L’écriture du désastre – Fernando Castro Flórez
Au commencement fut le désastre et la stridence. Le duo de guitares électriques qui
s’étirent implacablement au début de Muerte y reencarnación en un cowboy frustre
littéralement toute attente "agréable" chez le spectateur. Le mélange d'épilepsie délibérée,
de divagation démentielle et de violence contre l’instrument (à la manière des propositions
de "l’art destructeur" lancées avec le mouvement nomade Fluxus) conduit non pas à la
catharsis, mais à des litanies crépusculaires.
Après le vacarme, nous nous reflétons dans le grotesque. Rodrigo García sait comment
«organiser le pessimisme» à une époque où l'interactivité s'enlise, quand ce qui importe,
c'est de participer, même en assumant le rôle du « monstre » ou du «pervers polymorphe»
médiatique qui répond au catégorique impératif " Jouis de ton symptôme". Il n'y a ni
crainte ni compassion à expier sinon des rires et des applaudissements mis en boite et
administrés en abondance.
La logique policière («circulez, il n’y a rien à voir») a encouragé la race des voyeuristes qui
ont même trouvé un plaisir étrange à se transformer en l’ombre des surveillants.
Le désastre arrive à coup sûr, intrinsèque à l’écriture qui produit, grâce à sa percutante
mise en scène, des moments d’hilarité inévitables qui viennent eux-mêmes souligner qu’
« aujourd’hui, nous utilisons le rire comme le pire des outils sociaux ».
Nous ne prenons même pas conscience de la dimension satanique du rire qui aurait tant
intéressé Baudelaire, nous ne sommes que la pâle copie de caricatures vieillottes.
Les cowboys parlent de manière obsessionnelle des partenaires qu’ils n’ont pas, malgré la
passion qu’ils mettent à baiser etc, toutes les caresses, rituels et conversations
« compréhensives » ne sont rien d'autre que des stratégies lamentables pour camoufler
que tout est définitivement pourri.
Castoriadis fait remarquer que l'œuvre d'art n'existe qu’en supprimant le fonctionnel et le
quotidien, en dévoilant un Envers qui destitue de toute signification l’Endroit habituel, en
créant une déchirure par laquelle nous entrevoyons l’abîme, le Sans-fond sur lequel nous
vivons constamment en nous efforçant avec constance de l’oublier.
Il n’est pas nécessaire, loin de là, de se déguiser en agrégé de philosophie, c'est-à-dire en
fonctionnaire pathétique, pour comprendre que ce que nous souhaitons cesser de
regarder est en réalité la dimension familiale du sinistre.
Les cowboys anachroniques juxtaposent leurs monologues comme ces fossoyeurs dans
Hamlet qui distillaient la sagesse stoïque jusqu'à ce qu'ils soient interrompus par un putain
de mec obsédé par la soif de vengeance du spectre paternel. Heureusement le ton
sentencieux décline pour laisser place à une sorte de lassitude minérale et la complicité
finit par avoir un goût amer.
Les cowboys avec leurs lunettes de soleil spectaculaires et leurs chapeaux ridicules
racontent des expériences à vomir (voyager en train face à une famille dont tous les
membres se ressemblent) ou répugnantes (la pisse comme système d’appropriation du
territoire), confessent qu’ils aimeraient changer tout ce qu’ils ont fait dans leur vie (« par
simple curiosité ») ou se rappellent la brutalité que nous déployions dans l’enfance (en
faisant éclater des têtards).
Rien de ce que nous entendons, heureusement, ne pourrait faire partie d'un « manuel
d’auto-assistance ». C’est comme ça, Rodrigo García évite la rhétorique du « sens de la
vie » car si quelqu'un a besoin de clarifier son angoisse, le mieux serait qu’il s’administre
une boîte entière de suppositoires à la glycérine. Même si nous utilisons un rideau princier
comme serviette nous ne pourrons éviter la présence inquiétante des tâches ; Rodrigo