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L’édition du Printemps des
Philosophes 2013 sera consacrée à une
question évoquée au XVIe siècle avec brio
par Etienne de La Boétie dans un court
texte intitulé « Discours de la servitude
volontaire » : Pourquoi les hommes se
font-ils les complices de ceux qui les
tyrannisent et aspirent-ils à leur propre
servitude ? Pourquoi oublient-ils qu’ils
sont «tous naturellement libres» et «tous
compagnons » ? Comment pourraient-
ils reconquérir leur « nature franche »
et se libérer d’une sujétion fondée sur
l’habitude, la crainte et la complaisance?
Certes, l’essai de La Boétie s’inscrit
dans une période complexe et troublée –
celle des guerres de religion – mais il ne
se réduit en rien à un manifeste contre
le roi ou la cour. Il nous invite plutôt à
une réexion toujours actuelle sur le lien
politique, les possibilités de résistance à
l’oppression et le rôle que le peuple est
appelé à jouer dans l’Etat moderne.
Que nous enseigne, en eet, La
Boétie dans ce texte érudit ? Que non
seulement les hommes sont, par leur
faiblesse, responsables de leur servitude
mais surtout que le véritable lien politique
n’a rien à voir avec la tyrannie. La Boétie ne
met pas en question la monarchie, pourtant
on décèle dans son propos une intuition
contractualiste que les théoriciens du droit
politique approfondiront ultérieurement.
Le monarque n’a pas que des droits, il a
aussi des devoirs, s’il ne les remplit pas,
le peuple peut s’opposer à lui, voire lui
résister. Et si le peuple refuse son appui au
prince indigne, le tyran perd tout pouvoir.
Il pourrait paraître présomptueux
d’utiliser une œuvre aussi profondément
marquée par son temps an d’interroger
les événements contemporains. Celle-ci
pourtant nous éclaire sur plusieurs points.
Elle nous montre d’abord que ce
paradoxal désir d’asservissement n’est
pas irrémédiable. Le mélange de peur, de
corruption, d’intérêts serviles qui constitue
le ciment des régimes dictatoriaux peut
disparaître : faire le tyran, c’est être
complice; défaire le tyran, c’est refuser de
le servir.
Quelques-uns, aujourd’hui comme
hier, ont su dire non, refuser ce qui
oensait leur liberté et attentait à leur
dignité. Le cheminement est douloureux
et se perd trop souvent dans de médiocres
calculs ou dans une violence stérile ainsi
que le montrent les réexions lucides de
Mouloud Feraoun.
L’ouvrage de la Boétie nous aide
aussi à penser les contradictions de notre
modernité. Car si l’esclavage, au sens
strict, a presque partout disparu, si le
travail moderne est encadré par le droit, la
servitude volontaire accompagne plus que
jamais les nouvelles formes d’organisation
de ce même travail.
Pour penser les atteintes à
l’intégrité physique et mentale que des
personnes subissent en raison de leur
condition, La Boétie nous est d’une aide
précieuse et la conférence de Nicolas
Chaignot nous apportera de nombreux
éclaircissements sur ce sujet.
Tels seront les diérents aspects
abordés dans cette semaine philosophique
que nous espérons riche en découvertes
et réexions.
Sylvie MORELLE