N° 843
______
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 27 mars 2013
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA MISSION D’INFORMATION (1)
sur les coûts de production en France,
ET PRÉSENTÉ
PAR M. Daniel GOLDBERG,
Député.
——
(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.
La mission d’information sur les coûts de production en France est composée de : M. Bernard
Accoyer, président ; MM. Philippe Baumel, Thierry Benoit, Mme Corinne Erhel et M. Laurent Furst,
vice-présidents ; M. Daniel Goldberg, rapporteur ; Mme Michèle Bonneton, MM. Jean-Charles Taugourdeau
et Olivier Véran, secrétaires ; MM.Frédéric Barbier, Christophe Borgel, Mme Marie-Georges Buffet,
M. Olivier Carré, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Michel Destot, Mme Jeanine Dubié, MM. Christian
Estrosi, Laurent Grandguillaume, Jean Grellier, Michel Lefait, Marc Le Fur, Mme Annick Le Loch,
MM. Thierry Mandon, Jean-René Marsac, Pierre Morange, Alain Moyne-Bressand, Pierre-Alain Muet,
Mme Marie-Line Reynaud, MM. Bernard Reynès et Claude Sturni.
— 3 —
AVANT-PROPOS DU PRÉSIDENT BERNARD ACCOYER
La constitution d’une mission d’information de la Conférence des
présidents sur les coûts de production en France répond à une urgence. Sous la
précédente Législature, une tentative consacrée à la compétitivité de l’économie
française et le financement de la protection sociale n’avait pu aboutir à l’adoption
d’un rapport et de propositions par la mission alors constituée. En tant que
président de cette précédente mission d’information dont j’avais pris l’initiative de
la création, tout en veillant à la désignation de deux co-rapporteurs représentant la
majorité et l’opposition, j’avais néanmoins tenu à faire publier les auditions tenues
devant cette mission d’information (1).
Si les intitulés de ces deux missions d’information ne sont pas exactement
identiques, leurs champs de réflexion se recoupent néanmoins largement. La
conclusion de nos travaux a pu, cette fois, aboutir plus sereinement car le temps
consacré aux échanges au sein de la mission n’a pas été pareillement marqué par
la proximité d’échéances électorales.
Au-delà de ce rappel factuel, il me parait important de souligner le
caractère décisif des enjeux de compétitivité auxquels l’économie de notre
pays est confrontée, y compris vis-à-vis d’autres pays membres de la zone
euro. Certes, la crise économique de la fin des années 2000, d’une ampleur
sans précédent depuis la Libération, a servi de révélateur. Mais le glissement
de la compétitivité de notre économie et la vulnérabilité croissante des
entreprises françaises, notamment les PME-PMI, ont de multiples causes.
Elles ne résultent pas toutes de la mondialisation. Ni de son caractère supposé
inéluctablement redistributif des positions aux dépens des anciens pays industriels,
comme d’aucuns l’affirment. La montée en puissance de zones économiques
émergentes appelle néanmoins une prise de conscience nationale de même que des
réorientations de certaines des politiques conduites par l’Union européenne depuis
deux décennies.
Force est de constater que la France a, plus que d’autres pays, manqué de
lucidité dans la conduite de sa politique économique. En effet, notre pays a trop
fréquemment fait preuve d’un conformisme voire d’un conservatisme favorisant
plutôt le corporatisme que l’innovation économique. Il encourt ainsi un risque
d’isolement et de déclin dans un monde « ouvert » et fortement marqué par les
interpénétrations. Au cours de ses travaux, la mission a tenu à dépasser le seul
prisme comparatif « franco-allemand » qui nous est manifestement défavorable.
Les personnalités auditionnées, délibérément choisies dans des familles de pensée
économique très différentes comme les entrepreneurs et syndicalistes réunis par la
mission dans le cadre de tables rondes spécifiques, ont tous fait part de vives
inquiétudes. Leurs propos ont souvent été illustrés par des exemples criants, qu’il
(1) Rapport N°3929, novembre 2011.
— 4 —
s’agisse du devenir de nos industries alors que s’approfondit un processus de
déstructuration du tissu industriel, du niveau et de la qualité des investissements et
de la création voire de la simple sauvegarde des emplois.
Telles qu’elles ont été mises en œuvre, les lois relatives aux
« 35 heures » sont très révélatrices. Leurs promoteurs ont notamment cru
possible de faire fi de l’environnement économique international de la France.
L’abaissement généralisé de la durée légale hebdomadaire du travail a
nécessairement généré de puissants impacts en termes de coûts. Une telle
généralisation concernant tout autant des secteurs fortement exposés à la
concurrence internationale que des secteurs non marchands comme les activités de
soins hospitaliers a grevé bien des disponibilités de nature budgétaire ou sociale en
s’accompagnant durablement d’allègements de charges, coûteux pour l’État, bien
qu’au demeurant partiels. L’équilibre économique général en a été lourdement
affecté. Si l’adoption des « 35 heures » a pu, un temps, entrainer une certaine
modération salariale, les salariés et les entreprises en acquittent toujours ensemble
un surplus en tant que contribuables et également contributeurs des régimes de
protection sociale, et sans doute aussi en tant que consommateurs lorsque sur le
marché intérieur un rattrapage de la mesure par les prix est possible, ce qui n’est
pas le cas pour les exportations.
Si le travail représente un coût généralement plus élevé que dans les
autres pays européens, ce qu’il revient de payer au salarié, c’est à dire le
salaire net perçu, est pourtant loin de correspondre à ce que son employeur
doit acquitter. Les travaux de la mission ont d’ailleurs été l’occasion de recueillir
les analyses éclairantes que les économistes auditionnés ont spontanément
exprimées sur les « trappes à bas salaires » et les effets induits sur l’emploi du
smic, qu’il convient cependant de considérer pour ce qu’il est en termes « nets » :
un minimum qui permet à peine de vivre notamment dans les villes où le coût du
logement représente une part de plus en plus importante du revenu. La question de
l’alourdissement des charges supportées par les ménages, elle aussi, n’est pas sans
conséquences économiques.
La situation de l’économie française s’est avérée marquée par des
périodes de gaspillage des fruits de la croissance alors qu’elle était encore
soutenue. À présent, dans un contexte de croissance faible et d’ailleurs
durablement ralentie, notre économie souffre des conséquences d’une
impréparation à faire face au défi de la concurrence internationale.
Les industriels français ont été laissés bien seuls dans le contexte de la
mondialisation. Pour résister et exporter, ils ont été contraints de comprimer
leurs marges ce qui a d’abord eu des conséquences sur leurs capacités
d’investissement et d’innovation, les a également empêché de moderniser les
outils de production et, au final, de conforter l’emploi. Toutes les données
objectives, comme les statistiques de l’OCDE ou d’Eurostat, démontrent que les
taux de marges des industries et aussi des services sont beaucoup moins élevés en
— 5 —
France que ceux constatés dans d’autres grands pays qui sont, à la fois, nos
concurrents et nos partenaires.
Ce glissement particulièrement inquiétant n’a malheureusement pas
retenu suffisamment l’attention des pouvoirs publics. Sans doute parce que
l’opinion a été entretenue, en France, dans une croyance fallacieuse qui
consiste à confondre le taux de marge et la distribution de dividendes à des
actionnaires toujours supposés lointains des préoccupations sociales et
généralement dénoncés sous le seul registre de l’avidité voire de la cupidité !
Cette présentation caricaturale ne peut perdurer car le taux de marge est le
résultat objectif de toute activité marchande. Transformer les plus-values
d’activité en pouvoir d’achat est aussi une des missions naturelles de
l’entreprise. Malheureusement, des polémiques, parfois fondées, sur la
rémunération des dirigeants de certains grands groupes internationalisés ou encore
sur les délocalisations massives d’entreprises pour lesquelles le marché français ne
représente souvent qu’une faible part de l’activité ont compromis toute analyse
concernant une situation de portée plus générale et aux lourdes conséquences. Une
des incidences majeures de ce handicap français est de porter atteinte à la
compétitivité de milliers de PME et PMI qui ne peuvent se développer. Trop
souvent, elles ont purement et simplement disparu ou, dans la moins pire des
hypothèses, ont vu leurs dirigeants contraints de les céder à des intérêts étrangers !
Le petit nombre d’entreprises de taille intermédiaires (ETI) par rapport à ce
qui existe en Allemagne, notamment dans les industries exportatrices, trouve
ainsi son explication. De même la structure de contrôle familial sur ces
entreprises est bien moins solide et durable en France qu’outre-Rhin.
Nombreux ont été les interlocuteurs de la mission qui ont insisté sur cette
réalité.
Les efforts à accomplir et la nécessaire prise de conscience collective qui
doit les soutenir relèvent donc bien de l’urgence. Mais de fortes contraintes
handicapent nos possibilités d’action.
Notre pays peine chaque année un peu plus en raison du poids excessif
des prélèvements obligatoires. Un alourdissement récent a porté ce poids à
46,5 % du PIB en 2013, un taux supérieur à celui de la Suède, et que seul le
Danemark dépasse désormais parmi les quelque trente-cinq pays de l’OCDE. La
situation est d’autant plus préoccupante que le taux des prélèvements obligatoires,
déjà élevé, était de 42,9 % en 2010 et que l’on pensait que le taux atteint au terme
de l’année 1999 (44,9 %) représenterait pour la France un maximum
« historique ». Au sein des prélèvements obligatoires, les cotisations sociales, qui
portent principalement sur le travail, ont, en France, un poids particulièrement
lourd car elles atteignent 40 % du total de ces prélèvements, à comparer à la TVA
et aux autres impôts concernant la consommation qui en représentent 25 %.
1 / 620 100%