CH 5. Le financement des PME.

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Financement des
entreprises
Cours
Prof. Jean-Louis BESSON
Sommaire
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)#'(############################################################################# *#!# ############################################################################################################ JLBesson – Financement des entreprises
CH 5. Le
financement des
PME.
Nous terminons cette présentation du financement des entreprises par la
problématique du "small business finance", aussi intéressante sur le plan théorique
(imperfection des marchés) que sur le plan pratique puisque le plus grand nombre
des entreprises sont des PME : en Europe (EEE + Suisse), les 2/3 des personnes
occupées travaillent dans des entreprises de ce type.
Sur des marchés parfaits, PME et GE auraient accès au financement dans les
meilleures conditions. En réalité, non seulement les marchés financiers sont
fermés à la plupart des PME mais encore elles se plaignent la plupart du temps de
manquer de financement bancaire ou de se voir proposer des conditions trop
dures. Récemment, on a parlé de "rationnement du crédit" et cité des entreprises
étranglées par leur banque qui, du jour au lendemain, annulait des lignes de crédit
ou exigeait des garanties invraisemblables.
Un financement insuffisant briderait la croissance des PME, et même leur
activité. Ce serait un problème pour les entrepreneurs mais aussi, compte tenu de
l'importance des PME dans le tissu économique, un problème macro : la
production, l'emploi, le revenu national et le taux de croissance à long terme
seraient alors au-dessous du potentiel.
La question se pose à cause de la faible taille du bilan et de l'opacité
informationnelle des PME. La section 1 étudie les preuves en faveur de l'existence
d'une contrainte financière. La section 2 analyse la relation entre opacité
informationnelle et financement.
1. Y-a-t-il une contrainte financière ?
Ce sera le cas si l'on peut mettre en évidence empiriquement une
discrimination entre les GE et les PME au niveau de l'accès au financement et/ou
des conditions de financement. Un tel test n'est pas simple (§1.2) car les termes de
la question sont eux-mêmes problématiques (§1.1).
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1.1. Difficultés d'analyse
Le financement des PME constitue un programme de recherche difficile pour
trois raisons principales : la première concerne l'objet (la contrainte financière), la
seconde son analyse (les données), la troisième le sujet (les PME) :
a) La contrainte financière
Que les PME supportent des conditions de crédit qu'elles jugent (ou déclarent)
trop dures n'implique pas qu'elles soient discriminées. Nous l'avons vu, le prix
doit payer le risque. Si le risque anticipé est élevé, il demande une prime de risque
qui ne plaît pas à celui qui la paye, surtout si dernier pense que le risque est
moindre sans pouvoir convaincre (asymétrie d'information).
A priori, accorder du financement à une PME expose à des risques spécifiques
en raison des lacunes de l'information disponible et la vulnérabilité de l'entreprise.
Un risque plus élevé entraîne un coût plus élevé (auquel s'ajoutent les frais fixes
de tout financement qui pèsent d'autant plus que le montant est plus faible).
Mais, quoique le risque individuel d'une PME soit plus élevé que celui d'une
GE, on sait que l'exposition au risque (même inconnu) diminue par
diversification : un pool de 500m de crédits PME n'est pas plus risqué qu'un pool
de crédits GE d'un montant équivalent. Dans ce cas, le crédit aux PME ne justifie
pas de surcoût lorsqu'il n'est pas accordé dans un cadre de finance directe
(investisseur totalement exposé au risque) mais dans un cadre d'intermédiation :
une institution financière distribue des crédits à une multitude de PME et détient
donc un portefeuille de crédits PME diversifié. Allons plus loin : un tel
portefeuille est moins risqué qu'un portefeuille égal de crédits GE car les
corrélations au sein d'un pool de crédits PME diversifiés sont plus faibles qu'au
sein du pool de crédits GE et le risque agrégé moindre. En effet, les PME
présentent un risque spécifique (idiosyncrasique) élevé pour plusieurs raisons :
- le capital humain inobservable (et en particulier la dépendance à
l'entrepreneur) est un facteur fondamental de la performance et donc de la valeur
d'une PME ;
- l'activité est habituellement spécialisée, voire limitée à une niche ;
- le nombre de fournisseurs et de clients est réduit.
Toutefois, même si le risque du crédit aux PME est égal ou inférieur à celui
du crédit aux GE, il n'en va pas de même du coût du risque car la perte probable
ne dépend pas seulement des probabilités de défaut et de leur corrélation, mais
aussi du taux de recouvrement prévisible dans cette hypothèse. Comme les PME
ont une plus faible base en capital et offrent moins de collatéral que les GE, le
taux de recouvrement attendu est inférieur et la perte probable plus grande.
Ainsi, finalement, une prime PME est acceptable, quoique mal acceptée : la
négociation PME/ banque a des aspects "pot de terre" vs "pot de fer" et se conduit
"du faible au fort", ce qui alimente les comportements de guérilla et les actions
collectives (lobbying et/ou pression électorale) pour réclamer aux pouvoirs
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publics, soit de faire pression sur les banques, soit de subventionner les crédits ou
de mettre en place des dispositifs préférentiels. La pression financière ressentie
par les PME ne prouve pas la contrainte financière.
b) Les données
Quelle est la structure financière des PME ? S'écarte-t-elle significativement de
celle des grandes entreprises ? Les différences dans la composition des bilans
attestent-elles une contrainte financière ? Le matériel empirique utilisable pour
répondre à ces questions pose lui-même problème :
- la structure financière effective des PME est difficile à observer à cause de la
multitude d'entreprises et de leur hétérogénéité : "a typical SME does not exist" et
les écarts au sein d'une classe de taille apparaissent plus importants que les écarts
entre classes. Par exemple, les entreprises high growth-high risk et low growthlow risk n'ont rien de comparable et les premières obtiennent assez facilement du
financement, même en capital ;
- compte tenu du caractère personnel de la propriété du capital, de
l'entrelacement entre l'entreprise et l'entrepreneur qui va jusqu'à leur fusion pour
les owner-managers, c'est le bilan agrégé entreprise/entrepreneur qu'il faudrait
considérer et il n'y a pas de données là-dessus.
Si l'opacité informationnelle est, nous le verrons, la cause principale des
difficultés de financement, c'est aussi celle des difficultés de son analyse. La
comptabilité est souvent rudimentaire, l'information stratégique et financière
absente, surtout pour les plus petites entreprises ne recourant pas au crédit
("financièrement autarciques"). Les bases de données, même de dimension
colossale, ne couvrent pas tout le champ et restent limitées à l'industrie (comme la
base européenne AMADEUS) ou aux entreprises actives dans le crédit
commercial (bases des assureurs-crédits). L'observation directe des conditions
financières et des informations détenues par les banques est impraticable. On en
est donc réduit à des bases de données incomplètes ou biaisées, d'une part, et,
d'autre part, à des enquêtes difficiles à interpréter.
c) La notion de PME
La notion de PME elle-même n'a pas de contenu conceptuel : "small business"
(PME) est une notion indéfinie. La qualification statistique est habituellement
basée sur les effectifs qui sont des données facilement observables mais pas
toujours significatives. Mais surtout, la notion de PME renvoie indistinctement à
la taille et à l'âge de l'entreprise, c'est-à-dire à la fois à la statique et à la
dynamique.
Si toutes les PME étaient dans une dynamique de croissance, on pourrait
approximer l'âge par la taille. Les grandes entreprises ont souvent commencé
"petites" et ont "grandi". Dans les petites entreprises d'aujourd'hui se trouvent les
germes de quelques unes des futures grandes. Mais "quelques unes" seulement :
un très grand nombre de petites entreprises ne grandiront pas ou grandiront peu,
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soit qu'elles n'y parviennent pas et restent petites à l'âge "adulte", soit qu'elles
n'essaient plus de grandir dès qu'elles produisent un revenu suffisant à
l'entrepreneur : "Not at all firms are structured financially in anticipation of
following a path from inception to IPO" remarquent Berger et Udell (1998). Ce
n'est qu'à l'entreprise de croissance que s'applique leur "financial growth cycle" :
au fur et à mesure qu'elle grandit en âge, en taille, se diversifie, produit et diffuse
davantage d'information, l'entreprise fait ses preuves, les actifs immatériels
engendrent des actifs matériels observables, l'asymétrie d'information diminue
ainsi que la nécessité du financement interne (inside finance). Le financement
externe (outside finance) s'ouvre, d'abord hors marché, auprès de spécialistes du
capital-risque, ensuite sur un marché de gré à gré (private market) et, si la
croissance va jusqu'à l'apothéose de l'IPO, sur des marchés publics (public
market).
Loin de ce schéma, dans le commerce de détail et l'artisanat (industriel ou
serviciel), on trouve une multitude d'entreprises qui resteront petites car le
changement d'échelle en modifierait le modèle organisationnel de manière non
désirée par l'entrepreneur. On parle de "mom & pop companies" pour désigner les
micro-entreprises familiales. On parle aussi de "life style ventures" pour désigner
celles qui ont pour fonction d'offrir à l'entrepreneur un travail indépendant et/ou la
satisfaction fructueuse d'un hobby. Ces entreprises, souvent sans salarié, n'ont pas
vocation à grandir car cela en bouleverserait le quotidien, renforcerait les
contraintes légales, obligerait à ouvrir le capital, changer de style de direction et
de comportement stratégique.
Quant aux entreprises qui croissent, elles ne visent pas toutes la taille
maximale. La taille atteinte à l'âge "adulte" (lui-même difficile à spécifier) traduit
un complexe mélange d'éléments environnementaux (le marché, pour faire bref) et
d'éléments comportementaux (l'entrepreneur, pour faire bref) qui concourent à
fixer la taille finale.
La métaphore organique (croissance et vieillissement) est trompeuse : si un
enfant grandit naturellement, une entreprise doit se battre pour le faire. Il s'ensuit
que sa taille est, en partie, une question de choix. Aussi la pyramide des tailles
n'est-elle pas la photographie d'un processus de sélection naturelle. Mais, s'il est
erroné de conceptualiser de la même manière toutes les PME, l'approche
empirique ne peut pas distinguer, ex ante, entre les jeunes entreprises et les
petites entreprises ou, pour le dire autrement, entre les entreprises qui sont
"petites" parce qu'elles sont jeunes et celles qui, adultes, sont restées petites ou
moyennes. Ce n'est qu'a posteriori qu'on saura si une jeune entreprise a survécu, a
crû et jusqu'où ! Par elle-même, la taille entraîne certains problèmes qui sont
alors communs aux "jeunes" et aux "petites" mais, pour les premières, ce sont des
problèmes transitoires qui s'inscrivent dans une dynamique alors que, pour les
secondes, ce sont des données structurelles. Il s'ensuit une multitude de
différences :
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- les start ups ont, en moyenne, à la naissance une probabilité de défaut à 5 ans
de 50% alors que, pour nombre de PME "établies", en dépit de facteurs de
vulnérabilité, la probabilité de défaut n'est pas beaucoup plus élevée que celle des
grandes entreprises ;
- financer une start up revient à acheter une option sur sa valeur future alors
que financer une PME "établie" se fait sur la base de la valeur présente de la
firme ;
- lorsqu'une entreprise est conçue pour croître, la dimension stratégique (et les
instruments de gestion) est plus développée. Le financement interne n'est pas
purement contraint, c'est un choix : minimiser le recours au crédit diminue la
probabilité des difficultés financières. En effet, tant que l'entreprise n'a pas décollé
et qu'elle ne dégage pas de flux de trésorerie suffisants, le levier amplifie les gains
mais aussi les pertes. La présence de dette bancaire obligerait l'entreprise à
maximiser sa profitabilité à court terme au détriment de l'investissement, pour
assurer le service de la dette et éviter la faillite. Quand l'entreprise génère des
revenus plus stables, la pression de la dette diminue et l'horizon s'allonge. En
outre, si la nouvelle entreprise doit résister aux attaques de firmes rivales
prédatrices, il vaut mieux qu'elle ne soit pas fragile financièrement (sauf si les
rivaux sont eux aussi fortement endettés).
Voir : Huyghebaert et al, 2007, "The Choice between Bank Debt and Trace Credit in
Small
Business
Economics,
vol.
29,
Springer.
Business
Start-ups",
http://www.springerlink.com/content/93h3090627848673/fulltext.pdf
1.2. Une approche empirique
La structure financière effective des PME est-elle différente de celle des
grandes entreprises ? Se caractérise-t-elle par la prédominance du financement
interne ? S'il y a prédominance du financement interne, comment l'interpréter ?
résulte-t-elle d'un choix ou d'une contrainte ? les "owners-managers" manifestent
une forte préférence pour le secret, l'indépendance et les "private benefits of
control" et, de ce fait, peuvent avoir des comportements financiers particuliers.
En raison des problèmes qu'on vient d'exposer (§1.1), il n'est pas aisé de
trouver des réponses concluantes à ces questions. Nous donnons une illustration à
partir d'une étude faite par la Banque européenne d'investissement.
EIB 2003, Europe’s changing financial landscape : The financing of small and
medium-sized enterprises, EIB papers, vol 8/2
http://www.eib.org/infocentre/publications/eibpapers-2003-v08-n02.htm
a) Données empiriques sur la structure financière des PME
Wagenvoort ("Are finance contraints hindering the growth of SMEs in
Europe?") étudie la structure financière des entreprises en Europe (EEE+SW) en
les répartissant en 5 classes d'effectifs (very small <10 ; small 10 à 50 ; medium 50
à 250 ; large 250 à 5000 ; very large >5000) à partir de la base de données
AMADEUS (200000 observations portant sur 45000 firmes de l'industrie
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manufacturière et de la construction pour 1998/2000) dont l'auteur exclut les "very
small" (<10 employés ) et les firmes dont le bilan ne contient pas de dette
financière ou de dette commerciale. Notez que, de ce fait, l'échantillon est biaisé.
Le graphique 2 ci-dessous à droite montre que la part du capital et de la dette
financière dans le total du passif est semblable d'une catégorie d'entreprises à
l'autre : la part du capital n'augmente que faiblement (de 34% pour les petites
entreprises à 37% pour les plus grandes) et, complémentairement, la part de la
dette financière est un peu plus élevée pour les petites. Comme on s'y attend, la
part de la dette commerciale diminue quand la taille de l'entreprise augmente.
Du côté des actifs (à gauche), il y a davantage de différences : la part du capital
fixe augmente avec la taille et inversement pour la part du crédit commercial, ce
qui est conforme à l'intuition. On s'attend à ce que les petites entreprises, ayant
des difficultés à trouver du financement externe, le remplacent par le crédit
commercial.
Néanmoins, les choses sont un peu plus compliquées. L'auteur note que, si l'on
regarde à la fois les deux côtés du bilan (gr.3 ci-après), pour les PME petites et
moyennes, le montant du trade credit à l'actif est nettement supérieur à celui du
trade debt au passif. Elles sont donc créditrices nettes, ce qui augmente leur BFR.
Leur bilan montre qu'elles parviennent à financer cette position, que ce soit de
manière interne ou externe. Il en résulte qu'il faudrait nuancer la thèse que les
SME utilisent le crédit commercial pour remplacer les crédits d'exploitation.
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Trade debt
Trade credit
En comparaison internationale, la désagrégation par pays ne semble pas
indiquer une grande différenciation des structures financières selon la taille (sauf
en Allemagne où pour des raisons fiscales les PME souffrent d'un equity gap) et il
n'apparaît pas de contrainte financière des PME.
b) Offre ou demande ?
Pour affiner le test de l'existence d'une différenciation financière, Wagenvoort
procède à l'analyse économétrique de la sensibilité de la croissance de l'entreprise
(croissance des actifs) par rapport aux cashflows. L'idée est que la sensibilité de la
croissance aux cashflows mesure l'ouverture du financement (finance externe) :
une sensibilité élevée traduit la dépendance à l'égard de l'autofinancement, une
sensibilité faible l'utilisation d'autres ressources pour financer la croissance.
Les résultats vont dans le sens attendu et traduisent une relation inverse entre
sensibilité et taille de l'entreprise : la sensibilité de la croissance par rapport aux
cash flows diminue lorsqu'on passe des petites et très petites entreprises dont la
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sensibilité est proche de 1, aux moyennes (0,7), aux grandes (0,6) et très grandes
(<0,5).
L'auteur conclut : "The growth of smaller firms is to a larger extent determined
by the availability of internal funding than the growth of larger firms"
(Wagenvoort, p42).
Mais ce résultat ne dit toujours pas si les PME ne peuvent pas obtenir le
financement externe (contrainte) ou si elles ne le demandent pas.
Dans une autre contribution à cet EIB paper, Guiso ("Small business finance in
Italy") étudie la disponibilité du crédit des PME italiennes à travers plusieurs
variables. Il constate que la proportion de firmes sans dette est beaucoup plus
élevée que celle des firmes contraintes. Il en infère que la différence est constituée
de firmes qui n'ont pas de crédit alors qu'elles pourraient en avoir ("many firms
with zero debt are not excluded from the credit market"), ce qui laisse penser
qu'elles n'en veulent pas ou qu'elles n'en ont pas besoin : "They do not want to
borrow".
Il existerait ainsi un comportement de financement interne (endogène) à côté
de la contrainte exogène (rationnement ou discrimination). Ce comportement peut
s'expliquer en partie par les préférences des entrepreneurs (indépendance) et en
partie par les coûts additionnels du financement externe (coûts fixes et
surtarification).
On peut réinterpréter en ces termes la "contrainte financière" large mise en
évidence par Wagenvoort : la relation croissance/cashflows des PME peut ne pas
traduire l'insuffisance de financement externe (facteur d'offre) mais une
préférence pour le financement interne (facteur de demande).
D'après les données utilisées par Berger & Udell (1998) plus de la moitié des
PME américaines (54,23%) n'avaient alors à leur passif aucun prêt bancaire. On
ne sait pas si l'explication est à chercher du côté de l'offre ou de la demande.
2. Information et financement
Cette section approfondit l'analyse du problème informationnel posé par les
PME. Nous admettrons d'abord que cette déficience limite l'accès au financement
externe et présenterons la solution classique, le relationship banking (§2.1) : la
banque extrait de l'information à partir de la relation de clientèle. Il semble en
résulter une spécialisation des grandes banques dans l'information "dure" et des
petites banques dans l'information "molle" que nous discuterons (§2.2).
2.1. Relationship banking
Sur la base de Sharpe, 1990, "Asymmetric information, bank lending and implicit
contracts", Journal of Finance, vol 45 et Rajan, 1992, "Insiders and outsiders: the choice
betwen informed & arm's length debt", Journal of Finance, vol 47/4 sept), les références
principales sont :
- Berger, Udell, 1998, "The economics of small business finance", Journal of
Banking & Finance, vol 22, n°6 (complété par : Berger, Udell, 2006, "A more complete
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conceptual framework for SME finance", Journal of Banking & Finance, vol. 30/11)
- Boot, 2000, "Relationship banking: what do we know?", Journal of Financial
Intermediation, vol 9.
a) opacité informationnelle des PME et crédit
Dans l'univers de l'information, les PME, comme, sur les anciennes cartes, les
pays inexplorés, ressemblent à une tâche blanche. Leur nature même les rend
opaques (informationnaly opaque).
Pour une entreprise naissante, les actifs sont principalement immatériels et
inobservables : le projet industriel, la technologie, les promesses du marché, la
détermination et la capacité de l'entrepreneur.
Les PME étant pour la plupart non cotées, les obligations légales d'information
sont réduites au minimum. Dans une large mesure, ces entreprises sont la
propriété personnelle de l'entrepreneur ou d'un groupe de personnes et les contrats
qu'elles passent (avec les financeurs, les clients et fournisseurs) ne sont pas
visibles à l'extérieur. De très nombreuses PME n'émettent ni information
comptable ou financière, ni information stratégique.
Il est alors à craindre que le problème du financement devienne insoluble et
que ces entreprises subissent un rationnement du crédit qui les contraindrait au
financement interne et, de ce fait, limiterait l'envergure de leur activité et le
rythme de leur croissance. Ces entreprises sans crédit bancaire ne sont pas, pour
autant, en dehors du champ de la finance : comme les autres, elles doivent gérer
leur trésorerie et financer leurs investissements, même s'ils sont réduits. Leur
financement repose alors sur leurs capitaux propres, des comptes de tiers ou des
prêts du gérant. Il est entièrement interne, même si, comme on le verra, les
entrepreneurs peuvent jouer un rôle d'intermédiation en empruntant
personnellement pour prêter à l'entreprise. Ce raisonnement appuie l'idée d'un
rationnement du crédit qui serait logique puisque l'opacité informationnelle rend
le risque difficile, voire impossible, à estimer.
Attention, "rationnement du crédit" est une expression galvaudée qu'on emploie
souvent à tort en confondant un phénomène cyclique et un phénomène structurel. Dans
la phase décroissante du cycle, et plus encore en période de crise financière, les
entreprises ressentent des conditions de crédit plus strictes : les lignes de crédit sont
suspendues ou renégociées ; les taux d'intérêts demandés augmentent (ou ne baissent
pas autant que le coût du refinancement bancaire) ; les maturités sont raccourcies ; des
garanties additionnelles sont exigées. Du coup, les entreprises qui ne peuvent pas ou ne
veulent pas accepter ces conditions n'obtiennent pas de financement, ce qui aggrave
leur situation ou même les fait tomber dans les difficultés financières.
Un tel resserrement du crédit n'est pas un rationnement, mais une illustration de la
regrettable procyclicité de la finance : le cycle financier suit le cycle économique avec un
décalage et l'amplifie. En période d'expansion, les profits des banques sont élevés ce
qui gonfle leurs fonds propres et, d'autre part, la croissance anticipée des résultats des
emprunteurs diminue le risque de crédit. Aussi le crédit est-il abondant et peu coûteux,
ce qui excite (parfois exagérément) l'activité et les investissements des entreprises. Au
contraire, en période de contraction, le risque des emprunteurs augmente ce qui
nécessite davantage de fonds propres au moment où leur génération diminue ou devient
négative (pertes bancaires provenant des opérations de marché ou des crédits). La
contraction des bilans est un processus cumulatif qui va de l'actif (pertes sur crédits) au
passif (fonds propres) et du passif à l'actif jusqu'à ce que soit rétablie la proportion
requise (soit économiquement, soit réglementairement) entre les crédits et les fonds
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propres. Ceci n'est pas un "rationnement".
Pour qu'il y ait "rationnement du crédit", il faut (Stiglitz, Weiss, 1981, "Credit rationing
in markets with imperfect information", AER, vol 71 n°3, pp 393/410) que des entreprises
se voient refuser un prêt alors qu'elles sont prêtes à payer le prix prévalent pour un prêt
de ce type à un emprunteur de cette classe de risque. C'est alors la preuve d'un
ajustement par les quantités. Par contre, si le prix (monétaire et non monétaire)
augmente à cause d'une dégradation du marché bancaire, l'évincement des entreprises
qui n'acceptent pas ces conditions ne peut pas être qualifié de rationnement car c'est un
ajustement par les prix.
La possibilité d'un rationnement du crédit découle de l'opacité
informationnelle puisque celle-ci rend le prix inopérant, donnant au marché du
crédit aux PME les caractéristiques du fameux "lemon market" d'Akerlof (1970).
On sait que le modèle est celui des automobiles d'occasion de gré à gré, caractérisé
par l'hétérogénéité du produit : il y a de bonnes et de mauvaises automobiles dont le
vendeur connaît les propriétés mais que l'acheteur ne sait pas différencier ex ante, il ne
saura qu'ex post, après avoir acheté et roulé, s'il a fait une bonne ou une mauvaise
affaire. Les vendeurs de bonnes autos veulent un prix suffisant tandis que les vendeurs
de "rossignols" acceptent un prix plus bas. Mais les acheteurs ne peuvent pas courir le
risque de payer le prix normal pour un rossignol. Aussi proposent-ils des prix inférieurs,
ce qui pousse les "bons" vendeurs à se retirer du marché. Lorsqu'il ne reste plus que
des rossignols, les acheteurs se retirent aussi et le marché disparaît.
La similitude saute aux yeux : les PME savent à peu près quel risque elles
représentent mais, faute d'information, les prêteurs ne peuvent pas discriminer ex
ante, il leur faut accorder le crédit et attendre de voir s'ils sont payés. Le taux
d'intérêt augmente pour payer l'incertitude, ce qui fait fuir les "bons" emprunteurs,
les entreprises raisonnables pour lesquelles le prix à payer obère la rentabilité. Il
reste les aventuriers (appétit pour le risque exagéré) et les mauvais payeurs. Cette
sélection adverse intervient lors de l'octroi des crédits. Ce phénomène est
renforcé pendant la durée du crédit : le coût excessif de l'endettement incite ou
oblige l'emprunteur à augmenter sa prise de risque pour maximiser ses résultats
(hasard moral), ce qui l'expose aux difficultés financières. Dans une telle
configuration où le prix ne remplit pas sa fonction à cause de l'hétérogénéité des
produits (inobservable ex ante), l'ajustement par les prix est remplacé par
l'ajustement des quantités. Le marché s'éteint ou disparaît. Le rationnement du
crédit serait un phénomène d'offre résultant de l'incertitude (retrait de l'offre pour
une catégorie d'emprunteurs) et non de demande (retrait de la demande en raison
de conditions trop dures).
Dans ces conditions, l'opacité fermerait l'accès au financement externe si elle
n'était, au moins en partie, dissipée par le relationship banking.
b) asymétrie d'information et intermédiation financière
En général, pour que les investisseurs égalisent les rendements ajustés du
risque offerts par tous les actifs alternatifs, il leur faut une information suffisante
sur les rendements futurs et leur risque. Le premier problème vient de l'asymétrie
d'information : du fait que le demandeur et l'offreur de financement sont des
personnes ou institutions distinctes (à la différence de l'autofinancement),
l'incertitude de l'investisseur ne porte pas seulement sur le projet mais aussi sur
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l'information disponible pour analyser le projet. C'est le promoteur du projet qui
détient les informations techniques, économiques et financières sur le projet et sur
lui-même. L'hypothèse de transparence suppose qu'il les transmet à l'investisseur
et que les deux partagent le même ensemble d'informations. Ce n'est pas toujours
le cas : volontairement ou involontairement, le promoteur du projet peut retenir
des informations. Il est à craindre aussi que, puisque ce n'est pas son propre argent
qu'il risque mais celui des investisseurs, il soit disposé à faire preuve de plus
d'audace que l'investisseur n'en accepterait et, en conséquence, à dissimuler des
facteurs de risque.
Là se trouve la raison d'être de l'intermédiation financière qui ne se limite pas
à la dimension quantitative (centralisation des fonds et allocation des ressources).
Les intermédiaires financiers offrent aux investisseurs un risque limité et
observable sur eux-mêmes et prennent à leur place le risque inconnu sur les
demandeurs finaux de financement. Voilà plus de 50 ans que la théorie financière
a établi que l'intermédiation répond aux imperfections des marchés. Les
intermédiaires financiers sont mieux équipés que les investisseurs finaux pour
extraire l'information et pour la traiter. Une fois le financement accordé, ils
exercent, pour le compte de ces derniers, une fonction de surveillance (delegated
monitoring).
Il est établi qu'une relation bancaire de long terme (relationship banking)
diminue l'asymétrie d'information parce que l'histoire des comptes de l'entreprise
donne à la banque des informations privées sur sa "personnalité", ses flux de
trésorerie, ses habitudes de paiement, son respect des contrats. La continuité
relationnelle compense l'insuffisance des informations publiques. Plus
précisément (Boot, 2000), le relationship banking ("banque relationnelle") est une
relation spécifique de long terme : une banque fournit à une entreprise une
multitude de services dans la durée. Ce schéma s'oppose au transaction
banking ("banque transactionnelle") où la banque propose un même type de
services à une multitude de clients, sur la base d'informations adéquates obtenues
de manière standardisée et traitées de manière standardisée, voire automatique.
Le relationship banking ne se caractérise pas seulement par la durée, il
présente trois caractéristiques qui l'opposent au transaction banking:
• la banque dispose d'informations internes (vs informations externes ou
publiques) ;
• l'information interne se construit dans le temps à travers de multiples
interactions multiservices (vs opération ponctuelle reproductible dans
les mêmes conditions) ;
• la banque n'obtient pas cette information de tiers et ne la partage pas avec
des tiers (information propriétaire vs information partagée ou
publique).
c) les pros & cons du relationship banking.
Toutefois, le relationship banking n'a pas que des avantages. La relation à long
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terme est suspectée de provoquer une double capture, de l'entreprise par la banque
(qui obtient un pouvoir de marché excessif) et de la banque par l'entreprise (qui
bénéficie d'engagements implicites). Les deux phénomènes sont parfois mêlés.
La banque peut être capturée si elle donne plus d'importance au futur qu'au
présent en raison des gains espérés de la rente informationnelle. Cela peut se
traduire par des "contrats implicites" sur les taux (lissage des fluctuations) ou sur
la disponibilité des financements (soft budget constraint). Un créancier "patient"
est-il un créancier dormant ? Il évite à l'entreprise de devoir liquider un
investissement créateur de valeur dans l'avenir mais, dans le cas inverse, lui
permet de persister dans la destruction de valeur. A l'approche de difficultés
financières, la banque est incitée à renouveler les crédits ou à en accorder de
nouveaux pour sauver les anciens, au lieu de faire pression sur le management
et/ou de pousser à la liquidation. Dans la mesure où les clients anticipent ce
comportement de la banque, il en résulte pour eux une incitation perverse ex ante,
pouvant aller ex post jusqu'au chantage à la liquidation.
La capture du client (hold up problem) se traduit par des prix (et des
conditions) du crédit supérieurs à ce qui est normal (coût du risque et charges
d'exploitation additionnelles liées à la collecte et au traitement récurrent
d'informations informelles par les chargés de clientèle). La nature même du
relationship banking confère à la banque un pouvoir de marché dont elle peut être
tentée d'abuser. Si l'entreprise a le droit de s'y soustraire en changeant de banque,
cette opération est coûteuse, non instantanée et dangereuse : la PME cliente court
un risque réputationnel élevé si, à cette occasion, sa banque d'origine émet des
signaux négatifs décelables par les tiers comme le retrait de garanties, le
durcissement des exigences de collatéralisation, la liquidation d'actifs ou le non
renouvellement de crédits.
Empiriquement, le test du hold up consiste à régresser le coût du crédit (souvent
saisi à travers les lignes de crédit) par rapport à l'intensité de la relation (approximée par
la durée). Les résultats disponibles ne sont pas parfaitement conclusifs et on ne sait pas
si la durée diminue le coût du financement ou, au contraire, l'augmente. Insuffisamment
documentés, les résultats sont, de plus, difficiles à interpréter.
Un renchérissement éventuel du financement avec la durée peut signifier que les
conditions initiales de financement étaient normales et qu'elles deviennent avec le temps
excessivement onéreuses parce que la banque utilise son pouvoir de marché pour
extraire une rente (effet pervers).
Mais, au contraire, il peut correspondre à un équilibre intertemporel lorsque les
conditions initiales étaient concessionnelles et qu'elles se normalisent peu à peu. Dans
ce cas, au début, le rabais accordé par la banque est le prix qu'elle paye pour nouer une
relation à long terme et profiter de la croissance de l'entreprise : la banque prend une
option sur la valeur future de l'entreprise ; la dette permet et incite la création de valeur ;
l'entreprise restitue plus tard la subvention initiale en payant plus cher.
Pour limiter l'effet pervers, on suggère que l'entreprise se soustraie à l'emprise
de sa banque en ayant plusieurs relations bancaires (multibanking) et en faisant
jouer la concurrence. Le nombre de relations est alors pris comme indicateur de
l'intensité de l'effet pervers. Toutefois, la multibancarité constatée traduit souvent
autre chose, une spécialisation fonctionnelle entre la banque principale et les
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banques secondaires qui offrent, par exemple, des services de factoring ou de
leasing, et sont d'ailleurs éventuellement des filiales de la banque principale. De
l'autre côté, le multibanking peut être encouragé par la banque initiale car il
permet de partager le risque entre plusieurs prêteurs et d'en diminuer le coût pour
l'emprunteur. Le multibanking est conditionné par l'offre de services des banques
sur le marché local du crédit (auquel se limite une bonne partie des PME). Il peut
prendre plusieurs formes:
- plusieurs relations (les études empiriques montrent que, dans la plupart des
pays, même les PE ont plusieurs relations bancaires) ;
- plusieurs demandes lors d'un besoin de financement ;
- changement de banque (qui se traduit par des durées de relation courtes pour
les PME).
2.2. Large banks & hard information
Sous la pression, d'une part, des actionnaires des grandes banques qui veulent
une augmentation de la rentabilité et, d'autre part, des nouvelles techniques et
exigences en matière de systèmes d'information, la centralisation et
l'industrialisation de l'activité bancaire ("usines de données") laisse de moins en
moins de place aux procédures informelles dans la gestion de la relation bancaire.
Aussi la littérature renvoie la PME opaque typique à sa banque locale qui aurait
les moyens et la nécessité de se débrouiller avec l'information "molle" (soft
information) alors que les grandes banques traiteraient l'information "dure" (hard
information) produite par les emprunteurs transparents.
Nous discuterons la pertinence de cette thèse en trois temps :
- l'opacité informationnelle peut être contournée, ce qui ouvre à la PME l'accès
à des modes de financements "normaux" (a) ;
- l'assimilation des grandes (petites) banques aux grandes (petites) entreprises
est une simplification abusive (b) ;
- le nouveau paradigme informationnel engendré par les technologies modifie
la problématique (c).
a) Opacité absolue ou relative ?
D'abord (i), si la jeune et/ou la petite entreprise est handicapée par son opacité,
ce n'est pas le cas des entrepreneurs ("ressources cachées"). Ensuite (ii),
différents instruments permettent de contourner l'opacité. Enfin (iii), il ne faut pas
exagérer la différence PME/GE.
i) entreprise et entrepreneur
L'entrelacement ("intertwining") de l'entrepreneur-propriétaire et de l'entreprise
n'est pas seulement (ou pas toujours) un fait naturel lié à la jeunesse ou à la taille
de l'entreprise, il constitue souvent un objectif de l'entrepreneur (owner-manager)
pour conserver la propriété et le contrôle. Indépendamment du désir des
financeurs externes d'apporter des fonds, notamment en entrant au capital,
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l'entrepreneur sera réticent, voire opposé, à produire des informations et à ouvrir
son capital. En ce qui concerne le financement externe, l'entrepreneur préférera
souvent émettre de la dette plutôt que du capital ou remplacer l'endettement de
l'entreprise par le sien propre.
L'entreprise naissante n'a pas encore d'histoire et la PME en général ne fournit
pas ou pas assez de données observables et, du fait de la faiblesse de son capital et
de ses immobilisations, n'offre pas de garanties suffisantes (collatéraux) pour
sécuriser les financements. Mais, en tant que personnes physiques, les
entrepreneurs ont un historique de relations bancaires. Ils disposent d'un
patrimoine (immobilier et/ou financier) ou de revenus extérieurs à l'entreprise qui
sont autant de garanties mobilisables. Ces données ne sont pas publiquement
observables mais peuvent être attestées.
Cette contribution de l'entrepreneur peut prendre deux formes, ou bien apporter
du collatéral à l'appui de l'endettement de l'entreprise, ou bien s'endetter à sa
place :
• une partie de la dette bancaire qu'on trouve dans les bilans de PME fait
l'objet d'une garantie personnelle du ou des propriétaires du capital qui
engagent leurs propres actifs (notamment immobiliers) pour sécuriser
les crédits. Cette finance apparemment externe est, au moins
partiellement, de la finance interne avec engagement personnel des
"insiders" ;
• le financement par dette peut-être totalement interne lorsque, plutôt que
d'engager l'entreprise (et de donner les informations nécessaires),
l'entrepreneur préfère utiliser son propre potentiel d'endettement et
emprunter personnellement pour apporter ensuite les fonds à
l'entreprise en tant que capital ou en tant que créance.
ii) instruments adaptés
Concernant l'entreprise elle-même, les institutions financières disposent
d'instruments efficaces pour contourner l'opacité. Ces instruments sont directs ou
indirects :
• directs : les clauses de sauvegarde (covenants) ne sont guère applicables
aux PME car l'absence d'états financiers certifiés empêche de vérifier
les valeurs critiques. Mais il existe un substitut aux covenants aussi
simple que puissant : la maturité. En accordant des crédits à court
terme renouvelables, l'institution financière obtient un pouvoir de
surveillance plus général et plus automatique qu'avec le jeu de
covenants le plus élaboré : tous les 6 mois ou tous les ans, pour obtenir
le renouvellement du crédit, l'entreprise devra répondre à toutes les
questions de la banque, apporter toutes les justifications demandées et
la banque aura la liberté de refuser le renouvellement ou d'en modifier
les conditions ;
• indirects : prendre comme sous-jacent, non plus la valeur (inconnue) de
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l'entreprise, mais celle de catégories d'actifs observables. Si la valeur
de la somme des actifs (valeur de marché de l'entreprise) est
problématique, certains actifs d'exploitation sont faciles à appréhender,
à évaluer et, le cas échéant à saisir : les créances à recevoir et/ou les
stocks font l'objet d'inscriptions comptables, sont vérifiables facilement
et donc mobilisables comme collatéral interne. Ainsi, quand bien
même l'institution financière prêteuse ne saurait rien de l'entreprise, il
lui suffit d'être prudente (vérification du collatéral et
surcollatéralisation) pour se protéger. Des banques qui ne sont pas en
relationship avec l'entreprise opaque peuvent lui accorder des crédits
sans prendre plus de risques qu'avec des entreprises transparentes.
iii) ne pas exagérer la différence entre PME et GE.
On peut admettre que l'asymétrie d'information est plus grande en général pour
les PME pour que pour les GE : ayant moins de passif et d'ayant-droits en général,
elles ont moins de comptes à rendre ; elles sont libres des obligations légales que
doivent respecter les sociétés cotées ; enfin, leurs outils de pilotage (et leur propre
information interne) sont moins développés. Il ne faut pas oublier pour autant que
l'asymétrie est irréductiblement liée à la finance externe. Les informations
abondamment produites par les sociétés dites "transparentes" ne sont pas toujours
exactes, sincères et complètes. Il arrive même parfois que la désinformation voire
l'intoxication soit une stratégie du management. La finance comme la guerre est
une activité stratégique qui se nourrit d'informations et produit de l'information :
on est donc tenté d'agir sur l'information dont disposent les contreparties pour les
pousser à prendre des décisions en sa faveur.
Il est donc un peu caricatural d'opposer les PME opaques et les GE
transparentes. Quoiqu'inégal à travers le monde, le développement et
l'approfondissement financiers au cours des 30 dernières années ont ouvert l'accès
aux marchés à des demandeurs de fonds qui, il y a 50/60 ans lorsque les bases de
la théorie de l'intermédiation ont été posées, semblaient voués au relationship
banking avec ses avantages et ses inconvénients.
b) Est-ce que "large banks prefer large firms" ?
Le crédit n'est pas homogène : on vient de le voir, différents types de crédit
reposent sur des informations "dures" portant sur autre chose que la valeur de
l'entreprise (garanties, actifs, collatéraux). De cette manière, "large institutions
deliver credit to many opaque SMEs" (Berger, Udell, 2006) car elles ont assez
d'informations sur le sous-jacent du crédit.
Concernant le relationship banking, la spécialisation des grandes banques dans
le crédit aux grandes entreprises et des petites banques aux PME est une fausse
évidence. D'ailleurs dans de nombreux cas, la notion de "petite banque" est ellemême une fausse évidence : si, aux Etats-Unis sur l'exemple desquels s'appuie
largement la littérature, il reste une multitude de petites banques locales n'exerçant
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leur activité que dans un rayon de quelques kilomètres, dans la plupart des pays
les banques locales n'existent plus en tant que banque de détail ou sont membres
de réseaux dont les principales fonctions sont centralisées (ainsi les banques
mutualistes). L'existence de petites banques et leur degré de localisme dépend
donc de la structure et de l'évolution du système bancaire, elles-mêmes
partiellement liées à la structure politique de l'Etat et à la réglementation. Le fait
qu'il existe des banques locales n'oblige pas les PME à s'adresser à elles : cela
dépend de la structure du marché bancaire local et de l'intensité de la concurrence.
Si, dans un village du fond de l'Oklahoma à l'époque du MacFadden Act (de 1927
à 1994), il y avait des chances qu'une petite entreprise locale soit obligée de passer
par la banque locale, ce n'est pas le cas général.
Ces réserves étant faites, examinons l'argument.
Il est vrai que les petites banques ne prêtent pas aux grandes entreprises, en
tous cas pas directement (elles peuvent prêter indirectement à travers des prêts
syndiqués ou des fonds d'investissement). Il y a à cela des raisons évidentes :
• elles ne sont pas présentes sur le marché où s'expriment les demandes des
GE ;
• elles n'ont pas de ressources suffisantes et ne peuvent pas soutenir la
concurrence des grandes banques notamment en termes de prix ;
• même si elles pouvaient financer, elles ne devraient pas le faire pour
éviter une concentration excessive de leur risque de crédit, compte tenu
de la taille de leur bilan. Cette considération de bon sens est renforcée
par les exigences réglementaires en matière de division des risques qui
interdisent à l'exposition sur un emprunteur ou des emprunteurs liés de
dépasser une certaine proportion des fonds propres et/ou du bilan.
Les petites banques prêtent donc à leurs clients, PME et particuliers. Mais,
dans l'autre sens, il n'est pas vrai que les grandes banques "préfèrent les grandes
entreprises" et ne prêtent pas aux PME, même si, bien entendu, du fait de la
diversification de leurs actifs, la proportion des crédits aux PME dans leur bilan
est inférieure à celle des petites banques et diminue en même temps que leurs
bilans s'élargissent à des nouvelles activités, notamment des activités de marchés,
et que leur portefeuille titres augmente. Cette diminution relative n'empêche pas
une augmentation des crédits aux PME.
Sur le plan des prix, des données empiriques laissent même supposer que les
conditions faites aux PME par les grandes banques sont plus avantageuses que
celles des petites banques. Cela s'explique par une productivité supérieure
(notamment s'il y a des économies d'échelle et/ou une pression des actionnaires) et
aussi par le fait qu'une partie des crédits accordés par les grandes banques aux
PME relèvent du transaction banking et sont des crédits standardisés pour
lesquels elles ont des règles uniformes.
c) Nouveau paradigme informationnel
Depuis trente ans, et tout particulièrement au cours des dix dernières années,
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les conditions de production et d'utilisation de l'information se sont modifiées
ainsi que les attentes et contraintes à cet égard. Cette tendance générale concerne
aussi les PME. Quand le moindre utilisateur de Facebook laisse des traces presque
indélébiles, comment penser qu'une entreprise, même petite, pourrait rester
opaque à partir du moment où, comme c'est sa fonction, elle a des relations
marchandes avec des clients et des fournisseurs et, comme c'est son devoir, des
relations institutionnelles (volontaires ou obligatoires) avec des entités publiques ?
La relation physique de proximité est coûteuse et consomme du temps et des
ressources. Elle requiert une implantation locale et une qualification élevée des
chargés d'affaires. Elle est nécessaire dans deux cas :
- ou bien, l'information dure existe plus ou moins mais il n'y a pas de standard
pour la formaliser ni de canaux de communication efficaces pour la transmettre :
c'était le cas avant le téléphone et Internet. Un tel univers impose la relation de
proximité ;
- ou bien, l'information est molle, partielle, non formalisée et des entretiens
avec l'entreprise, ses partenaires, clients et fournisseurs sont une procédure
d'extraction de l'information et de son formatage dans le standard de la banque.
Sans entrer dans les détails, la révolution des technologies de l'information et
de la communication a bouleversé l'activité bancaire, tant au niveau du hardware
qu'à celui du software (scoring), les systèmes d'information devenant le facteur
clef de la productivité. La relation client en a été transformée, la plupart des
opérations routinières et récurrentes étant automatisées.
En particulier, l'expansion des "infomediaries" n'aurait pas été possible sans
les instruments techniques qui permettent de concevoir, mettre en place, produire,
alimenter, maintenir et connecter de gigantesques bases de données. Le but de
"l'intermédiation de l'information" est de la collecter pour la revendre. Cela rend
possible une distance physique croissante entre le client et la banque (et
éventuellement une relation bancaire purement virtuelle).
Ces informations, qu'elles soient obtenues en interne, achetées ou louées à un
"infomédiaire", alimentent des programmes de "credit scoring" qui, sur la base
d'une analyse multivariée, classent automatiquement les emprunteurs dans des
catégories de risque et estiment le coût du risque.
Il en résulte que l'opposition entre information molle et information dure (pour
autant qu'elle ait jamais existé) disparaît : en l'absence d'information suffisante, le
dossier est rejeté. Dans l'autre sens, les coûts fixes de l'octroi du crédit diminuent,
ce qui améliore la position des petites entreprises. Et, si l'information est tenue à
jour, le prêteur est moins exposé à l'alea moral ce qui, à nouveau, diminue le coût
du crédit.
De l'autre côté, les entreprises ont accès à une multitude de services en ligne et
de softwares qui mettent à leur disposition des outils externes de traitement de
l'information (par exemple pour la relation client) et de gestion dont la conception,
la production et l'utilisation sur une base interne étaient impensables.
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L'information devenant "low cost" (dans sa production, sa circulation et son
traitement), l'opacité devient résiduelle.
Néanmoins, les PME doivnt s'adapter à la nouvelle approche réglementaire du
risque de crédit depuis Bâle 2 : les banques utilisant l'approche interne (IRB)
demandent à leurs clients, et notamment aux PME, des données plus nombreuses,
mieux structurées, plus ciblées et à jour, pour alimenter leur système d'analyse et
lui permettre de produire des notations précises et adéquates. Tout retard dans la
fourniture des données sera interprété comme un signal d'alarme susceptible de
conduire à une dégradation de la note.
Les banques ont un rôle important à jouer dans ce processus d'apprentissage.
Elles doivent expliquer comment la notation influence le crédit et comment
l'entreprise peut améliorer sa note. La banque doit définir avec soin la nature et le
rythme des données afin qu'elles soient suffisantes pour elle et acceptables et
utiles pour la PME. Celle-ci, de son côté, a à comprendre la nouvelle approche, à
produire en temps voulu les données financières et stratégiques et à améliorer les
facteurs qui ont un effet sur la note. Ces réformes internes sont, en elles-mêmes,
des facteurs de performance puisqu'elles promeuvent la gestion active des deux
côtés du bilan et la vision stratégique. Le poids qui pèsera sur les PME sera
d'autant plus lourd qu'elles sont plus petites et moins organisées. Il en résultera
une segmentation accrue entre les PME "actives" qui disposeront de meilleurs
outils et les PME passives qui, incapables de s'adapter, utiliseront encore plus le
crédit à l'entrepreneur à la place du crédit à l'entreprise.
Conclusion : l'action publique
Une telle multitude de programmes publics existent dans tous les pays et à
l'échelle internationale que la plupart des PME renoncent à y recourir faute
d'information suffisante sur les mesures et les procédures.
Quoique les PME le réclament souvent, apporter des financements publics ne
serait la solution que dans le cas où les PME seraient frappées d'un rationnement
de crédit (stricto sensu) provoqué par l'opacité informationnelle. Sans préjudice de
mesures structurelles visant à diminuer cette opacité, les fonds publics
contribueraient ainsi à corriger un échec du marché. Fondamentalement, la
question est de décider si telles difficultés de financement des PME concernent
l'efficience (disfonctionnement du marché), l'équité ou la politique macroéconomique (croissance et emploi).
La diminution du coût du financement, à travers des conditions préférentielles
accordées par des banques publiques ou à travers des subventions ou bonifications
d'intérêt constitue un bénéfice immédiat pour les entreprises mais soulève des
problèmes d'allocation : les fonds publics ainsi employés le seront au détriment
d'autres dépenses (soit directement par arbitrage budgétaire, soit indirectement par
la fiscalité). Il n'amélioreront ce qu'il est convenu d'appeler "le bien être social"
que si les dépenses évincées sont moins utiles que les dépenses effectuées, ce qui
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ouvre un débat sans fin.
En outre, rien ne permet de penser que le financeur public soit mieux à même
que les financeurs privés de sélectionner et de surveiller les emprunteurs pour
lesquels le soutien public constitue alors un "free lunch".
Plusieurs types de mesure échappent à ces problèmes. Tout d'abord, l'Etat peut
entreprendre une action structurelle en profondeur pour simplifier les rapports
entre les PME et l'administration, améliorer la formation des entrepreneurs et
apporter des réponses aux problèmes particulièrement sensibles pour les PME,
tels que celui de la transmission d'entreprise. Des actions particulières peuvent
être nécessaires pour faciliter le renforcement de la base en capital. On a vu que la
petite taille n'empêche pas la dette financière. C'est alors l'étroitesse de la base en
capital qui est à l'origine de la vulnérabilité financière des PME. Cette
vulnérabilité les expose aux aléas bancaires (cycle du crédit).
• Pour partie, cette étroitesse est endogène (préférence des ownersmanagers) et il n'y a pas grand chose à y faire, un relèvement des
minima légaux en matière de capital minimum se heurtant à la liberté
d'entreprendre ;
• Pour une autre part, elle est exogène. Elle peut résulter de dispositions
fiscales telles que le régime ou le taux de taxation des profits
incorporés au capital, ou les différences entre la taxation de l'entreprise
et celle de l'entrepreneur qui conduisent à localiser les gains là où ils
sont le moins taxés et, par exemple à préférer recevoir des intérêts
plutôt que des dividendes. Quoique ces problèmes soient difficiles à
régler, ils relèvent pleinement de la responsabilité publique.
• Il en va de même des obstacles fiscaux ou réglementaires au capital
risque. Lorsque l'initiative privée est défaillante, l'Etat a à encourager
et à faciliter le capital risque et le private equity en général, direct
(business angels) ou indirect (fonds d'investissement). Il ne s'agit pas
seulement d'incitations à entrer dans le capital des start ups mais de
faciliter la sortie, soit sous forme d'IPO (règles d'admission et
obligations allégées pour les start ups), soit sous forme de ventes en
secondaire ou de combinaison des deux (dual track).
Enfin, en ce qui concerne l'opacité informationnelle, outre les actions directes
visant à produire de l'information (système public de notation des entreprises qui
n'ont pas accès aux grandes agences mondiales), les pouvoirs publics ont à
encourager ou organiser la mutualisation : en accordant non pas des financements
mais des garanties ou des cautions, un organisme professionnel (soutenu par les
pouvoirs publics) ou directement public, diminue l'incertitude des apporteurs de
financement tout en limitant sa propre exposition en raison, d'une part de la
diversification, d'autre part de la surveillance interne à laquelle il procède.
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