Lettre d’information et d’analyse sur l’actualité bioéthique N°46 : Octobre 2003 Avis du CCNE sur l’obligation d’informer sa famille d’un risque génétique Le ministre de la santé, Jean-François Mattei avait posé au Comité consultatif national d’éthique (CCNE) la question de l’opportunité d’inscrire dans la loi l’obligation pour une personne chez qui a été découverte une prédisposition ou l’existence d’une maladie génétique grave, d’informer son entourage familial. Cette obligation légale qui concerne aussi les médecins, pourrait donner lieu à des poursuites pénales si elle n’était pas respectée. Mais les données génétiques peuvent-elles, au nom de l’intérêt familial, être assimilées à des « informations à déclaration obligatoire » et justifier la levée du secret médical ? Pour le CCNE, le respect du secret médical constitue un principe essentiel à l’édification d’une relation confiante entre le médecin et son patient ; toute transgression de ce principe risquerait d’aboutir à un recul du dépistage. « La mise en œuvre de procédures adaptées, dans le strict respect du secret médical, est la mieux à même d’aboutir au résultat désiré, c’est-à-dire la protection de la famille, dans le strict respect de l’intimité des personnes.» L’intérêt du groupe ne doit pas être protégé par la loi, sous la forme de sanctions pénales pour la personne ou le médecin. Les rares situations où l’information n’est pas transmise ne devraient pas pouvoir être assimilées à des délits de « non assistance à personne en danger » ou de « mise en péril d’autrui ». Cette question reflète le débat actuel sur l’intérêt du tiers ou de la société qui pourrait l’emporter sur celui de la personne même. Avis du CCNE n°76, 24 avril 2003, rendu public le 2 octobre 2003 Affaire Humbert : faut-il légiférer sur l’euthanasie ? La médiatisation actuelle du cas du jeune Vincent Humbert, hospitalisé pendant trois ans dans un centre de rééducation fonctionnelle et décédé en ayant exercé, à plusieurs reprises, une demande de mort adressée à sa mère, pose la question de l’euthanasie. Faut-il légaliser l’euthanasie ? Les media s’interrogent : la France doitelle rejoindre les Pays-Bas et la Belgique dans la dépénalisation de l’euthanasie ? Les soins palliatifs peuvent-ils répondre à toutes les souffrances, notamment pour les malades tétraplégiques ou incapables de mettre fin, par eux-mêmes, à leurs jours ? La lecture de la presse autour de la mort de Vincent Humbert montre une confusion dans le public, chez les journalistes et même chez certains soignants sur la différence entre l’arrêt de traitements actifs (ventilation artificielle par exemple) et l’euthanasie qui est une "aide" à mourir par un geste ou un médicament mortel. Fin d'acharnement thérapeutique La question à soulever est celle de l’arrêt des thérapeutiques de maintien de vie dans une situation d’impasse thérapeutique chez quelqu’un qui ne désire plus vivre. La pédiatre Edwige Antier, dans un article du Figaro daté du 27 septembre 2003 pose une question : aurait-on pu diminuer certains traitements ou certains soins de base, comme l’alimentation, afin que la mort survienne de façon naturelle ? Ceci pourrait-il éviter une demande de mort brutale qui équivaut à un suicide assisté ? En effet, on peut penser que le jeune Vincent, s’il demandait à mourir et s’il avait pu éviter de se nourrir, aurait provoqué lui-même une diminution des soins qui le maintenaient en vie, en particulier la nutrition. Or la nutrition et l’hydratation sont habituellement considérées comme des soins de base et non pas comme des soins extraordinaires. Les soins curatifs actifs sont légitimement arrêtés en phase terminale et les soins palliatifs y participent. Dans l’affaire Humbert, c’est Vincent qui, toujours nourri artificiellement, a demandé à sa mère de lui injecter un produit qui l'a plongé dans le coma. Au bout de deux jours, les réanimateurs, qui l’avait réanimé afin d’éviter une inculpation de non-assistance à personne en danger, ont décidé l’arrêt d’une ventilation qui n’était désirée ni par la famille, ni par le patient. Ils n’ont pas provoqué la mort ; il ne s’agit donc pas d’une euthanasie de la part des médecins. Ils ont arrêté un traitement devenu disproportionné en arrêtant la ventilation artificielle d’un malade qui ne désire plus être réanimé. Ils ont refusé l'euthanasie jusqu'au bout malgré certaines pressions1. Le droit actuel Le droit actuel apporte déjà des réponses satisfaisantes. La loi prévoit en effet : - l’accès de tous les patients (et leur famille) dont l’état le requiert à des soins palliatifs (soutien physique, psychologique, social et spirituel lors d’une maladie grave ou chronique) ; Gènéthique - n°46 – Octobre 2003 - l’information du patient et son consentement éclairé, et donc le choix pour le patient d’arrêter les traitements actifs. Les critères d’arrêt de réanimation existent lorsque les traitements sont devenus disproportionnés en phase terminale. En revanche, une question reste aujourd’hui posée : l’abstention d’alimentation pourraitelle être demandée par un patient ? Cette question surgit parfois en gériatrie ou en cancérologie et c’est au cas par cas que les médecins et les soignants décident de poursuivre ou non une alimentation. En conclusion, légiférer de manière générale pour abréger la vie d’un patient, qu’il soit tétraplégique, handicapé, en phase terminale ou isolé, créerait un risque majeur de dérive. En effet, épargner la souffrance éventuelle d’une agonie trop longue provoquerait d’autres souffrances liées à la rupture du contrat social qui fonde toute l’humanité, comme l’interdit du meurtre et celui de l’inceste. Aucune loi nouvelle légalisant l’euthanasie ou la dépénalisant ne peut aujourd’hui, pour les équipes de soins palliatifs, répondre à des situations rares, complexes et auxquelles on doit réfléchir au cas par cas. 1/ Le Quotidien du Médecin 7-10-2003 (revue de presse www.genethique.org ) Sur l’euthanasie voir aussi : - Gène-éthique n° 4 et n°31 - la revue de presse quotidienne sept-oct 2003 sur www.genethique.org Le projet de recherche sur les embryons devant l’Assemblée Nationale Les députés vont prochainement reprendre des débats difficiles pour la deuxième lecture devant l’Assemblée nationale du projet de loi bioéthique. La recherche sur l’embryon La question éthique cruciale concerne la recherche sur les embryons. La recherche implique en effet leur destruction. Le législateur voit bien qu’il s’agit d’une transgression du « principe qui doit rester fondateur : le respect de la vie dès son commencement 1» mais le ministre de la santé, J.-F. Mattéi, qui énonce ce principe avec conviction, ne croit pas « que la médecine puisse progresser à des moments déterminants sans transgression […telle] la loi sur l'interruption de grossesse, qui est vécue comme une transgression dans un cas particulier. Chaque fois que nous allons également vers le diagnostic prénatal, nous voyons bien l'exception… » Il en est de même de l’assistance médicale à la procréation qui conduit à la recherche sur l’embryon et allonge la liste des transgressions. Aussi, en transgressant un principe fondamental proclamé par la loi, le ministre de la santé admet que l’on puisse faire des recherches sur les embryons, à titre exceptionnel, pour des études très sélectionnées, et durant une période limitée à cinq ans. Création d'embryons Par rapport au texte voté par le Sénat, et tout en s’opposant à la création d’embryons pour la recherche, le projet de loi à l’Assemblée ouvre la possibilité de ne pas limiter la recherche aux seuls embryons surnuméraires « en stock » à la date de promulgation de la loi, mais propose aussi de l’étendre au « flux » des futurs embryons surnuméraires qui, demain, ne feront plus l’objet d’un projet parental. Cette disposition introduit subrepticement, mais clairement, la constitution d’embryons pour la recherche, ce que le projet de loi semblait pourtant vouloir condamner par ailleurs. L’article le plus important et le plus controversé est l’article 19, disposant des limites auxquelles serait soumise une recherche sur l’embryon, malgré l’interdiction formelle placée en exergue. Cette exception est assortie de neuf conditions ; l’embryon doit avoir été conçu in vitro dans le cadre de l’AMP, et n’être plus couvert par un projet parental, fait attesté par le couple sur un écrit mentionnant l’acceptation des recherches. Les autres conditions concernent le sérieux du projet, l’absence d’alternative et le contrôle par l’Agence de la biomédecine, nouvel organisme d’État créé par la loi et unifiant tous les dispositifs de contrôle et de gestion de la recherche. L'absence d'alternative ? Les thérapeutiques dont il s’agit sont les thérapies régénératrices par les cellules souches embryonnaires. Or, « les perspectives de guérison » sont pour le moment inapplicables à l’homme car les greffes de cellules souches embryonnaires ne sont pas sans danger. J.-F. Mattei le dit d’ailleurs sans ménagement : "Parler aujourd'hui d'espoir thérapeutique immédiat est donc un mensonge." "Dans le discours, ne trompons pas les associations de malades, ne trompons pas les patients. C'est une longue route… qui n'a en réalité pas commencé à produire le premier début de la moindre preuve, même sur les modèles animaux. » On sait en effet que de telles recherches sont entreprises depuis une vingtaine d’années dans les pays anglo-saxons et les résultats se font attendre. Or, on sait que l’embryon n’est pas la seule source de cellules souches car il existe des cellules souches adultes dans la moelle osseuse et dans différents organes de tout individu ainsi que dans le sang du cordon. La recherche dans ce domaine bat son plein dans le monde entier et observe déjà des résultats positifs2. C'est déjà plus qu'une alternative à l’utilisation des embryons humains. Nombre de scientifiques pensent que c'est la seule voie d'espoir. Enfin, malgré la rhétorique, nul ne croit que ces recherches puissent être utiles à l’embryon. Certes, elles font entrer l’embryon dans le domaine de la médecine, mais au profit d’autrui. 1- Audition devant la commission des affaires sociales au Sénat, le 12 décembre 2002 2- Gène-éthique n° 32 et n°33 Sur la révision des lois de bioéthique, voir aussi Gène-éthique n° 36 et n°38 Lettre mensuelle gratuite, publiée par la Fondation Jérôme Lejeune - 31 rue Galande 75005 Paris Directeur de la publication : Jean-Marie Le Méné Rédacteur en chef : Aude Dugast Contact : Aude Dugast - [email protected] Tel : 01.55.42.55.14 - Imprimerie PRD S.A. – N° ISSN 1627 – 49 89 Gènéthique - n°46 – Octobre 2003 Gènéthique - n°46 – Octobre 2003