases, certaines nous permettent de monter rapidement vers de nouvelles cases, d’autres à l’inverse nous renvoie au départ à dos de serpent. Ce jeu de société est un jeu d’enfant, l’architecture en est sa version plus adulte, plus responsable, où le but n’est pas d’arriver en haut le premier, en essayant de toucher au moins de cases possibles et de prendre toutes les échelles qui se présentent à nous, mais bien de serpenter dans toutes les cases, de prendre les échelles ascendantes et descendantes afin de faire le tour du jeu. Et le jeu, c’est le projet. Qu’il soit architectural, plastique, urbain ou sociologique, le projet est dans les études d’architecture le plateau qui supporte nos pions, nos idées qu’il faut organiser pour arriver à une cohérence de tactique et de stratégie. Prendre ses études pour un jeu, c’est reconnaître que nous sommes là pour notre soif d’apprendre par tous les moyens qui s’offrent à nous. Prendre ses études pour un jeu de société, c’est chercher aussi à le rendre cohérent, à trouver nos propres règles pour que le plaisir de jouer, le plaisir de concevoir, irrigue l’ensemble de notre cursus. Car il faut le reconnaître, ces études n’ont rien d’ennuyeux et sont souvent bien enviables. Le plateau que nous construisons tout au long de notre parcours s’enrichit de nouveaux jeux, tous différents et aux règles pourtant si proches. Nos jeux d’architecte n’ont pas de pions, de dés ou de petits chevaux. Ils ne sont pas rouges, noirs ou blancs selon le camp. Mais ils regorgent d’autres possibilités qui nous permettent de jouer sur des terrains à la fois minuscules et gigantesque. Le jeu architectural est d’imaginer lier un terrain de basket à la dimension d’un échiquier. Le jeu de l’architecte est de jouer avec ces échelles qui fabriquent le monde pour que chacune d’entre elles s’entrelacent et forment un monde. Un monde différent à chaque fois, comme une partie de cartes chaque fois différente selon l’adversaire, qui, quel que soit le jeu tiré, doit nous amener à à tirer le meilleur parti de ce jeu pour tenter de gagner. En architecture, gagner, c’est surtout réussir à lier toutes les échelles pour faire de chaque projet une partie mémorable. Alors, à nous de jouer. 5 L’échelle, un jeu de l’espace à plusieurs niveaux Le dictionnaire usuel aborde la définition de l’échelle selon la discipline concernée. Terme courant utilisé en géologie, philosophie, musique ou technique, seulement absent de l’espace mathématique, chacun pourrait établir une définition propre de la notion d’échelle. Concernant la discipline de l’architecture, l’échelle peut être considérer comme : « Une suite continue et ordonnée en parties égales servant de moyen de comparaison ou d’évaluation ; système de référence : L’échelle des températures. » « L’apport d’une longueur sur une représentation graphique, cartographique, photographique, sur une maquette, un modèle réduit, etc., à la longueur réelle correspondante. Le document représenté est d’autant plus détaillé que l’échelle est grande. » « Un système de niveaux ou de degrés constituant une hiérarchie, une structure hiérarchisée ; suite continue et progressive : L’échelle sociale. » La question d’échelle s’impose depuis les débuts de l’Architecture. Nos cours d’Histoire de l’architecture et de la ville nous ont permis d’appréhender cette idée de l’échelle à travers des époques et des mouvements caractéristiques. C’est une très grande richesse de connaître et comprendre l’évolution de l’échelle dans et hors du monde de l’architecture. Malgré la redondance du programme d’histoire de la Licence, qui se borne à nous réitérer chaque année les grands moments du Modernisme et de ses représentants les plus célèbres, nous abordons cependant avec beaucoup de précision en première année Théorie des cinq ordres, De re aedificatoria (1452-85), Alberti l’évolution de Paris, et en deuxième année, la période de la Renaissance en Europe jusqu’aux inventions industrielles du XIX° siècle, considéré en 1914 par les historiens, à travers la publication des grands traités architecturaux, fils directeurs qui ont su appuyés ou remettre en questions les grandes doctrines de l’architecture. Notre approche de l’échelle historique se construit par la lecture des grands penseurs de l’Architecture. Il y a tout d’abord la rencontre avec des hommes de proportion, tels Vitruve pour sa théorie des modules, et Alberti, pour sa théorie des cinq ordres. C’est avec Eupalinos qu’une impossibilité homothétique de l’échelle nous touche, « tout change avec la grosseur », quand Viollet-le-Duc explique la flexibilité de l’échelle : « Changeant d’échelle, l’architecte doit échanger un mode et le style consiste à choisir le mode qui convient à l’échelle, en prenant le mot dans sa plus large acception. ». Quelques approches issues des Ponts et Chaussées nous parviennent avec Léonce Reynaud lorsque nous étudions les différentes façons d’étudier l’architecture en France jusqu’en 1962 : « toute forme doit être conçue en vue des dimensions et doit, entre certaines limites, porter témoignage de l’échelle ». Je n’ai pas attendu un enseignant de projet de troisième année pour exercer ma culture générale et particulièrement littéraire. La littérature a cela en commun avec l’architecture de faire parler les espaces. L’un en le dessinant, l’autre en le décrivant. Il est même fort probable que je me sois tournée vers l’architecture pour éviter de ne décrire qu’une réalité construite par d’autres. L’architecte parle avec du recul, l’écrivain cerne les choses de l’intérieur. Et de nombreux ouvrages, aidés par l’imagination de l’auteur et de son lecteur, introduisent des valeurs importantes à la conception d’espaces. A l’échelle de se référer au Voyage de Gulliver de Jonathan Swift et de cette citation : « les éléphants sont généralement dessinés plus petits que nature et les puces toujours plus grandes. » C’est avec Zola que l’on arpente au mieux Paris, son ventre et ses faubourg, ou encore les écrivains surréalistes qui ont imaginé une nouvelle façon de se représenter la ville. C’est en ce sens qu’il me faut commencer ce bilan par préciser l’importance de l’Histoire dans les disciplines du cursus de licence. Elle enrichit nos connaissances en mettant à notre disposition des moyens de comprendre notre monde actuel. Ainsi, les cours d’histoire de la ville de première année, apparemment sans lien avec le projet d’architecture, m’ont servi pour une analyse urbaine du cardo parisien en troisième année, précisément sur le quartier des Halles et de Beaubourg, centre historique longtemps étudié. carte psychogéographique, Discours sur les passions de l’amour,Guy Debord Les études d’architectures sont donc pour moi une question de balance et d’une infinité de possibilités. Le projet pourrait être le noyau de ses études, mais sans électrons gravitant autour, il ne peut y avoir atome et par extension matière. Les disciplines que nous devons accepter au cours des trois ans et qui s’ajoute à l’exercice très spécifique du projet, sont autant de façons de voir et d’appréhender l’architecture. Chaque matière nous apporte ainsi une définition de l’architecture et, dans le cas qui nous intéresse, de l’échelle, pour nous permettre de construire une meilleure image de ce que vers quoi nous désirons aboutir. Illustration,Voyage de Gulliver, Johnathan Swift 7 « Le temps et l’espace ne sont pas des choses indépendantes » sous-entend la théorie de la relativité. En architecture s’ajoutent une multitude d’autres échelles qu’il faut apprendre à associer, à organiser selon notre propre sensibilité pour comprendre pleinement la complexité polysémique de ce terme d’échelle. Nos études nous font osciller entre l’échelle objective, celle que l’on apprend à maîtriser, et l’échelle subjective, celle que l’on apprend à ressentir. Pour Georges Candilis, il y a l’échelle permanente de l’homme qui assure la continuité et l’échelle grandissante de la société des hommes qui provoquent la mobilité. L’objectif la Licence est de savoir les combiner. ECHELLE DU PROJET ECHELLE TERRITORIALE ECHELLE TEMPORELLE ECHELLE OBJECTIVE ECHELLE SPATIALE ECHELLE URBAINE ECHELLE SUBJECTIVE ECHELLE HUMAINE ECHELLE GRAPHIQUE Le jeu des échelles, 2013, document personnel MICROCOSME MACROCOSME Echelle et proportion L’enseignement de la théorie de l’architecture durant le cycle Licence m’a permis de trouver une définition claire de chaque notion utlisée. Nous utilisons un langage particulier et spécifique, il nous faut donc assimiler une compréhension commune à notre domaine. Ce cours donne une importance au mot et à leur sens dans le but de nous en resservir dans la sphère du projet et évite par exemple de confondre échelle et proportion. La proportion est, selon Viollet-le-Duc le rapport entre les dimensions d’un monument, tandis que l’échelle est le rapport entre ces dimensions et celle du corps humain, formidable outil qui nous a déjà beaucoup servi depuis trois et qui n’aura de cesse d’être présent tout au long de notre carrière professionnelle. Les règles de proportions s’apprennent au cours du projet et des disciplines plus techniques. Mon professeur de plastique a été particulièrement présent la première année pour nous apprendre à maîtriser les proportions. Les Folies de Bernard Tschumi sont passées au crible de nos crayons levés afin de rapporter sur nos carnets la proportion des bâtiments. L’apprentissage de la proportion s’est vu osciller entre nous faire retenir la règle de l’escalier 2G+H compris entre 60 et 64, et mesurer nos propres expériences pour faire la relation entre la mesure et le ressenti du corps. Cette attitude était souhaitée par mon enseignant de projet en première qui nous demandait de ne jamais se séparer d’un petit mètre de couturière à glisser dans sa poche. Cette approche a été très peu mise en valeur par les autres enseignants côtoyés dans les visites ou voyages d’études, demandant simplement de lever la tête pour admirer cette ouverture zénithale ou apprécier le « parcours architectural ». La sensation mentale provient d’une sensation physique et c’est à cela que l’architecte s’emploie. Mettre en scène les bonnes émotions de notre échelle sensible. la notion d’échelle, le point clef de notre métier, ne s’apprend pas théoriquement. Seule l’expérience vous l’enseigne. Intégrer un gratte-ciel en matériau non-approprié dans l’espace urbain, 2012, Plastique L’échelle humaine, toujours respectée ? 9 Plan extension 10 m² Extension d’un logement 231de la rue Saint Honoré, Paris L’objectif de cet exercice est de redonner cette dimension privilégié du logement sous les combles qui est d’accéder facilement au toit. En offrant une deuxième pièce au logement pour intégrer une salle d’eau, un séjour et une cuisine américaine sur les toits, l’appartement s’ouvre sur un Paris vu du ciel. La connexion des entités hautes et basses du logement est un escalier à pas japonais, qui, grâce au jeu des fenêtres éclairant la partie haute du logement, est une invitation à monter et admirer. Initiation au projet d’architecture Séverine Roussel - Agnès Lapassat Première année Façade Sud de l’extension 11 Références d’escaliers à pas japonais Coupe BB’ Coupe AA’ “Parce que la meilleure manière de visiter un toit est d’y pénétrer par la lucarne, dérivant du latin lucerna, lampe. A la fois passage et lumière, au propos comme au figuré, la lucarne introduit...” Thierry Paquot, Le toit, seuil du cosmos Panoramique 231rue Saint Honoré Façade Nord de l’extension Plan Chambre de bonne R+7 B A’ A B’ 13 Echelle subjective ou sensible A la fois normé et sur-mesure, le corps est donc notre allié et notre appui dans ces études. Le monde que nous concevons découle de notre échelle puisque nous utilisons nos pieds pour l’arpenter. Au cours du voyage d’étude à Londres, nous avons réalisé une coupe urbaine « interactive ». En mesurant au préalable notre pas, nous avons reporté sur notre carnet les mesures. La mesure, avant d’être un code, est d’abord un geste. L’échelle humaine est un passeur entre différentes échelles. Une cathédrale écrase l’homme par sa monumentalité. Cela voudrait dire qu’elle paraît hors de l’échelle humaine, imposante par ses proportions et par son échelle. En effet, le seul élément de repère que nous possédons dans une cathédrale est la porte d’entrée, qui se doit d’être à l’échelle de l’homme puisqu’il n’y a que lui qui va entrer. Pour exercer et comprendre l’échelle sensible que nous avons tous en nous - tout le monde a perçu un jour un sentiment particulier lié à un lieu - il nous faut expérimenter. Selon Ioeh Ming Pei, « la notion d’échelle, le point clef de notre métier, ne s’apprend pas théoriquement. Seule l’expérience nous l’enseigne. » Cette expérience ne s’acquiert pas en trois ans mais ces trois années nous sensibilise à être actif dans notre intellectualisation de l’expérience. Les enseignants nous invitent à décortiquer les sensations éprouvées afin de réaliser notre propre dictionnaire de mesures et maîtriser les émotions que nous voudrions faire émerger dans nos projets, soit utiliser le caractère symbolique des échelles. Basé sur un apprentissage concret, dans un sens où l’utopie dans le projet n’était pas la l’enseignement que j’ai suivi était tourné vers la volonté de réalisme et de concrétisation des différents exercices de projet dans la réalité. 70 m² Cathédrale de Rouen, 1834, William Turner Mon premier exercice de projet tenait déjà d’une commande possible, l’extension d’une dizaine de mètres carrés d’un local de la rue Saint Honoré après avoir réalisé une analyse urbaine de l’ensemble de la rue et du faubourg Saint Honoré. La sensation résultant de l’expérience issue de mon enseignement de l’architecture à travers le projet pourrait s’apparentait à un extrait du Manifeste du Surréalisme d’André Breton : « [l’expérience] tourne dans une cage d’où il est de plus en plus difficile de la faire sortir. Elle s’appuie désormais sur l’utilité immédiate et elle est gardée par le bon sens. » L’apprentissage du projet était dès la première année, une discipline à ancrer dans la réalité. Dès la première année, j’ai été confronté aux lois pour Personnes à Mobilité Réduite en réalisant un office du tourisme Place Beauvau. Cette approche voulue par mes enseignants pour toucher le réel et entrer dans une dimension active a façonné mon esprit autour des questions de coût, d’accessibilité à tous et d’une absence d’idée formelle. Laissant pour compte les premiers contacts avec l’espace, sans dimension et sans fonction réaliste, cette approche plus sensible aurait sans doute évité de contraindre mon esprit à une logique rationnelle de la conception. Office de Tourisme Place Beauvau, Paris Plan RDC Coupe BB’ Plan R+1 Coupe AA’ L’office de tourisme joue avec les vues et les ouvertures pour cadrer inhabituellement le paysage. Les grandes baies se lisent comme des diapositives qui défilent au fur et mesure de la montée pour aller toucher visuellement le Grand Palais au bout de la rue. Amorce d’une visite ? Cet exercice questionnait les équipements recevant du public (EPR) et savoir dépasser et intégrer la contrainte, ici de l’accessibilité, dans l’acte architectural. Elévation Nord PMR Coupe du Saint James Park, 2011, Voyage d’étude à Londres, carnet 15 Le jeu multi-scalaire des études d’architecture, hiérarchie des barreaux En observant ces trois années passées à l’école d’architecture de Paris la Villette, il s’est avéré que la l’association des différentes disciplines enseignées avait construit peu à peu ma relation à l’espace à travers trois grandes entités scalaires : le corps, la représentation et le regard. Placer le regard en fin de liste n’est pas anodin. En effet, mon regard sur les choses et l’espace a atteint son degré de maturité lorsque j’ai réussi à lier la représentation graphique au déplacement du corps dans l’espace dans une même synergie. A chaque représentation la même idée - collage personnel avec Modulor, de l’Homme de Vitruve et du nombre d’or Echelle humaine « Le corps humain est la clé des mesures idéales » selon Dürer. C’est au cours du projet de semestre 2 de ma première année que j’ai pu approfondir cette citation et jouer à rencontrer réellement l’échelle humaine. En collaboration avec l’atelier Trans 305, un laboratoire du devenir des espaces en chantier conçu par Stéphane Shackland, nous avons travaillé sur l’émergence de concepts pour traiter temporairement des zones en « attente ». Notre exercice s’est greffé au projet en cours de la ZAC du Plateau à Ivry-sur-Seine. Nous devions établir un calendrier évolutif de notre processus en intégrant les différentes phases de démolition et de construction de la ZAC. J’ai ainsi décidé de travailler sur la valorisation des déchets de chantier en éléments d’espace public. Il n’était plus question de l’échelle d’une parcelle mais d’un site de 2000 m², légèrement déroutant en première année par la longueur de calque d’étude à dérouler pour couvrir l’ensemble du cadastre. Cette échelle a cependant tout de suite était une stimulation. L’espace urbain nous était donné dans sa globalité, à une échelle graphique et territoriale totalement différentes de celles étudiées et pratiquées jusqu’alors. Il y était difficile d’apercevoir l’individu, individu qui devait pourtant être le principal acteur de ces futurs espaces dessinés. Le but était donc d’infiltrer nos projets pour ramener l’idée globale à l’échelle humaine. L’échelle urbaine pouvait être aussi grande qu’elle le voulait, c’est la dimension du trottoir ou la position du banc qui rendrait le lieu accessible et satisfaisant pour l’homme. Il a donc fallu concevoir et dimensionner le mobilier urbain en observant l’homme s’asseoir, façonner les sentiers de dalles en le regardant marcher, jusqu’à proportionner les dalles réalisées avec les déchets de chantier pour qu’un homme puisse les porter et assurer ainsi une manutention rapide en cohérence avec l’idée d’une adaptation constante de ces espaces éphémères. Collectif Encore Heureux, mobilier urbain Nos cours de théorie et doctrine de l’architecture jouent aussi un rôle très important dans cette approche de l’échelle humaine. L’on nous y parle des anciennes mesures corporelles des tisserands comme le yard, mesure comprise entre le menton et le bout du doigt, où le corps servait à la mesure, très différents de notre organisation actuelle où la valeur métrique est définie depuis le 1er janvier 1963 comme « la longueur d’onde égale à 1 650 763, 73 longueurs d’onde dans le vide de la radiation correspondant à la transition entre les niveaux 2 p10 et 5 d5 de l’atome de Krypton 86 ». Tentons toujours de retrouver le corps dans ces techniques qui ont choisi l’abstraction. J’ai très peu été confronté à une folie Corbuséenne durant ma licence, mais quelques idées se sont répercutées comme celle de l’invention d’un mètre qui ferait fi de la taille humaine. En dépersonnalisant la mesure, l’homme perd sans doute la qualité architecturale. Notre image mentale du corps se fabrique à travers l’imbrication de tous les systèmes de pensées enseignés, les relations géométriques entre parties du corps, le rapport du corps à la géométrie avec l’homme de Vitruve, mais cette appropriation du corps et de sa propre géométrie ne peut se dissocier de nos propres expériences. Une de mes enseignantes de projet nous racontait que pour le mobilier, il ne fallait pas mesurer tous les éléments précédemment réalisés mais de se mesurer soi-même afin de comprendre où l’assise de la chaise se positionnerait par rapport à nous. Cette même idée fut reprise deux ans plus tard par un autre de mes professeurs pour parler du mobilier pré-dessiné dans les bibliothèques AutoCad. Dissociés du projet architectural, ils s’apparentent à un catalogue de promoteurs immobiliers et ne peuvent servir à habiter l’espace que nous concevons. 17 Des zones d’activités non-publiques au profit d’espaces publics Les chantiers de déconstruction alimentent la création d’un espace public 2000 m² La fabrique d’espaces Création d’un jardin temporaire en lien avec les différentes phases d’élaboration de le ZAC du Plateau à Ivry/Seine Une intégration des éléments de l’espace public dans le projet de ZAC Initiation au projet d’architecture Séverine Roussel - Agnès Lapassat Première année L’espace public évolutif laisse peu à peu la place au projet d’aménagement de la ZAC Des espaces mobiles fonctionnant en interaction Le projet d’espace public temporaire se poursuit dans la ZAC 19 Plan Phase 3 Détail d’un banc public du jardin temporaire Lors du rendu de ce projet devant l’atelier Trans 305 nous avons appris que le collectif avait engagé un projet similaire sur la revalorisation des matériaux de chantier. Une année de recherche et d’expérimentations pour transformer les gravats en une nouvelle matière première locale ont abouti à la création du Marbre d’Ici, lauréat du prix COAL en 2011. Cette matière a été intégrée au mail Monique Maunoury, à Ivry/Seine Plan détaillé de la phase 3 Détail d’une limite “habitable” en gabbion du jardin temporaire N comprendre le corps, c’est avant tout le 21 Enfin, voir comme un organisme vivant qui se déplace Intensif Plastique, 2011, dessins Expérimentations scéniques Première année J. Gautel dans un espace et observer les interactions engendrées avec l’environnement. On le dessine, étape très importante pour intégrer ses proportions et très peu réalisée dans les cours de plastique, et on le pratique. Le théâtre est selon moi un des meilleurs moyens de provoquer des rencontres entre son corps et un espace. L’architecture est une mise en scène dont le but est de créer un décor plaisant pour le spectateur, le passant. Cependant ce décor est aussi conçu pour que certaines personnes puissent évoluer à l’intérieur, il doit donc prendre en compte les besoins du futur utilisateur. Le théâtre est semblable dans l’idée d’une mise en scène qui répond aux attentes du public, tout en l’imaginant adaptée à la pièce à jouer. Le corps répond au nom d’architecture dans le théâtre, particulièrement dans le théâtre contemporain où le décor et les accessoires sont minimalistes, car c’est à lui de se placer dans l’espace pour que l’histoire joué fasse sens aux yeux du spectateur. Faire du théâtre a été une autre façon de se projeter dans des disciplines telle que l’acoustique, afin de comprendre comment le son de notre voix est porté au fond d’une salle et comment l’architecture et la voix doivent fonctionner ensemble pour obtenir un résultat satisfaisant. En groupe, réfléchir à la notion de corps dans l’espace, particulièrement l’espace scénique. Mise en chorégraphie de l’idée de fluide qui habite chacun de nous, fluide qui tend à nous amasser (société) ou nous émanciper (individu). L’idée de placer le corps dans un espace était déjà une attitude courante avant d’entrer en école d’architecture, puisque je pratiquais la gymnastique acrobatique et la danse contemporaine. Le théâtre n’est qu’une continuité de ces activités, apportant la résonance de la voix dans l’espace, quoique souvent utilisé en danse contemporaine. Les intensifs d’arts plastiques et la formation de l’Atelier Théâtre depuis trois ans m’ont permis de pratiquer le corps comme une architecture à part entière et ainsi prendre le recul nécessaire pour le reconsidérer dans chaque projet à l’échelle de mon plan. 23 Carlos Liscano, Les Nigauds, 2012 Extrait de Grand Peur et Misère du III° Reich, Bertol Brecht, 2013 La danse et le théâtre sont le mouvement du corps ; la scène et la chorégraphie en sont l’architecture. Cette pièce laissait une grande liberté à la scénographie et aux jeux des acteurs par son caractère absurde, nous permettant de travailler sur l’ensemble de la pièce. Nous avons à travers notre jeu, perçu l’échelle de notre corps par rapport à l’espace scénique. Outil de jeu, le corps est l’échelle théâtrale qui doit s’adapter au lieu d’accueil et correspondre au registre de la pièce. 25 Echelle de représentation Introduire le plan dans ce rapport d’étude me guide vers la deuxième échelle que nous côtoyions quotidiennement, l’échelle de représentation, ou échelle de communication. L’échelle se définit par le rapport entre la mesure d’un objet réel et la mesure de sa représentation. Elle est exprimée par une valeur numérique, souvent sous la forme d’une fraction. Dans le dessin d’architecture, chaque échelle correspond à son détail et à sa problématique. Je n’ai abordé que très rarement l’échelle du détail dans mes exercices de projet d’architecture. Cette échelle est l’aboutissement d’une maturité du projet, la possibilité d’inscrire l’exercice dans un contexte constructif et technique réel. Arriver à dessiner les détails de son projet n’est que très rarement possible dans la façon dont se déroulent nos cours de projet. En effet, les enseignants préfèrent travailler sur plusieurs exercices par semestre, obligeant à synthétiser son projet par de grandes idées sans rentrer réellement dans le détail de l’architecture. Or l’échelle du détail est tout aussi importante que le 1/100 pour appréhender un espace. REALISE PAR UN PRODUIT AUTODESK A BUT EDUCATIF 1/1000 et 1/500 sont des échelles de situation Plan RDC de l’Institut du Monde Arabe, 2012, TD Structure A F G H I J K L M N O P Q R S R S 6 REALISE PAR UN PRODUIT AUTODESK A BUT EDUCATIF 7 Plan RDC ingénieur de l’Institut du Monde Arabe, 2012, Une partie spécifique du projet est dessinée avec plus de précisions, la constitution des murs est les matériaux de revêtements sont entièrement dessinés. A B C D E F G H I J K REALISE PAR UN PRODUIT AUTODESK A BUT EDUCATIF Détail d’un logement, projet de logements Place d’Italie, 2012 E 5 1/50 et 1/20 sont des échelles de détails. 1 REALISE PAR UN PRODUIT AUTODESK A BUT EDUCATIF Un détail du projet est dessiné de la même façon qu’il sera réalisé dans la construction du projet. Ces échelles permettent de réaliser des détails techniques, des liaisons d’étanchéité voire des poignets de portes. Cette échelle nous montre que l’architecte doit être attentif aux détails pour s’assurer la bonne intégrité et la bonne réalisation de son projet. D 4 L’organisation des espaces est entièrement dessinée, cette échelle est déjà le siège du mobilier pour définir chacun des espaces. Cette échelle se concentre sur le projet. Nous travaillons souvent à cette échelle, où se dessine et se précise les orientations du projet. 1/10 et 1/5 sont des échelles de modénatures. C 2 3 1/200 et 1/100 sont des échelles de distribution. Plan RDC, projet de logements Place d’Italie, 2012 B 1 REALISE PAR UN PRODUIT AUTODESK A BUT EDUCATIF Plan masse, projet de logements Place d’Italie, 2012 Le projet est inscrit dans un environnement extérieur. J’ai abordé ces grandes échelles dès la première année, lors du projet de jardin éphémère pour le réutiliser en troisième année dans un exercice d’aménagement de ZAC aux abords du faisceau ferré de la Gare du Nord, dans le 18ème arrondissement. Le 1/1000 est une balance pour voir à la fois les grandes connections entre projet et site, et instaurer une première implantation sur ce site. La difficulté est de mesurer notre trait afin de ne pas « trop en dire », les autres échelles s’y emploieront. C’est au travers de petites échelles que l’on cerne au mieux la place du corps dans les espaces à habiter, car c’est cette échelle qui sera au contact de l’homme. Nous abordons tout de même l’échelle technique lors de TD de construction, selon deux méthodes. L’une consiste à réaliser soi-même un projet et le porter à son maximum de précision avec l’aide d’ingénieurs collaborant avec nos enseignants. La deuxième est d’étudier un bâtiment dans son intégralité afin d’assimiler des techniques constructives par l’observation. J’ai ainsi étudié l’Institut du Monde Arabe pour comprendre la partition et la structure. 2 3 4 5 6 7 L M N O P Q 27 Maquette, projet de logements Place d’Italie, 2012 Pomme, Claes Oldenburg Volant, Claes Oldenburg Maquette de l’Institut du Monde Arabe, 2012, TD Structure Les études d’architecture associent un autre outil de représentation au service du projet afin d’améliorer la communication, la maquette. Ce moyen entre dans une communication tridimensionnelle du projet, une façon de lier plans et coupes dans un regard et un objet d’ensemble. La maquette est une autre échelle et de nombreux travaux d’artistes jouent sur cette notion de réduction et d’agrandissement, tel Claes Oldenburg qui réalise des sculptures agrandies d’objets du quotidien, comme si l’homme se retrouvait réduit à contempler ce qui l’entoure en contre-plongée. La maquette amène le regard à embrasser l’ensemble du site, vision aérienne qui permet de prendre un certain recul sur le projet et son intégration dans l’environnement proche. La maquette ne se conçoit pas sans une réflexion sur l’échelle appropriée. Cette dernière peut parfois être irréelle, aux proportions exagérées pour rendre la maquette plus pertinente et explicite. Ainsi, nous nous retrouvons généralement avec des trottoirs de 50 cm pour mieux comprendre les limites de la chaussée. Nous utilisons aussi ces distorsions sur les maquettes de stratégies urbaines, où la maquette se trouve être un plan masse extrudé. La communication par la maquette pourrait s’apparenter à l’apprentissage du schéma. En effet, le schéma est par définition sans échelle propre puisqu’il doit définir une notion que l’on intègre au projet et ne doit pas décrire le projet en lui-même. Nous sortons ainsi du cadre de dessin d’architecture pour aller expérimenter d’autres idées graphiques. Le schéma n’a pas d’échelle et pourtant il permet de comprendre l’échelle du projet. En effet, sur un dessin, il est nettement plus aisé de figurer par des flèches les grandes entités qui vont exercer une dynamique sur le projet, une gare, un aéroport, un centre-ville, éléments trop éloignés pour être cadrés dans l’échelle du plan de masse. Les Halles, plus que le centre de Paris ? Analyse urbaine, 2013, Projet d’architecture L’arrivée des logiciels de conception assistée par ordinateur en troisième année bouleverse notre rapport à l’échelle. Nous nous retrouvons devant un espace sans échelle, où plutôt un espace considéré comme à l’échelle 1/1 et où le zoom et le zoom + permettent de faire jouer l’échelle. Le dessin « grandeur nature » est pourtant toujours soumis aux lois de la représentation puisqu’il faut apprendre à dessiner à l’échelle 1/1 virtuelle des dessins qui seront imprimés à des échelles plus ordinaires, au 1/100 ou 1/200. Ainsi, connaître en amont le détail de précision de chaque échelle en dessinant à la main pendant les deux premières années, l’ensemble de nos plans, coupes et détails, a permis de s’approprier correctement les logiciels de dessin sans perdre totalement la notion d’échelle. 29 Echelle du regard Le regard est un outil dont nous apprenons à nous servir dans les études d’architecture. Appréhender l’échelle, c’est aussi aiguiser son regard pour voir l’espace et le concevoir. Cet apprentissage se nourrit de toutes les expériences possibles qui vont s’ajouter à notre enseignement. Le premier cours d’arts plastiques a été de dessiner dans les proportions réelles une des Folies de Tschumi dans le parc de la Villette. Plutôt académique comme début, notre enseignant nous a ensuite dit que nous étions dans ce cours pour deux raisons ; la première pour nous initier au dessin et ainsi faire passer rapidement des idées justes dans nos e xercices de projets d’architecture, d’où l’obligation de gérer les proportions ; la deuxième pour s’émanciper de toutes les notions graphiques et géométriques architecturales afin de découvrir notre propre sensibilité à dessiner le monde. Sous la peau de la ville, Rakhshan Bani-Etemad Nous sommes ainsi passés continuellement du dessin de précision des objets de toutes sortes, à la recherche des nuances de couleurs de cactus des serres d’Auteuil. Le regard a aussi joué un rôle important dans mon initiation à la pratique de la vidéo. J’ai été confronté plusieurs fois à la réalisation de vidéos de quelques minutes pour parler autrement de la ville. Il m’a fallu apprendre à manipuler une caméra, c’est-à-dire à déplacer notre regard dans le champ de la caméra puis monter ces fragments de regards pour qu’en ressortent une certaine cohérence. L’option thématique de deuxième année, « la ville au cinéma », était conçu comme un réel apprentissage du regard. Nous avons visionné en compagnie des enseignants, de nombreux films et courts métrages traitant de thèmes urbains dans le but de nous montrer l’étendue des possibilités quand au regard. Dans la réalisation d’une vidéo, il y a le défi de montrer ce que nous aimerions faire voir et l’interprétation que nous en donnons, le regard. Pour « la ville au cinéma », nous devions partager notre regard sur un quartier en le filmant. Nous avons choisi le quartier de Belleville, quartier dynamique et coloré, où se croise de multiples cultures. Pour communiquer ce dynamisme, la minute de vidéo était entièrement accélérée au montage et les plans se succédaient très rapidement pour perdre le spectateur dans un kaléidoscope onirique de couleurs. La caméra permet aussi de se poser des questions simples mais essentielles dans le choix de représenter un morceau de ville. Quel point de vue pertinent, quel périmètre, quelle est l’échelle temporelle de notre vidéo ? Toutes ces questions montrent que la vidéo, c’est filmer une échelle réelle pour reconstruire par le montage une échelle imaginaire et fictive, rendant compte de notre sensibilité au lieu. Pour une deuxième vidéo réalisée lors de l’analyse urbaine sur le quartier des Halles, « Du Ventre à l’air » nous avons utilisé l’accélération au montage pour montrer l’intensité de fréquentation de la station des Halles et augmenter le contraste avec toutes les poches calmes qui existent autour, la fontaine des Innocents et l’ensemble du quartier piéton. Nous avons ainsi crée une échelle temporelle différente de la réalité dans le but de faire passer une idée. La vidéo se met au service de notre regard. Aux Folies, 2011 Avec Tiffany Sutter et Pauline Leclabart Option thématique - C. Garrier, Nava 31 Déjeuner sur l’herbe, 2012 Avec Eve Repaux et Christella Marthe Plastique - H. Reip Du Ventre à l’air, 2013 Avec Laetitia Philipon et Christelle Davrieux Projet d’architecture - M. Nordstöm 33 Le jeu des échelles La synergie de toutes ces échelles pourrait s’appeler ville. Lorsque l’on arrive au dernier semestre de notre licence et que nous abordons la sphère urbaine, nous avons enfin toutes les pièces en main de ce grand puzzle scalaire pour comprendre que chaque échelle indépendante est mise en scène dans un décor plus grand que lui-même. Notre vision de la ville semble s’apparenter de plus en plus à une carte psychogéographique surréaliste, puisqu’au fur et à mesure de cette licence, nous avons lié entre elles des connaissances nous permettant désormais dans une vision globale de comprendre l’échelle urbaine qui vient clôturer ces trois ans et nous ouvrir d’autres horizons universitaires. Echelle mobile Ce cycle licence s’apparente à une volonté de passer sans cesse du microcosme au macrocosme. Les différentes disciplines açonnant notre parcours au sein de l’école, nous apprennent à concilier un regard objectif et subjectif. Un regard à l’extérieur de nos travaux, comme un point de vue haut et panoramique telle que l’implantation dans le site, à un regard dans les choses, un regard nourri par nos propres expérimentations du corps dans l’espace. L’image que je pourrai donner à mon cursus serait celui d’un mandala. Issu de la culture orientale et voulant dire « cercle » ou « sphère » en sanskrit, le mandala est un diagramme cosmique représentant la structure concentrique de l’univers. Il est un appui à la méditation et permet de créer des images mentales en associant plusieurs dessins compris dans les différents cercles. Pour le psychanalyste Jung, le mandala peut aussi être la forme que se représente notre inconscient lors de troubles de notre esprit. Pour moi les études suivies dans cette école sont une introspection sur soi, dans le sens où elles nous poussent à nous connaître par l’autonomie conférée, la diversité des enseignements et la capacité de travail à fournir pour apprendre. A l’image du mandala qui se nourrit de détails parfois insignifiants pour rendre plus riche la méditation, je vois l’ensemble des cours suivi en Licence comme les détails de notre cursus. Peut-être insignifiants, ils sont le détail qui enrichit notre apprentissage. Notre promotion n’a eu cependant que peu de chance puisque précédant une réforme des cours magistraux, nous avons eu des enseignements identiques d’une année à l’autre qui nous ont fait perdre le caractère essentiel d’un cours, à savoir apprendre et non remplir les heures d’un emploi du temps. Ces disciplines n’auront parfois qu’un détail à apporter à notre mandala architectural, mais c’est une autre image de l’architecture que d’imaginer celleci par une multitude de détails plus ou moins important mais évoluant ensemble pour former un tout. L’architecture s’est avérée être l’association d’images de plusieurs plans et d’échelles qui crée un monde vue du ciel mais adaptée entièrement aux dimensions de l’homme à pieds. Nous pouvons désormais en regardant une fenêtre, non seulement comprendre sa mise en oeuvre, son intégration au complexe du mur, mais aussi l’espace qu’elle va générer au sein du logement, selon la largeur de l’appui ou de l’avancée de balcon, et l’imaginaire qu’elle peut engendrer pour chacun de ceux qui vont s’y pencher. Guy Debord, Première de couverture du Guide psychogéographique de Paris Etude urbaine des enjeux de renouvellement urbain sur la commune de Boucau - stage de première pratique 2013 35 Echelle sociale La place de la sociologie dans la Licence d’architecture de Paris La Villette nous amène à réfléchir sur l’échelle sociale. J’entends l’échelle sociale comme une échelle qui associe culture et territoire dans le sens de périmètre d’étude et non d’une échelle de représentation graphique, même si l’échelle sociale peut être représentée graphiquement, comme dans de nombreux schémas de Rem Koolhaas et son étude sur le Lagos, créant ainsi une carte sensible des zones d’embouteillage. L’échelle sociale est une échelle abstraite qui tend à une autre représentation du monde par l’imaginaire liant l’homme à son territoire. Durant un voyage d’études de géographie à Dunkerque en deuxième année, nous sommes montés sur une petite colline d’où l’on pouvait encore voir en contrebas le tracé d’une ancienne voie romaine, vestige de quelques blocs de rochers, et d’une formidable ligne droite coupant la plaine à la manière d’une ancienne cicatrice. En un regard, nous étions confrontés à l’histoire, la mobilité et les activités actuelles agricoles de ce morceau de paysage. La sociologie nous pousse à considérer l’échelle locale et comprendre comment se constitue un groupe social avant de savoir quelle architecture y sera associée. Les divers travaux réalisés en première année nous ont confrontés à l’échelle mentale. De mémoire, nous devions redessiner un quartier de notre enfance sans règle ni carte. Cet exercice a été une première expérience de la proportion. Le dessin ne comportait aucune échelle mais nous comprenions l’emprise du quartier par la taille des maisons et la largeur des rues dessinées, amenant ainsi une autre clé visuelle de lecture. De plus, cet enseignement était un des rares où nous devions prendre la plume pour expliquer les rapports entre sociologie et espace. René Danger nous dit que « l’urbaniste ne doit prendre son crayon qu’après avoir terminé son enquête de monographie locale et l’avoir judicieusement conduite ; un problème bien posé étant déjà près d’être résolu. » Plan de mémoire socio ? trucs socio première année La présentation en première année d’une analyse urbaine sur San Francisco par Anne Veadez-Mouron a mis en évidence que l’échelle étudiée, la ville dans ce cas, était induite par les structures spatiales d’autres niveaux. Ainsi, Anne Veadez-Mouron mettait en relation le territoire avec la pièce pour des questions de vues, rue et maison pour des questions de volumétrie, en oubliant par exemple l’îlot qui découle de la logique des rues et non d’une logique indépendante dans le cas des villes régulières américaines. + carte lagos embouteillage rem koolhas Paula Scher, Manhattan, 2007 Une analyse de la Place des Fêtes, dans le XIX° arrondissement, m’a aussi permis de comprendre comment fonctionnait cette place qui, aux premiers abords, rebute la plupart des gens qui la traversent mais qui répond à des qualités sociales de place de village à l’intérieur de la métropole parisienne. L’échelle sociale est particulièrement présente dans l’analyse urbaine, enjeu majeur de la troisième année. La troisième année est une initiation à l’échelle urbaine. Nous dépassons la parcelle pour s’inscrire dans un territoire façonné par son histoire. En suivant le cours de formes urbaines, nous nous rendons compte du poids de l’histoire dans les villes que nous connaissons pour s’y être déjà promené, innocent. Savoir d’où vient la ville pour savoir où la ville va, cette ville actuelle qui ne cesse de ressembler à un continuum urbain. En plus d’un enseignement théorique, j’ai pu réaliser deux études urbaines de plusieurs semaines en amorce de chaque projet, analyses qui ont contribué à finaliser mon approche sur une imbrication constante des échelles. La première analyse était un regard sur notre logement et par extension sur notre environnement proche, les limites sensibles de notre quartier. J’y ai ainsi abordé la notion de compensation du logement par tout ce que l’on pouvait trouver à l’extérieur. Cette échelle permettait donc de ne pas s’arrêter à des qualités spatiales mais comprendre le logement comme une entité définie inscrite dans une entité plus large, chacun faisant réagir et évoluer l’autre. La deuxième analyse se positionnait sur le cardo parisien, entre les rues Saint Martin et Saint Denis afin de comprendre à quel centre renvoyait la périphérie que nous allions étudier en exercice de projet. Cette analyse a utilisé des mediums très différents, croquis, vidéo, schémas d’approche sensible, qui nous ont permis de comprendre les phénomènes sociaux qui s’articulait autour du quartier des Halles et de Beaubourg pour mon fragment, tout en nous obligeant à trouver une manière graphique de les communiquer. The Commons Inc, New New Amsterdam, Archiprix 2011 Central Park, 2012, photographie personnelle Mais New York - de là lui venaient son charme et l’espoir de fascination qu’elle exerçait était alors une ville où tout semblait possible. A l’image du tissu urbain, le tissu social et culturel offrait une texture criblée de trous. Il suffisait de les choisir et de s’y glisser comme ALice de l’autre côté du miroir, des mondes si enchanteurs qu’ils en paraissaient irréels. Claude Lévi-Strauss, Le regard éloigné, Plon, Paris, 1983 37 Promenade urbaine Intensité des flux Historique 2 heures 1150 8 heures 1 1300 Etude Urbaine Beaubourg-Les Halles 10 heures Comprendre la périphérie de Paris en partant de son centre. Suivre le cardo des rues Saint Martin et Saint Denis pour analyser son expansion au cours des siècles. 2 1600 12 heures 3 Dynamique des RDC du quartier les Halles-Beaubourg 1790 projet d’architecture Minna Nordström Troisième année 16 heures 1930 18 heures 22 heures 1980 39 Projet urbain Cette troisième année a particulièrement éveillé ma curiosité d’aborder le projet urbain comme une réunion de toutes les échelles acquises au cours de ma Licence. Le projet urbain est selon moi un niveau beaucoup plus fort d’imbrication des échelles que le projet architectural. Non seulement il se doit de fonctionner à une échelle locale mais il doit aussi s’inscrire dans un système plus global, celui de la ville et de sa mobilité. Nous avions ainsi gardé de notre analyse urbaine sur le quartier des Halles, cette réflexion schématisée : « Les Halles, plus que le centre de Paris ? » En effet, le projet urbain va plus loin dans la réflexion puisqu’il s’entoure de nombreux autres acteurs amenant d’autres échelles, parfois peu compatibles. Je pense à la dimension politique des collectivités que j’ai pu rencontrer lors de mon stage de première pratique en agence d’urbanisme sur les agglomérations de Pau et Bayonne (Pyrénées Atlantiques) et qui possède une voix décisionnelle très forte dans la mise en œuvre et la conception des projets urbains. Ce stage m’a permis d’établir la dimension multi-scalaire du projet urbain comme une relation entre l’échelle humaine, spatiale et temporelle. Humaine, car le projet urbain est une vision globale d’un territoire où va s’entrelacer de multiples acteurs qu’il faut coordonner et satisfaire. C’est peut-être une des formes les plus terrestres de la démocratie. Les métiers de l’urbanisme permettent ainsi de mettre en relation des attentes de champs très différents tels que la production de logement, l’agriculture ou les espaces protégés afin de chercher la satisfaction du plus grand nombre. Spatiales, car l’échelle ne se contente pas de la parcelle mais va voir « en dehors » pour justifier l’aménagement « en dedans ». En effet, « dézoomer » l’espace, c’est aussi prendre non seulement du recul sur le territoire en y intégrant le paysage environnant, mais aussi tisser du lien avec l’extérieur pour ne pas enclaver un territoire. Il faut penser la parcelle comme partie d’un tout qui doit fonctionner ensemble et la ville comme le pivot entre intérieur et extérieur, selon Olivier Mongin dans La condition urbaine. Temporelles, car le projet urbain s’inscrit dans une durée qu’il est parfois difficile d’imaginer pour des personnes extérieures aux enjeux urbains. Le projet urbain est un circuit long et patient, le fruit d’un incessant va et vient entre les maillons d’une chaîne et résultant de nombreux processus et concertations qui doivent s’adapter aussi aux évolutions naturelles du territoire problématisé. 41 Logement (n.m) : local indépendant gravitant dans un espace commun fournissant l’ensemble des besoins de son habitant. Etude Urbaine Place des Fêtes Un logement réduit, l’imagination des assemblages de fonctions Introduire son logement dans un quartier afin de comprendre quelles interactions participent au bien être de l’habitant. Réaliser un projet répondant aux problématiques soulevées, ici, la compenstion de la taille du logement par son environnement proche projet d’architecture Patrick Leitner Troisième année REALISE PAR UN PRODUIT AUTODESK A BUT EDUCATIF REALISE PAR UN PRODUIT AUTODESK A BUT EDUCATIF REALISE PAR UN PRODUIT AUTODESK A BUT EDUCATIF Le logement intègre le quartier ; espace urbain et domestique se confondent Mixité du programme Le projet, analogie d’un iceberg. La pointe visible, les logements, La partie immergée, l’ensemble des équipements sportifs et culturels manquant au quartier. REALISE PAR UN PRODUIT AUTODESK A BUT EDUCATIF 43 Conclusion Il est bien tôt pour s’imaginer en quelques pages avoir réussi à clarifier les associations d’échelles qui hantent nos études d’architecutre. Elles vont d’ailleurs nous suivre bien au-delà. L’échelle, si l’on ne considère pas la représentation graphique, est abstraite et subjective. Comment alors l’expliquer ? L’échelle d’un enfant, l’échelle d’un adulte. L’échelle d’un quartier connu, qui semble toujours plus petit que l’échelle d’un quartier que l’on découvre. L’échelle d’un objet sans échelle, et qui prend ses dimensions dans notre imaginaire. Aucun de nous ne peut répondre de la même façon à la question : “qu’est ce qu’une échelle ?” Il a fallu pourtant au cours de ces trois ans mettre des mots et des idées sur ces notions. Apprendre à reconnaître les échelles, se familiariser avec elles pour en extraire le pertinent, se les approprier pour qu’elles deviennent, au même titre que le crayon, la règle, le calque ou la souris, des outils d’aide à la construction de notre architecture. Ma perception de l’échelle s’est nourrie de chaque discipline enseignée et c’est dans un processus lent et soigneux que j’ai commencé à imaginer des liaisons. Liaisons parfois évidentes, d’autres qui paraissent plus personnelles, selon la façon de voir le monde qui nous entoure. Ce monde qui m’entoure s’est élargi durant ma licence à une dimension plus grande que l’architecture ; celle de la ville. Selon Alberti, “la ville est une grande maison et la maison une petite ville”. Il me semble que l’analogie s’apparente trop à une dimension physique. L’on ne peut réduire la ville aux même enjeux que la maison, sinon, que pourrait apporter la ville à la maison ? La ville répond à des enjeux très divers touchant à des échelles que nous n’avons pas l’habitude de cotoyer. S’occuper de la ville, c’est être actuellement en grande partie responsables du visage et de l’échelle du monde. Une échelle qui oublie souvent l’homme, pourtant acteur du processus de fabrication de ces milieux où nous évoluons. La suite de mon cheminement s’inscrit dans le suivi d’un Master 1 Projet Urbain à Rome, dans le cadre des échanges Erasmus. Le séminaire intégré, Architecture, projet urbain et société, me permettra aussi d’approfondir ces questions d’échelles, échelles qui lient dans une étranges harmonie, hommes, temps et espaces. 45 Sources Les sources cités ont chacune été source d’inspiration dans la rédaction de ce rapport d’études Livres BOURDON, Philippe, De l’architecture à l’épistémologie, la question de l’échelle, Paris, éd. Broché, 1991 MONGIN, Olivier, La condition urbaine, Paris, éd. du Seuil, 2005 KOOLHAS, Rem et MAU Bruce, S, M, L, XL, New York, Monacelli Press, 1995 Dictionnaire usuel Cinéma VERTOV, Dziga, L’homme à la caméra, Odessa, 1929 FELLINI, Federico, Roma, 1972 Théâtre MONDOLINI, Jacques, Palestine Checkpoint, mise en scène de Robert Valbon, Paris, Théâtre de Belleville, 2012 BOSSARD, Bertrand, Le jeu des mille euros, Paris, CentQuatre, 2012 Danse RODRIGUEZ, Lia, Ce dont nous sommes fait, Paris, CentQuatre, 2013 Cie MALKA, Murmures, Biennale de la danse contemporaine de Lyon, 2012 KYLIAN, Jirï, One of a Kind, Ballet de l’Opéra de Lyon, 2012 Expositions FRAC Orléans, Thématique et exposition : la mobilité dans l’architecture, 2012 Bertrand Lavier, depuis 1969, Centre Pompidou, 2012 Autres Voyages personnels qui m’ont conduit à m’intéresser aux échelles - Montréal, New York, Prague, Londres, Berlin, Istanbul - Cappadoce Cours suivis à l’Ecole Nationale Supérieure de La Villette dans le cadre d’une Licence