Table ronde Futuribles du 16 avril 2008 - L’Inde à l’horizon 2025
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L’Inde à l’horizon 2025 : ses perspectives économiques
COMPTE RENDU
DE LA TABLE RONDE DU 16 AVRIL 2008
Jean-Joseph Boillot est économiste et ancien conseiller financier en Inde. Il est l’auteur de
L’Économie de L’Inde (Paris : La Découverte, 2006) et cofondateur de l’Euro India
Economic and Business Group (EIEBG). Il travaille régulièrement avec Futuribles et a,
ainsi, assuré l’organisation, le 12 octobre 2007, du colloque « Inde 2025 » dont ont été issus
plusieurs articles publiés dans la revue Futuribles au premier trimestre 2008.
Jean-Joseph Boillot a tout d’abord justifié
le choix d’une étude de l’Inde à l’horizon
2025, qui lui paraît être une base de travail
raisonnable compte tenu du cycle d’un
investissement commercial (compris entre
5 et 15 ans) et, plus subjectivement, parce
que cette date ne semble pas trop éloignée.
L’Inde dans l’actualité
L’importance actuelle et à venir de l’Inde
sur le plan économique mondial est de plus
en plus visible dans l’actualité, comme l’a
rappelé Jean-Joseph Boillot au travers de
quelques exemples :
- Selon lui, l’attitude de la Chine face au
« problème » du Tibet est largement liée à
l’existence d’un contrepoids à son pouvoir.
Or, en Inde, il existe une masse écono-
mique et humaine importante qui souhaite
jouer un rôle sur le plan international dans
les années à venir. La question est donc de
savoir comment les rapports de forces vont
s’équilibrer entre ces deux nouveaux
géants.
- La récente acquisition par Bharat Forge,
premier groupe indien dans la forge, de
trois sociétés françaises de composants
automobiles est révélatrice d’un phéno-
mène plus vaste. En effet, tous les jours,
des multinationales indiennes achètent des
entreprises dans le monde entier. La ques-
tion qui se pose alors est : quelle ampleur
les groupes indiens pourront-ils atteindre à
l’horizon 2025 ?
- Le sommet indo-africain qui s’est déroulé
début avril 2008 à New Delhi, en réponse à
la montée en puissance de la Chine en
Afrique (qui a annoncé cinq milliards de
dollars US par an d’aide au développement
et autant de crédits). Ce sommet reflète la
volonté de l’Inde de prendre toute sa place
à l’échelle mondiale, de s’imposer sans
complexes.
- Par ailleurs, quel rôle l’Inde peut-elle
jouer dans la crise actuelle des subprimes
aux États-Unis ? Selon J.-J. Boillot, l’Inde
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et la Chine sont des éléments de soutien de
la conjoncture mondiale et le tournant de
l’économie mondiale pourrait venir de ces
deux pays. Ainsi, en Chine, les impor-
tations sont à la hausse, et des programmes
d’investissements keynesiens (construc-
tions d’infrastructures) sont à l’œuvre,
alors que les exportations baissent, ce qui
signifie que la Chine pourrait soutenir la
conjoncture mondiale.
L’Inde n’a certes pas la même ouverture
que la Chine, sa conjoncture est plus
fluctuante car son économie est plus mar-
quée par le « cycle du business ». Ainsi,
l’Inde a connu une hausse rapide de sa
croissance en 2002-2006 (dopée par les
investissements étrangers), désormais ra-
lentie par les pressions inflationnistes mon-
diales. De plus, l’Inde connaît un cycle de
business interne semblable aux pays anglo-
saxons, qui a entraîné une bulle immo-
bilière dont l’explosion (la baisse des prix)
aura des conséquences sur les équilibres
des portefeuilles des entreprises ayant in-
vesti dans ce secteur.
Au final, l’Inde devrait connaître un ralen-
tissement de son taux de croissance, qui
devrait se stabiliser entre 6 % et 8 % (au
lieu de 10 %), en partie grâce à la demande
interne.
Or, même si, de 1996 à 2001, l’Inde a
connu une croissance molle (autour de
3 %), elle a triplé son PIB (produit
intérieur brut) en 12 ans et cela commence
à se voir. Donc, dans tous les cas, le pays
ne devrait pas subir de baisse dramatique
de sa croissance, notamment parce que
l’économie est tirée par la demande in-
terne. Il est donc possible de proposer la
fourchette de 3 % à 7 % de croissance pour
l’année à venir.
- L’Inde va connaître une importante année
électorale 2008-2009 avec les élections
législatives : quelle lisibilité en a-t-on ?
Ce qui est sûr, c’est que la proximité de ces
élections explique pourquoi l’accord nu-
cléaire avec les États-Unis n’est pas encore
signé, alors qu’il s’agit d’une question
énergétique importante et de la condition
du réarmement nucléaire de l’Inde. Cet
accord aurait aussi un impact sur le
rééquilibrage éventuel face à la Chine. Car
si l’Inde est loin de pouvoir rejoindre la
Chine d’un point de vue économique, elle
pourrait néanmoins devenir un acteur
incontournable des grands équilibres, avec
le Japon, l’Afrique et la Russie.
Jusqu’à maintenant, l’Inde ne faisait pas
partie du monde multipolaire, elle n’avait
quasiment pas d’influence sur le plan
mondial. C’est en train de changer, no-
tamment grâce au regard nouveau que lui
portent les États-Unis et l’Europe.
L’Inde des statistiques
Pour envisager l’Inde à l’horizon 2025,
J.-J. Boillot a analysé les prévisions déjà
réalisées par plusieurs organismes : Gold-
man Sachs, le CEPII (Centre d’études
prospectives et d’informations internatio-
nales), la Banque mondiale (projections
pour l’Inde en 2030) et le FMI (Fonds
monétaire international). Il a notamment
comparé les paramètres, les critères et les
méthodologies utilisés.
Il a rappelé les limites des statistiques sur
l’Inde à l’horizon 2025, qui cachent
l’essentiel, à savoir ce que sera l’Inde en
2025.
Au final, ces projections à l’horizon 2025,
réalisées en dollars US courants base 2000
et taux de change courant, envisagent un
PIB indien compris entre 2 000 et 3 000
milliards de dollars US. L’Inde serait donc
toujours loin d’être une superpuissance,
puisque la Chine, elle, réaliserait un PIB de
9 000 milliards de dollars US, un chiffre
lui-même inférieur au PIB anticipé des
États-Unis. L’Inde représenterait donc 4 %
du PIB mondial, contre 2 % aujourd’hui,
soit un doublement mais un pourcentage
qui reste très faible, inférieur notamment à
la Chine d’aujourd’hui.
De même, le PIB par habitant par rapport
aux États-Unis ne passe que de 2 % à 4 %,
même en envisageant une croissance
élevée à 6 %.
L’Inde devrait maintenir son poids relatif
dans la population mondiale mais elle ne
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prendra pas le relais de la population
chinoise. Au final, elle devrait connaître un
taux de croissance compris entre 5 % et
7 % en valeur sur la période, et représen-
terait l’une des économies les plus per-
formantes du monde.
Jean-Joseph Boillot a insisté sur l’idée que
la Chine devrait connaître prochainement
une crise importante susceptible d’entraî-
ner une baisse relative de son taux de
croissance.
L’intérêt pour l’Inde
L’Inde ne sera donc pas, à l’horizon 2025,
un « grand » comparable à la Chine ou aux
États-Unis. Mais son développement inté-
resse pour au moins deux raisons
discutables :
1) Il existe une volonté de « rééquilibrer le
monde », notamment sur le plan écono-
mique. Mais l’économie de l’Inde ne sera
pas comparable à celle de la Chine en
2025, notamment car cette dernière a déjà
dépassé le stade du développement (même
s’il s’agit d’un mal-développement), au
contraire de l’Inde.
2) L’idée que l’Inde connaîtrait depuis une
dizaine d’années un bouleversement ma-
jeur de son économie se répand de plus en
plus. Le problème est que le développe-
ment économique de l’Inde touche, pour
l’instant, surtout les grandes zones indus-
trialisées et pas l’ensemble du pays.
Les changements à venir
L’intervenant a souligné que les change-
ments économiques en Inde s’accompa-
gneront de bouleversements politiques et
sociologiques :
- L’agriculture représenterait moins de
10 % du PIB en 2025, alors que la popu-
lation active devrait rester importante dans
les campagnes. Ce changement est difficile
à imaginer aujourd’hui, car toute la société
fonctionne autour de l’agriculture et du
monde rural.
- En 2025, le nombre d’actifs dans l’agri-
culture ne devrait pas changer, ce qui veut
dire qu’aujourd’hui, 100 % des emplois
nouveaux ne sont pas agricoles. En réalité,
75 % de ces nouveaux emplois sont dans
les services, ce qui donne l’idée d’une
société complètement différente en 2025,
même si ce problème est très peu évoqué.
- En 2025, l’Inde disposera d’un « réser-
voir » très important de 15-24 ans : des
millions de jeunes qui devraient contribuer
à rééquilibrer le marché du travail mondial.
La question sera alors celle de la disponi-
bilité et de la formation de cette nouvelle
jeunesse du monde. La Chine, au contraire,
ne devrait pas connaître de génération
jeune de cette ampleur.
Extrait des débats
En 2025, parmi les analyses disponibles, à
combien estimez-vous la différence de taux
de croissance démographique compte tenu
des taux de croissance actuels de l’Inde ?
L’Inde va connaître une accélération dans
sa transition démographique, déjà en cours
dans certains États la croissance éco-
nomique est relativement forte . Elle se
traduira par une chute du taux de fécondité,
déjà visible dans le fait que les jeunes
Indiens retardent l’âge auquel ils ont leur
premier enfant pour se consacrer plutôt à
leur carrière. Dès à présent, ce sont les
régions les plus en retard de dévelop-
pement et qui fournissent l’essentiel des
naissances.
De plus, il est probable que la contrainte
environnementale aille dans le sens de ce
ralentissement démographique. En effet, la
hausse de la densification de population
inquiète de plus en plus les Indiens et
influe beaucoup sur leur comportement.
L’Inde formerait plus d’ingénieurs que
tous les pays de l’OCDE. Cette main-
d’œuvre peu payée ne va-t-elle pas capter
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une grande partie de l’activité dans ce
secteur ?
Cette idée est fausse, l’Inde ne forme pas
assez d’ingénieurs et la pénurie est crois-
sante. De fait, il y a très peu d’écoles
d’ingénieurs dans le pays et elles forment,
chaque année, moins d’ingénieurs que la
France (environ 2 000). Il est vrai que le
taux de sélection des étudiants de ces
écoles implique que leur niveau final est
excellent. L’Inde connaît un blocage
éducatif par le haut et par le bas. Par le
haut parce qu’elle ne parvient pas à
démocratiser son éducation, à créer un
enseignement de masse, ce qui bloque la
croissance car des entreprises sont obligées
de fermer leur unité informatique par
manque de main-d’œuvre et de se déloca-
liser aux États-Unis. C’est l’exemple de la
relocalisation d’Apple. Mais cette tension
crée la première industrie du pays, la plus
florissante actuellement : les instituts de
formation. L’Inde est le pays au monde
s’ouvrent le plus d’établissements d’édu-
cation chaque année. C’est en ce sens qu’il
est intéressant d’investir en Inde. Et, en
cela, l’Inde est bien une économie de mar-
ché : elle utilise l’information que pro-
curent les déséquilibres de marché et elle
est relativement capable de répondre à ces
indicateurs. Ce qui n’est pas le cas de la
Chine.
C’est le manque d’ingénieurs qui pousse le
niveau d’éducation à la hausse et l’Inde
devrait dépasser la Chine dans ce domaine,
qui souffre d’un manque de professeurs
expérimentés.
Quelle est la situation des échanges
France-Inde aujourd’hui et quelles sont les
projections économiques possibles dans
10-15 ans ?
Il sera difficile de développer les échanges
réguliers entre ces deux pays. Du côté
français, les productions sont plutôt desti-
nées à des consommateurs aisés, donc a
priori pas les Indiens. Car, en Inde, on
épargne pour investir et les grands groupes
sont majoritairement des groupes privés
familiaux. Et les Indiens n’ont pas pour
habitude de consommer de manière fréné-
tique. L’Inde est plutôt consommatrice
d’équipements. En Chine, au contraire, les
investissements et la consommation sont
beaucoup plus légitimés.
Que deviendra le système des castes en
2025 ?
Aujourd’hui, 60 % de la population in-
dienne n’existe toujours pas du point de
vue des castes, un système qui est très lié
lié au marché du travail. Et le fait qu’il y
ait une transformation de l’agriculture et
des zones rurales et urbaines est important
car les castes étaient liées à ces structures.
Il est possible d’avancer deux thèses
concernant l’avenir des castes :
1) Celle de la réinvention de la caste
comme un élément clef du jeu politique.
En politique, déjà, des alliances intercastes
se forment pour conquérir le pouvoir. Et,
dès maintenant, le marché du travail opère
un mélange des castes assez fréquent. En
2025, deux tiers des emplois seront de
nouveaux emplois, ce qui impliquera a
priori un brassage social et donc un
mélange des castes.
2) La caste devrait rester un référent
politique si des intérêts supérieurs à ceux
des castes n’apparaissent pas, mais, sur le
plan sociologique, elles devraient progres-
sivement s’effacer. Le problème des castes
reste un problème de ressources humaines.
En réalité, il est possible que les problèmes
de l’Inde soient en partie internes.
L’exemple du groupe Tata, qui réalise plus
de 50 % de son chiffre d’affaires à
l’étranger, est révélateur de certaines li-
mites de l’Inde. Le dirigeant de ce groupe,
qui est conscient de ces limites, a choisi
d’orienter son activité plutôt vers l’étran-
ger, c’est le plus porteur pour lui. En
ce sens, les castes sont aussi des commu-
nautés, des groupes économiques. Le fait
d’appartenir à une caste détermine, pour un
homme d’affaires, ses stratégies. Or, sou-
vent, ils considèrent qu’il est difficile de
travailler en Inde à cause des problèmes
d’infrastructures et de financement.
Cécile Désaunay
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