47 rue de Babylone • 75007 Paris • France Tél. : 33 (0)1 53 63 37 70 • Fax : 33 (0)1 42 22 65 54 [email protected] • www.futuribles.com L’Inde à l’horizon 2025 : ses perspectives économiques COMPTE RENDU DE LA TABLE RONDE DU 16 AVRIL 2008 Jean-Joseph Boillot est économiste et ancien conseiller financier en Inde. Il est l’auteur de L’Économie de L’Inde (Paris : La Découverte, 2006) et cofondateur de l’Euro India Economic and Business Group (EIEBG). Il travaille régulièrement avec Futuribles et a, ainsi, assuré l’organisation, le 12 octobre 2007, du colloque « Inde 2025 » dont ont été issus plusieurs articles publiés dans la revue Futuribles au premier trimestre 2008. Jean-Joseph Boillot a tout d’abord justifié le choix d’une étude de l’Inde à l’horizon 2025, qui lui paraît être une base de travail raisonnable compte tenu du cycle d’un investissement commercial (compris entre 5 et 15 ans) et, plus subjectivement, parce que cette date ne semble pas trop éloignée. L’Inde dans l’actualité L’importance actuelle et à venir de l’Inde sur le plan économique mondial est de plus en plus visible dans l’actualité, comme l’a rappelé Jean-Joseph Boillot au travers de quelques exemples : - Selon lui, l’attitude de la Chine face au « problème » du Tibet est largement liée à l’existence d’un contrepoids à son pouvoir. Or, en Inde, il existe une masse économique et humaine importante qui souhaite jouer un rôle sur le plan international dans les années à venir. La question est donc de savoir comment les rapports de forces vont s’équilibrer entre ces deux nouveaux géants. - La récente acquisition par Bharat Forge, premier groupe indien dans la forge, de trois sociétés françaises de composants automobiles est révélatrice d’un phénomène plus vaste. En effet, tous les jours, des multinationales indiennes achètent des entreprises dans le monde entier. La question qui se pose alors est : quelle ampleur les groupes indiens pourront-ils atteindre à l’horizon 2025 ? - Le sommet indo-africain qui s’est déroulé début avril 2008 à New Delhi, en réponse à la montée en puissance de la Chine en Afrique (qui a annoncé cinq milliards de dollars US par an d’aide au développement et autant de crédits). Ce sommet reflète la volonté de l’Inde de prendre toute sa place à l’échelle mondiale, de s’imposer sans complexes. - Par ailleurs, quel rôle l’Inde peut-elle jouer dans la crise actuelle des subprimes aux États-Unis ? Selon J.-J. Boillot, l’Inde Table ronde Futuribles du 16 avril 2008 - L’Inde à l’horizon 2025 1 et la Chine sont des éléments de soutien de la conjoncture mondiale et le tournant de l’économie mondiale pourrait venir de ces deux pays. Ainsi, en Chine, les importations sont à la hausse, et des programmes d’investissements keynesiens (constructions d’infrastructures) sont à l’œuvre, alors que les exportations baissent, ce qui signifie que la Chine pourrait soutenir la conjoncture mondiale. L’Inde n’a certes pas la même ouverture que la Chine, sa conjoncture est plus fluctuante car son économie est plus marquée par le « cycle du business ». Ainsi, l’Inde a connu une hausse rapide de sa croissance en 2002-2006 (dopée par les investissements étrangers), désormais ralentie par les pressions inflationnistes mondiales. De plus, l’Inde connaît un cycle de business interne semblable aux pays anglosaxons, qui a entraîné une bulle immobilière dont l’explosion (la baisse des prix) aura des conséquences sur les équilibres des portefeuilles des entreprises ayant investi dans ce secteur. Au final, l’Inde devrait connaître un ralentissement de son taux de croissance, qui devrait se stabiliser entre 6 % et 8 % (au lieu de 10 %), en partie grâce à la demande interne. Or, même si, de 1996 à 2001, l’Inde a connu une croissance molle (autour de 3 %), elle a triplé son PIB (produit intérieur brut) en 12 ans et cela commence à se voir. Donc, dans tous les cas, le pays ne devrait pas subir de baisse dramatique de sa croissance, notamment parce que l’économie est tirée par la demande interne. Il est donc possible de proposer la fourchette de 3 % à 7 % de croissance pour l’année à venir. - L’Inde va connaître une importante année électorale 2008-2009 avec les élections législatives : quelle lisibilité en a-t-on ? Ce qui est sûr, c’est que la proximité de ces élections explique pourquoi l’accord nucléaire avec les États-Unis n’est pas encore signé, alors qu’il s’agit d’une question énergétique importante et de la condition du réarmement nucléaire de l’Inde. Cet accord aurait aussi un impact sur le rééquilibrage éventuel face à la Chine. Car si l’Inde est loin de pouvoir rejoindre la Chine d’un point de vue économique, elle pourrait néanmoins devenir un acteur incontournable des grands équilibres, avec le Japon, l’Afrique et la Russie. Jusqu’à maintenant, l’Inde ne faisait pas partie du monde multipolaire, elle n’avait quasiment pas d’influence sur le plan mondial. C’est en train de changer, notamment grâce au regard nouveau que lui portent les États-Unis et l’Europe. L’Inde des statistiques Pour envisager l’Inde à l’horizon 2025, J.-J. Boillot a analysé les prévisions déjà réalisées par plusieurs organismes : Goldman Sachs, le CEPII (Centre d’études prospectives et d’informations internationales), la Banque mondiale (projections pour l’Inde en 2030) et le FMI (Fonds monétaire international). Il a notamment comparé les paramètres, les critères et les méthodologies utilisés. Il a rappelé les limites des statistiques sur l’Inde à l’horizon 2025, qui cachent l’essentiel, à savoir ce que sera l’Inde en 2025. Au final, ces projections à l’horizon 2025, réalisées en dollars US courants base 2000 et taux de change courant, envisagent un PIB indien compris entre 2 000 et 3 000 milliards de dollars US. L’Inde serait donc toujours loin d’être une superpuissance, puisque la Chine, elle, réaliserait un PIB de 9 000 milliards de dollars US, un chiffre lui-même inférieur au PIB anticipé des États-Unis. L’Inde représenterait donc 4 % du PIB mondial, contre 2 % aujourd’hui, soit un doublement mais un pourcentage qui reste très faible, inférieur notamment à la Chine d’aujourd’hui. De même, le PIB par habitant par rapport aux États-Unis ne passe que de 2 % à 4 %, même en envisageant une croissance élevée à 6 %. L’Inde devrait maintenir son poids relatif dans la population mondiale mais elle ne Table ronde Futuribles du 16 avril 2008 - L’Inde à l’horizon 2025 prendra pas le relais de la population chinoise. Au final, elle devrait connaître un taux de croissance compris entre 5 % et 7 % en valeur sur la période, et représenterait l’une des économies les plus performantes du monde. Jean-Joseph Boillot a insisté sur l’idée que la Chine devrait connaître prochainement une crise importante susceptible d’entraîner une baisse relative de son taux de croissance. L’intérêt pour l’Inde L’Inde ne sera donc pas, à l’horizon 2025, un « grand » comparable à la Chine ou aux États-Unis. Mais son développement intéresse pour au moins deux raisons discutables : 1) Il existe une volonté de « rééquilibrer le monde », notamment sur le plan économique. Mais l’économie de l’Inde ne sera pas comparable à celle de la Chine en 2025, notamment car cette dernière a déjà dépassé le stade du développement (même s’il s’agit d’un mal-développement), au contraire de l’Inde. 2) L’idée que l’Inde connaîtrait depuis une dizaine d’années un bouleversement majeur de son économie se répand de plus en plus. Le problème est que le développement économique de l’Inde touche, pour l’instant, surtout les grandes zones industrialisées et pas l’ensemble du pays. Les changements à venir L’intervenant a souligné que les changements économiques en Inde s’accompagneront de bouleversements politiques et sociologiques : - L’agriculture représenterait moins de 10 % du PIB en 2025, alors que la population active devrait rester importante dans les campagnes. Ce changement est difficile à imaginer aujourd’hui, car toute la société fonctionne autour de l’agriculture et du monde rural. - En 2025, le nombre d’actifs dans l’agriculture ne devrait pas changer, ce qui veut dire qu’aujourd’hui, 100 % des emplois nouveaux ne sont pas agricoles. En réalité, 75 % de ces nouveaux emplois sont dans les services, ce qui donne l’idée d’une société complètement différente en 2025, même si ce problème est très peu évoqué. - En 2025, l’Inde disposera d’un « réservoir » très important de 15-24 ans : des millions de jeunes qui devraient contribuer à rééquilibrer le marché du travail mondial. La question sera alors celle de la disponibilité et de la formation de cette nouvelle jeunesse du monde. La Chine, au contraire, ne devrait pas connaître de génération jeune de cette ampleur. Extrait des débats En 2025, parmi les analyses disponibles, à combien estimez-vous la différence de taux de croissance démographique compte tenu des taux de croissance actuels de l’Inde ? L’Inde va connaître une accélération dans sa transition démographique, déjà en cours dans certains États où la croissance économique est relativement forte . Elle se traduira par une chute du taux de fécondité, déjà visible dans le fait que les jeunes Indiens retardent l’âge auquel ils ont leur premier enfant pour se consacrer plutôt à leur carrière. Dès à présent, ce sont les régions les plus en retard de développement et qui fournissent l’essentiel des naissances. De plus, il est probable que la contrainte environnementale aille dans le sens de ce ralentissement démographique. En effet, la hausse de la densification de population inquiète de plus en plus les Indiens et influe beaucoup sur leur comportement. L’Inde formerait plus d’ingénieurs que tous les pays de l’OCDE. Cette maind’œuvre peu payée ne va-t-elle pas capter Table ronde Futuribles du 16 avril 2008 - L’Inde à l’horizon 2025 3 une grande partie de l’activité dans ce secteur ? Cette idée est fausse, l’Inde ne forme pas assez d’ingénieurs et la pénurie est croissante. De fait, il y a très peu d’écoles d’ingénieurs dans le pays et elles forment, chaque année, moins d’ingénieurs que la France (environ 2 000). Il est vrai que le taux de sélection des étudiants de ces écoles implique que leur niveau final est excellent. L’Inde connaît un blocage éducatif par le haut et par le bas. Par le haut parce qu’elle ne parvient pas à démocratiser son éducation, à créer un enseignement de masse, ce qui bloque la croissance car des entreprises sont obligées de fermer leur unité informatique par manque de main-d’œuvre et de se délocaliser aux États-Unis. C’est l’exemple de la relocalisation d’Apple. Mais cette tension crée la première industrie du pays, la plus florissante actuellement : les instituts de formation. L’Inde est le pays au monde où s’ouvrent le plus d’établissements d’éducation chaque année. C’est en ce sens qu’il est intéressant d’investir en Inde. Et, en cela, l’Inde est bien une économie de marché : elle utilise l’information que procurent les déséquilibres de marché et elle est relativement capable de répondre à ces indicateurs. Ce qui n’est pas le cas de la Chine. C’est le manque d’ingénieurs qui pousse le niveau d’éducation à la hausse et l’Inde devrait dépasser la Chine dans ce domaine, qui souffre d’un manque de professeurs expérimentés. Quelle est la situation des échanges France-Inde aujourd’hui et quelles sont les projections économiques possibles dans 10-15 ans ? Il sera difficile de développer les échanges réguliers entre ces deux pays. Du côté français, les productions sont plutôt destinées à des consommateurs aisés, donc a priori pas les Indiens. Car, en Inde, on épargne pour investir et les grands groupes sont majoritairement des groupes privés familiaux. Et les Indiens n’ont pas pour habitude de consommer de manière frénétique. L’Inde est plutôt consommatrice d’équipements. En Chine, au contraire, les investissements et la consommation sont beaucoup plus légitimés. Que deviendra le système des castes en 2025 ? Aujourd’hui, 60 % de la population indienne n’existe toujours pas du point de vue des castes, un système qui est très lié lié au marché du travail. Et le fait qu’il y ait une transformation de l’agriculture et des zones rurales et urbaines est important car les castes étaient liées à ces structures. Il est possible d’avancer deux thèses concernant l’avenir des castes : 1) Celle de la réinvention de la caste comme un élément clef du jeu politique. En politique, déjà, des alliances intercastes se forment pour conquérir le pouvoir. Et, dès maintenant, le marché du travail opère un mélange des castes assez fréquent. En 2025, deux tiers des emplois seront de nouveaux emplois, ce qui impliquera a priori un brassage social et donc un mélange des castes. 2) La caste devrait rester un référent politique si des intérêts supérieurs à ceux des castes n’apparaissent pas, mais, sur le plan sociologique, elles devraient progressivement s’effacer. Le problème des castes reste un problème de ressources humaines. En réalité, il est possible que les problèmes de l’Inde soient en partie internes. L’exemple du groupe Tata, qui réalise plus de 50 % de son chiffre d’affaires à l’étranger, est révélateur de certaines limites de l’Inde. Le dirigeant de ce groupe, qui est conscient de ces limites, a choisi d’orienter son activité plutôt vers l’étranger, là où c’est le plus porteur pour lui. En ce sens, les castes sont aussi des communautés, des groupes économiques. Le fait d’appartenir à une caste détermine, pour un homme d’affaires, ses stratégies. Or, souvent, ils considèrent qu’il est difficile de travailler en Inde à cause des problèmes d’infrastructures et de financement. Table ronde Futuribles du 16 avril 2008 - L’Inde à l’horizon 2025 Cécile Désaunay