PHI-9018 - 20 Séminaire de recherche en philosophie de la culture Session: automne 2007 Local: W-5305 Mardi 14 h - 17 h Professeur: Dario Perinetti Bureau: W-5450 Téléphone: 987-3000 poste 3018 Heures de bureau: Lundi de 12h à13h30 Courriel : [email protected] Identité, nécessité et liberté chez Hume I - PROBLÉMATIQUE ET OBJECTIFS Par un parcours historique sur la philosophie de David Hume et son contexte immédiat, nous allons dans ce séminaire examiner la question suivante : comment une théorie naturaliste de l‘esprit peut-elle rendre compte de l‘ensemble des phénomènes qui découlent de ce que nous nommons « liberté » et qui sont à la base de ce que nous appelons notre « culture »? La tentation typique du naturaliste est de « réduire » l‘ensemble de ces phénomènes au vocabulaire des sciences de la nature en montrant en même temps que ce que nous appelons notre culture n‘est autre chose qu‘un simulacre de notre nature. L‘intérêt de la philosophie de Hume pour l‘examen de cette question générale provient du fait que, à la différence de la plupart des naturalistes contemporains, Hume est un naturaliste sceptique, c‘est-à-dire, un naturaliste qui refuse d‘endosser des thèses métaphysiques (aussi « scientifiques » puissent-elles paraître) à propos de ce que la Nature est. Il n‘y a donc pas pour Hume un vocabulaire naturaliste privilégié (celui, par exemple, de la physique expérimentale ou de la théorie de l‘évolution) auquel les phénomènes pourraient être réduits. Le naturalisme de Hume, dans la mesure où son scepticisme l‘oblige à faire l‘économie de tout engagement ontologique, se cantonne à l‘étude des dispositions naturelles de l‘homme; le mot « naturelles » étant entendu simplement au sens d‘« habituelles » ou « normales ». Cette thèse, on le sait, a conduit Hume à entreprendre une critique radicale des conceptions de la causalité qui font appel à des thèses ontologiques. La causalité n‘est compréhensible, selon lui, que dans les termes de notre disposition à associer de manière ordonnée une classe d‘événements avec une autre classe d‘événements, disposition qui est générée par notre expérience de la conjonction constante dans le passé entre les instances de ces deux classes d‘événements. Par cette compréhension de la relation causale, Hume entend dissoudre la distinction traditionnelle entre la causalité physique et le type de relation existant entre une motivation et une action (« causalité » ou « nécessité » morale). Il s‘agit dans les deux cas, soutient-il, du même type de relation; relation qui n‘est compréhensible que par référence aux dispositions générées par l‘expérience. Hume tire donc la conclusion qu‘il n‘y a pas de différence entre la « nécessité morale » (la relation existant entre motivation et action) et la « nécessité physique » (la relation existant entre une cause et un effet). En abolissant la différence entre nécessité physique et nécessité morale, Hume dissout également la distinction entre le normatif (la sphère de tout ce qui — comme les actions — est gouverné par des règles) et le naturel (la sphère de tout ce qui est gouverné par des causes efficientes). Cette ouverture des frontières entre le naturel et le normatif conduit Hume à la formulation de ce qu‘on tient de nos jours pour la thèse classique du compatibilisme, c‘est-à-dire, la thèse selon laquelle il n‘y a pas d‘incompatibilité entre soutenir que toutes nos actions s‘insèrent dans un ordre causal et soutenir que nos actions sont déterminées par une volonté libre. Or, une compréhension du compatibilisme humien est nécessairement liée à une compréhension de la nature du sujet. Le lecteur du Traité et de la première Enquête se heurte cependant à des difficultés d‘interprétation importantes lorsqu‘il tente de déterminer quelle est exactement la conception humienne du sujet. En effet, dans le livre 1 du Traité de la nature humaine (1739-40), Hume avance un argument sceptique par lequel il conclut que nous n‘avons jamais accès à l‘« impression » de nous-mêmes et que donc, ne pouvant pas être directement conscients de notre propre identité, l‘idée que nous nous faisons de notre identité personnelle ne serait qu‘une « fiction » de l‘imagination. De façon surprenante, dans le livre 2 du Traité où Hume avance sa théorie des passions, on retrouve l‘affirmation suivante : Il est évident que l’idée ou plutôt l’impression de nous-mêmes nous est toujours intimement présente et que notre conscience nous donne une conception si vivace de notre propre personne qu’il n’est pas possible d ‘imaginer quelque chose qui puisse sur ce point aller au-delà d’elle (T 2.1.11.4). Hume persiste et signe dans cette apparente contradiction en T 2.1.11.8 (notre soi nous est toujours intimement présent) et en T 2.2.4.7 (l’idée de nous-mêmes nous est toujours intimement présente et communique un degré sensible de vivacité à l’idée de tout autre objet auquel nous sommes reliés). Pour comprendre donc la conception humienne du sujet, il faut tenter de concilier son scepticisme par rapport à l‘identité personnelle dans le livre 1 du Traité avec le naturalisme de la théorie humienne des passions (livre 2), où l‘idée d‘un sujet qui s‘éprouve soi-même par ses passions ne semble pas faire problème. S‘il y a une notion humienne qui peut nous offrir une piste de solution pour concilier cette tension entre une approche naturaliste et une approche sceptique par rapport à la question du sujet, c‘est bien la notion humienne de caractère, qui se rapproche de celle d‘éthos chez Aristote. Mais, encore une fois, plusieurs problèmes se présentent pour comprendre cette notion : si le sujet humien est un caractère, plutôt qu‘une âme substantielle, et qu‘un caractère n‘est qu‘un ensemble de « passions » ou de dispositions naturelles, est-il possible pour ce sujet de modifier son caractère, de changer, d‘apprendre? Car il semblerait que pour que cela soit possible il faille posséder une disposition supplémentaire et mystérieuse qui nous motiverait à changer notre caractère; faute de quoi il semblerait que notre caractère soit complètement involontaire. Cette question difficile est au cœur du projet compatibiliste de Hume, mais présente aussi des difficultés particulières d‘interprétation. Car, alors qu‘on s‘attend à un déterminisme strict de la part de Hume, il se livre à des affirmations quelque peu ambiguës au sujet du caractère involontaire du caractère. Dans T 1.3.14.2, il affirme que « nous avons contrôle sur notre esprit (mind) jusqu'à un certain degré, mais au-delà de ça, nous perdons toute emprise sur lui ». En T 3.3.4.3, il affirme également qu‘il est « presque impossible pour l‘esprit de changer son caractère (italiques ajoutés)». Ces deux passages laissent entendre qu‘il y aurait de la place pour une certaine gouverne sur notre esprit et notre caractère. Or comment peut-on concilier cette ouverture à un degré minimal de gouverne sur notre esprit avec le déterminisme qui semble se dégager d‘une lecture de l‘essai Of Liberty and Necessity ? Dans ce séminaire, nous tenterons de résoudre ces difficultés en considérant d‘abord comment la conception humienne du sujet s‘insère dans le contexte des débats sur l‘identité personnelle au XVIIIe siècle. Par la suite, nous étudierons l‘argument sceptique sur l‘identité personnelle et nous le contrasterons avec l‘explication naturaliste du sujet sensible que l‘on retrouve dans livre 2 du Traité. Une discussion serrée de l‘essai Of Liberty and Necessity nous permettra d‘évaluer la relation qui existe entre la thèse compatibiliste et la conception que Hume se fait du sujet. II- ÉVALUATION 12345- Exposé 1 : 15 % Exposé 2 : 15 % Exposé 3 : 15 % Participation : 15% Dissertation finale : 40% III- CALENDRIER SEPTEMBRE 4 INTRODUCTION 11 LE PROBLÈME DE L‘IDENTITÉ PERSONNELLE DANS LA PÉRIODE MODERNE : DESCARTES ET LOCKE Lectures à faire : Locke Essai II. Xxvii Udo Thiel, « Self-consciousness and personal identity ». 18 LE PROBLÈME DE L‘IDENTITÉ PERSONNELLE DANS LA PÉRIODE MODERNE : LE DÉBAT CLARKE-COLLINS. Lectures à faire : Samuel Clarke, A letter to Mr Dodwell et A defense of an argument. Anthony Collins, A letter to the learned Mr. Henry Dodwell 25 LE PROBLÈME DE L‘IDENTITÉ PERSONNELLE DANS LA PÉRIODE MODERNE : JOSEPH BUTLER Lecture à faire : Joseph Butler, Of Personal Identity OCTOBRE 2 DAVID HUME : PERCEPTIONS ET RELATIONS Lecture à faire : David Hume, Traité de la nature humaine 1.1 9 DAVID HUME : LE RAISONNEMENT CAUSAL ET LA THÉORIE DE LA CROYANCE Lectures à faire : David Hume, Enquête sur l’entendement humain 4 -7 16 LE PROBLÈME SCEPTIQUE DE L‘IDENTITÉ SUBSTANTIELLE DU SOI Lecture à faire : David Hume, Traité de la nature humaine, 1.4.5 et 1.4.6. 23 PROBLÈMES D‘INTERPRÉTATION DE L‘ARGUMENT DE T 1.4.6. Lectures à faire : Terence Penelhum, « Hume on Personal Identity ». Donald Baxter, « Hume‘s Labyrinth Concerning the Idea of Personal Identity ». 30 LE MOI DES PASSIONS : LES PASSIONS INDIRECTES ET L‘ÉPREUVE DE SOI. Lectures à faire : Traité de la nature humaine 2.1.1-12 Annette Baier , « Persons and the Wheel of their Passions », chapitre 7 de A Progress of Sentiments. NOVEMBRE 6 MOI ET LES AUTRES : L‘AMOUR, LA HAINE ET LA THÉORIE DE LA SYMPATHIE. Lectures à faire : Traité de la nature humaine 2.2.1-12. 13 LA RELATION ENTRE LA CONCEPTION DU SUJET DANS LES LIVRES 1 ET 2 DU TRAITÉ. Lecture à faire : Terence Penelhum, « The Self of Book 1 and the Selves of Book 2 ». 20 LA NOTION DE CARACTÈRE Lectures à faire : David Hume « Of National characters ». Extraits de My Own Life, History of England, Letter to a Physician. Lectures recommandées : Eugenio Lecaldano, « The Passions, Character, and the Self in Hume ». 27 LA VOLONTÉ ET LA LIBERTÉ Lectures à faire : Traité de la nature humaine , 2.3.1 et 2.3.3. Enquête sur l’entendement humain, 8. Lectures recommandées : James A . Harris , « Hume's reconciling project and ‗the common distinction betwixt moral and physical necessity‘ ». Décembre 4 EST-IL POSSIBLE DE MODIFIER SON CARACTÈRE? Lectures à faire : Paul Russell, « The Involuntary Nature of Moral Character », chapitre 9 de Freedom & Moral Sentiment. Annette Baier, « The Direction of our Conduct », chapitre 7 de A Progress of Sentiments. 11 CONCLUSION IV- BIBLIOGRAPHIE Livre recommandé pour le cours : Hume, David. A Treatise of Human Nature. David Fate Norton and Mary J. Norton (éds). Oxford: Oxford University Press, 2000. Sources primaires Butler, Joseph. The analogy of religion, natural and revealed, to the constitution and course of nature. To which are added two brief dissertations: I. Of personal identity. II. Of the nature of virtue. By Joseph Butler, ... The second edition, corrected London, 1736. Clarke, Samuel. A defense of an argument made use of in a letter to Mr Dodwel, to prove the immateriality and natural immortality of the soul. London, 1707. Clarke, Samuel. A letter to Mr Dodwell; wherein all the arguments in his Epistolary discourse against the immortality of the soul are particulary answered, and the judgment of the fathers ... represented. By Samuel Clarke, ... London, 1706 Collins, Anthony. A dissertation on liberty and necessity: ... With some remarks upon the late Reverend Dr. Clarke’s reasoning on this point. And an epistle dedicatory to truth ... By A. C. London, 1729. Collins, Anthony. A letter to the learned Mr. Henry Dodwell; containing some remarks on a (pretended) demonstration of the immateriality and natural immortality of the soul, in Mr. Clark’s answer to his late Epistolary discourse, &c. The second edition corrected London, 1709. Hume, David. A Treatise of Human Nature : A Critical Edition. David Fate Norton et Mary J. Norton (éds.), Oxford: Clarendon Press, 2007. Hume, David. An Enquiry Concerning Human Understanding: A Critical Edition. Tom L. Beauchamp (éd), The Clarendon Edition of the Works of David Hume. Oxford: Clarendon Press, 2000. Locke, John. An Essay Concerning Human Understanding. Nidditch, Peter Harold (éd), Oxford: Clarendon Press; Oxford University Press, 1979. Littérature secondaire : Ainslie, Donald C. « Hume's Reflections on the Identity and Simplicity of Mind » in Philosophy and Phenomenological Research, vol. 62, no. 3. (2001), pp. 557-578. Árdal, Páall S. Passion and Value in Hume's Treatise. Edinburgh : University Press, 1966. Baier, Annette. A Progress of Sentiments : Reflections on Hume's Treatise. Cambridge, Mass.: Harvard University Press, 1991. Baxter, Donald L. M. « Hume‘s Labyrinth Concerning the Idea of Personal Identity » in Hume Studies vol. 24, no. 2 (1998), pp. 203-234. Costelloe, Timothy M. « Beauty, Morals, and Hume's Conception of Character » History of Philosophy Quarterly, vol. 21, no. 4 (2004), pp. 397-415. Clero, Jean Pierre. La philosophie des passions chez David Hume, coll. « Philosophia ». Paris: Klincksieck, 1985. Fogelin, Robert. 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