ACTION DE RECHERCHE : SIMULATIONS MULTIECHELLES DE LA
PLASTICITE CRISTALLINE
L’objectif des approches multi-échelles est de relier entre elles des méthodes de simulation à
différentes échelles afin de faire remonter de l’information depuis les échelles fines vers les échelles
supérieures. Nous avons mis en œuvre un chaînage entre des simulations par Dynamique
Moléculaire (DM) qui étudient des mécanismes élémentaires de la plasticité à l’échelle nanométrique,
des simulations par Dynamique des Dislocations Discrètes (DDD) qui permettent de modéliser des
ensembles de dislocations en interaction à l’échelle micronique, et des simulations par Méthode des
Eléments Finis (MEF) qui donnent accès à l’échelle des milieux continus à de grands taux de
déformation plastique. Le point commun entre ces études est la plasticité cristalline par mouvement
de dislocations. Ainsi, le modèle éléments finis élaboré par E. Rauch utilise une loi de comportement
plastique dont les variables internes sont les densités de dislocations sur les différents systèmes de
glissement. Ce modèle mécanique étant fondé sur le mouvement des dislocations et leurs
interactions, il est possible d’en identifier les paramètres par des simulations de DDD. Ces dernières
sont réalisées à partir du code Tridis développé par Marc Verdier (SIMAP-PM) et Marc Fivel. Ce code
étant fondé sur les interactions élastiques entre dislocations, il ne permet pas de reproduire les
interactions impliquant les cœurs de dislocations. Ces dernières sont donc intégrées à l’aide de règles
locales déterminées par simulation en DM développées par D. Rodney. En 2006, ce chaînage multi-
échelle a été réalisé à travers cinq thèses. Deux thèses concernent un chaînage entre DM et DDD
pour étudier le comportement plastique de métaux sous irradiation. Deux autres thèses concernent un
chaînage DDD - MEF à travers la modélisation du comportement viscoplastique de la glace ou encore
l’élaboration d’un modèle continu de plasticité cristalline. Enfin, une dernière thèse soutenue en
décembre 2006 s’est concentrée sur l’identification de lois de comportement à partir d’essais
d’indentation.
1- CHAINAGE MD-DDD DEDIE A LA PLASTICITE SOUS IRRADIATION
Cette activité concerne d’un côté les métaux de structure Cubique à Faces Centrées (CFC), dans le
but de comprendre la localisation de la déformation plastique dans les aciers austénitiques utilisés
dans les structures internes des réacteurs nucléaires, et d’un autre côté, les métaux de structure
Cubique Centrée (CC) afin d’identifier des critères d’amorçage du clivage dans les aciers ferritiques
des cuves des réacteurs nucléaires. Ces deux thèses sont présentées dans la suite de cette section.
1.1 Approche multi-échelle de la plasticité des aciers austénitiques.
Pendant sa 1ère année de thèse, T. Nogaret a étudié à l’échelle atomique par DM les mécanismes
d’interaction entre des dislocations vis et coin et des boucles de Frank, qui sont les défauts contrôlant
la microstructure des aciers austénitiques irradiés. Afin de chercher de valider ces simulations, T.
Nogaret a passé sa 2ème année de thèse au CEA/Saclay (collaboration avec C. Robertson) afin
d’analyser par Microscopie Electronique en Transmission (MET) des échantillons irradiés et déformés.
Durant sa 3ème année, il réalise des simulations en DDD intégrant les mécanismes d’interaction à
l’échelle atomique, afin de simuler à l’échelle micronique la déformation plastique en présence de
défauts d’irradiation. L’objectif est de comprendre pourquoi la déformation plastique sous irradiation
est localisée dans ces bandes de cisaillement qui après déformation sont vides de défauts
d’irradiation (‘bandes claires’). Cette localisation mène à une instabilité plastique dangereuse pour
l’intégrité des structures.
Pour l’étude à l’échelle atomique, nous avons considéré un métal CFC pur, pris comme modèle : le
Cuivre. Nous avons utilisé un modèle d’interaction entre atomes qui prédit une large dissociation des
dislocations, comparable à celle des aciers austénitiques. Les simulations ont été réalisées à la
température de service des structures internes des centrales nucléaires (600 K) avec des défauts de
taille et de densité en accord avec les données expérimentales. Les mécanismes d’interaction sont
décrits selon une classification proposée pour un autre type de défauts d’irradiation, les tétraèdres de
fautes d’empilement. Nous avons établi une ‘matrice d’interaction’, c’est-à-dire une table donnant,
pour chaque configuration relative entre dislocation et boucle de Frank, le mécanisme d’interaction et
la résistance offerte par la boucle au passage de la dislocation.
Figure 1 : Deux dislocations vis en interaction avec un tour d’hélice : (a-b) la première dislocation absorbe la
boucle sous forme d’un tour d’hélice, (c-d) la seconde dislocation rejoint la première dans le tour, (e-f) la première
dislocation se libère et laisse le tour d’hélice sur la seconde.
Dislocations vis et coin se comportent de façons très différentes. Les dislocations coin cisaillent les
boucles dans la majorité des configurations alors que les dislocations vis absorbent systématiquement
les défauts. L’origine de cette différence de comportement vient de la capacité des dislocations vis à
effectuer des glissements déviés qui leur permettent de changer de plans de glissement et ainsi
d’interagir efficacement avec les boucles de Frank. Les dislocations vis sont donc responsables de la
disparition des défauts d’irradiation dans les bandes claires. Cependant, lorsqu’une dislocation vis
absorbe un défaut, elle acquière un tour d’hélice, comme montré sur les figures 1(a-b), qui est un
obstacle très résistant. Nous avons étudié les mécanismes de libération et avons obtenu des résultats
originaux dans le cas où deux dislocations interagissent avec la boucle et participent toutes deux au
tour d’hélice (figure 1(d-f)). T. Nogaret réalise actuellement des simulations en DDD qui intègrent la
différence de comportement entre dislocation vis et coin. Notre objectif est de vérifier si les
mécanismes observés à l’échelle atomique suffisent à expliquer la formation des bandes claires.
1.2 Modélisation du comportement plastique des aciers ferritiques
Le comportement plastique des métaux CC est encore très mal compris. L’origine est liée à la
structure non planaire du cœur des dislocations vis, avec comme conséquence que contrairement aux
métaux CFC, la loi de Schmid n’est pas valide pour les métaux CC dans le régime thermiquement
activé. L’objectif de la thèse est de construire un code de DDD dédié à la plasticité de l’acier CC dans
le régime thermiquement activé. Pour cela, nous avons choisi une démarche de multi-échelle partant
de simulations de DM qui donnent les lois de mobilité des segments vis à introduire dans le code de
DDD. Une application du nouveau code sera l’amorçage du clivage dans les aciers de cuve utilisés
dans les centrales nucléaires, en confrontant les résultats numériques aux observations en MET
réalisées au CEA/Saclay par C. Robertson. Pendant la 1ère année de la thèse de J. Chaussidon, nous
avons réalisé des campagnes de simulations de DM. Une difficulté de ces simulations est que les
modèles d’interaction entre atomes sont d’un réalisme limité dans les structures CC. Nous avons
comparé deux modèles qui prédisent des structures différentes pour les cœurs des dislocations vis.
Ces différences sont importantes car elles mènent à des plans de glissement différents. Nous avons
ensuite réalisé une campagne de simulations à différentes températures et contraintes afin de
construire la cartographie présentée à la figure 2-a.
Cette cartographie montre qu’il existe trois régimes d’écoulement : (1) pour les faibles températures et
les faibles contraintes, la dislocation avance en formant des doubles décrochements sur sa ligne qui
redevient parfaitement rectiligne lorsqu’elle a rejoint la vallée de Peierls suivante, (2) lorsque l’on
augmente la contrainte ou la température, les évènements de double décrochement sont plus
fréquents et on observe un régime d’avalanches, (3) pour des fortes contraintes ou températures, les
doubles décrochements ayant lieu dans des plans de glissement différents forment des
décrochements croisés (cross-kink) engendrant un régime ‘rugueux’. Ces changements de régime
s’accompagnent d’une rotation du plan de glissement par activation du glissement dévié de la
dislocation vis. Dans sa 2ème année de thèse, J. Chaussidon a intégré au code de DDD les
informations obtenues à l’échelle atomique (asymétrie maclage/antimaclage, glissement dévié).
Comme l’illustre la figure 2-b, ce code est actuellement utilisé pour simuler la déformation en flexion
de lattes de ferrite représentatives de la microstructure des aciers de cuve des centrales nucléaires.
Figure 2 : (a) Cartographie de la cinétique d’une dislocation vis : pour chaque couple de température et de
contrainte sont données la vitesse en nm/ps et l’angle entre le plan moyen de glissement et un plan {11} de
référence, (b) exemple de simulation en DDD dans le régime thermiquement activé.
2- CHAINAGE DDD-MEF
2.1 Modélisation du comportement visco-plastique de la glace
La glace est le principal matériau d’étude du Laboratoire de Glaciologie et Géophysique de
l’Environnement de Grenoble. Une des activités de ce laboratoire consiste à dater les carottes de
glaces prélevées dans les calottes polaires. Pour cela, il est nécessaire de maîtriser la modélisation
de leur comportement élasto-visco-plastique. Le monocristal de glace possède une structure
hexagonale pour laquelle la plasticité est principalement confinée dans les systèmes basaux. Cette
originalité de comportement est à l’origine de la forte anisotropie de la déformation plastique. Afin de
comprendre la cinétique de cette déformation plastique, des essais de torsion en fluage sont réalisés
sur des monocristaux dont l’axe c est orienté colinéairement à l’axe de torsion. Ainsi, le glissement sur
les systèmes basaux est activé avec un effet de taille lié au rayon du cylindre. L’objectif des
modélisations par dynamique des dislocations de la glace est de comprendre l’origine physique du
fluage observé expérimentalement. Pour cela, le code DDD dédié aux structures CFC est légèrement
modifié. Les systèmes basaux (0001) de la glace sont représentés par les trois systèmes coplanaires
d’un plan {111} du réseau CFC. Le glissement dévié est autorisé sur les systèmes prismatiques
partageant un vecteur de Burgers avec un système basal. Le moment de torsion est appliqué autour
de l’axe (111) du réseau cristallin. Des sources de dislocations sont disposées sur l’extérieur du
cylindre, où la contrainte de cisaillement est maximum. Le moment de torsion induit une cointrainte de
cisaillement qui poussent les dislocations vis vers l’axe du cylindre, formant ainsi un joint de torsion
(figure 3a). Si le champ des contraintes internes est favorable, les segments vis des systèmes basaux
peuvent changer de système de glissement pour vier dans les systèmes prismatiques (figure 3).
Une première campagne de simulations a montré qu’une telle modélisation permet effectivement de
reproduire le comportement en fluage de la glace.
En perspective de ce travail, la thèse de J. Chevy devrait aboutir sur une modélisation mécanique du
monocristal de glace à partir des résultats conduits en DDD. Des simulations de torsion inverse seront
également menées pour vérifier l’origine du durcissement. Finalement, les résultats obtenus seront
introduits dans le code de Fast Fourier Transform développé par R. Lebenhson (LANL, USA). Ces
travaux sont menés en collaboration étroite avec P. Duval, M. Montagnat, J. Weiss et F. Louchet du
LGGE.
(a) (b)
Figure 3 : Simulation de la torsion suivant l’axe c d’un monocristal de glace. a- Empilement des dislocations dans
les systèmes basaux. b- Epaississement de la bande de glissement par glissement dévié.
2.2 Développement de relations de comportement macroscopiques
Un modèle de plasticité cristalline dédié aux monocristaux CFC a été développé par L. Tabourot,
E. Rauch et C. Teodosiu. Il s’agit d’un modèle à variables internes fondé sur les densités de
dislocations sur les différents systèmes de glissement. Chaque paramètre des relations
constitutives possède une signification physique mais leur valeur reste difficile à appréhender du
fait du passage à la moyenne sur chaque système de glissement. Pour calculer ces paramètres,
on peut utiliser une méthode inverse pour reproduire des comportements obtenus
expérimentalement (en traction, cisaillement, torsion,..), mais on peut également utiliser le code de
DD pour lequel la boîte de simulation est un volume élémentaire représentatif du monocristal. Une
telle démarche a été conduite dans le cas de monocristaux de cuivre pur et le jeu de paramètres
obtenu reproduit parfaitement les trois stades de la courbe de traction uniaxiale. Dans le cadre de
la thèse de Hyung-Jun CHANG, ce jeu de lois de comportement a été implémenté dans le code
MEF ABAQUS. La routine UMAT dédiée à l’intégration implicite ainsi que la routine VUMAT
nécessaire à une intégration explicite ont été développées en collaboration avec H.N. Han de
Seoul National University. Désormais il est possible de simuler le comportement visco-plastique de
tout volume de matériaux sollicité sous un chargement complexe en utilisant les lois de
comportement à base de densités de dislocations. Un exemple est donné sur la figure 4 dans le
cas de la simulation de l’essai d’indentation suivant les orientations (110) et (100).
Figure 4 : Simulations d’une indentation sphérique (Rind=420nm) suivant l’axe (110) et (100) à une profondeur
de 50nm dans un monocristal de cuivre. Les couleurs représentent les isovaleurs du déplacement selon l’axe
d’indentation.
Actuellement, nous poursuivons les développement de ce type de lois de comportement à base de
densités de dislocations notamment en utilisant les résultats de la thèse sur la fatigue de C. Depres
pour déterminer des paramètres d'écrouissage cinématiques qui font défaut à ce modèle cristallin.
Toute la difficulté du travail consiste à déterminer l'évolution de cette quantité avec le taux de
déformation plastique. Or, la plupart des modèles cristallins phénoménologiques utilisent des lois
d'écrouissage qui ont largement prouvé leur validité. Nous concentrons donc notre effort sur
l'identification de ces paramètres phénoménologiques tout en cherchant à les relier à la physique de la
déformation plastique et plus particulièrement aux statistiques propres aux dislocations. Ces travaux
sont menés en collaboration avec C. Depres et L. Tabourot du laboratoire SYMME à Annecy.
3. IDENTIFICATION DUNE LOI DE COMPORTEMENT A PARTIR DESSAIS DINDENTATION
L’essai de nanoindentation est un moyen non destructif de sonder les propriétés locales d’un
matériau. Il est alors tentant de mesurer des grandeurs autres que la simple dureté comme par
exemple un coefficient d’écrouissage et une limite d’élasticité de l’échantillon sondé. Dans le cas
d’une indentation effectuée avec une pointe auto-similaire comme un cône, on démontre qu’il n’est
pas possible de déduire plus de deux paramètres d’une courbe de charge-décharge. Dans une telle
situation, la phase de charge de la courbe est parfaitement reproduite par une loi P=Ch2P est la
force sur l’indenteur, h la pénétration de la point et C une constante homogène à une contrainte. La
thèse de L. Charleux démontre qu’un moyen pertinent de classer différents matériaux consiste à
calculer le rapport des travaux Wirr/Wtot et le rapport C/E et de représenter une courbe de charge par
un point dans le plan (C/E, Wirr/Wtot) (figure 5). Cette méthode a été appliqué au cas de verres
métalliques pour lesquels une loi de type Drucker-Pragger est retenue pour reproduire le
comportement plastique. Dans le plan (C/E,Wirr/Wtot) on constate que les matériaux suivant une telle
loi de comportement et sont toujours situés au dessus d’un matériau élastique parfaitement plastique
au sens de Von Mises. Une méthode inverse utilisant des campagnes de simulations MEF ont permis
d’identifier simultanément la limite d’élasticité y et le coefficient de sensibilité à la pression . Une
autre application a été effectuée sur un alliage d’aluminium-magnésium pour lequel nous avons pu
identifier à la fois la limite d’élasticité y et le coefficient d’écrouissage n d’une loi de type Hollomon.
Dans le plan (C/E, Wirr/Wtot), la famille des matériaux décrit par une loi d’Hollomon se situe au
dessous de la borne de Von Mises. Bien qu’élégante car graphiquement exploitable, la méthode
proposée ne permet pas de déterminer plus de deux paramètres. Elle ne s’applique donc qu’à
l’identification de comportement plastique simple. La thèse propose un moyen original de déterminer
un troisième paramètre en n’exploitant toujours que les données fournies par la seule courbe
d’indentation. Il consiste à utiliser le défaut de pointe toujours présent sur les indenteurs. En
comparant la vitesse à laquelle la courbe de charge converge vers la loi puissance signalant le régime
autosimilaire pour deux matériaux indentés avec la même pointe, nous démontrons qu’il est possible
de tirer une troisième information qui peut être par exemple le module d’Young du matériau.
WIR
P
hf
0
0 hmax
S
P=Ch²
P=Pd(h) WR
h
(a) C/E
WIR/Wtot
Drucker-Prager
α
α=0,n=0
Hollomon
n
Figure 5 : Courbe de charge type obtenue en indentation auto-similaire et représentation du plan C/E,Wirr/Wtot
ui permet de discriminer des matériaux de comportement différents.
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