Questions de saison • L`art ne tient lieu de rien

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La Gazelle
le
journal
du
théâtre
Mai - Juin 2007
Dunois
n°8
Questions de saison
•
L’art ne tient lieu de rien
« Il faut que les gens s’approprient l’art et la culture ! » Le mot d’ordre est partout mais qui songe à en discuter le sens ? L’ultime volet de
notre réflexion consacrée au thème de la transmission interroge le rôle des artistes en général et du théâtre en particulier. L’art n’est-il
pas de plus en plus sommé de répondre à des exigences qui le dépassent ? Nous avons choisi de céder la parole à une jeune artiste,
Diane Scott. Le Théâtre Dunois accueille son adaptation de « Blanche Neige » de Robert Walser au mois de mai. Le ton, comme
le fond de son propos donnent à cette première page les accents d’une tribune. Un engagement de saison !
Qu‘est-ce que l’art peut encore transmettre aujourd’hui ?
Je ne crois pas que l’art ait à voir avec la transmission, sauf à être envisagé sous
l’angle de la culture. La notion de transmission suppose un objet défini : on
transmet « des biens », « un message », c’est à dire qu’elle induit aussi celle de
possession. Je ne peux transmettre que ce que j’ai en propre. Or il est certain que
penser l’art dans les termes finalement très bourgeois de l’acquisition et du
patrimoine est une façon de manquer ce qui le caractérise vraiment. On ne
s’approprie pas l’art, on s’en approche. Est-ce que tel ou tel grand spécialiste de
Joyce s’est approprié l’œuvre de l’écrivain parce qu’il l’étudie depuis vingt ans ?
Peut-on dire que Kafka nous transmet quelque chose ? C’est un peu absurde. Sauf
à dire de façon paradoxale que l’artiste ne transmet que ce qu’il n’a pas. Nous
avons du mal à penser le rapport à nos objets hors des modes hégémoniques du
« capital », n’est-ce pas ? Par exemple, on nous répète sans cesse qu’il y a trop
d’artistes, mais on ne se demande jamais s’il n’y a pas trop d’actionnaires ! Notre
société vit dans la phobie de l’excès, le trop de nourriture, le trop de sexe… on
pathologise l’excès, mais quand on a trop d’argent, qu’est-ce qu’on est ? Un qui se
lève tôt le matin et travaille…
Actuellement, n’assiste-t-on pas à une injonction un peu trop systématique
qui est faite à l’art d’être subversif ?
Oui, au point d’oublier que l’art n’a pas toujours été sommé de faire du désordre.
Il a d’abord été lié au sacré et au religieux, non ? Cette association entre art et
transgression est au fond une attente très bourgeoise ( j’entends par bourgeois
non pas un groupe social mais une disposition d’esprit, un écueil dont nul n’est à
l’abri ). On pourrait reprendre en la transformant la fameuse phrase du philosophe
Adorno : « Le bourgeois veut que la vie soit ordonnée et l’art subversif, le contraire
vaudrait mieux ». Clamer que l’art est là pour transgresser, n’est-ce pas une façon
de désamorcer toute subversion véritable d’une part, et d’autre part de cantonner
au seul champ de l’art, bien inoffensif en l’espèce, toute remise en cause de l’ordre
existant ? L’art ne tient lieu de rien, on ne s’y dédouanera pas de ce qu’on ne fait
pas ailleurs. Il y a une pratique du théâtre, dit politique d’ailleurs souvent, qui
C’est donc plus précisément ce que devient notre rapport à l’art qu’il s’inscrit dans cette fausse agitation, comme la Fnac est elle-même « agitateur » Il
convient de questionner ?
s’agit en général de prétendre dire le vrai, comme à une tribune, on explique qui
sont les méchants. Mais si le théâtre, et l’art en général, peuvent être des
Si l’art ne transmet rien, en revanche, on peut transmettre quelque chose de l’art. évènements, c’est bien parce qu’il y a là, la possibilité d’un rapport au sens qui est
C’est toute la question de la démocratisation culturelle, si décriée aujourd’hui. Je autre que celui du savoir.
suis frappée par l’omniprésence actuelle du discours sur l’échec de la culture comme
politique publique. J’y vois l’alibi d’une critique libérale de l’État et une façon de Est-ce que la représentation de théâtre, éphémère par nature, ne force
déplacer les questions politiques sur le terrain de la culture. Les problèmes de la pas une relation particulière avec le spectateur qui le place d’emblée
culture aujourd’hui, notamment l’injonction qui lui est faite de faire lien, se heurtent en marge d’un désir d’appropriation ?
à des obstacles qui la dépassent, notamment à la dynamique économique, qui, elle,
défait à tour de bras. L’économie aujourd’hui, c’est comme l’argent sale, on en Je ne crois pas que le théâtre soit un lieu de résistance par nature. C’est ce que l’on
blanchit les méfaits dans les domaines adjacents, et la culture est le Luxembourg de dit en général pour défendre quelque chose comme une singularité, une
l’économie capitaliste ! La démocratisation culturelle ne connaît de crise que celle, « noblesse » du spectacle vivant, que l’on y serait dans un rapport privilégié,
symptomatique, qu’induisent les modes de production et d’organisation du travail d’immédiateté et de petit nombre. Mais je ne vois pas en quoi le fait que le théâtre
contemporains et c’est une crise politique. Pourquoi n’exige-t-on que du Ministère « touche » moins de gens que le cinéma par exemple, théoriquement, et les touche
de la Culture des objectifs de démocratie, et pas des autres ? J’ai peut-être l’air soit-disant directement, serait le gage d’un espace préservé des problématiques
générales. On investit le théâtre d’un fantasme démocratique, - comme du reste on
d’être hors sujet par rapport à votre question, mais je ne crois pas.
Car ce qui me paraît le plus au cœur de la question de la démocratisation culturelle, investit le signifiant « démocratie » d’un fantasme de consensus - alors,
donc de la transmission, c’est moins une question d’objet que de rapport à l’objet. confusément, on se flatte d’appartenir à un espace plus pur qu’un autre ! Mais il
C’est moins la question quantitative de l’accès aux œuvres, de l’élargissement du n’y a pas d’endroit statutairement pur. En revanche, le théâtre ne produit pas
public, comme on dit - qui est finalement une question d’efficacité publicitaire, - d’objets pérennes, cela implique que leurs auteurs, au sens large, metteurs en
que celle, qualitative que nous éprouvons au moment d’une représentation. Cela scène et autres, ne peuvent en attendre les dividendes d’objets que l’on transmet.
revient à parler des conditions de possibilité du rapport à l’art, et notamment de ce Le théâtre est un art qui ne laisse pas d’objets. Et d’être confronté à l’évanescence
que les modes d’organisation actuels fabriquent comme rapport au monde, en tant de son propre travail, à quelque chose comme une perte finalement, est une chose
que sujets. Dans quelle mesure, la façon dont les modes de production nous qui, du moins pour moi aujourd’hui, ne va pas de soi.
constituent et organisent nos vies, autorise un rapport à l’art, et lequel ?
Après une formation de comédienne à Nîmes, Diane Scott fonde la compagnie des Corps secrets en 2002. Elle a présenté « Cinq lettres portugaises » ( 2003 ), «Confit » ( 2004 ) et « Pièce courte sur Artaud » ( 2006 )
Iconoclastes ?
Trois compagnies s’emparent d’œuvres du répertoire, mais rien à voir avec l’adaptation de classiques.
Où il sera plutôt question de « désadaptation » : coupes franches, adjonction de vidéo,
introduction de marionnettes… Les metteurs en scène de ces formes contrastées
présentent au fond une ambition commune : rendre l’étrangeté radicale de ces
histoires connues de tous. Entretiens.
Rencontre avec Marc Baylet
Un Shakespeare de moins
Qu’est-ce que le Théâtre peut / veut raconter quand il s’empare d’une pièce
aussi exemplaire que « La tempête » de Shakespeare ? Le metteur en scène
Marc Baylet conçoit ses mises en scène comme autant de variations, au
sens musical du terme.
Vous vous inspirez de la pièce de Shakespeare mais vous ne respectez
absolument pas le texte…
Je me sers du thème de la Tempête pour improviser une variation comme le ferait un
musicien avec un standard de jazz. C’est comme si je composais une partition. « La
tempête » est la source et je tente de retrouver le principe d’une transmission orale. Ce
qui m’intéresse, c’est le thème de la vengeance de Prospéro, ce magicien qui abandonne
le pouvoir et choisit la sagesse. Le répertoire classique offre des grandes figures
emblématiques auxquelles on a besoin de se confronter. J’ai donc gardé quelques
figures symboliques, celles d’Ariel, de Caliban… Mon pari, ce n’est pas d’adapter pour
simplifier, mais de rendre cette histoire dans sa complexité même. La langue de
Shakespeare sonne quasiment comme une langue exotique. Rester aveuglément
fidèle au texte, c’est visiter l’œuvre comme on irait au musée. On peut faire ce choix
là et y trouver du plaisir. Ce n’est pas ma conception du théâtre. Je cherche à
retrouver l’étrangeté de cette histoire, et pour cela, j’ai besoin de la trahir.
Vous réunissez des matériaux très différents qui interviennent au
même titre que le texte…
Oui, j’écris avec le plateau en endossant le rôle du magicien-machiniste pour que
s‘active une tempête d‘images, de sons, de mouvements… Il y a une table, un
espace de régie son et lumière, une platine, des caisses, des mannequins… Par
exemple, quand je monte la première scène du naufrage du bateau, j’élimine les
répliques des marins qui n’ont guère d’intérêt et je mets l’accent sur le fracas
sonore, les déplacements dans l’espace et surtout je dévoile non sans ironie les
« trucs » de cette tempête « préparée ». Et tout ceci n’empêche pas que ça
reste un théâtre très identifiable, avec le lever de rideau, les morceaux de
bravoure… Ce n’est pas parce qu’on intègre des matériaux contemporains que
l’on fait ce qu’on veut avec une œuvre. C’est là où c’est intéressant. Le
personnage de Prospero appelle assez naturellement le traitement vidéo : le
jeu de la caméra épouse son don de vision et raconte son désir de contrôle. Il y
a un déplacement du personnage vers la technologie, mais la réciproque est
également vrai. Cette technologie est forcément bricolée, artisanale,
instrument et objet de théâtre.
Qu’est-ce qui dans votre démarche peut être jugé iconoclaste ?
Je crois que s’il y a quelque chose d’iconoclaste, c’est justement ce processus
de fabrication qui vaut ici et maintenant, de manière très provisoire. D’où
l’idée de variation ou de modulation. Je m’efforce d’être dans le présent du
théâtre, de partager cette émotion si singulière qui ne peut exister qu’au
Théâtre. C’est une tentative de ravissement du spectateur qui peut échouer. Le
diable pour moi ce n’est pas l’ennui, c’est la bêtise.
« Avis de tempête », par la compagnie Anabase,
du 9 au 13 mai 2007
Rencontre avec Diane Scott
Indécidable Blanche-Neige
Ils se marièrent et… c’est à ce moment là que Robert Walser intervient,
reprenant les éléments du conte pour mieux changer l’ordre des choses.
Que veut véritablement Blanche-Neige ? Un trouble énigmatique s’installe.
Nous voilà bien loin de la version édifiante…
En quoi cette version de Blanche-Neige peut dérouter le spectateur qui ne
connaîtrait pas Robert Walser ?
Ce texte est très beau et étrange pour de nombreuses raisons. D’abord il y a un rapport au
temps qui ne relève d’aucune narration traditionnelle. La pièce commence alors que le
conte a déjà eu lieu, mais les personnages en rejouent les enjeux. A quoi s’ajoute le fait
que la pièce prend explicitement le conte comme référence, ce qui installe un espacetemps tout à fait singulier. Le rapport à ce qui est vrai ne cesse d’être malmené. Ensuite il
y a le drame proprement dit qui, à la différence de la logique des contes, met en scène des
blocages plutôt que des résolutions, ou bien des résolutions en demi-teinte. On est avec
ce texte de Walser dans une incertitude permanente quant à la nature des choses, des
sentiments et des faits, et une incertitude quant au statut même de cette incertitude : estce désespérant ou est-ce un caprice un peu désinvolte ?
Est-ce cette approche du conte qui vous a donné envie de le mettre en
scène ?
Non, je crois que ce qui a présidé au choix de ce texte tient à des choses à la fois
importantes et très subjectives (un mot, qui ne plaît pas forcément d’ailleurs, qui m’a
irritée peut-être, la première fois que j’ai entendu le texte ) et très circonstancielles et
hasardeuses. Il faut dire aussi que, bien qu’au final, le texte semble être au cœur du
spectacle, nous avons abordé la pièce (et l’auteur) de biais depuis le début, sans chercher à
reproduire quelque chose de la pièce ou de l’univers de Walser sur scène, mais en cherchant
à produire un objet qui se tienne, qui ait sa cohérence, fût-elle infidèle ou décalée.
Dans quelle mesure Robert Walser incarne à vos yeux une figure
d’indiscipline ?
Certainement d’abord dans la mesure où il ne l’a pas cherché. Il y a cette très belle notion
chez Deleuze qui est celle du « devenir-non-écrivain », qui signe à ses yeux le véritable
écrivain. Le vrai auteur serait celui qui serait réfractaire en permanence à la volonté d’être
Ecrivain, de s’inscrire dans la Littérature, de faire Œuvre. Ne pourrait-on pas parler de Walser
ainsi, et ses « microgrammes » ne sont-ils pas précisément une sorte de matérialisation
exemplaire de cette idée ? Cette écriture minuscule et qui n’était lisible que de lui, sur des rebuts
de papiers, à qui s’adressait-elle ? C’est d’autant plus déroutant, ou indiscipliné si vous voulez,
aujourd’hui, à une époque dominée par une idéologie de l’Auteur, et par la valorisation de « moi »
forts et battants. Il y a une forme d’anonymat, de retrait du monde, une absence d’ambition
pourrait-on dire, chez Walser, qui est en réalité l’un des ressorts, sinon le ressort, de cette « littérature
mineure » magnifiée par Deleuze et Guattari, qui est la véritable littérature révolutionnaire.
« Schneewittchen », par la compagnie les Corps secrets,
du 2 au 6 mai 2007
Rencontre avec Cécile Fraysse
Fantasmes de fillette
Voyage souterrain au centre d’une petite fille que l’on croyait modèle…
Sur le fil du monde réel qui se déplie, on traverse les images déroutantes de paysages fantasmés.
Une interprétation libre du poème fleuve de Gertrude Stein, « Le monde est rond ».
Qu’est-ce qui fait de Rose un être inattendu ?
Rose est le personnage central de la pièce et au départ, elle incarne la petite fille modèle qui semble littéralement « tourner
en rond » dans un univers suranné. Très vite, suinte une sensation d’ennui profond et de mélancolie, une solitude d’enfance
triste. Alors vont surgir de son esprit rêveur deux anges noirs, incarnations des forces intimes de son imaginaire, de son
inconscient. Une autre figure intervient, un grand chien blanc, très docile qui s’appelle Amour. Celui-là est à la frontière du
domestique et du sauvage, point de frottement de deux mondes où se trouve justement Rose. Et Rose va se frotter au monde
tout en continuant d’avoir très peur à l’idée de quitter sa bulle imaginaire. La force du texte de Gertrude Stein tient justement
au fait qu’il prend le parti d’aborder aussi bien les rêves que les cauchemars de l’enfant.
Mais c’est peut-être moins le contenu que la forme du texte qui risque de déranger…
En littérature, les deux sont indissociables, mais il est vrai que la forme même du texte peut déboussoler. A aucun moment,
Gertrude Stein ne s’ennuie avec les contraintes de narration. « Le monde est rond » est d’abord le récit d’une introspection
et il y a souvent rien à « comprendre » au sens rationnel. Il faut accepter de se laisser entièrement porter par les émotions
profondes et énigmatiques soulevées par le texte. C’est un voyage, délicat et fragile, qui peut paraître difficile pour qui vient
au théâtre voir une histoire claire nette et précise. Mon adaptation reprend des fragments du texte original. Il y a des
morceaux de petites histoires. Je n‘ai jamais privilégié l‘évènement. Les nombreuses coupes que j’ai introduite servent à
construire un parcours pour le spectateur mais sans lâcher la complexité du texte, car j’avais envie de rendre ses multiples
dimensions. Ce qui est en jeu ici, c’est vraiment la force de l’imaginaire et la poésie qui en découle.
Quel est le rôle des marionnettes dans cette adaptation ?
Rose est à la frontière de la poupée et de la petite fille. C’est une
marionnette mais on se demande souvent si elle est Rose ou la
poupée de Rose… Elle prend de plus en plus précisément vie au fur et
à mesure que son regard sur le monde s’aiguise mais il n‘y a pas de
réponse définitive. La marionnette est un instrument qui peut
rapidement déranger car elle fait agir des forces énigmatiques. Les
anges gardiens de rose, ceux qui la manipulent, sont masqués. Ce
masque leur confère une dimension de pantin articulé comme si les
qualités des êtres animés et inanimés s’échangeaient. Ces figures qui
veillent sur Rose représentent ces parts profondes d’elle même, sa
propre obscurité. On est loin des figures mièvres qu’on associe
souvent aux marionnettes pour enfants…
« Rose », par la compagnie AMK,
du 24 au 29 avril 2007
Ce qui se tisse, à la marge
Quel rapport entre les « battles » de Hip Hopper désenchantés et les
causeries d’une grand-mère plantée devant sa machine à
coudre ? Rien, si ce n’est l’expression d’un désir urgent :
imaginer, en marge de tout ce qui se défait,
une autre manière d’être ensemble.
La machine à coudre
Rencontre avec Bernard Sultan
Changement radical de décor avec cette pièce de grand-mère,
habitée de machines à coudre et d’un flot de paroles décousues.
Ce qui frappe chez cette couturière ? Le plaisir simple qu’on éprouve à
l’écouter causer tout en la regardant coudre.
Entretien avec Bernard Sultan, metteur en scène.
Le garçon aux sabots
Rencontre avec Luc Laporte
Une partition volontairement percutante pour quatre garçons qui
se veulent « le maître du monde ». Le metteur en scène Luc Laporte
questionne la violence avec peu de mots, privilégiant d’autres
expressions comme la danse et l’image.
Quatre danseurs de Hip Hop sont au cœur de votre spectacle ce qui
n’est pas étranger à votre longue expérience de tournées et
d’actions culturelles en Île de France…
J’avais effectivement envie d’un langage actuel et d’une forme de rapport
plus immédiat avec le public. Le Hip Hop permet cela, et j’ai vraiment
découvert à l’occasion du travail avec les danseurs une culture en gestation
qui m’a fasciné. Je me suis dit que les corps et les codes des danseurs
pouvaient vraiment servir mon idée de « Théâtre marionnettique » qui veut
privilégier la concision d’écriture et les forces des situations. Quand nous
sommes passés au travail de mise en scène et à la construction des
personnages, nous nous sommes posés la question de leur identité. Mais il
est vite apparu que ce que j’orchestrais, c’était la mise en scène des danseurs
tels qu’ils sont, avec leurs différentes personnalités. Le casting a été un
moment important car je voulais une fille aux côtés d’un black, d’un beur,
d’un blanc… Oui, j’ai cherché un arabe, de la même manière que Koltès inscrit
qu’il a besoin d’un algérien dans « Retour au désert ». Je ne veux pas que les
spectateurs s’identifient à la fiction de la pièce, mais je trouve important que
mon public, majoritairement métissé puisse s’identifier aux danseurs. Compte
tenu de ce que le spectacle véhicule, le fait qu’il soit défendu par une équipe
multiraciale a du sens pour moi.
Des machines à coudre au centre d’un plateau de théâtre, l’idée est
plutôt insolite…
C’est vrai que les machines à coudre sont, avec les costumières, plutôt
familières des coulisses… Mais j’ai justement écrit cette pièce pour une
costumière que je connais depuis très longtemps, Monique Scheigam.
Monique a toujours accompagné le travail des autres ( elle a longtemps
collaboré avec Philippe Genty) et nous recevait chez elle au milieu des chutes
de tissu et des costumes qu’elle fabriquait. Cette image de la personne qui
coud tout en causant avec ceux qui l’entourent est quelque chose de très fort
pour moi. Cela est certainement lié à mes propres souvenirs d’enfance. Mon
grand-père était tailleur et j’ai grandi au milieu des tissus, des machines à
coudre et des conversations dont je ne percevais que des bribes de sens…
C’était comme une suite d’histoires décousues à l’intérieur desquelles j’ai
appris à parler et je crois beaucoup à cette acquisition de la langue en
regardant s’activer les mains de ses parents. Au fond, ce qui est en jeu au
milieu de cette matière et de ces mots, c’est le sentiment d’appartenance à un
tissu familial, social, de tendresse et d’humanité. Le thème de la transmission
traverse toute la pièce. Est-ce que le fil menace de se rompre aujourd‘hui ? En
tous cas, je le sens menacé et c’est un sujet urgent pour moi.
Qu’est-ce qui vous a attiré dans la pièce de Marie-Line Laplante?
Paradoxalement, c’est le « peu de mots » du texte qui m‘a d‘abord séduit. Ce
parti pris sert véritablement le propos. Les personnages sont engagés dans une
spirale de la violence et il est important de comprendre que cette violence vient en
grande partie du fait que ces garçons disposent de peu de mots. Ils ne savent pas
dire tout ce qui leur fait mal alors qu’ils sont livrés à un monde de compétition, de
concurrence, où l’autre est perçu comme un rival, un ennemi. Et quand l’un des
personnages finit par devenir le maître du monde, il se retrouve dans un monde
désert où sa raison s’effondre. La mise en scène veut montrer l’impasse tragique de
cette violence et affirmer en creux la nécessité des règles pour vivre ensemble. J’ai
pris le parti de respecter la version originale du texte et de m’en tenir à cette fin, très
controversée, qui ne montre rien d’autre que la destruction. Rien ne vient racheter les
personnages, et il n’y a aucun message positif, simplement le constat que cette
violence a mené tout le monde droit dans le mur. Nous aurions pu détendre
l’atmosphère en concluant par une danse bien rythmée et ludique, mais les danseurs
eux-mêmes ont tenu à défendre la logique du propos jusqu’au bout. C’est sans doute
très fragilisant, mais plus honnête.
Quel rapport entre les histoires que raconte la costumière et ce
qu‘elle fabrique ?
Il n’y a pas de rapport direct. Le spectacle s’adresse à des enfants très jeunes
qui ne comprendront certainement pas tout ce que raconte le personnage. Les
mots sont des mots d’adultes et il n’y a pas de narration suivie. Le personnage
évoque des histoires de famille, de cousines qui se retrouvent, se perdent. C’est
à prendre comme un patchwork dont les enfants retiendront des bribes. Mais
pour tenir le fil, il y a justement la réalité de la couture et de ce qui se fabrique
à vue sur le plateau. Monique crée de véritables costumes. La proximité avec la
comédienne joue beaucoup aussi. Les enfants peuvent presque toucher les
tissus ce qui est une manière de les englober dans la parole de cette couturière.
C’est vraiment comme un enveloppe. Les réactions des enfants sont d’ailleurs
très amusantes car ceux qui viennent s’agglutiner autour de la machine à coudre
à la fin du spectacle, ce sont surtout les garçons. Et beaucoup s’exclament
« C’est un beau métier, je ferais bien de la couture ! »… J’insiste beaucoup pour
que ce spectacle soit vu par des enfants accompagnés de leurs parents et grandparents car c’est l’occasion pour les adultes de se mettre à parler de leur enfance
et de prendre le temps d‘échanger sur ce thème. Nombreux sont ceux qui ont
vécu cette présence de la machine à coudre au milieu du salon. Quand les mères
se mettaient derrière leur machine, les enfants traînaient volontiers autour, et il y
avait là une manière particulière d‘être ensemble. C’est un peu comme pour la
cuisine ou le jardinage : ces activités ont un caractère ancestral. On est dans un
temps autre, un peu suspendu. A travers le faire, une qualité de présence
particulière est convoquée. C’est d’autant plus frappant que les modes de vie
contemporains privilégient le pratique, le rapide, et dans le même temps notre
société se détisse. J’ai la nostalgie de ces liens, et je crois que le théâtre joue un
peu le rôle de ces machines à coudre.
Ce peu de mots sert aussi votre esthétique…
Il laisse la place à d’autres formes d’expression comme la danse ou le travail sur les
ombres et la musique. Les propositions plastiques de Thierry Dufourmantelle, et
chorégraphiques de Sébastien Lefrançois sont fondamentales dans ce travail que je conçois
comme un métissage. On a beaucoup parlé du théâtre d’auteur ces dernières années. Au
point d’oublier parfois que le théâtre n’est pas une variation littéraire, que c’est un langage
plus concret. Nous avons beaucoup travaillé sur le corps-marionnette, la scansion, ce que
raconte l’énergie des corps au sein des batailles, des cavalcades… Je voulais marionnettiser
les personnages pour ne pas créer une atmosphère réaliste. L’idée est de mettre à distance
cette spirale de violence, et de tendre par là un miroir au public.
« Le garçon aux sabots », par la compagnie Contre-ciel,
du 30 mai au 10 juin 2007
« La machine à coudre » par la compagnie l’Emporte-pièces
du 13 au 24 Juin 2007
ça
Ah
i
,
ra
ça
ça
ira
a
ir
!
,
Depuis le commencement, chaque nouvelle saison se construit comme un coup de poker, en conjurant
le sort de nous être favorable, et de nous donner les moyens indispensables à la mise en œuvre des
projets élaborés souvent dans l’enthousiasme et la fougue… Cette fois une sourde inquiétude s’est
immiscée dans la gestation. Que vaudront ces projets d’ici l’été ?
Nelly Le Grévellec
L
u n d i ,
c ’ e s t
t o u t
r é f l é c h i !
Le Théâtre Dunois en partenariat avec Scène( s ) d’Enfance et d’Ailleurs, fait salle ouverte
un lundi chaque mois de 17h à 19h
Nouveau volet des séances animées de nos lundis consacrées aux questions qui laissent enfin parler tous ceux qui ont des choses à dire !
Parents, pédagogues, artistes, programmateurs, philosophes, journalistes... Vous êtes de ceux qui ne réduisent pas le Théâtre à un objet consommable,
qui questionnent le devenir de l’art dans notre monde et qui s’interrogent sur la manière de susciter du désir chez le spectateur ? Prenez date :
Lundi 30 Avril 2007 de 17h à 19h
L’entre deux tours : tout est-il encore possible ? L’artiste
et le citoyen ont-t-ils une place dans le débat politique ?
A
A
v o s
Lundi 21 Mai 2007 de 17h à 19h
Le Hip-Hop, art communautaire
ou art tout court ?
Lundi 18 Juin 2007 de 17h à 19h
Les projets solidaires sont-ils possibles
dans le spectacle vivant ?
a g e n d a s
v a n t - g o û t
d e
l a
3-21 Octobre 2007 • « Les animaux de tout le monde »
d’après Jacques Roubaud, création
• compagnie Petite lumière • Musique-Poésie • 5+
23-31 Octobre 2007 • « Paroles d’oiseau »
• par l’Ensemble Odyssée • Musique • 3+
7-18 Novembre 2007 • « Poids plume »
• compagnie La Margoulette • Musique-Récit • 8+
21 Novembre-2 Décembre 2007
• « Humeurs de papier », création
• compagnie Siloé • Danse-Art plastique • 6+
3-9 Décembre 2007
• Résidence de l’Ensemble Aleph
• Musique contemporaine
« DE L’ART POUR LES BEBES ! »
11-23 Décembre 2007
Programmation en cours
s a i s o n
2 0 0 7
-
2 0 0 8
« LES ICONOCLASTES »
26-30 Mars 2008 • « Sleeping beauty »d’après La Belle au Bois Dormant de Grimm
• compagnie Akselere • Théâtre d’objets • 12+
2-6 Avril 2008 • « La flûte enchantée » d’après Mozart • Tous Dehors • Musique • 6+
9-13 Avril 2008 • « Sommeil en si bémol » d’après L’homme au sable de E.T.A. Hoffmann,
création • compagnie Eclats d’états • Théâtre d’objets-Musique • 7+
16-20 Avril 2008 • « Sirène, si roi » d’après La petite sirène d’Andersen, création
• compagnie Picomètre• Danse • 8+
14-25 Mai 2008 • « Léon, Li, Louis » de Valérie Duronzier, création
• compagnie Ches Panses Vertes • Théâtre-Marionnettes • 3+
26 Mai-1 Juin 2008 • Résidence de l’Ensemble Aleph • Musique Contemporaine
« DU SOLEIL MÊME LA NUIT »
dans le cadre de la Saison finlandaise en France
4-15 Juin 2008 • « Déguisé en homme », création
• compagnie La Métonymie • Théâtre musical • 8+
18-22 Juin • Programmation en cours
9-20 Janvier 2008 • « La petite Odyssée »
• TJP Centre Dramatique National d’Alsace
• Théâtre-Marionnettes • 7+
23 Janvier-3 Février 2008 • « En vol », création
• Marmite Production et Cie
• Théâtre-Musique-Vidéo • 6+
4-10 Février 2008
• Résidence de l’Ensemble Aleph
• Musique contemporaine
13-29 Février 2008 • « Mangerie(s) », création
• compagnie AMK • Théâtre-Poème en 3 histoires
• 2+,6+,9+
12-23 Mars 2008 • Egblé Makou, création
• compagnie Fabre-Senou • Danse • 7+
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75013 Paris
Tel : 01 45 84 72 00 Fax : 01 45 86 39 24
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site : www.theatredunois.org
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T
108, rue du Chevaleret
75013 Paris
Direction Nelly Le Grevellec
a r i f s
Adultes
Tarif plein : 16 €
Tarif réduit : 11 €
(habitants du 13e, carte vermeil)
Tarif - 26 ans
et adultes accompagnant des enfants
(2 adultes maximum pour 1 enfant) : 10 €
Tarif enfant ( -15 ans )
et adultes les accompagnant habitant le 13e
(2 adultes maximum pour 1 enfant) : 6,50 €
Cartes « Famille »
(5 places maximum
par représentation,
valables une saison)
15 places : 70 €
10 places : 55 €
6 places : 35 €
Scolaires
Maternelles et primaires : 4,60 €
Collèges du 13ème arrt : 4,60 €
Collèges hors 13 arrt : 6,50 €
Centres de loisirs : 4,60 €
La Gazelle
A
s
è
cc
M°6 • Chevaleret
M°14 • Bibliothèque François Mitterrand
Bus 27 • Clisson
RER C • Bibliothèque François Mitterrand
le journal du Théâtre Dunois
Direction de la publication : Nelly Le Grévellec
Conception, rédaction : Céline Viel
Conception graphique : S.Pipo
Impression : L. Imprime
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