Entrée en matière
Tout le monde sait que Galilée fut condamné par l’In-
quisition pour avoir affirmé que la Terre tourne, alors
qu’à la prière de Josué Dieu arrêta la course du Soleil. Ce que
tout le monde ne sait pas, c’est qu’en ne s’en tenant pas au sens
littéral de la Bible, Galilée suit Saint Augustin qui pensait,
en son temps, que les Saintes Écritures « n’ont jamais eu
comme but de nous enseigner les sciences astronomiques ».
Au XVIIème siècle, face à l’intégrisme religieux qui veut que
l’on s’en tienne à la lettre de la Bible, naissent dans les églises
protestantes et catholiques différents courants de pensée
exégétique. On n’y croit plus que Moïse a écrit la Genèse sous
l’inspiration divine mais on s’interroge sur la composition de
ce texte à partir de sources diverses, sur le sens littéral ou
symbolique de ses différentes parties et sur leurs contra-
dictions ; le Tractatus de Spinoza sort la recherche exégétique
des cercles religieux.
Mais, avant de nous interroger sur ce qu’en pensent les plus
illustres savants des XVIIème et XVIIIème siècles, le physicien
Newton, le naturaliste Linné, les chimistes Boerhaave et
Venel, donnons-nous quelques repères que nous prendrons
chez Fontenelle et Voltaire. Dans L’origine de la fable (1724),
Fontenelle nous dit que, dans les premiers siècles du monde,
les premiers hommes, ignorants et barbares, ne virent autour
d’eux que prodiges et que les récits qu’ils firent à leurs enfants,
exagérant leurs exploits, y mirent du faux merveilleux. Et,
lorsqu’il y eut de la philosophie en ces siècles grossiers, celle-ci
a beaucoup servi à la naissance de la fable. Qu’en est-il d’Adam
et Ève, du déluge, de Noé et du récit des premiers âges par
Moïse ? Pour le lecteur, il est difficile de croire qu’il n’en est
pas de la Genèse comme des mythes des grecs, des amé-
rindiens, etc., mais Fontenelle ne cherche pas à nous pousser
dans de telles voies, il écrit que nous avons été préservés de
ces erreurs « parce que nous sommes éclairés des lumières de
la vraie religion ». Fontenelle est-il sincère ? Qu’importe, nous
jugeons un texte écrit et publié en un temps où, en la matière,
la prudence est de mise. Dans son asile de Ferney, Voltaire
peut tenter « d’écraser l’infâme », aussi, dans le Dictionnaire
philosophique (1770) et dans les Questions sur l’Encyclopédie
(1774), montre-il la fausseté des prophéties et des miracles,
les incohérences, les contradictions… de la Genèse : sous sa
plume, l’histoire d’Abel et Caïn n’est qu’une fable aussi
exécrable qu’absurde. « C’est le délire de quelque malheureux
Juif, qui écrivit ces infâmes inepties à l’imitation des contes
que les peuples voisins prodiguaient dans la Syrie. »
Newton, du système du monde au Dieu de l’Ancien
Testament
Au siècle des Lumières, l’étude des sciences physiques
et naturelles semble être une voie qui conduit à l’amour de
Dieu, d’où cette réflexion de Voltaire : « Les physiciens sont
devenus les hérauts de la providence : un catéchiste annonce
Dieu à ses enfants, et un Newton le démontre aux sages ».
Mais, si, au bout de ses recherches de physique, Newton
a retrouvé Dieu, il ne l’avait guère perdu de vue depuis son
enfance ; attaché à la lettre de la Bible comme en ses jeunes
années, il est hostile à toute critique de la lettre de la Bible,
et l’idée qu’on puisse y trouver des incohérences ou des con-
tradictions lui était inadmissible. Aussi, Voltaire a-t-il raison
d’écrire : « Les plus grands génies peuvent avoir l’esprit faux
sur un principe qu’ils ont reçu sans examen. Newton avait
l’esprit très-faux quand il commentait l’Apocalypse ». Dans
Les principes mathématiques de la philosophie naturelle (1687),
Newton démontre l’existence d’action à distance entre le
Soleil et les planètes, des actions que la physique ne peut
expliquer, aussi en cherche-t-il les raisons dans le concours de
Dieu qui agit instantanément sur toute chose par l’entremise
de l’espace, lequel est, en quelque sorte, son organe des sens.
Ce propos tient à la théologie naturelle, nous ne le retiendrons
pas pour illustrer les déraisons de la raison ; il n’en est pas de
même pour ceux qui suivent, ils ont la déraison de faire entrer
le récit mosaïque dans des traités de physique : dans le Traité
d’optique, Newton nous dit que la véritable religion, celle de
nos premiers pères, est celle de Noé et de ses enfants et que
celle-ci, comme toute religion, a subi un cycle de corruption
et fut restaurée par Moïse chez les juifs, puis qu’à nouveau
corrompue, le Christ la restaura, mais qu’après plusieurs siècles
d’existence, le christianisme fut corrompu et versa dans un
polythéisme de fait avec le culte de la Trinité : Newton est
unitarien, ainsi appelle-t-on ceux qui nient la divinité du
Christ et l’existence de l’Esprit Saint.
Lorsque la Bible sert de cadre à l’histoire naturelle :
Linné
On doit à Linné la nomenclature binomiale des plantes, selon
le genre et l’espèce, et un système de classification des végé-
Les déraisons de la raison
Professeur émérite à l’Université Lille 1, UMR « Savoirs, Textes, Langage »
(CNRS, Universités Lille 1 et Lille 3), Centre d’histoire des sciences
et d’épistémologie de Lille 1
Par Robert LOCQUENEUX
En conférence le 14 février
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cycle raison, folie, déraisons / LNA#59LNA#59 / cycle raison, folie, déraisons