Drépanocytose
30 ans de recherche
Biopôle de Lyon
Les clés d’une réussite
Cannabis
Un avenir thérapeutique ?
Le magazine de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale 14 l
mai-juin 2 0 1 3
MÉDECINE PERSONNALISÉE
Les promesses
du sur-mesure
MAI - JUIN 2013 N° 14 3
L’avènement de la médecine
personnalisée est avant
tout lié au développement
des technologies d’analyses
moléculaires à haut débit.
Celles-ci ont transformé des maladies
fréquentes en de multiples maladies
« moléculaires » rares.
Cette révolution souligne la nécessité
de plateformes de très haut niveau
pour générer, valider et stocker les
données. Par ailleurs, le développement
des biomathématiques est crucial afin
de modéliser l’impact des multiples
anomalies à l’échelle individuelle.
L’éclatement des maladies fréquentes
en maladies rares oblige aussi à
repenser la recherche clinique. La rareté
des segments moléculaires nécessite
d’élargir le panel de patients auxquels
est proposé un protocole de recherche
clinique. L’autre solution est de passer
du modèle où la recherche clinique teste
un médicament à un modèle vérifiant des
algorithmes de prédiction. Enfin, l’ère des
tests moléculaires rend indispensable
le développement de grandes cohortes.
Finalement, le rythme effréné des
découvertes génère la mise à disposition
de quantité de tests moléculaires pour
la décision médicale. Si seul un petit
nombre peut être validé d’après les
règles de levidence based medicine,
beaucoup d’autres sont accessibles
directement par le consommateur.
Des recherches en sciences sociales
sur la question sont urgentes afin de
déterminer l’impact de ces innovations
sur le modèle de médecine française.
Fabrice André
Chercheur clinicien et directeur de l’unité Inserm
Biomarqueurs prédictifs et nouvelles stratégies moléculaires
en thérapeutique anticancéreuse (*)
unité 981 Inserm/Institut de cancérologie Gustave-Roussy - Université Paris-Sud 11,
équipe Cancer du sein, Institut de cancérologie Gustave-Roussy, Villejuif
À LA UNE
4 Drépanocytose
30 ans de lutte en Guadeloupe
DÉCOUVERTES
6 Cancer de la prostate
Le BPA donne la « bougeotte » aux cellules
8 Grossesse
Vascularisation du placenta : un des mystères éclairci
10 Plasticité neuronale
Électrique plutôt que chimique
12 Neuro-informatique Cortex numérique
TÊTES CHERCHEUSES
14 Patrick Ritz Le pourfendeur de l’obésité
REGARDS SUR LE MONDE
17 Obésité infantile L’allaitement ne fait pas le poids
CLINIQUEMENT VÔTRE
18 Maladies nosocomiales
Les bijoux, interdits de séjour
20 Pemphigus Le coup de grâce du rituximab
Grand anGle
22 Médecine personnalisée
Les promesses du sur-mesure
MÉDECINE GÉNÉRALE
34 Santé publique Généralistes, à vos données !
ENTREPRENDRE
38 Pôle de compétitivité
Lyonbiopôle, les clés d’une réussite
OPINIONS
40 Cannabis Un avenir… thérapeutique ?
STRATÉGIES
42 Contrat à durée déterminée
L’Inserm s’engage
44 Conseil scientifique
Plus qu’une structure d’évaluation,
un espace de réflexion
45 Éthique
Responsabiliser le chercheur, respecter la personne
BLOC-NOTES
46 Le cerveau ne s’use que si l’on ne s’en sert pas
SOMMAIRE
©
INSERM/ETIENNE BEGOUEN
la compagnie les sens des mots
en partenariat avec l’Inserm
présente
La rencontre entre un auteur et une chercheuse
Inserm inspire l’écriture d’une courte pièce.
Mise en lecture par un collectif de comédiens,
metteurs en scène et musiciens.
Création
du 16 au 20 juillet 2013 au Festival d’Avignon
Hôtel Forbin de Sainte-Croix
Préfecture de Vaucluse - Rue Viala - Avignon
Soirée spéciale Inserm
Samedi 20 juillet 2013 à 18h
Daniela Cota, responsable d’équipe Inserm,
neuroscientique spécialiste dans l’étude du rôle
du cerveau dans la balance énergétique et obésité
(Neurocentre Magendie, Inserm U862, Bordeaux)
rencontrera Frédéric Sonntag, auteur de théâtre.
Entrée libre sur réservation
Renseignements :
www.lessensdesmots.eu
Réservations :
[email protected] / 06 51 95 10 26
En partenariat avec l’Inserm, le Conseil Régional d’Ile de France, l’IRD, le Conseil Régional PACA,
la SACD, la Préfecture de Vaucluse, le Conseil Régional Picardie, Ombelliscience-Picardie, l’Institut
Beauvais Lasalle et la Faïencerie-Théâtre de Creil.
DREpAnOcytOSE
30 ans de lutte
en Guadeloupe
Cette année l’Inserm y fête trente années de recherches
axées sur la drépanocytose. Ces travaux menés sur place
ont permis de faire diminuer de façon spectaculaire
la mortalité dont elle est responsable, de mieux
comprendre cette maladie génétique, fréquente, mais aux
traitements limités, et d’engendrer de nouveaux espoirs.
Malle des savoirs
« Drépanocytose »
Lancement le 19 juin 2013
Conçu par Universciences,
avec l’hôpital Necker-
Enfants malades, le
Rofsed et Calao, cet outil
pédagogique sur mesure
à destination des malades
et de leur famille amène
à se poser des questions
sur la drépanocytose.
Objectif : adopter les bons
comportements pour
maîtriser à domicile son
traitement.
Marie-Dominique Hardy-Dessources,
Jacques Élion : unité 665 Inserm/Institut
national de la transfusion sanguine/
Université Paris-Diderot/Université de
la Réunion/Universités des Antilles et de
la Guyane, Laboratoire d’excellence sur
le globule rouge (GR-Ex), Protéines de la
membrane érythrocytaire et homologues
non érythroïdes
LAnémie
Caractérisée par un
manque de globules
rouges ou d’hémoglobine,
elle se manifeste par une
grande fatigue, une pâleur,
un essoufflement à l’effort.
L
Souris
transgénique SAD
Modèle murin avec trois
mutations insérées
dans le même gène de
l’hémoglobine : celle de
la drépanocytose (S), la
deuxième de l’hémoglobine
S-Antilles (A) et celle
d’une autre hémoglobine
(Hb D Punjab) (D)
LHypoxie
État d’oxygénation
insuffisante de certains
tissus ou de l’organisme
entier
Un taux de mortalité qui chute, des traitements plus
pointus, un test sanguin pour dépister la maladie
dès la naissance, une compréhension affinée de la
drépanocytose… Un bilan largement positif pour cet
anniversaire. Tout commence en 1983, lorsque «Guy
Mérault, un jeune chercheur guadeloupéen déterminé
et brillant, réussit à créer une structure de recherche à
Pointe-à-Pitre, sur la drépanocytose, rattachée tout
centre français de prise en charge entièrement dédié à
cette pathologie. Par une première étude épidémiolo-
gique, mise en œuvre dès 1984, il prouve la faisabilité et
lefficacité du dépistage néonatal qui nécessite le simple
recueil d’une goutte de sang. «Généralisé en Guadeloupe
et élargi à la métropole en 1995, ce test favorisant une prise
en charge précoce a permis en 20 ans de faire chuter la
mortalité liée à la maladie de 17 % à 2,3 %», souligne
Marie-Dominique Hardy-Dessources.
Des efforts transatlantiques
Au fil des années, grâce aux relations étroites avec l’hôpi-
tal, à la création en 2008 du centre d’investigation clinique
des Antilles et de la Guyane, grâce aussi au recueil impor-
tant de données cliniques issues des nombreuses cohortes
de patients suivis en Guadeloupe et en région parisienne,
les découvertes saccumulent. Les travaux de léquipe de
Jacques Élion *, du site parisien de lunité Insermà
l’hôpital Robert-Debré puis à l’Institut national de trans-
fusion sanguine, mettent notamment au jour le fait que
l’hydroxyurée agit non seulement sur la réinduction
dhémoglobine fœtale, mais quelle diminue aussi ladhé-
rence anormale des globules rouges drépanocytaires à la
paroi des vaisseaux. Léquipe parisienne porte aujourdhui
son effort sur «le vaisseau sanguin du malade qui est
dans tous ses états, avance le chercheur. On pense que
cest un effet mécanique dactivation en cascade qui affecte
tout l’environnement du globule rouge, notamment les glo-
bules blancs et la paroi des vaisseaux à laquelle adhèrent
anormalement toutes les cellules du sang.» Un projet
novateur a démarré avec l’École normale supérieure de
Cachan. «Nous avons conçu des pseudo-vaisseaux qui
miment la microcirculation sanguine. Ladhérence et lacti-
vation cellulaire peuvent y être étudiées, en mouvement.
C’est un grand progrès qui amènera à comprendre leurs
mécanismes et à tester laction de nouvelles substances
thérapeutiques», détaille
le médecin chercheur.
Côté guadeloupéen,
Marie-Dominique
Hardy-Dessources, éga-
lement présidente du
réseau Carest*, a explo
un autre aspect de la ma-
ladie: la membrane des
globules rouges drépano-
cytaires présente, en effet,
des anomalies qui leur
font perdre leur hydrata-
tion. «Nous avons notamment confirmé, en conditions
d’hypoxie
(L)
, une augmentation de la perméabilité
membranaire, qui favorise une entrée accrue en ions
calcium dans les globules, entraînant une sortie massive
d’ions potassium, et identifié les mécanismes de régulation
des transporteurs de potassium, précise-t-elle. Ces travaux
contribuent à l’identification de molécules qui affectent ce
transport d’ions potassium et donc susceptibles d’empêcher
cette déshydratation.»
À la recherche d'outils prédictifs
Autre piste suivie : si un seul gène est à lorigine de la
drépanocytose, bien d’autres éléments génétiques entrent
en jeu car elle présente une grande variabilité. Les formes
multiples des profils cliniques - douleurs, anémie, crises
vaso-occlusives, risque daccident vasculaire cérébral ou
d’infarctus, atteinte rénale… plus ou moins importants-
étudiés dans les cohortes de patients ont déjà permis de
déterminer de nouveaux marqueurs génétiques qui
modulent la sévérité de la maladie. «Ce sont de véritables
outils prédictifs, pour une prise en charge mieux adaptée
à chaque malade », précise Marie-Dominique Hardy-
Dessources. Avancer encore plus vite sur la question
de ces marqueurs, cest notamment
lobjectif d’une plate-forme innovante
de recherche en génétique en phase
d'installation, défi auquel participent
les chercheurs de Guadeloupe dans le
cadre d’un partenariat avec le Brésil et la
Jamaïque. Sa stratégie? Un séquençage
à haut débit de l’ensemble du génomede
nombreux patients antillais, guyanais,
métropolitains, jamaïquains et brési-
liens, alors quauparavant, cette o-
ration était ciblée uniquement sur des
séquences de gènes candidats, poten-
tiellement impliqués dans la maladie.
Ainsi, dans la recherche comme dans
la vie, 30 ans est un bel âge, celui des
projets pleins davenir. n
Nathalie Christophe
* Réseau de chercheurs et cliniciens sur la
drépanocytose de 11 régions caribéennes :
Guadeloupe, Bahamas, Cuba, Dominique,
Guyane, Haïti, Jamaïque, Martinique,
République dominicaine, Trinidad et Tobago
AgEnDA
Au programme de cet anniversaire, une série de
manifestations tout au long de l’année : expositions,
débats, visites de laboratoires… De nombreux témoins
de cette aventure seront présents en Guadeloupe
du 17 au 21 juin 2013.
Un temps fort : la conférence citoyenne « Santé en
questions : Drépanocytose, les voies de la guérison », avec
Victorin Lurel, ministre des Outre-Mer et le professeur
André Syrota, président-directeur général de l’Inserm,
le mercredi 19 juin, à l’occasion de la journée mondiale
de la drépanocytose.
Duplex Paris/Cité des sciences (19 h) -
Pointe-à-Pitre/Université des Antilles et de la Guyane (13 h)
d’abord à l’unité parisienne
de Jean Rosa», raconte
Marie-Dominique
Hardy-Dessources *,
de lunité 665 Inserm, sur
le site du CHU de Pointe-
à-Pitre. Une gageure au
regard des faibles moyens
à sa disposition, à lépoque, sur l’île. C’est la première fois
que lInstitut s’installe hors de la métropole.
Pourquoi la Guadeloupe et la drépanocytose? Cette
mala die génétique est fréquente dans les Caraïbes (une
naissance sur 300), en raison de son histoire qui suit celle
des flux migratoires des populations depuis des millé-
naires, notamment celle de la traite des esclaves. Appa-
rue au néolithique en Afrique et en Inde, la maladie est
due à la mutation dun gène codant pour un composant
essentiel des globules rouges, l’hémoglobine, qui permet le
transport de loxygène et qui, sous sa forme mutée, prend
le nom dhémoglobine S (pour sickle, faucille en anglais).
Succès pour le dépistage néonatal
Lenjeu pour les chercheurs antillais est de taille: mieux
comprendre cette maladie qui, loin dêtre anodine,
abaisse, aujourd’hui encore, lespérance de vie moyenne
à 50 ans. Chez les malades, lhémoglobine S déforme et
rigidifie les globules rouges jusquà les faire ressembler à
des petites faucilles, d’où le nom. Ces derniers sont alors
détruits par lorganisme avec un risque danémie
(L)
chronique, ou bien ils obstruent le flux sanguin,
jusquà entièrement boucher les plus petits vaisseaux
qui irriguent organes et tissus. Les conséquencessont
alors multiples: douleurs vives, nécroses de tissus et
fragilité face aux infections car les organes du système
immunitaire sont très vite touchés. Les traitements ne
font que limiter les symptômes et les complications.
Ils comprennent un programme vaccinal renforcé et
une antibiothérapie préventive dès la naissance pour
les enfants chez qui le risque infectieux est très impor-
tant, la prise d’hydroxyurée, une molécule qui stimule
la synthèse dune hémoglobine exprimée pendant la vie
fœtale (hémoglobine F), ou encore la transfusion san-
guine en cas de crise sévère. Seule une greffe de moelle
osseuse permet d’espérer la guérison, avec la production
de globules rouges sains. Mais cette intervention, réser-
vée aux cas critiques, est lourde, coûteuse et délicate.
Le travail de Guy Mérault marque cependant un tournant
dans la recherche. En effet, après son installation en 1983,
les résultats sont rapides avec la découverte inattendue
d’une nouvelle forme d’hémoglobine : l’hémoglobine
S-Antilles qui possède une deuxième mutation en plus
de celle de la drépanocytose et présente une transmission
génétique différente et une expression clinique exacerbée.
Ce qui permet d’élaborer le premier modèle animal de
la maladie: la souris transgénique SAD
(L)
. Puis, en
1990, le chercheur, rejoint par le pédiatre Camille Berchel
et soutenu par l’Inserm, le Conseil général, le CHU et
l’assurance maladie de Guadeloupe, fonde le premier
Les globules rouges sont congelés dans des conditions
spécifiques pour qu'ils puissent voyager entre le laboratoire de
Paris et celui de Pointe-à-Pitre.
Pour en savoir plus :
dircom.inserm.fr/30_ans_en_guadeloupe
8
Profil par diffraction
laser d'un globule rouge
normal, elliptique
(à gauche), et d'un
globule rouge
drépanocytaire, rigide de
type "diamant" (à droite)
©
INSERM
©
COLIN-ARONOVICZ/ UMR INSERM 665
www.universcience.fr
8
MAI - JUIN 2013 N° 14 5
N° 14 MAI - JUIN 2013
4 4 ● ● 5
••
••
À LA UNE
À LA UNE

Maladies neurodégénératives
Une piste de traitement commun écartée
Maladie de Gaucher
Altération corrigée
Héréditaire, la maladie de Gaucher est une pathologie rare due à
une déficience enzymatique qui conduit à laccumulation de céré-
brosides, un type de lipides, dans certaines cellules du système
immunitaire. Cécile Braudeau
*
, du Centre de recherche en
transplantation et immunologie, a montré que cette accumula-
tion entraînait laltération de la production d’interférons
L
de
certaines cellules dendritiques
L
chez une petite cohorte de malades.
Une découverte en adéquation avec
les infections opportunistes liées à
cette maladie. Heureusement, le trai-
tement enzymatique de substitution
généralement prescrit rétablit cette
fonction. P. N.
Cécile Braudeau : 



,
avril 2013 ; 50 (4) : 218-8
L comme leucotriènes
Type de lipides impliqués dans les réactions allergiques,
ils tirent leur nom des cellules dans lesquelles ils ont été
identifiés : les leucocytes, ou globules blancs. Leur décou-
verte, associée à celle d’autres familles de lipides, a valu
le prix Nobel de médecine à Sune Bergstrom et Bengt
Samuelsson en 1982. Selon leur structure, on distingue
les leucotriènes qui ont une action constrictive au niveau
des bronches, diminuant la capacité respiratoire, et ceux
qui ont un rôle pro- inflammatoire, en attirant des globules
blancs destinés à lutter contre les infections.
Certains sont connus aussi pour influencer le renouvelle-
ment osseux. C’est un des sujets de recherche de Marlène
Mazzorana
☛)
, chargée de recherche Inserm au sein de
l’Institut de génomique fonctionnelle de Lyon. J. C.
Marlène Mazzorana : 
Lyon 1/Inra
QUESACO ?
La sclérose latérale
amyotrophique (SLA)
et la dégénérescence
lobaire fronto-
temporale (DLFT)
partagent un même
fonds pathologique
en raison d’un
chevauchement des
symptômes cliniques.
Or, la mutation du
gène PFN1 a été
récemment révélée
comme intervenant
dans la genèse de
la SLA d’origine
familiale. L’équipe
dirigée par Edor
Kabashi
*
a donc
voulu vérifier si
cette mutation était
aussi en cause dans
l’apparition de la
DLFT de patients
français atteints de
la maladie, voire
simultanément
d’une SLA et d’une
DLFT. Le résultat
est négatif. La piste
des éventuelles
thérapies géniques
axées sur PFN1 ne
profitera donc pas
aux malades. P. N.
Edor Kabashi : unité 975 Inserm/

Curie, Centre de recherche en
neurosciences de la Pitié-Salpêtrière
S. Lattante

Aging
, juin 2013 ; 34 (6) : 1709.e1-2
Épigénétique
Nouveaux
mécanismes
dévoilés
Nos cellules ont
toutes le même code
génétique, pourtant
elles sont capables
de se spécialiser
et d’exprimer des
fonctions différentes.
Des mécanismes
dits épigénétiques*
ont résolu ce paradoxe : la méthylation de lADN
permet de verrouiller spécifiquement l’expression
de certains gènes. Une partie des gènes concernés
par cette modification sont des gènes suppresseurs
de tumeurs, ceux-ci réduits au silence ne peuvent
donc plus remplir leur mission. Un second moyen
de contrôle a été découvert récemment par François
Fuks du Laboratoire d’épigénétique du cancer
de Bruxelles, en collaboration avec des équipes
Inserm
*
: l’hydroxylation des bases méthylées
de lADN, réalisée par des enzymes appelées
TET. La même équipe vient de mettre en évidence
un des modes d’action de ces enzymes : elles
régulent l’activité d’une protéine cellulaire clé, OGT,
contribuant ainsi à l’activation des gènes. Étant
donné le rôle des TET dans certains cancers, cette
découverte laisse entrevoir de nouveaux mécanismes
par lesquels les modifications épigénétiques
participent au processus de cancérogenèse. N. B.
* voir S&S n°11, p. 22, Grand Angle « Épigénétique »
Olivier Bernard, Thomas Mercher : unité 985 Inserm/Institut Gustave Roussy- Université Paris
Sud 11, Génétique des tumeurs
Éric Solary : 
normale et pathologique


, 25 janvier 2013 (en ligne)
doi : 10.1038/emboj.2012.357
LInterféron
Protéine qui intervient
dans la réponse
immunitaire
L
Cellule
dendritique
Cellule en charge du
déclenchement de la
réponse immunitaire
Cerveau atteint par une
DLFT (zone en brun)
©
ZEPHYR/SPL/PHANIE
©
BENJAMINET/FOTOLIA
cAncER DE lA pROStAtE
Le BPA donne la «bougeotte» aux cellules
Si la toxicité du bisphénol A (BPA) est désormais
reconnue, les mécanismes qui expliquent comment
il pouvait favoriser le développement de tumeurs
restaient encore à élucider. Aujourd’hui l’énigme est
en partie résolue, puisqu’on a découvert comment le
BPA accélère la migration des cellules cancéreuses.
LApoptose
Mort programmée
de la cellule
Morad Roudbaraki : unité 1003
Inserm - Université Lille 1-Sciences

ioniques membranaires et du calcium
intracellulaire dans le cancer
S. Derouiche
et al. Springer Plus,
le 15 février 2013 (en ligne)
doi : 10.1186/2193-1801-2-54
Le 9 avril dernier, l’Agence nationale de sécurité
sanitaire, de lalimentation, de lenvironnement et
du travail (Anses) confirme, dans un rapport, que le
bisphénol A (BPA) est nocif pour la santé et favoriserait
notamment les cancers de la prostate et du sein. Chez
la femme enceinte, le fœtus y serait même très sensible.
Pourtant, la molécule est omniprésente dans notre
quotidien, en particulier dans le secteur alimentaire.
On le retrouve aussi bien dans les parois de certaines
bouteilles d’eau que dans des boîtes métalliques.
Il avait déjà été démontré que la présence de BPA
favorisait la prolifération des cellules cancé-
reuses prostatiques. Toutefois, les données sur
son mode daction faisaient défaut. Léquipe diri-
gée par Morad Roudbaraki *, à Villeneuve
dAscq, sest donc penchée plus particulièrement
sur l’impact du BPA sur la migration des cellules,
cest-à-dire leur aptitude à effectuer des mouve-
ments spontanés ou réactionnels, un phénomène
impliqué dans le dévelop-
pement embryonnaire, la
cicatrisation, la vasculari-
sation, l’inflammation, et
aussi dans la croissance
des tumeurs et les métastases. Les chercheurs ont
donc placé des cellules cancéreuses prostatiques
pendant 48 heures dans un milieu contenant
1
à10 nM de BPA (0,228 mg/L à 2,28mg/L), des
concentrations similaires à celles retrouvées dans
notre sang. Puis, ils les ont cultivées en labora-
toire afin dobserver leurs déplacements destinés
à envahir les espaces vides, tout en sachant que
plus les cellules sont invasives, plus elles migrent vite.
Ils ont alors observé que le prétraitement à base de BPA
augmentait fortement le taux de migration des cellules,
en comparaison des cellules non traitées. En bref, le BPA
leur donne la «bougeotte». «C’est la première fois que
l’on apporte une preuve concluante qu’il induit la migration
des cellules cancéreuses», souligne Morad Roudbaraki.
Restait ensuite à comprendre les mécanismes qui entrent
en jeu. «Plusieurs études ont montré que le mouvement
des ions calcium intervenaient dans la cancérogenèse,
car ils jouent un rôle ts
important dans la signa-
lisation cellulaire. » En
effet, les variations de
concentration de calcium
intracellulaire forment
un système de codage
qui dicte ses actions à la
cellule. Selon son amplitude, sa fréquence et sa localisa-
tion, une augmentation du calcium dans la cellule peut
induire lexpression de différents gènes, la dirigeant par
exemple vers une prolifération ou une apoptose
(L)
.
Or, le flux de calcium est assuré par les canaux
ioniques présents dans la
membrane cellulaire :
le BPA serait-il capable
alors de les modifier ?
« Nous nous sommes
demandés s’il navait pas plutôt un effet sur la signalisation
calcique, en modulant l’expression des canaux ioniques et
donc leur nombre dans la membrane», explique Morad
Roudbaraki. Les chercheurs ont alors mesuré le taux
dexpression d’une protéine, lOrai 1, qui constitue un
type de canal calcique, et observé quelle était 3,5 fois
plus abondante lorsque les cellules étaient cultivées en
présence de BPA. Ce serait donc la surexpression dOrai 1
qui induirait une entrée plus importante de calcium dans
la cellule et donc sa migration anormale.
Une découverte primordiale quand on sait que 95% de
la population des pays industrialisés ont dans le sang les
mêmes concentrations de BPA que celles testées ici. Il
semble urgent de prendre des mesures de prévention.
Éviter lexposition à de tels facteurs permettrait, en effet,
de limiter lapparition et la progression des cancers de
la prostate, mais aussi celui du sein, son équivalent chez
la femme. n Fanny Pijaudier-Cabot
La fluorescence
verte indique la forte
présence du canal
ionique Orai 1 dans
les tissus cancéreux
de la prostate. Les
noyaux des cellules
apparaissent en bleu.
L'exposition au BPA
(en bas) augmente
l'expression du
canal ionique
Orai 1 (vert)
dans les cellules
cancéreuses
prostatiques
humaines par
rapport à un milieu
de culture contrôle
(en haut).
“Pour la première fois, preuve
est faite du rôle du BPA sur la
migration des cellules cancéreuses„
©
MORAD ROUDBARAKI / U1003 INSERM
©
MORAD ROUDBARAKI / U1003 INSERM
MAI - JUIN 2013 N° 14 7
N° 14 MAI - JUIN 2013
6 6 ● ● 7
DÉCOUVERTES

DÉCOUVERTES

gROSSESSE
Vascularisation du placenta:
un des mystères éclairci
Les soupçons se confirment sur le rôle d’une glycoprotéine spécifique
dans la grossesse : cette molécule empêcherait la migration de cellules
placentaires essentielles à la mise en place des vaisseaux sanguins.
LAngiogénique
Processus de croissance
de nouveaux vaisseaux
sanguins à partir de
vaisseaux pré-existants
L
Différenciation
cellulaire
Processus par lequel les
cellules se spécialisent
en un type cellulaire
spécifique.
Nathalie Bardin : unité 1076 Inserm/

E. Kaspi
et al. Angiogenesis
, avril 2013 ;

Au début de la grossesse, une des étapes importantes
est la croissance des vaisseaux sanguins dans le
placenta. Ces derniers sont, en effet, essentiels au bon
développement du fœtus, car ils permettent les apports
en oxygène et en éléments nutritifs. Or, cette vasculari-
sation serait en partie sous la coupe d’une glyco protéine,
la CD146s.«Nous avons observé grâce à des prélèvements
alisés sur 50 femmes enceintes, à l’hôpital de la Concep-
tion de Marseille, qu’il y avait une diminution du taux
sanguin de CD146 soluble (CD146s) pendant la grossesse
physiologique de la femme», explique Nathalie Bardin*,
de lunité Inserm Endothélium, pathologies vasculaires
et cibles thérapeutiquesà Marseille. Les chercheurs ont
aussi noté lexpression de ce facteur sur un type particu-
lier de cellules placentaires, les trophoblastes extra-villeux
(EVT). Celles-ci ont deux particularités: elles sont, d’une
part, capables de coloniser les tissus utérins afin d’ancrer
le placenta à l’utérus, mais aussi de migrer dans les artères
utérines dites «spiralées». Là, les trophoblastes remplacent
les cellules endothéliales, qui tapissent les vaisseaux, afin
daugmenter le débit sanguin pour favoriser les échanges
foetaux-placentaires. «Ces deux résultats suggéraient que le
CD146s repsentait un acteur important pour la grossesse»,
commente la chercheuse, dont léquipe a aussi mené des
expériences de migrations et d’invasion in vitro sur des
cultures de lignées cellulaires, de même quex vivo, sur des
échantillons de placentas. «Nous nous attendions que cette
molécule avait un effet angiogénique
(L)
sur les tropho-
blastes, comme nous lavions déjà identifié sur dautres types
cellulaires comme la cellule endothéliale. Mais nos travaux
ont montré que CD146s inhibait au contraire la migration
et le potentiel invasif des trophoblastes extra-villeux», décrit
Nathalie Bardin. Les observations réalisées chez le rat le
confirment: chez les femelles traitées avec la molécule,
on dénombre moins dembryons implantés et moins de
grossesses que chez les rates témoins.
Anticiper
les grossesses à risques
Mais comment concilier le fait que cette molécule fasse,
dune part, proliférer les vaisseaux et inhibe, d’autre part,
la migration de cellules qui ont in fine le même compor-
tement, tels que les EVT? «Notre hypothèse est que
CD146s inhibe en réalité la différenciation cellulaire
(L)
des EVT, ce qui produirait des cellules immatures, avec
une faible capacité de migration», avance la chercheuse.
En outre, peu de marqueurs du développement vascu-
laire placentaire sont connus et les diagnostics cliniques
qui permettent danticiper lévolution normale ou
problématique d’une grossesse sont de ce fait limités.
«CD146s pourrait bien être un de ces marqueurs d’intérêt
mais également faire office de cible thérapeutique dans
les grossesses à risques, comme les cas de fausses couches
répétées, déchecs implantatoires ou de pré-éclampsies»,
espère Nathalie Bardin. Pour elle, c’est par exemple, en
association avec d’autres mécanismes, une mauvaise
vascularisation placentaire via les artères spiralées
qui met le placenta en manque doxygène. Dans cette
optique, léquipe de chercheurs sattèle dores et déjà à
mieux comprendre tous les rôles et le fonctionnement
de CD146s. n Alice Bomboy
Neurologie
Les neurones victimes
du repliement de lARNm
Le syndrome
d’ataxie - manque
de coordination
des mouvements
volontaires - et
de tremblement
associé à l’X fragile
(FXTAS) est une
maladie génétique
neurodégénérative
qui associe
troubles moteurs
et déclin cognitif,
chez les personnes de plus de 50 ans. L’équipe de
Nicolas Charlet-Berguerand
*
, de l’IGBMC, vient d’en
dévoiler les bases moléculaires. Sur lARNm
(L)
issu
du gène FRM1 (Fragile X mental retardation), la répétition
anormale d’une séquence de trois nucléotides, ces briques
moléculaires de lADN et de lARN, entraîne le repliement
du brin d’ARNm. Cette conformation est reconnue par
deux protéines, DGCR8 et DROSHA, qui s’y trouvent alors
piégées : seule une faible proportion de ces molécules reste
alors disponible pour remplir leur fonction essentielle,
la synthèse de micro-ARN
(L)
. Sans eux, les neurones
meurent. Selon les chercheurs, pour les sauver,
il faudrait augmenter la quantité de ces protéines. A. B.
Nicolas Charlet-Berguerant :
Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire
C. Sellier
et al. Cell Reports
, 28 mars 2013 ; 3 (3) : 869-80
Maladie neuromusculaire héréditaire la plus
fréquente chez ladulte, la dystrophie myo-
tonique est due à lamplification anormale d’une
séquence non codante d’un triplet de nucléotides
(L)
.
rio Gomes-Pereira
*
, dans léquipe dirigée par
Geneviève Gourdon
*
, au sein de l’uniGénétique
et épigénétique des maladies métaboliques, neuro-
sensorielles et du développement, vient
délucider une partie des bases molécu-
laires des manifestations neurologiques
de la maladie (troubles dapprentissage
et de la personnalité, hypersomnolence,
troubles de lattention, hyperfatigabi-
lité et retard mental dans les cas les plus
sévères). Grâce à un modèle murin, le
chercheur a montré qu’elles étaient liées
à laccumulation, dans le noyau des
neurones et des astrocytes
(L)
, dARN
porteurs des triplets amplifiés. Consé-
quence : l’expression et la phosphory-
lation
(L)
de protéines impliquées dans
le transport intracellulaire par vésicules
et l’exocytose
(L)
, deux processus nécessaires au bon
fonctionnement des synapses - ces zones déchange
entre neurones - sont dérégulées. Les chercheurs ont
aussi identifié des marqueurs moléculaires qui pour-
raient servir pour évaluer de futures thérapies. J. C.
Mário Gomes-Pereira, Geneviève Gourdon : unité 781 Inserm/Université Paris-Descartes


, mars 2013 ; 136 (Pt 3) : 957-70
LNucléotide
Brique moléculaire de
lADN et de lARN
LAstrocytes
Cellules en forme
d’étoiles qui assurent le
support et la protection
des neurones.
LExocytose
Libération de molécules
à travers la membrane
cellulaire
LPhosphorylation
Mécanisme de régulation
par l’ajout d’un
groupement phosphate
Accumulation des ARN amplifiés (en rouge) dans le noyau (en bleu)
d’un astrocyte (en vert), chez une souris transgénique DM
Dystrophie
myotonique
Bases moléculaires
des troubles neurologiques
LARNm
Molécule issue
de la transcription d’un gène
LMicro-ARN
Constituants impliqués dans
la régulation de l’expression
génétique
À gauche, neurone sain,
les protéines sont réparties
dans le noyau. À droite,
neurone atteint (FXTAS),
les protéines sont piégées.
Activité
cérébrale
liée à la
détection
d’erreur en
condition non
consciente
©
MARIO GOMES-PEREIRA/ U781 INSERM
©
IGBMC
MAI - JUIN 2013 N° 14 9
N° 14 MAI - JUIN 2013
8 8 ● ● 9
CD146s (au milieu) inhibe la formation
d'excroissances à partir des trophoblastes.
En haut et en bas : cas contrôles
RPMI
CD146s
50 ng/ml
CD146s
100 ng/ml
Myc
50 ng/ml
T = 24 h T = 96 h
©
NATHALIE BARDIN/UNITÉ INSERM UMRS 1076
Cerveau
Une intuition
statistique
Nos erreurs ne
passent pas
inaperçues.
À chaque fois
que nous nous
trompons, notre
cerveau émet, en
moins d’1/10e de seconde,
une onde cérébrale appelée ERN
(Error Related Negativity). Mais en condition
subliminale, lorsque notre cerveau est
exposé à des stimuli en dessous du seuil
de conscience, est-il capable de détecter
les réponses erronées? Oui, mais les
processus mis en jeu semblent différents
de l'ERN. C’est ce qu’indiquent les
résultats de l’étude menée par
Lucie Charles *, du laboratoire
Neuro-imagerie cognitive de l’lnserm.
Moins précis et beaucoup plus statistique,
ce mécanisme semble correspondre
à une forme d’intuition. K. P.
Lucie Charles : unité 992 Inserm/CEA - Université Paris Sud 11
L. Charles


©
LUCIE CHARLES/U992 INSERM
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