(1) Bromberger (1966, p. 83) a proposé l'exemple suivant. Considérons l'ombre d'une tour
produite par la lumière du soleil. On peut donner une explication parfaitement satisfaisante de la
taille de l'ombre à partir de la hauteur de la tour, de la position du Soleil relativement à la tour et de
la loi de propagation rectiligne des rayons de lumière. Mais si cette explication satisfait les
conditions imposées par le modèle D-N, c'est tout aussi bien le cas de l'explication réciproque
déduit la hauteur de la tour de la taille de l'ombre. Or la question de savoir si cette dernière
explication est acceptable est sujette à controverse
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.
(2) Supposons que la régularité nomique suivante soit réelle : chaque fois qu'un baromètre
fonctionnant correctement indique que la pression chute de façon abrupte, des vents violents se
produisent quelques heures plus tard. Une telle loi permettrait d'expliquer telle tempête particulière
par ce qu'indique le baromètre quelques heures auparavant. Cette possibilité constitue un contre-
exemple au modèle D-N de l'explication dans la mesure où l'explication proposée est conforme à ses
conditions, mais semble intuitivement inacceptable : ce qui explique vraiment une tempête, c'est la
chute de la pression de l'air qui constitue une cause commune de ce qu'indique le baromètre et de la
tempête.
Ces exemples permettent de remettre en cause l'équivalence entre explication selon le modèle
D-N et causalité : (1) est une "explication" non satisfaisante d'une cause par son effet ; et (2)
prétend expliquer un événement par un autre qui n'est ni sa cause ni son effet, puisque les deux
événements en question sont des effets d'une cause commune. Au lieu de confirmer l'équivalence
entre l'explication D-N et la causalité, les exemples ci-dessus semblent plutôt indiquer que la
causalité est une condition indépendante qu'il faudrait ajouter à celles du modèle D-N. Les exemples
(1) et (2) suggèrent que le concept d'explication qui est important intuitivement est plutôt celui
d'explication causale, et que l'exigence de causalité rend le concept d'explication réellement plus
riche que le concept explicité par le modèle D-N.
Ces mêmes exemples peuvent également servir à mettre en question une autre équivalence
revendiquée par Hempel et Oppenheim (1948). Ces auteurs entendent en effet identifier dans le
modèle D-N la structure logique commune à l'explication et à la prédiction, qui selon eux ne
diffèrent que de manière pragmatique. Cette différence concerne l'usage qui est fait de la déduction
de E à partir de C et T : si E désigne un événement qui a déjà eu lieu et si nous en avons déjà pris
connaissance, alors nous pouvons en rechercher et en fournir une explication D-N où soit C, soit T,
soit la déductibilité même de E par rapport à C et T était auparavant inconnu du destinataire de
l'explication. En revanche, si nous ne savons pas encore que l'événement E s'est produit, en
particulier s'il a lieu dans l'avenir, il est possible de le prédire en montrant qu'il est une conséquence
déductive de C et T. Le cas où E a lieu dans l'avenir n'est pourtant pas le seul où il peut être
approprié de parler de prédiction : imaginons une expérience scientifique dont les résultats ont été
Berkeley, University of California Press, 1959, p. 158; Wolfgang Stegmüller, Probleme und Resultate der
Wissenschaftstheorie und Analytischen Philosophie, Vol. I.: Erklärung, Begündung, Kausalität (1969), Berlin,
Springer, 1983, p. 512/3.
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Bromberger et Salmon (1990, p. 47) expriment l'intuition qu'elle ne l'est pas, mais van Fraassen (1980, pp. 132-134)
construit un contexte dans lequel la longueur de l'ombre peut effectivement expliquer la hauteur de la tour.