P e r sp e c t i v e s I n t e r n a t i o n a l e s
T
R I B U N E
L a lo i m é m o r i e l l e c o m m e s o f t p o w er :
l' e x e m p l e d u g é n o c i d e a r m é n i e n
U
N GENOCIDE RELATIVISE POUR DES CONSIDERATIONS
GEOSTRATEGIQUES
e 22 décembre 2011, l'Assemblée Nationale française vote une
proposition de loi punissant toutes formes de négation du génocide
arménien. Les lois mémorielles, catégorie à laquelle appartient
l'initiative, désignent rétroactivement l'ensemble des législations punissant la
négation ou la révision publiques de «crimes contre l'humanité» définis comme tels.
Elles se sont multipliées brusquement à partir de 2001. Mais alors qu'en novembre
2008, le parlement décidait de ne plus voter de lois mémorielles, comment
expliquer la proposition d'un nouveau décret en la matière, surtout après que ce
génocide ait déjà été reconnu en 2001?
L'explication ne relève ni d'une réparation d'une injustice historique, ni d'une
préoccupation électoraliste, mais résulte d'un soft power. L'on peut-être issu de la
diaspora arménienne et reconnaître ce mécanisme sans bien sûr nier en aucune
manière le génocide arménien
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. Ce concept se distingue du hard power, désignant
tous pouvoirs bâtis sur la coercition physique, le plus souvent armée, manipulée par
un Etat ou une organisation pour contraindre un autre Etat ou une autre
organisation à se soumettre. Le professeur américain Joseph Nye
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développe celui
de soft power, que l'on pourrait expliquer comme suit, au risque de trahir ses nuances:
c'est la capacité d'un Etat ou d'une organisation à influencer le comportement d'un
autre acteur politique, renâclant à s'exécuter conformément aux intérêts du ou des
premiers. Cette capacité s'effectue à travers des moyens non armés comme par
exemple des lois mémorielles. Cette «puissance par cooptation» repose sur des
ressources intangibles telles que : la réputation positive d'un État, ses capacités de
communication, le degré d'ouverture de sa société, l'exemplarité de son
comportement, son rayonnement scientifique et technologique dans un sens large,
et enfin son influence au sein des instances internationales, le tout lui
permettant d’imposer ses choix à quiconque sans le recours à la force armée.
Durant la Grande Guerre, la France, la Russie et l'Empire Britannique
affrontent l'Allemagne et son allié ottoman. C'est dans ce contexte qu'un nouveau
génocide s'étend d'avril 1915 à juillet 1916. Dans l'après-guerre fragile, les États-
Unis, souhaitent ménager la Turquie kémaliste, afin de contenir l'URSS et
contrecarrer l'influence française et britannique dans cette région très prometteuse
en termes d'hydrocarbures. Cela l'emporte sur les considérations humanitaires. La
France et la Grande-Bretagne, endettées auprès de Washington, acceptent cette
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Ce qui est ici notre cas.
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NYE, Joseph. Bound to Lead: The Changing Nature of American Power. New York: Basic
Books, 1990. 308 p.