Avant la représentation

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Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen
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―SOMMAIRE―
Première partie : avant la représentation
Un parcours pédagogique autour du thème de la différence
Distribution
Présentation de la nouvelle et du spectacle
Un exemple de parcours pédagogique
De Kafka au collège
L’énigme du titre
L’adjectif « kafkaïen »
Une photo
Un CDN, c’est quoi ?
Jean Lambert-wild
Description de la pièce, résumé et extraits de la nouvelle
Bilan et grille de lecture pour une analyse critique
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Le texte du Terrier de Franz Kafka est disponible en plusieurs éditions ; la traduction des extraits inclus dans le présent
dossier, inédite, est due à Marianne Le Yaouanq et Jean-Paul Lecame, professeurs d’allemand en CPGE au Lycée
Malherbe, que nous remercions pour leur patience et leur qualité de travail.
Pièces à vivre : une série de dossiers pédagogiques conçus en partenariat par la Délégation Académique à
l’Action Culturelle de l’Académie de Caen et les structures théâtrales de l’académie à l’occasion de spectacles accueillis
ou créés en Région Basse-Normandie.
La fréquentation des spectacles par les classes n’étant ni un exercice tout à fait ordinaire ni une simple sortie, la
Délégation Académique à l’Action Culturelle de l’Académie de Caen vous propose la souplesse d’un « parcours »,
ensemble de trois spectacles programmés dans des structures artistiques proches en région Basse-Normandie et
accompagnés par des dossiers pédagogiques en amont et en aval ; les enseignants et les classes peuvent selon leurs
besoins et leurs projets assister à un, deux ou aux trois spectacles concernés, et utiliser tout ou partie du parcours
pédagogique proposé. Pour chaque spectacle, le dossier se divise en deux parties, destinées l’une à préparer le
spectacle en amont, l’autre à analyser la représentation.
Le théâtre est vivant, il est crée, produit, accueilli souvent bien près des établissements scolaires ; les dossiers
des « Pièces à vivre », construits par des enseignants en collaboration étroite avec l’équipe de création, visent à fournir
aux professeurs des ressources pour exploiter au mieux en classe un spectacle vu. Retrouvez ce dossier, ainsi que
d’autres de la même collection et des ressources pour l’enseignement du théâtre sur le site de la Délégation
Académique à l’action Culturelle de l’Académie de Caen :
http://www.discip.ac-caen.fr/aca/
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Un parcours pédagogique autour du thème de la
différence
Nous proposons ici un parcours explorant trois pièces adaptées pour le collège et jouées au CDN de Caen :
-Le Terrier, de Jean Lambert-Wild, d’après la nouvelle de Franz Kafka, du 4 au 7 décembre 2013 ;
-Les Oiseaux, M.E.S. de Madeleine Louarn, d’après la pièce d’Aristophane, du 2 au 5 avril 2013 ;
-L’astronaute, M.E.S. Eric de Dadelsen, d’après le roman Le Bizarre incident du chien pendant la nuit de Mark
Haddon, du 14 au 16 mai 2013.
Ce parcours que nous proposons est fédéré autour d’un thème –la différence, la singularité : celle, chez Jean Lambertwild, d’une dame envahissante (folle ?) qui occupe une demeure au point que l’on ne sait plus qui en est le légitime
occupant ; celle d’une troupe réunissant des acteurs handicapés mentaux pour jouer Aristophane ; celle de l’histoire et
du regard sur les choses d’un enfant atteint du syndrome d’Asperger.
Voici quelques enjeux scolaires fondamentaux de ce travail :
-Enjeu citoyen : l’ouverture au différent, un questionnement de mon rapport à l’autre. Il serait intéressant de trouver
dans un parcours sur l’Autre, le Différent, et au travers de ces pièces, des occasions pour :
-développer, expliciter, faire jouer, varier, rendre critique mon rapport à l’autre comme différence marginale,
classifiée, celui qui est différent de nous, de tout autre ;
-préparer le rapport à l’Autre, à l’altérité en général, mission éducatrice fondamentale : le marginal envahisseur,
délirant, fou, comme archétype de l’altérité, et l’inquiétude, la peur comme substrat émotif de mon rapport à l’Autre –
qu’il soit existentiel, intime (nous devons construire cela aussi, un peu) ou politique. Comment mon émotion
fondamentale devant l’Autre (hétérophobie) peut structurer inconsciemment ma vie, mon désir, mon idéologie ;
-induire une réflexion sur son identité : ce regard sur l’Autre bien sûr m’amène à me questionner aussi sur moimême. Cette découverte (ou déstabilisation) de ma pensée de l’Autre (ou mon inavouable impensé) et qui fonde mon
émotion devant l’autre (on est-ce l’inverse ?), mon regard sur l’Autre, doit m’amener évidemment à me découvrir, et
peut-être atteindre une redéfinition de mon identité ;
-Enjeux pédagogiques généraux : ce parcours s’intègre aisément à notre programme pour les classes du collège.
Œuvres jeune public, elles touchent, par exemple : pour les 6e, par Le Terrier, on travaille la fable animalière et par Les
Oiseaux, les textes antiques ; pour les 5e par Le Terrier, on peut travailler Le Roman de Renart en amont ; pour les 3e
on touche au théâtre antique avec Les Oiseaux.
-Enjeux pour la pédagogie de l’enseignement du théâtre. On imagine trois questionnements simples qui pourraient
être progressivement amenés :
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-La question du rapport à l’espace, d’abord, avant la représentation du Terrier. Comment mettre en scène, jouer
un terrier ? Espace de jeu donc, mais aussi espace de la salle, puisque dans L’Astronaute, c’est un jeu quadrifrontal qui
s’offre.
-La question du rapport au partenaire de jeu. Dans le Terrrier, c’est la dialectique de l’envahisseur inconscient
(une veille dame), et de l’envahi consentant (par politesse). Dans L’Astronaute, c’est celle de la présence d’un
personnage observateur/contrôle (le père) et de l’acteur central (le jeune Christopher). Avec Les Oiseaux, le jeu devient
collectif.
-La question du rapport acteurs/spectateurs. Le placement déjà surprenant des spectateurs dans L’Astronaute
aura créé un questionnement sur le rapport à ce qui se joue, avec Les Oiseaux, c’est le statut de l’acteur et le rapport
du spectateur au handicap réel de l’acteur qui se pose.
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Distribution
Le Terrier
L’ininvitée venue de l’extérieur
De Franz Kafka
Adaptation et direction Jean Lambert-wild
avec Laure Wolf
Musiques Jean-Luc Therminarias
Costumes Françoise Luro
Réalisation costumes Pascale et Stéphane Richy – Le Chat Botté, costumier
Sonorisation Christian Farion
Régisseur Pierre-Amaury Hervieu
Durée 50 minutes
Mardi 4 décembre à 14 h et 20h30, mercredi 5 décembre à 14h30 et 19h30, jeudi 6 décembre à 14h
et 19h30, vendredi 7 décembre à 14h et 20h30.
A la comédie de Caen, Théâtre des Cordes
Du Terrier de Kafka au Terrier – l’Ininvité venu de
l’extérieur de Jean Lambert-wild
Pour ce spectacle créé pour la première fois en 2004, Jean Lambert-wild adapte une des dernières œuvres inachevées
de Kafka, Le Terrier, une nouvelle évoquant, sur le mode du Stream of consciousness, les affres d’un être (animal ?)
dans son rapport à son terrier : lieu de vie fusionnel, édénique, mais surtout, si l’on suppose de mauvaise foi cette
créature lorsqu’elle dénie ce fait – un refuge, une cachette. Une construction pour fuir l’Ennemi, l’Autre. La nouvelle
s’interrompt après que cet être a entendu près de son refuge les bruits d’un ennemi vague, inconnu.
Jean Lambert-wild propose une adaptation scénique pour une actrice, une vieille dame seule sur scène, qui s’installe
chez… vous – mais est-ce chez vous ?
L’accès à la nouvelle de Kafka paraît ambitieux pour des élèves de collège, aussi proposerons-nous, outre des appuis
de jeu et inductions tirées de la nouvelle de Kafka (tout de même), quelques détours par divers supports plus
accessibles.
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Un exemple de parcours pédagogique bref s’appuyant
sur ce dossier
Tenant compte du temps limité réel dont un groupe dispose pour préparer la rencontre avec une œuvre, nous vous
proposons un schéma de parcours s’appuyant sur les données de ce dossier et réalisable dans un temps raisonnable :
1 à 2 heures. Ces étapes visent à créer l’envie de voir le spectacle autant qu’une disposition à bien y assister.
1er temps : constitution de connaissances préalables relatives à l’univers de Kafka, de la nouvelle, et de Jean
Lambert-wild : un CDN étant un espace de création, le metteur en scène, un écrivain, on pourra amener (second
temps) les élèves qui travailleraient le texte de Kafka à imaginer leurs pistes de recréation théâtrale de cette
nouvelle. Il est envisageable de travailler en amont sur les attentes du spectateur suscitées par le titre, les affiches, le
nom même de Kafka, ce qu’est un CDN, un metteur en scène contemporain (Jean-Lambert Wild) pour les mettre en
tension avec les propositions qui suivront dans ce dossier, propositions de lecture et mise en jeu du récit de Kafka et du
projet d’interprétation et mise en scène par Jean-Lambert Wild. Qu’attend-on du spectacle ? que suppose un spectateur
lorsqu’il accède à ces informations ?
2e temps : formulation d’hypothèses de jeu par la pratique. A l’issue de ce premier temps, on pourra faire une
proposition de jeu permettant de voir comment les élèves imaginent la mise en jeu et en espace d’un terrier. On
demandera, selon le temps soit une improvisation soit une préparation maison pour la séance suivante. Les modalités
sont variables selon le niveau, les œuvres précédentes travaillées, ou le désir même des élèves : soit simple mise en
voix des textes matériaux, soit tentative de constitution de tableaux/ou de mime s’appuyant sur eux (avec souffleur, ou
voix off, ou coryphée, ou chauffeur de salle, ou aède…), soit recherche d’images.
On donnera comme contrainte ― aux acteurs et au public ― d’être attentif à un nombre limité d’éléments du jeu : le
rythme (continu ou variable, « naturel », soutenu, lent ?), le jeu de la voix (hauteur, intensité…), le rapport à l’espace et
aux spectateurs ; on demandera à des assistants dramaturges différents de consigner les propositions fortes.
Les élèves acteurs pourront tenter de justifier leur choix de jeu et le choix de leur support (quelle photo, quel texte,
pourquoi les avoir rapprochés…)
3e temps : constitution d’un bilan de cette approche théorique et pratique sous forme de questionnaire pour
l’abord du spectacle : Ce à quoi je dois être attentif : quelle place pour l’actrice et quel rôle ? quels rapports à
l’espace ? au spectateur ? quel est le terrier présenté ?
Ce que j’ai formulé comme hypothèses : sur le style, le rythme, le rapport à l’espace… Et une confrontation avec elles.
On peut envisager que les élèves restituent leur avis sous forme de critique de presse, de lettre (programme de 4e), ou
à la manière d’un critique en s’appuyant sur le dossier de presse (préparation à la rédaction argumentative pour le
brevet : défendre un avis)…
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De Kafka au collège
Pour ambitieux que soit ― ou puisse paraître ― le choix de proposer une œuvre adaptant Kafka à des collégiens, et
bien que ses interprétations aient été contrastées (allégorie politique ou existentielle ― les deux pour Camus ―,
heureuse (Camus, toujours) ou grave (Blanchot), tragique (Sollers) ou comique (Deleuze)…)
son œuvre est
universelle, allégorique, forte et parle à l’homme de la condition humaine.
Dernière œuvre, inachevée, de Franz Kafka (fin 1923), Le Terrier est une nouvelle dense, complexe, magistrale bien
qu’inachevée et dont l’inachèvement est symptomatique, constitutive d’un parti-pris d’écriture : écriture quête,
méditation, réflexion, plus que construction (pas de plan fixe préétabli : l’œuvre chercher sa fin) ou aventure (elle est
rigoureuse dans son avancée, se tenant au terrier) ou alors aventure comme expérience intellectuelle dont les
présupposés sont fermement établis dès le départ. Ici, une bête dans son terrier s’inquiète de la proche présence d’un
autre, un étranger, un ennemi.
Cette fable allégorique (de l’écriture ? de la condition humaine ? de la vie de Kafka ?) laisse pensifs nos penseurs les
plus forts : c’est sur l’évocation d’une taupe que se conclut Le Mythe de Sisyphe (« Son verdict incroyable acquitte, pour
finir, ce monde hideux et bouleversant où les taupes elles-mêmes se mêlent d'espérer. ») et c’est notamment sur Le
Terrier qu’avancent les lectures de Kafka par Deleuze (une littérature mineure).
Un rapport accessible à la pièce sera aménagé ― outre le fait que le travail d’adaptation de la nouvelle par JeanLambert Wild, proposé depuis 2004, est explicitement adressé à tous les publics ― par trois dimensions de notre
travail :
-son inscription dans une thématique forte parlant aux adolescents (la différence, la marginalité). En troisième, le
nouveau programme multiplie la demande d’inscription des œuvres dans la vision du monde contemporain.
-notre parti-pris de multiplier des pistes de lecture rédactionnelles et pratiques, accessibles aux élèves.
-la proposition de connexions de ce travail à un travail d’autres œuvres dans l’année, inscrites au programme.
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L’énigme du titre
Premier temps : souligner l’étrangeté du titre. Avant de communiquer le titre de la pièce à laquelle les élèves
assisteront, on leur demande d’énumérer des titres de pièces, que l’on note au tableau. Une nébuleuse peut apparaître,
privilégiant des titres de pièces de Molière, sans doute.
On réfléchit alors à cette question : qu’est-ce qu’un titre de pièce ? quels types d’informations peut-il
véhiculer ?
Sans doute pourront-ils constater que ces titres évoquent :
-un nom ou surnom de personnage éponyme (George Dandin, Le Tartuffe, Le Cid, Phèdre…) ;
-un caractère (L’Avare, …) ;
-un type social (monstrueux : le Bourgeois gentilhomme…)
-un prototype de situation (Le Médecin malgré lui…)
-l’annonce d’un genre : (on pourra procéder à un travail de fléchage justifié rattachant plusieurs titres à quelques genres
connus, selon le niveau : tragédie, comédie, farce…)
On annonce alors le titre de la pièce Le Terrier : les élèves constatent que c’est un habitat, un espace – un espace
étrange : la demeure d’un animal, certains pourront constater que c’est aussi un espace clos, étroit, obscur.
On évoque avec les élèves des œuvres qui évoquent des animaux : on attend, selon le niveau, Les Fables de La
Fontaine, quelques contes (Le Chat Botté, La Belle et la bête) Le Roman de Renart, voire La Ferme des animaux, de
George Orwell, La Métamorphose, de Franz Kafka…
On demande aux élèves pourquoi des écrivains ont écrit sur les animaux : pour parler des hommes, les décrire, donner
des leçons de psychologie, politique ou morale.
On offre ensuite le sous-titre de la pièce « L’ininvitée de l’extérieur » et demande d’observer la construction du
néologisme : « l’ininvitée ». Le mot « invité » suggère un cadre cérémonieux, une situation conviviale : il y a réunion
conviviale ou officielle. Le préfixe négatif souligne une étrangeté, une incongruité, une bizarrerie : quelqu’un s’invite,
s’impose, gruge. On rapprochera cela de situation d’occupations animales d’autres terriers ou de situations humaines.
On remarque le caractère abstrait et topologique du complément du nom « de l’extérieur », qui renforce l’étrangeté du
titre : que peuvent les élèves supposer être cet extérieur –extérieur d’un terrier, d’ailleurs ? A eux de suggérer !
On amènera les élèves à se demander si ce sous-titre ne nous fait pas sortir de la thématique animalière suggérée par
le titre de la nouvelle : un animal envahit, occupe un terrier, mais n’y est pas invité, encore moins « ininvité ». Il s’agira
bien d’êtres humains, malgré tout.
On demande alors aux élèves quels types d’espaces de vie humains peuvent s’assimiler à un terrier : ils envisageront
sans doute des espaces sous-terrain (gare, métro…).
On leur demandera alors de tenir compte du sous-titre de la pièce : quels espaces humains peuvent être comparés à
des terriers dans lesquels ont peut inviter ou refuser d’inviter quelqu’un. A chaque réponse on demandera aux élèves
de justifier : en quoi cet espace peut-il être considéré comme un terrier ?
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A défaut de propositions, on peut leur proposer de réfléchir à quelques espaces : salon, appartement, chambre, cave,
salle des fêtes… En quoi s’y terre-t-on ? On pourra envisager, notamment, avec les élèves, les clichés évoquant le repli
sur soi des adolescents en chambre et tous les modes d’enfermements que l’on évoque habituellement liés à ce lieu
(goût de la nuit, espaces virtuels, espace polyvalent de travail, loisir, où l’on mange…) – s’agira-t-il alors de faire
réfléchir ou sourire les élèves ?
Deuxième temps : Ecrire / jouer à partir du titre. Inviter les élèves à créer, imaginer ce qu’ils vont voir, c’est toujours
susciter des attentes, de la curiosité intellectuelle : « avais-je raison ? »
1- Réflechir / induire depuis un espace ou une situation (l’invasion) ou un type d’être (celui vivant dans un
terrier). Voici trois angles d’approche du titre de la pièce autonomes, visant à stimuler l’imagination des élèves : on peut
n’en travailler qu’un, ou envisager de créer des groupes explorant chacun un de ces angles, ou encore les mêler, les
croiser - un être animal dans un espace terrier envahi par un Autre, par exemple.
De manière paradigmatique : une chambre d’adolescent envahie par un adulte squatteur encore plus à l’aise dans cet
environnement que l’adolescent même, par exemple…
a-un espace : le terrier.
On propose aux élèves de réfléchir aux difficultés pour le théâtre que pose la mise en scène d’une œuvre s’intitulant
« le terrier » pour ensuite les amener à faire des propositions pour résoudre ces difficultés: ce pourra être des dessins
évoquant une scénographie, une maquette, du jeu (comment le jeu peut créer l’espace d’un terrier, etc.). Voici quelques
questions élémentaires pour stimuler leurs propositions :
-quel décor envisager pour créer un terrier / ou transformer les espaces proposés par les élèves en terrier ?
-quelle lumière, éclairage ?
-jouer un espace particulier : comment jouer dans un terrier ? On pourra proposer de jouer des scènes de vie
quotidiennes propres aux espaces évoqués par les élèves précédemment en en faisant un espace fermé, resserré,
obscur. Ainsi, une chambre d’adolescent…
b-un type d’être : le terré/l’animal.
-jouer un humain de manière animale : comment joue-t-on l’animal ? Et pour dire quoi de l’homme ? Remarquons que
ce jeu peut passer par une posture, un rythme, un souffle, une voix inspirés d’un animal qui donnera au jeu un caractère
plaisant ou angoissant.
Depuis cette question on peut proposer un travail de jeu guidé aux élèves. Dans un premier temps, on propose aux
élèves, par exemple sous forme de tableau à trois colonnes, dans une première colonne quelques types de
personnages (caractères : l’avare, le colérique, le courageux, le fanfaron… ; sociaux : le père de famille, le médecin…),
dans une deuxième les animaux qu’ils leur associeraient, dans une troisième, le geste, la posture animalier qu’ils
associent particulièrement entre ce type de personnage et cet animal par exemple :
Type de personnage
Animal lui correspondant
Le téméraire
Le goinfre
Le moqueur
Le lion
Le cochon
L’hyène
Caractéristique de l’animal associée au
personnage
Montrer les dents
Grogner
Son rire à pleine dent
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Laisser libre l’imagination pourra être intéressant. Ensuite, dans un second temps, on passe au jeu. On peut ainsi
proposer une improvisation sur une scène de vie ordinaire (un dîner familial, une rencontre amoureuse, une dispute
entre amis…) où chaque personnage devra, pour créer le caractère de son personnage, s’inspirer d’un geste, ou d’une
attitude animale (mouvement de groin, grognement, geste de patte… répétitif) pour le transformer en tic de jeu comique
ou inquiétant : une manière de rendre étrange son jeu. L’exercice peut aussi se faire sur un extrait de la nouvelle de
Kafka, ou sur d’autres textes classiques. Selon le niveau des élèves, cet imaginaire animalier pourra amener à travailler
le ton, le volume, le débit.
c-une situation : l’envahissement.
-on joue sur une partition de classe : on propose des extraits de la nouvelle lus (récités) par divers membres de la
classe, de manière aléatoire, avec le risque de chevauchements, des parasitages. Les élèves circulent en récitant entre
les rangs, dans un espace compliqué, controuvé, donc, au risque de se heurter, mais ne doivent pas avoir conscience
des autres récitants. Le reste de la classe fait des bruits de fouissement, de grattage, de tapage avec leurs fournitures.
On peut demander aux élèves, au terme de l’expérience, qui est ce sujet de la nouvelle, ce « Je » étrange qui l’anime.
-On joue, sinon, une situation élémentaire suggérée par le titre : le grugeage d’un terrier, d’un espace personnel ou
collectif, son envahissement : réunion amicale, cérémonie, cours – par un être original, déplacé. Les personnages
doivent poursuivre leur cérémonie, soirée… normalement, malgré la présence de ce perturbateur envahissant qu’ils ne
doivent pas exclure. Le but pour les personnages est de conserver leur calme et naturel, et pour l’envahisseur de
bloquer, perturber le déroulement de cette cérémonie.
2-Imaginer par analogie : mettre en jeu des textes de terrier, ou de territoire animal.
Ces pistes permettent de relier les séquences pour chaque niveau du collège.
A la manière de Jean Lambert-wild transposant le récit de Kafka au théâtre, on demande aux élèves de transformer un
court texte non théâtral en texte théâtral, soit sous forme de dialogue, soit sous forme de monologue.
Pour cette dernière forme, on demande aux élèves de raconter /faire vivre la scène du point de vue (travail sur la notion
narratologique étant présupposé ou appelé) d’un des protagonistes du texte source.
On peut passer par l’écrit préalable en groupe : tous réécrivant sous forme de dialogue le texte, chacun adoptant le
point de vue de son personnage.
On peut opter pour l’improvisation brève, sinon : on peut alors distribuer le texte intégralement, ou sinon, d’abord un
court extrait à jouer, ou encore proposer la situation élémentaire travaillant le texte source.
La plupart de ces textes proposant des scènes de conflit, d’affrontement, il est envisageable de proposer un travail
choral : un groupe important pourra vocaliser l’agresseur/le vainqueur/le fanfaron et un groupe plus réduit jouer les
réactions (sentiments, tentatives de fuite…) de la victime/ du vainqueur imprévu :
Propositions de textes-supports par niveaux :
-6e : les fables animalières mettant en scène des animaux humanisés ; mettre en scène un conflit de terrier : "Le Chat,
la Belette et le Petit Lapin," Fables, Livre VII, 15 ; « Le Chat et le Renard », Fables, Livre IX, fable 14, Jean de La
Fontaine…
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-5e : Le Roman de Renart : « Les Jambons d’Ysengrin ». Remarque : on peut étudier la symbolique du Labyrinthe dans
l’univers médiéval, on peut amener aussi l’étude de la poésie sur les jeux de langage par cette remarque voulant qu’un
oulipien est « un rat qui construit lui-même le labyrinthe dont il se propose de sortir ».
-4e : lire « La Métamorphose », de Kafka – on propose l’ouverture de la nouvelle, lorsque Grégoire découvre qu’il est
métamorphosé. On peut travailler sinon des nouvelles animalières variées, de Maupassant, Hofmann,…
-3e : « La Ferme des animaux » de George Orwell.
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L’adjectif « kafkaïen »
Que signifie l’adjectif kafkaïen ? On propose d’observer la presse :
Libération, 23 décembre 2011 : « Dans le piège kafkaïen de Schengen »
Le Monde, 1er février 2012 : « Etudiants étrangers : des parrains contre une administration "kafkaïenne" »
RFI, 16 août 2012 : « Pussy Riot, le procès kafkaïen qui déchire la Russie »
On observe à travers cette revue de presse que l’adjectif évoque les situations vécues par des individus confrontés
(« piège, contre, déchire ») à une administration complexe, dont ils dépendent, qui les enferme, les juge.
On propose un article de dictionnaire :
Le Trésor de la langue française : « A. − Qui appartient à Kafka ou caractérise ses thèmes, son style.
B. − P. anal., souvent péj. Qui évoque l'atmosphère sinistre, absurde, dérisoire des œuvres de Kafka. Il n'est
plus de situation qui ne soit devenue « kafkaïenne ». Si une mayonnaise rate, c'est la faute de Kafka (A.
Vialatte, C'est kafkaïen dans Le Figaro Littéraire, 18 mars 1965ds Les critiques de notre temps et Kafka,
présentation par C. Raboin, Paris, Garnier, 1973, pp. 37-38). Le nom de [Kafka] a donné naissance à l'adjectif
« kafkaïen », dont usent et abusent nos éditorialistes et nos critiques pour caractériser des situations
absurdes ou sans issue de la vie moderne (Les critiques de notre temps et Kafka, présentation par C.
Raboin, Paris, Garnier,1973, pp.7). »
On relève une extension plus large de l’adjectif kafkaïen proposé avec ce synonyme : absurde.
On fait remarquer le succès – et l’abus- de longue date de l’adjectif, usé d’être trop usé par la presse, vidé de sa
substance.
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Une photographie
Voici quelques approches et questions que l’on peut lancer, selon le niveau des élèves :
-On leur propose une lecture tabulaire en deux temps (voir ci-dessous).
-On peut rapprocher cette image du titre de la nouvelle pour saisir la tension qu’elle provoque avec lui. On donne ou
rappelle le sous-titre de la pièce (L’ininvitée venue de l’extérieur) et demande aux élèves de dire en quoi cette femme,
photographiée
-On demande aux élèves de dire en quoi cette affiche est kafkaïenne.
On proposera aux élèves une analyse de l’image sur le modèle tabulaire suivant, par exemple.
Ce que je vois.
Ce que j’en pense : impressions, sens, émotions.
Une femme assise sur une chaise. On ne voit pas sa tête, -le rose, le plissé de la robe : vaporeux, léger, surprenant,
seulement son buste, ses cuisses croisées. Elle est de mais aussi artificiel.
trois-quarts, porte une robe rose d’un tissu soyeux, ou de -le gant : net, dessine les os de sa main nettement, main
tulle, au col plissé et empesé assez vif de teinte, et des qui se trouve au centre de la photo et donne une
gants blancs satinés. Des manchons d’un rose plus vif impression de dureté dans ce geste de tenir ce tuyau.
que la robe, assez pâle, prennent ses poignets. Elle tient -le tuyau, l’absence de visage, le rose : donnent une
un tuyau de plastique annelé, rose tout autant qu’elle. Un impression d’étrangeté, de mystère.
sac rose, ou l’extrémité d’un accoudoir de canapé occupe
le coin inférieur droit de la photo, accolé à elle.
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Un CDN : c’est quoi ? Et la Comédie de Caen ?
Pour éveiller les élèves au rôle et statut de cette institution on peut proposer une recherche par les élèves sur ce le
sens de mots :
-Comédie,
-Dramatique.
Observer la tension qui se dégage entre des registres particuliers (comique /dramatique) et des lieux (centre
dramatique, comédie) ou une manière de désigner une action théâtrale en général.
On leur propose cette présentation de l’Histoire du théâtre en France et des CDN donnée sur le site du Ministère de la
culture et de la communication et leur demande d’être attentifs à l’identité de celui qui dirige un CDN :
Le Théâtre en France
Au sortir de la deuxième guerre mondiale, la construction progressive d'une politique théâtrale accompagne la
reconstruction du pays tout entier. C’est à partir de 1946 en effet que se développe un vaste mouvement de
décentralisation dramatique qui préfigure l'organisation décentralisée de la République et anticipe la création du
ministère des affaires culturelles en 1959. Dès la création du ministère des affaires culturelles en 1959, André Malraux
poursuit l'engagement initié avant lui en faveur du théâtre. Il consolide les budgets des deux théâtres nationaux existant,
crée le troisième en détachant de la Comédie Française l'Odéon, baptisé « Théâtre de France » dont la direction est
confiée à Jean-Louis Barrault, et décide de l'évolution de ces théâtres en établissements publics.
Malraux poursuit également la décentralisation dramatique, en suscitant la création de nouveaux CDN à partir de 1961,
et contribue à l'émergence de troupes subventionnées. Enfin, le théâtre privé est également soutenu avec la création en
1964 du fonds de soutien au théâtre privé. Avec la création des maisons de la culture se constitue un réseau qui
rencontre celui, préexistant, des CDN.
Il existe en France aujourd’hui : 39 centres dramatiques nationaux et régionaux. Directement issus de la
décentralisation dramatique, ils sont cofinancés par l’Etat (majoritaire) et les collectivités territoriales. Dirigés par « un ou
des artistes » pour une durée de trois ans renouvelable, les CDN assurent en priorité une mission de création théâtrale
en lien avec un territoire et son public. »
Ou on leur propose une exploration du site du CDN (http://www.comediedecaen.com/web/index.php) – dans l’onglet
« Comédie de Caen », avec un questionnaire les guidant pour observer :
-le personnel nécessaire au fonctionnement d’une institution théâtrale et aux différents corps de métiers qui y existent ;
-les lieux composant un CDN ;
-les étapes de création historiques des CDN ;
-les étapes de création d’une pièce dans un CDN
L’objectif de ce travail est double :
-faire sentir aux élèves que le travail qu’ils verront est un travail de recréation, de création véritable. Ils verront un autre
« Terrier » que celui de Kafka ;
-faire découvrir la part cachée du travail de création théâtral : ses étapes, ses métiers.
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Jean Lambert-Wild
Il paraît ici d’autant plus intéressant de travailler avec les élèves sur le parcours du metteur en scène que l’on va aussi
voir un écrivain, comédien et directeur du CDN de Basse-Normandie. Il s’agit de leur faire découvrir plus avant le
parcours d’un artiste vivant et les missions d’une institution théâtrale – ce qui, en outre, fait partie du parcours de
découverte des métiers. Ainsi peut-on leur proposer une recherche visant à établir quelles sont les compétences d’un
directeur de CDN, ses missions.
On leur donne sinon à lire la biographie de Jean Lambert Wild et leur demande de relever ses tendances artistiques et
les étapes de son parcours.
On demandera aux élèves d’expliciter ce qu’ils entendent par « multimédia », « nouvelles technologies » et ce qu’ils
imaginent que cela peut apporter à la scène : on pourra évoquer le succès de l’usage de la vidéo sur scène et leur
demander ce qu’ils pensent de l’enjeu et intérêt de telles pratiques.
On leur propose de commenter la phrase : « son projet la mise en réseau de compétences artistiques, techniques ou
scientifiques » en rappelant quels corps de métiers et arts participent à la création du théâtre.
A partir de la biographie proposée par le dossier de presse du CDN de Caen.
Jean Lambert-Wild
Ecrivain, metteur en scène et scénographe, Jean Lambert-Wild est depuis janvier 2007 le directeur de la Comédie de
Caen – Centre dramatique national de Normandie, lieu de création et de diffusion théâtrale.
Pour lui, le théâtre est par essence un art multimédia, le lieu où les signes de toutes les disciplines peuvent s‘exprimer
et faire sens. Jean Lambert-Wild place au cœur de son projet la mise en réseau de compétences artistiques, techniques
ou scientifiques afin d’explorer de nouvelles perspectives théâtrales, musicales, scénographiques ou poétiques. Il a
créé au sein de la Comédie de Caen un département « Recherche et Egarement », véritable laboratoire qui travaille, à
partir des nouvelles technologies, au développement de nouveaux outils de création artistique.
Né en 1972, Jean Lambert-Wild fut l'assistant de Michel Dubois, Jean-Yves Lazennec, Matthias Langhoff et Philippe
Goyard. De 1998 à 2006, il fut le directeur artistique de la Coopérative 326 et parallèlement, de 2000 à 2006, il fut
artiste associé au Granit - Scène Nationale, Belfort.
Il a écrit et mis en scène ses textes comme : Grande Lessive de printemps en 1990, V versus W en 1997, Splendeur et
Lassitude du Capitaine Marion Déperrier ― Épopée en deux Époques et une Rupture en 1999.
Il a écrit en 1999 : Drumlike, commande pour une composition musicale de Jean-Luc Therminarias.
Il a mis en scène Les Troyennes de Sénèque en 1993, Yvonne, princesse de Bourgogne de Gombrowicz en 1995,
Aquarium d'après Maison d'arrêt de Bond en 1997, Le Terrier de Franz Kafka en 2000, L'Appariteur de Christophe
Blangero en 2002, L’Appariteur Le Goual, d’après Les Généreux d’AbdelKader Alloula en 2004. Il a été scénographe de
Vater Land de Wenzel mis en scène par Philippe Goyard en 1997, de Combat de Nègre et de Chiens de B.M. Koltès
mis en scène par Philippe Goyard en 1998.
Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen
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Il réalise aussi de nombreuses Calentures comme Paradis en 1998, Noyades en 1999, Walk-Don't Walk, L'immensité
mobile du rien et Aphtes en 2000, Aegri Somnia, Dédicace et Le Mur en 2002, Faites le taire !, Mon corps à la patrie,
tes cendres au Panthéon en 2004, et My story is not a loft en 2005…
Depuis 2001, Jean Lambert-wild & Jean-Luc Therminarias ont décidé d'approfondir leur collaboration artistique et
signent Orgia de Pier Paolo Pasolini en 2001, Spaghetti's Club en 2002 (pour lequel ils obtiennent la bourse Villa
Médicis hors-les-murs), Crise de Nerfs - Parlez-moi d'amour en 2003, Mue - Première Mélopée en 2005. Les
collaborations continuent ensuite avec Le Recours aux forêts, Comment ai-je pu tenir là-dedans (adaptation de la
Chèvre de M. Seguin), War sweet war ou la Sagesse des abeilles, spectacles auxquels ont pu collaborer parfois le
philosophe Michel Onfray, la chorégraphe Carolyn Carlson, l’artiste graphique Stéphane Blanquet, entre autres.
Dans le même esprit, Jean-Lambert-wild monte actuellement sa dernière création, Mon amoureux noueux pommier.
Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen
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Description de la pièce, résumé et extraits de la
nouvelle
Démarche sur la description de la pièce par analogie inventive :
On propose aux élèves la description de la pièce par Jean Lambert-Wild :
« C'est une soirée comme les autres, vous êtes en famille ou peut-être avec quelques amis. Vous avez préparé du thé
accompagné de petits gâteaux secs ; il n'est pas trop tard pour discuter ; il est encore trop tôt pour allumer la télévision.
On sonne.
Bon, admettons !
Sans prendre aucune des précautions habituelles, de façon désinvolte et quasi inconsciente, vous ouvrez votre porte.
Une femme, dont les traits et les vêtements vous sont inconnus, mais dont le sourire rafraîchissant vous est familier, se
joint à vous.
Bon, admettons !
Vous êtes bien sûr un peu gêné, mais très gentiment elle ferme la porte et tire les verrous. "On ne sait jamais", vous ditelle. Vous l'accompagnez au salon, vous lui présentez votre famille ou peut-être vos amis. Vous lui proposez du thé
qu'elle s'empresse d'accepter. Vous ne l'avez pas encore servie qu'elle a déjà baissé vos volets, débranché votre
téléphone et vérifié qu'aucune petite créature répugnante ne se cache sous les coussins ou dans les placards.
Bon, admettons !
Rassurée, elle s'assied et vous raconte l'historique complet du chantier de votre intérieur. Arrive un moment où captivé,
vous réalisez que vous n'êtes pas chez vous, que vous n'y avez jamais été, que vous avez profité de son absence pour
honteusement vous installer. Ce foyer que vous avez si patiemment aménagé est son terrier, sa forteresse. Il ne vous
reste plus qu'à rentrer chez vous.
Bon, admettons !
Mais comment rentrer chez vous puisque vous avez toujours habité chez elle ? Et d'ailleurs, existe-t-il un chez vous
pour un vagabond tel que vous, livré à tous les dangers du ciel et de la terre ? Et si votre intérieur est à l'extérieur de
son intérieur, où est votre extérieur ? Et si vous le trouviez, votre extérieur ne risquerait-il pas d'être à l'intérieur de son
extérieur ? Dès lors où pourriez-vous trouver refuge ? À moins qu'intérieur et extérieur ne soient les bornes effrayantes
d'une géométrie de l'espace que vous partagez avec cette inconnue souriante ? Il n'y aurait donc de refuge pour
personne et nous serions tous d'horribles fripouilles qui veulent un logis sans avoir à le construire.
Dans ce cas, vous avez eu tort d'inviter votre famille ou peut-être vos amis à boire le thé.
Jean Lambert-wild
1-Réagir et expliquer : On demande aux élèves de la résumer, d’identifier l’espace, les personnages et de commenter
le ton de cette note en observant notamment la répétition récurrente de l’expression « bon admettons ! ». On leur
demande de dire, aussi, ce qu’il faut à chaque fois admettre.
Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen
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On leur demande enfin de commenter le choix de ce pronom « vous » : qui désigne-t-il ? Façon de parler de soi, d’un
soi fictif, pour les personnages de sa pièce ? Ou pour les spectateurs ?
On leur demande de relever les réactions étranges, surprenantes de l’ininvitée ici présente. On leur demande de
remarquer celles des « hôtes » forcés de celle-ci. A partir de là, on leur demande de voir en quoi le personnage est
moins fou que la situation kafkaïenne – retrouvant ici le travail sur l’adjectif !
2-Des situations de jeu :
a- A l’écrit : on demande à chaque élève ou à plusieurs élèves d’écrire une transposition de cette situation à la salle de
classe : un squatteur insolite en fait son lieu de vie.
Quel personnage créer ? Comment susciter la différence ?
Comment prend-il possession de cet espace ? Comment le décrit-il, l’appréhende-t-il comme lui appartenant ? (de
même que « l’ininvitée » transforme le lieu ordinaire en terrier, que nouveau regard cet intrus va-t-il porter sur l’espace
de la classe ?
Comment réagit la classe, sachant qu’elle ne peut l’exclure, qu’elle en est empêchée ?
b- Improvisation : On demande à un groupe d’élève de créer une foule, un groupe occupant un lieu collectif : des
vestiaires une équipe de foot, un hall de gare, un magasin (ce sont les employés)….
Un intrus va s’incruster : comment réagir, sachant que de toute façon, on ne peut le contraindre à partir ni par la loi, ni
par la violence : une force morale ou légale, une résistance nous empêchent de nous en débarrasser.
On désigne un autre élève de faire rôle intrus : on créera des types de personnages insolites : un boucher à la retraite,
un professeur de danse, un soldat qui ne parle pas français, un prêtre… chacun proposant sa propre vision de l’espace,
ses propres obsessions.
Le résumé de la nouvelle de Kafka
On peut proposer le résumé de la nouvelle et de constater les similitudes et les écarts : les élèves constatent ― ou le
professeur leur fait remarquer― que Jean Lambert-Wild semble prendre la suite de cette nouvelle inachevée, lorsque
l’intrus arrive, mais en en bouleversant l’économie dramatique, puisque le protagoniste paranoïaque et solitaire est
devenu un groupe d’amis, et le ton, qui paraît plus léger.
Résumé (source wikipédia)
Le Terrier est raconté à la première personne par un narrateur dont le lecteur sait très peu de choses : c’est une
créature qui a à la fois les traits d’une bête et ceux d’un être humain. Au début du récit, le narrateur annonce
l’achèvement de son terrier. Il a fait beaucoup d’efforts pour le construire et espère qu’il lui permettra de vivre en toute
quiétude, séparé du monde extérieur. La construction souterraine se compose de couloirs, de ronds-points, de galeries
et d’une place forte. La seule connexion avec l’extérieur est une entrée dissimulée par une couche de mousse.
Le constructeur-narrateur se réjouit de sa vie solitaire, qu’il passe à effectuer de petites réparations, à rêver
d’améliorations de son terrier et à accumuler des provisions. Pourtant, il vit dans la terreur permanente d’être attaqué
par un ennemi qui envahirait son abri. Pour éviter une telle intrusion, il a construit une fausse entrée destinée à servir de
leurre et transformé la véritable entrée en un labyrinthe de zigzags. Il cherche en permanence à restructurer sa
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demeure et imagine des plans complexes pour mieux sécuriser le lieu. Ses réflexions rationnelles sont souvent
interrompues par des phases où il se lance dans des réorganisations irréfléchies et se rue sur ses réserves qu’il dévore
de façon compulsive. De temps à autre, il sort de sa demeure pour s’assurer que son terrier n’est pas menacé de
l’extérieur et pour chasser. Ces excursions suscitent d’énormes problèmes pour le narrateur, car il craint d’attirer
l’attention sur l’ouverture du terrier en y redescendant.
Un jour, il perçoit dans son terrier un bruit inconnu, qu’il qualifie de chuintement. Le narrateur essaie de trouver la
source de ce bruit inhabituel. Selon sa première hypothèse, le bruit est causé par de petits animaux qui vivent dans le
terrier. Il commence à creuser des tunnels d’exploration pour s’en assurer, puis fouille d’une manière de plus en plus
anarchique. Le chuintement ne cesse pas et reste impossible à localiser. Le constructeur-narrateur arrive à la
conclusion qu’il doit s’agir d’une bête unique et hostile qui s’approche de son terrier pour le tuer. Tiraillé entre la peur, la
volonté de se défendre et la résignation, il attend l’arrivée de l’ennemi. Le récit s’arrête abruptement au milieu d’une
phrase : « mais rien n’avait changé, »
3-Démarche par le jeu du texte :
Il s’agit ici de tenter de créer rapidement une ambiance de jeu proche de celle de la nouvelle où une moitié de classe
peut jouer pendant que l’autre assiste et réciproquement, de travailler l’espace, l’émotion (et son vocabulaire), la
hauteur de voix.
On prélève dans les extraits des phrases, des tronçons assez brefs pour être mémorisables rapidement, et frappants.
On propose des tons : angoissé, coléreux, vindicatif, craintif, joyeux,… On peut en donner plus d’un à chaque élève, qui
alternera alors ses humeurs. On demande des hauteurs de voix variées (chuchotement, proclamation…) ; on peut ainsi
faire tirer au sort texte et émotions ou afficher les émotions au tableau, chacun pouvant les alterner. Les élèves
apprennent leur fragment du texte.
a-S’adresser : les fragments de texte sont des occasions de prendre conscience de l’adresse. On invitera les élèves à
se questionner sur celle-ci : à qui parlent-ils ? A eux-mêmes, à des hôtes ? Dans quel but ? Ruminer des pensées,
raconter des faits, partager une inquiétude ou tout autre sentiment ?
b-Se servir de l‘espace : comment installer cette adresse dans l’espace ? On tirera partie de l’espace même de la
classe (estrade, rangées de table dessinant autant de boyaux du terrier), voire de son réaménagement (comment le
personnage construit-il son espace ?), pour observer quel espace se prête mieux aux différentes énonciations :
comment circule un personnage qui soliloque, rumine ces pensées ? comment se pose dans l’esapce un personnage
qui témoigne de son sentiment d’être assiégé, envahi ?
c-Jouer en groupe : on pourra éventuellement proposer des moments de jeu conjoints : les élèves disent leur texte
successivement, ou en même temps, en se chevauchant, s’influençant opar leurs tons de voix. On laisse les acteurs
circuler dans l’espace de la classe, les rangs devenus boyaux du terrier de la nouvelle ou zone du salon de la pièce
Ils se côtoient en s’ignorant, ne se voient pas.
Selon le niveau et l’aisance, on peut leur proposer de reprendre des mots des autres sur un autre ton.
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Voici de longs extraits, et quelques suggestions en gras prises dans l’ouverture, alors que le narrateur ne vante encore
que les charmes de son terrier. On peut proposer ces extraits à une première moitié de classe, et certains de la
deuxième partie, évoquant le surgissement de la créature, à l’autre moitié de classe.
d-bilan : ce passage par le jeu peut ouvrir à un temps de bilan et de réflexions sur le texte en préparation de la
représentation. On peut faire mesurer aux élèves les écarts entre les deux états de cet être, et observer les symptômes
de sa peur, son malaise, son renfermement maladif : comment cet être passe d’une confiance suspecte de mauvaise foi
à une peur quasi paranoïaque. Quel type d’être peut-il représenter ? De quel âge ? Prédateur et/ou proie ?
J’ai aménagé le terrier et il m’a l’air réussi. A vrai dire, de dehors on ne peut voir qu’un grand trou, mais en réalité ce trou
ne mène nulle part, il suffit de faire quelques pas pour se casser le museau sur un mur de roche naturelle. Je ne veux pas
me vanter d’avoir ourdi cette ruse à dessein, c’est plutôt un vestige de l’une de mes nombreuses et vaines tentatives de construire
le terrier, mais finalement il m’a semblé avantageux de laisser ce trou à l’air libre. Bien sûr, mainte ruse est si subtile qu’elle finit
par se retourner contre elle-même, je suis bien placé pour le savoir, et il est évidemment aussi bien audacieux de signaler par ce
trou qu’il y aurait là une chose qu’il conviendrait d’explorer davantage. Pourtant ce serait mal me connaître que de voir en moi
quelqu’un de lâche et de croire que ce serait par pure lâcheté que j’installe mon terrier. A quelques bonnes centaines de
pas de ce trou se trouve, dissimulée par une couche de mousse bien visible, l’entrée proprement dite de mon terrier, elle
est sécurisée, si tant est qu’on puisse sécuriser quelque chose en ce monde, évidemment quelqu’un peut venir marcher
sur la mousse ou l’enfoncer, et voilà mon terrier ouvert à tout vent, et n’importe qui peut alors, s’il en a envie, y pénétrer
et tout saccager définitivement – à condition, toutefois, de posséder pour cela certaines aptitudes plutôt rares. J’en ai
bien conscience et même maintenant, alors que je suis pourtant au zénith de ma vie, je n’ai quasiment jamais une heure
de vraie tranquillité, là, à cet endroit, dans l’obscurité de la mousse, je suis mortel et je vois souvent dans mes rêves un
museau avide qui vient fouiner sans arrêter aux alentours. J’aurais aussi bien pu, pensera-t-on, boucher vraiment ce trou
en disposant en haut une mince couche de terre bien dure puis en dessous une couche de terre meuble, de sorte que je
n’aurais alors eu que peu d’efforts à faire pour reconstruire la sortie à chaque fois. Mais c’est impossible, car la prudence
exige que j’aie la possibilité de m’enfuir immédiatement, la prudence exige, comme c’est malheureusement souvent le
cas, qu’on risque sa vie. Ce sont là calculs des plus laborieux, et le plaisir qu’éprouve l’intelligence à s’exercer est parfois la
seule raison qui la pousse à poursuivre ses calculs.
Il me faut avoir cette possibilité de m’enfuir immédiatement: n’est-il pas vrai que, malgré toute ma vigilance, je peux être attaqué
du côté le plus inattendu? Je vis en paix au plus profond de ma maison, et pendant ce temps l’adversaire, venant de nulle
part, se rapproche de moi en forant lentement et silencieusement. Je ne veux pas dire qu’il a un meilleur flair que moi; il sait
peut-être aussi peu de choses sur moi que moi sur lui. Mais il y a des pillards passionnés qui fouissent la terre aveuglément et, vu
la formidable étendue de mon terrier, même eux ont l’espoir de finir par tomber un jour ou l’autre sur l’un de mes chemins. Bien
sûr, j’ai l’avantage d’être chez moi et de connaître précisément tous les chemins et toutes les directions. Le pillard peut très
facilement devenir ma victime et même une victime succulente. Mais je me fais vieux, ils sont nombreux à être plus forts que moi
et mes adversaires sont innombrables, il se pourrait qu’en fuyant un ennemi, je me jette dans les pattes d’un autre. On n’est
jamais, hélas, au bout de ses surprises! Mais il me faut en tout cas la certitude qu’il peut exister quelque part une issue facilement
accessible, grande ouverte, par où sortir sans avoir à faire le moindre effort, si bien que je ne courrais plus le danger, alors que je
m’escrime à creuser, fût-ce dans une motte molle, de sentir tout à coup – le Ciel m’en préserve – les dents de mon poursuivant se
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planter dans mes cuisses. Et les ennemis de l’extérieur ne sont pas les seuls à me menacer. Il y en a aussi à l’intérieur
même de la terre. Je ne les ai encore jamais vus, mais les légendes parlent d’eux et je suis convaincu qu’ils existent. Ce
sont des êtres souterrains; même la légende ne peut pas les décrire, même pas elle. Les victimes elles-mêmes les ont à
peine vus; ils arrivent, on entend leurs griffes gratter juste en dessous de soi dans cette terre qui est leur élément, et il est déjà trop
tard. Avec eux, peu importe qu’on soit dans sa maison, non, on est dans leur maison à eux. Même cette issue de secours ne me
permettrait pas de leur échapper, d’ailleurs elle ne me permettra vraisemblablement jamais de m’échapper, et bien au contraire
elle causera ma perte, mais elle représente un espoir et je ne peux vivre sans elle.
Outre ce grand chemin, il y en a d’autres encore qui me relient au monde extérieur, des boyaux très étroits, qui ne
recèlent pas vraiment de dangers et me procurent un air facilement respirable. Ils sont l’œuvre des campagnols. J’ai su
les intégrer comme il faut à mon terrier. Ils me permettent aussi de flairer au loin et m’offrent ainsi une protection. De
plus, c’est aussi grâce à eux que je vois venir chez moi toutes sortes de petites bêtes que je consomme, ce qui me
permet de disposer d’un certain petit gibier qui suffit à mes modestes besoins, sans même avoir à quitter mon terrier;
cela est naturellement fort appréciable.
Mais ce qu’il y a de plus beau dans mon terrier, c’est le silence qui y règne. Il est vrai que ce silence est trompeur. Il peut
à tout moment être rompu et alors tout est fini. Mais pour l’instant, il est encore là. Je peux passer des heures à me glisser
dans le dédale de mes galeries sans rien entendre, si ce n’est parfois le petit bruit que fait quelque petit animal que mes dents
réduisent aussitôt au silence, ou bien l’éboulement de la terre qui m’indique la nécessité de quelque étaiement; autrement, c’est le
silence. L’air de la forêt y pénètre, il fait à la fois chaud et frais. Il m’arrive de m’étirer et de me retourner d’aise dans la galerie.
Qu’il est bon, à l’approche de la vieillesse, d’avoir un terrier comme celui-ci, d’avoir réussi à se mettre à l’abri lorsque
vient l’automne!
Tous les cent mètres, j’ai élargi les galeries pour en faire de petites places rondes où je peux me rouler en boule confortablement,
me réchauffer de ma propre chaleur et me reposer. C’est là que je dors du doux sommeil de la paix, du désir assouvi, du but
atteint de la propriété. Je ne sais s’il faut y voir l’effet d’une vieille habitude ou bien si finalement cela ne serait pas dû aux
dangers malgré tout bien présents dans cette maison et qui parviennent à me réveiller: à intervalles réguliers, je suis arraché en
sursaut à mon profond sommeil et j’épie, j’épie dans le silence qui règne ici, immuable, nuit et jour, je souris rassuré et je replonge,
les membres relâchés, dans un sommeil encore plus profond. Pauvres voyageurs sans maison, sur les routes, dans les bois, au
mieux tapis dans un tas de feuilles ou au milieu d’une meute de congénères, livrés à toute la fureur du ciel et de la terre! Et moi, je
reste couché ici en cet endroit sécurisé de toutes parts – mon terrier en compte plus de cinquante de la sorte – et je
laisse s’écouler les heures entre somnolence et sommeil inconscient, selon mon humeur du moment.
(Résumé : le narrateur perçoit un jour un bruit nouveau, un grattement souterrain qui se rapproche mais qu’il ne
parvient pas à identifier... alors naît une inquiétude persistante...)
Mais à quoi servent tous ces appels au calme, l’imagination décidément ne s’arrête pas et je continue effectivement de
croire – il est inutile de chercher à le nier – que ce crissement provient d’une bête, d’une seule et unique grosse bête, et
non pas de plusieurs petites bêtes. Bien des éléments ne vont pas dans ce sens. Le fait qu’on puisse entendre ce bruit de
partout et toujours avec la même intensité et de surcroît régulièrement, de jour comme de nuit. Certes, on devrait tout d’abord être
plutôt enclin à supposer qu’il s’agit là de nombreuses petites bêtes, mais comme je les aurais alors forcément trouvées en
creusant et que je n’ai rien trouvé, il ne me reste plus qu’à admettre que cette grosse bête existe bien, d’autant plus que
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tout ce qui semble aller contre cette hypothèse ne rend pas l’existence de cette bête impossible, mais indique
simplement qu’elle doit être plus dangereuse que tout ce qu’on peut imaginer. C’est la seule raison qui m’a fait écarter cette
hypothèse. Je renonce à cette illusion. Il y a longtemps que je me dis que si on peut l’entendre même de si loin, c’est parce
qu’elle travaille avec acharnement, elle creuse son chemin dans la terre avec la rapidité d’un promeneur marchant sans
entraves, la terre tremble lorsqu’elle creuse même lorsqu’elle est passée, l’écho de ce tremblement et le bruit du travail
s’unissent au loin et moi qui n’en entends que les derniers soubresauts, je les entends partout semblables. Ajoutez que la
bête ne se dirige pas vers moi, voilà pourquoi le bruit ne change pas, elle doit avoir en tête quelque projet dont le sens
m’échappe, je suppose simplement que la bête, sans vouloir prétendre qu’elle serait au courant de mon existence,
m’encercle, elle a probablement déjà tourné plusieurs fois autour de mon terrier depuis que je l’observe.
La nature de ce bruit, crissement ou sifflement, me préoccupe terriblement. Quand je gratte et fouille la terre à ma manière, le bruit
produit n’est pas du tout le même. Je ne peux m’expliquer le crissement que d’une façon: l’outil principal de la bête ne sont
pas ses griffes, desquelles elle s’aide peut-être un peu, mais son museau ou bien son groin, qui toutefois, en plus de sa
force phénoménale, doit aussi être doté de je ne sais quels tranchants. Il lui suffit vraisemblablement d’un seul coup de ce
groin puissant dans la terre pour y faire un trou et en arracher un gros morceau, et pendant ce temps je n’entends rien, c’est la
pause, mais ensuite elle reprend son souffle pour porter un nouveau coup. Cette aspiration doit produire un vacarme à ébranler la
terre, non seulement à cause de la force de la bête mais aussi à cause de sa hâte, de son ardeur au travail, et ce bruit me parvient
sous forme de faible crissement. Pour autant, je n’arrive toujours absolument pas à comprendre comment elle est capable de
travailler sans arrêter ; peut-être ces petites pauses sont-elles aussi l’occasion de se reposer un tout petit peu, mais apparemment
elle n’a pas encore pu prendre de vrai repos, jour et nuit elle creuse, toujours avec la même force, toujours avec la même
fraîcheur, les yeux rivés sur le plan qu’il lui faut exécuter au plus vite, elle qui possède pour cela toutes les aptitudes
nécessaires. Bon, je ne pouvais pas m’attendre à pareil adversaire. Mais, hormis les singularités de cette bête, il se passe
aujourd’hui simplement ce que j’aurais toujours dû craindre, en fait, et contre quoi j’aurais dû me prémunir : quelqu’un approche!
Comment se fait-il que tout ait été si longtemps silence et bonheur? Qui a guidé les pas des ennemis, les amenant à faire un
grand détour pour éviter mon domicile? Pourquoi suis-je resté si longtemps à l’abri si c’est pour être tellement effrayé
maintenant? Qu’étaient donc tous ces petits dangers qui ont longtemps occupé mon esprit en comparaison de ce
danger-ci? Espérais-je, en ma qualité de propriétaire du terrier, avoir le dessus sur tout nouvel arrivant? C’est précisément
parce que je suis le propriétaire de ce grand œuvre fragile que je suis sans défense face à toute attaque un tant soit peu sérieuse.
Heureux d’en être le propriétaire, j’ai du coup été comme un enfant gâté, la fragilité du terrier m’a rendu fragile, ses blessures
me font mal comme si elles étaient miennes. Voilà bien ce que j’aurais dû prévoir, au lieu de ne penser qu’à ma propre défense
― et avec quelle légèreté et quelle inefficacité l’ai-je fait ― j’aurais dû penser à la défense du terrier. Il faudrait surtout veiller à ce
que certaines parties du terrier, et le plus grand nombre possible d’entre elles, si jamais elles venaient à être attaquées, puissent
être séparées des parties moins menacées au moyen d’éboulis de terre réalisables en un minimum de temps, véritable déluge de
masses de terre d’une efficacité telle que l’assaillant ne puisse se douter que le terrier à proprement parler se trouve juste derrière.
Que dis-je, ces éboulis de terre devraient être à même non seulement de dissimuler le terrier mais encore d’ensevelir l’assaillant.
Or, je n’ai pas eu la moindre velléité dans ce sens, rien, rien du tout n’a été fait pour cela, j’ai été d’une insouciance puérile, j’ai
passé mes années de maturité à des jeux d’enfant, et je n’ai fait que jouer avec l’idée même de danger, négligeant de penser
réellement aux dangers bien réels. Pourtant les mises en garde n’ont pas manqué.
Il ne s’est rien passé, c’est vrai, qui approchât peu ou prou de la situation présente, mais il y a tout de même eu quelque chose de
semblable dans les tout premiers temps du terrier. La différence principale, c’est justement que nous étions dans les tout premiers
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temps du terrier… J’étais encore à l’époque en train de travailler comme petit apprenti à ma première galerie, le labyrinthe était
seulement esquissé dans les grandes lignes, j’avais déjà creusé une petite place, mais du point de vue des proportions et du
traitement des murs, c’était complètement raté ; bref, tout en était encore au commencement, de sorte que cela ne pouvait être
considéré que comme un essai, comme quelque chose qu’on pourrait aussi bien abandonner subitement sans grand regret, si la
patience venait à manquer. Il arriva alors qu’un jour, pendant la pause, - j’ai toujours fait bien trop de pauses dans ma vie allongé entre mes tas de terre, j’entendis soudain un bruit au loin. Comme j’étais bien jeune, cela suscita en moi plus de curiosité
que de crainte. J’interrompis mon travail et je me mis à écouter. Quoi qu’il en soit, j’écoutai, je ne courus pas m’allonger en haut
sous la mousse pour ne pas avoir à écouter. Au moins, j’écoutai. Je parvenais parfaitement à distinguer qu’il s’agissait de
quelqu’un qui creusait, comme moi, le bruit était certes un peu plus faible, mais il était impossible de savoir ce qui était dû à
l’éloignement. J’étais intrigué, mais je gardais la tête froide et je restais calme. Je suis peut-être dans le terrier d’un autre, ai-je
pensé, et son propriétaire est en train de se rapprocher de moi en creusant. Si cette hypothèse s’était avérée exacte, alors, n’ayant
jamais eu une âme de conquérant ni de guerrier, j’aurais détalé pour aller construire ailleurs. Mais voilà, j’étais encore jeune et je
n’avais pas encore de terrier, je pouvais encore garder mon sang-froid et mon calme. Même la suite des événements ne me causa
aucune émotion particulière, c’était simplement difficile à interpréter. Si celui qui creusait dans cette direction voulait vraiment
chercher à me rejoindre parce qu’il m’avait entendu creuser, il était alors impossible de savoir, lorsqu’il changea de direction,
comme ce fut effectivement le cas, s’il le faisait parce que, en arrêtant de travailler, je lui ôtais tout repère pour trouver son
chemin, ou bien parce qu’il avait de lui-même changé ses intentions. Mais peut-être m’étais-je tout simplement trompé, peut-être
ne s’était-il jamais dirigé directement vers moi; en tout cas le bruit s’accentua encore pendant un certain temps, comme s’il se
rapprochait, et le jeune que j’étais à l’époque n’aurait alors peut-être pas été mécontent du tout de voir brusquement surgir de terre
le fouisseur, mais rien de tel ne se produisit; à partir d’un certain moment, le bruit de fouissement commença à s’atténuer, il devint
de plus en plus faible comme si peu à peu le fouisseur déviait de sa direction initiale, et d’un coup d’un seul il s’interrompit
complètement comme s’il avait à présent décidé de prendre une direction totalement opposée et me tournait carrément le dos pour
s’éloigner. Pendant longtemps, j’ai continué de tendre l’oreille dans le silence avant de me remettre à travailler. Bon, cet
avertissement était suffisamment clair, pourtant j’eus vite fait de l’oublier et il n’eut guère d’influence sur mes projets de
construction.
Entre cette époque-là et aujourd’hui se sont écoulées mes années de maturité, mais ne semble-t-il pas qu’il n’y ait rien eu pendant
cette période? Je fais toujours une grande pause dans mon travail et je colle mon oreille au mur pour écouter, et le fouisseur a une
nouvelle fois changé ses intentions, il a fait demi-tour, il revient de son voyage, il croit m’avoir laissé suffisamment de temps depuis
pour me préparer à le recevoir. Mais de mon côté tout est moins bien préparé qu’à l’époque, le grand terrier est là, sans
défense, et je ne suis plus un jeune apprenti mais un vieux maître d’œuvre et ce qui me reste de force m’abandonne au
moment de prendre une décision, mais j’ai beau être vieux, il me semble que j’aimerais être encore plus vieux que je ne le suis,
vieux au point de ne plus pouvoir me relever de ma couche sous la mousse. Car en réalité, je n’en peux plus d’être ici, je me
relève et fonce derechef dans les profondeurs de la maison, comme si ce lieu ne m’avait apporté que de nouveaux soucis au lieu
de la tranquillité espérée.
Où en était la situation la dernière fois? Le crissement avait-il diminué? Non, il avait augmenté. Je choisis dix
endroits au hasard pour écouter et je me rends compte de mon erreur, le crissement est resté le même, rien n’a changé.
De l’autre côté, il n’y a pas de changement, on est calme et le temps ne compte pas, alors qu’ici chaque instant qui passe ébranle
celui qui écoute. Et je reprends le long chemin jusqu’à la place forte, tout, autour de moi, me semble être en émoi, semble me
regarder puis vite détourner le regard pour ne pas me déranger, s’efforçant pourtant à nouveau de lire sur mon visage les
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décisions qui sauveront la situation. Je secoue la tête, je n’ai pris encore aucune décision. D’ailleurs je ne rejoins pas la place forte
pour y mener à bien je ne sais quel projet. Je passe devant l’endroit où j’aurais voulu installer la tranchée d’exploration, je
l’examine encore une fois, c’eût été un bon endroit, la tranchée aurait mené dans la direction où se trouvent la plupart des petits
conduits d’aération qui m’auraient grandement facilité le travail, je n’aurais peut-être pas eu besoin de creuser bien loin, je n’aurais
peut-être même pas eu besoin de creuser jusqu’à l’origine du bruit, peut-être aurait-il suffi de coller l’oreille aux conduits d’aération.
Mais aucune considération n’est assez forte pour me donner le courage de faire ce travail de forage. Cette tranchée est censée
m’apporter une certitude? J’en suis au point de ne plus vouloir de certitude. Arrivé à la place forte, je me choisis un beau
morceau de viande rouge dépecée et m’en saisis pour me tapir dans l’un des tas de terre, au moins là il y aura du silence, si tant
est qu’il puisse encore y avoir ici un véritable silence. Je lèche la viande et la mordille, tantôt je pense à la bête inconnue qui trace
son chemin au loin, tantôt je me dis que je devrais profiter au maximum de mes provisions tant que j’en ai encore la possibilité.
C’est probablement le seul projet réalisable qui me reste.
Par ailleurs, je cherche à décrypter le projet de la bête. Est-elle en voyage ou bien travaille-t-elle à son propre terrier? Si elle est en
voyage, alors il serait peut-être possible de trouver un arrangement avec elle. Mais si elle parvient vraiment à se frayer un
chemin jusqu’à moi, alors je lui donnerai quelques-unes de mes provisions et elle continuera sa route. C’est cela, elle
continuera sa route. A l’abri dans mes tas de terre, je peux bien sûr faire tous les rêves possibles et imaginables et même rêver
d’un arrangement, tout en sachant parfaitement qu’il ne peut rien y avoir de tel et qu’à l’instant où nous nous verrons ou bien où
nous sentirons la présence de l’autre à proximité, mus par la même folie, nous sortirons nos griffes et montrerons nos crocs,
exactement au même moment, avec un appétit nouveau, même si nous sommes déjà repus. Et comme toujours ici aussi à bon
droit, car qui donc, même en étant en voyage, ne modifierait pas ses projets de déplacements et d’avenir en voyant mon terrier?
Mais peut-être la bête creuse-t-elle dans son propre terrier et je ne peux alors même pas rêver d’un arrangement. Même s’il s’agit
d’une bête si singulière que son terrier à elle puisse supporter un voisinage, le mien n’en tolère aucun, tout au moins aucun
voisinage bruyant. Pour l’heure, bien sûr, la bête semble très loin, si elle se retirait ne fût-ce qu’un petit peu, le bruit disparaîtrait
forcément, peut-être qu’alors tout pourrait redevenir comme avant, comme dans l’ancien temps, cela n’aurait été qu’une fâcheuse
mais salutaire expérience qui m’inciterait à pratiquer toutes sortes d’améliorations; lorsque je suis tranquille et que je ne suis pas
sous la pression directe du danger, je suis encore tout à fait capable d’accomplir plein de grandes choses; peut-être la bête
renoncera-t-elle, étant donné les formidables possibilités que semble lui offrir sa puissance de travail, à étendre son terrier dans la
direction du mien et trouvera-t-elle un autre moyen de se dédommager. Cela non plus ne pourrait s’obtenir par des négociations
mais seulement si la bête l’entendait ainsi ou bien si j’exerçais une contrainte de mon côté. Dans les deux cas, il sera déterminant
de savoir si la bête est au courant de mon existence et ce qu’elle sait de moi. Plus j’y réfléchis, moins il me semble vraisemblable
que la bête m’ait entendu, il est possible, même si c’est inimaginable à mes yeux, qu’elle ait par ailleurs je ne sais quelles
informations sur moi, mais elle ne m’a sans doute pas entendu. Tant que je ne savais rien d’elle, il est absolument impossible
qu’elle m’ait entendu car je restais silencieux, il n’y a rien de plus silencieux que les retrouvailles avec le terrier, et ensuite, quand
j’ai fait mes premiers essais de forage, elle aurait fort bien pu m’entendre même si ma façon de creuser fait très peu de bruit; mais
si elle m’avait entendu, je m’en serais forcément aperçu, elle aurait été bien obligée de s’arrêter de travailler à plusieurs reprises et
d’écouter; or, il ne s’était produit aucun changement.
« Le Terrier », Franz Kafka, trad. inédite de M. Le Yaouanq et J-P. Lecame .
Un travail de réflexion autour des enjeux hypothétiques de la nouvelle est envisageable avec une bonne classe de
troisième :
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Allégorie de l’existence à ressorts biographiques : le rapport de Kafka à la maladie, la tuberculose, à la femme, à la
mort ?
Allégorie de l’écriture : se considérer enfermé dans le travail de l’écriture, incapable de l’achever, car on sent ses
moyens inférieurs à ses ambitions ?
Allégorie de l’existence humaine ? L’enfermement dans l’individualité, la difficulté à comprendre, se représenter l’autre.
Bilan
A la fin de ce parcours, il s’agit de résumer les découvertes sur le personnage de cette pièce : « l’ininvitée ». Comment
les élèves se la représentent-ils ? Personnage incongru, surprenant, étrange, et grugeur, qui nous éloigne de la
pathologie présentée par Kafka, mais nous entraîne dans un univers fou.
On peut en outre construire une fiche de spectateur tenant compte des attentes provoquées par le travail de préparation
en amont au spectacle autant que des points de mire auxquels on leur demandera d’être particulièrement attentif : le
rapport à l’espace, à l’autre, au spectateur…
Grille de lecture pour une analyse critique
Il s’agit de repérer les deux ensembles de signes : ceux du texte (la pièce, ou les textes matériaux ici) et ceux de la
représentation (espace scénique, décor, accessoires, costumes, jeu des acteurs, rapport au public, éclairages...) qui
composent le fait théâtral. Aucun de ces signes ne vaut en soi, mais il ne prend son sens que par rapport à cet
ensemble de signes qu’est le spectacle entier.
Comprendre le fonctionnement du spectacle, c’est percevoir comment s’articulent les éléments choisis lors de son
élaboration par l’équipe de création et les champs de signification qu’ils suscitent du point de vue du spectateur.
Pour une réception active et plurielle : On répartit les élèves en groupe en leur confiant chacun la mission de
« lire » le spectacle sous un des angles proposés, en étant attentif aux évolutions des motifs et à leur relation ― de
tension ou complémentarité (la folie, l’invasion,)― avec les autres aspects du spectacle, et en proposer une synthèse
collective aux autres groupes, après le spectacle. Il s’agira pour chaque groupe d’être attentif aux interprétations
plurielles que les éléments du spectacle appellent, mais aussi à leur impact émotionnel, à leur valeur esthétique (sens
/effet). Chacun aura à cœur, face à un spectacle total, de montrer le caractère essentiel de l’aspect auquel il aura dû
être attentif.
Il sera bon que chaque groupe offre au début de son compte-rendu une reconstitution de la fable ― qu’est-ce que ce
spectacle nous a raconté ? y en a-t-il une, fable (plusieurs, aucune ?) ? ― pour sentir les variations de lecture de
chacun, et termine en concluant sur une lecture engagée et motivée : surprise(s) ? plaisir ? déception ?
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
SUR LE TEXTE : (suivant le travail préalable)
1 - Les thèmes : de quoi parle la pièce ? (Exemples : l’amour, la mort, l’errance, l’argent…)
2 - La fable : que raconte la pièce ? (mettre à plat les événements narratifs de la pièce)
3 - Le discours : que dit la pièce ? Qui parle ? Qui dit quoi ?
4-La réécriture : qu’est-ce qui rappelle le texte et qu’est-ce qui semble inventé ?

SUR LA REPRESENTATION :
1 - L’espace scénique et le décor
-Le dessiner.
- Comment la comédienne occupe-t-elle cet espace ? Est-elle statique ? Quel est son type de déplacement ?
L’amplitude et les rythmes de leurs mouvements... ?
- Recourt-on à un décor ou davantage à la mise en forme d’un espace ?
- Est-il l’image d’un espace de vie précis, copie exacte du réel ? D’un espace imaginaire ? En quoi est-ce un terrier ?
- Est-ce un décor unique ? Un décor à transformation ?
- Quelles sont les matières utilisées pour le composer ? Que suggèrent-elles ?
3 - Les lumières
- Ont-elles pour fonction de délimiter l’espace scénique ? Par quels moyens ?
- Comment participent-elles à créer, recréer le décor, l’espace ?
4 - Les objets scéniques
-Quels sont-ils ?
-A quoi servent-ils ?
5 - La gestuelle de la comédienne
-Sur quoi joue-t-elle pour être envahissante ?
-A-t-elle joué avec un jeu animal ?
6 - La voix et la diction
- Varie-t-elle de rythme et de hauteur de voix ? D’émotions ?
7 - Le costume
-Le décrire.
-Pourquoi ce rose ? Quelles impressions donne-t-il ?
8 - L’univers sonore
a - La musique
Quelle est son importance dans le spectacle ?
Est-elle là comme prolongement d’une parole ? Citation ? Elément d’une atmosphère ?
b - Les autres éléments sonores
- Comment les sons sont-ils émis ? D’où ?
Sont-ils enregistrés ?
- Ont-ils la même fonction que la musique ?
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