L`ÉCOLE ET LA PHILOSOPHIE

publicité
L'ÉCOLE ET LA PHILOSOPHIE
Études réunies et présentées
par
Jean Lombard
L 'HARMATTAN
@ L'Harmattan
2007
S-7 rue de l'École Polytechnique;
www.librairieharmattan.com
harmattanl~wanadoo.IT
diffusion.harmattan~wanadoo.
ISBN: 978-2-296-03195-1
EAN: 9782296031951
Paris Se
IT
INTRODUCTION
E
nseigner la philosophie ou simplement être philosophe, que
l'on se définisse soi-même comme tel ou que l'on se trouve
investi de ce titre par l'institution, suppose, ou à défaut finit par
conférer, une sorte d'endurance àjustifier la philosophie. Peutêtre même faudrait-il voir dans cet exercice toujours inachevé
l'indication d'une condition commune à tous ceux qui à un titre
ou à un autre se consacrent à la philosophie. Ce trait original,
qui va bien au-4elà du simple désir que génère toute spécialisation d'assurer ses défense et illustration, tient sans doute à la
nature et à l'objet même de la discipline philosophique, remise
en cause et refondée chaque fois qu'est tentée en son nom une
pensée nouvelle, car si modeste que soit son ambition, celle-ci
implique à un égal degré la continuité avec la philosophie déjà
faite, dont nécessairement elle se recommande, et la liberté de
s'en détacher pour venir elle-même à l'existence.
En ce sens, chaque démarche engage en même temps que sa
validité propre la philosophie tout entière, et c'est ce qui rend si
difficiles les commencements: si le statut de débutant qui est
surtout celui des lycéens est si inconfortable et s'il soulève dans
la pratique tant de problèmes pédagogiques, ce n'est pas en
raison des seules conditions dans lesquelles est dispensé et reçu
cet enseignement, mais parce qu'il s'agit d'une activité qui est
par nature irréductible à des phases élémentaires ou à des étapes
préparatoires. L'entrée en philosophie ne se fait que d'un pas
décidé et presque soudain qui est la marque de l'immédiateté,
instituant un contraste riche de sens entre ce début ponctuel et le
8
L'École et la philosophie
« grand détour» l, selon l'appellation de Platon, qui initialement
le rend possible. S'il n'y a pas de paideia sans une propaideia,
il n'y a pas davantage de moment de transition, de phase
intermédiaire entre ce qui n'est pas encore philosophique et ce
qui, au-delà d'une certaine limite, l'est déjà devenu.
Ce principe est transposable à l'organisation de la scolarité:
le débat récurrent sur l'introduction de la philosophie par degrés
avant la terminale en est l'illustration et Bergson a bien montré
que la philosophie enseignée avant l'heure est « déflorée» plutôt que préparée car ce qui en elle peut attirer les élèves, c'est
justement« qu'elle leur est présentée tout d'un coup, en bloc »2.
La philosophie requiert des conditions préalables mais n'arrive
à l'existence que pleine et entière. On ne peut pas, disait JeanPaul Sartre, « déblayer le terrain avant», car « le déblaiement,
on le fera au nom de quoi? »3. C'est du reste ce qui rend aussi
incertaine la frontière entre la philosophie et sa détermination
scolaire: la distinction entre une philosophie en quelque sorte
pensante et celle qu'enseigne l'institution n'a, de ce point de
vue, aucun sens, même lorsque la réalité met en évidence jour
1 Platon, La République, 535 d, 503 c-504 a, et Phèdre, 274 a. Le cursus des
études philosophiques selon Platon n'a évidemment rien de comparable, ni
dans son organisation ni dans sa finalité, avec les modalités contemporaines
de l'enseignement de la philosophie au niveau scolaire et même universitaire.
En revanche il met en évidence l'ambiguïté de la notion de prérequis et la
nécessité de fonder la philosophie sur une expérience suffisante, consistante et
diversifiée d'autres conquêtes de la raison (cf République, 521 c sqq.).
2 Bergson, Mélanges, P.U.F., 1972, pp. 568 à 571 (discussion à la Société
Française de Philosophie du 18 décembre 1902). Bergson aborde aussi, à cette
occasion, deux questions aujourd'hui très en vogue: l'enseignement de la
philosophie aux enfants, qu'il écarte d'emblée, tout en jugeant souhaitable que
les enfants soient amenés à« se poser à eux-mêmes fût-ce sous une forme très
vague quelques-uns des problèmes dont la philosophie cherche la solution »,
puis la part des acquis méthodologiques dans l'enseignement philosophique,
c'est-à-dire de l'apprentissage de la réflexion générale, qui ne doit pas faire
oublier que «la philosophie a toujours été avant tout l'étude de la réalité
concrète ».
3 J.-P. Sartre, « Sur l'enseignement de la philosophie », entretiens de février
1980, Cahiers philosophiques, n° 6, C.N.D.P., avril 1981.
Introduction
9
après jour l'existence dans les classes d'obstacles de tous ordres
presque infranchissables.
Dès lors, il n'y a pas de différence de nature entre la défense
de la philosophie dont Socrate est constamment préoccupé et
celle qu'opposent de leur mieux les professeurs de nos lycées
aux critiques du moment, ou même au refus de leurs élèves, qui
ne seraient pas demandeurs, comme on dit à présent. On voit
bien dans les Dialogues de Platon que la tâche de Socrate ne se
limite pas à entraîner ses interlocuteurs dans l'examen raisonné
de telle ou telle question. Il s'agit pour lui d'instituer un espace
discursif, une sorte de protocole durable garantissant l'échange
rationnel. Or ce combat est très loin d'être gagné d'avance. Les
affrontements sont nombreux et il apparaît, bien souvent, que
certains veulent surtout discourir et tenter d'imposer en force
leurs arguments et leurs prises de position. À plusieurs reprises
- pensons par exemple au Gorgias et au Protagoras - il s'agira
pour le maître de trouver le moyen de donner une chance à une
dialectique encore mal assurée et incapable de répondre à la
question posée, de s'imposer devant une sophistique maîtresse
d'elle-même et prétendant détenir la vérité: c'est même tout le
risque sublime que décrivent les dialogues aporétiques. Entre
ces deux voies opposées, Socrate doit assurer la prééminence de
celle qui est capable de « tirer l'âme hors de ce qui devient vers
ce qui est »1. En d'autres termes, il a en même temps à conduire
la recherche du vrai et à imposer par la persuasion la philosophie elle-même à tout ce qui vient lui faire obstacle: les ruses
des Sophistes, certes, mais tout autant les fausses évidences, les
apparences trompeuses, la séduction des sens, les préjugés tenaces, les somnolences de l'esprit, le vide méthodologique, les
propositions de tous ceux qui, tel Calliclès, rêvent d'un débat
plus expéditif.
Et que dire de cette tâche socratique quand il faut la mener à
bien dans les lycées d'aujourd'hui, quand le désir de dialoguer
ne s'exprime guère et, plus encore, quand ce sont les problèmes
des cités et non plus de la Cité qui en constituent l'arrière-plan?
1
Platon,
La République,
521 d.
10
L'École et la philosophie
Tout ce qui peut donner à croire que la philosophie est porteuse
d'exigences trop encombrantes, qu'elle est au mieux inutile et
au pire dangereuse se trouve alors renforcé et vient aggraver les
attendus de ce procès interminable, dont l'Apologie de Socrate
n'avait été, en somme, que le point de départ fondateur.
Aussi bien, la représentation d'une discipline jugée détachée
du réel, qui serait dépourvue d'applications pratiques à l'heure
où le tout est de produire, inutilement obscurcie par un langage
de spécialistes, progressivement remplacée par la connaissance
scientifique, étrangère aux centres d'intérêt des élèves et à leurs
« motivations », selon \e lexique aujourd'hui en usage, tout cela
est venu alimenter la mise en cause moderne de l'enseignement
de la philosophie. Cet enseignement, il est vrai, a toujours été
peu ou prou mis en question et seuls les arguments de la
contestation ont parfois un peu changé, en fonction des modes
intellectuelles dominantes. À l'heure où triomphent les thèses
spontanéistes et où, comme l'avait bien montré Hannah Arendt
à propos de l'école de la modernité, le savoir doit être sacrifié à
l'activité et le travail au jeu dans le cadre du transfert de
l'autorité, abandonnée par les adultes à l'univers enfantin, la
philosophie n'aurait plus besoin être enseignée: tout le monde
pourrait être philosophe sans rien apprendre - tout au plus
quelques règles de la conversation - puisque toutes les opinions
sont également autorisées et peuvent donc tenir lieu de discours
rationnel. Dans cette perspective, Socrate aurait été un original,
un contestataire de papier dont le plus grand mérite était de
bavarder plaisamment mais somme toute plutôt intelligemment
avec des camarades de rencontre. Or, tout au contraire, les plus
éminents acquis des Dialogues sont la distinction de l'opinion
et de la vérité et la disqualification de la doxa en tant que telle,
fortement marquée dès le Gorgiasl.
Une seconde raison, plus permanente peut-être, explique les
critiques vigoureuses que subit la philosophie: c'est qu'elles lui
viennent surtout des philosophes, c'est-à-dire de ceux qui en
connaissent bien les imperfections, les travers et les fragilités et
1
Cf. Gorgias, 454 d.
Introduction
Il
qui en même temps ont su retirer de son étude la capacité de
s'interdire toute adhésion irrationnelle à quoi que ce soit, y
compris à leur propre discipline. La philosophie apparaît souvent comme étant elle-même sa première et sa pire ennemie: ce
sont ceux qui l'enseignent ou qui l'ont enseignée qui lui ont
porté les coups les plus rudes, non pas forcément par une
révolte contre leurs origines mais parce qu'ils éprouvent plus
que d'autres cette impression d'un mélange d'impossibilité et
d'urgence que leur donne l'exercice de leur métier. Comme le
montrent bien à ce propos les analyses de D. Dreyfus et F.
Khodoss, si «l'enseignement philosophique est toujours en
crise, c'est là le prix de la conscience aiguë que prennent de leur
métier les professeurs de philosophie» 1.
Certaines condamnations sans appel sont, il est vrai, d'une
autre nature: règlements de compte désespérés, sacrifices de soi
héroïques, demandes d'hypothétique secours, recherche d'originalité à tout prix, on ne sait pas toujours très bien. À travers
elles, c'est en fait la philosophie tout entière qui est dénoncée.
Son enseignement donnerait lieu à du «philosophisme ». Les
philosophes tendraient à s'imposer dans le monde comme des
« gourous» et si Descartes, Spinoza ou Jean-Paul Sartre sont
reconnus comme ayant eu « une pensée », par opposition à tous
ceux qui n'ont que des « idées », il seraient protégés comme des
«dieux du Temple» et cela «au prix de la vérité ». On ne
s'étonnera donc pas de voir la classe terminale, seul niveau où
est prévu un accès généralisé à la philosophie, définie comme
« une classe inutile », où l'on « enseigne un catéchisme» que
remplacerait avantageusement un cours sur l'histoire des idées2.
1 Dina Dreyfus et Florence Khodoss, « L'enseignement philosophique », Les
Temps Modernes, décembre 1965, n° 235, pp. 1001-1047.
2
M. T. Maschino, Oubliez les philosophes, Editions Complexe, 2001. Les
propositions présentées sont aussi désolantes que les analyses sur lesquelles
elles reposent. Ainsi, pour en finir avec le « pot-pourri de généralités» que
serait l'enseignement en terminale est imaginée «l'étude d' idées-force», et
par exemple « l'idée de nature humaine », ou « l'inconscient, la démocratie, la
justice»... Est évoqué avec insistance le thème inévitable de la « discipline de
vie» qui devrait se substituer à la « discipline livresque ».
12
L'École et la philosophie
On sait ce que recouvre ce type de substitution: rien n'est plus
contraire à la philosophie que les idées prises en elles-mêmes,
indépendamment du cheminement qui y conduit, de l'utilisation
intellectuelle qui peut en être faite et du mouvement créateur de
la pensée. Aimer les idées, avoir des idées, comme on dit, c'est
tout autre chose que faire de la philosophie. Les idées sont au
mieux un moyen, au pire un résidu de la recherche de la vérité.
L'histoire de la philosophie elle-même, pour nécessaire qu'elle
soit au travail du philosophe, ne le constitue pas. Ce qui nous a
été légué doit être chaque fois repris dans une réflexion vivante
et donc, en ce sens, repensé. L'apport de nos maîtres est celui
d'« éveilleurs de pensée, non de trésors de pensée» 1. La seule
consolation que nous apporte, cependant, la perspective d'un
enseignement d'histoire des idées, c'est du moins qu'elle traduit
la nostalgie d'une ancienne activité philosophique, déçue sans
doute, mais restée présente comme souvenir d'un regard porté
un moment hors de la Caverne
- et peut-être
aussi une forme de
mauvaise conscience liée au refus de penser de nouveau.
Heureusement, toute approche critique de l'enseignement
philosophique n'aboutit pas à de pareils rejets. Malgré le choc
qu'il a produit à l'époque, à la veille des années 60, le pamphlet
de Jean-François Revel Pourquoi des philosophes? posait au
contraire philosophiquement la question de la philosophie, refusant une « certaine démarche réactionnaire et confusionniste »2
et rappelant l'exigence de rigueur de la recherche de la vérité
1
Florence Khodoss,« Un professeur de philosophie, Michel Alexandre »,
Revue de l'enseignement philosophique, 3èmeannée, n° 4, avril-juin 1953. Ce
texte en appelle à la distinction faite par Cicéron entre la raison et l'autorité
dans le De natura deorum, I, V et sur les conséquences que peut entraîner sa
méconnaissance: « l'autorité de ceux qui se posent en maîtres, dirai-je même,
nuit aux disciples: ils cessent d'utiliser leur jugement propre ». Les « idées»
prises en elles-mêmes sont de tels souvenirs d'un maître qui peut rester
anonyme.
2 J.-F. Revel, La cabale des dévôts, éd. Jean-Jacques Pauvert, 1965, p. 48.
Dans cet ouvrage, l'auteur revient longuement sur Pourquoi des philosophes,
Paris, Julliard, 1957. Les deux textes forment une intéressante analyse de la
situation de la philosophie et de son enseignement dans les années 1960 et
annoncent les remises en cause qui suivront.
Introduction
13
qui doit prévaloir dans cet enseignement sous peine de le rendre
vain. En même temps il abordait cette problématique dans des
termes qui demeurent en partie actuels, exception faite d'une
tentation très datée de sacrifier à l'excès aux sciences humaines,
qui ne répond d'ailleurs pas à la question de l'enseignement de
la philosophie en tant que telle.
Quoi qu'il en soit, la mise en cause de cet enseignement
n'est pas nouvelle et la résistance que les philosophes lui ont
presque constamment opposée en donne d'une certaine façon la
mesure. La question a été posée de nouveau, récemment, de
savoir si on peut Philosopher à dix-huit ans, s'il est possible de
tirer profit de cette « bienheureuse exception française» qui est
néanmoins «devenue singulièrement ambiguë », à la fois
« attrayante» et « suscitant le dépit» 1. Refusant le passage à la
simple histoire des idées tout en admettant que la pensée doit
« s'appuyer sur un socle solide pour prendre son élan », doutant
qu'apprendre aux élèves à réfléchir constitue un « discours de la
méthode» suffisant, les auteurs proposent une modernisation
raisonnable, accordant une place plus large à l'épistémologie et
à l'éthique et prenant en compte un fait majeur, la disparition
contemporaine de la notion d'ordre du monde, qui avait été le
grand principe régulateur de la pensée antique2.
1 Luc Ferry et Alain Renaut, Philosopher à dix-huit ans Faut-il réformer
l'enseignement philosophique? Grasset-Fasquelle, 1999, pp. 7-8.
2 Id., pp. 34-37. Voir aussi, plus loin, la justification, par la recherche du sens
et par l'apprentissage rhétorique, de l'exercice de la dissertation, si souvent
remis en question depuis quelques années qu'il est l'emblème de la difficulté
qu'on croit résoudre par la suppression de ce qui l'occasionne. La dissertation
est la seule voie d'accès, au niveau scolaire, à une pratique à la fois autonome
et authentique de la philosophie. La rédiger, c'est être un apprenti philosophe.
Voir sur ce point 1. Laubier, Technique de la dissertation philosophique,
Masson, 1971, p. 3 : « penser, c'est toujours découvrir, inventer, créer; or il
n'y a évidemment pas de méthode pour inventer ». La dissertation n'est pas,
comme on le croit, issue d'une vieille tradition scolastique, du moins en tant
qu'épreuve d'examen. Elle n'a remplacé qu'en 1864 le système de questions
qui constituait l'épreuve de philosophie du baccalauréat, dont Jules Vallès
nous a donné dans Le bachelier un témoignage plein d'un humour grinçant.
14
L'École et la philosophie
Il est significatif que cette problématique ait été débattue de
façon ininterrompue depuis le 19èmesiècle, et plus précisément
depuis le rétablissement de la classe de philosophie par Victor
Duruy en 1863. C'est vers 1880 que celle-ci a connu une certaine stabilisation que traduisent les programmes de 1885, qui
seront revus à leur tour en 1902, dans le cadre de la réforme de
l'enseignement secondaire, puis en 1925, l'année dite de «la
réforme de la réforme ». Les années de la guerre feront ensuite
éclater la classe de philosophie, avec les programmes de 19421.
Certains avaient vu dans la défaite de 1940 une conséquence de
la démoralisation qui aurait été produite par l'enseignement de
la philosophie... Un article paru dans la Revue des deux mondes
en novembre 1943 demandait que celui-ci soit remplacé par un
simple «exercice de la réflexion personnelle », associé à la
lecture de quelques textes de philosophes: un exemple parmi
d'autres - l'illusion n'a pas disparu mais elle est ici aggravée
par l'idéologie
que l'on sait
- du
mirage d'une substitution
à la
philosophie de ses bénéfices intellectuels, que l'on pourrait
obtenir sans accomplir la démarche qui en permet la conquête,
en accédant directement à une philosophie toute prête.
L'après-guerre amènera d'autres programmes et instructions
que viendront modifier les textes de juillet 1960. Puis la marche
en avant reprendra avec les programmes de 1973, qui font suite
aux interrogations de mai 1968, et on sait qu'elle ne s'est plus
arrêtée depuis, en raison d'une sorte d'hésitation persistante
entre deux conceptions: la philosophie en tant que territoire
propice à l'animation culturelle, ce qui rend les contenus sinon
indifférents du moins accessoires
cette perspective convient
particulièrement bien à l'évolution d'un système scolaire en
voie de déscolarisation rapide - ou au contraire la philosophie
dans sa fonction d'élucidation critique, qui suppose un contenu
plus classique - et en même temps, d'un certain point de vue,
plus moderne. Les deux perspectives ne sont pas incompatibles, comme l'avait noté Althusser: en effet, en « couronnant
1 Voir sur ce point l'étude de R.-M. Mossé-Bastide, Bergson éducateur,
P.U.F., pp. 260-262.
Introduction
15
le cycle des études secondaires », la philosophie « en conserve
vraiment le caractère culturel. Elle n'est pas seulement l'école
de la réflexion, elle est l'école de la théorie» 1.
La problématique de l'enseignement philosophique a donc
fait l'objet de débats incessants, où les mêmes arguments et les
mêmes prises de position sont revenus régulièrement, adaptés
aux nécessités de l'heure et particulièrement à l'irrésistible évolution de l'institution scolaire. Pourtant, cet éternel retour de
tentations et de réticences inchangées ne peut s'expliquer par la
seule opposition entre la tradition et le changement, qui est au
cœur de presque tous les débats pédagogiques et didactiques,
dont chaque parti sort à son tour vainqueur. Il ne s'agit pas de
décider du sort d'une discipline d'enseignement parmi d'autres.
La philosophie n'est pas une simple matière scolaire, elle n'est
même pas une discipline comme une autre. Elle est la discipline
de la discipline. Elle est ce qui fonde l'école tout entière, ce qui
rend possible l'apprentissage des exigences de la raison, ce sans
quoi l'idée même d'éduquer serait proprement insignifiante2.
Dans l'hypothèse où son enseignement vient à manquer, « les
adolescents sont privés non d'un élément de culture, qu'un
autre élément pourrait à la rigueur remplacer, ils sont privés de
1
L. Althusser, « L'enseignement philosophique », Esprit, juin 1954, pp. 858864. Sur ces questions et sur les aspects historiques, voir l'étude de Bruno
Poucet Enseigner la philosophie Histoire d'une discipline scolaire 1860-1990,
Paris, C.N.R.S., 1999. On notera que les manuels de philosophie qui sont
entrés dans la légende rythment cette histoire. « Le Cuvillier », qui est né en
1927, paraît jusqu'en 1979, mais il est intéressant de noter qu'il a été publié de
nouveau à d'autres fins, comme un compendium philosophique pour public
instruit. « Le Foulquié » paraît de 1936 à 1973. Ensuite apparaîtra un nouveau
type de manuel comportant une sorte de « plus petit dénominateur commun
philosophique» sous une forme attrayante, avec photographies et références à
l'actualité, tel celui de Vergez et Huisman.
2 Dans la célèbre distinction de la Critique de la raison pure, apprendre à
philosopher est défini comme « exercer le talent de la raison dans l'application
de ses principes généraux» (p. 561). Sur la place fondatrice et la fonction
régulatrice de la philosophie dans l'école, voir aussi les textes rassemblés dans
le volume La grève des philosophes, éditions Osiris, Paris, 1986, qui avait fait
suite aux rencontres « École et Philosophie» de Nanterre.
16
L'École et la philosophie
ce qui transforme tout enseignement en éducation» 1. À titre
individuel, ce n'est pas un savoir déterminé qui fait défaut à
celui qui n'a pas étudié la philosophie: en fait, « il se trouve
infirme et balbutiant chaque fois qu'il veut penser ce qui lui
importe le plus et en parler »2. Ce n'est pas simplement que
l'enseignement de la philosophie soit indispensable dans telle
ou telle perspective particulière. C'est qu'« il n'y a pas d'école
sans philosophie »3 et que philosophie à l'école et philosophie
de l'école sont les deux aspects d'une seule et même exigence à
tous égards fondamentale.
Pour autant, la place réelle de la philosophie dans le système
scolaire, les conditions effectives de son enseignement, l'impact
de la modernité - loisirs de masse, hégémonie médiatique, renforcement des « contre-cultures» - n'en sont pas moins pas des
éléments importants de cette problématique. À cet égard, deux
phénomènes d'autant plus remarquables qu'ils vont à première
vue dans des directions opposées ont marqué depuis quelques
temps la situation faite à la philosophie: un essor et un succès
publics considérables et une nouvelle aggravation des obstacles,
réels ou placés devant elle, à son enseignement.
Ces évolutions ont lieu sur des plans bien différents. D'un
côté la philosophie est ressentie comme une sorte d'occupation
académique, comme un passe-temps pour intellectuels égarés
dans un siècle voué au divertissement et au loisir de masse, ou
comme un commentaire obscur et improductif sur la façon dont
va le monde, une sorte de temps perdu, pour tout dire, à l'heure
où tout se mesure à l'aune de l'action, de la production et du
profit. Même l'institution scolaire l'écarte de plus en plus au
1 Dina Dreyfus et Florence Khodoss, op. cU., p. 1019. Cet discipline peut
aussi donner à qui l'étudie « les moyens de résister aux discours, de discerner
la tyrannie sous une phraséologie démocratique, de ne pas confondre une
hypothèse sérieuse avec une fantaisie mytho-ésotérique, de résister aux illuminés sincères aussi bien qu'aux charlatans ou à ses propres rêveries, de
déceler et de dénoncer les systèmes d'idées».
2 Id., p. 1012.
3 Cf la déclaration de J. Leif dans La grève des philosophes, op. cU., p. 33.
Introduction
17
profit de « sciences» plus utiles, mais ce sont elles qui le disent,
pour la formation de ses maîtres.
Et d'un autre côté, la philosophie est partout, elle n'a jamais
été autant représentée, au sens scénique du terme. Elle est dans
les colonnes des magazines, elle envahit les débats télévisés,
elle se multiplie à l'infini dans des ouvrages de vulgarisation:
toujours cette obsession de se procurer de présumés bienfaits en
se dispensant de suivre les cheminements qui seuls, pourtant, y
conduisent. Elle devient chaque jour davantage la caution de
toute activité qui voudrait apparaître réflexive, l'alibi de toute
préoccupation qui affiche un caractère culturel. Il existait déjà
une philosophie des livres, une philosophie des cours et des
dissertations, une philosophie des arrière-salles de café, avec sa
forme moderne transférée en salle principale, le café-philo. Il y
a maintenant le goûter-philo, où l'enfant-roi est substitué au
philosophe-roi platonicien. À l'école élémentaire se répand peu
à peu la pratique de l'entretien philosophique, dont on attend
surtout, semble-t-il, un apprentissage de la démocratie et une
forme de construction du sujet et d'entraînement à la pensée, ce
qui revient une fois encore à passer directement au résultat
espéré en brûlant les étapes!. Sur la spontanéité et la capacité
d'étonnement des enfants, tout a été dit. Pourtant, il ne suffit
pas de s'étonner pour philosopher et il ne suffit même pas d'être
philosophe pour s'étonner bien. Si la sophia, dont on aime tant
à se recommander, a une caractéristique assurée, c'est bien celle
de n'avoir de sens que par rapport une certaine maturité ou du
moins à une expérience préalable: celle dont le crépuscule vient
faire savoir que la journée passée l'a apportée, dans l'imagerie
hégélienne d'un envol tardif de « l'oiseau de Minerve ».
1 Du désaccord entre les philosophes sur cette question se dégagent néanmoins
certains aspects positifs, une défense de la philosophie et une reconnaissance
de sa valeur pour combattre cette «ère du vide », génératrice d'une quête
éperdue de sens, dans laquelle nous vivons: cf. sur ce point l'article de Frank
Lelièvre «La discussion à visée philosophique: fin de partie? », L'enseignement philosophique, 55èmeannée, n° 4.
18
L'École et la philosophie
Par ailleurs on recueille auprès des philosophes un avis sur
la gestion des affaires, sur l'éthique professionnelle, sur le sens
des évènements, paradoxalement obscurci par l'abondance de
l'information, on veut le croire. Plus que jamais le philosophe
redevient, quoique de manière très éloignée de celle qu'avaient
imaginée les Grecs, une sorte d'opérateur intellectuel de la cité.
On peut se demander si ces phénomènes correspondent à
une sorte de réalisation moderne du vœu de Diderot de « rendre
la philosophie populaire» ou bien si au contraire ils ne résultent
pas d'une sorte de surmédiatisation, d'expansion redoutable par
laquelle la philosophie serait peu à peu transformée en un objet
analogue à tous les autres, un simple produit de consommation.
Hannah Arendt avait déjà prophétisé, en ce sens, que la société
de masse « ruine tout ce qu'elle touche ». Dans l'univers de la
modernité, le succès s'assimile à une prolifération qui porte en
elle à la fois le triomphe et la mort. Quand la philosophie est
partout, elle risque de n'être plus nulle part. Si tout le monde est
philosophe, la philosophie n'a plus besoin d'être enseignée et
elle n'est plus l'objet que d'une quête ardente sans doute mais
abandonnée aux aléas de la rencontre, aux surprises et autres
risques que réserve le logos non apprivoisé.
En ce sens, que cette mode de la philosophie paraisse durer
et même s'étendre à l'échelle mondiale n'a rien de rassurant: il
pourrait bien s'agir des premiers signes d'une destruction lente
et irréversible de la philosophie qui s'enseigne\ c'est-à-dire qui
se construit selon un schéma proprement philosophique dans le
rapport du maître et du disciple. Dans sa leçon inaugurale au
Collège de France, Merleau-Ponty avait fait remarquer, que « la
1 Sous le titre Philosophie populaire: avantages et inconvénients paru dans Le
Monde des Livres du 27 février 2004, R.-P. Droit décrivait ce phénomène
comme une multiplication des «voies d'accès aux concepts» et il faisait
l'hypothèse de sa pérennité, qui semble s'être vérifiée depuis. Voir aussi, du
même auteur, un article plus ancien (14 septembre 2001), Faciliter l'accès à
la philosophie, sur les difficultés rencontrées par l'enseignement scolaire de la
philosophie et sur quelques intéressantes tentatives pour y faire face, parmi
lesquelles celle que suggèrait l'Antimanuel de philosophie de Michel Onfray.
Introduction
19
philosophie mise en livres a cessé d'interpeller les hommes »1 et
il visait explicitement, à travers l'image de Socrate, cet aspect
fondamental de la philosophie qu'est sa transmission active et
directe, dans laquelle le modèle, si l'on peut dire, n'est pas la
transmission d'une pensée conçue comme « prête à l'emploi »,
mais le processus d'une édification en commun, qui ne sera
qu'à titre secondaire transcrite et conservée, voire, pour les plus
grands textes, consacrée comme une référence offerte à toute
pensée future.
Indépendamment de la qualité de la plupart de ces livres de
philosophie à succès, dont les auteurs sont surtout enseignants,
et de l'intérêt incontestable d'une « philosophie populaire », il
n'est absolument pas certain que cette médiatisation des idées
philosophiques coupées de l'exercice de la discipline dont elles
sont issues ne soit pas la marque de leur banalisation et à terme
l'annonce d'une certaine forme de déclin2. Le risque n'est donc
pas écarté de voir de plus en plus souvent le titre « philosophie
de » signifier simplement « quelques remarques à propos de »,
pour reprendre la formule que Revel avait utilisée en parlant de
la psychologie.
Et en même temps, il est difficile de ne pas constater qu'une
partie de cette floraison philosophique correspond à un besoin
insatisfait de trouver un sens aux désordres du monde, ce qui est
la vocation même de la philosophie, à laquelle l'institution
scolaire n'offrirait donc plus un cadre adéquat. Le décalage
entre les attentes tant des professeurs que des élèves et la réalité
n'a jamais, dit-on, été aussi grand. Pendant que les enseignants
se désespèrent de la qualité des productions écrites de leurs
élèves, ceux-ci de leur côté éprouvent souvent une déception ou
une insatisfaction, quand ils ne se révèlent pas réticents voire
1
Cité par P. Hadot, La philosophie comme manière de vivre, Albin Michel,
2001, p. 194, à propos de la pratique quotidienne antique de la philosophie.
2 Cf. aussi les analyses de Ch. Coutel dans L'École de la Philosophie, éd.
Pleins feux, 2000, pp. 48-51 : « une société communicationnelle pourrait à la
limite se passer d'école, à force de pactiser avec l'ignorance ». Un peu plus
loin, l'auteur met en évidence que « I'histoire des idées correspond strictement
à une volonté de déscolarisation de l'école... » (p. 71).
20
L'École et la philosophie
hostiles à cette discipline dans laquelle ils ne reconnaissent pas
leurs propres questionnements - même s'il existe, malgré tout,
des philosophes heureux en classe terminale et s'il convient de
relativiser tout le discours un peu convenu sur la dégradation
des niveaux et l'accroissement des difficultés. Les obstacles que
rencontre l'enseignement de la philosophie ont en fait d'autres
causes: il figure au premier rang des apprentissages qui ne
correspondent plus aux attentes d'aujourd'hui, il est dispensé
selon des formes pédagogiques qui vont à contre-courant des
modes dominantes, et il est incompatible avec la déscolarisation
accélérée de l' école.
Tout d'abord, la philosophie apparaît a priori déplacée,
nous l'avons vu, dans l'école d'un monde de l'efficacité, de la
production et du profit, quand elle s'affiche elle-même comme
ce qu'il est interdit d'être, c'est-à-dire désintéressée. La culture
antique célébrait le loisir studieux, scholè en Grèce ou otium à
Rome, notions dont on voit bien qu'elles n'ont plus désormais
aucune place, ni même aucun sens opposable aux élèves: « plus
la société devient technicienne, moins il est nécessaire de savoir
et comprendre pour jouir d'un nombre croissant de biens et de
services» 1. Et le divertissement permanent de la modernité,
surtout sonore et visuel, qui est le pire ennemi du silence de
l'étude, est une redoutable contre-école, qui contredit et qui fait
désapprendre l'effort, l'attention, la rigueur, l'accès laborieux
au sens, c'est-à-dire presque tout ce par quoi il existe un désir et
un plaisir du travail philosophique. Parallèlement s'instaure un
relativisme généralisé, car tout se vaut à l'heure où abondent les
cultures autoproclamées. L'idée d'une distinction entre la vérité
et l'opinion ainsi que le besoin d'antériorité et l'attrait pour une
tradition intellectuelle constituée en subissent le contrecoup et
reculent d'autant. L'« inutilité» de la philosophie la condamne
donc, alors qu'elle fait toute son utilité: c'est de ce qu'elle ne
forme à rien, du moins à rien d'autre qu'à elle-même, qu'elle
tient sa haute valeur formatrice.
1
I-L. Harouel, Culture et contre-cultures, P.U.F., 1994, p. 153.
Introduction
21
Quant à son enseignement, il semble bien peu conforme aux
principes aujourd'hui de mise. Il ne sacrifie pas au mythe de la
production pédagogique, à l'empressement fabricateur qui s'est
emparé de l'école. En ce sens, il n'est même pas, si on peut
dire, modernisable. Inlassablement, il s'appuie sur le logos oral
ou graphique, dialogué ou textuel. Il ne peut, sans courir le
risque de se dénaturer, investir réellement l'univers médiatique
qui est désormais le champ incontournable de toute didactique.
Il ne peut même pas recourir de façon durable à tout ce que la
pédagogie moderne emprunte au geste, au spectacle, au faire
par soi-même des élèves. Il n'est pas non plus en mesure de
délivrer, si on met à part les techniques liées à la dissertation et
à l'étude de texte, quelque chose qu'on puisse appeler méthode
à proprement parler. La méthode ne s'enseigne pas séparément
de sa mise en œuvre, parce que la maîtrise de la raison ne se
forge que par son exercice. Au reste, l'élève-philosophe n'a rien
à rechercher d'autre que sa propre pensée, à l'aide de modèles
qui lui sont d'abord étrangers. La philosophie apparaît ainsi, du
moins aux plus éclairés, comme une sorte d'ultime refuge dans
un système que « la poussée libérale travaille de l'intérieur» 1.
Elle est à cet égard une activité irrémédiablement scolaire,
en quelque sorte, à l'heure où le mot fâche, même si son objet
est en réalité le moins scolaire qui soit. Plus encore que dans
toute autre discipline, il s'agit de faire du disciple un maître, de
démultiplier, de la même manière que les écoles antiques, les
ressources d'enseignement. Car c'est la fin même de l'école qui
est poursuivie: faire se rejoindre « l'apprendre du maître et
l'apprendre de l'élève »2, faire de chacun son propre éducateur
en vue de sa future existence de citoyen et d'homme. Aussi le
décalage entre l'idéal et le possible est-il souvent démesuré et
1 Brigitte Prelat-Kahn, L'école en France et la pensée libérale, Ellipses, 1999,
p. 7. Cette étude aborde utilement le rapprochement entre deux réalités a
priori étrangères l'une à l'autre: le libéralisme et la «tradition scolaire
française rationaliste et constructiviste».
2 Ch. Coutel, op. ci!., p. 41.Voir aussi p. 39 : « le maître devient publiquement
son propre élève ».
22
L'École et la philosophie
cruel1, soulignant au passage la résistance de la philosophie à la
déscolarisation croissante que connaît l'institution. Enseigner la
philosophie, c'est tenter jusqu'au bout « de mettre en œuvre des
normes dont les philosophies fournissent les modèles »2, ce qui
ne se prête guère à l'abandon des références scolaires, au sens le
plus fondamental du terme. L'ironie du sort fait qu'à présent la
problématique de l'enseignement de la philosophie vient buter
sur des problèmes d'organisation scolaire, comme par exemple
la réponse à apporter aux déséquilibres entre les classes à fort
horaire philosophique et les séries scientifiques de bien meilleur
niveau, compte tenu des choix déjà anciens faits en matière de
sélection scolaire, et aux besoins philosophiques de toutes les
classes, quelles que soient les formations auxquelles elles préparent, c'est-à-dire finalement, à la question du devenir de la
philosophie dans les lycées et de proche en proche partout où
elle peut ou doit être enseignée.
C'est dans ce contexte où la philosophie connaît dans le
même temps un engouement et des revers, où elle est à la fois
objet de désir et symbole du manque, que les contributions qui
suivent ont été écrites. Leurs auteurs se sont placés du point de
vue de la relation - fondatrice dans les deux sens - de l'école et
de la philosophie. La première question qui appelle une réponse
de la philosophie est, dès lors, celle de savoir ce qu'est l'école.
La seconde concerne les grandes fonctions transversales de la
philosophie au sein du système éducatif, avec la plus importante
d'entre elles, la formation des maîtres - de tous les maîtres, car
tout enseignement suppose, quelle que soit la discipline, un
questionnement et une maîtrise qui sont à bien des égards
philosophiques. Enfin, l'enseignement de la philosophique luimême, élément central qui conditionne les autres et en même
1
Dans « Le compagnoninattendu», Les TempsModernes,n° 641, novembre-
décembre 2006, p. 16, R. Redeker évoque à propos de son expérience de
professeur la « transformation» de son métier en une « mission d'animation,
de garderie, de garderie» et la « lente et inexorable dérive des lycées vers un
service social».
2 D. Dreyfus et F. Khodoss, op. cil., p. 1030.
Introduction
23
temps les justifie au plus haut point, s'offre à l'examen dans
différents contextes et à tous les niveaux: le lycée d'abord - car
il n'est pas possible d'ignorer tout ce qui, dans l'évolution
actuelle de l'école, contribue à nous donner l'impression de ce
qu'un professeur de philosophie a appelé L'enseignement mis à
mortI - mais également les classes préparatoires aux grandes
écoles, les cursus de l'enseignement supérieur autres que philosophique, ici à partir de l'exemple du droit, et même, avec les
controverses que l'on sait, l'école primaire, nouvel eldorado du
pseudo socratisme dans lequel la modernité, muette et bavarde,
aime à se reconnaître.
L'école et la philosophie propose donc, comme les ouvrages
qui l'ont précédé dans cette collection sous le titre L'école et...2,
un libre parcours, un regard qui essaye de permettre la mise à
distance requise par le principe platonicien du « vaste circuit »,
devenu chez saint Augustin le magnifique précepte « suivre le
long itinéraire ou renoncer à tout »3. Conseil qui prend tout son
sens alors que se multiplient à la fois les offres de philosophie
express et, dans un saisissant parallèle, les tristes renoncements
à la conquête philosophique de la rationalité.
Jean Lombard
1 Adrien Barrot, L'enseignement mis à mort, E.J.L., 2000.
2 L'école et la cité (1999), L'école et les savoirs (2001), L'école et l'autorité
(2003), L'école et les sciences (2005), parus dans la présente collection.
3 Saint Augustin, De Ordine, II, 18, 47. La formulation platonicienne est dans
Phèdre, 276 b.
Téléchargement