Le jeudes échelles

publicité
Le
jeu des échelles
Agathe MABRUT
Bilan de Licence d’architecture 2010-2013
Ecole Nationale Supérieure d’Architecture Paris La Villette
1
Sommaire
Introduction
I.
L’échelle, un jeu de l’espace à plusieurs niveaux
Echelle objective
Echelle et proportion
Echelle subjective ou sensible
II.
Le jeu multi-scalaire des études d’architecture, hiérarchie des barreaux
1. Echelle humaine
2. Echelle de représentation
3. Echelle du regard
III. Le jeu des échelles
1. Echelle mobile
2. Echelle sociale
3. Le projet urbain
Conclusion
Sources
3
Introduction
L’architecture est un jeu d’échelles et ressemble
au jeu éponyme. L’on avance dans des cases,
certaines nous permettent de monter rapidement
vers de nouvelles cases, d’autres à l’inverse
nous renvoie au départ à dos de serpent. Ce jeu
de société est un jeu d’enfant, l’architecture en
est sa version plus adulte, plus responsable, où
le but n’est pas d’arriver en haut le premier, en
essayant de toucher au moins de cases
possibles et de prendre toutes les échelles qui
se présentent à nous, mais bien de serpenter
dans toutes les cases, de prendre les échelles
ascendantes et descendantes afin de faire le tour
du jeu. Et le jeu, c’est le projet.
Qu’il soit architectural, plastique, urbain ou
sociologique, le projet est dans les études
d’architecture le plateau qui supporte nos pions,
nos idées qu’il faut organiser pour arriver à une
cohérence de tactique et de stratégie.
Prendre ses études pour un jeu, c’est reconnaître
que nous sommes là pour notre soif d’apprendre
par tous les moyens qui s’offrent à nous.
Prendre ses études pour un jeu de société, c’est
chercher aussi à le rendre cohérent, à trouver nos
propres règles pour que le plaisir de jouer, le
plaisir de concevoir, irrigue l’ensemble de notre
cursus.
Car il faut le reconnaître, ces études n’ont rien
d’ennuyeux et sont souvent bien enviables. Le
plateau que nous construisons tout au long de
notre parcours s’enrichit de nouveaux jeux, tous
différents et aux règles pourtant si proches.
Nos jeux d’architecte n’ont pas de pions, de dés
ou de petits chevaux. Ils ne sont pas rouges,
noirs ou blancs selon le camp.
Mais ils regorgent d’autres possibilités qui nous
permettent de jouer sur des terrains à la fois
minuscules et gigantesque.
Le jeu architectural est d’imaginer lier un terrain
de basket à la dimension d’un échiquier. Le jeu
de l’architecte est de jouer avec ces échelles qui
fabriquent le monde pour que chacune d’entre
elles s’entrelacent et forment un monde. Un
monde différent à chaque fois, comme une partie
de cartes chaque fois différente selon
l’adversaire, qui, quel que soit le jeu tiré, doit
nous amener à à tirer le meilleur parti de ce jeu
pour tenter de gagner.
En architecture, gagner, c’est surtout réussir
à lier toutes les échelles pour faire de chaque
projet une partie mémorable.
Alors, à nous de jouer.
5
L’échelle, un jeu de l’espace à plusieurs niveaux
Le dictionnaire usuel aborde la définition de
l’échelle selon la discipline concernée. Terme
courant utilisé en géologie, philosophie,
musique ou technique, seulement absent de
l’espace mathématique, chacun pourrait établir
une définition propre de la notion d’échelle.
Concernant la discipline de l’architecture,
l’échelle peut être considérer comme :
« Une suite continue et ordonnée en
parties égales servant de moyen de comparaison
ou d’évaluation ; système de référence : L’échelle
des températures. »
« L’apport d’une longueur sur une
représentation graphique, cartographique,
photographique, sur une maquette, un modèle
réduit, etc., à la longueur réelle correspondante.
Le document représenté est d’autant plus détaillé
que l’échelle est grande. »
« Un système de niveaux ou de degrés
constituant une hiérarchie, une structure
hiérarchisée ; suite continue et progressive :
L’échelle sociale. »
La question d’échelle s’impose depuis les
débuts de l’Architecture. Nos cours d’Histoire de
l’architecture et de la ville nous ont permis
d’appréhender cette idée de l’échelle à travers
des époques et des mouvements caractéristiques. C’est une très grande richesse de
connaître et comprendre l’évolution de l’échelle
dans et hors du monde de l’architecture.
Malgré la redondance du programme d’histoire
de la Licence, qui se borne à nous réitérer
chaque année les grands moments du
Modernisme et de ses représentants les plus
célèbres, nous abordons cependant avec
beaucoup de précision en première année
Théorie des cinq ordres, De re aedificatoria (1452-85), Alberti
l’évolution de Paris, et en deuxième année, la
période de la Renaissance en Europe jusqu’aux
inventions industrielles du XIX° siècle, considéré en 1914 par les historiens, à travers la
publication des grands traités architecturaux,
fils directeurs qui ont su appuyés ou remettre en
questions les grandes doctrines de l’architecture.
Notre approche de l’échelle historique se
construit par la lecture des grands penseurs de
l’Architecture. Il y a tout d’abord la rencontre
avec des hommes de proportion, tels Vitruve
pour sa théorie des modules, et Alberti, pour sa
théorie des cinq ordres.
C’est avec Eupalinos qu’une impossibilité
homothétique de l’échelle nous touche, « tout
change avec la grosseur », quand Viollet-le-Duc
explique la flexibilité de l’échelle : « Changeant
d’échelle, l’architecte doit échanger un mode et
le style consiste à choisir le mode qui
convient à l’échelle, en prenant le mot dans sa
plus large acception. ». Quelques approches
issues des Ponts et Chaussées nous parviennent
avec Léonce Reynaud lorsque nous étudions
les différentes façons d’étudier l’architecture en
France jusqu’en 1962 : « toute forme doit être
conçue en vue des dimensions et doit, entre
certaines limites, porter témoignage de l’échelle ».
Je n’ai pas attendu un enseignant de projet
de troisième année pour exercer ma culture
générale et particulièrement littéraire. La
littérature a cela en commun avec l’architecture
de faire parler les espaces. L’un en le dessinant,
l’autre en le décrivant. Il est même fort probable
que je me sois tournée vers l’architecture pour
éviter de ne décrire qu’une réalité construite
par d’autres. L’architecte parle avec du recul,
l’écrivain cerne les choses de l’intérieur. Et de
nombreux ouvrages, aidés par l’imagination
de l’auteur et de son lecteur, introduisent des
valeurs importantes à la conception d’espaces.
A l’échelle de se référer au Voyage de Gulliver
de Jonathan Swift et de cette citation : « les
éléphants sont généralement dessinés plus
petits que nature et les puces toujours plus
grandes. » C’est avec Zola que l’on arpente
au mieux Paris, son ventre et ses faubourg, ou
encore les écrivains surréalistes qui ont imaginé
une nouvelle façon de se représenter la ville.
C’est en ce sens qu’il me faut commencer ce
bilan par préciser l’importance de l’Histoire dans
les disciplines du cursus de licence. Elle enrichit
nos connaissances en mettant à notre disposition des moyens de comprendre notre monde
actuel. Ainsi, les cours d’histoire de la ville de
première année, apparemment sans lien avec
le projet d’architecture, m’ont servi pour une
analyse urbaine du cardo parisien en troisième
année, précisément sur le quartier des Halles
et de Beaubourg, centre historique longtemps
étudié.
carte psychogéographique, Discours sur les passions de l’amour,Guy Debord
Les études d’architectures sont donc pour moi
une question de balance et d’une infinité de
possibilités. Le projet pourrait être le noyau de
ses études, mais sans électrons gravitant autour,
il ne peut y avoir atome et par extension matière.
Les disciplines que nous devons accepter au
cours des trois ans et qui s’ajoute à l’exercice
très spécifique du projet, sont autant de façons
de voir et d’appréhender l’architecture. Chaque
matière nous apporte ainsi une définition de
l’architecture et, dans le cas qui nous intéresse,
de l’échelle, pour nous permettre de construire
une meilleure image de ce que vers quoi nous
désirons aboutir.
Illustration,Voyage de Gulliver, Johnathan Swift
7
« Le temps et l’espace ne sont pas des choses
indépendantes » sous-entend la théorie de la
relativité.
En architecture s’ajoutent une multitude d’autres
échelles qu’il faut apprendre à associer, à
organiser selon notre propre sensibilité
pour comprendre pleinement la complexité
polysémique de ce terme d’échelle.
Nos études nous font osciller entre l’échelle
objective, celle que l’on apprend à maîtriser, et
l’échelle subjective, celle que l’on apprend à
ressentir.
Pour Georges Candilis, il y a l’échelle
permanente de l’homme qui assure la
continuité et l’échelle grandissante de la société
des hommes qui provoquent la mobilité.
L’objectif la Licence est de savoir les combiner.
ECHELLE DU PROJET
ECHELLE TERRITORIALE
ECHELLE TEMPORELLE
ECHELLE OBJECTIVE
ECHELLE SPATIALE
ECHELLE URBAINE
ECHELLE SUBJECTIVE
ECHELLE HUMAINE
ECHELLE GRAPHIQUE
Le jeu des échelles, 2013, document personnel
MICROCOSME
MACROCOSME
Echelle et proportion
L’enseignement de la théorie de l’architecture
durant le cycle Licence m’a permis de trouver
une définition claire de chaque notion
utlisée. Nous utilisons un langage particulier et
spécifique, il nous faut donc assimiler une
compréhension commune à notre domaine. Ce
cours donne une importance au mot et à leur
sens dans le but de nous en resservir dans la
sphère du projet et évite par exemple de
confondre échelle et proportion. La proportion
est, selon Viollet-le-Duc le rapport entre les
dimensions d’un monument, tandis que l’échelle
est le rapport entre ces dimensions et celle
du corps humain, formidable outil qui nous a
déjà beaucoup servi depuis trois et qui n’aura
de cesse d’être présent tout au long de notre
carrière professionnelle.
Les règles de proportions s’apprennent au cours
du projet et des disciplines plus techniques.
Mon professeur de plastique a été
particulièrement présent la première année pour
nous apprendre à maîtriser les proportions. Les
Folies de Bernard Tschumi sont passées au
crible de nos crayons levés afin de rapporter sur
nos carnets la proportion des bâtiments. L’apprentissage de la proportion s’est vu
osciller entre nous faire retenir la règle de
l’escalier 2G+H compris entre 60 et 64, et
mesurer nos propres expériences pour faire la
relation entre la mesure et le ressenti du corps.
Cette attitude était souhaitée par mon enseignant
de projet en première qui nous demandait de ne
jamais se séparer d’un petit mètre de couturière
à glisser dans sa poche.
Cette approche a été très peu mise en
valeur par les autres enseignants
côtoyés dans les visites ou voyages
d’études, demandant simplement de
lever la tête pour admirer cette
ouverture zénithale ou apprécier le
« parcours architectural ». La
sensation mentale provient d’une
sensation physique et c’est à cela que
l’architecte s’emploie. Mettre en scène
les bonnes émotions de notre échelle
sensible.
la notion d’échelle,
le point clef de notre
métier, ne s’apprend
pas théoriquement.
Seule l’expérience
vous l’enseigne.
Intégrer un gratte-ciel en matériau non-approprié dans l’espace urbain,
2012, Plastique
L’échelle humaine, toujours respectée ?
9
Plan extension
10 m²
Extension d’un logement
231de la rue Saint Honoré, Paris
L’objectif de cet exercice est de redonner cette
dimension privilégié du logement sous les
combles qui est d’accéder facilement au toit. En
offrant une deuxième pièce au logement pour
intégrer une salle d’eau, un séjour et une cuisine
américaine sur les toits, l’appartement s’ouvre
sur un Paris vu du ciel.
La connexion des entités hautes et basses du
logement est un escalier à pas japonais, qui,
grâce au jeu des fenêtres éclairant la partie
haute du logement, est une invitation à monter et
admirer.
Initiation au projet d’architecture
Séverine Roussel - Agnès Lapassat
Première année
Façade Sud de l’extension
11
Références d’escaliers à pas
japonais
Coupe BB’
Coupe AA’
“Parce que la
meilleure manière
de visiter un toit est
d’y pénétrer par la
lucarne, dérivant du
latin lucerna, lampe.
A la fois passage et
lumière, au propos
comme au figuré, la
lucarne introduit...”
Thierry Paquot, Le toit,
seuil du cosmos
Panoramique 231rue Saint Honoré
Façade Nord de l’extension
Plan Chambre de bonne R+7
B
A’
A
B’
13 Echelle subjective ou sensible
A la fois normé et sur-mesure, le corps est donc
notre allié et notre appui dans ces études. Le
monde que nous concevons découle de notre
échelle puisque nous utilisons nos pieds pour
l’arpenter. Au cours du voyage d’étude à
Londres, nous avons réalisé une coupe urbaine
« interactive ». En mesurant au préalable notre
pas, nous avons reporté sur notre carnet les
mesures. La mesure, avant d’être un code, est
d’abord un geste.
L’échelle humaine est un passeur entre
différentes échelles. Une cathédrale écrase
l’homme par sa monumentalité. Cela voudrait
dire qu’elle paraît hors de l’échelle humaine,
imposante par ses proportions et par son
échelle. En effet, le seul élément de repère que
nous possédons dans une cathédrale est la porte
d’entrée, qui se doit d’être à l’échelle de
l’homme puisqu’il n’y a que lui qui va entrer.
Pour exercer et comprendre l’échelle sensible
que nous avons tous en nous - tout le monde
a perçu un jour un sentiment particulier lié à
un lieu - il nous faut expérimenter. Selon Ioeh
Ming Pei, « la notion d’échelle, le point clef de
notre métier, ne s’apprend pas théoriquement.
Seule l’expérience nous l’enseigne. » Cette
expérience ne s’acquiert pas en trois ans mais
ces trois années nous sensibilise à être actif
dans notre intellectualisation de l’expérience.
Les enseignants nous invitent à décortiquer
les sensations éprouvées afin de réaliser notre
propre dictionnaire de mesures et maîtriser les
émotions que nous voudrions faire émerger dans
nos projets, soit utiliser le caractère symbolique
des échelles.
Basé sur un apprentissage concret, dans un sens
où l’utopie dans le projet n’était pas la
l’enseignement que j’ai suivi était tourné vers
la volonté de réalisme et de concrétisation des
différents exercices de projet dans la réalité.
70 m²
Cathédrale de Rouen, 1834, William Turner
Mon premier exercice de projet tenait déjà d’une
commande possible, l’extension d’une dizaine
de mètres carrés d’un local de la rue Saint
Honoré après avoir réalisé une analyse urbaine
de l’ensemble de la rue et du faubourg Saint
Honoré.
La sensation résultant de l’expérience issue de
mon enseignement de l’architecture à travers
le projet pourrait s’apparentait à un extrait du
Manifeste du Surréalisme d’André Breton : «
[l’expérience] tourne dans une cage d’où il est
de plus en plus difficile de la faire sortir. Elle
s’appuie désormais sur l’utilité immédiate et elle
est gardée par le bon sens. »
L’apprentissage du projet était dès la première
année, une discipline à ancrer dans la réalité.
Dès la première année, j’ai été confronté aux lois
pour Personnes à Mobilité Réduite en réalisant
un office du tourisme Place Beauvau. Cette
approche voulue par mes enseignants pour
toucher le réel et entrer dans une dimension
active a façonné mon esprit autour des questions
de coût, d’accessibilité à tous et d’une absence
d’idée formelle. Laissant pour compte les
premiers contacts avec l’espace, sans dimension
et sans fonction réaliste, cette approche plus
sensible aurait sans doute évité de
contraindre mon esprit à une logique rationnelle
de la conception.
Office de Tourisme
Place Beauvau, Paris
Plan RDC
Coupe BB’
Plan R+1
Coupe AA’
L’office de tourisme joue avec les vues et les
ouvertures pour cadrer inhabituellement le
paysage. Les grandes baies se lisent comme des
diapositives qui défilent au fur et mesure de la
montée pour aller toucher visuellement le Grand
Palais au bout de la rue. Amorce d’une visite ?
Cet exercice questionnait les équipements
recevant du public (EPR) et savoir dépasser et
intégrer la contrainte, ici de l’accessibilité, dans
l’acte architectural.
Elévation Nord
PMR
Coupe du Saint James Park, 2011, Voyage d’étude à Londres, carnet
15
Le jeu multi-scalaire des études d’architecture,
hiérarchie des barreaux
En observant ces trois années passées à l’école
d’architecture de Paris la Villette, il s’est avéré
que la l’association des différentes disciplines
enseignées avait construit peu à peu ma
relation à l’espace à travers trois grandes entités
scalaires : le corps, la représentation et le regard.
Placer le regard en fin de liste n’est pas anodin.
En effet, mon regard sur les choses et l’espace a
atteint son degré de maturité lorsque j’ai réussi à
lier la représentation graphique au déplacement
du corps dans l’espace dans une même
synergie.
A chaque représentation la même idée - collage personnel avec Modulor, de l’Homme de Vitruve et du nombre d’or
Echelle humaine
« Le corps humain est la clé des mesures
idéales » selon Dürer.
C’est au cours du projet de semestre 2 de ma
première année que j’ai pu approfondir cette
citation et jouer à rencontrer réellement l’échelle
humaine. En collaboration avec l’atelier Trans
305, un laboratoire du devenir des espaces en
chantier conçu par Stéphane Shackland, nous
avons travaillé sur l’émergence de concepts pour
traiter temporairement des zones en « attente ».
Notre exercice s’est greffé au projet en cours de
la ZAC du Plateau à Ivry-sur-Seine. Nous devions
établir un calendrier évolutif de notre processus
en intégrant les différentes phases de démolition
et de construction de la ZAC. J’ai ainsi décidé
de travailler sur la valorisation des déchets de
chantier en éléments d’espace public. Il n’était
plus question de l’échelle d’une parcelle mais
d’un site de 2000 m², légèrement déroutant
en première année par la longueur de calque
d’étude à dérouler pour couvrir l’ensemble du
cadastre.
Cette échelle a cependant tout de suite était une
stimulation. L’espace urbain nous était donné
dans sa globalité, à une échelle graphique et territoriale totalement différentes de celles étudiées
et pratiquées jusqu’alors. Il y était
difficile d’apercevoir l’individu, individu qui
devait pourtant être le principal acteur de ces
futurs espaces dessinés. Le but était donc
d’infiltrer nos projets pour ramener l’idée globale
à l’échelle humaine. L’échelle urbaine pouvait
être aussi grande qu’elle le voulait, c’est la
dimension du trottoir ou la position du banc qui
rendrait le lieu accessible et satisfaisant pour
l’homme.
Il a donc fallu concevoir et dimensionner le
mobilier urbain en observant l’homme s’asseoir,
façonner les sentiers de dalles en le regardant
marcher, jusqu’à proportionner les dalles
réalisées avec les déchets de chantier pour
qu’un homme puisse les porter et assurer ainsi
une manutention rapide en cohérence avec l’idée
d’une adaptation constante de ces espaces
éphémères.
Collectif Encore Heureux, mobilier urbain
Nos cours de théorie et doctrine de l’architecture
jouent aussi un rôle très important dans cette
approche de l’échelle humaine. L’on nous y parle
des anciennes mesures corporelles des
tisserands comme le yard, mesure comprise
entre le menton et le bout du doigt, où le corps
servait à la mesure, très différents de notre
organisation actuelle où la valeur métrique
est définie depuis le 1er janvier 1963 comme
« la longueur d’onde égale à 1 650 763, 73
longueurs d’onde dans le vide de la radiation
correspondant à la transition entre les niveaux 2
p10 et 5 d5 de l’atome de Krypton 86 ».
Tentons toujours de retrouver le corps dans ces
techniques qui ont choisi l’abstraction. J’ai très
peu été confronté à une folie Corbuséenne durant
ma licence, mais quelques idées se sont
répercutées comme celle de l’invention d’un
mètre qui ferait fi de la taille humaine. En
dépersonnalisant la mesure, l’homme perd sans
doute la qualité architecturale.
Notre image mentale du corps se fabrique à
travers l’imbrication de tous les systèmes de
pensées enseignés, les relations géométriques
entre parties du corps, le rapport du corps à la
géométrie avec l’homme de Vitruve, mais cette
appropriation du corps et de sa propre géométrie
ne peut se dissocier de nos propres expériences.
Une de mes enseignantes de projet nous racontait que pour le mobilier, il ne fallait pas mesurer
tous les éléments précédemment réalisés mais
de se mesurer soi-même afin de comprendre où
l’assise de la chaise se positionnerait par rapport
à nous. Cette même idée fut reprise deux ans
plus tard par un autre de mes professeurs pour
parler du mobilier pré-dessiné dans les
bibliothèques AutoCad.
Dissociés du projet architectural, ils
s’apparentent à un catalogue de promoteurs
immobiliers et ne peuvent servir à habiter l’espace que nous concevons.
17
Des zones d’activités non-publiques au profit d’espaces publics
Les chantiers de déconstruction alimentent la création d’un
espace public
2000 m²
La fabrique d’espaces
Création d’un jardin temporaire en lien avec
les différentes phases d’élaboration de le
ZAC du Plateau à Ivry/Seine
Une intégration des éléments de l’espace public dans le projet de ZAC
Initiation au projet d’architecture
Séverine Roussel - Agnès Lapassat
Première année
L’espace public évolutif laisse peu à peu la place au projet
d’aménagement de la ZAC
Des espaces mobiles fonctionnant en interaction
Le projet d’espace public temporaire se poursuit dans la ZAC
19
Plan Phase 3
Détail d’un banc public du jardin temporaire
Lors du rendu de ce projet devant
l’atelier Trans 305 nous avons appris
que le collectif avait engagé un projet similaire sur la revalorisation des
matériaux de chantier. Une année
de recherche et d’expérimentations
pour transformer les gravats en une
nouvelle matière première locale ont
abouti à la création du Marbre d’Ici,
lauréat du prix COAL en 2011.
Cette matière a été intégrée au mail
Monique Maunoury, à Ivry/Seine
Plan détaillé de la phase 3
Détail d’une limite “habitable”
en gabbion du jardin temporaire
N
comprendre le corps, c’est avant tout le
21 Enfin,
voir comme un organisme vivant qui se déplace
Intensif Plastique, 2011, dessins
Expérimentations scéniques
Première année
J. Gautel
dans un espace et observer les interactions
engendrées avec l’environnement. On le
dessine, étape très importante pour intégrer ses
proportions et très peu réalisée dans les cours
de plastique, et on le pratique.
Le théâtre est selon moi un des meilleurs
moyens de provoquer des rencontres entre son
corps et un espace.
L’architecture est une mise en scène dont le but
est de créer un décor plaisant pour le spectateur,
le passant. Cependant ce décor est aussi conçu
pour que certaines personnes puissent évoluer
à l’intérieur, il doit donc prendre en compte
les besoins du futur utilisateur. Le théâtre est
semblable dans l’idée d’une mise en scène qui
répond aux attentes du public, tout en
l’imaginant adaptée à la pièce à jouer. Le corps
répond au nom d’architecture dans le théâtre,
particulièrement dans le théâtre contemporain où
le décor et les accessoires sont
minimalistes, car c’est à lui de se placer dans
l’espace pour que l’histoire joué fasse sens aux
yeux du spectateur. Faire du théâtre a été une
autre façon de se projeter dans des disciplines
telle que l’acoustique, afin de comprendre
comment le son de notre voix est porté au fond
d’une salle et comment l’architecture et la voix
doivent fonctionner ensemble pour obtenir un
résultat satisfaisant.
En groupe, réfléchir à la notion de corps dans
l’espace, particulièrement l’espace scénique.
Mise en chorégraphie de l’idée de fluide qui
habite chacun de nous, fluide qui tend à nous
amasser (société) ou nous
émanciper (individu).
L’idée de placer le corps dans un espace était
déjà une attitude courante avant d’entrer en école
d’architecture, puisque je pratiquais la gymnastique acrobatique et la danse contemporaine. Le
théâtre n’est qu’une continuité de ces activités,
apportant la résonance de la voix dans l’espace,
quoique souvent utilisé en danse contemporaine.
Les intensifs d’arts plastiques et la formation de
l’Atelier Théâtre depuis trois ans m’ont permis de
pratiquer le corps comme une architecture à part
entière et ainsi prendre le recul nécessaire pour
le reconsidérer dans chaque projet à l’échelle de
mon plan.
23 Carlos Liscano, Les Nigauds, 2012
Extrait de Grand Peur et Misère du III° Reich, Bertol Brecht, 2013
La danse et le théâtre
sont le mouvement du
corps ; la scène et la
chorégraphie en sont
l’architecture.
Cette pièce laissait une grande liberté à la
scénographie et aux jeux des acteurs par son
caractère absurde, nous permettant de travailler
sur l’ensemble de la pièce. Nous avons à travers
notre jeu, perçu l’échelle de notre corps par
rapport à l’espace scénique. Outil de jeu, le
corps est l’échelle théâtrale qui doit s’adapter au
lieu d’accueil et correspondre au registre de la
pièce.
25 Echelle de représentation
Introduire le plan dans ce rapport d’étude me
guide vers la deuxième échelle que nous
côtoyions quotidiennement, l’échelle de
représentation, ou échelle de communication.
L’échelle se définit par le rapport entre la mesure
d’un objet réel et la mesure de sa représentation.
Elle est exprimée par une valeur numérique,
souvent sous la forme d’une fraction. Dans le
dessin d’architecture, chaque échelle correspond
à son détail et à sa problématique.
Je n’ai abordé que très rarement l’échelle du
détail dans mes exercices de projet
d’architecture. Cette échelle est l’aboutissement
d’une maturité du projet, la possibilité
d’inscrire l’exercice dans un contexte constructif
et technique réel. Arriver à dessiner les détails
de son projet n’est que très rarement
possible dans la façon dont se déroulent nos
cours de projet. En effet, les enseignants
préfèrent travailler sur plusieurs exercices par
semestre, obligeant à synthétiser son projet par
de grandes idées sans rentrer réellement dans
le détail de l’architecture. Or l’échelle du détail
est tout aussi importante que le 1/100 pour
appréhender un espace.
REALISE PAR UN PRODUIT AUTODESK A BUT EDUCATIF
1/1000 et 1/500 sont des échelles de
situation
Plan RDC de l’Institut du Monde Arabe, 2012, TD Structure
A
F
G
H
I
J
K
L
M
N
O
P
Q
R
S
R
S
6
REALISE PAR UN PRODUIT AUTODESK A BUT EDUCATIF
7
Plan RDC ingénieur de l’Institut du Monde Arabe, 2012,
Une partie spécifique du projet est dessinée avec
plus de précisions, la constitution des murs est
les matériaux de revêtements sont entièrement
dessinés.
A
B
C
D
E
F
G
H
I
J
K
REALISE PAR UN PRODUIT AUTODESK A BUT EDUCATIF
Détail d’un logement, projet de logements Place d’Italie, 2012
E
5
1/50 et 1/20 sont des échelles de
détails.
1
REALISE PAR UN PRODUIT AUTODESK A BUT EDUCATIF
Un détail du projet est dessiné de la même façon
qu’il sera réalisé dans la construction du projet.
Ces échelles permettent de réaliser des détails
techniques, des liaisons d’étanchéité voire des
poignets de portes. Cette échelle nous montre
que l’architecte doit être attentif aux détails pour
s’assurer la bonne intégrité et la bonne
réalisation de son projet.
D
4
L’organisation des espaces est entièrement
dessinée, cette échelle est déjà le siège du
mobilier pour définir chacun des espaces. Cette
échelle se concentre sur le projet. Nous
travaillons souvent à cette échelle, où se dessine
et se précise les orientations du projet.
1/10 et 1/5 sont des échelles de
modénatures.
C
2
3
1/200 et 1/100 sont des échelles de
distribution.
Plan RDC, projet de logements Place d’Italie, 2012
B
1
REALISE PAR UN PRODUIT AUTODESK A BUT EDUCATIF
Plan masse, projet de logements Place d’Italie, 2012
Le projet est inscrit dans un environnement
extérieur. J’ai abordé ces grandes échelles
dès la première année, lors du projet de jardin
éphémère pour le réutiliser en troisième année
dans un exercice d’aménagement de ZAC aux
abords du faisceau ferré de la Gare du Nord,
dans le 18ème arrondissement. Le 1/1000
est une balance pour voir à la fois les grandes
connections entre projet et site, et instaurer une
première implantation sur ce site. La difficulté
est de mesurer notre trait afin de ne pas « trop en
dire », les autres échelles s’y emploieront.
C’est au travers de petites échelles que l’on
cerne au mieux la place du corps dans les
espaces à habiter, car c’est cette échelle qui sera
au contact de l’homme.
Nous abordons tout de même l’échelle technique
lors de TD de construction, selon deux
méthodes. L’une consiste à réaliser soi-même un
projet et le porter à son maximum de
précision avec l’aide d’ingénieurs collaborant
avec nos enseignants. La deuxième est d’étudier
un bâtiment dans son intégralité afin d’assimiler
des techniques constructives par l’observation.
J’ai ainsi étudié l’Institut du Monde Arabe pour
comprendre la partition et la structure.
2
3
4
5
6
7
L
M
N
O
P
Q
27
Maquette, projet de logements Place d’Italie, 2012
Pomme, Claes Oldenburg
Volant, Claes Oldenburg
Maquette de l’Institut du Monde Arabe, 2012, TD Structure
Les études d’architecture associent un autre
outil de représentation au service du projet afin
d’améliorer la communication, la maquette. Ce
moyen entre dans une communication
tridimensionnelle du projet, une façon de lier
plans et coupes dans un regard et un objet
d’ensemble. La maquette est une autre échelle
et de nombreux travaux d’artistes jouent sur
cette notion de réduction et d’agrandissement,
tel Claes Oldenburg qui réalise des sculptures
agrandies d’objets du quotidien, comme si
l’homme se retrouvait réduit à contempler ce qui
l’entoure en contre-plongée.
La maquette amène le regard à embrasser
l’ensemble du site, vision aérienne qui permet
de prendre un certain recul sur le projet et son
intégration dans l’environnement proche. La
maquette ne se conçoit pas sans une réflexion
sur l’échelle appropriée. Cette dernière peut
parfois être irréelle, aux proportions exagérées
pour rendre la maquette plus pertinente et explicite. Ainsi, nous nous retrouvons
généralement avec des trottoirs de 50 cm pour
mieux comprendre les limites de la chaussée.
Nous utilisons aussi ces distorsions sur les
maquettes de stratégies urbaines, où la maquette
se trouve être un plan masse extrudé.
La communication par la maquette pourrait
s’apparenter à l’apprentissage du schéma. En
effet, le schéma est par définition sans échelle
propre puisqu’il doit définir une notion que l’on
intègre au projet et ne doit pas décrire le projet
en lui-même. Nous sortons ainsi du cadre de
dessin d’architecture pour aller expérimenter
d’autres idées graphiques. Le schéma n’a pas
d’échelle et pourtant il permet de comprendre
l’échelle du projet. En effet, sur un dessin, il est
nettement plus aisé de figurer par des flèches les
grandes entités qui vont exercer une dynamique
sur le projet, une gare, un aéroport, un
centre-ville, éléments trop éloignés pour être
cadrés dans l’échelle du plan de masse.
Les Halles, plus que le centre de Paris ?
Analyse urbaine, 2013, Projet d’architecture
L’arrivée des logiciels de conception assistée par
ordinateur en troisième année bouleverse notre
rapport à l’échelle. Nous nous retrouvons devant
un espace sans échelle, où plutôt un espace
considéré comme à l’échelle 1/1 et où le zoom et le zoom + permettent de faire jouer l’échelle.
Le dessin « grandeur nature » est pourtant
toujours soumis aux lois de la représentation
puisqu’il faut apprendre à dessiner à l’échelle
1/1 virtuelle des dessins qui seront imprimés à
des échelles plus ordinaires, au 1/100 ou 1/200.
Ainsi, connaître en amont le détail de précision de chaque échelle en dessinant à la main
pendant les deux premières années, l’ensemble
de nos plans, coupes et détails, a permis de
s’approprier correctement les logiciels de dessin
sans perdre totalement la notion d’échelle.
29 Echelle du regard
Le regard est un outil dont nous apprenons
à nous servir dans les études d’architecture.
Appréhender l’échelle, c’est aussi aiguiser son
regard pour voir l’espace et le concevoir. Cet
apprentissage se nourrit de toutes les
expériences possibles qui vont s’ajouter à notre
enseignement.
Le premier cours d’arts plastiques a été de
dessiner dans les proportions réelles une des
Folies de Tschumi dans le parc de la Villette.
Plutôt académique comme début, notre
enseignant nous a ensuite dit que nous étions
dans ce cours pour deux raisons ; la première
pour nous initier au dessin et ainsi faire passer
rapidement des idées justes dans nos e
xercices de projets d’architecture, d’où
l’obligation de gérer les proportions ; la
deuxième pour s’émanciper de toutes les notions
graphiques et géométriques architecturales afin
de découvrir notre propre sensibilité à dessiner le
monde.
Sous la peau de la ville, Rakhshan Bani-Etemad
Nous sommes ainsi passés continuellement du
dessin de précision des objets de toutes
sortes, à la recherche des nuances de couleurs
de cactus des serres d’Auteuil.
Le regard a aussi joué un rôle important dans
mon initiation à la pratique de la vidéo. J’ai été
confronté plusieurs fois à la réalisation de vidéos
de quelques minutes pour parler autrement de
la ville. Il m’a fallu apprendre à manipuler une
caméra, c’est-à-dire à déplacer notre regard
dans le champ de la caméra puis monter ces
fragments de regards pour qu’en ressortent une
certaine cohérence. L’option thématique de
deuxième année, « la ville au cinéma », était
conçu comme un réel apprentissage du regard.
Nous avons visionné en compagnie des
enseignants, de nombreux films et courts
métrages traitant de thèmes urbains dans le
but de nous montrer l’étendue des possibilités
quand au regard. Dans la réalisation d’une vidéo,
il y a le défi de montrer ce que nous aimerions
faire voir et l’interprétation que nous en
donnons, le regard. Pour « la ville au cinéma »,
nous devions partager notre regard sur un quartier en le filmant.
Nous avons choisi le quartier de
Belleville, quartier dynamique et coloré, où se
croise de multiples cultures. Pour communiquer
ce dynamisme, la minute de vidéo était
entièrement accélérée au montage et les plans
se succédaient très rapidement pour perdre le
spectateur dans un kaléidoscope onirique de
couleurs. La caméra permet aussi de se poser
des questions simples mais essentielles dans le
choix de représenter un morceau de ville. Quel
point de vue pertinent, quel périmètre, quelle est
l’échelle temporelle de notre vidéo ? Toutes ces
questions montrent que la vidéo, c’est filmer une
échelle réelle pour reconstruire par le montage
une échelle imaginaire et fictive, rendant compte
de notre sensibilité au lieu. Pour une deuxième
vidéo réalisée lors de l’analyse urbaine sur le
quartier des Halles, « Du Ventre à l’air » nous
avons utilisé l’accélération au montage pour
montrer l’intensité de fréquentation de la
station des Halles et augmenter le contraste avec
toutes les poches calmes qui existent autour, la
fontaine des Innocents et l’ensemble du
quartier piéton. Nous avons ainsi crée une
échelle temporelle différente de la réalité dans le
but de faire passer une idée. La vidéo se met au
service de notre regard.
Aux Folies, 2011
Avec Tiffany Sutter et Pauline Leclabart
Option thématique - C. Garrier, Nava
31
Déjeuner sur l’herbe, 2012
Avec Eve Repaux et Christella Marthe
Plastique - H. Reip
Du Ventre à l’air, 2013
Avec Laetitia Philipon et Christelle Davrieux
Projet d’architecture - M. Nordstöm
33
Le jeu des échelles
La synergie de toutes ces échelles pourrait
s’appeler ville. Lorsque l’on arrive au dernier
semestre de notre licence et que nous abordons
la sphère urbaine, nous avons enfin toutes les
pièces en main de ce grand puzzle scalaire pour
comprendre que chaque échelle indépendante
est mise en scène dans un décor plus grand que
lui-même.
Notre vision de la ville semble s’apparenter de
plus en plus à une carte psychogéographique
surréaliste, puisqu’au fur et à mesure de cette
licence, nous avons lié entre elles des
connaissances nous permettant désormais dans
une vision globale de comprendre l’échelle
urbaine qui vient clôturer ces trois ans et nous
ouvrir d’autres horizons universitaires.
Echelle mobile
Ce cycle licence s’apparente à une volonté de
passer sans cesse du microcosme au
macrocosme. Les différentes disciplines
açonnant notre parcours au sein de l’école,
nous apprennent à concilier un regard objectif et
subjectif. Un regard à l’extérieur de nos travaux,
comme un point de vue haut et
panoramique telle que l’implantation dans le
site, à un regard dans les choses, un regard
nourri par nos propres expérimentations du
corps dans l’espace. L’image que je pourrai
donner à mon cursus serait celui d’un mandala.
Issu de la culture orientale et voulant dire
« cercle » ou « sphère » en sanskrit, le
mandala est un diagramme cosmique
représentant la structure concentrique de
l’univers. Il est un appui à la méditation et
permet de créer des images mentales en
associant plusieurs dessins compris dans les
différents cercles.
Pour le psychanalyste Jung, le mandala peut
aussi être la forme que se représente notre
inconscient lors de troubles de notre esprit.
Pour moi les études suivies dans cette école
sont une introspection sur soi, dans le sens où
elles nous poussent à nous connaître par
l’autonomie conférée, la diversité des
enseignements et la capacité de travail à fournir
pour apprendre. A l’image du mandala qui se
nourrit de détails parfois insignifiants pour rendre
plus riche la méditation, je vois l’ensemble des
cours suivi en Licence comme les détails de
notre cursus. Peut-être insignifiants, ils sont le
détail qui enrichit notre apprentissage.
Notre promotion n’a eu cependant que peu de
chance puisque précédant une réforme des
cours magistraux, nous avons eu des
enseignements identiques d’une année à l’autre
qui nous ont fait perdre le caractère essentiel
d’un cours, à savoir apprendre et non remplir les
heures d’un emploi du temps. Ces disciplines
n’auront parfois qu’un détail à apporter à notre
mandala architectural, mais c’est une autre
image de l’architecture que d’imaginer celleci par une multitude de détails plus ou moins
important mais évoluant ensemble pour former
un tout.
L’architecture s’est avérée être l’association
d’images de plusieurs plans et d’échelles qui
crée un monde vue du ciel mais adaptée entièrement aux dimensions de l’homme à pieds. Nous
pouvons désormais en regardant une fenêtre,
non seulement comprendre sa mise en oeuvre,
son intégration au complexe du mur, mais aussi
l’espace qu’elle va générer au sein du logement,
selon la largeur de l’appui ou de l’avancée de
balcon, et l’imaginaire qu’elle peut engendrer
pour chacun de ceux qui vont s’y pencher.
Guy Debord, Première de couverture du Guide psychogéographique de Paris
Etude urbaine des enjeux de renouvellement urbain sur la
commune de Boucau - stage de première pratique 2013
35 Echelle sociale
La place de la sociologie dans la Licence
d’architecture de Paris La Villette nous amène à
réfléchir sur l’échelle sociale. J’entends l’échelle
sociale comme une échelle qui associe culture
et territoire dans le sens de périmètre d’étude et
non d’une échelle de représentation graphique,
même si l’échelle sociale peut être représentée
graphiquement, comme dans de nombreux
schémas de Rem Koolhaas et son étude sur
le Lagos, créant ainsi une carte sensible des
zones d’embouteillage. L’échelle sociale est une
échelle abstraite qui tend à une autre
représentation du monde par l’imaginaire liant
l’homme à son territoire.
Durant un voyage d’études de géographie à
Dunkerque en deuxième année, nous sommes
montés sur une petite colline d’où l’on pouvait
encore voir en contrebas le tracé d’une ancienne
voie romaine, vestige de quelques blocs de
rochers, et d’une formidable ligne droite coupant
la plaine à la manière d’une ancienne cicatrice.
En un regard, nous étions confrontés à l’histoire,
la mobilité et les activités actuelles agricoles de
ce morceau de paysage.
La sociologie nous pousse à considérer l’échelle
locale et comprendre comment se constitue un
groupe social avant de savoir quelle architecture
y sera associée. Les divers travaux réalisés en
première année nous ont confrontés à l’échelle
mentale. De mémoire, nous devions redessiner
un quartier de notre enfance sans règle ni carte.
Cet exercice a été une première expérience de
la proportion. Le dessin ne comportait aucune
échelle mais nous comprenions l’emprise du
quartier par la taille des maisons et la largeur
des rues dessinées, amenant ainsi une autre clé
visuelle de lecture. De plus, cet enseignement
était un des rares où nous devions prendre la
plume pour expliquer les rapports entre
sociologie et espace.
René Danger nous dit que « l’urbaniste ne doit
prendre son crayon qu’après avoir terminé son
enquête de monographie locale et l’avoir
judicieusement conduite ; un problème bien
posé étant déjà près d’être résolu. »
Plan de mémoire socio ? trucs
socio première année
La présentation en première année d’une
analyse urbaine sur San Francisco par Anne
Veadez-Mouron a mis en évidence que l’échelle
étudiée, la ville dans ce cas, était induite par les
structures spatiales d’autres niveaux. Ainsi, Anne
Veadez-Mouron mettait en relation le territoire
avec la pièce pour des questions de vues, rue
et maison pour des questions de volumétrie,
en oubliant par exemple l’îlot qui découle de la
logique des rues et non d’une logique
indépendante dans le cas des villes régulières
américaines.
+ carte lagos embouteillage rem
koolhas
Paula Scher, Manhattan, 2007
Une analyse de la Place des Fêtes, dans le XIX°
arrondissement, m’a aussi permis de
comprendre comment fonctionnait cette place
qui, aux premiers abords, rebute la plupart des
gens qui la traversent mais qui répond à des
qualités sociales de place de village à l’intérieur
de la métropole parisienne.
L’échelle sociale est particulièrement présente
dans l’analyse urbaine, enjeu majeur de la
troisième année. La troisième année est une
initiation à l’échelle urbaine. Nous dépassons la
parcelle pour s’inscrire dans un territoire façonné
par son histoire. En suivant le cours de formes
urbaines, nous nous rendons compte du poids
de l’histoire dans les villes que nous
connaissons pour s’y être déjà promené,
innocent. Savoir d’où vient la ville pour savoir
où la ville va, cette ville actuelle qui ne cesse de
ressembler à un continuum urbain.
En plus d’un enseignement théorique, j’ai pu
réaliser deux études urbaines de plusieurs
semaines en amorce de chaque projet, analyses
qui ont contribué à finaliser mon approche sur
une imbrication constante des échelles.
La première analyse était un regard sur notre
logement et par extension sur notre
environnement proche, les limites sensibles de
notre quartier. J’y ai ainsi abordé la notion de
compensation du logement par tout ce que l’on
pouvait trouver à l’extérieur. Cette échelle
permettait donc de ne pas s’arrêter à des
qualités spatiales mais comprendre le logement
comme une entité définie inscrite dans une
entité plus large, chacun faisant réagir et évoluer
l’autre.
La deuxième analyse se positionnait sur le cardo
parisien, entre les rues Saint Martin et Saint
Denis afin de comprendre à quel centre renvoyait
la périphérie que nous allions étudier en exercice
de projet. Cette analyse a utilisé des mediums
très différents, croquis, vidéo, schémas
d’approche sensible, qui nous ont permis
de comprendre les phénomènes sociaux qui
s’articulait autour du quartier des Halles et de
Beaubourg pour mon fragment, tout en nous
obligeant à trouver une manière graphique de les
communiquer.
The Commons Inc, New New Amsterdam, Archiprix 2011
Central Park, 2012, photographie personnelle
Mais New York - de là lui
venaient son charme et l’espoir
de fascination qu’elle exerçait était alors une ville où tout
semblait possible. A l’image
du tissu urbain, le tissu social
et culturel offrait une texture
criblée de trous. Il suffisait de
les choisir et de s’y glisser
comme ALice de l’autre côté du
miroir, des mondes si
enchanteurs qu’ils en
paraissaient irréels.
Claude Lévi-Strauss, Le regard éloigné, Plon,
Paris, 1983
37
Promenade urbaine
Intensité des flux
Historique
2 heures
1150
8 heures
1
1300
Etude Urbaine
Beaubourg-Les Halles
10 heures
Comprendre la périphérie de Paris en
partant de son centre. Suivre le cardo
des rues Saint Martin et Saint Denis
pour analyser son expansion au cours
des siècles.
2
1600
12 heures
3
Dynamique des RDC du quartier les Halles-Beaubourg
1790
projet d’architecture
Minna Nordström
Troisième année
16 heures
1930
18 heures
22 heures
1980
39 Projet urbain
Cette troisième année a particulièrement éveillé
ma curiosité d’aborder le projet urbain comme
une réunion de toutes les échelles acquises au
cours de ma Licence. Le projet urbain est selon
moi un niveau beaucoup plus fort d’imbrication des échelles que le projet architectural.
Non seulement il se doit de fonctionner à une
échelle locale mais il doit aussi s’inscrire dans
un système plus global, celui de la ville et de
sa mobilité. Nous avions ainsi gardé de notre
analyse urbaine sur le quartier des Halles, cette
réflexion schématisée :
« Les Halles, plus que le centre de Paris ? »
En effet, le projet urbain va plus loin dans la
réflexion puisqu’il s’entoure de nombreux autres
acteurs amenant d’autres échelles, parfois peu
compatibles. Je pense à la dimension politique
des collectivités que j’ai pu rencontrer lors de
mon stage de première pratique en agence
d’urbanisme sur les agglomérations de Pau et
Bayonne (Pyrénées Atlantiques) et qui possède
une voix décisionnelle très forte dans la mise en
œuvre et la conception des projets urbains. Ce
stage m’a permis d’établir la dimension
multi-scalaire du projet urbain comme une
relation entre l’échelle humaine, spatiale et
temporelle.
Humaine, car le projet urbain est une vision
globale d’un territoire où va s’entrelacer de
multiples acteurs qu’il faut coordonner et
satisfaire. C’est peut-être une des formes les
plus terrestres de la démocratie. Les métiers de
l’urbanisme permettent ainsi de mettre en
relation des attentes de champs très différents
tels que la production de logement, l’agriculture
ou les espaces protégés afin de chercher la
satisfaction du plus grand nombre.
Spatiales, car l’échelle ne se contente pas de la
parcelle mais va voir « en dehors » pour
justifier l’aménagement « en dedans ». En effet,
« dézoomer » l’espace, c’est aussi prendre non
seulement du recul sur le territoire en y intégrant
le paysage environnant, mais aussi tisser du
lien avec l’extérieur pour ne pas enclaver un
territoire. Il faut penser la parcelle comme partie
d’un tout qui doit fonctionner ensemble et la ville
comme le pivot entre intérieur et extérieur, selon
Olivier Mongin dans La condition urbaine.
Temporelles, car le projet urbain s’inscrit dans
une durée qu’il est parfois difficile
d’imaginer pour des personnes extérieures aux
enjeux urbains. Le projet urbain est un circuit
long et patient, le fruit d’un incessant va et vient
entre les maillons d’une chaîne et résultant de
nombreux processus et concertations qui doivent
s’adapter aussi aux évolutions naturelles du
territoire problématisé.
41
Logement (n.m) : local indépendant gravitant dans un espace
commun fournissant l’ensemble des besoins de son habitant.
Etude Urbaine
Place des Fêtes
Un logement réduit, l’imagination des assemblages de fonctions
Introduire son logement dans un
quartier afin de comprendre quelles
interactions participent au bien être de
l’habitant. Réaliser un projet
répondant aux problématiques
soulevées, ici, la compenstion de la
taille du logement par son
environnement proche
projet d’architecture
Patrick Leitner
Troisième année
REALISE PAR UN PRODUIT AUTODESK A BUT EDUCATIF
REALISE PAR UN PRODUIT AUTODESK A BUT EDUCATIF
REALISE PAR UN PRODUIT AUTODESK A BUT EDUCATIF
Le logement intègre le quartier ; espace urbain et
domestique se confondent
Mixité du programme
Le projet, analogie d’un iceberg.
La pointe visible, les logements,
La partie immergée, l’ensemble des
équipements sportifs et culturels
manquant au quartier.
REALISE PAR UN PRODUIT AUTODESK A BUT EDUCATIF
43
Conclusion
Il est bien tôt pour s’imaginer en quelques pages
avoir réussi à clarifier les associations d’échelles
qui hantent nos études d’architecutre. Elles vont
d’ailleurs nous suivre bien au-delà.
L’échelle, si l’on ne considère pas la
représentation graphique, est abstraite et
subjective. Comment alors l’expliquer ?
L’échelle d’un enfant, l’échelle d’un adulte.
L’échelle d’un quartier connu, qui semble
toujours plus petit que l’échelle d’un quartier
que l’on découvre. L’échelle d’un objet sans
échelle, et qui prend ses dimensions dans notre
imaginaire. Aucun de nous ne peut répondre de
la même façon à la question :
“qu’est ce qu’une échelle ?”
Il a fallu pourtant au cours de ces trois ans
mettre des mots et des idées sur ces notions.
Apprendre à reconnaître les échelles, se
familiariser avec elles pour en extraire le
pertinent, se les approprier pour qu’elles
deviennent, au même titre que le crayon, la
règle, le calque ou la souris, des outils d’aide à
la construction de notre architecture.
Ma perception de l’échelle s’est nourrie de
chaque discipline enseignée et c’est dans un
processus lent et soigneux que j’ai commencé à
imaginer des liaisons.
Liaisons parfois évidentes, d’autres qui
paraissent plus personnelles, selon la façon de
voir le monde qui nous entoure.
Ce monde qui m’entoure s’est élargi durant ma
licence à une dimension plus grande que
l’architecture ; celle de la ville.
Selon Alberti, “la ville est une grande maison
et la maison une petite ville”. Il me semble que
l’analogie s’apparente trop à une dimension
physique. L’on ne peut réduire la ville aux même
enjeux que la maison, sinon, que pourrait
apporter la ville à la maison ? La ville répond à
des enjeux très divers touchant à des échelles
que nous n’avons pas l’habitude de cotoyer.
S’occuper de la ville, c’est être
actuellement en grande partie responsables du
visage et de l’échelle du monde. Une échelle
qui oublie souvent l’homme, pourtant acteur du
processus de fabrication de ces milieux où nous
évoluons.
La suite de mon cheminement s’inscrit dans le
suivi d’un Master 1 Projet Urbain à Rome, dans
le cadre des échanges Erasmus.
Le séminaire intégré, Architecture, projet urbain
et société, me permettra aussi d’approfondir ces
questions d’échelles, échelles qui lient dans une
étranges harmonie, hommes, temps et espaces.
45
Sources
Les sources cités ont chacune été source d’inspiration dans la rédaction de ce rapport d’études
Livres
BOURDON, Philippe, De l’architecture à l’épistémologie, la question de l’échelle, Paris, éd. Broché,
1991
MONGIN, Olivier, La condition urbaine, Paris, éd. du Seuil, 2005
KOOLHAS, Rem et MAU Bruce, S, M, L, XL, New York, Monacelli Press, 1995
Dictionnaire usuel
Cinéma
VERTOV, Dziga, L’homme à la caméra, Odessa, 1929
FELLINI, Federico, Roma, 1972
Théâtre
MONDOLINI, Jacques, Palestine Checkpoint, mise en scène de Robert Valbon, Paris, Théâtre de
Belleville, 2012
BOSSARD, Bertrand, Le jeu des mille euros, Paris, CentQuatre, 2012
Danse
RODRIGUEZ, Lia, Ce dont nous sommes fait, Paris, CentQuatre, 2013
Cie MALKA, Murmures, Biennale de la danse contemporaine de Lyon, 2012
KYLIAN, Jirï, One of a Kind, Ballet de l’Opéra de Lyon, 2012
Expositions
FRAC Orléans, Thématique et exposition : la mobilité dans l’architecture, 2012
Bertrand Lavier, depuis 1969, Centre Pompidou, 2012
Autres
Voyages personnels qui m’ont conduit à m’intéresser aux échelles - Montréal, New York, Prague,
Londres, Berlin, Istanbul - Cappadoce
Cours suivis à l’Ecole Nationale Supérieure de La Villette dans le cadre d’une Licence
Téléchargement