Pour tous ceux qui n’auraient pas lu Les Frères Karamozov la mise en scène et l’adaptation théâtrale de l’œuvre par Guy DELAMOTTE et Véro DAHURON, les plongera d’emblée dans l’univers mental de Dostoïevski, un univers hanté par l’idée du péché, le sentiment de culpabilité et cela bien au-delà des dogmes judéo-chrétiens. Pour comprendre Dostoïevski, il faut savoir qu’il a vécu les pires expériences : la torture, le bagne pour des raisons politiques, le deuil de plusieurs enfants et surtout la maladie : l‘épilepsie. Cet homme qui a écrit Les Frères Karamazov à la fin de sa vie, n’a plus rien à perdre, sauf son âme. Ce reste d’âme qui suffoque, il l’exprime à travers le personnage d’Aliocha, le plus jeune des frères Karamozov. Les tentations d’Aliocha ce sont ses frères, auxquels il est attaché par des liens non divins, des liens affectifs, même si ses frères représentent le « mal ». À la mort de son père spirituel, Zosime, Aliocha le moine, retourne dans le monde, en partant à la rencontre de ses frères : Dimitri, un homme débauché et Ivan un intellectuel athée. Le père décrit comme un être « sans foi ni loi » meurt assassiné par le dernier de ses fils, devenu son domestique et qui accumule les tares, celle d’être batard et épileptique. Tout indique que c’est la souffrance morale, le sentiment d’avoir été abandonnés, humiliés par un père abject qui ont conduit à la catastrophe : le meurtre du père. Dostoïevski continue l’enquête policière qu’il avait menée dans « Crime et châtiment » acculant le meurtrier Raskonikov à avouer son crime. Ce que suggère Dostoïevski, c’est que ce n’est pas seulement Smerdiakov qui est coupable mais toute la fratrie puisque chacun de ses membres souhaitait la mort du père ou bien personne n’a rien fait pour l’en empêcher. Et les femmes dans tout ça ? Dostoïevski leur assigne un rôle presque angélique. Elles sont capables d’aimer jusqu’à l’abnégation, des hommes « monstrueux ». La vision de Dostoïevski n’est pas intellectuelle. Elle parle de souffrance et de misère morale. Les personnages qu’il décrit, il les a côtoyés, ils lui ressemblent comme des frères. Dans ces conditions « le père » aussi pourrait être un frère. Car le meurtre du père ne résout rien. Le sentiment de fatalité héréditaire qui pèse sur la destinée de ses frères, cette obscurité fait partie des tentations d’Aliocha et pourtant lui qui se trouve épargné par celle de la débauche, celle du nihilisme, qui finit par douter de son père spirituel Zosime dont le cadavre pue, lui, Aliocha n’aurait plus d’autre alternative que de se supporter lui-même, impuissant spectateur des malheurs de sa fratrie et du meurtre du père ? Pas de réponse de toute façon, comme si cet Aliocha, il faisait partie du tissu humain, le nôtre. Un pays à feu et à sang n’empêche pas de vivre. L’assassinat d’un père n’entraine pas la mort de la famille. Cela signifie-t-il qu’au lieu de vivre, les humains ne feraient que survivre à leur indignité ? Il est vrai, Dostoïevski donne l’impression de camper du côté des réprouvés, de peindre des personnages excessifs et violents. Mais nous avons à cœur de les entendre parce ce sont ces hommes-là qui se font la guerre et que si le coupable désigné n’est plus Dieu, alors oui, il est possible de parler de responsabilité, plus positive que la notion de péché. Néanmoins celui qui ne s’est jamais senti coupable au point de sombrer dans la dépression, ne peut que retirer les tisons du feu. C’est une histoire d’amour entre frères que relate Dostoïevski. Quand tout a brûlé, restent encore les souvenirs d’enfance heureux. Pour un seul de ses souvenirs, Aliocha dit que la vie vaut la peine d’être vécue. Timo TORIKKA, Dimitri, et Gilles MASSON, Ivan, tous deux remarquables, incarnent les sentiments de honte, de révolte, de désespoir qui minent un homme jusqu’à la déréliction. Comment ne pas se sentir bouleversés par la véhémence de leurs propos. Ils ne cessent de se frapper : « Le diable et le bon Dieu qui luttent ensemble avec pour champ de bataille, le cœur des gens… » David JEANNE-COMELLO incarne avec subtilité, la fragilité d’Aliocha, plus délicat, moins expansif que ses frères. Anthony LAIGNEL souligne fiévreusement, l’aspect maladif, répulsif et odieux de Smerdiakov. Véro DAHURON est une Grouchenka aussi excessive par sa vitalité que Dimitri, tandis que Catherine VINATIER incarne une Katerina manifestement plus froide et fière. Le metteur en scène, très habilement, met de temps en temps en perspective des séquences filmées où l’on voit en champ narratif, les personnages marcher dans une ville, rencontrer leur père etc. Une rue sépare le cinéma du théâtre en quelque sorte. Mais il s’agit d’une rue si voisine du rêve. Les visages y apparaissent souvent silencieux, inquiets, très expressifs. Cette adaptation des « Frères Karamazov » fort soutenue, travaillée, se distingue par son intensité. Sans conteste, le metteur en scène et les comédiens sont si bien imprégnés par l’œuvre de Dostoïevski qu’ils se rejoignent généreusement, physiquement, pour exprimer à haute tension, la présence incroyable de leurs personnages qui disent tout haut ce que parfois nous pensons tout bas. N’importe, cela fait du bien de savoir que ces êtres déchirés, impossibles, mais réels, aient trouvé leur place au théâtre, sous les auspices de la Compagnie PANTA-THÉÂTRE. Evelyne Trân – Le Monde.fr 12 Mai 2013 Les Tentations d’Aliocha, mis en scène par Guy Delamotte, au Théâtre de l’Aquarium, d’après Les Frères Karamazov, dernier roman du maître, son chant du cygne. C’est une toute autre forme d’angoisse, moins intériorisée, plus violente (encore que…), très mystique, centrée sur la tentation du mal, l’éclatement d’une famille et la mort du père, assassiné par l’un d’eux, mais lequel ? Toute l’œuvre n’est qu’un cri de douleur lancée au visage de ce monde, un appel au Dieu qui peut tolérer pareil spectacle. Ils sont donc trois frères, Aliocha (David Jeanne-Comello), Ivan (Gilles Masson ) et Dimitri (Timo Torrikka). Aliocha est l’élément stable, le pivot moral, l’homme qui a passé un pacte avec l’au-delà, une sorte de Christ des neiges. Les deux autres divaguent entre femmes (Catherine Vinatier et Véro Dahuron) et alcool, violence et règlements de comptes, amours et haines, jusqu’au summum de l’assassinat du père qui traverse la pièce sans qu’on le voit jamais, repassé de main en main comme dans un jeu de bonneteau, sous le regard effaré et incrédule du jeune Aliocha, lui-même soumis à la tentation du pire. Pour monter Dostoïevski sur scène, il faut du culot. Le risque est de rester à la porte de cet univers mystico-angoissant, ou alors de sombrer dans le grand déballage hystérique. Guy Delamotte a su échapper aux deux pièges. Il a créé un cadre où les acteurs sont sur le fil du rasoir en permanence, maîtrisant l’art d’en faire ni trop ni trop peu. L’utilisation de la vidéo apporte une note supplémentaire à l’ambiance fin du monde qui irradie la pièce. Celle-ci se conclut sur une image de révolte nihiliste qui rajoute une couche de noir, au cas où. Jack Dion – Marianne 11 mai 2013 Véro Dahuron et Guy Delamotte adaptent Les Frères Karamazov en se concentrant sur le personnage d’Aliocha ; ils offrent à d’intenses interprètes une partition scénique incandescente. Gageure s’il en est, l’adaptation scénique des Frères Karamazov présente un certain nombre de défis, que l’équipe du Panta-théâtre relève haut la main. La longueur du roman et la complexité de son intrigue, d’abord ; la concaténation entre les histoires d’amour, les trajectoires psychologiques, l’enquête sur le meurtre du père et les considérations philosophiques sur la question du mal, ensuite ; l’ambiance à récréer, enfin, entre angoisse, dépression, hystérie et perversion, arrosée d’alcool et saupoudrée par la neige… En s’entourant d’artistes qui, chacun dans leur partie, excellent à évoquer les turpitudes de ces âmes aux prises avec le démon, et en équilibrant les apports de tous les arts de la scène, Guy Delamotte signe l’orchestration d’un spectacle magnifiquement maîtrisé. Cette adaptation du roman de Dostoïevski est centrée sur le personnage d’Aliocha, le plus jeune des Karamazov, devenu le pivot de cette fresque des déchirements. Jean Haas a composé un décor enneigé ; les lumières de Fabrice Fontal y dessinent des espaces de jeu qui s’ouvrent sur l’immense fond de scène, où sont projetées les images tournées en Russie avec les comédiens. La complémentarité entre la vidéo et le jeu est remarquablement pensée, sans redondance ni bavardage : jamais les images, pourtant puissamment évocatrices, ne viennent affadir le jeu théâtral. Éblouissant portrait de la tragédie humaine Véro Dahuron, Catherine Vinatier, David Jeanne-Comello, Anthony Laignel, Gilles Masson et Timo Torikka (avec, à l’écran, Piotr Semak dans le rôle du père, et Laura Malmivaara dans celui de Lisa, la patiente amoureuse d’Aliocha) interprètent avec justesse les différents personnages de cette parabole effrénée et sanglante du combat avec le démon. Chacun est, tour à tour, tenté par le mal : l’amour devient trahison, la foi se parjure, la piété filiale tourne au meurtre, la fraternité est entachée de suspicion. Tous rejouent l’épisode évangélique de la tentation du Christ, et tous sombrent dans le mal ou la folie, dans la calomnie ou le reniement. Pour Dostoïevski, l’Eglise est l’acceptation de la puissance qu’avait refusée le Christ. En imaginant un Aliocha finalement tenté par l’assassinat du tsar, Guy Delamotte ne se contente pas de rêver une suite au roman. En faisant de son héros, apparemment le plus pur de tous, un terroriste politique prêt à accepter la puissance des armes, il scelle définitivement la victoire du Malin : Dieu est mort, tout est possible. Quel avenir pour un monde en pleine déréliction ? Les dernières images du spectacle, dans un flou rougeoyant, laissent une impression absolument sidérante d’alarme et de vertige. Catherine Robert – La Terrasse 20 avril 2013 Saint-Pétersbourg hier et aujourd’hui Etrange spectacle, dans le droit fil de ce qu’a toujours fait le Panta Théâtre de Caen : un moment habité, troublant, refusant le classicisme et l’académisme, bien qu’il ne s’agisse plus de texte contemporain (comme c’est l’habitude au Panta) mais de Dostoïevski. Transposer Les Frères Karamazov n’est pas une mince affaire. Aussi Guy Delamotte et Véro Dahuron ont-ils pris un angle imprévu, celui de revoir le récit à travers le plus jeune des frères, Aliocha, vivant dans l’observation des autres, tenté par le meurtre d’un père odieux et partagé entre la quête spirituelle et les hantises charnelles. L’action se passe sur un sol de sable, devant un immense écran. L’écran modernise le récit : les acteurs ont été filmés à Saint-Pétersbourg, dans la foule, parmi les voitures et aussi dans le musée Dostoïevski de la ville, pour de courtes séquences en noir et blanc qui s’intègrent dans un jeu de miroir avec le XIXe siècle et la réalité du roman. Il y a une grande intensité dans l’interprétation des comédiens, de David JeanneComello qui joue Aliocha notamment, tandis que tous les autres rôles sont tenus de façon également flamboyante (Anthony Laignel, Véro Dahuron, Catherine Vinatier). Pourtant, l’ensemble reste obscur et semble chercher son unité. La soirée a de l’allure, de l’audace, mais se disperse en route. Quest-ce qui se disperse ? Le spectacle ou l’attention ? par Gilles Costaz 23 mai 2013 Dans le texte de Dostoïevski, le phénomène tentation porte les rêves en désirs, les extravagances en insolence. La réalité glisse irrémédiablement vers la répression jusqu'à commettre l’irréparable. Les frères complices en jeu s’affrontent sur le terrain de la vérité dans des faces-à-faces peuplés des fantômes de leur revers. Laboratoire d’échanges de modes d’expressions orientées sur les écritures théâtrales internationales, tel pourrait être la définition du Panta-Théâtre. Transversalité d’univers artistiques confondus en la représentativité de l’ensemble des intervenants directs et indirects qui contribuent à la réalisation d’un spectacle traduit et adapté du répertoire classique et contemporain. Théâtre à variations existentielles, l’atypie des mises en scène de Delamotte se manifeste par des interrogations d’ordre condition de soi, lesquelles repoussent l’homme dans des retranchements jamais explorés. La multiplicité des thèmes abordés dans le récit de Dostoïevski prend à témoin la scène et le public, la religion, la liberté, l’amour, l’argent, la tolérance. Les Frères Karamazov, ultime roman de Dostoïevski publié en 1880, en même temps que les nouvelles Discours sur Pouchkine, livre un testament pré-posthume des incidences de la vie fragmentée d’à-coups et de transgressions physiques et morales. Guy Delamotte déconventionne un scepticisme taillé pour décourager et l’adapte en une déclinaison du stoïcisme revisité pour chaque personnage selon l’intensité des situations présentées. Cette histoire n’est pas un roman, ni une biographie, mais une parenthèse de jeunesse. Convient-il de suivre à la lettre le préambule de la voix-off qui annonce le père apparaissant sur la vidéo en font de scène ? La lumière décolore progressivement les éléments composant le décor. La neige couvrant le plateau disparaît dans l’ombre de la projection en noir et blanc. L’homme, le regard sombre et absorbé, philosophe sur le rapport de l’acceptabilité à la religion qu’il a fait sienne jusqu'au jour où... La vidéo intégrée à la mise en scène se duplique dans une interactivité acteur-décor. Défilent des images de rues, de quartiers, d’immeubles derrière lesquelles se profilent les personnages de la pièce. La prise de conscience des frères Karamazov s’impose en amont et en aval du plateau. La mort du père a semé le trouble et la discorde dans la fratrie. Chacun revendique son temps de parole en invectivant des allusions à l’amour et à la religion. Les tentations créent des brèches dans ces existences malmenées par l’alcool et les rigueurs de la saison. Le conflit se nourrit d’une alchimie déversant les plus affres réflexions sur l’homme en son statut d’homme bon et pervers. Dans cette fresque humaine, l’obsession et l’abstinence mettent à l’épreuve le péché et la souffrance véhiculés par les comportements violents et expressifs des trois frères. Le délit de liberté hante ces innocents qui s’engouffrent corps et âmes dans les extrêmes de leur penchant respectif. Il n’est de tentation sensée être portée par la volonté d’enfreindre les règles du respect et de la tolérance. Les esprits vacillent, la fraternité se spiritualise dans une virginité qui a la couleur rouge sang et l’odeur de l’alcool fort. Aliocha incarné par la foi semble être pris dans l’étau d’Ivan, l’intellectuel laissé pour compte par les femmes qu’il a aimé. Dimitri, un rebelle incapable de se ranger et qui dérange par ses excès. Smerdiakov, il apparaît difficile de lui accorder du crédit par l’étrangeté de son physique et de son regard perçant le présent en néant. Grouchenka est une bonne fille qui jouit des moindres plaisirs de la vie et suit qui l’accepte sous sa robe. A l’inverse, Katerina se présente en femme réfléchie et élégante qui pose le point d’interrogation avant toute affirmation. Guy Delamotte exhale la noirceur du roman de Dostoïevski en insufflant une nouvelle profondeur, simultanément fluide et intense. La violence des échanges se traduit par une répression intellectuelle manipulée par le désir de tentation. L’alternance du bien et du mal s’élève sur l’autel de la découverte de soi et de l’autre, de l’homme et de l’humain. La sociabilité des éléments souffrants et répréhensifs glisse vers un verdict sans appel. La mise en scène redynamise le texte de l’auteur russe en lui apportant une contemporanéité exigeante et résolument bien interprétée par des comédiens investis de leur personnage avec une vérité déconcertante. Adapter une œuvre du répertoire de Dostoïevski n’est pas chose aisée, et les artistes du Panta Théâtre, metteur en scène, comédiens et professionnels techniques s’en sortent remarquablement. 15 mai 2013 - Théatrothèque Philippe Delhumeau Comédie dramatique d'après Les frères Karamazov de Fiodor Dostoïevski, mise en scène de Guy Delamotte, avec Véro Dahuron, David Jeanne-Comello, Anthony Laignel, Gilles Masson, Timo Torikka, Catherine Vinatier et la participation de Piotr Semak et Laura Malmivaara. Sur un plateau couvert de neige (superbe scénographie de Jean Haas), le Panta-théâtre propose une version moderne des Frères Karamazov qui inclue la vidéo (Laurent Roujol) ainsi qu’un travail sur le son et la lumière saisissant (Jean-Noël Françoise et Fabrice Fontal). Pour cette adaptation du roman-fleuve de Dostoïevski, Véro Dahuron et Guy Delamotte, s’appuyant sur la splendide traduction du "spécialiste" André Marcowicz, ont choisi de mettre l’accent sur les rapports qu’entretient Aliocha le benjamin avec les autres personnages (ses frères, les femmes…). Même si le spectacle déjà dense occulte forcément des pans entiers du roman (il était bien sûr impossible de résumer près de mille pages en 2h30), on reste néanmoins captivé par les personnages qui nous sont présentés et surtout par une équipe de comédiens formidables, tous investis à cent pour cent dans le désir de faire vivre cette sombre histoire et le feu qui l’anime. Pour les femmes, Véro Dahuron est exceptionnelle en Grouchenka qu’elle joue avec autant de finesse que d’énergie. Toutes ses scènes sont des morceaux de bravoure. Quant à Catherine Vinatier, dans un registre plus intérieur, elle est impeccable. Chez les hommes, tous sont sensationnels aussi : Timo Torikka est un inoubliable Dimitri à qui il donne une complexité et une émotion formidables. David-Jeanne-Comello est un Aliocha au jeu plein de subtilité et Gilles Masson, un Ivan qui plonge dans la folie. Enfin, Anthony Laignel campe un Smerdiakov inquiétant et trouble avec bonheur. Tous les six comédiens proposent pendant plus de deux heures et demie, le portrait fort d’une fratrie en plein déchirement et d’individus qui se consument d’amour, de rêves, de remords ou de frustrations… Guy Delamotte met en scène Les tentations d’Aliocha avec une maîtrise fabuleuse, orchestrant avec fluidité les ballets incessants des protagonistes dont un film quasiment sans dialogues projeté sur le mur du bâtiment en fond de scène nous les montre évoluant dans les décors naturels de Russie moderne distillant une sourde et énigmatique angoisse quant au parallèle de cette saga sur le libre arbitre ou les choix d’une vie, avec la société actuelle. Les tentations d’Aliocha plein de bruit et de fureur donne à voir avant tout une impressionnante prestation de groupe et interroge avec acuité le spectateur sur les tréfonds de l’âme humaine, fidèle en cela au chef d’œuvre de Dostoïevski, et comparant les contradictions intérieures des personnages aux affres du siècle présent dont cette adaptation renvoie par le récit bouleversé de cette fratrie en crise un éclairage particulièrement pertinent. Nicolas Arnstam – Froggy’s Delight Mai 2013 Les Tentations d’Aliocha diablement réussies Un projet de voyage dans l’océan des belles-lettres n’est jamais chose aisée. Car la tempête romanesque peut, à tout moment, réduire à néant l’espoir d’une épopée joueuse. Car, disons-le sans fard, le défi d’une adaptation théâtrale des Frères Karamazov, est loin d’être un pari gagné d’avance. Peu d’audacieux ont franchi, depuis l’adaptation de Jacques Copeau et de Jean Croué, le Rubicon de cet ouvrage qualifié par Sigmund Freud de « Roman le plus imposant qu’on ait jamais écrit ». Résumons, autant que faire ce peut, ce chef-d’œuvre de la littérature mondiale. Le récit commence par la biographie des Karamazov ; leur visite chez le starets, où l’on apprend à connaitre les caractères des personnages et les grandes lignes de l’intrigue. Ensuite, il est question de l’athéisme et du Grand Inquisiteur. Puis vient le parricide, les suspicions de « Qui a tué ? » et l’épilogue qui donne sens à l’œuvre ; la foi en la vie, du bien et de la vérité, par la voix d’Aliocha. La troupe Panta-Théâtre a bien compris, en adaptant Les frères Karamazov, qu’on ne peut embrasser sa totalité. Elle a donc intelligemment pris le personnage d’Aliocha, en le mettant au centre de l’action, pour rendre compte du chef-d’œuvre de Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski. Contrairement à Copeau et Croué, le poème transcendant du Grand Inquisiteur est remis en point d’orgue comme clef de voûte d’une association action / personnage. « Ce n’est pas Dieu que je repousse, mais la création » F. Dostoïevski Selon les théologiens, Dieu est liberté. Selon Dostoïevski dans Le Grand Inquisiteur, Jésus dérange l’église en donnant à l’homme le choix de croire ou non. Trop puissante pour la nature humaine, cette grande liberté afflige l’homme de doutes et de questions. Être libre, c’est ouvrir à tous les possibles, mais l’homme exècre l’absence de réponse d’un libre arbitre embarrassant. L’église enseigne la crainte de Dieu à l’homme, et détourne la liberté en alléguant la béatitude nouvelle. Dostoïevski a mis de sa vie dans Les frères Karamazov : ses attaques d’épilepsie, la perte de son petit Alexis, un voyage à l’ermitage d’Optina, ses incertitudes entre l’athéisme et la foi. C’est effectivement son existence d’homme qui est en jeu dans cette saga familiale. Dans une remarquable traduction d’André Markowicz, la délectable mise en scène de Guy Delamotte passe de l’image (Laurent Rojol) au présent du théâtre avec, une fois n’est pas coutume, une heureuse harmonie. Pour la sonorisation (est-elle vraiment nécessaire ?) et le vieillissement des personnages, nous serons compréhensifs. Assurément, il est difficile pour une troupe (permanente ?) de se séparer de ses compagnons de route. Après tout, le Jeune Théâtre National ne joue-t-il pas les gérontes ? Pourvu que le don des comédiens soit total et sans fioriture, nous fermons volontiers les yeux sur cette pieuse dérogation. Cette excellente distribution nous donne par sa générosité : à voir la morale, la névrose et la culpabilité désirée par la thématique de la mort du père chez Dostoïevski. Aussi, nous sommes tenté de dire : les tentations d’Aliocha sont diablement réussies ! Dashiell Donello – Un Fauteuil pour l’orchestre 13 mai 2013 THEATRAUTEURS Qui ne connaît Dostoïevski ne peut comprendre l'âme slave. Toute notre reconnaissance va donc à André Markowicz envers lequel nous sommes redevables de la traduction de l'œuvre complète du grand auteur russe, parue chez Acte Sud. On peut contester Tolstoï et certains ne s'en sont pas privés mais concernant Fiodor Mikhaïlovitch, la tâche est plus ardue, le personnage s'avérant beaucoup plus complexe. Car enfin, ces frères Karamazov ne sont-ils pas la seule et même image de leur auteur et de ses multiples facettes ? ( La référence à l'épilepsie ne sera du reste pas oubliée ) Les psy’ affirment qu'il faut tuer le père. Comme les trois mousquetaires, ils sont quatre car on ne saurait écarter Smerdiakov bien qu'illégitime en cette fratrie. Tous, sans exception, aucune, vont souhaiter la mort de Fiodor Pavlovich ce père riche, despotique et débauché mais un seul passera à l'action. Ensuite, le soupçon planera sur tous, car chacun d'eux est coupable, "de tout, envers tous." Et puis, tous désirent Grouchenka et vont se partager ses faveurs à des degrés divers ... La femme symbolisant la débauche sexuelle, le besoin de domination virile de chacun, sans excepter le pur Aliocha, par le biais duquel nous entrerons dans cette histoire compliquée au possible. On ne loue plus depuis longtemps le talent de Véro Dahuron (Grouchenka) qui fait preuve ici d'un tempérament dévastateur. Catherine Vinatier est Katerina, plus pondérée bien sûr, mais dont la présence scénique n'en est pas moins indéniable. Les interprètes masculins ne seront pas de reste et nous entraîneront dans un tourbillon quasi indescriptible. Tout comme eux, on perd pied sur ce décor enneigé, on s'enivre en les écoutant ... Et puis, il y a cet écran et ces premiers plans qui prennent possession de notre esprit, jusqu'à l'hypnotisme. La pièce se joue seulement jusqu'au 24 mai alors faites vite, ne la laissez surtout pas passer et ce, que vous ayez lu ou non Les Frères Karamazov car adapter ce roman par ce biais particulier, loin d'être une trahison nous permet d'aller au cœur du problème existentiel de ces âmes tourmentées. Simone Alexandre - Théatrauteurs 14 mai 2013 En attendant... Paris Âmes torturées Les Tentations d’Aliocha, montées par la compagnie caennaise du Panta-théâtre actualisent Les Frères Karamazov et l’éternité de la désespérance masculine face à l’insuffisance de nos réalisations, eu égard à ce que réclame de nous notre condition. À la mode slave, excessive et excentrique. Le spectateur encaisse une avalanche d’émotions extrêmes, amplifiées par une musique parfaitement adaptée. Alors que le cri, au théâtre, est souvent un aveu d’impuissance, il devient ici cohérent avec les événements. Le péché, l’amour, la souffrance, l’ignorance de savoir si le ciel est habité ou non, le face-à-face avec la tentation sous sa forme la plus absolue, tels sont quelques-uns des thèmes récurrents de la pièce, interrogations éternelles et pourtant à chaque fois nouvelles… C’est la cinquième fois que Dostoïevski est servi par cette troupe, qui en est devenue tellement familière qu’elle peut en suggérer l’actualité. Actualité qui va jusqu’au refus eventuel de l’interprétation religieuse des événements, ce qui rend la vie encore plus cruelle… C’est magnifiquement joué, très énergique, et on ressort de là avec plus de questions vraies que de réponses faciles. Même si la trame complexe du récit le dissimule un tantinet. Pierre François – En attendant… Paris 30 avril 2013 Guy Delamotte retourne à Dostoïevski et signe une suite des Frères Karamazov. Une pièce moderne et épurée qui s’appuie sur une troupe d’acteurs de talent. Le célèbre roman russe n’en est pas à sa première adaptation. Mais en s’inspirant directement de l’œuvre de Fiodor Dostoïevski, Guy Delamotte met en scène avec brio ces Tentations. L’intrigue s’articule autour du plus jeune des trois frères, Aliocha Karamazov, fervent croyant qui évolue dans un univers où le pêché et le mensonge sont omniprésents. D’abord frappé par la mort brutale de son père, le jeune Aliocha doit ensuite faire face à celle de son guide, le père Zossima. Seul Dieu peut lui venir en aide, mais interpellé tout au long de la pièce, celui-ci n’offre aucune réponse. Ces deux femmes, Grouchenka et Katia, l’une franche et plongée dans le vice, l’autre sophistiquée mais baignant dans le mensonge. Ivan prend le chemin de la folie, privé d’amour envers ce monde qu’il juge injuste. Dimitri Karamazov, possédé par ses émotions, paie le prix de la débauche. Tous voient en Aliocha un confident, le seul qui puisse accepter leurs démons sans porter de jugement. Celui-ci doit toutefois résister à la voie de la tentation qui s’ouvre devant lui : les femmes, l’alcool, le meurtre sont autant de sujet de convoitises contre lesquels Aliocha ne peut lutter. « Dans un monde sans Dieu, tout est permis », lui rappelle Ivan. Reste l’assassin du père à trouver, au sein d’une fratrie qui déjà s’écroule. Peutêtre faut-il chercher du côté de Pavel Smerdianov, le bâtard dont personne ne semble vouloir. « Dans cette pièce, j’ai voulu rester fidèle aux thèmes chers à Dostoïevski. Les questions du librearbitre et de l’existence de Dieu, la morale mais aussi et surtout la tentation, celle que devra affronter Aliocha, seul. », confie Guy Delamotte, qui n’en est pas à son premier essai dans l’adaptation des œuvres de Dostoïevski. Le metteur en scène a signé entre autres Les Démons et L’Idiot, du même auteur. La pièce de Guy Delamotte et de Vero Dahuron nous donne toutes les armes pour plonger dans l’ambiance pesante de ces Tentations. Le décor en nuances de gris est astucieusement mis en valeur par des extraits de film, où l’on retrouve les acteurs. Une partie de l’histoire est narrée, si bien qu’il est facile d’en saisir les thèmes généraux, même sans connaître le roman de Dostoïevski dont Les Tentations incarnent la suite des évènements. On regrette certaines longueurs où les personnages justifient leurs actes, et quelques scènes restent difficiles à interpréter, tant le contexte particulier de l’œuvre - La Russie fin XIXe siècle – nous est éloigné. Mais qu’importe, le jeu spectaculaire des acteurs du Panta-Théâtre, hauts en couleurs, balaie ces moments de flottement. Chacun d’eux porte son rôle de manière remarquable, emportés par la violence d’émotions incontrôlables, prenant régulièrement le spectateur à témoin comme le fait finalement David Jeanne-Com ello en Aliocha convaincant. Le pari osé de Guy Delamotte est définitivement réussi, avec une mention spéciale pour le surprenant duo féminin formé par Vero Dahuron et Catherine Vinatier. Cyprien Michon – Radin Rue Le 18 mai 2013